De la Démonomanie. Extrait du « Traité de la folie des animaux, de ses rapports avec celle de l’homme et les législations actuelles, Par Pierquin. 1839.

PIERQUINDEMONOMANIE0001Pierquin. De la Démonomanie. Extrait du « Traité de la folie des animaux, de ses rapports avec celle de l’homme et les législations actuelles, Précédé d’un Discours sur l’Encyclopédie de la folie, et suivi d’un Essai sur l’art de produire la folie à volonté, par Pierquin, officier de l’Université, ancien médecin de la Charité, membre de plusieurs Académies royales, nationales et étrangères, etc. Revu par Georges et Frédéric Cuvier, Magendie, Schnoell, Mathey, Huzard, etc. Paris, Béchet jeune, Treuttel et Wurtz, Cherbuliez et Cie, Mme Veuve Huzard, 1839. 2 vol. », pp. 554-559.

 

Pierquin [Claude-Charles Pierquin de Gembloux (1798-1863). Médecin et polygraphe, dont on dénombre à ce jour plus de 180 publications, retenu par André Blavier dans « Les Fous littéraires », Paris, Veyrier, 1982, et par Noël Arnaud, dans « Un hétéroclite hétérogène : Pierquin de Gembloux » dans la revue Bizarre, nouvelle série, n° IV, avril 1956. – Très Quelques publications :
— Sur le retour des Ames, & de la manière dont les Morts peuvent s’apparoître aux Vivans. Vingtième dissertation. Extrait des « Œuvres physiques et géographiques », (Paris), 1744, pp. 363-372. [en ligne sur notre site]
— Poésies nouvelles. Bruxelles, H. Tarlier, 1828.
— De la Peine de mort et de son influence sur la santé publique. (1830)
— Notices historiques, archéologiques et philologiques sur Bourges et le département du Cher. Bourges, Just Bernard, 1840.
— Idiomologie des animaux, ou Recherches historiques, anatomiques, physiologiques, philologiques, et glossologiques sur le langage des bêtes, 1844.
— Flurétas, per Moussu dé Gibloux. Paris, Enco de Daoumoulin, 1844.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original.
 – Par commodité nous avons renvoyé les notes originales de bas de page en fin d’article. – Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

 

V. De la Démonomanie. —

[p. 554]

V. De la Démonomanie. — Les hallucinations bizarres et douloureuses que présente l’espèce de folie désignée par cette expression, ont changé, dit l’abbé Pierquin, selon le goût diférent des siècles et ont suivi les contes populaires. Sous l’empire de Constantin Ie Grand et sous nos rois merovingiens, les sorciers voyaient au sabbat, Minerve et Diane dans tous leurs charmes et avec une superbe suite de courtisanes, parce qu’alors ces misérables personnes, comme le dit saint Eloy, étaient adorées des paiens, et que les mères en contaient tous, les jours des merveilles à leurs enfants, Aussitot que les peuples furent détrompés par les saints Evêques, ces fantômes s’évanouirent. On inventa, du temps de Pepin, que les sorciers s’assemblaient dans le pays chimérique de Magodie où Herodias tenait, disait-on, le bal des fees, qu’ils y recevaient des poudres nuisibles, et qu’ensuite ils s’embarquaient dans les nues et venaient prendre terre où il leur plaisait. Cette fable irrita la curiosité des simples et corrompit un si grand nornbre d’idiots que Charlemagne et Louis Ie Debonnaire furent obliges de sevir par des ordonnances rigoureuses. Enfin on s’avisa d’assurer ensuite que les sorciers n’avaient pour président qu’un [p. 355] bouc infect, et qu’après avoir dansé en rond autour de lui, ils étaient contraints d’aller, les uns après les autres , lui baiser le derrière. Rien n’aurait du, ce semble, être plus efficace que ce conte ridicule pour dégouter du sabbat et le rendre méprisable, mais il fut assaisonné de circonstances si étranges et si amusantes, et tant de lois répétées par Ies femmelettes et les superstitieux, qu’il s’est conservé jusqu’a notre temps de race en race, parmi le petit peuple, en sorte que les sorciers d’aujourd’hui, comme le fait observer M. de Sainte-Beuve, croyaient voir au sabbat le vilain animal (1).

Tel est, en effet, le mécanisme de la démonomanie naturelle ou artificielle de tous les ages: quelques lignes pleines de philosophie et d’érudition ont suffi, comme on le voit, pour l’exposer. Maintenant, qu’à chacune de ces époques remarquables on étudie l’influence, sur l’idéogenie, de quelques-uns de ces toxiques ayant la faculté directe d’exciter l’intelligence, d’accélérer la circulation, etc., sur les malheureux exaltés ou prévenus par ces contes ridicules, et l’on aura, pour ainsi [p. 356] dire, spontanément de véritables démonomanies artificielles. Ces conditions préalables, sine qua non, n’ont point été reconnues, et 1’on a considéré de tout temps quelques végétaux comme jouissant exclusivement et par eux-mêmes de la propriété de faire assister au sabbat ou de faire voir le diable. On n’a jamais voulu voir en dessous de ce résultat , très-certainement incontestable, la cause réelle qui le produisait ; l’on n’a pas vu tout simplement, dans cet agent, un moyen efficace d’exalter l’imagination au delà des bornes sans doute, mais toujours dans Ia voie étroite des idées habituellles : aliénation mentale spéciale, incontestable, mais qui n’a réellement d’autre source, quant à la direction particulière des idées, que celle que nous lui assignons : c’est enfin une preuve de plus à I’appui de l’aphorisme, quo natura vergit, eo ducendum est. Heucher, qui puhlia un ouvrage remarquable sur la Pathologie Démoniaque, ne se donne pas la peine de réfléchir davantage, à une époque où il aurait pourtant déjà pu, sans danger, se soustraire si aisément à l’empire de la divagation des préjugés ggénéraux, et voilà précisément pourquoi et comment la sorcellerie existe encore dans les classes inférieures de la societé. [p. 357]

Nous possédons, comme on doit le présumer seulement d’après ce que nous venons de dire, un nombre incalculable d’observations de Démonomanie artificielle: le Dictionnaire des sciences médicales en cite aussi quelques­ unes ; Kœmpfer en rapporte encore, et rien de plus commun que d’en rencontrer dans les innombrables auteurs qui ont écrit sur la magie, la sorcellerie, la démonomanie, eltc. ; aussi croyons-nous en toute sécurité pouvoir nous borner à le rappeler.

L’abbé Pierquin a eu besoin de donner plusieurs des formules pharmaceutiques employées dans cette circonstance, et il n ‘en est pas une qui demente la théorie que nous venons de donner. Les sorciers, dit cet écrivain philosophe, pour courir avec plus de vitesse et sans lassitude, lorsqu’ils allaient au sabbat, se frottaient le corps avec une pommade composée de mandragore pulvérisée, de jus d’ache, de pavot, de panais sauvage et de quelques autres herbes semblables : mais bien loin d’être enlevés par la cheminée et de courir en l’air, sur un manche à balai, ils s’endormaient, comme l’a remarqué Porta sur une vieille sorcière qui s’oignait ainsi tous les samedis. Les Démonographes rapportent que les sorciers qui se frottaienl les tempes et le col, [p. 358] arrivaient plus promptement à l’assemblée que ceux qui ne se graissaient que les extrémités du corps, et cette particularité n’est pas du tout dénuée de vraisemblance, si I’on veut même de vérité. Lorsque cet onguent est appliqué sur les bras ou sous le jarret, ses parties coulent longtemps dans le torrent circulatoire avant d’aller impressionner I’organe idéogénique, quel qu’il soit; mais quand elles sont répendues sur les tempes et aux environs du col, elles s’insinuent dans les artères carotides et sont en un moment portées au cerveau; elles déeterminent un profond sommeil et ces songes brillants qui charment les sorciers (2). Enfin l’onguent des sorciers peut être nuisible quand il n’est pas bien préparé, surtout quand Ia jusquiame et la mandragore ne sont pas corrigées par d’autres principes, il peut causer la mort ou la paralysie, On a vu des personnes qui ont resté toutc leur vie hémiplégiques, et d’autres qui sont mortes spontanément par l’effet de ces poisons, pour avoir en la folle curiosité de se graisser afin d’aller au sabbat (3). [p. 359]

Nous n’avons absolument rien à ajouter à ce que I’abbé Pierquin a si bien determine : les bornes que nous nous sommes imposées nous en priveraient d’ailleurs.

NOTES

(1) Diss. sur Ie sabbat des sorciers, p. 381 et seq.

(2) Diss. sur le sabbat des sorciers , p. 385.

(3) Ibid., p. 386.

 

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