Frédéric Delanglade. Le Rêve dans l’art. Extrait de la revue « Visages du monde – Le rêve dans l’art et la littérature », (Paris), n°63, 15 mars 1939, pp. 53-55.

Frédéric Delanglade. Le Rêve dans l’art. Extrait de la revue « Visages du monde – Le rêve dans l’art et la littérature », (Paris), n°63, 15 mars 1939, pp. 53-55.

Très rare revue, réservée au corps médical, et donc hors commerce. Absente de la B. n. F.

Frédéric Marcou Delanglade (1907-1970). Peintre surréaliste et écrivain. Passionné par les recherches sur l’inconscient, il approcha de près la psychiatrie et la psychanalyse, en particulier au regard de l’étude des rêves. Ses recherches sur ce que l’on nommera plus tard l‘art brut, font autorité.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons renvoyé les notes in texte en find’article.
 – Les images sont celles de l’article original. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

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LE RÊVE DANS L’ART

Par Frédéric Delanglade.

DELANGLADEIMAGE01L’illustration de la mythologie grecque est certainement la meilleure synthèse des visions de rêve et de leurs contenus d’abstraction concrète qu’on ait jamais faite. Les thèmes universels qui hantent la pensée de l’homme en état de veille ou bien endormi, y sont illustrés et brossés magistralement dans le dynamisme puissant de la métamorphose, faculté qui caractérise l’image onirique et qui la distingue foncièrement des images visuelles ordinaires.

Mais si la pensée humaine garde une secrète permanence au rêve, les hommes en changent souvent les buts. Ainsi après une lutte de plusieurs siècles, l’esprit rationnel qui animait l’invasion romaine a fini par étouffer la dialectique grecque ; plus récemment et dans cette partie de la pensée qui nous intéresse, la philosophie cartésienne semble en avoir effacé les derniers vestiges en concluant par cette finalité qui a pu rassurer passagèrement notre doute mais qui ne nous satisfait plus : « Les Images vues en songe, sont aussi réelles que celles que l’on voit en veillant et n’en diffèrent que par la brièveté du temps pendant lequel elles nous apparaissent ».

De même, suivant les fluctuations idéiques de leur siècle, les artistes ont peint selon les données conventionnelles du moment, d’après un choix de thèmes à la mode. Ceci nous vaut par exemple des Interprétations du « Songe de Jacob » par Murillo, par Tissot, par Lanfranc rigoureusement conformes au mot à mot de la description biblique. Rembrand, s’est permis de transposer ce rêve d’une manière plus libre, plus humaine et cette évasion de la donnée classique vers une conception personnelle n’est-elle pas le premier principe de l’œuvre d’art, principe qui anime tout naturellement d’ailleurs, les prodigieux « Caprices » de Goya.

Antérieurement Dürer, d’un burin souple et inspiré avait gravé de majestueuses images apocalyptiques où par bonheur la fièvre et le délire mystique de l’auteur [p. 53, colonne 2] surpassent les descriptions hallucinatoires       de saint Jean. Franchissant d’une ligne à l’autre des siècles pour mieux schématiser notre pensée et de ce fait nous faire mieux comprendre nous arrêtons nos regards sur le Rêve de Detaille : le comble de l’expression mécanique et arbitraire du rêve et sur le Rêve de Puvis de Chavannes sommet symbolique, aux attitudes fausses comme la position « impossible » du rêveur notamment.

DELANGLADEIMAGE02Odilon Redon peintre surréaliste avant la lettre, semble fouiller son cœur, devant l’horizon en perspective qu’il masque d’un visage mélancolique et sentimental, pour nous en dévoiler le douloureux mystère.

De nos jours l’inquiétude que nous suggère cette image (qui pourrait être l’illustration anticipée de la phrase hallucinatoire d’André Breton « il y a un homme coupé en deux par la fenêtre » et pourrait également servir de frontispice à l’art contemporain) cette inquiétude se généralise et sous l’influence scientifique naît l’art actuel et son dernier et brûlant état : le surréalisme.

Ce terme mal compris, mal assimilé, a servi de pâture aux querelles des critiques, dont la partialité fait souvent si restreinte et nous a valu des dégressions colorées des plus ardents états passionnels allant du sublime à la bêtise.

En nous référant à la définition encyclopédique de ce mot, nous croyons rendre justice à son créateur ainsi [p. 54, colonne 1] qu’au lecteur ; et ne serait-il pas vain d’essayer de voiler le sournois mimétisme dont fait preuve à son égard l’art aussi bien que la littérature :

DELANGLADEIMAGE03« Le surréalisme repose sur la croyance à la réalité supérieure de certaines formes d’associations négligées jusqu’à lui, à la toute puissance du rêve, au jeu désintéressé de la pensée… »

Le bouleversement artistique qu’implique le surréalisme est donc pour les conformistes de l’art traditionnel une véritable révolution, cependant que ces mêmes personnes s’accordent de l’incohérence apparente de leurs rêves. Vues à travers le trou de la serrure de l’onirisme il semble pourtant que ces « extra-manifestations » de la pensée humaine relèvent d’une santé psychique absolument normale, et qui n’a connu de sa jeunesse à l’approche de la mort des cauchemars au moins aussi « effrayants » qu’un dessin de Dali ; et à s’attarder tant soit peu aux confins de la pensée intérieure qui ne retrouve de ses phantasmes, la plasticité lunaire d’une peinture de Miro, d’un dessin de Tanguy, le dynamisme fulgurant d’une arabesque de Masson, des formes d’objets aussi étrangement vivantes que ceux de Dominguez et des images encore plus merveilleuses et plus puissantes que chacun de nous « aurait pu dessiner ».

SI nous oublions les William Blake, les Henri Rousseau et tous les peintres qui à leur su ou leur insu ont choisi l’onirisme comme moyen d’expression, il nous faut citer parmi les sculpteurs et architectes le facteur Cheval, qui a réussi pierre à pierre et jour par jour à bâtir sa « maison de rêve », habitation qui reste le plus étonnant             témoignage poétique de la libre manifestation de la pensée artistique. [p. 54, colonne 2]

DELANGLADEIMAGE04Quoiqu’il en soit l’exposition surréaliste de l’année passée a transporté malgré eux, tous nos grincheux de l’art dans une atmosphère de rêve absolument unique et qu’ils regrettent déjà comme les enfants regrettent le « Palais des Mirages ».

Dans cette introspection de l’homme, qui caractérise la clairvoyance de notre siècle, l’hésitation artistique actuelle momentanément à la recherche d’une mythologie nouvelle rejoint parfois les cycles antiques, si paradoxal que cela puisse paraître, mais cette investigation se poursuit dans le champ du psychisme analytique individuel et non plus dans l’âme collective, hésitation influencée sinon dirigée soit par les leçons freudiennes, soit par une sorte de révolte systématique   à l’égard des contraintes de plus en plus implacables que les nécessités sociales nous imposent. En effet le monde visuel et la vie qui environnent l’artiste moderne ressemblent tellement à une prison aux murs si univoques et si dépourvus de variété et de possibilité de changement, que l’homme sensible est forcé de plonger en [p. 55, colonne 1] lui-même pour retrouver dans les délires de son imagination un aliment confortable pour ses besoins d’évasions.

En marge de l’effort collectif des surréalistes, c’est Picasso qui vient animer le drame cézanien d’un esprit poétique génial, ce sont encore les illustrations de Marc Chagall débordantes de fantaisies, les tableaux de chasse à la surprise de Henri Michaux qui nous transportent dans ce que le rêve a de plus pur et de plus spirituel.

DELANGLADEIMAGE05Yvette Alde nourrit ses visions de fantômes nécrophiliques qui semblent se métamorphoser sur la toile même ; Jean Bruller illustre les rêves les plus communs d’une pointe d’humour qui lui reste bien particulière. Quant à Alexéieff qui a le mérite de nous avoir présenté un film entier de visions oniriques, il a su mieux que personne condenser le mouvement dans ses gravures. Et c’est encore Mlle Yvonne Sjoestedt qui respecte si fidèlement ses rêves qu’au réveil elle en fait une description écrite afin de n’être pas accusée d’allégations mensongères.

Aujourd’hui, plus fidèles que jamais à leurs pulsions instinctives les artistes continuent leurs solitaires besognes d’avant-coureurs.

En confrontant leurs œuvres nous constatons que les manifestations d’un art que l’on qualifiera peut-être d’« onirique », sont de plus en plus fréquentes, mais contrairement aux sublimations arbitraires de rêve, classiques, leurs illustrations deviennent le reflet de plus en plus vivant de ce domaine réel de la pensée, qu’est le rêve, et qui semble être la rançon du rationalisme.

L’expérience   d’Havelock Ellis (1) que nous relatons au hasard, reste la preuve scientifique la plus édifiante, puisque le rêveur est en état de veille et nous confirme la plasticité particulière du rêve et dans ses Images statiques et dans ses « passages ».

Sous l’influence d’une inoculation de mescaline (substance active du peyotl) un peintre écossais fait le rêve éveillé suivant (2) : [p. 55, colonne 2]

DELANGLADEIMAGE06« Une belle vision d’Orient apparaît sur la plage à 4 mètres du sujet. Elle semble éclairée par le soleil. Ce sont des murs des citadelles, des mosquées, des minarets, des demeures toutes blanches avec, çà et là, de verts feuillages. Elle est très compacte et s’élève au-dessus des murailles. Elle a environ deux mètres de diamètre. Au bout de 5 à 10 minutes, une énorme tortue, à la carapace brodée d’une grecque monumentale en métal, marche contre la ville et la couvrant de part en part disparait avec elle.

Peu après, une horde immense de petits animaux noirs et laineux, à peu près semblables à des cochons d’Inde, vêtus d’astrakan et ayant des vers luisants dans les orbites, sort de la mer et se répand comme une vague sur la plage qui en est submergée. Leur grouillement ressemble à celui de larves découvertes en retournant une charogne, après une minute ou deux, ils disparaissent. »

En nous appuyant sur les résultats de ces aventures esthétiques nous concluons avec M. Félix Mayer pour qui le phénomène du rêve est semblable à l’expression du langage, gestuel de la pensée, en répétant que « l’activité réductrice », comme l’activité constructive du rêve, rapproche celui-ci de l’œuvre d’art. L’activité réductrice l’apparente à la peinture, l’activité constructive la rapproche plutôt de la poésie avec ses métaphores si proches du réel (3).

Ceci dit-on se demande pourquoi le rêve qui se manifeste dans des conditions si heureusement plastiques, et qui tient presque en permanence une si large place dans notre pensée, n’ait pas plus tôt inspiré les peintres. Les poètes n’ont pas attendu la confirmation scientifique de la « réalité du rêve » et depuis longtemps ont compris l’inépuisable beauté de ce domaine spirituel en jachères, témoin Rabindranath Tagore, que le hasard nous fait choisir après tant et tant d’autres, pour lesquels il n’y eut jamais qu’une différence livresque entre les mots poésie et rêve.

« Je ne sais qui peint des images sur les écrans de notre mémoire, mais à coup sûr, ces tableaux sont des œuvres d’art.

Fr. DELANGLADE.

NOTES

(1) [cette note signalée n’est pas reprise. Probablement s’agit-il de Psychopathie Sexualis).

(2) A. Rouhier. La plante qui fait les yeux émerveillés. (Gaston Douin, éditeur, Paris).

(3) Dr. Félix Mayer. La structure du rêve (Archives de Psychologie. Tome XXV. N° 98, année 1935. Genève).

 

Iconographie :

Image 1 – Le curieux château que le Facteur Cheval édifia lui-même. La terrasse du premier étage vue de la tour de Barbarie.

Image 2 – Minotauromachie (1935) par Picasso.

Image 3- La bête qui a des cornes d’agneau, scène de l’Apocalypse, gravure d’Albert Dürer.

Image 4 – Eau-forte e Goya.

Image 4 – Le rêve de Puvis de Cavannes.

Image 5 : Le songe de Jacob, par Rembrantn (Palais Royal de Turin.

Image 6 – Miracle de St-Nicolas de Bari, par Giovanni di Paolo (1450)

Image 7 – Le rêve (1910) par le Douanier Rousseau.

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