Gaston Ferdière. Recettes pour voir du dedans. Extrait de la revue « Visages du monde – Le rêve dans l’art et la littérature », (Paris), n°63, 15 mars 1939, pp. 64-65.

Gaston Ferdière. Recettes pour voir du dedans. Extrait de la revue « Visages du monde – Le rêve dans l’art et la littérature », (Paris), n°63, 15 mars 1939, pp. 64-65.

 

Gaston Ferdière (1907-1990). Médecin, psychiatre et poète, très proche des surréalistes. Sa thèse sur l’érotomanie (1937) a retenu l’intérêt des spécialiste. Mais ce qui reste dans les mémoires c’est qu’il fut,  en tant que Médecin, chef du service de psychiatrie de l’asile de Rodez, un des médecins d’Antonin Artaud. Dommage qu’il ne reste de lui que cette image, alors qu’il fut un lettré érudit, connaissant bien l’histoire de la psychiatrie, imprégné des théories psychanalytiques, près des surréalistes. Il fut l’ami de Hans Bellman et de Unica Zürn, qui fur sa patiente.
quelques publications :

— L’Érotomanie, illusion délirante d’être aimé, Paris, G. Doin, 1937.
— Conduite du traitement de l’état de mal épileptique, Préface de Jean Lhermitte. Paris, G. Doin, 1942.
— Rapport d’assistance psychiatrique. L’Assistance post-hospitalière, Paris, Masson, 1948.
— L’Herbier (quatrains et rondeaux), La Chaumière, 1926.
— Paix sur la terre…, Poèmes pour les théâtres prolétariens d’action contre la guerre, Paris, les Humbles, 1936.
— Le Grand matin, poèmes, Rodez, Comités nationaux des intellectuels, 1945.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons renvoyé les notes in texte en find’article.
 – Les images sont celles de l’article original. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

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Recettes pour voir du dedans

Par Gaston Ferdière

Au cours de ma visite ce pensionnaire — peu importe l’étiquette (ou les étiquettes) que je lui délivrerai — me retient par la manche; son visage pâle est anxieux ; il parle à mi-voix, un peu haletant : « Je vous en prie, docteur… il faut que votre pensée me vienne en aide… ce matin encore, « ils » étaient là … tous contre moi…  « ils » cherchent toujours à me retirer la puissance vitale… je les sens-là, là encore avec leurs instruments (il se touche la poitrine, le ventre)… c’est maintenant dislocation, froissure de la colonne, impossibilité des 40 heures ». Que je ne m’amuse pas à questionner longuement mon malade, à lui demander comment [p. 64, colonne 2] il m’est possible de le protéger par ma propre pensée, qui sont ces personnages étranges capables de retirer la puissance

Image – 1.

vitale d’un homme et avec quels instruments ils agissent, quelles sensations ils produisent sur les différentes parties du corps, en tout cas en quoi consistent avec exactitude les résultats produits : les troubles physiques multiples interdisant tout travail — celui-ci symbolisé par les « 40 heures » ; les éclaircissements obtenus ne pèseraient pas lourd et grâce à eux je ne parviendrais qu’à cerner le mystère dans de nouvelles citadelles de mots.

Au delà des discours, il m’est cependant possible de tenter « le diagnostic par pénétration ou par sentiment » dont parle Minkowski et que sentent indispensable un nombre toujours plus grand de psychiatres si je consens à faire appel à mes propres souvenirs de rêve, aux impressions vécues de mon expérience et de mon activité oniriques ; sans cette démarche, tout « élan de sympathie intellectuelle », tout « effort d’intuition » (Cellier) demeureront vains ; dans l’incapacité où je me trouverai de me mettre à sa place et de me représenter dans des conditions analogues aux siennes, mon malade restera bien « l’étranger », le mot aliéné retrouvant justement ici avec plénitude son odieux sens étymologique ; ma propre nuit seule, aussi paradoxal que cela paraisse, vient heureusement me permettre de lui faire place à nouveau dans la communauté « humains ».

Selon Freud, le problème de la parenté entre le rêve et la folie remonte bien avant Cabanis ou Maury ; les textes qu’il donne sont

du plus haut intérêt et ont été repris mille fois dans « la Science des Rêves ». Kant dit quelque [p. 65, colonne1] part : « Le fou est un dormeur éveillé ». Krauss : « La folie est un rêve pendant que les sens sont éveillés ». Schopenhauer appelle le rêve une courte folie et la folie un long rêve. Hagen voit dans le délire un rêve amené, non par le sommeil, mais par une maladie. Wundt, dans sa « Psychologie physiologique », déclare : « En fait le rêve nous permet de connaître par nous-mêmes presque tous les états que l’on observe dans les asiles. »

Je me limite ici à l’imposant appareil de citations que me fournit à bon marché l’œuvre magistrale et me contente de souligner d’une manière bien superficielle les apparentes analogies entre le rêve et le délire, me gardant d’entrer dans une discussion psychologique sur l’identité des deux processus qui déborderait singulièrement le cadre de cet article. Cette identité, Moreau de Tours, est le premier à l’avoir précisée : il a insisté sur l’intérêt de stade intermédiaire entre la veille et le sommeil et basé un certain nombre de réflexions sur ses expériences relatives à l’intoxication hashishéenne. Il a ouvert la voie à la série des chercheurs qui ont utilisé les multiples agents pharmacodynamiques ; les plus [p. 65, colonne 2] récents de ceux-ci sont le peyotl, le cactus mexicain « qui fait les yeux émerveillés » et son alcaloïde, la mescaline, susceptibles l’un et l’autre de dérouler sous les yeux de l’observateur les harmonies de couleurs les plus extraordinaires au milieu d’hallucinations lilliputiennes et géométriques.

Dans son désir de « compréhension statique, » et de représentation des « états d’âme » — pour employer la terminologie de Jaspers — les psychiâtres ont su ne pas négliger les confessions des intoxiqués : ils n’ignorent ni T. de Quincey, ni Jean Cocteau. La fréquentation des poètes leur a été semble-t-il plus difficile et j’ai ressenti une réelle surprise le jour où ayant prêté à l’un deux un recueil poétique qui m’apparaît un témoignage riche et émouvant, il me rendit le volume sans en avoir saisi tout l’intérêt… celui-là certes n’eut pas consenti à reconnaître avec moi une nouvelle méthode pour voir du dedans».

Gaston FERDIERE.

 

Image – 1. Aquarelle d’un schizophrène : Le malade en état d’onirisme s’est représenté lui-même en adoration devant Dieu.

Image – 2. Aquarelle d’un schizophrène (le même) : Le Cirque.

Image – 3. Aquarelle d’un schizophrène (le même) : Sept corbeaux. Illustration pour le conte de Grimm.

Image – 4. Peinture surréaliste : Paysage de rêve par Onslow-Ford.

Image – 5. Peinture surréaliste : Retour au pays natal par Esteban Frances.

Image – 6. Peinture surréaliste : La sueur perlait à ses tempes par Remedios.

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