Folie à double forme. Observation de Frédéric Hoffmann. Reproduite et traduite par Emmanuel Régis. 1887.

Friedrich Hoffmann

Friedrich Hoffmann

Frédéric Hoffmann & Emmanuel Régis. Folie à double forme. Article parut dans la revue les &Annales médico-psychologiques », (Paris), septième série, tome cinquième, quarante-cinquième année, 1887, pp. 388-391.

Emmanuel Régis (1855-1918). Bien connu pour son célèbre Manuel de psychiatrie qui connut six éditions sous deux titres différents : Manuel pratique de médecine mentale (1885 et 1892) – Précis de psychiatrie (1906, 1909, 1914, 1923). – Très sensible aux idées freudienne il publie un ouvrage commun avec Angelo Hesnard, La Psychanalyse des névroses et des psychoses en 1914. – Il est l’auteur de nombreux ouvrages et de plusieurs dizaines d’articles.

Friedrich Hoffmann nait le 19 février 1660 à Halle (Allemagne) et y meurt le 12 novembre 1742. Médecin et chimiste il est contemporain de Georg Ernst Stahl.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original.
 – Par commodité nous avons renvoyé la note originale de bas de page en fin d’article. – Les indication qui suivent cette note, sont rajoutées par nos soins. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

[p. 388]

Archives cliniques

OBSERVATION REPRODUITE — FRÉDÉRIC HOFFMANN (1).

Folie à double forme.

On s’est beaucoup occupé, dans ces dernières années, de l’histoire de la folie à double forme, et on s’est complu à rechercher, notamment, quelle pouvait être l’opinion des anciens auteurs sur l’alternance de la manie et de la mélancolie. M. Ritti, qui a, consacré un intéressant chapitre à cette étude rétrospective dans son excellent Traité clinique de la folie à double forme,établit très nettement que nos prédécesseurs n’ont eu à cet égard que des notions vagues et confuses, et que si de tout temps on a admis que la mélancolie poussée à son plus haut degré pouvait se changer en manie, ce n’est guère qu’à dater de Willis qu’on voit apparaître l’idée de l’alternance possible de ces deux états morbides. Encore Willis semble-t-il plutôt convaincu suivant l’opinion du temps, de la transformation de l’un de ces états dans l’autre que de leur véritable succession. C’est ce qui résulte des termes mêmes qu’il a employés.

Quant aux observations de folie à double forme proprement dites, si l’on en excepte le fait peu convaincant d’ailleurs de Morgagni, rapporté par M. Ritti, je ne crois[p. 389]pas qu’on en ait encore trouvé de bien nettes chez les auteurs d’avant le siècle actuel.

C’est pourquoi je crois devoir reproduire ici, en la traduisant, une intéressante observation de Frédéric Hoffmann, que j’ai rencontrée par hasard en parcourant son ouvrage, et qui doit être, sans doute, fort peu connue.

L'ensorceleuse - Elizabeth Hand.

L’ensorceleuse – Elizabeth Hand.

Elle porte le titre suivant, assez caractéristique :

« Melancolia hypochondriaca cum mania periodice alternans » (Mélancolie hypochondriaque alternant périodiquement avec la manie).

« Un homme de quarante ans, juif de naissance, d’un tempérant mélancolico-colérique, s’était livré longtemps à de nombreux travaux au milieu d’une vie méditative et sédentaire, mais n’en avait éprouvé, jusqu’alors 
aucun inconvénient. Quelques, mois plus tard, il eut l’esprit bouleversé par l’annonce de la mort inopinée de son fils, et à partir de ce moment, il tomba dans une mélancolie de plus en plus grande, accompagnée d’angoisse précordiale et de misanthropie. C’est état se compliquait d’un continuel refroidissement des pieds, d’agitation et d’inquiétude dans le sommeil et d’une constipation si opiniâtre qu’elle n’était interrompue que tous les six ou sept jours. Après être resté six mois entiers dans ces souffrances, l’esprit hanté par des terreurs violentes, le malade fut pris d’une véritable rage maniaque, s’agitant furieusement et se précipitant sur tout le monde avec une telle violence qu’on dut le maintenir au moyen de liens. Ses amis essayèrent bien d’apporter quelque remède à son mal, mais il ne voulut prendre ni aliment, ni médicament. Toutefois, on le saigna abondamment au front et au bras ; mais son esprit ainsi dérangé et devenu plus clame, ne tarda pas à retomber dans ses idées tristes et dans sa première maladie mélancolique. Celle-ci fut combattue par divers remèdes, et [p. 390] l’absorption de l’eau des Carolines amena notamment une évacuation abondante, mais sans rien enlever, pour ainsi dire, à la force du mal. Appelé à ce moment à donner mon avis, je prescrivis le traitement suivant :

« Tout d’abord, je conseillai pendant quelques semaines l’usage en boisson de la fontaine de Selterane, avec addition d’nue drachme de sel des Carolines par mesure. Je m’étudiai ensuite à raffermir la force contractile du ventricule au moyen de mon élixir viscéral balsamique, à la dose de 70 ou 80 gouttes entre les repas. Je n’oubliai pas les pédiluves qui furent prescrits tous les deux jours avant le coucher. Enfin, des poudres légèrement tempérantes et à action nervine, qui furent prisent avant l’entrée au lit, produisirent un excellent résultat. Je formulai d’autre part la décoction suivante : Recipe : poudre de corne de cerf et racines de scorsonère, deux onces de chaque ; crème de tartre, trois drachmes à faire bouillir dans quatre mesures d’eau simple ; ajoutez deux onces de sirop citrique. J’ordonnai, en outre, au malade de s’abstenir de tout aliment durci par la cuisson, âcre et flatulent, et de se nourrir, au contraire, de mets préparés avec des herbes apéritives ; je prescrivis enfin l’usage d’un vin généreux et de fréquents exercices du corps. Au bout d’un certain temps de ce traitement, le malade entra franchement en convalescence.

« Réflexions. — Il ressort très nettement de l’histoire de ce malade que chez les mélancolico-hypochondriaques qui mènent une vie méditative et sédentaire et se livrent de trop grandes fatigues d’esprit, il existe une tendance très marquée à la production de la fureur dans les maladies mentales qui les atteignent et particulièrement dans les états de mélancolie compliquée de terreurs violentes ; il en ressort également combien il faut user de précautions et de prudence pour éviter toute aggravation du mal dès qu’il survient, chez les individus [p. 391] de cette espèce des signes variés de mélancolie hypochondriaque. L’observation nous apprend clairement enfin que la mélancolie et la manie peuvent se succéder alternativement, à ce point que la transition d’u de ces états dans l’autre s’opère très facilement.

Vivien Leigh

Vivien Leigh

Il me paraît difficile de rencontrer un cas ancien de folie à double forme où les symptômes de chaque période soient plus nettement indiqués. A la suite d’une phase de mélancolie aiguë, qui dure six mois et qui est caractérisée par une grande tristesse, de l’angoisse précordiale, de la misanthropie, du refroidissement des extrémités, de l’inquiétude nocturne, des terreurs non motivées et une constipation opiniâtre, le malade est pris d’une agitation maniaque accompagnée d(une telle fureur et de telles violences contre les personnes qu’on est obligé de la maintenir au moyen de liens. Ce stade d’excitation passé, il retombe à nouveau dans ses idées tristes et dans son premier état de mélancolie. Alors intervient l’auteur qui prescrit un traitement compliqué et amène au bout d’une certain temps le sujet à convalescence. La durée des deux dernières périodes n’est pas indiquée par Frédéric Hoffmann, et il ne dit pas ce que devient par la suite son malade ; mais l’observation est suffisante pour établir non seulement qu’il s’agissait chez lui d’une folie à double forme, mais encore de cette variété qu’on désigne aujourd’hui sous le nom de folie à double forme continue ou folie circulaire, parce qu’il n’existe pas d’intermittence entre les accès. Je ferai enfin remarquer en terminant que, plus avancé que Willis, Hoffmann ne voit pas, dans ce cas, la simple transformation de la mélancolie en manie, mais leur succession alternative et même périodique.

E. Régis.

(1) Fred. Hoffmanni, Opera omnia physico-medica, tome III, cbap. VIII, obs. III. Genève, 1740.

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Quelques précisions sommaires par histoiredelafolie.fr :

Une des éditions les plus complètes de Friedrich Hoffmann, bien complète de ses suppléments :
Friedrich Hoffmann (1660-1742). Opera Omnia physico-medica Denuo revisa, correcta & aucta, in sex tomos distributa… Genève, De Tournes Frères, 1761. 9 tomes en 6 vol. in-folio. (6 ffnch., XXXVI p., 476 p., 2 ffnch., 355 p., frontispice) + (2 ffnch., 584 p., 6 ffnch., 588 p.) + (2 ffnch., 374 p., 2 ffnch., 346 p.) + (3 ffnch., 871 p.) + (5 ffnch., 782 p.) + (2 ffnch., 628 p., 2 ffnch., 194.

Thomas Willis

Thomas Willis

Thomas Willis nait à Great Bedwyn, Wiltshire, le 27 janvier 1621 à meurt à Londres le 11 novembre 1675. Médecin co-fondateur de la Royal Society. est un médecin anglais qui a joué un rôle important dans l’histoire de l’anatomie et a été un cofondateur de la Royal Society. Il fut un précurseur de la neuro-anatomie et de la neuropathologie.

François-Antoine-Auguste Ritti (1844-1920). Traité clinique de la folie à double forme. (Folie circulaire, délire à formes alternes). Paris, Octave Doin, 1883. 1 vol. in-8°, VIII p., 393 p.

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