Ernest Laut. La Démonomanie. Comment on punissait les sorciers. Extrait du journal « La Charente », (Angoulème), cinquante-cinquième année, vendredi 12 février 1926, pp. 2, colonne 5 – page 3 colonne 1.

Ernest Laut. La Démonomanie. Comment on punissait les sorciers. Extrait du journal « La Charente », (Angoulème), cinquante-cinquième année, vendredi 12 février 1926, pp. 2, colonne 5 – page 3 colonne 1.

 

Ernest Laut (1864-1951). Journaliste, rédacteur en chef du Petit journal, où il écrivit sous le nom de plume : Jean Lecoq. – Auteur dramatique.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

[p. 2, colonne 5]

LA DÉMONOMANIE
Comment on punissait les sorciers

Sortilège, maléfice, exorcisme… voilà des mots qui ne sont plus de notre temps et qu’on s’étonne, au XXe siècle, de voir imprimés dans les feuilles.

Pourtant, un fait-divers récent a remis en usage tous ces vocables surannés.

Jusqu’à la fin du XVIIe siècle, les histoires de magie, de sorcellerie, d’envoûtement, d’incantations et de conjurations, de maléfices et de nécromancie, pullulent dans nos annales.

Le clergé ne cesse d’exorciser à tour de bras toutes sortes de pauvres hystériques qu’on dit — et qui se croient — possédées du démon ; les tribunaux condamnent sans relâche magiciens et jeteurs de sort. De toutes parts, les fagots s’entassent et les bûchers s’allument pour brûler les sorciers.

Le crime de sorcellerie est un crime classé. Une ordonnance signée par Charles VIII, en 1490, fait une énumération complète des différentes manières de le commettre. Elle ordonne de faire appréhender et punir « tous enchanteurs, devins, invocateurs des malins esprits, nécromants et autres gens affiliés aux mauvaises pratiques, sciences ou associations défendues et réprouvées par notre Sainte-Mère l’Église. »

Cette ordonnance, d’ailleurs, ne disposait pas seulement contre les sorciers ; elle voulait que ceux qui venaient leur demander de faire pour eux acte de sorcellerie fussent également punis.

La peine du sortilège, de la magie et de la sorcellerie était la mort. Les condamnés étaient ordinairement pendus et ensuite brûlés. Quelquefois, dans le cas où le cri, me paraissait entouré de circonstances particulièrement graves, ils étaient condamnés à être brûlés vifs et, s’il était reconnu que leur art eût été cause de la mort de quelqu’un, ils étaient tenaillés.

Le XVIe siècle, époque pourtant si remarquable par la renaissance des arts, des lettres et de la philosophie, vit éclore — singulier contraste ! — plus de faits de sorcellerie et de possession diabolique qu’on n’en connut pendant tout le moyen âge. Les esprits les plus distingués de ce temps subissaient, comme la foule, l’emprise de ces préjugés stupides. Jean Bodin, conseiller au Parlement, savant économiste, esprit éclairé, pourtant, a écrit tout un livre sur la démonomanie, un livre tellement rempli de croyances absurdes, de contes invraisemblables, qu’on se demande s’il est bien [p. 3, colonne 1] d’un tel auteur et d’un tel temps. On s’imaginerait volontiers que tout cela remonte aux siècles les plus primitifs. Et le fait qu’un homme comme Jean Bodin rapporte sérieusement de telles fables montre nettement combien ces croyances à la sorcellerie étaient ancrées dans les cervelles et quels efforts il fallut pour faire disparaître de l’esprit public ces idées d’un autre âge.

Hans Weiditz (1488-1534)

Il y eut, aussi, un moment, au XVIIe siècle, où la possession démoniaque sévit avec une singulière intensité dans une foule de couvents. Le diable, à ce qu’il semble, avait juré de rendre folles toutes les nonnes et nonnettes du pays.

En 1609, le couvent des Ursulines d’Aix, en 1613 celui des Brigittines, à Lille ; en 1632, celui des Ursulines de Loudun,. furent envahis par l’épidémie démoniaque. On sait combien cette dernière affaire, qui se termina par la mort du malheureux Urbain Grandier, fit de bruit. Il est inouï de penser que presque au milieu du grand siècle, la science était encore si faible et si timorée qu’elle ne put rien tenter pour guérir quelques pauvres filles hystériques, et pour empêcher un juge fanatique d’envoyer au bûcher un pauvre diable de curé, sous le prétexte absurde qu’il avait mis le diable au corps des religieuses de Loudun.

Dans je ne sais, plus quel autre couvent, ce fut non plus le curé, mais la cuisinière, qui se trouva victime de cette folie démonomaniaque. Les religieuses, s’étant imaginées qu’elles étaient possédées du diable, allèrent voir un devin qui leur persuada que leur cuisinière les avait maléficiées. Appliquée à la torture, cette infortunée avoua qu’elle avait causé tout le mal ; elle fut condamnée à être brûlée vive avec sa fille. Au moment de mourir, elle expliqua les moyens dont elle s’était servie pour jeter le désordre dans le couvent : elle avait seulement prononcé quelques malédictions… Ainsi, pour quelques paroles dénuées de sens, et sur le dire d’un imposteur qui, en justice équitable, eût mérité la même peine, la malheureuse fut envoyée au bûcher et entraîna avec elle sa fille, dont rien n’établissait la complicité.

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Cependant, à mesure que les lumières de la civilisation se répandent, de notables changements s’opèrent dans la législation touchant le crime de sorcellerie. Au Parlement de Paris, notamment, on en était venu, au XVIIe siècle, à ne plus punir le crime des sorciers en lui-même, mais seulement en conséquence du mal réel et appréciable que les sorciers auraient pu commettre. Ainsi, un homme, qui aurait été accusé de sortilège, mais dont les pratiques n’auraient porté de tort à personne, n’eût pas été puni. Une ordonnance royale, rendue après les procès de la Voisin et de la Brinvilliers, enlevait tout prestige à l’art des sorciers en le déclarant inexistant et fondé uniquement sur les plus sottes superstitions. Néanmoins, elle en interdisait l’exercice, et elle condamnait à mort toute personne qui se livrerait « à des opérations de prétendue magie ».

De ce jour, les cas de démonomanie furent de plus en plus rares. On en compte, pourtant, quelques-uns pendant le XVIII° siècle.

Au XIXe siècle, il y eut encore — qui le croirait ? — une véritable épidémie démonomaniaque. Elle éclata à Morzine, en Savoie, en 1857, et n’affecta pas moins de soixante-quatre personnes — des femmes, célibataires pour la plupart. L’église de cette localité fut le théâtre de scènes terribles. Toutes ces malheureuses, se croyant possédées du démon, hurlaient, se traînaient sur le sol. On les exorcisa. Ce fut pis encore. Alors, les médecins aliénistes entrèrent en scène. Les convulsionnaires furent isolées, emmurées dans des maisons de santé et passées sous la douche. Après quoi, on les renvoya tout à fait calmées. Le diable, à ce qu’il semble, déteste l’eau froide et la solitude.

Mais qui peut dire que ces superstitions — si absurdes qu’elles soient — seront jamais vaincues définitivement par la civilisation, la science et la raison ?… L’histoire des sectatrices de Notre Dame des Pleurs et du curé de Bombon, accusé de maléfices par ces pauvres folles, nous montre qu’il faut encore compter avec ces fantasmagories démoniaques. « La superstition a ses racines dans le cœur de l’homme », disait Benjamin Constant. Voilà pourquoi il est si difficile de l’en arracher.

Ernest LAUT.

 

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