G. E. Hamvas. La relativité de l’interprétation et la plurivalence de l’imagerie onirique. Extrait de la revue « Psyché, Revue internationale de sciences de l’homme et de psychanalyse », (Paris), 5e année, n° 49, novembre 1950, pp. 812-826.

G. E. Hamvas. La relativité de l’interprétation et la plurivalence de l’imagerie onirique. Extrait de la revue « Psyché, Revue internationale de sciences de l’homme et de psychanalyse », (Paris), 5e année, n° 49, novembre 1950, pp. 812-826.

 

Nous n’avons trouvé aucune autre information bio-bibliograhique sur G. E. Hamvas, que le fait qu’il était médecin et psychanalyste.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

[p. 812]

La relativité de l’interprétation
et la plurivalence
de l’imagerie onirique.

Par le Dr G. E. HAMVAS.

« Das Wahre ist das Ganze”.
(Le Vrai, c’est la Tout).
Hegel.

Rien ne pétrifie tant une conception scientifique que l’acceptation totale et inconditionnelle des principes de son fondateur. Freud lui-même a prévu que certaines de ses assertions n’auront qu’une valeur historique. Mais, il lui paraissait important de conserver les étapes de sa pensée sans changement. Il avait la vue juste et son conservatisme devint fécond. Certaines de ses erreurs, — j’aimerais mieux dire, de ses rapprochements — sont devenus pour nous les poteaux indicateurs des pièges à éviter.

Il écrivit en 1918 dans la préface de la cinquième édition de la « Traumdeutung »  Je n’ai pu prendre la résolution de retravailler à fond ce livre pour le mettre au niveau de nos vues actuelles sur la psychanalyse, car cela aurait anéanti son caractère historique. Mais [p. 813] je pense qu’il a fini de remplir (erledigt) son devoir par son existence de près de vingt ans ».

La première édition en a paru en 1900 et voilà que son auteur le juge dix-huit ans après suranné dans son fond. Depuis ce temps-là, ce chef-d’œuvre de la psychologie moderne n’a connu que des réimpressions sans le moindre changement. Aussi son auteur lui consigne-t-il dans la préface de la 6e édition (1921) le devoir de combattre les malentendus sur la nature des rêves, après avoir rempli la vocation de les élucider.

Je me propose dans cette étude d’apporter certaines modifications à la technique de !’interprétation des rêves en général et d’approfondir l’imagerie onirique de l’autoérotisme en particulier.

L’une des autorités les plus reconnues de la psychologie moderne, William Stern, formule la critique suivante de l’interprétation des rêves.

« Les circonstances dimensionnelles en sont toutes particulières. On rêve pour ainsi dire dans le « présent » aussi bien du point de vue de l’espace que du temps. En rêve tout est « ici » et « maintenant ». On inclut, dans ce présent, sans discernement, tout ce qui est lointain ou rapproché, figuré dans le passé ou dans l’avenir. L’ordre objectif des idées du temps et de t’espace n’existe plus. Par conséquent, la reproduction des événements très lointains revécus en rêve ne sont pas de moindre importance pour le rêveur que ceux de la journée précédente. Si un adulte rêve des angoisses de l’école, il est angoissé maintenant. Or, on ne doit pas en tirer les mêmes conclusions comme si le rêveur était encore à l’âge scolaire. »

« Nous devons poser le problème de la coordination objective des dimensions des rêves. Il est fort probable que l’arrangement en soit le résultat des souvenirs ultérieurs, — élaborés à l’état de veille, c’est-à-dire clans des conditions mentales absolument différentes de celles où ces images ont pris naissance. Toute souvenance est soumise aux conditions des exigences de la logique. Il n’est pas possible de reconstruire et d’exprimer en termes intelligibles une vision incohérente et dépourvue de sens. L’exigence seule d’en mettre le contenu dans une suite rationnelle dans le temps peut nous tromper sur la succession réelle des images. »

« La décomposition des dimensions dans le rêve n’est qu’un symptôme pour un fait beaucoup plus important. L’état onirique se caractérise par le relâchement de la faculté d’enregistrement du Moi (die Auftockerung des Ich-Erlebens). Le rétrécissement du Moi rêveur en un « Moi du Présent » (« Gegenwarts Selbst » ») signifie beaucoup plus que la perle de la faculté d’appréciation du temps et de l’espace. Il s’agit de la décomposition de l’organisation supérieure du Moi de la Personne, c’est-à-dire de la rupture de la continuité existentielle, liée aux couches supérieures et plus jeunes de la conscience du point de vue phylogénétique. Le sens positif de ce renversement fonctionnel s’exprime par la prépondérance des tendances obscures de la Personne, ainsi que par les manifestations intuitives de la vie, de ta fantaisie. »

« Or, ces phénomènes sont d’importance capitale dans l’analyse du subconscient. Les mérites de Freud sont durables et incontestables pour avoir banni l’idée du non-sens de la psychologie des rêves. Pour lui, le récit en[p. 814] fait devient l’équivalent du rêve même,et c’est une simplification. Plus le récit est logique, plus son interprétation devient aisée. Mais, hélas ! la logique est une jonction de l’état de veille et on ne peut jamais savoir jusqu’à quel point on analyse encore le rêve ou bien seulement le récit rapporté de celui-ci. Mais cela n’est qu’une objection quant à la méthode. »

« Il est encore plu, important de souligner l’une des difficultés capitales du fond même. Comme le rêve est une espèce de soupape de sûreté psychique pour les tendances refoulées, on est habituellement porté· à en prendre chaque particularité pour leur expression. Grâce à cette supposition, on pourrait élucider toutes les images oniriques ou bien comme manifestations directes, ou bien en fait de symboles de ces émotions et tendances d’ordre infime. Cette attitude est dangereuse, car elle pose le piège de l’interprétation intégrale ; le rêve apparaîtra dépourvu de signification tant qu’on n’aura pas dévoilé le sens profond de chacun de ses éléments. Voilà une conception par trop élémentaire ! En réalité, le rêve est en partie un assemblage d’images plutôt incohérentes qui expriment aussi l’état général du dormeur. Il est bien possible que le rêve fasse jour à cette totalité de manifestations sans que chacun de ses éléments en ait nécessairement un sens correspondant. La psychanalyse oublie par exemple le besoin profondément humain de jouer arec les idées et que la possibilité de s’y livrer sans être dérangé par la brutalité de l’existence réelle puisse conférer aux rêves les traits personnels à part leurs contenus spécifiques. Nous devons encore considérer les états sentimentaux qui n’expriment que la structure vitale de l’homme sans être différenciée dans son contenu. Il existe des états d’oppression, d’angoisse, d’exaltation, de troubles intérieurs, etc… qui peuvent être déterminés dans leurs origines, non pas par des imaginations concrètes, mais par des changements purement somatiques. Si un tel état d’âme trouve son expression onirique (p. ex. l’inquiétude ou l’oppression se manifestent par un rêve d’angoisse). On ne doit pas forcément rechercher « l’événement angoissant initial. »

« Il va de soi qu’il reste encore bien des possibilités pour une interprétation judicieuse des rêves et de leurs fragments. Par contre, on doit renoncer à en élucider chaque particularité et il est de rigueur de se limiter à des interprétations qui ne soient pas seulement plausibles pour les débutants d’une certaine école, mais aussi pour chaque psychologue. »

« Les cas les plus simples sont les rêves de désir dont les buts sont évidents, ensuite ceux qui expriment les tendances de la personnalité intime, les aspirations incompatibles ,avec la pensée et la volonté consciente : tels les désirs utopistes, les angoisses sans motifs, les penchants criminels, réprimés par la société. »

« L’assertion de l’école psychanalytique selon laquelle dans ces cas il s’agit presque toujours ·des impulsions sexuelles est sûrement par trop exclusive. L’homme reste aussi en rêve l’unitas multiplexde ses émotions et inspirations. Bien d’autres tendances que celles de la sexualité peuvent arriver à se manifester dans la sphère des instincts. La faim, par exemple,évoquera les images des repas succulents, ainsi de suite. En outre, il existe au-dessusdes instincts vitaux une multiplicité d’intérêts, de désirs et d’aspirations qui sont aussi refoulés à l’état de veille et ne trouvent leurs satisfaction qu’en rêve. Si quelqu’un rêve d’une certaine personne, mourante ou morte, faut-il y voir toujours la jalousie sexuelle ou le désir inconscient de tuer dans le sens du complexe d’Œdipe ? Ne peut-il· pas en [p. 815] être la cause d’une autre sorte de contestation, par exemple, l’obtention d’une charge ou encore d’autres motifs de haines inconscientes ? Ambition et désir de réputation, enthousiasme pour des idées politiques, artistiqueset religieuses, sentiments sociaux, autant de facteurs qui n’ont rien à faire avec l’érotique (1) et qui trouvent aussi leur refuge dans les rêves s’ils n’ont pu être vécus et satisfaits dans la vie. Nous n’avons pas le droit d’affirmer que les rêves de cette sorte n’ont aucune relation directe avec les désirs frustrés et les tendances refoulées, afin de les interpréter et réinterpréter jusqu’à en faire sortir leurs motifs prétendus véritables, c’est-à-dire sexuels. »

La critique de W. Stern que j’ai légèrement abrégée est certainement très judicieuse dans son fond, mais elle n’explique pas d’une manière suffisante, le phénomène de la sublimation. Il est vrai qu’à l’avis de tous les psychologues modernes, c’est la thèse la plus contestée de la théorie psychanalytique. Freud lui-même en reconnaît l’insuffisance : « La sublimation ne saura élaborer qu’une certaine fraction de la libido, abstraction faite de ce que la capacité de sublimer n’est échue à nombre ,de personnes que dans des limites, très restreintes. » (Introduction à la Psychanalyse, 4e édition allemande, p. 399). C. G. Jung la définit de la manière suivante : « Si la déviation de l’énergie sexuelle se fait sans porter préjudice à l’adaptationde l’individu, on parle de sublimationet dans les cas où cette tentative ne réussit pas, de refoulement » (Wanllungen u. Symbole der Libido, 2e éd., p. 130. C’est moi qui souligne). Comme il entend par libido l’énergie psychique totale, englobant toutes les tendances morales, esthétiques ou intellectuelles, pratiquement il se passe de cette théorie. En tout cas, il n’en fait aucun usage au sens freudien dans l’analyse de ses types caractérologiques.

Kinsey écrit : « Si la sublimation était une réalité, il devrait être possible de trouver des individus dont le rendement érotique a été réduit ou supprimé, sans qu’il y ait des troubles nerveux, comme résultat d’une dépense d’énergie appliquée à des activités absolument non sexuelles. Il ne suffit pas de citer des artistes ou des hommes d’État, ou d’autres personnes diligentes comme exemples de sublimation, seulement parce qu’ils démontrent de l’énergie dans l’exercice de leurs activités non sexuelles. Certainement, aucun de ceux qui connaissent effectivement la vie sexuelle de certains artistes n’aurait jamais pensé à les prendre comme exemples de gens sublimés au point de vue sexuel. Il ne suffit pas de citer des femmes frigides ou affligées d’apathie sexuelle comme exemples de sublimation, sans tenir compte de l’indice élevé de femmes relativement sans réactions [p. 816] sexuelles, qui n’eurent jamais la moindre somme d’énergie sexuelle à dériver. Il faut déterminer, sur la base d’examens objectifs et psychologiques consciencieux, psychanalytiques et psychologiques, l’indice des individus ayant une capacité démontrée, qui ont dispensé au moins une part de cette énergie pour des activités non sexuelles, et dont les énergies n’ont pas été simplement émoussées ou supprimées. », (p. 284).

Au sujet de la théorie de la sublimation, Freud est beaucoup moins exclusif que certains de ses adeptes. Il écrit à la page 405 de la 4e édition allemande de l’Introductionà la Psychanalyse : « La psychanalyse n’a jamais oublié qu’il existe aussi des tendances non sexuelles ; elle a construit tout son édifice sur le principe de la séparation nette et tranchée entre tendances sexuelles et tendances se rapportant au moi. Elle a affirmé, sans attendre les objections, que les névroses sont des produits non de la sexualité, mais du conflit entre le Moi et la sexualité. Elle n’a aucune raison plausible de contester l’existence ou l’importance des tendances du Moi lorsqu’elle cherche à élucider et à définir le rôle des tendances sexuelles dans la maladie et dans la vie. Si elle a été amenée à s’occuper en premier lieu des tendances sexuelles, ce fut parce que les névroses de transfert les ont fait ressortir avec une évidence particulière en offrant ainsi à son étude un domaine que d’autres avaient négligé. »

Quant à moi, je suis absolument contre la séparation stricte des tendances sexuelles et de celles du Moi. La psyché est une. Si les instincts sexuels peuvent être sublimés, ceux du Moi le peuvent également. Si les tendances sexuelles sont faibles ou absentes, celles du Moi peuvent aussi devenir la source des aspirations les plus variées, y compris la création artistique.

Pour respecter les limites de la présente étude, je ne désire approfondir que certains aspects de la constitution mentale de l’homme politique et celle du mystique, deux structures psychiques très rapprochées, chez qui on doit remarquer l’intervention décisive d’un troisième fadeur : celle d’une participation surlogique du Moi intégral au Non-Moi total. Le conflit initialavec le sexe est très rare chez eux. Pensons à la jeunesse d’un grand nombre de saints : Origène, Père de l’Église, ne se châtre que vers sa vingt-cinquième année. Luther, par contre, abolit le célibat. La théologie juive et mahométane ont une attitude rationnelle envers le sexe. A mon sens, il s’agit chez ces deux types de l’existence humaine simplement de la « participation mystique » des sociétés primitives dans le sens de Levy-Bruhl. C’est une union psychique singulière entre le Sujet et l’Objet. Le Sujet n’arrive pas à se distinguer de l’Objet, car il s’y sent lié par une « identité partielle ». Cette illusion est basée sur l’idée d’une union a priori de l’Objet et du Sujet, —union qui ne concerne que certaines fonctions spéciales de ce dernier. Le même phénomène sert aussi de base à la magie et aux superstitions. Le mystique s’identifie avec le [p. 817] Tout, il en fait partie et il le contemple à la fois. De même l’homme politique : il ne s’éprouve mentalement existant qu’en tant que fonction d’une Entité super-ordonnée. Il est vrai que dans beaucoup de cas de la « participation mystique » le subconscient réussit tellement à réduire les mouvements de la libido (pas les sublimer !) et les transformer en symboles d’actualité d’une aspiration paranoïaque. A ce moment-là, il est trop tard pour vouloir reconstituer le mécanisme initial probable de la libido frustrée. Le subconscient est aussi un organe qui s’adapte et qui se transforme. Il est parfois surprenant, avec quelle aisance. En ce cas, le subconscient devient messianique, but ultime de la « participation mystique ». Il y a souvent, mais pas toujours, une déviation totale du sexe et cette déviation est irréversible.

En résumé, nous arriverons à mieux comprendre ces deux types de l’existence humaine en abandonnant la théorie de la sublimation pour nous servir de la conception de la « participation mystique » des organismes sociaux primitifs.

Je sais fort bien que le terme de « participation mystique » est encore plus insuffisant que celui de sublimation. Mais, sur bien des points de la psychanalyse, nous n’ayons que des rapprochements.

A l’avis de Houston Stewart Chamberlain, l’ascèse est entrée dans le Christianisme comme une manifestation instinctive d’ordre collectif. « Certains désirent y voir un essor religieux inouï, d’autres, une maladie religieuse. Ces deux interprétations sont allégoriques, car la religion et l’ascèse ne sont pas nécessairement en rapport. Il n’y a rien dans l’exemple du Christ qui puisse stimuler l’ascèse ; .celle-ci fut totalement ignorée des premiers Chrétiens véritables. Tertullien écrit encore 200 ans après le Christ : « Nous autres Chrétiens, nous ne ressemblons pas aux Brahmanes et aux Gymnosophistes des Indes. Nous ne vivons pas dans les bois, ni en exilés de la société humaine. Nous éprouvons le devoir de la reconnaissance à Dieu, seigneur et créateur, et nous n’interdisons la jouissance d’aucune de ses œuvres. Nous nous modérons simplement, pour ne pas en abuser ou en faire mauvais usage » (Apologeticus, chap, 42). Pourquoi l’ascèse antichrétienne a-t-elle pénétré dans le Christianisme ? Quant à moi, je crois que ce fut grâce aux motifs physiques. L’ascèse a pris son origine en Égypte et en Syrie abâtardies déjà avant la naissance du Christ. Elle a pris racine partout où le sang était le plus mélangé. Pachomius, —le fondateur du premier cloître chrétien, l’auteur du premier règlement monacal —fut un servant de Serapis en Haute-Égypte et c’est lui qui a transplanté dans le Christianisme ce qu’il a appris dans les sectes sérapiennes, adeptes du jeûne et de la castration. Celui qui, dans ce monde de chaos antinational a possédé encore une étincelle d’émotions nobles, a dû éprouver la répugnance de soi-même… Cette répugnance soudaine contre les instincts les plus naturels de l’homme, leur transmutation du devoir sacré en vice abject à des motifs [p. 818]profonds dans les sources primaires de notre être où les éléments physiques et métaphysiques ne se sont pas encore scindés. Selon les statistiques, les naissances augmentent d’une façon anormale après les guerres et les épidémies pestilentielles : la nature se porte remède. Dans ce chaos-là qui menaçait toute civilisation de déclin éternel, les naissances ont dû être limitées dans la mesure du possible. Les êtres nobles se détournèrent avec horreur de ce monde vicieux. Ils se cachèrent dans les cavernes, se postèrent sur des colonnes élevées, se châtrèrent et firent pénitence. Ils disparurent sans progéniture. Partout où la société humaine est en état de décomposition, nous voyons un enchaînement grandiose, Ce que l’être isolé pense et fait a une explication double : l’interprétation individuelle et celle en fonction de la collectivité » (Die Grundlagen des neunzehnten Jahrhundertes, 8e édition, tome I, p. 365-367).

Pour C. G. Jung, l’ascèse est une sublimation forcée. (Wandlungen und Symbole der Libido, 2e édition, p. 77). J’ajoute, forcée par les tendances obscures du tréfonds de l’âme humaine noble qui se révolte contre le comportement et nie les lois d’un monde incompatible avec ses tendances héréditaires. Dans les pays de brassage de races, —tels le bassin méditerranéen, l’Afrique du Sud, l’Amérique du Sud, —nous voyons se manifester encore de nos jours la ségrégation instinctive des Blancs de mentalité noble, en assurant par ce moyen une continuité physiquement et moralement menacée.

Quand Sainte-Thérèse parle de « l’arrosage des jardins », il est loin·de ma pensée d’y découvrir un semblant de la fameuse illustration de la « Traumdeutung » (7e édition, page 251 ). Si on se met dans l’esprit du subconscient collectif de l’époque, on entend sous cette expression « le jardin de l’âme », labouré jusqu’alors exclusivement par des hommes. (Nous disons encore aujourd’hui : esprit cultivé, déraciner les mauvaises herbes du vice). Au XIVIIe siècle, la miction n’était pas encore tabou. Selon Brandes, en Angleterre, à l’époque de la reine Elisabeth, dans la bonne société, on se levait pendant les repas, si on en avait besoin, pour se retirer au cabinet en s’y faisant accompagner par l’une des convives. Quand Sainte-Thérèse évoque l’image de ‘la flèche (3) que tire la volonté », il ne s’agit pas non plus du désir du coït ni du pénis. La primauté de la volonté sur l’Intellect (Voluntas est superior intellectu) fut l’une des thèses principales, de Duns Scot. D’après lui, c’est elle qui est la force fondamentale de l’âme. Cette conception a joué un rôle prépondérant dans l’âme collective de l’Espagne de Philippe II. Partout, dans l’État et dans l’armée, aussi bien dans la vie bourgeoise que dans celle de l’église, la volonté régna en première vertu, tout comme de nos jours en Allemagne national-socialiste. Il est naturel que l’énergie mentale qui [p. 819] remplissait l’âme de Sainte-Thérèse en fut chargée. L’union avec Dieu par la volonté », cette vieille sagesse scolastique, devint pour elle comme la clef même de l’existence. Or, « flèche que tire la volonté exprime pour elle l’aspiration de l’union avec la Volonté Totale, c’est-à-dire avec Dieu. Elle rejette toute la théologie des attributs, tout comme Luther. Plus de chapelet, plus d’oraison. Rien que des prières muettes et ardentes. Je cite son cas pour démontrer la nécessité absolue de considérer l’âme collective de l’époque en premier lieupour ne pas tomber dans l’erreur d’une interprétation dogmatisante.

Chose curieuse, c’est encore elle qui a découvert clans le sens moderne la psychologie analytique. D’après elle, l’âme de l’homme est une forteresse intime (el casiillo interior) faite du cristal le plus pur. Elle se compose de sept chambres. La Première est celle de la connaissance, la deuxième celle des passions, retentissante de fracas de combat. Ensuite, on pénètre dans la troisième qui est celle de la crainte de Dieu (forme historique des refoulements !). C’est ici qu’on arrive à maîtriser ses passions. La quatrième est celle du repos, la cinquième celle de l’union, puis la sixième celle du ravissement. La chambre la plus intime, la septième, est celle où le mariage mystique avec la Trinité a lieu.

Dans la pratique analytique courante, on ignore totalement l’âme collective. Freud lui-même l’a négligée. Même dans son unique ouvrage consacré aux problèmes de la foule, intitulé « Psychologie collective et Analyse du Moi » l’attribut « collectif » pour qualifier l’idée du subconscient sur individuel, ne se trouve pas. Il est vrai que lui, pour ainsi dire, n’a analysé qu’en circuit fermé. Toute sa clientèle appartenait à la classe moyenne de la bourgeoisie plus ou moins aisée.

Pourtant, le rôle de l’âme collective est plus qu’évident. Que de rêves d’angoisse pourraient être élucidés sans aucun symbole usuel, simplement comme le résultat du conflit des classes ou des races.

Premier exemple. —Une jeune danseuse me rapporte le rêve suivant. Elle est seule sur la scène. En dansant, elle a de la difficulté à suivre la musique. Elle s’arrête pour voir ce qui ne va pas dans l’orchestre. Alors, elle s’aperçoit que les cordes ne sont pas tendues sur des violons, mais sur des faucilles. Elle se réveille en sursaut…

La faucille, symbole d’ordre collectif, explique son malaise, conséquence de sa non-adaptation. C’était une émigrée d’Europe Centrale

Deuxième exemple. —Une jeune femme rêve d’être à l’appel matinal à Auschwitz. Soudain, elle se trouve seule. Elle veut se sauver, mais ses pieds s’enfoncent dans la boue. Elle tâche de s’accrocher à un bout de papier à la portée de ses main ; elle se réveille tremblante d’angoisse.

C’était une ancienne déportée d’Auschwitz, vivant surtout d’expédients à Paris. Le bout de papier symbolise probablement la carte d’identité et n’a rien à faire par exemple avec l’érotique anale (En allemand : Kot, Papier). [p. 820]

La boue où on s ‘enfonce est l’image de la prostitution (Selon Freud, la terre est le symbole du sexe de la femme, Mutter-Erde, terre nourricière. Introduction, p. 177).

Je pourrais multiplier les exemples pour démontrer que l’angoisse peut aussi être l’expression des conflits d’ordre collectif. Mais, pour ne pas dépasser les limites étroites de cette étude, je dois attirer l’attention sur une autre erreur, beaucoup plus fréquente. C’est celle de l’abus des symboles dits ancestraux de l’humanité. Je n’oserais affirmer qu’ils n’existent pas du tout. En psychologie analytique, il ne faut rien exclure d’une manière tranchante. Mais, en ce qui me concerne, ils ne m’ont jamais éclairé sur aucune des difficultés rencontrées au cours de mes analyses.

Freud parle dans « L’introduction à la Psychanalyse » du symbole ancestral de la branche cassée qui est, selon lui, l’une des représentations oniriques de la masturbation. En effet, c’est exact. L’image vient de bien loin.

« La chose la plus précieuse doit être cueillie ou arrachée d’un arbre tabou (Arbre du paradis, les Hespèrides) et c’est une action défendue et dangereuse. Le plus clair à tous les égards est l’usage de la vieille Barbarie, en service de la Diane d’Aricie. Ce n’est que celui qui ose arracher une branche dans son bois sacré qui puisse devenir prêtre de la déesse » (C. G . .Jung., Wanslungen und Symbole der Libido, 2e édition, p. 164). Les langues hébraïques et chaldéennes expriment déjà l’idée de l’arrachage d’un tronc et celle de l’action d’énerver παραλύω) en grec) par la même racine. Or, il n’est pas étonnant que ce symbole ait pu trouver son chemin dans le subconscient collectif des peuples les plus différents. La masturbation n’est-elle pas l’énervement du sens génital. L’expression « se branler », évoque même en français l’arbre que l’on secoue. Elle est plurivalente : « Branler dans le manche » veut dire être près de sa perte, de sa ruine.

Dans la « Tramdeutung » Freud explique lui-même ce symbole d’une manière beaucoup plus plausible, en abandonnant l’hypothèse « de la castration envisagée comme un châtiment pour ce péché ». (Introduction à la Psychanalyse, 4° édition allemande, p. 180).

« Il existe clans notre pays une expression peu choisie pour l’action de se masturber : s’en déraciner ou s’en arracher une(sich einen ausreissen oder sich einen herunterreissen).Je ne saurais dire d’où ces expressions viennent et quelle imagination leur sert de base, mais la « dent », irait très bien avec la première(page 264. 7e édition. allem.Traumdeulung).

A mon sens, la solution de tous ou presque tous les problèmes des images oniriques se trouve dans le langage. Il est erroné d’aller plus loin. Le but de la présente étude est d’y apporter des arguments tirés de la pratique psychanalytique courante. [p. 821]

La psychanalysa est la contemporaine de l’ethnographie ainsi que de la sociologie et ces deux disciplines ont eu une influence capitale sur l’esprit de ses créateurs. Il est de notre devoir d’éliminer de la science psychanalytique les conceptions qui, tout en ayant un aspect érudit, n’avancent en rien la compréhension de l’âme humaine.

« Les mots vrais ne sont pas les mots choisis ; les mots choisis ne sont pas les mots vrais », disait Lao-Tsèou. L’intelligence intime de l’argot et du parler populaire sont indispensables  pour la psychanalyse. Freud lui-même remarque dans l’Introduction à la Psychanalyse(4e édition allemande, p. 177-178) avoir fait l’analyse de plusieurs personnes étrangères en allemand. C’est une erreur. L’imagerie onirique est intraduisible. Le récit d’un rêve traduit très souvent n’a aucune valeur, car non seulement les nuances, mais aussi le sens même des images se trouve faussé.

Exemples. —Un Russe me rappelle le rêve suivant. Il se trouve dans une belle chambre et il crache sur le plafond. S’il s’agissait d’un François, je dirai que c’est l’image de l’onanisme ou de l’éjaculation. En russe, plievati v patalokveut bien dire au pied de la lettre « cracher sur le plafond, mais le sens de la locution est à peu près équivalent à l’expression italienne « dolce far niente », c’est-à-dire « le plaisir de ne rien faire. Ce rêve est, par conséquent, l’expression du désir au repos chez un homme surmené.

Un autre cas. —Une jeune allemande rêve d’avoir tenue en main la queue d’une casserole où il y avait deux œufs sur le plat. S’il s’agissait d’une française , le symbole du pénis et des testicules serait évident. Mais… cette jeune Allemande fut opérée du bas-ventre. Durant l’analyse, elle s’est rappelée soudain son opération et l’anesthésie qui la précéda. Quand elle était en train de compter, 14, 15, 16, et presque endormie, elle a perçu nettement le mot « Pfannenstiel » queue de casserole, nom du chirurgien inventeur de la laparotomie exécutée sur elle. De toute évidence, les deux œufs sur le plat symbolisent les ovaires sur la table de l’opération et rien au sujet du pénis. En voilà encore un exemple sur l’impossibilité de faire l’analyse dans une autre langue que celle du malade.

Une Anglaise me soumet le révit suivant. Elle voyage en France et elle se coiffe d’un bonnet phrygien. Elle en a honte. Sur cela, elle se réveille, les mains sur la vulve. J’ai trois possibilités pour l’interprétation. Premièrement l’application de l’imagerie de Freud même. Il décrit le chapeau comme le symbole des organes génitaux de l’homme. La calotte d’une coiffure de paille par exemple signifie le pénis et ses deux parties latérales pendantes les testicules (Cf.Traumdeutung, 7e éd., p.245). La tentation est grande de suivre le maître. Mais ne n’oublions pas que le langage trouve aussi son expression par l’image. Il s’agit d’une Anglaise qui[ rêve en anglais. Aussi, j’ai choisi la deuxième solution : celle de l’interprétation linguistique. Le bonnet phrygien veut dire « to frig » (frotter) et s’en coiffer « to frig one-self » (se frotter). Aussi se réveille-t-elle le faisant. La réalité correspond entièrement à cette interprétation. Elle est venue en France pour y trouver des aventures, mais elle est restée frustrée dans ses espérances. Aussi a-t-elle dû recourir à l’autoérotisme, pratique « honteuse ». De là, la sensation[p. 822] intense de gêne qui l’a fait se réveiller. La France —dont le symbole est le bonnet phrygien —est devenue pour elle le pays de la masturbation, —ie, la « frig ». La troisième possibilité, celle de l’interprétation par symboles d’ordre collectif serait déplacée dans ce cas. Le bonnet phrygien n’a plus aucune valeur dynamique dans le subconscient collectif des Anglais de nos jours. Ce symbole a vécu et fut remplacé par d’autres, exprimant des aspirations plus récentes.

Freud lui-même remarque l’ambivalence du symbole du chapeau. Se marier s’exprime aussi par la locution « unter die Haube komme » (arriver sous le bonnet) (Cf. Traeumdeutung, 7e éd., p. 245). Ambivalence ? Non. Plutôt plurivalence. J’y ajoute encore quelques possibilités. « Auf der Hut sein » veut dire : faire bien attention, ou une allusion au coït interrompu. En français, ce symbole pourrait être celui de la bonne chance. « Être né coiffé » veut dire né pour être heureux, or, dans le sens freudien, arriver à une satisfaction « existentielle », c’est-à-dire soit à celle des sens, soit à celle de l’être total. Le mot « coiffé » exprime au figuré : épris. Le chapeau est la partie qui recouvre un objet : le chapeau d’une fusée. Par extension, le préservatif, la « capote » anglaise, le coït au préservatif. Le mot capote signifie aussi chapeau de femme. Cette dernière imagerie, me semble-t-il, est internationale. Je dois mentionner que j’ai retrouvé le « hat-peg » (porte-manteau) dans plusieurs analyses de rêves chez des Anglaises, chez qui « peg » évoque probablement le mot vulgaire « pego », en français : bitte. Malencontreusement, cette expression est fixée dans la conscience des Français terriens dans une acception vulgaire. En réalité, c’est un terme maritime pour un assemblage de pièces de charpente sur un navire autour duquel on enroule les chaînes ou câbles attachés aux ancres. Ce mot vient de l’ancien scandinave, biti, poutre. L’étymologie et l’acception courante de ce terme démontrent la manière dont le subconscient collectif cherche et trouve ses moyens d’expression.

L’importance de l’interprétation linguistique est aussi démontrée par les analyses suivantes. Un Anglais d’une trentaine d’années rêve de lire une petite annonce où on cherche un français. Il s’y rend sans tarder, mais trouve porte close. Furieux, il se s’éveille.

Quelques jours auparavant, il a enfin réussi à avoir une occasion pour faire le coït avec une dame désirée depuis longtemps. Mais elle exigea qu’il se servît d’’un préservatif qu’il a en aversion. Aussi ne fut-il pas à même d’exécuter l’acte sexuel. La clef du rêve est le nom du préservatif en anglais :  French letter (lettre française ; la petite annonce était. un billet doux et le « correspondancier français » traduit l’exigence de se servir d’un « French letter ». La porte fermée exprime l’impossibilité du coït qui en résulta.

Une dame, atteinte de syphilophobie légère me rapporte le rêve suivant. Elle se promène dans la rue avec un inconnu et voit s’allumer et s’éteindre de plus en plus vite les caractères de l’enseigne lumineuse d’un cinéma[p. 823] Elle y rentre avec son compagnon, car ces « caractères branlants » —ici, elle se reprend en disant : ces lettres lumineuses — l’attirent. Elle est contente d’y aller car elle a peur de la pluie.

En ce qui concerne l’imagerie onirique de la masturbation, je dois citer un cas qui nous servira à démontrer encore une fois les pièges d’une interprétation trop exclusive. Le langage ne doit pas non plus nous conduire aux explications erronées. II ne saura nous être utile qu’au cas où le travail du subconscient se limite entièrement à une seule langue.

Exemple : Un Suisse alémanique de trente-cinq ans, parlant très bien le français et l’italien, rêve de ne plus vouloir fumer et par conséquent, il casse sa pipe en terre cuite. Il se réveille de bonne humeur. S’il s’était agi d’un cas de subconscient français, j’aurais conclu à l’expression d’une inquiétude quant à la vie ou à la santé (« Casser sa pipe »). Évidemment, ceci admis, j’aurais eu de la difficulté à comprendre la bonne humeur du réveil. Mais l’expression « casser sa pipe » n’existe pas en allemand. Aussi la réalité est-elle la suivante : le sujet en question a enfin réussi à prendre la décision de ne plus se masturber, car il rêve de casser un objet considéré nocif. L’étal d’âme du réveil est logique. Il ne regrette pas la pipe cassée, mais en est content. Pourquoi rêve-t-il d’une pipe ? Rappelons-nous qu’il ne s’agit pas d’un Français. Le juron « Nom d’une pipe » n’aura donc pas de place dans son subconscient. Voici la réalité. Quand il était étudiant, il a fumé la pipe « comme les autres ». L’étape mentale des crises d’originalité juvénile dépassée, il trouva que c’était une habitudesale, ridicule et funeste, et il s’en est défait sans beaucoup de difficulté. Il caractérise aujourd’hui l’onanisme par les mêmes attributs. Il est très probable que ces trois mots : sale, ridicule et funeste, ont évoqué l’image de la pipe dans le subconscient. Il la casse. Ne pensons pas au symbole de la branche cassée. Bien que le mot « brechen » ait plusieurs sens en allemand —tels rompre, casser, déchirer (le cœur), extraire —, (le minerai, les pierres), détacher, cueillir (des fleurs), ouvrir en rompant, broyer, fractionner, rompre, violer son serment, manquer à sa parole, vomir, rompre avec quelque chose, —il ne reste pas de cloute quant au sens du rêve. Le champ large que le mot ouvre aux conjectures ne nous déviera pas. Je trouve que cette image exprime clairement l’intention de rompre avec l’habitude en question, caractérisée par les mêmes attributs que celle de fumer.

Si j’aimais les jeux de fantaisie et les « symboles », je pourrais continuer cette analyse. La pipe était en terre cuite, —en allemand : Ton-erde, et la terre symbolise, du moins pour ceux qui lisent la Bible, pas seulement la fertilité et le sexe de la femme, mais aussi le [p. 824] péché d’Onan (Genèse, 38-6-11) (3). Malgré cette concordance, je suis d’avis que la pipe fut en terre cuite car cette substance cadre au mieux avec l’idée de casser.

A mon sens, chaque objet qui n’est pas attaché d’une manière fixe, qui a un « jeu », qui « branle » peut devenir l’image onirique de la masturbation. Avant tout, les dents, partie intime, cachée du corps (Cf. Freud : Traumdeutung, 7e éd., p. 263) et très fréquemment les branches d’un arbre. De là, le symbole de la branche cassée qui cesse de branler. Car on l’a cassée. Mais, l’expression de l’autoérotisme ne se limite pas aux objets solides. Les liquides que l’on renverse sur soi, tel le potage, en est un symbole fréquent chez l’homme. La bière et le champagne qui débordent, le stylo ou la plume qui « crachent », le crayon que l’on taille et dont la pointe casse, le briquet difficile à allumer, le lacet qui cède, l’action de se rogner les ongles sont autant de manifestations oniriques de l’autoérotisme.

Évidemment, ces images n’ont rien d’absolu. Tout dépend de leur mise en scène qui peut être interprétée, selon Freud, de quatre manières :

  1. a) Dans un sens positif ou négatif (relations du contraire).
  2. b) D’une manière historique (les réminiscences).
  3. c) D’une manière symbolique, ou
  4. d) Comme fonction d’une consonance verbale (Traumdeutung, 7e éd., p. 233).

Dans les cas que j’ai cités d’après mes observations personnelles, l’interprétation comme fonction d’une consonance verbale domine. C’est avant tout ce que je cherche, car on se trouve ici sur terre ferme. Les trois premières modalités sont vagues et contestables. Rien de plus arbitraire que l’acceptation d’un symbole. Tout ce qui est creux peut figurer la vulve, tout ce qui est en relief, le pénis. Comment vaincre ces incertitudes ? Le langage, c’est l’absolu dans la psychanalyse. Pensons seulement au bonnet phrygien, —qui aurait pu être interprété facilement comme symbole du pénis, pour ne rien dire de spécial de ce qui s’est passé pendant le voyage. Il est vrai que nombre de rêves ne s’y prêtent pas. Le type en est celui des faucilles aux cordes.

Un certain nombre de symboles « valables », mais pas [p.825] suffisamment évidents trouvent aussi leur explication par le langage. La « maison » p. ex. exprime souvent l’idée de la femme dans l’imagerie des rêves. C’est exact. Aussi, Freud en fait-il un axiome, bien que ses tentatives d’explications soient insuffisantes. Il compare les seins à un balcon, ainsi de suite (Introduction à la Psychanalyse, 4e édition allemande, p. 172). Le langage nous aidera à mieux élucider aussi ce symbole. « Hausfrau », en allemand, « Housewife », en anglais, signifie avant tout maîtresse de maison : femme d’intérieur et accidentellement mère de famille, ménagère. Comme dans les rêves, la partie peut figurer l’entité (pars pro toto), l’image de la maison se trouve liée à l’idée de la maîtresse. Se marier se dit en espagnol : « casarse » (« se maisonner») et en hongrois : meghàzasodni(« s’emmoisonner »). Dans cette dernière langue, la racine de ce terme est : hàz, qui vient de l’allemand Haus.

Si je me fais raconter un rêve, je ne pose jamais la question : Qu’avez-vous rêvé ? —Ce serait provoquer les fonctions d’une coordination logique de l’état de veille. Je demande d’habitude :

1. — Quelles personnes ayez-vous vues ? 2. —Leurs attribut, (habits et objets). 3. —Leurs actions. 4. —Votre état d’âme au moment du réveil. Je me méfie de tout rêve anecdotique, même de toute imagerie bien coordonnée. Sur ce point je partage entièrement les vues de W. Stern. Le récit fait du rêve et la manière de le débiter me servent plutôt pour sonder le caractère du malade que pour en élucider le contenu. Je n’en retiens que certains aspects caractérisant, deux ou maximum trois actions concordantes. Exemple : le rêve de l’ex-détenue d’Auschwitz. Premier élément : l’appel matinal. Deuxième élément : l’enfoncement dans la boue, avec la tentative de s’accrocher à un morceau de papier.

Je ne doute pas de l’authenticité des longs rêves que nombre d’auteurs rapportent dans leurs publications, mais la valeur scientifique n’en est pas bien importante à mes yeux. Toutefois, je fais exception des rêves de certains personnages marquants —maîtres de l’auto-observation. Freud lui-même remarque dans la « Traumdeutung » (7e éd. allemande, p. 32) que si l’on s’occupe en chercheur scientifique des rêves, on en fait plus souvent et on les retient mieux. Cette vue interne aigüe caractérise nombre d’écrivains, et le récit de leurs rêves nous donne souvent la clef de leurs destins. Mais dans la pratique courante, toute explication devrait être considérée comme plurivalente, car en psychanalyse la certitude n’existe que pour les débutants et pour les croyants irrémédiables.

Mais, quelle est la nature psychologique de la certitude ? A mon sens, l’exigence mentale en est toujours de nature obsessionnelle, sauf peut-être s’il s’agit des certitudes mathématiques, —dont les fondements, eux aussi —ne sont valables que dans un système clos.

Les philosophes groupent la certitude en deux catégories : certitudes subjectives et objectives. Du point de vue psychologique, ces [p. 826] deux groupes se basant sur des évidences et ces dernières ne sont jamais indiscutables. Même les évidences dites immédiates ne sont que des vues mentales élémentaires dues, ou bien à l’organisation nerveuse de l’être, ou bien à l’organisation instinctive de la collectivité. Toute science n’est que l’art des rapprochements et des tentatives. Nous autres, psychologues, nous ne devons jamais oublier que nos certitudes, elles aussi, résultent du besoin de juger. Et les jugements supposent des lois, les lois des conventions, les conventions des coutumes, les coutumes des habitudes, les habitudes des aberrations, les aberrations l’Exceptionnel. L’absolutisme logique est l’apanage de ceux dont le subconscient est dirigé par la Volonté de la Croyance.

« Tout ce que nous pouvons connaître est le Devenu, l’immobile, c’est-à-dire le Simultané. Chaque connaissance est le postulat de la simultanéité des données. Elle est la pétrification du Mouvant. »

« Le Devenir (par contre) est le changement perpétuel. Le Connu est limité, il est comme en repos, comme la personnification de l’infini dans nos limites. »

« Par conséquent, les jugements de la conscience ne sauront sonder l’Être. »(E. WASMUTH : Kritik des mechanisierten Weltbildes, p. 122-123).

Que le mot de Schiller nous guide : Celui qui n’ose dépasser la réalité, ne conquerra jamais la vérité (« Wer sich über die Wirklichkeit nicht hinauswagt, wird nie die Wahrheit erober »).

Dr G.-E. HAMVAS

RÉSUMÉ

  1. Dans l’interprétation des rêves, le fond de notre technique doit être celui de Freud.
  2. Nous y devons apporter les modifications suivantes :
  3. a) L’ordre objectif du temps et de l’espace n’existent pas. Tout est « maintenant ».
  4. b) Méfiance envers le récit fait des rêves. Ne jamais analyser une anecdote, mais en approfondir les éléments.
  5. c) Ne pas tout interpréter à tout prix comme l’expression de la sexualité.
  6. d) Ne vouloir élucider chaque particularité, mais se limiter sur les éléments les plus positifs.
  7. e) Considérer tous les intérêts possibles du sujet.
  8. Confronter le subconscient individuel à l’âme collective.
  9. Préférer l’explication par le langage original du sujet (Ne jamais traduire un rêve).
  10. Pluralisme des symboles.

La traduction des citations de la présente étude fut faite par l’auteur ; d’après les textes originaux, exception faite du Rapport de Kinsey.

LITTÉRATURE SOMMAIRE

  1. —Georg Brandes : William Shakespeare, 2e edition, 1898.
  2. — Houston Stewart Chanmerlain: Die Grundlagen des neunzehnten Jahrhundertes, 8e edition, 1907.
  3. — Sigmund Freud : Vorlesugen zur Einführung in die Psychoanalyse, 4e edition, 1922.
  4. — Sigmund Freud : Die Traumdeutung, 7e edition, 1945.
  5. — C. G. Jung : Psychologische Typen,1921.
  6. — C. G. Jung : Wandlungen und Symbole der Libido, 2e édition, 1925.
  7. — A. C. Kinsey : Le comportement sexuel de l’homme, 1948
  8. — Levy-Bruhl : Les fonctions mentales dans les sociétés inférieures, 1912.
  9. — William Stern : Allegemeine Psychologie auf personnalistischer Grundlage, 1935.
  10. — Ewald Wasmuth : Kritik der mechalisierlen auf Wetbildes. Grundzüge eine Meta-Physik, 1929.
  11. The Chinese Classsics(Translated by Prof. James Legge), Oxford University Press.
  12. The Sayings of LaoTzu (Translated by Lionel Giles).

 

Notes

(1) Note DE LA RÉDACTION. —Stern paraît ignorer que l’ambition sociale est un substitut du désir de dépasser le père, et dans ce sens large donné par Freud à la sexualité ; ce rêve a donc également un contenu œdipien et érotique.

(2) La flèche et la lance sont des symboles phalliques. Voir en détail C. G. Jung : Wandlungen u. Symb. d. Libido, 2e édit. p. 219.

(3) « Juda prit pour Er, son premier-né, une femme nommée Tamnr-Er, premier-né de Juda, était méchant aux yeux de l’Éternel ; et l’Éternel le fit mourir. Alors Juda dit à Onan : Va vers la femme de ton frère, prends-Ià, comme beau-frère et suscite une postérité à ton frère. Onan, sachant que cette postérité ne serait pas à lui, se souillait à terre lorsqu’il allait vers la femme de son frère, afin de ne pas donner de postérité à son frère. Ce qu’il faisait déplut à l’Éternel, qui le fit aussi mourir. »
Ces versets n’expliquent pas clairement s’il s’agit de la masturbation ou du coït interrompu.

 

 

 

 

LAISSER UN COMMENTAIRE