Garrigou-Lagrange et Benoît Lavaud. Les Circonstances de la Stigmatisation. Extrait des « Études carmélitaines mystiques et missionnaires », (Paris), 20eannée, Volume II., octobre 1936, pp. 188-207.

Garrigou-Lagrange et Benoît Lavaud. Les Circonstances de la Stigmatisation. Extrait des « Études carmélitaines mystiques et missionnaires », (Paris), 20eannée, Volume II., octobre 1936, pp. 188-207.

 

Réginald Garrigou-Lagrange (1877-1964). Dominicain et théologien. Penseur conservateur, pour ne pas dire réactionnaire, il est à l’origine de plus de cinq cents publications.

Les Circonstances de la Stigmatisation.

[p. 188]

Aimablement invité à préparer un rapport sur la stigmatisation d’après l’École thomiste, j’avais dû m’excuser, faute de temps pour les recherches qu’un tel travail une nécessitées. Mais j’avais offert à mon cher maître et ami le R. P. Garrigou-Lagrange,  de présenter à Avon  la communication qu’il préparait et devait être empêché de venir présenter lui-même.

La teneur des rapports précédents, les échanges de vues qui les suivent m’ont amené à compléter le premier travail du père Garrigou-Lagrange, à y faire notamment des additions relatives à Gemma Galgani et à Véronique Giuliani. Le rapport ainsi modifié a été soumis à l’auteur qui a bien voulu l’approuver tout en suggérant quelques légères retouches. Le texte ci-dessous donc représente notre pensée commune.
B. Lavaud.

I

LA NATURE DU FAIT

Le fait extérieur des plaies analogues à celles de la crucifixion (abstraction faite de certaines particularités telles que leur ouverture ou leur cicatrisation subite, leur résistance à tout traitement et leur aggravation quand on tente de les guérir) est-il un miracle proprement dit ? Certains avions vu un miracle de premier ordre. Leur conviction d’ailleurs sincère en des contextes doctrinaux bien différents. C’est ainsi que, dans un travail sur les stigmates de Saint-François-d’Assise, publié longtemps après sa composition, par le Dictionnaire Apologétique de la Foi catholique, l’abbé Léon Le Monnier, dans tous les forts tendaient à défendre la réalité et l’authenticité des stigmates du Poverello, disait : «  les vrais stigmates sont, sinon le plus grand des miracles, car il y a toujours [p. 189] quelque témérité à classer les œuvres divines, au moins un miracle très grand et très avéré (1) ». d’autre part revenant haver écrit dans son étude sur les stigmates de Saint-François (2)… « ce…  outre qu’il est le plus grand de l’histoire de l’Église pendant le Moyen Âge, à cela de remarquables qu’il est garanti par des témoins tout à fait contemporains. Mais il cherchait ensuite à expliquer les stigmates du saint par une supercherie de frère Élie, ce qui était réduire le grand miracle à néant et les témoins au rôle peu reluisant d’historiens mystifiés par un imposteur.

La théologie permet-elle de penser comme ces auteurs, de convictions pour le reste si opposées, que la stigmatisation digne de ce nom (théologique, mystique, divine), soit un miracle proprement dit ? Il faut sans aucune hésitation répondre : Non. Qu’est-ce en effet que le miracle proprement dit ? C’est un fait accompli en dehors des lois de toute la nature créée ; un fait que Dieu seul peut produire, et qui montre clairement l’intervention libre et extraordinaire de la toute-puissance divine ; un fait qui, par sa nature même, est un signe très certain, accommodé à toute intelligence, de l’origine divine de la doctrine révélée en faveur de laquelle il témoigne. C’est la notion qu’en donnent saint Thomas d’Aquin et le Concile du Vatican. Le Docteur commun et le Concile prennent le terme miracle au sens strict et rigoureux. Ils ne permettent pas de qualifier de miraculeux les faits qui, sans doute, dépassent les forces de l’homme et des créatures sensibles, mais non celles des anges et des démons. Saint Thomas dit : « Une chose est dite miracle parce qu’elle est au delà de l’ordre de toute la nature créée. Cela, personne autre que Dieu ne peut le faire. Tout ce qu’accomplit l’ange ou une autre créature quelle qu’elle soit, s’accomplit selon l’ordre de la nature créée, et ainsi ce n’est pas un miracle (3). »

C’est exactement la position du Concile du Vatican (4), ainsi que le montre M. Vacant (6). Il importe que le miracle soit un effet propre de Dieu pour être, par sa nature, un signe certain de la [p. 190] révélation. Un vrai miracle est par exemple la résurrection d’un mort, telle celle de Lazare, enseveli depuis quatre jours et déjà décomposé. Seul, l’auteur de la vie peut rendre la vie à un cadavre, ou, comme disent les théologiens, Dieu seul, qui a créé l’âme et la matière, a puissance immédiate sur la substance de l’âme et sur la matière pour les réunir instantanément en une union substantielle, sans l’intermédiaire d’aucune disposition accidentelle préalable. Autres miracles : la multiplication des pains et des poissons ou de n’importe quelle substance, le changement subit de l’eau en vin par Jésus aux noces de Cana, Dieu seul, a puissance immédiate sur les corps pour les multiplier, sur la matière de l’eau pour la convertir immédiatement en vin, sans aucune des dispositions accidentelles préalables que constitue la maturation progressive du fruit de la vigne.

La stigmatisation extérieure, c’est-à-dire la production des plaies extérieures de la crucifixion, prise isolément, ne dépasse pas l’effet que l’homme peut produire artificiellement, ni surtout celui que peut produire un ange, bon ou mauvais, capable de mouvoir localement les corps. L’ange ou le démon peut aussi élever, sans aucun soutien physique, un corps humain au-dessus du sol ou l’empêcher d’enfoncer dans l’eau. C’est pourquoi la marche sur les eaux, Benoît XIV le remarque, n’est pas un miracle proprement dit (6). Les phénomènes de lévitation ne seront donc que des miracles improprement dits. L’examen des circonstances sera absolument nécessaire pour déterminer si le fait de la lévitation doit être attribué au démon ou au contraire à un ange au service de Dieu. Le même examen s’impose pour discerner la vraie cause (angélique ou démoniaque) des stigmates, à supposer que les stigmates, sans être miraculeux, doivent être considérés comme naturellement inexplicables et préternaturels.

Il faut maintenant en effet se demander si la stigmatisation est certainement au-dessus des forces naturelles et de l’imagination surexcitées par un vif désir naturel ou surnaturel ? Elle ne dépasse pas aussi manifestement les forces naturelles que la marche sur les eaux ou la lévitation. On n’a jamais constaté de lévitation à la Salpêtrière. Tout le monde connaît les promesses de la malade de Pierre Janet, Madeleine, d’être élevée en l’air comme Notre-

Dame à l’Assomption et les essais infructueux du médecin pour passer, entre le sol et les orteils de la malade, même lorsqu’elle se disait actuellement enlevée, la plus mince feuille de [p. 191] papier à cigarette. Quant à la stigmatisation, peut-on encore soutenir les conclusions du Dr Robert Van der Elst dans l’article déjà ancien du Dictionnaire Apologétique ? « La nature se reconnaît à sa constance ; dire qu’il y a des stigmates naturels, c’est dire qu’on observe constamment, ou qu’on obtient constamment, dans des conditions déterminées, des faits de stigmatisation, c’est-à-dire des plaies à des points désignés, c’est-à-dire enfin, non seulement des vaisseaux rompus sous un épiderme intact, mais un épiderme dont l’effraction livre passage à l’écoulement du contenu des vaisseaux sous-jacents. Or, jusqu’ici, non seulement on n’a pas observé de tels faits, mais on n’a pas réussi à les provoquer. En ce qui concerne l’observation de faits se produisant spontanément, on ne saurait trouver de plus patiente et plus savante étude que celle du Professeur P. Janet sur le cas de Madeleine X… Or il a attendu vingt-deux ans sans résultat un stigmate vrai et sûr (cf. P. Janet, De l’Angoisse à l’Extase, 1926, pp. 472-477)… De même en 1911 le successeur de Charcot à la Salpêtrière, Déjérine, avouait qu’il ne connaissait « aucun de ces cas classiques d’hémorragies auxquelles on a donné le nom de stigmates. » (Manifestations fonctionnelles des psychonévroses, pp. 150-157) (7).

Et plus loin : « Il n’y a pas un seul exemple de lésion interne pouvant être imputé à la suggestion pure : or sans lésion pas d’hémorragie (8) ».

Il faut tenir compte aujourd’hui des expériences du Dr Alfred  Lechler (9). Sans doute il y a des différences quantitatives énormes entre les larmes de sang, les stigmates, les rougeurs et les petites érosions de la peau, les gouttelettes de sang obtenues par ce médecin en suggestionnant sa malade Élisabeth —et les plaies et hémorragies stigmatiques d’une Gemma Galgani, d’une Louise Lateau et d’une Thérèse Neumann. Mais essentia salvatur in minimo. Il nous semblait, d’autre part, en lisant le récit du Dr Lechler, que la malade n’avait pas été l’objet d’une surveillance rigoureuse et continue entre les suggestions et la constatation des résultats. Mais le Prof. Wunderle nous affirme que toutes les précautions nécessaires furent prises, au moins dans des expériences qui eurent lieu depuis la publication de la brochure. Si ces faits sont exacts, s’il est vrai que toutes les précautions furent prises, il serait acquis que la suggestion et l’hypnose peuvent produire des stigmates sur certains sujets. Si l’on devait mettre ces [p. 192] faits hors de cause, il ne serait pas encore définitivement établi que les causes naturelles sont tout à fait incapables de produire aucun effet de ce genre. La position du Dr Van der Elst qui nie la possibilité des stigmates purement naturels semble plus conforme à la pensée de saint Thomas sur la limite du pouvoir de l’imagination (10). Toutefois ses raisons sont moins convaincantes que celles qui prouvent l’impossibilité d’une lévitation purement naturelle. Raison de plus, raison urgente d’instituer un examen particulièrement attentif des circonstances pour discerner la qualité des stigmates et les causes qui sont effectivement à l’œuvre dans leur production.

II

L’ÉTUDE DES CIRCONSTANCES

De quelles circonstances s’agit-il ? Comment les examiner pour s’assurer qu’elles témoignent positivement en faveur de l’origine divine ou angélique des stigmates, et qu’elles excluent la contrefaçon diabolique ou naturelle. Comment appliquer à l’étude des stigmates la méthode exposée par Benoît XIV pour l’étude des phénomènes d’inédie (11) ou pour le discernement de l’extase divine (12). [p. 193]

Les circonstances sont celles qu’énumèrent les auteurs classiques à propos des actes humains, et dont saint Thomas montre qu’elles sont bien et complètement énoncées dans le vers mnémotechnique : « quis, quia, ubi, quibus auxiliis, eur, quomodo, quando (13) ».

Quid, eur, quisne désignent pas précisément l’objet même de l’acte, ni sa fin (objective), ni son principe actif, mais des conditions particulières (accidentelles) de l’objet, de la fin, de l’agent (14).  En ce qui concerne la stigmatisation, on peut appeler le sujet agent, bien qu’il soit plutôt passif qu’actif en tant qu’il subit les plaies stigmatiques, qu’elles viennent, soit de son propre psychisme agissant sur le corps, soit d’une cause extérieure à lui, soit des actions subordonnées, concurrentes, des causes intérieure et extérieure.

La principale des circonstances est celle relative à la fin (eur), ensuite celle relative à l’objet. Les autres sont plus ou moins importantes, selon qu’elles se rapprochent plus ou moins des précédentes.

Une première manière de procéder dans l’examen des circonstances consisterait à les passer immédiatement en revue l’une après l’autre, et à conclure, si on les trouve toutes favorables, à l’origine préternaturelle du phénomène, quitte à se demander si l’amour surnaturel très ardent ne peut pas produire par lui-même les stigmates corporels, sans intervention spéciale de Dieu ou des anges. Mais cette façon de faire serait un peu brusquée. Lorsqu’on se trouve en face de stigmates se présentant à un premier examen comme fait exceptionnel et mystique requérant l’examen théologique, ou, plus brièvement, selon l’expression adoptée et expliquée par M. Journet, comme fait théologique (15), il y a lieu de distinguer trois étapes ou phases successives dans l’étude critique approfondie que ce fait requiert.

La première phase compren d l’examen d’ensemble, physique et psychologique, médical et psychiatrique, du sujet; l’examen spécial des autres phénomènes extraordinaires qui peuvent se trouver chez lui en même temps que la stigmatisation, et de la stigmatisation elle-même : constatation aussi rigoureuse et description aussi exacte que possible de toutes les particularités observables, de toutes les circonstances physiques et physiologiques ; anamèse se complète du cas.

La deuxième phase comprend l’examen des œuvres de sainteté [p. 194] avec lesquelles les stigmates et les autres phénomènes exceptionnels paraissent de prime abord en connexion; en d’autres termes, l’examen des circonstances morales et spirituelles. C’est, au premier chef, affaire de discernement des esprits, puisqu’il s’agit surtout d’apprécier, autant que faire se peut, quand on ne pénètre pas jusqu’aux jointures de l’âme et de l’esprit, l’excellence, l’héroïcité des vertus du sujet, particulièrement de son amour pour Dieu et le prochain. Cette seconde phase de l’examen est avant tout théologique, mais le concours du physiologue et du psychologue, du médecin et du psychiatre peut être requis. Le théologien en tout cas doit rester en liaison avec eux.

Troisième phase. Si la phase précédente s’est close par des conclusions défavorables, on est peut-être en face d’un phénomène diabolique. Si au contraire l’ensemble des circonstances morales et spirituelles est de bon aloi et si le phénomène paraît dépasser les forces physiques ou psychiques, on sera en droit d’opiner provisoirement qu’il s’agit de préternaturel angélique ou de surnaturel (quo ad modum) divin. Pour passer de l’opinion à la certitude, ou éventuellement à la certitude contraire, on examinera de plus près si les phénomènes stigmatiques considérés peuvent s’expliquer sans l’intervention immédiate d’un ange ou de Dieu, ou, s’ils la requièrent, dans quelle mesure, et à quel titre : à titre de cause principale ou à titre de cause unique. Il n’est pas nécessaire que les trois phases de l’examen soient successives, que la seconde ne commence qu’après achèvement de la première, la troisième seulement quand la deuxième est terminée. Elles peuvent être, au moins en partie, parallèles et s’éclairer progressivement l’une l’autre.

Reprenons-les une à une :

Première phase. — Elle comporte, avons-nous dit, l’examen général du sujet au point de vue physique et psychique ; l’examen des phénomènes extraordinaires, autres que les stigmates : extases, visions, jeûnes, xénoglossie, hiérognose, prédictions, lévitation, etc… ; l’examen spécial des stigmates. Ce dernier portera sur la nature des blessures, leur forme, leur étendue, leur profondeur, leur mode de production ou de cicatrisation, leur permanence ou leur apparition périodique, l’absence de suppuration malgré l’omission de tout traitement médical, la suppuration et l’aggravation si un traitement extérieur a été tenté, l’abondance, la fréquence, la périodicité des hémorragies, leurs particularités (accessoires en un sens mais très importantes à un autre point de vue) telles que l’écoulement du sang en sens inverse de la pesanteur, [p. 195] les parfums et la luminescence, les figures dans le cas de stigmates figuratifs. L’appréciation du médecin lui-même tiendra compte de tout le contexte humain. Déjà à ce stade, il faut s’enquérir de la participation aux douleurs de la Passion accompagnant les phénomènes stigmatiques. La participation aux souffrances physiques et spirituelles du Sauveur est plus ou moins complète et plus ou moins intense, elle peut être progressive et présenter une évolution différente de celle des stigmates extérieurs. Elle ne fut jamais plus complète et plus terrible, chez Gemma Galgani, la séraphique stigmatisée de Lucques, que lorsque les plaies eurent cessé d’apparaître au cours des extases de douleur. Chez sainte Catherine de Sienne ; elle fut toujours terrible, bien que jamais les stigmates n’aient apparu. On voit assez déjà combien un tel examen peut être minutieux et délicat. En ce qui concerne les stigmatisations anciennes, on ne peut plus utiliser, sans une sévère révision critique, l’ouvrage du Dr Imbert-Gourbeyre. Le R. P. Debongnie nous met justement en garde contre de nombreux faits rapportés dans ce livre. Il serait à souhaiter qu’en collaboration avec un médecin, un historien rompu comme lui aux méthodes critiques refit et complétât cette enquête. On abandonnerait résolument tous les cas insuffisamment attestés, comme l’a fait M. Olivier Leroy dans son étude sur la lévitation. Cet élagage donnerait plus de prix, comme base d’étude théologique, aux faits qui auraient résisté à l’application d’une méthode sévère.

Pour les phénomènes nouveaux, l’examen devra être conduit avec toutes les ressources et garanties possibles de précision et de rigueur. Les sciences physiologiques, médicales et psychiatriques devront être mises à contribution. Photographies, radiographies, contrôles divers, rien ne devra être négligé. S’il est possible d’explorer les plaies en activité, il faudra le faire. L’isolement e clinique est très désirable. Mais il ne sera pas toujours, il sera même assez rarement possible de réaliser à la fois toutes ces conditions incidentes d’observation. Si des obstacles insurmontables s’opposent à l’isolement en clinique, on remédiera de la meilleure manière à ce désavantage. Mais on n’éliminera pas un cas pour cette seule raison, et l’on ne renoncera pas à le soumettre à d’autres critères. Des constatations et observations peuvent être faites en dehors d’une clinique et si le diagnostic de maladies surtout internes requiert de toute nécessité la compétence médicale, il n‘en est pas de même de faits extérieurs telles que plaies et blessures, hémorragies. Ceux-ci peuvent être constatés et attestés par des observateurs qui ne sont pas physiologues ni médecin. « Le témoignage des savants, dit le P. Germain, [p. 196] biographe de Gemma, n’est pas indispensable pour qu’un fait soit admis. Quiconque a des yeux pour voir, des mains pour toucher, peut en attester la vérité (16). Le P. Thurston, S. J., peu enclin à admettre sans preuve des faits extraordinaires et qui s’est même fait auprès de certains la réputation de » dénicheur de saints », déclare de son côté qu’« un enfant qui a de bons yeux peut être souvent, en un tel domaine, un meilleur témoin que le plus savant médecin d’Europe : « A sharp-eyed child may often in such matters be a better witness than the most learned physician in Europe. »

Gemma Galgani, déjà béatifiée, est incontestablement une admirable servante de Dieu. Un médecin très sévère pour Thérèse Neumann, ainsi que pour Louise Lateau, Marie de Moerl et Catherine Emmerich, le Dr Paul Masoin dit à son sujet : « Gemma Galgani surgit, à côté de François d’Assise, comme une pure gloire de l’Église catholique, au contraire de Thérèse Neumann, qui apparaît comme un cas clinique d’hystérie-névrose traumatique, névropathie partagée de façon variable par ses consœurs en stigmatisation (les trois autres) (17). » Or les stigmates de Gemma ne purent pas être observés par les médecins. Le jour où, en dépit des avertissements de Gemma, transmettant ce que Jésus lui avait dit (elle le pensait du moins), Mgr Volpi, son confesseur, vint l’examiner avec un médecin, dès que celui-ci, pour observer les plaies, eut, avec un linge trempé dans l’eau, étanché le sang qui coulait avec une abondance extraordinaire au plus fort de l’extase, les taches disparurent, le sang s’arrêta de couler, et l’on ne vit même plus de cicatrice. Ce médecin ne put plus rien voir, ainsi que Gemma avait annoncé qu’il adviendrait si le confesseur ne venait pas seuls (18). Le jour même de cette observation manquée, les plaies ne tardèrent pas à se rouvrir et à saigner. Gemma était sortie avec Cecilia Giannini. Elles allèrent toutes deux à l’église Saint-Simon et Saint-Jude, et firent une longue adoration du Saint-Sacrement. [p. 197]

Gemma montra ses mains à Cecilia qui témoigna: « Vidi in realta dentro le palme il sangue e sui dorsi una piccola ferita con goccioledi sangue vivo. ) Gemma fut conduite aussitôt à Mgr Volpi.

A défaut d’observations médicales, il serait antiscientifique de tenir pour nulles et non avenues les observations et les descriptions si précises, si circonstanciées des plaies, notamment des plaies de la flagellation, des hémorragies et des souffrances extatiques établies par les confesseurs, des religieux tels que les PP. Gaëtan, Pierre-Paul, Germain, les parents et les parents d’adoption de la stigmatisée de Lucques. Et ce qui est vrai dans le cas particulier de Gemma peut se vérifier dans d’autres. N’y aurait-il pas là un élément d’appréciation de la conduite d’une Thérèse Neumann s’en remettant à ses parents du soin de décider si elle ira ou n’ira pas en clinique ? Gemma n’y alla point. Il n’en fut même pas questions (19) !…

Deuxième phase. — La deuxième phase de l’examen consiste principalement, avons-nous dit, dans l’étude des circonstances morales ou spirituelles. C’est ici qu’il convient de passer successivement en revue les diverses circonstances énumérées par les auteurs classiques.

Dans les phénomènes extraordinaires et dans les miracles, la circonstance relative à la fin est parfois déclarée auparavant, [p. 198] lorsque, par exemple, un thaumaturge demande à Dieu un miracle pour confirmer une révélation, une prophétie ou la sainteté de quelqu’un ; d’autres fois elle est manifestée ensuite dans les effets du phénomène extraordinaire : par exemple souvenir de la Passion et amour de la Croix ravivés dans les âmes. Nous en avons un exemple dans la vie et la stigmatisation (invisible) de sainte Catherine de Sienne. Elle déclare à son confesseur Raymond de Capoue : « Comme je demandais la vie éternelle pour vous et pour les autres pour qui je priais et que le Seigneur me la promettait, je lui dis, non par incrédulité, mais pour garder un meilleur souvenir de cette grâce : « Et quel signe me donnerez-vous, Seigneur, que vous les sauverez ? » Alors il dit : « Étends la main vers moi. » Je le fis et il me présenta un clou, dont il appuya la pointe au milieu de ma main, en le pressant si fortement qu’il me sembla avoir la main percée de part en part. J’en ai ressenti une douleur aussi vive que si l’on m’eût percé la main d’un clou de fer enfoncé avec un marteau. Ainsi par la grâce de mon Seigneur Jésus-Christ, j’ai des stigmates à la main droite ; et quoique personne ne voie cette plaie, elle me cause cependant une douleur sensible et continuelle (20). » Au moment précis où elle priait pour les siens et recevait ce premier stigmate invisible, son confesseur, Raymond de Capoue, qui ne pensait à rien de spécialement pieux, ressentit une dévotion admirable et pour lui encore inconnue. A l’occasion de ce souvenir, le bienheureux Raymond rapporte l’extase de Pise, où les rayons de sang, dardés sur la sainte par le Sauveur, lui apparaissant crucifié, se muèrent instantanément, à sa demande de n’être pas marquée visiblement des signes de la Passion, enrayons de lumière qui lui imprimèrent, non les plaies apparentes, mais la douleur des plaies, surtout celle du cœur (21). [p 199]

Quant aux effets de la stigmatisation (fin obtenue), il est clair que, si on constatait de la curiosité, de la vaine gloire, de l’ostentation, de l’orgueil, de la désobéissance, de la discorde, ou tout autre mal moral, ce serait un signe rédhibitoire d’origine non divine et ce pourrait être un signe d’origine démoniaque (si les causes naturelles ne rendaient pas suffisamment compte du phénomène extérieur).

Si l’on constate au contraire, à la suite de la stigmatisation, un plus grand mépris du monde, un désir plus ardent des biens éternels, un amour plus généreux de Jésus crucifié et de la souffrance qui nous assimile et nous configure à lui, un progrès dans la contemplation des profondeurs de la Passion et des abaissements de Jésus, une soif insatiable d’immolation pour le salut des pécheurs, on tient la preuve que la stigmatisation est un fait authentiquement d’ordre mystique.

Le témoignage de Véronique Giuliani est à cet égard très significatif. La réouverture des plaies, explique-t-elle, était le plus souvent précédée d’une vive reconnaissance de son néant et de l’amour infini, d’un profond sentiment de la puissance de Dieu, d’une ardeur indicible pour la conversion des pécheurs; quand les plaies étaient ouvertes, la sainte éprouvait un immense désir d’être médiatrice entre Dieu et les pécheurs, une soif insatiable de croix. Dans le sang qui coulait douloureusement de la plaie, elle trempait sa plume et criait, tout en écrivant : « Mon Dieu, non avec la voix, mais avec mon sang, je viens par ces lignes vous demander des âmes. Pour votre gloire et honneur, et pour accomplir votre vouloir je donnerais, moi, vie et sang. » Tout cela l’embrasait encore plus, elle se trouvait plongée dans un tel incendie qu’elle ne pouvait rester en place. Parfois au contraire elle demeurait immobile, criant : Amour, Amour ! Autant qu’elle s’en souvient, ces effets se renouvelaient à chaque ouverture des plaies. Elle demeurait plusieurs jours comme hors d’elle-même ne soupirant que peines et croix. Souffrir lui donnait des forces, et, se [p. 200] sentant plus forte, elle aspirait à de plus grandes souffrances (22).

Le Diario contient de très nombreuses pages de même accent, qu’on regrette de ne pouvoir transcrire. De tels témoignages sont loin d’être exceptionnels. Les lettres et l’autobiographie de Gemma, et de beaucoup d’autres stigmatisés, que l’Église a canonisés ou béatifiés, rendent le même son.

En présence de nouveaux cas, il faut examiner si les résultats. se rapprochent vraiment de ceux constatés chez les saints. Il faut prendre garde à l’accent et aux preuves par le fait des sentiments exprimés par la parole ou les écrits. Il y a un mimétisme mystique au moins verbal dont il faut beaucoup se défier. Il est très facile de confondre avec les cris ardents du cœur des saints, des exercices de littérature mystique, où la personne qui tient la plume est la première à se faire illusion, et s’imagine, en plagiant le style, avoir les ardeurs des grands serviteurs de Dieu. Mais il n’y aura pas lieu d’être surpris si les stigmatisés, après avoir trouvé dans leurs souffrances stigmatiques des énergies inouïes pour en porter d’autres, font à certains moments l’expérience des ténèbres, du dégoût et des répugnances de la nature en face de la croix. Véronique et Gemma disent expressément qu’elles ont fait cette douloureuse expérience (23). [p. 201]

A la circonstance relative à la fin (selon l’adaptation que nous venons de faire) se rattache étroitement, si tant est qu’elle s’en distingue, la circonstance relative à l’objet (quid). La circonstance éminemment favorable consiste en ceci que les blessures corporelles produisent une douleur physique jointe à une blessure spirituelle délicieuse, si bien que la personne blessée, comme le dit sainte Thérèse, voudrait ne jamais guérir.

Il faut même dire plutôt, selon la doctrine des saints du Carmel et de François de Sales : les stigmates divins sont plutôt un signe concomitant « le pauvre signe humain » de la blessure spirituelle d’amour, qui, elle, est si certainement d’origine divine, que l’âme n’en peut douter, se sent à l’abri de toute illusion, et n’a qu’une chose à craindre : de n’être pas assez reconnaissante envers celui qui la blesse ainsi spirituellement. Il faudrait analyser ici et commenter, si ce n’était réservé au R. P. Gabriel de Sainte-Marie-Madeleine, l’admirable chapitre XXIX de la Vie de sainte Thérèse par elle-même, où elle rapporte la vision du Chérubin au long dard qui lui transperce le coeur; la relation LIV, consacrée à cette oraison de la blessure d’amour, où il semble à l’âme qu’on lui passe une flèche au travers du cœur ou du corps, où elle ressent une douleur si vifle qu’elle en gémit, et en même temps si délicieuse qu’elle voudrait ne jamais la voir finir : surtout, le ch. II des VImes Demeures : la sainte y explique pourquoi on ne peut attribuer cette faveur, ni à l’imagination, ni à la mélancolie, ni au démon : celui-ci est incapable d’unir une si grande souffrance au repos et à la jouissance de l’âme. Les peines qui viennent de lui ne sont jamais savoureuses et paisibles. La blessure produit de grands effets, dont les plus ordinaires sont la résolution de souffrir pour Dieu, le désir d’avoir de nombreuses croix à porter, une détermination bien plus ferme à s’éloigner des plaisirs et conversations du monde.

Plus décisif encore pour notre propos, est le commentaire de saint Jean de la Croix, dans la Vive Flamme d’amour,2ème strophe, v. 2, « O Plaie délicieuse ». « L’œuvre du séraphin consiste vraiment à blesser et à frapper (intérieurement dans l’esprit). Et ainsi, s’il arrive que Dieu permette la manifestation extérieure de son effet sur le corps, cette extériorisation se fait sous la forme de plaie ou blessure. Et cela eut lieu notamment quand le Séraphin blessa saint François d’Assise. Les cinq plaies d’amour, reçues dans l’âme, manifestèrent leurs effets sur le corps et s’y imprimèrent visiblement à la façon même dont il portait ces blessures d’amour dans l’âme. Pour l’ordinaire, Dieu n’accorde aucune faveur au corps qu’il ne l’ait faite d’abord et principalement dans l’âme et [p. 202] alors, plus la jouissance et la force d’amour que cause la plaie dans l’âme est grande, plus grande aussi est la souffrance provoquée par la blessure du corps. Les deux croissent dans une même mesure et il en est ainsi parce que ces âmes se trouvent purifiées et fortes en Dieu. Ce qui est cause de douleur et de tourment pour la chair corruptible est douceur et saveur pour l’esprit devenu fort et sain. Et c’est chose merveilleuse que cette gradation de douleur et de saveur. » Nous ne citerons pas à nouveau saint François de Sales que M. Journet a déjà cité et commenté.

De tels textes sur les stigmates extérieurs, effet contingent de la blessure d’amour, et les contextes où ils s’insèrent montrent assez à quelle éminente charité les grands docteurs de la contemplation font correspondre ces plaies mystérieuses.

Si l’on peut constater chez la personne stigmatisée, ces grâces d’oraison éminente, si elle a reçu la blessure spirituelle d’amour, si les stigmates se manifestent, par les douleurs qu’ils causent, comme l’effet de cette blessure (c’est bien le cas chez les stigmatisés que nous avons pris comme types), nous sommes évidemment en présence de stigmates mystiques au sens le plus fort du mot, nous sommes à une distance incommensurable des anomalies constatées chez les névropathes, qui sont sans aucune signification ni portée religieuse et qui, loin d’être au-dessus de l’activité rationnelle, descendent beaucoup au-dessous d’elle. La surhumanité de grâce des mystiques stigmatisés contraste à l’infini avec la soushumanité des malades mentaux. Ainsi, sans aucun cercle vicieux, ce phénomène extraordinaire est confirmé par ce qu’il y a de certain dans la haute vertu de cette personne, et, par son caractère propre, ce phénomène ajoute une confirmation nouvelle à la sainteté. Ce sont des signes complémentaires qui s’harmonisent et se soutiennent l’un l’autre.

Mais est-il absolument nécessaire, pour reconnaître de vrais stigmates, de se trouver en présence d’âmes si éminentes en amour ? Saint Jean de la Croix refuse ordinairement les stigmates à d’autres âmes. Il n’est donc pas impossible que, extraordinairement~ ils se rencontrent chez des personnes moins saintes. Si les stigmates sont un charisme, ils ne supposent pas nécessairement la sainteté déjà consommée ou presque. Il est d’autre part très vraisemblable qu’ils ne sont pas accordés à des âmes vulgaires, à plus forte raison à des âmes grossièrement pécheresses, d’où la nécessité d’un examen moral et spirituel de la personne. Il faut s’assurer, non pas seulement que la personne marquée des stigmates est exempte de tares psychologiques rédhibitoires (ce qui’ a déjà été fait au premier stade), mais qu’elle pratique, sinon de [p. 203] manière héroïque et suréminente, du moins déjà excellemment les vertus chrétiennes de son état, surtout l’humilité, l’obéissance, la patience, la charité pour Dieu et le prochain.

Si au contraire, la personne était légère, inconstante, inquiète, orgueilleuse, impatiente, injuste, vulgaire dans sa spiritualité, ce serait un signe que ce phénomène ne vient pas de Dieu.

La manière dont est supportée la douleur causée par les blessures (quomodo) est également révélatrice. S’il y avait quelque chose qui heurtât les convenances, ce serait évidemment mauvais signe. Au contraire si, dans la façon de souffrir, apparaissent la dignité, la piété, l’humilité, un grand amour du Sauveur, c’est de bon augure. Cette circonstance est plus significative encore, si la personne favorisée demande, par humilité, l’invisibilité des stigmates et si elle l’obtient, au bout d’un certain temps comme Gemma après deux ans, ou tout de suite comme Catherine de Sienne. C’est un signe éminemment favorable que les douleurs de la Passion persistent ou même augmentent lorsque les plaies ont disparu. Ce qui fut, nous l’avons déjà indiqué, le cas de Gemma Galgani. Quand elle n’eut plus les plaies, elle participa davantage aux souffrances de la crucifixion, à la dislocation des os, à l’horrible tension des membres, à l’exténuation de tous les organes, à la soif brûlante du Sauveur. Sa patience éclata aussi davantage avec son obéissance. Les hémorragies d’autrefois la soulageaient. Ce soulagement lui était désormais interdit. Les seules effusions de sang qui lui restaient furent des hémoptysies. Elle disait alors à Jésus : « Je vous donnerais volontiers le sang des autres parties de mon corps. Je ne le puis. Je vous donne celui de mon cœur. » Et Jésus : « Il en est bien peu de ton âge au ciel qui aient été faits participants de toutes les douleurs de ma Passion (23). »

Comment entendre ici analogiquement la circonstance quibus auxiliis ? L’exclusion de toute supercherie, de toute fraude, de toute pratique suspecte, de toute artificialité, relève du premier examen. Elle se confirme et un nouveau signe positif favorable est recueilli si les stigmates font leur apparition à la suite (et par le moyen) d’une prière humble et confiante, persévérante, inspirée de la plus ardente charité surnaturelle, par exemple pour obtenir une promesse de salut de certaines âmes (sainte Catherine) ; à la suite d’un ardent repentir et d’une contrition très douloureuse [p. 204] (Véronique Giuliani) ; à la suite d’un désir véhément de souffrir avec et pour Jésus-Christ, ou à la suite d’une souffrance causée par la vue du péché. Gemma est ici encore un exemple éclatant. Elle sue le sang un jour qu’elle a entendu mal parler de Dieu, et elle répond aux questions de sa tante Carolina sur l’origine du sang qu’elle répand: « Ce sont les blasphèmes: lorsque j’entends blasphémer, je vois Jésus souffrir beaucoup, et je souffre avec lui, je souffre au cœur et le sang sort (24). »

Ce serait le moment d’examiner la relation qui existe ou peut exister entre l’apparition ou la disparition des stigmates et les interventions par voie de désir, de précepte, de l’autorité spirituelle. Chez Gemma, sueur de sang et stigmates apparaissent une, fois, contrairement à l’habitude, un mardi, parce que, ce jour-là, le R. P. Pierre Paul (futur archevêque de Camerino) a demandé ces deux signes à l’insu de la jeune fille. Quand le P. Germain lui commanda de demander la fin des phénomènes extérieurs, elle le fit, et ils ne se produisirent plus. Ce signe est d’un maniement délicat. Dans l’arrêt des stigmates de Louise Lateau pendant quelques semaines, à la suite de l’interdiction de son confesseur (Huchant), le Dr Masoin voit une preuve de l’origine toute psychique du symptôme. Au contraire les défenseurs de la stigmatisée du Bois d’Haine, médecins et théologiens, voient dans ce fait que Louise interrompait l’extase sur l’ordre d’un religieux désigné par l’Évêque et sur cet ordre seul, un signe éminemment favorable (25). Il est vrai qu’on dispute sur les modalités de ce rappel.

Que dirons-nous des dernières circonstances, de lieu (ou de milieu) et de temps, si toutefois elles se distinguent de toutes celles que nous avons considérées jusqu’ici. Il est clair que le temps et le lieu ne sont pas indifférents. Notre-Seigneur refusa de faire aucun miracle à Nazareth et plus tard dans le milieu frivole et vicieux de la cour d’Hérode. Ils voulaient voir un signe. Jésus n’en fit pas.

Il serait inquiétant que la stigmatisation se produisît dans un milieu de personnes vaines et curieuses ou indignes, à moins qu’on pût juger que la personne stigmatisée, étant elle-même vertueuse et sainte, est ainsi marquée d’abord pour la conversion des pécheurs de son entourage.

Il faudrait se défier si le phénomène avait lieu, quand il est [p. 205] impossible de discerner aucune nécessité, tandis qu’on peut être tranquille s’il intervient au moment où la personne a atteint un haut degré de vie intérieure.

Inutile d’insister après ce qui précède. Si dans un examen ainsi conduit, toutes les circonstances ensemble se révèlent favorables, il y a une très grande probabilité que la stigmatisation est d’origine authentiquement mystique. Il est très difficile à un faux stigmatisé de traverser le réseau des circonstances ainsi définies.

Troisième phase. — Lorsque, dans un cas dûment examiné comme il vient d’être dit, les stigmates apparaissent comme un fait authentiquement d’ordre mystique, il reste à rechercher s’ils sont préternaturels, en quel sens et dans quelle mesure. Si quelques- uns pensaient que les plus authentiques stigmates peuvent être la conséquence naturelle d’une grande compassion surnaturelle ; à Jésus crucifié, c’est à eux qu’il incomberait d’en faire la preuve. Ce n’est jusqu’ici qu’une simple hypothèse, nullement vérifiée, et sans appui dans la tradition.

Si au contraire les stigmates doivent être considérés comme préternaturels, il reste à déterminer s’ils sont produits par Dieu comme auteur principal, se servant comme d’un instrument des dispositions physiologiques ou psychologiques du sujet (nous pourrons les appeler dans ce cas dia physiologiques ou diapsychologiques), ou s’ils sont dus à une intervention immédiate, exclusive, d’un ange ou de Dieu (ils seront dits alors para physiologiques ou para psychologiques ). ‘

Nous n’avons pas à nous étendre sur cette phase de l’enquête, après les précisions qui ont été données dans l’article précédent.

Nous préférons, en terminant ces remarques sur les circonstances de la stigmatisation et les dispositions du stigmatisé, ajouter un mot sur les conditions de l’enquête et les qualités des enquêteurs, les dispositions qu’ils doivent apporter à leur travail délicat.

Il va de soi qu’un examen aussi complexe, mettant en jeu des sciences aussi diverses, requiert, de la part des examinateurs, qu’ils soient médecins ou théologiens, un tel ensemble de qualités et portées à un tel degré qu’on n’offense personne en disant qu’elles ne se rencontrent pas communément. Outre la compétence scientifique spéciale, qui ne saurait jamais être trop grande, outre les échanges et communications entre spécialistes divers, la collaboration étroite et amicale entre théologiens et médecins, il faut chez tous l’équilibre, le bon sens, le sens des réalités humaines, [p. 206]  le droit usage des connaissances. Mais le droit usage des compétences les plus remarquables requiert, ici plus qu’ailleurs, des qualités morales et spirituelles. Il faut procéder avec un désintéressement absolu, une totale et constante abnégation de sesvues personnelles, un renoncement parfait à tout désir tant soit peu désordonné de voir des phénomènes merveilleux et d’en rendre témoignage ou de les éliminer en les réduisant à des phénomènes naturels ou morbides, ne pas chercher, si peu que ce soit, un triomphe personnel contre les adversaires niant ou affirmant trop vite le caractère préternaturel des faits. Il faut un désir très pur de découvrir la vérité et de la servir, quelle qu’elle puisse être, et au prix de n’importe quel sacrifice d’amour-propre, un grand respect du mystère des âmes et de l’action divine, un sentiment vif des limites de la science et de l’irréductibilité de la sagesse divine à notre courte sagesse. « Il y a plus, disait Jeanne d’Arc à ses juges, aux livres de Notre-Seigneur qu’aux vôtres. » S’il se mêle aux démarches des enquêteurs tant soit peu de sagesse humaine et de prudence du siècle, de curiosité, de préoccupations apologétiques intempestives, si les examinateurs sont préoccupés d’eux-mêmes, de leur renom scientifique personnel, de leurs disputes d’écoles, s’ils désirent recueillir pour eux-mêmes les suffrages de certains milieux savants, alors les conditions de l’examen

seront faussées, sinon ex parte personae examini subjectae, du moins ex parte examinantium. Dans les meilleures conditions objectives possibles, une certaine grâce de lumière manquera, qui est nécessaire aux savants pour faire, au plan scientifique et théologique, le discernement auquel, sur le plan du sens commun fidèle, les

humbles parviennent d’emblée et dont ils retirent, sans tant de raisonnements, de grands fruits spirituels. Il est bien difficile, il est moralement impossible que cet idéal soit réalisé à la fois chez toutes les personnes qui s’occuperont, par mandat spécial ou par choix, d’un cas concret. L’élaboration d’une théologie de la stigmatisation

est encore relativement facile. Une enquête historique et théologique sur les saints canonisés,si elle est patiente et attentive, pourra permettre de dégager explicitement des conclusions et corollaires précis. On pourra étudier avec fruit le rapport entre la sainteté et la stigmatisation chez les serviteurs de Dieu dont l’œuvre sur la terre est achevée et qui ont été déclarés saints ou bienheureux par l’Église. Une étude approfondie des stigmates reconnus faux pourra être une contre-épreuve utile. Mais l’application des résultats de ces recherches à un cas concret et vivant, dans l’ambiance où la question se pose en fait, dans l’atmosphère du lieu et du moment, est incomparablement plus difficile. Pour le [p. 207] bien spirituel des stigmatisés authentiques, Dieu permet que des nuages de poussière s’élèvent, qui troublent la vue de ceux qui les examinent. Il semble être dans les vues providentielles que les pieuses victimes, participantes de la Passion du Fils de Dieu, soient, durant leur vie ici-bas, à l’imitation de leur divin exemplaire, dressées comme des signes de contradiction, abandonnées aux disputes des hommes. N’est-ce pas un des aspects de leur identification au Sauveur et de leur participation à sa croix qu’on se divise à leur sujet, comme on se divisa à propos de Jésus dont leurs stigmates imitent les plaies ? Tandis que les uns les croiront saints, grands amis de Dieu et chargés d’une mission providentielle pour leur peuple ou pour leur temps, d’autres, même parmi leurs frères dans la foi, les soupçonneront d’imposture ou attribueront leurs charismes à des tares physiologiques ou psychologiques. Il en sera peut-être toujours ainsi, alors même que la doctrine de la stigmatisation serait parfaitement élaborée et définitivement mise au point, que les grands procès sur les stigmatisés défunts seraient clos. Les contradictions, les humiliations,les opprobres font aussi partie des stigmates du crucifié et comptent parmi les épines de sa couronne. Or, si Dieu ne se désintéresse pas de nos progrès dans les sciences, Deus scientiarum Dominus, il a incomparablement plus à cœur le progrès spirituel de ses saints dans la voie que sa Providence a choisie pour chacun d’eux.

REG. GARRIGOU-LAGRANGE, O. P.
Professeur à l’Angelico, Rome.

M. BENOIT LAVAUD, O. P.
Professeur à l’Université de Fribourg.

Notes

(1) D. A. F. C., art. Stigmates de saint François, T. IV, col. 1498.

(2) Nouvelles études religieuses, 1884, p 322 – 351.

(3) « Aliquid dicitur esse miraculum, quod sit praeter ordinem totius naturae creatae. Hoc autem non pote st facere nisi Deus, quia quidquid facit Angelus, vel quaecumque alia creatura propria virtute, hoc fit secundum ordinem naturae creatae, et sic non est miraculum. » Summa Theol. la P., q. IIO, a. 4.)

(4) Cf. Denziger n. 1790.

(5) « Le Concile suppose que tous les miracles ont Dieu pour cause. Il range en effet les miracles parmi les faits divins, facta divina, (quae, cum Dei omnipotentiam luculenter commonstret, divinae revelationis signa sunt vertissima et omni intelligentiae accommodata). Il n’admet pas une notion plus large du miracle, introduite par des apologistes modernes. et qui étend la qualification de miraculeux aux faits qui dépassent les forces de l’homme et des créatures sensibles, par conséquent aux interventions des ange et des démons dans notre univers,

aussi bien qu’aux interventions de Dieu. » (Vacant. Etudes sur le Concile du Vatican, II. p.42.)

(6) De Servorum Dei beatificatione. 1. IV, P. l, c. I. n° 7, 8; cf..c. 2, n° 8, 10.

(7) Art. cité, co. l498.

(8) Col 1503.

(9) Rapportées dns la brochure, Das Rätzel con Konnersreuth im Lichte eine neuen Falles von Stigmatisation. Elberfeld, Licht und Leben Verlag, 1933.

(10) S. THOMAS, Sumo Theol. IlIa P., q. 13, a. 3, ad 3. – cf. IV Sent, d. IV, q. l, a. 3, q. 3.

c; C. Gentes 1. III, C. 99 § 6 ; C. 103, § l ; De Potentia, q. 6, a. 3, ad 7 ; a. 9. C.

(11) Selon Benoit XIV, les longs jeûnes peuvent s’expliquer, soit d’une manière naturelle, soit par prestiges et illusions diaboliques, soit par intervention divine. Les médecins du temps admettaient la possibilité naturelle d’abstinences totales prolongées, et proposaient pour l’expliquer de- multiples hypothèses. Benoît XIV les mentionne sans les discuter, sans en souligner l’impertinence pour nous aujourd’hui manifeste. Cela ne l’empêche pas d’admettre qu’il y a des jeûnes « surnaturels et miraculeux » : Neque tamen, his non obstantibus, dicendum est semper jejunii longam lolerantiam a natura esse ; sed fuisse interdum supernaturalem et miraculosam.
Pour savoir si un jeûne total de plusieurs jours, de plusieurs mois, de plusieurs années, doit être considéré comme miracle de Dieu, ou rapporté à l’astuce des démons illusionnistes, ou encore à des conditions physiologiques particulières, il faut être entraîné au maniement délicat des critères pris des circonstances : eux seuls permettent de déterminer laquelle des trois causes entre effectivement en jeu dans un cas donné.

Les mœurs des jeûneurs doivent faire l’objet d’une considération particulièrement attentive. On ne saurait légitimement conclure du jeûne le plus total et prolongé au miracle et à la sainteté, mais en présence du jeûne d’un personnage dont la sainteté est par ailleurs certaine, on peut croire que son je1.Î.neest miraculeux. Ainsi raisonnent en général les auteurs cités par Benoit XIV. Il recommande une critique rigoureuse du fait, un examen de l’état de santé du sujet ; quand on a établi le fait et montré qu’il n’est pas dû à la maladie, il importe de déterminer l’intention du jeûneur et le motif de son jeûne —qua de casafuerit susceptum. Si les motifs sont saints, ils constituent une présomption de la surnaturalité du phénomène. Ce qui est surtout bon signe, c’est que le jeûne n’empêche pas le jeûneur de vaquer à ses devoirs certains. S’il y met obstacle, cela suffit à le rendre suspect. Si tous les signes favorables concourent, le jeûne est démontré surnaturel. On ne le retiendra d’ailleurs pas comme miracle dans un procès de canonisation puisqu’on ne tient compte, à cet effet que des : »miracles accomplis par le serviteur de Dieu après sa mort (De servorum Dei beatificatione), T. IV, P. l, c. 27.

(12) De Servorum Dei beatification. I. III, c. 49, n° 5, 6; 1. IV, P. l, C. 7, n° 14-22 ; c. 8.

(13) Ia. IIae, q. 7, a. 3. cf. GARRIGOU-LAGRANGE. D. Revelation., T. II, p. 79-83.

(14) Ibid., ad 3.

(15) On comprend bien qu’li ne dit pas fait théologiquepar analogie avec l’expression classique : faits dogmatiques, mois comme M. Maritain dit : faits scientifiques, faits philosophiques.
J. Maritain, Philosophie de la nature, n° 30, p. 136 et suiv.

(16) La vénérable Gemma Galgani, p. 106.

(17) Thérèse Neumann et autres stigmatisées, p. 34. Je ne fais mienne que la louange de Gemma.

(18) Il faut lire tout ce récit dans la vie de la bienheureuse par le P. Amedeo, ch. XV, surtout p. 182 et suiv… J’en extrais quelques détails. A 10 heures du matin, le 18 septembre 1899, Gemma eut une extase au sortir de laquelle elle écrivit quelques lignes à Mgr Volpi pour lui dire, s’il voulait venir, de venir seul, parce que, s’il amenait quelqu’un Jésus ne lui ferait rien voir. Mgr Volpi ne renonça pas à son projet et vers deux heures de l’après-midi il se rendit à la maison Giannini avec le médecin, homme de bien et pieux mais persuadé que le phénomène était un cas d’hystérie : « Sin da un ora prima la Beata, ritirata in camera, era caduta in estasi. Poco appresso la sua fronte grondava sangue e grondavano pur sangue le stimate aperte delle mani. La videro in quello stato, oltre zia Cecilia, anche il Cav. Matteo, la signora Gustina ed altri di casa. Zia Cecilia si porto festosa verso Monsignore e gli disse : Venga, venga, che proprio adesso e nel punto più bello. Entrano ; e alla presenza dei soprannominati, il medico prende una pezzuola, la bagna et la passa sulle mani e sulla fronte della Beata. Le macchie rossastre scompaiono, il sangue s’arresta et non una cicatrice vi si scorge (La Beata Gemma Galgani, p. 182). »

(19) Ces particularités du cas de Gemma ne doivent pas déconcerter. Sans doute la compétence spéciale du médecin, son habitude des méthodes scientifiques d’observation et de description confèrent à son examen et à son témoignage une valeur toute particulière. Dans le cas de Gemma le médecin était choisi et délégué par le confesseur qui faisait preuve d’élémentaire prudence en voulant faire constater par d’autres yeux que les siens les phénomènes exceptionnels présentés par sa jeune pénitente et sur la nature desquels il avait à se prononcer. Que n’importe quel médecin ne puisse exciper de son titre de docteur en médecine pour s’arroger le droit strict d’être admis à examiner personnellement n’importe quel stigmatisé, il va sans dire, mais que le médecin choisi par l’autorité spirituelle compétente ne puisse pas faire les constatations sur lesquelles celle-ci voudrait baser son juge ment ,cela n’est-il pas bien suspect ? Eh bien ! nous ne le pensons pas. D’un point de vue apologétique, il

est indispensable que les observations et constatations soient faites en toute rigueur scientifique par des hommes spécialement compétents. Pour le travail spéculatif du théologien, l’intervention préalable du médecin est, sinon absolument indispensable, du moins fort désirable. Mais il y a un point de vue beaucoup plus important que celui de l’étude et de la science, même théologique. C’est, à savoir, le point de vue spirituel et mystique de la sanctification du sujet ; qui est incontestablement le point de vue de Dieu quand il gratifie quelqu’un de stigmates ou d’autres faveurs. Il suffit pour s’expliquer que Dieu ait permis cet échec de se rappeler l’humiliation qui en résulta pour Gemma, le changement d’attitude à son endroit d’une partie de son entourage, les jugements méprisants dont elle fut l’objet. Il était alors beaucoup plus important pour le bien de son âme, d’être tenue pour folle ou malade que d’être regardée comme amie privilégiée du Seigneur. Son progrès spirituel fut incomparablement plus favorisé de la sorte que si le médecin avait pu observer tout à loisir le phénomène. N’oublions jamais, à côté et au-dessus des exigences de l’observation critique, les exigences de la sanctification des âmes, l’utilité, la nécessité des grandes humiliations comme occasions d’exercer l’humilité héroïque. Il convient que parfois, mettons la plupart du temps, des observations médicales puissent être faites. Il convient aussi qu’en certaines autres circonstances elles soient impossibles. N’imposons pas nos vues unilatérales

ni notre heure à la Providence. Nous reviendrons, à la fin du présent article, sur la disposition divine qui laisse les stigmatisés en butte à la contradiction.

(20) Bollandistes, 30 avril, p. 910, n. 193·
Quod eum fecissem, manu protulit clavum unum, cujus cuspidem vel acutiem in medio palmae manus meae opposuit tamque fortiter manum clava strinxit quod visum est mihi manurn meam esse perforatam ex toto : et tantum dolorem sensi, quantum si fuis set clavo ferreo per malleum perforata. Itaque gratia Domini mei J. C., ego jam habeo stigmata ejus in manu dextera ; quod licet aliis sit invisibile, mihi est tamen etiam sensibile et continue afflictivum.

(21) Bollandistes, I, n° 194-196. Voici les passages essentiels du récit de Raymond : « Après quoi (la communion) la sainte resta longtemps, selon son habitude, privée de l’usage de ses sens… Nous attendions qu’elle revint à elle… lorsque nous la vîmes tout à coup… (elle était étendue) se soulever un peu, se redresser sur les genoux, étendre les bras et les mains. Son visage était rutilant. Elle resta longtemps ainsi, complètement raide et les yeux clos. Enfin, comme si elle était mortellement blessée, elle s’affaissa subitement sous nos yeux et peu après revint à ses sens.
« Elle me fit appeler presque aussitôt et me dit en secret : « Père, sachez que, par sa miséricorde, je porte maintenant dans mon corps les stigmates du Seigneur Jésus. » Je lui répondis que je l’avais supposé, aux mouvements de son corps pendant l’extase… et lui demandais comment le Seigneur avait fait cela. Elle me répondit : « J’ai vu le Seigneur fixé à la croix descendant sur moi dans une grande lumière. L’élan de mon âme voulant courir au-devant de son créateur fit relever mon corps. Alors je vis descendre sur moi, des cicatrices de ses [p. 199] blessures très saintes, cinq rayons de sang dirigés vers mes mains, mes pieds et mon cœur. Je compris le mystère et m’écriai aussitôt : « Ah ! Seigneur mon Dieu ! je vous en supplie, que les cicatrices n’apparaissent pas en dehors sur mon corps. » Je parlais encore que les rayons, avant de m’atteindre, changèrent leur couleur de sang en blancheur éclatante. C’est sous forme de pure lumière qu’ils m’atteignirent aux cinq endroits du corps ; aux mains, aux pieds et au cœur. » Je lui demandai : « Il n’est donc pas arrivé de rayon au côté droit ? » « Non) dit-elle, mais à gauche, directement sur le cœur, car ce trait de lumière, sortant de son côté droit m’a frappée non obliquement mais tout droit. » Et moi : « Avez-vous senti quelque douleur ? » Après un long soupir elle dit : « La douleur que je sens à ces cinq endroits, surtout au cœur, est si grande que, si le Seigneur ne fait pas un nouveau miracle, il me semble impossible de vivre avec une telle douleur et de ne pas finir bientôt mes jours ….
J’utilise en la modifiant légèrement la traduction Hugueny. Vie de sainte Catherine de Sienne, par le bienheureux Raymond de Capoue. IIe· P., ch. VI, p. 209-211.

(22) Mi paredi ricordarmi che venerdie per qualche festa particolare,bene spesso aveva la rinnovatione della ferita. Avanti di essa davami per la più una viva cognizione deI moi niente, ed un’altra sopra l’amore infinito di Dio. Facevami penetrare ab intrala sua potenza, la sua grandezza ; e mi pareva da cio conoscere l’impotenza mia, e solo penetrava un poco la profundità del moi nulla. Stande cosi,sentivami tutta a Dio,e rivolta a Lui senza parole parlava. Ora mi dedicava tutta me stessa al sua divino volere. Venivami ansia grande della conversione dei peccatori. Di cuore mi protestava mezzana fra Dio e i medesimi ; col sangue che usciva dalla ferita, benchè con mia pena maggiore, intingeva la penna nel medesimo sangue, e diceva : « Mio Dio, non con voce, ma col proprio sangue vi vengo con queste righeper, chiedervi anime. Io per vostra gloria e honore et per fare il vostro volere, daro vita e sangue.” Sentiva che tutto cio mi accendeva più, e delle volte mi trovava in un incendio, che non poteva trovare luogo. Ove stava, gridava forte. Solo me ricordo che diceva sovente : O Amore, O Amore !… Queste cose le ho provate più volte, e, per quanto mi ricordo, ogni volta che si apnva la ferita. Dopo per molti giorni stava comme fuon di me : altro non chiedeva checro ce e pene. Il patire davami forza, e nel sentirmi rinforzare gridava più forte, e dellevocediceva : « Vedi o Veronicaa te pare tanto difficile il patire, eppure dal me desimo ricevi vigore e forze. Su, su, patimenti, venite tutti a me. » Diario di san Veronica Giuliani,Prato,1895. T. l, p. 282-284. Le P. Désiré des Planches a tiré,des dix volumes du Diario, deux livres : Sainte Véronique Giuliani ou Flammes d’Amour d’un Séraphin crucifié,  Paris, 1931. Le Journal de sainte Véronique Guiliani dépeinte par elle-même, Paris, 1929. Le

texte cité se trouve traduit dans le premier, p. 133-134.

(22) Immédiatement après le passage cité, note précédente V,éronique continue : « Nel dire cosi si serrava la porta de tand miei desiderü, si apriva quelle delle tenebre, de tedii e patimenti interni. Stava di molte ore, e più volte anco giornate cosi. Contuttochè la mia humanità patisse di molto, tanto il medesimo patire lasciava un no so che in me e più brama di patire…, Diaro 1, p. 284 ; Désiré des Planches, p. 134.
Quantà Gemma elle fut avertie par le Sauveurqu’elle éprouverait cette dure aridité : « Il (Jésus) m’a dit qu’il saurait à quoi s’en tenir quand mon cœur me paraîtrait devenu comme un rocher et que je me trouverais dans l’aridité, l’affliction, la tentation : quand tous mes sens révoltés seraient comme autant de bêtes affamées : quand je ne ressentirais que penchant au mal, que mon esprit serait obsédé des plaisirs de la terre, qu’à ma mémoire se présenterait sans trêve tout ce que je ne voudrais pas, tout ce qui est contraire à Dieu : quand je n’éprouverais plus aucun goût pour les choses du ciel et que mon cœur serait privé de tout réconfort. (Cité par le P. Germain, La vénérable Gemma, éd.fr. 1932, p.116.)

(23) Cf. P. Germain, op. cit., p. 115.

(24) Cité par le P. Germain, p. 94.

(25) R. Dalbiez pense que si, d’un point de vue de moraliste, cette interprétation se soutient, d’un point de vue de psychologue, on découvre là une sensibilité élective analogue à celle de la mère pour les vagissements de son enfant ou du capitaine de vaisseau sourd à tous bruits sauf à ceux relatifs à la bonne marche de son bâtiment.

 

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