Dr ROUBY. Marie Alacoque, sa folie hystérique.  Extrait de la « Revue de l’hypnotisme de la psychologie physiologique », (Paris), dix-septième année – 1902-1903, 1902, pp. 112-120, 150-157, 180-187.

Dr ROUBY. Marie Alacoque, sa folie hystérique.  Extrait de la « Revue de l’hypnotisme de la psychologie physiologique », (Paris), dix-septième année – 1902-1903, 1902, pp. 112-120, 150-157, 180-187.

 

Cet article en trois parties donna lieu à une discussion entre son auteur et le Docteur Hamon, parue à la suite dans la même Revue de l’hypnotisme, que nous mettrons en ligne très prochainement.

Pierre-Adrien-François Rouby est né le 4 mars 1841 et décédé le 2 septembre 1920. Docteur en médecine. – Directeur d’une maison de santé à Dôle, puis en Algérie où il s’installa vers 1893 et créa une maison de santé dans la Vallée des Consuls, tout près de la basilique Notre-Dame d’Afrique à Saint-Eugène. Il y resta jusqu’à sa mort en 1920.
Nous ne lui connaissons plusieurs publications :
— La possédée de Grèzes. Extrait de la « Revue – ancienne Revue des Revues », (Paris), 1902, pp. 437-450. [en ligne sur notre site]
— L’hystérie de Bernadette, de Lourdes. Article parut dans la « Revue de l’Hypnotisme et de psychologie physiologique. », (Paris), 1905-1906, vingtième année, 1905, pp. 11-17, 46-53, 78-83, 108-115, 142-146. [en ligne sur notre site]
— Contribution à l’étude de l’hystérie : de l’apoplexie hystérique dans la syphilis. Paris, Imprimerie des Écoles Henri Jouve, 1889.
— L’hystérie de sainte Thérèse. Paris, Aux bureaux du Progrès Médical et Félix Alcan, 1902. 1 vol. in-8°, 42 p., 1 fnch. Dans la « Bibliothèque diabolique – Collection Bourneville. [en ligne sur notre site]
— Le Livre de vérité. Paris, E. Nourry, 1911.
— La Folie d’Abraham. Paris, E. Nourry, 1911.
— La vérité sur Marie Alacoque : fondatrice du Sacré-Cœur. Paris, E. Nourry, 1918.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. –  Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

[p. 112]

Marie Alacoque, sa folie hystérique. par M. le Dr ROUBY, d’Alger.

PREMIÈRE PARTIE. — Les miracles devant la science. — La folie hystérique de Marie Alacoque. — Je comparerais volontiers chaque religion à la statue d’une déesse antique taillée par un Phidias, dans le marbre le plus pur ;  au début ce corps superbe que l’artiste fit chastement nu, fut adoré dans cet état par la foule des hommes. Alors chacun pouvait admirer la déesse dépouillée de tout voile. Mais, dans la suite des temps, ceux qui était chargé de sa garde voulurent l’embellir : alors, peu à peu, la tête au profil si pur, la chevelure tordue sur la nuque, les membres au contours gracieux, le torse admirablement ciseler, furent recouvert de vêtements tissés d’or et d’argent, de voiles en dentelles brodées de soie, de médaillons, de colliers, des bracelets et couronnes où les pierres précieuses s’incrustent en trop grand nombre ; chaque siècle vit une nouvelle couche d’ex-voto s’ajouter aux précédentes. Aujourd’hui la statue est tellement cachée sous les métaux superposés, qu’un passant ne peut plus deviner la beauté divine de la forme première. Si quelques-uns, pauvres ignorant, se pâment devant cet entassement de dorures, d’autres, les lettrés, sont remplis de tristesse, car ces lourdes bandelettes voilent à leurs yeux l’œuvre immortelle.

Alors quelques-uns passent en haussant les épaules, sans même essayer de deviner la forme cachée : d’autres, indignés de ses loques offertes à leur adoration, veulent renverser l’autel et briser la statue ; quelques-uns enfin, de ceux qui recherchent patiemment la vérité, essayent pièce par pièce de débarrasser la déesse de tous ces faux ornements et de la rendre dans sa nudité superbe à l’adoration des fidèles.

La religion telle que nous la donna soit Jésus-Christ soit tel autre [p. 113] prophète, c’est la déesse de marbre ; celle qu’on nous présente aujourd’hui, avec ses faux miracles, avec ses légendes, avec ses vies de saints, c’est la statue emmaillotées. Aujourd’hui encore avec l’or et l’argent des miracles de Paray-le-Monial et de Lourdes on tisse de nouvelles bandelettes pour enserrer davantage la divinité et ne plus rien laisser voir de la forme primitive.

Ces voiles, il faut les détacher, les faire tomber au pied de la déesse, et rendre enfin au marbre avec sa nudité première, sa divine beauté. Nous aurons participé à cette grande œuvre, si dans ce travail, nous prouvons que Marie Alacoque était atteint d’aliénation mentale et que le Sacré Cœur fut une hallucination.

Eugène Hamel – Sainte Marguerite-Marie Alacoque,
étude pour « L’Apparition du Sacré-Coeur à sainte Marguerite-Marie Alacoque

Il s’est fait depuis plusieurs années un grand bruit autour de la chapelle de la Visitation de la petite ville du charolais ; cette chapelle n’a pas été trouvée assez grande et voilà, qu’on a élevé, sur les hauteurs de Montmartre, au milieu de Paris qui renferme le Dôme de l’institut, un autre Dôme plus colossal en l’honneur d’une folle.

Les Ministres du culte ont transformé les révélations de Marie Alacoque, en nouveaux articles de foi ; Paray-le-Monial, en attendant Montmartre, est devenu un des centres religieux de notre siècle. Pour beaucoup de fidèles, ne pas croire aux révélation de la bienheureuse, c’est être rayé du nombre des vrais chrétiens. Les chefs du clergé, en acceptant comme vrai les hallucinations de la pauvre malade, n’ont pas tous agit avec mauvaise foi, mais s’ils ont cru, c’est qu’ils sont ignorants de faits scientifiques aujourd’hui démontré. Autre fois aussi, prêtres et fidèles étaient certains que le soleil tournait autour de la terre ; c’était un dogme ; la Bible inspiré par le Saint Esprit avait dit que José avait arrêté de soleil dans un évolution. Il fallait croire ou être éthique. Galilée vint et montra les l’erreur. Lorsqu’il fut bien prouver que le soleil était le centre de notre monde, les pasteurs des peuples s’arrangèrent avec cette découverte, et la religion catholique continua à vivre sur cette terre qui n’était plus immobile. Il eût été sage, l’histoire du grand astronome de Florence le démontre, que ceux qui se sont chargés de veiller au dogme, au lieu de repousser toute critique, de défendre pied à pied une foule de superstitions qui naïves dans les siècles d’ignorance sont grotesques dans le nôtres il eût été sages dis-je, que l’église acceptât comme vraies les découvertes faites dans les différentes branches des sciences ; qu’au lieu de lutter contre les vérités mathématiques ou physiques, chimiques ou physiologiques, dont la découverte est l’honneur de notre siècle, elle eût été la première à les accepter sans craindre de rayer de ses annales les prétendus miracles contraires à ces vérités.

Dans les deux derniers siècles on était entré largement dans cette voie : non seulement les philosophes, mais les membres de l’épiscopat, plus éclairés que ceux d’aujourd’hui, condamnaient les miracles de leur temps et les écartaient de la religion : La préface de l’histoire ecclésiastique de la l’abbé Fleury donne la note des préoccupations et des idées du clergé à ce sujet ; en voici un passage : « La critique est nécessaire ; [p. 114] dans douter de la toute-puissance de Dieu, on peut et on doit examiner si les miracles sont bien prouvés, pour ne pas porter de faux témoignage contre lui en lui attribuant ce qu’il n’a pas fait. Ce n’est pas la simplicité qui rend trop crédule, il y a des gens qui le sont par politique et par mauvais raffinement. Ils croient le peuple incapable ou indigne de connaître la vérité et regardent comme nécessaire de l’entretenir dans toutes les opinions qu’il a reçues sous le nom de religion, craignant d’ébranler le solide, en attaquant le frivole. Une autre espèce de gens trop crédules sont des chrétiens sincères mais faibles et scrupuleux, qui respectent jusqu’à l’ombre de la religion et craignent toujours de ne pas croire assez. Quelques un manquent de lumière, d’autres se bouchent les yeux et n’osent pas se servir de leur esprit ; ils mettent une partie de la piété à croire tout ce qu’a écrit le peuple le plus ignorant ».

Malheureusement pendant le XIXe siècle, l’esprit du clergé n’est plus le même ; toutes les superstitions, tous les faux miracles ont été admis par lui et imposés à la foi des fidèles. En sorte qu’on se trouve en présence de cette situation prodigieuse ; d’un côté, la religion veut ramener les peuples dans la nuit de l’ignorance par des pratiques et des croyances d’un autre âge ; d’un autre côté la science, tous flambeaux allumés, fait le jour partout, en cherchant et en découvrant les lois qui régissent le monde.

Nous ne sommes plus dans la caverne de Platon ; nous ne sommes plus rendus immobiles par de lourdes chaînes de fer, les yeux fixes regardant sur la muraille les ombres des objets qui passent derrière nous ; nos chaînes sont tombées, nous sommes sortis de la caverne, nous gravissons la montagne ; nous voyons les objets réels et non plus les ombres et nous saluons à l’horizon le soleil qui se lève et éclaire toute chose.

De nos jours le physicien ne peut croire un miracle contraire aux lois de la pesanteur, le chimiste a un miracle contraire aux lois de l’affinité, l’astronome, aux lois de Newton, parce que ces lois sont devenues pour eux des vérités premières, aussi précises que la vérité première du mathématicien, deux et deux font quatre ; vous dites qu’en ne croyant pas aux miracles on limite la puissance de Dieu ? Est-ce que Dieu peut faire que deux et deux fassent toi ? Est-ce que Dieu peut faire que la ligne droite ne soit plus le plus court chemin d’un point à un autre. Dieu ne peut changer les vérités premières ; les vérités premières sont les qualités de Dieu même. Or un miracle est la négation d’une vérité première.

Un grand nombre de faits miraculeux sont du domaine de la médecine et plus spécialement du domaine de l’aliénation mentale ; les révélations de Marie Alacoque et de plusieurs saints et sainte du XVIe siècle et du XVIIe siècle ne sont autre chose que des cas de maladie.

Il sera facile de le prouver :

Mais avant d’aborder l’histoire de Paray-le-Monial, je dois quelques [p. 115] mots explicatifs à ceux qui n’ont pas étudié les hallucinations, dont nous allons tant parler dans ce mémoire (1).

1° En une impression faite par des objets extérieurs sur nos organes.— En une transmission opérée par le tube nerveux, du point impressionné à l’encéphale. — En une perception exercée par les masses cérébrales. Exemple : des vibrations de couleur blanche impressionnent la rétine, l’impression est transmisepar le nerf optique à l’encéphale qui perçoit blanc. Dans le cas d’hallucination, c’est la perception qui sera troublée ; cette couleur impressionnée blanche, transmise blanche sera perçue en rouge, comme si un verre de couleur pourpre était placé dans la masse cérébrale au point où finit le tube nerveux de transmission ; cela là une forme des hallucinations simples, portant seulement sur un changement de couleur.

Mais de même que la couleur, la forme de l’objet extérieur peut être perçue autrement qu’elle existe réellement : cet objet sera vu plus petit ou plus grand, plus long ou plus étroit, double ou multiple :

Ainsi, une malade se crois un farfadet, parce qu’elle voit les personnes et les choses tantôt trop petites et tantôt trop grandes ; pour continuer mes comparaisons je dirais que, dans ce cas, la perception des objets extérieurs a lieu comme si, au niveau de l’extrémité céphalique des nerfs optiques, c’était trouvée une lentille tantôt biconvexe, tantôt biconcave, rendant les objets plus petits au plus grands ; comme si le cerveau avait regardé tantôt par le gros bout tantôt par le petit bout d’une lorgnette. A un degré de maladie de plus, nous arrivons à une hallucination beaucoup plus fréquente : dans celle-ci les deux premières phases disparaissent : nous n’avons ni impression d’un objet extérieur réel, ni transmission par les nerfs ; la perception agit seul e; comme dans le rêve, et entre en activité spontanément.

En continuant à prendre comme exemple les hallucinations de la vue et en me servant d’une comparaison pour être plus clair, je dirais que chez l’halluciné le cerveau est comme changé en une lanterne magique : le foyer de lumière, c’est la masse encéphalique qui perçoit : les hallucinations sont les verres peints représentant les sujets les plus variés. Le malade voit ces divers objets projetés dans l’espace, comme on voit sur l’écran de toile les peintures sur verre ; le sujet des tableaux varie suivant le caractère et les préoccupations ordinaires de l’individu ; une personne dont l’esprit est tourné vers les choses religieuses verra des Anges, la vierge Marie ou Dieu lui-même.  Si la terreur de l’enfer la préoccupe, elle verra des Démons effrayants. Un homme voluptueux verra des tableaux érotiques, par exemple des femmes nues se roulant dans les rideaux de son lit ; un avare verra des voleurs ; un criminel des têtes coupées ; un savant (cité par Esquirol), poursuivi de la crainte de la mort, [p. 116] un squelette l’accompagnant et se penchant sur son épaule lorsqu’il écrit assis devant sa table. Un malade veux, pour sauver le monde, mourir sur la croix comme Jésus-Christ, mais les portes et les fenêtres de l’asile sont un obstacle à son projet : alors pendant la nuit, contre le mur de sa chambre, il voit une grande croix toute brillante et à côté une énorme serrure avec sa clef ; son hallucinations traduit sa pensée. C’est ainsi que le montreur de lanterne magique varie sa représentation, suivant les spectateurs qui l’entourent : si, dans un couvent il montre des sujets religieux, dans une caserne il exhibe des sujets de bataille et dans un village des animaux et des contes de Perrault. Suivant l’habilité du peintre, les personnages reflétés par la lanterne peuvent se rapprocher plus ou moins de la réalité et nous faire plus ou moins illusion. De mêmes aussi, les hallucinations vagues et flottantes dans certains cas, donnent dans d’autres cas, par leur netteté, l’apparence de la réalité. Les malades perçoivent l’image comme si elle était réel ; ils peuvent dire j’ai « vu », ce qui s’appelle « vu » ; aucun raisonnement ne peut leur faire croire le contraire ; « ils ont vu », disent-ils.

Je cause avec l’un deux : « Pourquoi, me dit-il, laissez-vous rentrer cette femme dans votre établissement » ? — « Quelle femme ? » — « Cette femme qui est là à côté de moi ». — « Il n’y en a pas, je ne vois rien » ; — « Parbleu, vous voulez rire, vous la voyez aussi bien que moi » ; — « Vous la connaissez » ? — « C’est la cuisinière de ma mère ; elle vient chaque nuit dans ma chambre ; veux-tu t’en aller, vilaine ». — Ce malade, si vous le lui demandez, vous décrira des pieds à la tête cette personne ; elle est présente pour lui : elle a des cheveux noirs couverts d’un bonnet blanc tuyauté ; sa figure est sillonnée de rides ; ses yeux sont ronds, sa bouche édentés ; elle porte sur les épaules un fichu de couleur sur une robe brune, maintenant elle lui tend les bras : « veux-tu t’en aller vilaine », répète-t-il avec colère.

Telle est l’hallucination de la vue ; il en est de même pour les hallucinations de l’ouïe, du goût, de l’odorat ou du toucher. Ce qu’on vient de dire des images, peut s’appliquer aux sons, aux odeurs, aux saveurs, aux sensations diverses du tact.

Parlons des hallucinations de l’ouïe qui jouent un grand rôle dans l’état de Marie Alacoque.

Le plus souvent ces hallucinations sont faibles au début, mais augmentent d’intensité à mesure que la maladie s’aggrave ; l’halluciné ne perçoit qu’un léger bruit semblable au murmure d’une source, au bourdonnement d’un insecte ; puis c’est une voix qui trop faible d’abord pour être distinct, devient un peu un peu plus forte et plus nette ; ce sont des phrases ; la voix n’est plus seule, deux, trois, dix, cent personnes se font entendre ; ce ne sont plus des phrases, ce sont des cris, des injures, des vociférations ; enfin produisant l’état de manie aiguë, c’est le bruit d’une foule hurlante poussant des clameurs et des cris de mort ; c’est un bruit comparable à celui de la fusillade et du canon. Il semble que le poète Victor Hugo dans sa ballade des Djinns, ait voulu reproduire la [p. 117] marche de l’hallucination de l’ouïes et l’intensité toujours plus grande des bruits ; l’haleine de la nuit, le galop d’un nain, une voix qui sonne comme un grelots, la cloche d’un couvent maudit, le bruit de foule qui tonne et qui roule, les ifs et les pins fracassés qui craquent sous l’incendie, les voix de l’enfer, voix qui hurlent et qui pleurent ; puis l’hallucination arrivée à son apogée commence à décroître ; les bruits deviennent peu à peu moins forts, confus, vagues, puis, l’espace efface le bruit. De même chez le malade, l’intensité des hallucinations décroît en même temps que l’état aigu fait place à l’état chronique ; si la guérison survient, les voix deviennent confuses, indistinctes, faibles, et s’éteignent comme le bruit de pas d’un voyageur qui s’en va et se perd dans le lointain.

Dans certains cas, le malade aura des conversations avec les voix qu’il entend, tantôt comme deux amis assis l’un près de l’autre et causant familièrement, tantôt comme deux ennemis furieux et se disputant ; les hallucinations de l’ouïe exprimeront les préoccupations ordinaires du malade, comme plus haut, les images étaient le reflet de ses pensées. C’est alors que les personnes dévotes auront des entretiens avec Dieu, la Sainte Vierge et les saints ; c’est alors que certaines gens qui s’occupent de magnétisme, non content de faire parler les tables causeront familièrement avec les grands personnages de l’Antiquité ; c’est alors comme nous le verrons plus loin que Marie Alacoque aura des conversations fréquentes avec Jésus-Christ.

Étudions maintenant l’impression causée sur les malades par ses diverses sensations de l’ouïe ; ces bruits produisent des effets variées, suivant leur intensité et suivant le caractère de la personne qui les perçoit : ce malade qui n’entend qu’un murmure léger, des sons de cloches lointaines, une conversation à peine perceptible, pourra se rendre compte de la fausseté de la sensation ; il pourra vivre en liberté de la vie ordinaire sans qu’on se doutent de sa maladie ; c’est autre qui ne peut se débarrasser de l’obsession d’une voix lorsqu’il est dans l’intérieur de la maison, s’il est dans la rue, il ne l’entendra plus, on n’y prêtera pas attention, les bruits réels couvrant ce murmure ; mais rentré chez lui, le silence s’étant fait, il recommence à percevoir la voix ; c’est pour lui une importunité qui le rend malheureux, qui bientôt va le troubler et l’empêcher de vaquer à ses affaires. Les gens de son entourage s’aperçoivent déjà qu’il devient bizarre et aliéné, lorsque les étrangers le jugent encore sain d’esprit.

Le mal est plus fort ; le bruit de voix accentue et des paroles deviennent distinctes, l’halluciné ne se rend plus compte de l’erreur de sa perception ; il ouvre les portes des chambres voisines pour chercher la personne qui parle ; il monte dans son grenier, il descend dans sa cave, persuadé que les bruits qu’il entend proviennent de personnes cachées. Une de ces malades entend la voix de son mari et de ses enfants qui se plaignent à elle et lui demandent secours ; après les avoir cherchés dans toute la maison, elle se persuade qu’ils sont dans les souterrains creusés [p. 118] au-dessous du bâtiment qu’elle habite ; à partir de ce moment, son seul but est de trouver l’escalier qui y conduit ; elle a un rire moqueur lorsque nous lui affirmont qu’il y a chez nous ni cave ni catacombes : « vous êtes assez fin, nous dit-elle, pour avoir bien caché l’entrée, mais comme j’entends parfaitement la voix de mon mari et celle de mes enfants, je sais à quoi m’en tenir ». Nous faisons venir sa famille ; elle voit, elle touche, elle entend son mari et ses enfants, mais comme dans le même instant la voix arrive à ses oreilles, elle entre dans une grande agitation et nous accuse de diablerie ; suivant que ses enfants sont triste ou gai, cette personne est également heureuse ou malheureuse. Nous verrons tout à l’heure Marie Alacoque subir des impressions variées suivant ses hallucinations, ressentir toutes les joies de l’amour ou de toutes les terreurs de l’enfer, suivant que Jésus-Christ ou le démon lui parlera.

Du reste ses hallucinations sont les mêmes chez des personnes d’une autre religion : un Israélites est atteint d’hallucinations de l’ouïe qui produisent le délire de persécution et la manie homicide ; il entend la voix de Dieu ; il passe des journées et des nuits en prière, après n’avoir eu que des sentiments religieux très peu fervent, pendant la première partie de sa vie : Dieu lui dit que sa femme le trompe, que ses enfants ne sont pas les siens, alors entrant dans des excès d’excitation qui épouvantent sa famille, il menace de tuer tous ses proches ; un jour se croyant l’interprète des volontés de Dieu, il tire un coup de revolver dans la poitrine de sa femme.

Parfois aussi en même temps l’ouïe et la vue sont hallucinés ; alors comme Jacob avec l’Ange, le malade se dispute et lutte avec un être imaginaire, qu’il frappe, de coups redoublés, croyant le voir dans le vide.

Il arrive qu’en dehors de ces moments d’hallucinations, quelques une de ces personnes ne paraissent pas folles aux yeux du public : ainsi dans le courant de la vie ordinaire, la malade dont j’ai parlé plus haut, travaille, s’occupe, lit, et cause avec beaucoup de bon sens et d’esprit ; elle s’intéresse à tout et à tous ; très serviable, elle se fait aimer de tout le monde ; si on ne la met pas sur le chapitre du souterrain, personne ne s’aperçoit qu’elle est malade ; elle écrit à sa famille des lettres pleines de raison et de bons sentiments ; une personne bien portante ne pourrai faire mieux ; comme Marie Alacoque elle pourrait rédiger ses mémoires et les faire imprimer.

Si la maladie s’aggrave, si les mots et les conversations sont remplacés par des cris et des injures, l’halluciné répondra et l’on entendra sortir de sa bouche tout le vocabulaire des mots grossiers soit qu’il les adresse à des êtres imaginaires, soit qu’il les lance à la face des personnes présentes.

Enfin lorsque survient la manie aiguë ; lorsque se produit le bruit d’une foule poussant des clameurs, ou le fracas de deux armées se heurtant avec des bruits d’armes terribles, ou le chœur immense de démons et d’esprits infernaux criant : « il est perdu il périra dans les [p. 119] flammes de l’enfer ! » alors les malades, frappés d’épouvante, poussent des cris affreux et montrent par leurs actes désordonnés à quel degré de terreur et de désespoir ils sont parvenus. Nous verrons plus loin, en racontant la vie de Marie Alacoque, se dérouler ces divers degrés d’hallucinations de l’ouïe.

Je ne décrirai pas réussi les hallucinations de l’odorat et du goût ; il est facile après la description de celle de l’ouïe et de la vue de se rendre compte de leur production, de leur évolution et des actes dont elle sont la conséquence.

J’arrive aux hallucinations du toucher, et dans celle-ci je comprends celles qui sont localisées dans les organes de la reproduction ; c’est surtout de ses dernières dont nous parlerons. Chacun se rendra compte de ce qui se passe dans ce cas, en se souvenant de ce qui arrive dans le rêve : chez les aliénés le rêve a lieu sans le sommeil : le malade dont j’ai parlé, qui entend la voix de son ancienne cuisinière, sent cette dernier dans son lit, lorsqu’il est couché ; quelques fois il la repousse, il l’injurie, lui jettes à la tête ses coussins et ses oreillers ; c’est une vraie bataille, mais enfin il faut céder ; la femme, nous dit-il, le prend dans ses bras, le serre contre elle, en lui donnant comme en réalité les plaisirs de l’amour ; le lendemain on trouve les traces véritables de ce rapprochement imaginaire.

Une dame a un diable qui couche chaque nuit avec elle sous la forme d’un beau jeune homme ; elle le préfère de beaucoup à son mari, nous dit-elle, parce qu’elle éprouve avec lui des sensations extraordinaires ; pendant le jour ce diable est logé au fond de son corps, sous la forme d’un petit serpent ; elle le sent très bien, il remue sans cesse. Lorsqu’il est couchée, il sort de sa retraite et prend la forme humaine pour devenir son amant.

Une jeune fille est réveillée souvent pendant la nuit par un homme qui abuse de son corps ; elle ne l’entend jamais venir, il se trouve tout d’un coup couché sur elle, sans qu’elle sache comment la chose s’est faite ; pressé sur sa poitrine, tout son être pénètre dans le sien ; les choses, nous dit-elle le lendemain, ce sont passées de tette sorte qu’elle en souffre et nous accuse de permettre ce viol.

Une vieille dame, elle a 79 ans, présente chaque année pendant quelques semaines des accès de manie érotique : étendue sur son lit, ses cheveux blancs en désordre, la face vultueuse, les mains ouvrant l’organe génital, on la voit soupirer et se pâmer sous un homme qu’elle nous dit sentir ; notre présence ne la trouble nullement ; elle est toute entière à son hallucination.

Des jeunes filles aliénées, a dit le docteur Calmeil, qu’on a pas perdu un seul instant de vue, font quelquefois à leur famille des confidences les plus embarrassante sur leurs amours secrètes ; des demoiselles habituellement chastes et retenues ne répondent que par un débordement d’injures, en s’entendant désigner par le nom de mademoiselle. Saint Bernard exorcisa publiquement dans la cathédrale de Nantes, en [p. 120] présence d’un peuple nombreux et de plusieurs saints évêques, un esprit lascif qui imposait ses caresses à une jeune femme jusque dans le lit conjugal ; ô naïf Saint-Bernard !

Il suffit de visiter un hôpital d’aliénés pour rencontrer des faits semblables : de nombreuses thèses ont été écrites sur ce sujet.

Comme on le voit, les hallucinations de Marie Alacoque ne sont pas une exception dans l’histoire des maladies mentales, ce sont des faits très commun, qui est loisible à tous ceux qui le désirent, de connaître par eux-mêmes, de toucher du doigt pour ainsi dire.

Au temps des hallucinés de Loudun et de Louviers, au temps du règne du diable sur les cerveaux terrifiés, au temps des incubes des succube, ces pauvres malades ont vu, entendu et subi les approches du Démon. Au XVIIe et XVIIIe siècle la religion se dépouille de ses idées de terreur ; l’idée de l’amour de Dieu règne en maîtres ; la prière devient un anéantissement de l’êtres humains dans le sein du sauveur ; on aime Dieu comme on aime un amant ; on lui parle, on le prix avec la même langue dont ce servent les vulgaires amoureux. Dans les livres de dévotion, les déclarations brûlantes, presque érotiques adressées à Dieu ou au Saints semblent tirées d’une page enflammée des poésies ou des romans de l’époque ; plus tard viendront Fénelon et Madame Guyon et malgré les paroles sévères de Bossuet, les femmes pieuses continueront à se pâmer d’amour au pied du Christ. Marie Alacoque sera de son temps : comme d’une part ses hallucinations lui font sentir des approches charnelles, comme d’autres part ses idées sont tournées du côté de l’amour divin, elle attribuera à Jésus-Christ les caresses qu’elle ressent.

Dans un ouvrage intitulé : « Emblèmes d’amour divin et humain ensemble » renfermant des eaux-fortes par Messager avec explication des gravures par un Père Capucins, on voit Jésus-Christ adolescent et une jeune femme représentant l’âme humaine, jouant ensemble tous les jeux de l’amour ; les vers brûlants de passion du moine qui accompagnent chaque gravure, font de cet ouvrage, à moitié érotique, un des plus curieux du XVIIe siècle ; il explique l’état dame des religieux et des religieuses dans les couvent ; Marie Alacoque dans ses mémoires parle le même langage que le Père Capucins dans son livre : quelques une des scènes entre elle et Jésus qu’elle décrit sont analogues à celles reproduites dans la série des gravures « des Amours divin et humains ensemble ».

Chez Marie Alacoque les scènes d’amour avec Jésus persisteront tant que l’état d’âme sera imbibé pour ainsi dire de ses pensées mystique ; mais un jour, on lui fera peur, on lui dira que c’est le démon qui prend la forme de Jésus-Christ pour vivre avec elle ; on lui décrira sous une forme terrible l’enfer de ses tourments, alors suggestionnée elle aura des hallucinations terrifiantes du diable et des feux éternels produisant un état de manie aiguë, qui nous décrira dans son mémoire.

(A suivre).

Notes

(1 Définition de l’hallucination par Esquirol : un homme qui a la conviction entière d’une sensation actuellement perçue, alors que nul objet extérieur propre excité cette sensation n’est à la portée de ses sens, est dans un état d’hallucinations.

[p. 150]

Marie Alacoque, sa folie hystérique, par M. le Dr ROUBY, d’Alger.
(suite)

On l’éleva, dès sa première enfance, dans les pratiques de dévotions exagérée ; « j’entendais la messe », écrit-elle, « les genoux nus, quelque froid qu’il fît ; toute mon inclination était dès lors de m’aller cacher dans quelques solitude, mais la crainte d’y trouver des hommes me retenait. J’offrais à la Sainte Vierge la petite couronne du rosaire, les genoux nus terre, ou bien en faisant autant de génuflexions qu’il y a d’Ave Maria, et en baisant la terre autant de fois. » Elle fut placée dans un couvent à l’âge de huit ans ; elle y ressentit les premiers symptômes de son mal : « Lorsque je voulais prendre quelques-uns des petits plaisirs et divertissements de mon âge, je sentais toujours intérieurement quelque chose qui m’en retirait et qui m’appelait en quelque coin à l’écart, sans me laisser de repos que je n’eusse suivi ce mouvement ; ensuite cet esprit me faisait mettre en prières presque toujours prosternée ou les genoux nus ». p. 151]

C’est ainsi que Marie à la coque décrit une première hallucination verbale auditive, mais faible encore.

Pour donner à Dieu quelques gouttes de son sang elle se liait les doigts et s’y plantait des aiguilles ; elle prenait la discipline en carême tous les jours, tant qu’elle pouvait pour honorer la flagellation de Dieu. Les trois derniers jours du carnaval, elle aurait voulu se mettre en pièces pour réparer les outrage que les pécheurs faisaient à la Divine Majesté ; d’ordinaire elle jeûnait trois jours de la semaine au pain et à l’eau. Ses pratiques austères, elle est continua pendant toute sa vie et elles contribuèrent à la maintenir dans cet état de chlore-anémie si favorable à la production des symptômes nerveux.

Il est probable qu’une maladie toxique fut la  cause de l’hystérie de Marie Alacoque ; car parmi les autres agent provocateurs nous n’avons trouvé ni l’hérédité, ni les émotions morales vives, ni le traumatisme, mais au moment de la menstruations, « je tombai malade, dit-elle, d’une maladie qui me réduisit à un état pitoyable que je fus quatre ans environ sans pouvoir marcher ; les os me perçaient la peau de tous côtés. » On sait combien sont nombreux les exemples d’hystérie développée pendant la convalescence des maladies infectieuses, surtout chez les sujets jeunes et prédisposés.

Si c’eût été un médecin qui eût décrit l’affection de Marie Alacoque, nous aurions la description complète des stigmates soit d’ordre sensitif, soit d’ordre moral, soit d’ordre psychique, stigmates que l’on trouve toujours plus ou moins complets ; mais comme c’est la malade elle-même, ne l’oublions pas, qui raconte son mal non à un point de vue médical, mais un point de vue surnaturel, ce n’est que, par hasard, dans des lambeaux de phrases que nous pourrons en noter quelques-uns. Il n’en est pas de même des accidents hystériques : bien que la malade leur donne une interprétation non scientifique, nous allons en raconter, chez elle, quelques un des principaux bien caractérisés, par exemple, les états d’extase, les attaques petites et grandes de convulsions, enfin la folie hystérique avec ses hallucinations de l’ouïe, de la vue et surtout des organes génitaux. Nous suivrons, pour noter ces divers symptômes la relation même que nous a laissée Marie Alacoque, sans décrire par chapitre séparé, les diverses formes d’hallucinations.

Un jour on veut marier Marie Alacoque ; cette idée lui cause une grande émotion elle a des hallucinations de l’ouïe qui prennent la tournure de cette idée : « Jésus-Christ me fit entendre qu’il était le plus beau, le plus riche, le plus puissant, le plus parfait et le plus accompli de tous les amants ; il me reprochais que, lui étant promise depuis tant d’années, je pense cependant à rompre avec lui pour prendre un autre époux : « Oh ! apprends que si tu me fais cette injure, je t’abandonne pour jamais ; si au contraire, tu m’es fidèle, je ne te quitterai point et je te rendrai victorieuse de toutes les ennemis ». — Ce divin époux de mon âme, comme s’il eût craint que je lui échappât pas encore, me demanda de consentir qu’il se rendit maître de ma [p. 152] liberté, parce que j’étais faible. Je donnai de bon cœur ce consentement et dès lors ils s’empara si fortement de ma liberté, qu’il me sembla n’en avoir plus en jouissance ».

Nous allons voir maintenant se produire les hallucinations du toucher et principalement celles des organes génitaux ; elles sont décrites d’une façon très explicite : « Ayant pris notre Saint habit, mon divin maître me fit voir que c’était le temps de nos fiançailles. Après quoi, il me fit comprendre qu’à la façon des amants passionnés il me ferai goûter dans ces commencements, ce qu’il y avait de plus doux dans la suavité de son amour. En effet ces divines caresses étaient si excessives, qu’elles me mettaient souvent hors de moi-même, et me rendait incapable d’agir, ce qui me jetait dans une si grande confusion que je n’osais paraître ». — C’était ce qu’elle appelait faire son oraison ; on voulait la retirer de cette oraison extraordinaire, mais en vain ; sitôt qu’elle était seule les hallucinations et l’extase revenaient.

« Ce fut après ces premiers sacrifices de toutes les grâces et faveurs de mon souverain maître redoublèrent. Elle inondèrent tellement mon âme, que j’étais contrainte de dire souvent : « suspendez, mon dieu, ce torrent où je suis abîmée, ou étendez ma capacité pour le recevoir.

« Le jour de ma profession, mon divin maître voulu bien m’agréer pour son épouse, mais d’une manière que je me sens incapable d’exprimer ; je dirai seulement qu’il me traitait comme une épouse du Thabor ; il me disait : laissez-moi faire ; chaque chose en son temps ; je veux que tu sois maintenant comme le jouet de mon amour et tu dois vivre ainsi abandonnée à mes volontés sans résistance, me laissant contenter à tes dépens ; mais tu n’y perdras rien ; soit toujours disposée à me recevoir, car désormais je vais faire ma demeure en toi, converser et m’entretenir avec toi ».

Les hallucinations de la vue vont se joindre à ce moment à celle de l’ouïe et du toucher : « Il me gratifia de sa divine présence, mais d’une manière que je n’avais pas encore expérimentée ; je le voyais et je le sentaistout proche de moi bien ; j’entendais sa voix ».

Les hallucinations du ses génital se produisaient surtout, lorsque Maris Alacoque était dans une position possible pour accomplir l’acte vénérien et ne se produisaient pas lorsque la position était gênante :

« La face contre terre ou à genoux, dit-elle, c’est la position que je prenais toujours autant que mes occupations et ma faiblesse me le permettaient ; ce grand Dieu ne me laissaient point de repos dans une situation moins respectueuse ; de sorte que je n’osais m’asseoir lorsque j’étais seule ».

À cette période de la maladie, Marie Alacoque avait des attaques d’extase ; ce sont celle-là qu’elle vient de décrire et dont elle parlera encore ; si c’eût été un autre témoin qui eût raconté la scène, il nous eût dit ceci : elle cesse tout à coup de parler et demeure immobile, les yeux fixes et mi-clos ; elle n’entend rien des bruits extérieurs, elle ne sent pas qu’on la secoue et qu’on la pince ; le visage reste coloré, la physionomie [p. 153] exprime l’étonnement et l’admiration ou bien le bonheur et la satisfaction ; parfois la malade semble serrer quelque chose entre ses bras ; parfois elle a des soubresauts du corps. Ces crises se prolongent environ un quart d’heure après quoi elle se réveille et sort lentement de son état ; elle déclare dans un endroit du récit, que pendant cette période d’extase, ses compagnes faisaient de vains efforts pour la réveiller.

« Comme je ne cache rien à ma Supérieure et à mes Maîtresses, quoique souvent je ne comprisse pas même ce que je leur disais, on m’avertit que c’étaient là des choses extraordinaires qui n’étaient pas propres aux filles de Sainte-Marie, qui ne voulaient rien d’extraordinaire et que, si je me retirais de cet état, on ne me recevrait pas à la profession ». Marie Alacoque désolée, essaye de lutter, mais en vain : Jésus rendit mes efforts inutiles : combattons, ma fille, me disait-il, nous verrons qui des deux remportera la victoire, mais celui qui sera vainqueur le sera pour toujours ». L’esprit qui me possédait avait déjà pris un tel empire sur le mien, que je n’en pouvais plus jouer non plus que mes puissances intérieures que je sentais toutes absorbées en lui.

Un jour mon Divin Maître me demanda, après la sainte communion, de lui réitérer le sacrifice que je lui avais fait de ma liberté et de tout mon être ; ce que je fis de tout mon cœur, pourvu, lui dis-je, que vous ne fassiez rien paraître d’extraordinaire en moi de ce qui pourrait m’humilier devant des créatures et me détruire dans leur estime : « Ne crains rien, ma fille, j’y mettrai bon ordre, répond Jésus-Christ. »

Un jour de l’octave du Saint-Sacrement, je reçus mon Dieu des grâces successives de son amour ; me sentant touchée du désir de quelque retour et de lui rendre amour pour amour, il me dit : « tu ne peux me rendre un plus grand qu’en faisant ce que je t’ai demandé. »

Marie présenta un jour à Jésus-Christ le testament par écrit que celui-ci avait exigé ; il l’agréa et lui fit à l’heure même donation de son sacré cœur « qu’il me fit écrire avec mon sang et me dicta lui-même » ; je le signai ensuite sur mon cœur avec un canif dont je me servis pour graver son sacré nom de Jésus.

Bonjour, Jésus lui demanda de Genève au pain et à l’eau pendant cinquante jours ; la Supérieure refuse ; alors Jésus force Marie à passer cinquante jours sans boire.

Parfois il me fut montrer une grande croix dont je ne pouvais voir le bout, mais elle était toute couverte de fleurs : « Voilà le lit de mes chastes épouse ; c’est là où le fin de mon amour doit consommer son sacrifice. » L’amour de mon dieu ne me laissait point de repos ni le jour ni la nuit.

Marie Alacoque arrive à ce moment-là un véritable état d’érotomanie et elle attribue à Jésus un véritable état de priapisme : on lui fait garder une ânesses son ânon dans un coin du jardin. Son amant divin est toujours [p. 154] À ses côtés ; lorsqu’elle est obligée de courir derrière ses bêtes, l’époux la suit dans tous ses mouvements : « il me tenait une si fidèle compagnie que toutes les courses qu’il me fallait faire pour mes ânes, ne me détournaient point de sa présence ; je ne pouvais mettre l’empêchement à ces sensations où il n’y avait rien de ma participation. »

J’ouvre ici une parenthèse, pour faire une citation qui fera comprendre mieux encore ce genre d’hallucinations et sera la confirmation de notre manière de voir. En 1896, le docteur Séglas, médecin aliéniste des hôpitaux de Paris, fut chargé de faire un rapport sur une des questions à traiter devant le congrès des médecins aliénistes ; » il s’agissait des hallucinations de l’ouïe. Dans ce rapport je trouve l’observation d’une malade ayant des symptômes identiques à ceux de Marie Alacoque pendant sa période d’amour ; je cite : « Pendant vingt minutes, raconte cette malade, j’entends mes meubles craquer ; (hallucinations auditives élémentaire) un peu après je vois dans une grande clarté Satan avec ses cornes (hallucinations visuelles) agissant en réduisant comme une vraie voix (hallucinations auditives) : « je retournerai ton corps de telle manière que tu feras ce que tu ne veux pas faire ». « Je ne puis vous dire ce que j’ai ressenti alors et que vous comprenez bien sans doute (hallucinations génitales) ; puis j’ai senticomme une grosseur à l’entrée de la matrice et de grandes secousses dans le ventre. »

Plus tard, chez Marie Alacoque, nous entrons dans une période plus grave de la maladie : c’est celle que je nommerai la période du feu : les sens de l’ouïe et de toucher sont toujours troublés mais l’effort principal se porte sur la vue : le feu et les flammes dans toutes leurs manières de se produire, formeront les principales hallucinations de notre malade, ce seront des lumières brillantes, des flammes étincelantes, des feux brûlant. Comme de coutume, elle attribuera les troubles de sa vision aux préoccupations pieuses de la vie monacale : les flammes appartiendront à Jésus qui lui montrera ses plaies avec des rayons, son cœur rouge dans une fournaise ; elles appartiendront au purgatoire avec les âmes entourées de feux, puis enfin à l’enfer plein de démons dans d’immenses flammes ; l’excitation deviendra alors si grande que nous aurons affaire à des crises cataleptiques est un accès de manie aiguë.

Un vendredi, jour de jeûnes, elle avait un accès d’extase avec hallucinations de la vue : elle voit un soleil brûlant qu’elle croit être le cœur de Jésus : « sa lumière est éclatante ; ses rayons tout ardents donnaient à plomb sur mon cœur, lequel se sentait embrasé d’un feu si vif qu’il semblait aller le réduire en cendres.

Une autre fois, Jésus mon Doux Maître, se présente à moi tout éclatant de gloire avec ses cinq plaies brillantes comme cinq soleil. Dans cette sainte humanité sortaient des flammes de toutes parts, mais surtout de son adorable poitrine qui ressemblait à une fournaise, laquelle s’étant ouverte me découvrit un tout aimable cœur qui était [p. 155] la vive source de ces flammes. Il me fit connaître en même temps les merveilles inexplicables de son pur amour. Quand je lui remontrais mon impuissance, il me répondit : tiens voilà de quoi suppléer à tout ce qui te manque et en même temps ce divin cœur s’étant ouvert, il en sorti une flamme si ardente que je pensais en être consumée ; j’en fus toute pénétrée et je ne la pouvais plus soutenir.

« Une autre fois à la chapelle, tout d’un coup, une personne tout en feu, se présenta devant moi ; les flammes dont elle brûlait, me pénétrèrent si fort, qu’il me semblait que je brûlais avec elle ; son état pitoyable dans la purgatoire me fit verser des larmes abondantes ; c’était un religieux bénédictin qui avait entendu ma confession une fois ; il s’adressait à moi pour trouver quelque soulagement à ses peines ; il me pria de lui appliquer tout ce que je pourrais faire et souffrir pendant trois mois ; je souffris beaucoup pendant cette période, car cette âme ne me quitta point. »

Marie Alacoque raconte une autre vision et ajoute : « tout le temps que durera cette vision, je ne me sentais plus, je ne savais plus où j’en étais. Lorsqu’on vint me retirer du lieu où je priais et voyant que je ne pouvais répondre, ni même me soutenir qu’avec une grande peine, l’on me mena à notre Mère ; j’étais toute tremblante et brûlante. La Supérieur me croyait folle et traitait avec mépris tout ce que je lui avais déclaré ».

On alla jusqu’à menacer de la prison la pauvre créature ; un Prince de la terre vint visiter le couvent ; on lui montra Marie Alacoque comme un jouet de moquerie, comme une visionnaire entêtée de ses illusions.

J’insiste sur ce point, c’est elle-même qui le raconte, la Supérieure et toutes les sœurs regardaient Marie Alacoque comme une aliénée durant tout le temps de son séjour au couvent, c’est-à-dire jusqu’à sa mort.

Omettant à dessein une foule d’hallucinations de diverses natures dont le livre est rempli, j’arrive à la fameuse hallucination sur laquelle on a basé le culte du Sacré-Cœur ; je ferai remarquer que les livres pieux qui cite les paroles entendues par la bienheureuse et que les plaques de marbre sur lesquelles on grave l’entretien, ne vont pas jusqu’au bout et omettent un dessein de parler de la saignée, conseillé par Jésus comme rafraîchissement aux vives flammes de l’ardeur de la bienheureuse ; cette idée de la saignée dans la bouche de Dieu est tellement saugrenue, qu’elle était suffisante, pour faire réfléchir ceux qui ont copié cette histoire et les arrêter dans leur projet de publier ces faits comme miraculeux ; ils ont préféré ne rien dire ; ils ont commis cette mauvaise action. La saignée était de mode alors et Jésus la recommande ; aujourd’hui qu’elle ne l’ est plus, il conseillerait un autre remède ; les douches par exemple, seraient mieux en situation ; de plus l’hystérie s’accompagne le plus souvent de chloro-anémie, et la saignée étant par conséquent contre-indiqué, l’on ne comprend pas cette erreur médicale de la part d’un Dieu omniscient. [p. 156]

Voici l’hallucination telle qu’elle est écrite dans le journal de Marie Alacoque :

« Une fois, devant le Saint-Sacrement, et me trouvant un peu plus de loisir que d’ordinaire, je me sentais toute investie de la présence de Dieu, mais si fortement que je m’oubliais de moi-même et du lieu où j’étais et je m’abandonnait à ce divin esprit, livre mon cœur à la force de son amour. Mon souverain Maître me fit reposer fort longtemps sur sa divine poitrine où il me découvrit les merveilles de son amour et les secrets inexplicables de son Sacré Cœur qu’il m’avait tenu cachés jusqu’alors.

Il m’ouvrit pour la première fois ce the vainqueur d’une manière Cyrielle est si sensible, qu’il ne me laisse aucun lieu de douter de la vérité de cette grâce, malgré la crainte que j’ai toujours de me tromper en tout ce que jeudi sur ces matières. Voici comment il me semble que la chose se passe. Jésus me dit : « mon divin cœur et si rempli d’amour pour les hommes et pour toi en particulier, que ne pouvant plus contenir en lui-même les flammes de son ardente charité, il faut qu’il les répande par ton moyen. Après ses paroles, il demanda mon cœur, je ne suppliais de le prendre, ce qu’il fit et le mit dans le sien adorable où il me le ait voir comme un petit atome qui se consumait dans cette ardente fournaise. Ensuite en le retirant comme une flamme ardente en forme de cœur, il le remit dans le lieu où il l’avait pris en me disant : « Voilà, ma bien-aimée, un précieux gage de mon amour ; j’ai renfermé dans ton côté une petite étincelle des plus vives flammes de cet amour, pour te servir de cœur et pour te consumer jusqu’au dernier moment de ta vie ; son ardeur de s’éteindra point, et tu ne pourras y trouver de rafraîchissement que quelque peu dans la saignée ».

Après une faveur si grande, laquelle durera un fort long temps, je demeurerai plusieurs jours comme toute enivrée et toute embrasée et tellement hors de moi, que je ne pouvais en revenir pour dire une parole.

Marie Alacoque croyais que le cœur loger au fond de la poitrine peut-être enlevé et changé de place à volonté comme une petite statue dans une niche ; Elle croyait aussi, comme le vulgaire de son temps, que le foyer de l’amour et des sentiments affectifs était le cœur ; elle prenait à la lettre les phrases des romans et des cantiques, où l’on parle à chaque instant d’un cœur qui brûle d’amour tantôt pour son Dieu, tantôt pour son amant. Elle ne savait pas que le cerveau seul et le siège de nos sentiments, comme il est le siège de notre intelligence et de notre volonté ; que par conséquent ce n’est pas son cœur, mais quelques-unes de circonvolutions cérébrales que Jésus aurait dû extraire de la boîte crânienne pour les faire brûler dans son encéphale divin. Elle ne savait pas que le cœur n’est que la pompe aspirante et foulantes du sang et dont les artères et les veines sont des tuyaux. O comique des choses ! entendre dire que cette pompe était placé dans un feu ardent ! O tristesse [p. 157] amère ! penser que des gens éclairés font croire aux foules de pareilles niaiseries.

Mais nous allons maintenant, avec les accès de manie aiguë, voir survenir une période plus grave ; le Démon et l’enfer vont entrer en scène est reléguer au second plan les entretiens amoureux et les échanges de cœurs enflammés.

« Je ne tarderai guère d’entendre les menaces de mon persécuteur, le Démon ; car s’étant présenté à moi sous forme d’un More épouvantable, les yeux étincelants comme deux charbons, grimaçant des dents contre moi, il me dit : « Maudite que tu es, je t’attraperai et si je puis une fois te tenir à ma présence, je te ferai sentir ce que je sais faire ; je te poursuivrai partout. » Il me semblait alors voir l’enfer ouvert pour m’engloutir ; je me sentais brûler d’un feu dévorant jusqu’à la moelle des os. Il me fit plusieurs fois semblable menace. »

« Dieu seul connaît tout ce que j’ai eu à souffrir alors tant de la part de mon naturel prompt et sensible, que de la part des créatures et surtout du Démon, lequel me faisant souvent tomber et rompre tout ce que je tenais entre les mains, et puis se moquait de moi, me riant quelquefois au nez : Oh la lourde ! Tu ne feras jamais rien qui vaille ; » un jour il me poussa du haut d’un escalier comme je tenais une pleine terrasse de feu ; je ne me fis aucun mal, bien que ceux qui me virent tomber, crussent que je m’étais cassé les jambes. Ce démon plongeait mon esprit dans une tristesse et un abattement si grands que je ne savais que faire et il m’ôtait le pouvoir de le découvrir à notre Mère.

« Ont cru que j’étais possédée ou obsédée du Démon ; l’on me jetait dessus force eau bénite, avec des signes de croix et des prières pour chasser le malin esprits. Mais celui dont j’étais possédée, bien loin de s’enfuir me serrait d’autant plus fortement contre lui, me disant : » j’aime l’eau bénite et je chéris la croix » ; enfin, la Supérieure ne sachant plus que faire de moi, me fit communier pour me remettre dans ma première disposition, mais cela ne dura guère et l’on commença à me dire que c’était le Diable qui était l’auteur de tout ce qui se passait en moi, et qu’il me perdrais par ses illusions si je lui prenais garde. »

Le démon l’attaquait parfois du côté du désespoir, lui faisant croire qu’elle serait privée de la position de Dieu et de sa part de paradis ; d’autres fois l’attaquait de vaine gloire, puis de gourmandise ; il lui faisait sentir des faims enragées ; il lui représentait tout ce qui est le plus capable de contenter le goût ; cette faim durait jusqu’au seuil du réfectoire où elle était prise d’un dégoût si grand, qui lui fallait faire une grande violence pour prendre un peu de nourriture ; la faim recommençait dès qu’elle était sortie de table ; ce sont symptômes de la maladie nerveuse.

(à suivre)

[p. 180]

Marie Alacoque, sa folie hystérique, par M. le Dr ROUBY, d’Alger.
(suite)

Nous arrivons à ce que nous pourrions nommer un comble, le comble de la folie.

On sait que presque toujours les hystériques, ayant atteint les périodes graves de l’aliénation, commettent les actes les plus répugnants et le plus contraires à la nature : Marie Alacoque n’y manquera pas : un jour elle boira le vomissement d’une autre malade ; un autre jour c’est le mot de Cambronne qu’elle mettra dans sa bouche non pas le mot seulement mais…. la chose.

Je cite : « lorsque mon Souverain Maître voulait quelque chose de moi, il me pressait si vivement qu’il me fallait céder ; mes résistances ne servaient qu’à me faire souffrir ; j’étais si délicate que la moindre saleté me faisait bondir le cœur, il me reprécise fortement là-dessus, qu’une fois voulant nettoyer les vomissements d’une malade, je ne puis me défendre de le faire avec ma langue. Il me fit trouver tant de délices dans cette action que j’aurais voulu avoir l’occasion d’en faire tous les jours deux pareilles. Pour me récompenser la nuit suivante, si je ne me trompe, il me tient bien deux ou trois heures la bouche collée sur son sacré cœur. »

Après les vomissements voici le reste :

Une fois que j’avais eu un soulèvement de cœur en servant une malade qui avait la dysenterie, il me repris fortement et je me vis contrainte, pour réparer cette faute, de surmonter ma délicatesse, de [p. 181] la même manière que je l’ai dit ci devant. Mon seigneur se moqua de moi et me dit : « tu es bien bonne de faire cela. »

Ces deux actes sont assez fréquents, dans les asiles d’aliénés ; je les ai notés chez les jeunes filles du monde chez lesquelles cette dépravation du goût paraissait monstrueuse.

Pendant cette triste période, les mêmes hallucinations poussent Marie Alacoque à faire en public quelque chose de honteux, nous dit-elle, qu’elle n’ose pas écrire : il est facile de deviner d’après l’analyse des sensations qu’elle éprouve et surtout par la connaissance de ce que font presque toutes les folles hystériques arrivées à ce degré de maladie : une force impulsive la poussait, je présume, à se montrer nue au milieu de la communauté.

Je trouve encore dans le journal de Marie Alacoque un cas très curieux pour que je ne le cite pas : « Un jour que la Supérieure m’avez envoyer tenir la place d’un Prince devant le Saint-Sacrement il m’arriva de subir des peines épouvantables d’impureté ; je me sentais si fortement attaquée d’abominables tentations qu’il me semblait être dans l’enfer ; cela durera longtemps ; je m’en plaignis et depuis on me fait tenir la place d’une bonne vieille religieuse de la Visitation ; les tentations alors cessèrent. »

Ce fait montre bien la naturiste hystérique de la maladie si facile à la suggestion ; le Prince avait une très mauvaise réputation au point de vue des mœurs, Marie Alacoque, en tenant sa place, a des sensations érotiques ; on lui fait tenir la place d’une personne vertueuse et les sensations disparaissent.

Conclusions :

Les situations précédentes auront suffi à convaincre non seulement les médecins aliéniste et ceux qui ont étudié les maladies nerveuses, mais encore le public qui lit et qui comprend. Ils diront avec moi, que Marie Alacoque était atteinte de folie hystérique sans qu’aucun doute ne puisse naître à ce sujet, sans qu’aucune contradiction basée sur des raisons admissibles puisse avoir lieu ; ceux qui garderont la foi au Sacré-Cœur, ne pourront le faire qu’en fermant volontairement les yeux.

La déduction de ce travail est facile à tirer : le culte du Sacré-Cœur crée par Marie Alacoque ou plutôt fondé sur ses hallucinations doit être aboli comme étant une abbération religieuse indigne de l’humanité

Mais généralisons davantage et disons que toutes les religions doivent se débarrasser de leurs miracles et de leur superstitions. (1)

Ce qui ont visité  Venise et son admirable église Saint-Marc, se souviennent que son pavé de mosaïque présente un spectacle étonnant ; au lieu de une surface plane, il forme des ondulations très marquées qui rendent, si on n’y prend garde, la marche périlleuse. L’église se tient [p. 182], debout, éclatante de dorures et d’émaux ; elle paraît d’une solidité à toute épreuve, mais nous savons que ses puissants pilliers de marbre et ses coupoles immenses, masse monumentale dont s’enorgueillit une ville superbe, mais nous savons dis-je, que cette cathédrale des doges est bâtie sur une forêt de sapins plantée dans les flots des lagune. Pendant des siècles, ces poutres ont résisté et ont donné une assise assez solide au bâtiment, mais peu à peu le bois a pourri, les poutres vermoulues ont fléchi et le parvis du temple incomplètement soutenu, c’est un abaissé par endroit, pendant que des lézardes menaçantes se produisaient dans les murailles. Maintenant pour que l’église Saint-Marc reste debout, il faut que de nouvelles poutres viennent remplacer les anciennes ; il faut qu’un pilier sans tares prenne la place du pilier vermoulu ; il faut que tout ce qui est pourri, disparaissent ; Il faut que de nouvelles fondations soient établies.

Il en est de même pour nous vieille religion ; pendant des siècles les légendes et les miracles sur lesquelles elles sont ont étagées ont résisté ; mais la critique est venue ; les sciences se sont développées ; on a regardé, on a examiné, on a scruté ces piliers, soutiens de cultes variés ; on a constaté qu’ils étaient pourris et prêts à s’effondrer ; il faut les remplacer aujourd’hui par de meilleures fondations, car tout va se détraquer est tomber.

C’est ma conviction qu’une religion est nécessaire, mais pour qu’elle soit acceptée, il faut que ce soit possible, c’est-à-dire quelle ne heurte en rien la raison et que reléguant parmi les légendes, soit les anciens soit les nouveaux testament, elle soit d’accord avec toutes les découvertes passées, avec toutes les découvertes futures de la science.

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*     *

TROISIÈME PARTIE. — La Chemise miraculeuse de Marie Alacoque. — L’hystérie est une maladie qu’il est bien connu que depuis un certain nombre d’années, depuis 20 ans à peine ; ce fut la gloire de Charcot et de ses élèves de l’étudier à fond et de l’arrivée pour ainsi dire, avec ses symptômes nombreuses et variées.

La caractéristique de ces symptômes, c’est qu’ils ne sont qu’apparents et simulent les symptômes vrais d’autres affections : ainsi, par exemple, une paralysie ordinaire se montre sous l’influence d’une lésion des centres nerveux, tandis qu’une paralysie de nature hystérique se produit sans lésion.

Un autre fait très important fut la découverte des rapports qui existent entre cette maladie et hypnotisme rapports tels qu’on peut aujourd’hui établir cette loi : les symptômes d’hystérie peuvent apparaître ou disparaître sur l’influence de la suggestion.

Ces deux faits scientifiques vont expliquer des milliers de miracles et de histoires merveilleuses qu’on mettait autrefois et que certains mettent encore aujourd’hui sur le compte de l’intervention de Dieu ou du Démon. Il suffit d’en lire les relations pour comprendre qu’on se trouve en présence de faits hystériques ou de phénomènes de suggestion. [p. 183]

Les livres traitant de l’hypnotisme, je parle des livres sérieux, sont remplis d’observations de guérisons naturelles, on aurait cru surnaturelles autrefois.

L’histoire de cette maladie se répète de siècle en siècle : c’est toujours le même : « Lève-toi et marche », prononcé depuis le commencement du monde, jusqu’à nos jours, par tous les thaumaturges connus ou inconnus, païens ou chrétiens, de l’ancien et du nouveau testament, inspirés par le Ciel ou par l’Enfer. Ce sont toujours les mêmes paralysies, les mêmes contractures musculaire, les mêmes névralgies guéries avant-hier par la Salette, hier par Paray-le-Monial, aujourd’hui par Lourdes.

Maintenant, tous les médecins peuvent au moyen de la suggestion faire marcher ces malades ou leur enlever leur mal, sans qu’on soit obligé de crier au miracle, sans qu’on soit entraîné à dédier un temple ou une simple chapelle à ces guérisseurs purement humains.

Dans cet œuvre d’idées qui écrit ce mémoire. Mais, avant de raconter l’histoire de la Chemise de Marie Alacoque, je veux citer deux exemples de ces guérisons naturelles tirés de ma pratique, pour mieux expliquer ce qui arriva à autrefois à Paray-le-Monial.

J’avais dans ma clientèle une jeune fille atteinte d’hystérie ; elle prenait chaque mois des crises convulsives qui remplissaient de terreur toute la maison ; on m’appelait en toute hâte : lorsque j’arrivais, le plus souvent la convulsion était finie et je trouvais la malade dans un état de catalepsie, étendue sur son lit, sans connaissance, ne pouvant faire aucun mouvement, insensible à la douleur, avec des membres inertes qui prenaient la position qu’on voulait lui donner. Je lui disais d’une voix forte : « Ouvrez les yeux », elle les ouvrait ; « Donnez-moi la main », avec un effort elle me la donnait ; « Levez-vous », elle se levait ; « Marcher vite », elle se mettait à courir à travers l’appartement ; « Couchez-vous et ne soyez plus malade », elle était guérie. Si j’arrivais avant la fin de la période convulsive, je la faisais cesser de la même façon.

Les voisins qui remplissaient la chambre me regardaient avec une stupéfaction admirative : pour les gens ignorants, je faisais un miracle ; il m’aurait suffi de jouer une petite comédie pour être mis au rang des saints et des prophètes ; c’est ainsi que beaucoup le sont devenus autre fois, lorsqu’on ignorait que la suggestion est une méthode de traitement.

Pour terminer l’histoire de cette malade, je dirai que je lui fis des séances d’hypnotisme pendant quelques mois : je lui défendit d’avoir des convulsions, je lui suggérai, qu’elle n’en aurait plus et que même elle ne pourrait plus en être atteinte ; elle cessa d’en avoir et finit par guérir complètement ; aujourd’hui elle est mariée et mère de plusieurs enfants.

Le second exemple est le suivant :

On m’amena un jour une jeune fille de 16 ans ; comme la compagne de Marie Alcoque dont nous allons raconter l’histoire, elle avait depuis quelques mois une contracture de la main. Je lui fis subir une forte friction, avec des mouvements répétés d’extension et de flexion des doigts ; [p. 184] puis j’appliquai aux deux extrémités des muscles extenseurs de l’avant-bras, les pôles d’une pile électrique ; pendant ce temps je ne cessais de dire à la malade que la guérison allait avoir lieu, que j’en étais certain, qu’elle devait en être persuadée, tant et si bien qu’elle eut confiance, qu’elle eut la foi : elle sentit alors que ses doigts pouvaient s’étendre ; je pressais la suggestion ; quelques minutes après, elle fut tellement persuadée, qu’elle allait être guérie que lorsque je lui dis : « c’est fini vous êtes guérie, » elle le fut véritablement ; inutile de dire que frictions, mouvements, application de électricité, ont agi surtout par la suggestion.

La personne qui accompagnait les malades fut fort étonnée ; comme dans le cours de la conversation, j’avais parlé d’une façon irrévérencieuse de cas semblables guéris à Lourdes, comme d’autres part elle croyait naïvement aux miracles, je crains qu’elle n’est supposé que j’avais certaines accointances avec le Diable, car elle me quitta plutôt froidement. Ignorant l’hystérie et ses symptômes variés et bizarres, ce qui nous paraît naturel et simple, passait à ses yeux pour surnaturel et miraculeux.

Le docteur Crolas, professeur à la Faculté de médecine de Lyon pris comme sujet de thèse (1867) les Paralysies hystériques ; Une des malades dont il relate l’observation, donna lieu précisément à un débat fort curieux : Une jeune fille hystérique était atteinte depuis fort longtemps d’une paralysie complète de la jambe droite. Le chirurgien en chef de l’hôpital, lui fit un bandage silicaté autour du membre et la fit marcher par ce moyen ; puis il la renvoya pendant quinze jours dans sa famille en lui recommandant de se promener du matin au soir, et en lui persuadant qu’elle serait guérie dans 15 jours si elles suivent exactement ce traitement. Sur l’inspiration des sœurs de l’hôpital, l’enfant et la mère faire une neuvaine à Notre-Dame de Fourvière, pour obtenir la guérison. La vierge de Fourvière pour celle qui fait des miracles dans la région lyonnaise.

Lorsque l’enfant rentra à l’hôpital, on lui enleva son bandage et on constata à la guérison. Les sœurs et la famille crièrent au miracle et exigèrent du chirurgien-major et de l’interne de service, un certificat constatant l’intervention divine. Ils s’y refusèrent comme bien l’on pense ; alors il y a eu un véritable tumulte à l’hôpital à ce sujet ; on traita le corps médical de suppôt de Satan que l’on proclama, malgré l’absence du certificat, que Notre-Dame de Fourvières venait de faire un nouveau miracle ; les journaux religieux relatèrent l’histoire en donnant tous les bénéfices de la guérison à l’intervention divine ; une belle jambe en cire fut pendue aux parois du temple de la Vierge et s’y trouve peut-être encore.

Ce sont des faits analogues qui se produisirent après la mort de Marie Alacoque ; deux faux miracles firent la réputation de la bienheureuse et la classèrent comme tel.

Ce sont ces deux faux miracles qui font l’objet principal de ce mémoire : ils eurent une grande importance et d’immenses conséquences puisqu’on [p. 185] se base sur eux, pour établir le culte du Sacré-Cœur, culte qui s’est étendu depuis sur le monde entier, culte qui vient de prendre possession de Paris en s’établissant dans l’immense basilique de Montmartre.

Il suffira de lire la relation de ces faits miraculeux pour comprendre qu’on se trouve en présence de symptômes non douteux d’hystérie, guéris tous les deux par la suggestion (2)

Un archevêque, celui d’Arras, qui n’avait au sujet de cette maladie que les connaissances bornées ou nulles de l’époque, écrivit à ce sujet une lettre plus édifiante que savante, dans laquelle le miracle de la chemise est raconté de la manière suivante :

Une jeune religieuse du couvent de la Visitation avait la moitié du corps paralysé ; elle était agitée par des convulsions horribles ; elle était réduite à une faiblesse si grande qu’on avait peine à la tirer de son lit, pour l’accommoder ; l’on osait le faire que tous les huit jours. En moins d’une demi-heure, cette fille passa de cet étrange état à une santé parfaite ; elle se leva seul, s’habilla de-même, marcha sans bâton et vint à l’église remercier Dieu.

Comment ce grand miracle avait-il eu lieu ? On avait persuadé à la malade, on dit persuadé, on devrait dire suggestionné, qu’elle guérirait si elle voulait mettre la chemise déposée sur le tombeau de Marie Alacoque ; elle avait mis la chemise et avait été subitement guérie.

L’histoire ne dit pas si cette chemise avait appartenue à Marie Alacoque ou si c’était une chemise quelconque qui avait acquis sa vertu par rapprochement avec le tombeau de la bienheureuse.

L’autre fait miraculeux, nous dit le même archevêque, arriva à sœur Claude : A la suite d’une violente colique qui dura deux jours, il lui vint une paralysie dans le côté droit ; elle était dans l’impossibilité de tirer aucun secours de son bras droit, ni même de le remuer, ni de s’appuyer sur sa jambe ; tout ce même côté était insensible ; en sorte qu’ayant plusieurs fois été piquée au pincée, pour exciter quelques sentiments, elle n’en avait jamais rien ressenti. Elle ne pouvait non plus se tenir assise à cause des convulsions et tremblements qu’elle éprouvait dans la partie affligée. Huit jours après le début, les doigts de sa main se retirèrent, ce comprimant les uns sur les autres et se repliant sur la paume, sans qu’on puisse de vive force les lui faire étendre dans la situation naturelle. Les doigts du pied droit subirent les mêmes contractions, s’étant retirés du côté du talon. Voici comment advint sa guérison : pendant la nuit elle eut un songe ; elle rêva qu’elle mettait la chemise miraculeuse et qu’elle était guérie. Ce songe lui ayant donné la confiance qu’elle n’avait pas, au réveil, elle demande avec empressement qu’on lui donnât la dite chemise ; l’ayant mise et [p. 186] s’étant recouchée, elle sentit environ un quart d’heure après, comme un peu de froid dans les mains ; puis un peu après, une chaleur générale et douce, ce qui lui fit juger qu’elle allait mieux. Elle se lève et se met à genoux ; puis elle s’habille et se promène ; elle était guéri.

Dans ce cas, la guérison eu lieu par auto-suggestion.

Plus loin, comme si elle voulait mieux prouver encore son état hystérique et le rôle de la succession dans la guérison, elle continue son histoire ainsi : Pour remercier Marie Alacoque, elle avait demandé cinq messes curé de la ville. Celui-ci différa de les dire pendant quinze jours, durant lesquels la religieux souffrit toujours la même faiblesse, mais comme l’ecclésiastique avait commencé à dire la première des cinq messes, elle se sentait soulagée ; lorsque les cinq messes furent dites, elle était guérie et elle resta bien portante depuis ce moment.

N’est-ce pas là deux faits typiques de suggestion guérissant des symptômes hystériques ? N’est-ce pas là ce que, nous, médecin avons à traiter chaque jour ? Les symptômes si bien décrit par l’archevêque d’Arras ne semble-t-il pas tiré d’un livre de médecine traitant de l’hystérie ? N’ai-je pas raison de dire qu’il y a rien de miraculeux dans ces deux faits de guérison ?

Le flambeau brillant tenu par Charcot et d’autres médecins, à éclairer ce coin obscur de la science et a montré d’une part, que les paralysies hystérique était de fausses paralysies, et d’autres part, sans une intervention surnaturelle ait rien à y voir, ces fausses paralysies peuvent être guéries par une suggestion quelconque. C’est parce qu’il savait la puissance de la suggestion que le docteur Charcot disait à un malade atteints de paralysie de nature hystérique, qui avait une grande confiance dans la vertu curative des eaux de Lourdes : « si vous avez la foi, allez-y, vous en reviendrez guéri ». Il l’aurait envoyé même à Jérusalem, si au lieu d’être catholique, il eût été juif et eût cru que le mur des lamentations avait une vertu curative ; il n’aurait envoyé à la Mecque, si mahométans, il eût cru à la puissance miraculeuse de la pierre noire ; bouddhiste, il l’eût envoyé jusque dans l’Inde, embrasser le pied d’un bouddha quelconque. En fait d’hystérie, tous les dieux font des miracles.

Mais terminons l’histoire de sœur Claude : pour attester la vérité du miracle, outre le témoignage de deux religieuses, Monseigneur d’Arras cite la déposition de deux médecins et de deux chirurgiens qui avaient traité la malade et qui certainement était de bonne foi, en affirmant les faits ; mais ils avaient de la répugnance à le croire et leur déclaration se ressent de cette disposition d’esprit ; ils certifient les faits, sans conclure au miracle. À ce moment l’histoire complète de l’hystérie n’était pas faite ; sauf la crise convulsive, les médecins eux-mêmes ignoraient les multiples formes que peut prendre cette affection en troublant soit les nerfs moteurs et sensitifs du système nerveux, soit les nerfs insensible du grand sympathique ; ils ignoraient de-même le pouvoir curatif de la suggestion. [p. 187]

Il n’en est plus de même aujourd’hui ; nous ne sommes plus au XVIe siècle et les médecins du XXe ne regardent plus comme miraculeux les guérisons des malades hystérique.

C’est ainsi que deux hystériques furent la cause d’un nouveau culte. On peut donc gravé en lettres d’or au-dessus de la porte de la nouvelle basilique de Montmartre ces trois mots qui résumeront l’origine du culte du Sacré-Cœur : « Hysteria me fecit » ;

Notes

(1) On m’objecte des fausses sensations de la vue comme le daltonisme et des fausses sensations du toucher qui ne sont pas des hallucinations. Ce sont des fausses impressions, ce ne sont pas des fausses perceptions ; celle-ci seulement sont des hallucinations.

(2) Vie de Marie Alacoque imprimée en 1729 par Languet (in-4°) avec plusieurs lettres et opuscule. — C’est parmi ces lettres qu’on trouvera celle de l’archevêque D’Arras qui raconte l’histoire de la chemise miraculeuse.

 

 

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