Georges GILLES DE LA TOURETTE. Documents satyriques sur Mesmer. Extrait de la « Nouvelle Iconographie Photographique de La Salpêtrère », (Paris), tome deuxième, 1889, pp. 59-64, et 103-106.

Georges GILLES DE LA TOURETTE. Documents satyriques sur Mesmer. Extrait de la « Nouvelle Iconographie Photographique de La Salpêtrère », (Paris), tome deuxième, 1889, pp. 59-64, et 103-106.

 

Georges Albert Édouard Brutus Gilles de la Tourette (1857-1904). Médecin aliéniste, élève de Charcot, dont il fut l’un des éditeurs de ses Leçons, bien connu pour le syndrome neurologique portant son nom, caractérisé par des tics, moteur et verbaux, souvent associés à la coprolalie.
Il défendra les idées de Charcot qui – tout en conservant l’idée d’une localisation cérébrale et à son corps défendant – promut l’idée d’une origine psychogénétique de l’affection en faisant apparaître et disparaître les symptômes par L’hypnose.
Quelques publications :
— L’hypnotisme et les états analogues au point de vue médico-légal. Les états hypnotiques et les états analogues, les suggestions criminelles, cabinets de somnambules et sociétés de magnétisme et de spiritisme, l’hypnotisme devant la loi. Préface de M. le Dr P. Brouardel. Paris, E. Plon & Nourrit & Cie, 1887. 1 vol. 14/22.5 [in-8°], 22 ffnch., XV p., 534 p., 1 fnch. — Deuxième édition, revue et augmentée. Paris, E. Plon, 1889. 1 vol. 14.2/22.2 [in-8°], 4 ffnch, XV p., 583 p.
— Leçons de clinique thérapeutique sur les maladies du système nerveux. Hémorragie cérébrale. – Etats neurasthéniques. – Epilepsie. – Hystérie. – Tic douloureux et migraine. – Morphinomanie. – Vertige de Ménière. – Pieds bots. – Myélites syphilitiques. Paris, E. Plon, Nourrity et Cie, 1898. 1 vol. in-8°, 4 ffnch., 482 p.
— Les Etats Neurasthéniques. Fomres cliniques. – Diagnostic. – Traitement. Deuxième édition, revue et augmentée. Paris, J.-B. Baillière et Fils, 1900. 1 vol. in-8°, 2 ffnch., 96 p. Dans la collection « Les actualités médicales ».
— Théophraste Renaudot d’après les documents inédits. Paris, E. Plon, Nourrit et Cie, 1884. 1 vol. ib-8°, 2 ffnch, IV, 316 p.
— L’épilogue d’un procès célèbre : affaire Eyraud-Bompard. Paris, Aux bureaux du Progrès médical et E. Lecrosnier et Babé, 1891. 1 vol in-8°, 16 p. [en ligne sur notre site]
— Traité clinique et thérapeutique de l’hystérie d’après l’enseignement de la Salpêtrière. I. Hystérie normale ou interparoxystique, avec 46 figures dans le texte. – Seconde partie: Hystérie paroxystique avec 63 figures dans le texte et un portrait à l’eau… Paris, E. Plon, Nourrit et Cie, 1891. 3 vol. in-8°, (XV p., 582 p.) + (4 ffnch., 556 p.) + (2 ffnch., 607).

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Par commodité nous avons renvoyer la note de bas de page de l’article original en fin d’article. – Hors le portrait, les images sont celles de l’article original. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

[p. 59]

DOCUMENTS SATIRIQUES SUR MESMER

I

Le voilà ce mortel dont le siècle s’honore
Par qui sont replongés au séjour infernal
Tous ces fléaux vengeurs que déchaîna Pandore
Dans son art bienfaisant il n’a point de rival
Et la Grèce l’eût prix pour le dieu des Épidore.

Qu’état le M. Pallissot qui signa des vers aussi dithyrambiques (pl. VII) ?

Nous n’en savons rien : peut-être un malade guéri par Mesmer, à coup sûr un enthousiaste de ses doctrines, car Mesmer avait des doctrines et lesquelles !

Traduisait-il l’opinion publique ? Dans la circonstance, oui et non, et cela se comprend.

La science de Mesmer paraissait en effet si merveilleuse, les effets qu’il obtenait si singuliers, que cet apôtre, ce rénovateur, cet exploiteur du magnétisme, qu’on lui donne les noms qu’on voudra, il les mérite un peu tous, devait fatalement soulever autour de lui et des enthousiasmes et des dénigrements peut-être systématiques.

Jamais homme en effet, de son temps même, ne fût plus discuté ; et véritablement, ce fut avec raison qu’on jeta la pierre à ce personnage cupide qui, sous le fatras et l’obscurité de ses doctrines, cachait tous les appétits d’un ambitieux sans vergogne.

Une seule chose plaidera cependant pour lui devant la postérité : c’est d’avoir inspiré, bien involontairement d’ailleurs, les recherches qui amenèrent Puységur à la découverte du somnambulisme artificiel.

Si donc Mesmer eut ses apologistes, les détracteurs ne lui firent pas défaut et, à une époque où on aiguisait si finement l’épigramme, il se vit raillé de toutes parts ; sur le théâtre on parodia ses séances, en même temps que les caricaturistes ridiculisaient le fameux baquet et les pratiques absurdes du médecin viennois.

Parmi ces allégories satiriques, il en est quelques-unes de fort intéressantes ; de plus, notre maitre, M. le professeur Charcot, a bien voulu [p.60] avec sa libéralité ordinaire, nous communiquer une aquarelle inédite dont nous avons pu reconstituer l’histoire.

Nous avons pensé qu’à une époque où le magnétisme est l’objet de tant de discussions — encore passionnées — il pourrait être intéressant de faire, dans ce Recueil, une place à l’allégorie satirique si chère à nos pères et qui, en somme, mère de la caricature d’aujourd’hui, n’était pas inférieure à sa fille.

Mais pour qu’on pût interpréter avec nous les pièces que nous reproduisons, également il nous a semblé nécessaire de dire quelques mots du séjour de Mesmer à Paris.

C’est, en février 1778 que Mesmer, Allemand d’origine — on ne s’étonnera plus de sa cupidité — se rendit dans la capitale pour se consoler des déboires qu’il avait subis à Vienne d’où il avait été à peu près expulsé après une aventure scandaleuse. Il était âgé de 45 ans, étant né le 23 mai 1733 à Weill, près de Stein, sur le Rhin.

A vraiment dire ce n’était pas un inconnu qui arrivait, car Paris avait eu l’écho des discussions qu’il avait soutenues contre les médecins de Vienne où il avait publié en 1766 sa fameuse Dissertation sur l’influence des planètes sur le corps humain.

On trouvait, entre autres choses, dans cette mémorable brochure, les fameuses propositions qui, certainement à cause de leur obscurité même, servirent pendant si longtemps de catéchisme aux magnétiseurs, propositions dont nous devons rapporter quelques-unes pour l’éclaircissement des documents que nous publions.

« 1° Il existe une influence mutuelle entre les corps célestes, la terre et les corps animés.

« 10° La propriété du corps animal qui le rend susceptible de l’influence des corps célestes et de l’action réciproque de ceux qui l’environnent, manifestée par son analogie avec l’aimant, m’a déterminé à le nommer magnétisme animal.

« 11° L’action et les vertus du magnétisme animal ainsi caractérisées peuvent être communiquées à d’autres corps animés ou inanimés.

« 15° On observe à l’expérience l’écoulement d’une matière dont La subtilité pénètre tous les corps sans perdre notablement de son activité.

« 23° On reconnaîtra par ces faits, d’après les règles pratiques que j’établirai, que ce principe peut guérir médiatement les maladies de nerfs et immédiatement les autres.

« 24° Qu’avec son concours le médecin est éclairé sur l’usage des médicaments ; qu’il perfectionne leur action et qu’il provoque et dirige les crises salutaires de façon à s’en rendre maître.

« 25° En communiquant ma méthode je démontrerai, par une théorie [p. 61] nouvelle des maladies, l’utilité universelle du principe que je leur oppose. »

Mesmer inventait-il donc quelque chose, pour nous parler de sa méthode, de sa théorie nouvelle. En aucune façon ; il ravivait simplement, à son bénéfice du reste, la doctrine de l’attraction. universelle. Comme le magnétisme de Mesmer, la vis magnetica des vieux alchimistes n’est que la force agissant à distance. C’est elle qui détermine l’influence des corps célestes les uns sur les autres, leur action sur notre globe et les influences réciproques de tous les corps célestes et terrestres. Mais il n’était pas homme à s’embarrasser des travaux de ses devanciers dans ses revendications personnelles.

Le voici donc modestement installé place Vendôme, quartier qui était loin alors de l’élégance architecturale et du renom aristocratique qu’il possède aujourd’hui. Ses confrères de Paris le viennent aussitôt visiter. Riant sous cape de la singularité et de l’obscurité de ce qu’il appelle pompeusement ses doctrines, ils le mettent au pied du mur en lui envoyant des malades à traiter, espérant ainsi le discréditer aux yeux du public par les insuccès qu’il devait, suivant eux, infailliblement remporter. Ce en quoi ils se trompèrent singulièrement. Le merveilleux, sous toutes ses formes, jouit en effet d’une vertu fascinatrice sans égale et la génération présente avait été bercée par le récit des miracle opérés sur le tombeau du diacre Pâris. La chambre des crises allait devenir le rendez-vous des nouveaux convulsionnaires.

Aussi arriva-t-il, qu’après quelques cures heureuses, bien difficile d’ailleurs à apprécier, Mesmer se trouva tout à coup célèbre.

La Faculté se fâcha, el elle eut tort, car ses bonnes raisons ne pouvaient passer que pour des méchancetés jalouses vis-à-vis le public d’hallucinés qui se pressait déjà autour du mystérieux baquet d’où s’écoulait la vie.

Phénomène singulier, le clergé lui-même —·certains membres tout an moins — apportait son appui au grand-prêtre de la place Vendôme bientôt somptueusement installé dans le grand bâtiment qui porte encore aujourd’hui Je nom d’Hôtel, Bullion. Le père Gérard, procureur général de l’ordre religieux de la Charité, lui amenait des malades et proclamait les bienfaits de la nouvelle science ; en 1784, un moine augustin fart éloquent, le P. Hervier descendra de la chaire, en pleine basilique de Saint-André, à Bordeaux, pour magnétiser une jeune fille que sa terrible peinture de la damnation n’avait pas peu contribué, d’ailleurs, à jeter dans une crise d’hystérie convulsive.

La Faculté était toujours dissidente, mais l’un de ses docteurs-régents Deslon, premier médecin du comte d’Artois, l’un des frères du roi, [p. 62] prenait ouvertement parti pour Mesmer et se rendait à l’hôtel Bullion exploiter avec lui les malades qui venaient réclamer un soulagement à des maux souvent imaginaires.

Ce fut la belle période, celle des grosses recettes, celle où les sociétés élégantes avaient leur jour de « baquet » comme on avait son jour à l’Opéra, celle où Mesmer entouré de nombreux élèves qui payaient fort cher pour connaitre une doctrine qu’il refusa toujours de leur divulguer — et pour cause, — et.ne pouvant suffire à tous les traitements, magnétisait un arbre situé au haut de la rue de Bondy où le malades, désireux de bénéficier du précieux fluide s’attachaient par une corde.

Mais les plus belles médailles ont leur revers. Mesmer, pour payer d’audace, ayant sollicité près du roi l’examen de ses doctrines, il s’en suivit un rapport extrêmement substantiel et des plus sages de Bailly qui, sans nier, bien au contraire, les effets du magnétisme animal, s’efforçait de mettre en lumière le danger des convulsions, des crises qui formaient le fond du traitement.

« Ces convulsions, disaient en 1784 les commissaires du roi, sont caractérisées par des mouvements précipités, involontaires de tous les membres et du corps entier, par le resserrement à la gorge, par de soubresauts des hypocondres et de l’épigastre, par le trouble et l’égarement des yeux, par des cris perçants, des pleurs, des hoquets, et de cris immodérés … Il y a une salle matelassée et destinée primitivement aux malades tourmentés de ces convulsions, une salle nommée de crises… » Quelle meilleure description pourrait-on donner aujourd’hui de l’attaque d’hystérie ?

Aussi les commissaires rejetèrent-ils comme funeste la pratique du magnétisme animal. Et ils allèrent plus loin encore, car, à ce rapport destiné à être rendu public, ils en ajoutèrent un second qui resta longtemps secret. Il avait spécialement trait aux dangers que couraient les bonnes mœurs dans la maison du sieur Mesmer.

En effet, outre les émotions d’un genre spécial qu’éveillaient les passes et les attouchements dans le cœur des femmes soumises au traitement magnétique, il se passait des choses plus graves encore qui amenèrent l’intervention de la justice.

M. le lieutenant de police, disent-ils, a fait quelques questions à cet égard à M. Deslon —I’acclyte de Mesmer, — il lui a dit : « Je vous, demande, en qualité de lieutenant général de police, si, lorsqu’une femme est magnétisée ou en crise, il ne serait pas facile d’en abuser. » M. Deslon a répondu affirmativement, et il faut rendre justice à ce médecin qu’il a toujours insisté pour que ses confrères, voués à l’honnêteté [p. 6] par leur état, eussent seuls le droit et le privilège d’exercer le magnétisme. On peut dire encore que, quoiqu’il eût chez lui une chambre primitivement destinée aux crises, il ne se permet pas d’en faire usage ; mais, malgré cette décence observée, le danger n’en subsiste pas moins dès que le médecin peut, s’il le veut, abuser de sa malade. Les occasions renaissent tous les jours, à tout moment ; il est exposé quelquefois pendant deux ou trois heures. Qui peut répondre qu’il sera toujours le maitre de ne pas vouloir ? Et même, en lui supposant une vertu plus qu’humaine, lorsqu’il a en tête des émotions qui établissent des besoins, la loi impérieuse de la nature appellera quelqu’un à son refus ; et il répond du mal qu’il n’aura pas commis mais qu’il aura fait commettre. «

Les commissaires étaient durs pour Mesmer qui, certainement, tenait plus à l’argent qu’aux faveurs de ses clientes.

Quelques jours plus tard paraissait un autre rapport de la Société royale de médecine qui concluait, comme le précédent, « que ces traitements faits en public par les procédés du magnétisme animal joignent à tous les inconvénients indiqués ci-dessus, celui d’exposer un grand nombre de personnes, bien constituées d’ailleurs, à contracter une habitude spasmodique et convulsive qui peut devenir la source des plus grands maux. »

En même temps, on faisait venir de Vienne une jeune pianiste avec laquelle Mesmer avait eu une aventure plus que suspecte ; qu’il prétendait avoir guérie d’une cécité ancienne et qui se trouva aveugle comme devant.

Les satires commencèrent à pleuvoir dru et ferme, la Comédie italienne donna les Docteurs modernes où Mesmer était ridiculisé de la belle manière.

Bien plus, ses élèves eux-mêmes, membres de la Société de l’Harmonie qu’il avait fondée, se révoltèrent contre celui qui, sous le fallacieux prétexte de les initier à de prétendus secrets, se contentait de leur soutirer des sommes considérables.

Aussi, en 1785, conspué de toutes parts, Mesmer, qui emportait d’ailleurs, avec lui, une grosse fortune, fut-il obligé de quitter la France. Après avoir voyagé quelque temps en Angleterre sous un nom supposé, il se retira près du lac de Constance, à Mersburg où il mourut tout à fait ignoré, le 15 mars 1815, âgé de quatre-vingt et un ans.

II

Parmi les allégories satiriques qui ne contribuèrent pas peu à sa chute il en est quelques-unes qui sont véritablement du plus haut intérêt. [p. 64–

La première que nous reproduisons (pl. VIII) représente l’apothéose burlesque de Mesmer. S

Sur une sphère gonflée par trois personnages, parmi lesquels il est permis de reconnaître le P. Gérard, son thuriféraire, Mesmer se trouve placé, couronné par la Folie soutenue dans les airs par une montgolfière, invention alors récente, et qui d’un coup de marotte l’a démasqué.

De la main droite il magnétise la lune, ce qu’il s’était, parait-il, vanté de pouvoir faire. La lune, à son tour, en astre obéissant, envoie son fluide sur une femme placée devant le fameux baquet.

Allusion transparente aux questions indiscrètes du préfet de police, un jeune satyre amoureux, les yeux bandés, le carquois en bandoulière, explore les richesses d’un corsage qui semble ne demander qu’à s’entr’ouvrir.

Derrière le fauteuil sur lequel il s’appuie, un spectateur paraît beaucoup plus s’intéresser aux tentations du satyre qu’aux investigations de ses voisins qui suivent avec intérêt les oscillations de l’aiguille aimantée, le fluide magnétique ayant de grandes analogies avec l’aimant.

Sur la table, le chien de Mesmer que nous allons bientôt voir exercer sur ses semblables l’action du magnétisme … animal.

Au fond et à droite, le P. Hervier, le fougueux apologiste de Mesmer dans la cathédrale de Bordeaux, qui descendait de sa chaire pour magnétiser une convulsionnaire de son auditoire. Derrière lui, le valet magnétiseur, à l’air narquois, que nous retrouverons dans la comédie des Docteurs modernes.

Enfin, au fond et à gauche, le fameux arbre de la rue de Bondy avec sa corde à laquelle s’attachaient les fidèles, puis divers ustensiles parmi lesquels nous croyons reconnaître une machine électrique.

Telle est cette composition qui, comme on le voit, rappelle aussi complètement que possible les faits les plus saillants de l’épopée mesmérique.

( à suivre.)

GILLES DE LA TOURETTE
Chef de clinique des maladies du système nerveux.

[p. 103]

DOCUMENTS SATIRIQUES SUR MESMER

(suite (1)

Les deux pièces qui suivent (pl. XV et XVl) datent de 1784 et toutes deux semblent avoir été inspirées, en partie au moins, par cette comédie des Docteurs modernes qui ridiculisa si vigoureusement Mesmer.

Ce fut le 16 novembre 1784 que les comédiens italiens donnèrent pour la première fois cette « comédie-parade en un acte suivie du Baquet de santé, divertissement analogue mêlé de couplets ». Naturellement la pièce était conçue dans le goût de l’époque.

Cassandre qui représente Mesmer explique à Pierrot, le valet magnétiseur, sur l’air des Portraits à la mode, quels sont ses projets :

Saigner et purger dans tout événements,
Employer en vain de noirs médicaments
Et sans les guérir rebuter tous les gens
Des autres c’est la méthode.
Suppléer à cela par un tact vainqueur
Flatter et les sens et l’esprit et le cœur
Tel est, mon ami, le remède enchanteur
Que je prétends mettre à la mode.

Pierrot, en valet bien appris, opine du bonnet et Cassandre, dont il a gagné la confiance, veut bien lui dire en confidence :

Mon enfant, conçois mon dessein,
Peu m’importe que l’on m’affiche
Partout pour pauvre médecin
Si je deviens médecin riche.

Tout est disposé pour recevoir les clients, le baquet est tout préparé.

Survient alors un Gascon qui raconte à Cassandre qu’ayant reçu une maîtresse gifle il s’est battu en duel, mais qu’à la première passe il est tombé « à jambes rebindaines » comme eût dit Rabelais. Naturellement le Gascon ne peut douter de sa propre bravoure et l’effet désastreux qu’il a ressenti au simple froissement du fer de son adversaire [p. 104]vient évidemment de ce que celui-ci tenait en main une épée magnétisée : « Magnétisez donc aussi la mienne — s’écrie-t-il — afin que je punisse ce faquin. »

Très bien, dit Cassandre :

Mais avant que je commence
Il me faudrait vingt louis.

LE GASCON.

Je n’ai pas une pistole
Mon banquier se trouve absent
Mais je donné ma parole.

CASSANDRE.

J’y croirais sans votre accent.

 

Et le Gascon est éconduit.

Cependant Cassandre n’ignore pas que la Faculté réprouve hautement ses pratiques. Il lui faudrait un Docteur pour répondre aux critiques qui le poursuivent de toutes parts. Afin de se l’attacher complètement il lui donnera sa fille Isabelle en mariage et une bonne part du gâteau.

Mais à l’instar de toute ingénue qui se respecte, Isabelle ne se soucie pas d’épouser un barbon, elle aime en secret le beau Léandre. Comme il est un dieu pour les amoureux, même chez les magnétiseurs, Pierrot, en bon valet de comédie, se charge de tout arranger pour le mieux, ce ·qui lui est d’an tant plus facile que Léandre se trouve être par hasard le propre neveu du Docteur (qui représente Deslon). Les bénéfices qui menacent d’être considérables ne sortiront pas ainsi de la famille.

Naturellement l’intrigue principale est entrecoupée par des intrigues secondaires qui se passent entre un certain Mondor et la belle Aglaé auprès de laquelle ce dernier paraît devoir être supplanté par un jeune abbé fort galant.

Aglaé a la plus grande envie de ressentir les effets du magnétisme.

L’abbé lui propose ses services : « Je m’estimerais bien heureux, lui dit-il, si je pouvais contribuer à la guérison d’une aussi jolie personne. »

Cassandre intervient alors comme le Deus ex machinâ. Mondor s’assied devant l’harmonica, et c’est au son de celte musique céleste qu’Aglaé entre en des pâmoisons qui vont se terminer dans la salle des crises où l’emporte le fidèle Pierrot.

L’aquarelle qui appartient â M. Charcot et que nous reproduisons (pl. XVI) semble bien avoir été inspirée pat· celle scène des Docteurs modernes. Elle présenté de plus, au point de vue médical, ceci d’intéressant que le magnétiseur appuie directement sur la région ovarienne région qui, comme on le sait, est le siège de la plus fréquente des zones [p. 105] hystérogènes. Ce n’est donc pas sans intention que sa main se porte en cet endroit, car c’est là qu’il doit appuyer pour produire la crise.

Ah ! je conçois qu’il n’est rien tel
Que ce fluide universel
J’aime fort qu’on me magnétise
Appuyez, docteur, j’entre en crise.

Notre artiste inconnu était incontestablement doublé d’un excellent observateur.

L’aquarelle, comme la pièce des Docteurs modernes, date de 1784. Au-dessus des lignes qui nous l’apprennent on remarquera deux chat qui eux aussi commencent à ressentit les effets du magnétisme… animal.

D’ailleurs, comme nous l’avons dit, rien ne résistait au fluide de Mesmer. D’un coup de baguette il magnétisait les arbres, la lune elle-même et son chien fidèle ne pouvait sortir dans la rue sans qu’à son approche tous les autres animaux fussent magnétisés !

Et les effets qui se produisaient alors n’étaient, paraît-il, guère plus anodins que ceux que l’on observait dans la salle des crises, si nous en jugeons par la planche XV qui date également de 1784, alors que les Italiens jouaient les Docteurs modernes dont on peut voir l’affiche placardée sut· le mur de droite.

Le caniche de Mesmer qui porte sur son collier le nom de son maître, a voulu lui aussi essayer la puissance de son fluide. Il est tombé à point au beau milieu d’une meute conduite par un piqueur. Aussitôt les convulsions d’éclater suivies bientôt de vomissements et d’émissions de toute nature. Le piqueur lui-même est touché et abandonne ses chiens qui ont rompu leur laisse. Seul un pauvre diable de violoneux aveugle continue à racler son instrument, se faisant ainsi le complice inconscient du caniche par les accords harmonieux qu’il tire de son violon remplaçant dans la circonstance l’harmonica de Mesmer.

Ces accords troublent profondément un Aliboron envahi par le fluide, et qui non seulement ne se contente pas de braire à l’unisson, mais encore lance mille pétarades et ruades qui ont pour effet immédiat de désarçonner une jeune et jolie laitière qu’il porte en croupe. Et toujours, comme dans la salle des crises (pl. VIII), il se trouve là un amateur sur lequel les charmes de la laitière ont beaucoup plus de prise que les effets du magnétisme.

Les Docteurs modernes eurent un grand succès : les amis et les ennemis de Mesmer se donnèrent rendez-vous à la première représentation pour applaudir et siffler de concert. Mais les applaudissements [p. 106] l’emportèrent, et comme en France rien ne tue plus sûrement que le ridicule, quelques mois plus tard Mesmer quittait Paris.

« Adieu baquet, vendanges sont faites, » lit-on au-dessous d’une autre pièce satirique, et cette locution est devenue proverbiale.

Mais les vendanges avaient été grasses et Mesmer, en quittant Paris pour son opulente retraite de Mersburg, pouvait répéter avec une variante les paroles qu’il adressait à Pierrot :

Peu m’importe que l’on m’affiche
Partout pour pauvre médecin…

Il était devenu riche.

GILLES DE LA TOURETTE
Chef de clinique des maladies du système nerveux.

 

 

Note

(1) Voy. le n° 1, 1889, p. 59.

 

LAISSER UN COMMENTAIRE