Considérations sur la constitution schizoïde et la constitution paranoïaque. Genèse des idées délirantes. Par Henri Claude, Adrien Borel Adrien et Gilbert Robin. 1923.

CLAUDESCHIZOIDIE0001Henri Claude, Adrien Borel Adrien et Gilbert Robin. Considérations sur la constitution schizoïde et la constitution paranoïaque. Genèse des idées délirantes. Article paru dans la revue « L’Encéphale », (Paris), dix-huitième année, 1923, pp.482-493.

Charles Jules Henri Claude (1869-194). Médecin neurologue et psychiatre. Après avoir été initié à la médecine par Charles Bouchard il de vint l’assistant de Fulgence Raymond à la Salpêtrière et occupa la chaire de clinique des maladies mentales de 1922 à 1939 à l’hôpital Sainte-Anne à Paris. Il œuvra au développement des théories lytique en France, malgré de sérieuses réserves, et créa la premier Laboratoire de psychothérapie et psychanalyse à la Faculté de Médecine de Paris. Il laissera son nom à plusieurs syndromes en neurologie. Quelques publications parmi de très nombreuses :
— Avec Adrien Borel, Gilbert Robin. Démence précoce, schizomanie et schizophrénie. Article paru dans la revue « L’Encéphale », (Paris), dix-neuvième année, 1924, pp. 145-151. [en ligne sur notre site].
— Les états anxieux. Paris, Maloine, 1938. 1 vol. in-8°.
— Psychiatrie médico-légale. Paris, G. Doin et Cie, 1932. 1 vol. in-8°. — Deuxième édition entièrement révisée. Paris, G. Doin et Cie, 1944. 1 vol. in-8°.
— Thérapeutiques biologiques des affections mentales. Paris, Masson et Cie, 1940. 1 vol. in-8°.

Borel Adrien (1886-1966). Psychiatre et psychanalyste français. L’un des membres fondateurs de L’Evolution psychiatrique puis de La Société Psychanalytique de Paris (S.P.P.). Son principal ouvrage : Les rêveurs éveillés. Paris, Editions Gallimard, 1925. Et en collaboration avec Gilbert-Robin (1893-1967), Les rêveurs : considérations sur les mondes imaginaires. Paris, Payot, 1925.

Gilbert Robin (1893-1967). Psychiatre spécialiste de l’enfance et de l’adolescence. Il écrit sous les pseudonymes de Gil Robin et du Docteur G. Durtal. Il s’intéresse très tôt à la psychanalyse et au surréalisme, rencontre les premiers membres fondateurs du mouvement, et visite Freud en 1928. Il cherche à conjuguer la compréhension des troubles mentaux au carrefour d’autres disciplines, comme la philosophie.
Quelques publications parmi les nombreux travaux :
— Les rêveurs éveillés. Paris, Gallimard, 1925. 1 vol.
— Les haines familiales. Paris, Gallimard, 1926. 1 vol.
— Précis de neuro-psychiatrie infantile. Paris, G. Doin, 1939. 1 vol.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original mais avons rectifié plusieurs fautes de syntaxe.
 – Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

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Considérations
sur la
constitution schizoïde et la constitution paranoïaque.
Genèse des idées délirantes.

Par H. Claude, A. Borel et Gilbert Robin

Nous sommes chaque jour arrêté, dans l’étude des maladies mentales, par des états morbides difficiles à préciser et qui, constituant des formes de passage entre tel et tel cadre psychiatrique, sans toucher du doigt le caractère précaire de certaines de nos classifications. De plus en plus, nous nous attachons à dépister la signification profonde d’un symptôme plutôt qu’à nous en tenir à la valeur diagnostique de ce symptôme. Nous avons eu la bonne fortune d’observer une jeune fille qui, malade depuis quatre ans, ne peut pas, le lecteur s’en rendra compte aisément, être rangé dans la démence précoce des classiques, pas plus que les idées délirantes de persécutions à base d’interprétations qu’elle exprime ne nous ont paru relever d’une psychose chronique. La malade et si consciente de son état, s’analyse si judicieusement, que le terme : Schizophrénie lui-même nous semble exagéré et nous croisions qu’il ne s’agit encore que d’un État constitutionnel évoluant avec lenteur vers la schizophrénie. L’expression et le caractère des idées délirantes sont aussi étrangers à ce qu’on observe dans le délire paranoïde que l’étude de ce cas démontrerait une fois de plus, s’il était nécessaire, la réalité de la schizophrénie à titre d’entité géographique dans nos classifications psychiatriques. Là il s’agit de s’entendre sur ce terme. Nous ne le nous prenons pas dans le sens étendu de Bleuler. Si nous avons surtout en vue, de même que cet auteur, la perte du contact vital avec la réalité, nous envisageons qu’autant qu’elle s’accompagne d’une symptomatologie bien spéciale qui souvent, il faut bien le dire, penser à la démence précoce classique, mais qui est toujours l’expression plus ou moins clairement exprimée d’une activité psychique morbide originellement exempte d’affaiblissement démentiel, – laquelle constitue le fond même de la maladie. La schizophrénie telle que nous l’entendons rentrerait [p. 483] plutôt dans le groupe des états discordants. Nous employons le mot schizophrénie, faute de mieux et pour ne pas compliquer la terminologie déjà si embrouillée de la psychiatrie, quoique nous ne lui donnions pas un sens aussi général, aussi théorique que Bleuler. Notre conception reste clinique. Nous pourrions aussi bien dire psychose de rêverie, psychose d’intériorisation pour tenter d’expliquer le fond même de la maladie. Les thèmes de ce fonds mental va nous aider à comprendre pourquoi les idées délirantes de persécutions de notre malade ne nous paraissent relever ni d’un délire paranoïde ni d’une psychose systématisée chronique et pourquoi, quelque surprenante que puisse paraître au premier abord une telle étude, le clinicien pourra avoir à différencier la constitution schizoïde et la constitution paranoïaque.

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Germaine B…, âgée de 30 ans, est entré à l’asile clinique le 2 juin 1923, au cours d’un état difficile à préciser, ainsi que l’indiquent les termes du certificat rédigé par le docteur Heuyer : « dépression psychique. Tristesse. Reploiement. Réponses lentes et rares. Plaintes. Demande sa mère, son frère. Ennui morbide. « Je m’ennuie de vivre. » Tendances aux idées d’auto-accusation. « Tout cela, c’est ma faute. » Fixité du regard. Lenteur des mouvements. Demi-. stupeur. Apparence de confusion. Désorientation. Dit perdre la mémoire. Onirisme. Voir la nuit des choses comme des doigts. Entendez son. Vague conscience d’un état morbide. Se plaint d’avoir des absences. Pas d’antécédent comitial. Présentation atypique. Propos bizarres. Aspects discordants. Tendance à la conservation catalytique des attitudes. Possibilité d’un état schizophrénique. Acquitté avant-hier sa place de domestiques. Après ce matin chez son oncle une tentative de suicide en se jetant dans la cage de l’escalier. »

Mais avant d’en revenir à l’étude des faits mentionnés dans ce certificat, il nous paraît nécessaire de rapporter ici la longue suite de troubles, léger d’abord, puis progressivement espacés qui aboutirent finalement à l’épisode actuel.

On le relève rien important à signaler dans les antécédents héréditaires de Germaine B… Dans ses antécédents personnels, on note seulement une rougeole à deux ans que suivi une période d’agitation nocturne avec cauchemars au cours desquelles elle se levait tout endormie sur son lit en poussant des cris. Depuis cette période et jusqu’à vingt-six régulièrement réglées, notre malade fut d’une santé parfaite, et même ne manifesta aux yeux des siens aucune apparence de trouble mental aussi léger qu’il fut.

Toutefois, l’étude du caractère de Germaine B… Et de ses diverses réactions quotidiennes ne laissent pas d’être intéressantes. Nous verrons, en effet, que dès son enfance on aurait pu découvrir chez elle certains traits particuliers, peut marquer sans doute, mais qui plus tard devait prendre, sous l’influence de chocs émotifs répétés, une importance pathologique. Les divers renseignements que nous avons pu obtenir, tant ceux fournis par la malade elle-même que ceux donnés par la famille, nous montrent Germaine comme une enfant intelligente et appliquée. Très bon élève, elle descend certificat d’études à treize ans. Elle aimait, en effet, l’étude et préférait la compagnie d’un livre à celle des enfants de son âge. Très jeune, elle avait manifesté le goût très vite pour la [p. 483] lecture, et se plaisait, surtout à celle des romans romanesques : « ce qu’il faut penser révéler. » Elle aimait la solitude, n’avait pas d’amies, ne se mêlait pas aux jeux, les fuyait même. Elle faisait de longues promenades solitaires où elle donnait libre cours à ses rêveries. Silencieuse, n’aimant pas les conversations des enfants de son âge, elle passait ainsi pour orgueilleuse. Le soir, dans l’obscurité, elle faisait de beaux projets, organisant minutieusement la vie qu’elle aurait voulu mener. Détestant le bruit, elle affectionnait les églises, non pas qu’elle fut très pieuse, mais à cause du silence qu’elle y trouvait, et qui lui permettait de suivre le fil de ses rêves. Ces dispositions, déjà très nette dans l’enfance, ne firent que se développer à mesure qu’elle avançait en âge. D’ailleurs, intelligent et cultivé par de nombreuses lectures, elle se vantait d’égout au-dessus de sa condition. « Je ne vivais pas dans le milieu que j’aurais désiré, nous dit-elle. J’aurais aimé des êtres bien éduqués sans être princiers, des êtres avec qui je puisse échanger des idées. » Souvent choquer dans ses sentiments les plus profonds par certaines opinions émises devant elle, elle se faisait plus secrète et le renfermé, comprenant toute la différence qu’il y avait entre les goûts vulgaires de ses parents et les siens propres. Cependant elle vivait normalement, était seulement un caractère un peu entêté et peu communicatif. Mais placée après son certificat d’études dans une maison de reliure, elle travaillait régulièrement, et resta dans la même maison pendant quatorze années, jusqu’à l’âge de vingt-six ans.

c’est à cette époque que les premiers troubles firent leur apparition, à l’occasion du mariage de son frère. Celui-ci avait toujours été son préféré. Intelligents et travailleurs, il avait su se créer une position inespérée, et, relativement riche, était fort généreux pour sa sœur, qui l’admirait d’avoir su s’élever au-dessus de la médiocrité où vivait sa famille. Fort instruit, il était le seul avec lequel elle puisse parler de ses lectures, dire ses aspirations. Après son mariage, en juin 1919, il dut cesser ces libéralités et, naturellement, vit beaucoup plus rarement sa sœur. Germaine fut aussitôt jalouse de sa belle-sœur qui était jolie et riche, et bientôt on remarqua un changement radical en elle.

Elle devint de plus en plus silencieuse et renfermée, se confina davantage dans la lecture de romans romanesques et des interminables songeries. Bientôt on eut du mal à la faire travailler. Elle se négligea, fut moins soigneuse de sa toilette, portant du linge malpropre, passant des journées entières enfermées dans sa chambre, les persiennes closes. « Je me mis, nous dit-elle, à m’ennuyer, car je n’avais plus personne avec qui m’épancher. »

Dans le même temps, il y a donc plus de quatre ans, elle essaya de se faire des infections à son goût. Elle fit la connaissance, dans le magasin de reliure où elle travaillait, d’un jeune homme riche et distingué avec qui elle échangea quelques baisers et qu’elle nous a dit avoir rencontré plus tard dans des réunions d’alis. Mais là, il est très difficile de préciser, et nous nous heurtons pendant les différents interrogatoires à la réticence de la valeur. Germaine B… Nous a déclaré qu’elle n’avait jamais songé à épouser ce jeune homme. « J’étais plutôt, dit-elle, de ces personnes qui vivent dans les pensées, dans les rêves. »

Il semble bien que cet amour n’est pas complètement occupé son cœur et que presque dans le même temps (encore une fois la réticence de la malade ne permet à ce sujet que les conjonctures) ait eu lieu un choc affectif important. Elle était religieuse, depuis quatorze ans, dans la même maison, dirigée [p. 484] par un excellent organisateur, fort riche, dit-elle, âgé de cinquante-cinq ans au moins, père de jeunes filles plus âgées que la malade.

Germaine B… Ne cesse de vanter l’agrément d’une existence où il y a des affaires à brasser et elle admirait beaucoup son patron. Il semble qu’il se soit formé des sentiments très tendres dans le cœur de Germaine B… Ont-ils été partagés par le patron ? Il est impossible de le savoir. En tout cas, la peur du ridicule que l’âge de ce monsieur aurait fait jaillir sur une liaison avec lui, et le sentiment d’une trop grande disproportion entre les situations respectives, l’empêchèrent de devenir sa maîtresse. Elle avait remarqué n’être pas indifférente à un chef d’atelier sous les ordres duquel elle se trouvait directement, et elle pense que ce chef jaloux, du faire allusion à elle devant son patron. Elle crut s’apercevoir d’un changement d’attitude de celui-ci et sans explication, sans prévenir personne, ne remit plus les pieds dans cette maison. Il nous semble que le mariage de son frère, d’une part, et cet amour d’autre part, aient provoqués chez la malade des émotions très fortes, à l’occasion desquels se sont développées les idées morbides, émotions qui ont aggravé des dispositions constitutionnelles qui auraient pu en imposer pour un état paranoïaque. « Alors, nous a-t-elle dit, il s’est passé tout un tas de petites choses que vous ne pouvez pas comprendre. »

Elle crut qu’elle avait des ennemis. Ses collègues la regardaient d’une façon bizarre, ces aventures avec des personnes haut placées la faisaient mal considérée ; on ne lui disait rien ouvertement, car on redoutait son influence, mais elle devinait le reproche. « Je me suis replié sur moi-même, dit-elle. J’étais de plus en plus apathique D’année en année je m’étais laissé enfoncer. Je ne voulais pas d(un bonheur vulgaire. J’aurais voulu être mêlé aux affaires, au commerce… »

Elle quitta brusquement l’atelier de reliure où elle travaillait, disant qu’on lui voulait du mal, que ses compagnes d’ateliers étaient mal élevées, et lui en voulaient. Ayant trouvé une nouvelle situation dans une maison de chaussures, elle la quitta bientôt dans les mêmes conditions. Interrogée sur les raisons de ce départ, elle fit une scène à sa mère lui reprochant de ne pas lui avoir fait donner d’instructions et ajoutant qu’elle n’était pas faite pour être ouvrière.

Quelque temps après, on la décida à reprendre son ancienne place dans la maison de reliure où elle avait été employée pendant quatorze ans. Mais encore une fois, malgré qu’on ne lui ait donné qu’un emploi très simple, elle partit subitement, sans donner de motifs, disant seulement que les ouvrières n’étaient pas polies.

C’est alors qu’elle forma les projets d’entrer au couvent. Un jour elle fit ses adieux à son frère, communia, puis changea d’avis ; voulu se remettre au travail, trouva une place chez un industriel, mais quelques semaines après abandonna l’usine et après une tentative de suicide (elle avala de la teinture d’iode) quitta la ville de L…, Où elle habitait avec sa famille pour venir à Paris (1922). Là, elle entra dans une maison de recul, mais naturellement, ne put y rester et revint chez ses parents, disant « qu’elle fuyait un cousin qui voulait déposer ».

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Peu après son retour, ce fut une seconde fut. Elle s’enfuit et après qu’elle eut erré toute la nuit, chez elle. Le médecin qui lui donnera ses soins constata une tachycardie atteignant 170 pulsations à la minute, une respiration spasmodique, du spasme laryngé, de la contracture des membres [p. 485] avec réflexivité normale. Elle eue des hallucinations visuelles. Il fut question, paraît-il, d’épilepsie larvée. Nous avons tendance à penser qu’il s’est agi la de manifestations anxieuses très actives avec, peut-être, un état confusionnel. La malade fut traitée à l’hôpital de L…, puis alla à la campagne chez les parents. Elle passait ses journées étendues dans l’herbe, méfiante, ayant peur de tout. Elle ne tarda pas à quitter ses parents sous prétexte qu’il espionnait et la persécuter et demanda à entrer à l’asile d’aliénés de N… Elle changea bientôt brusquement d’avis et, une seconde fois partit pour Paris.

Elle s’ennuyait de plus en plus L… nous dit-elle. Sa vie lui semblait à tout jamais caché et, pensant qu’elle ne se marierait pas selon ses goûts, méprisant son métier deux religieuses, elle voulut en quelque sorte se punir de ses aspirations trop élevées « puisque mes désirs ne seraient réalisés par, nous a-t-elle conté, je décidai de faire ce qu’il y a de plus laid. ». Est venue à Paris, elle se plaça en qualité de domestiques, de bonne à tout faire, chez un notaire. Elle pensait ainsi finir ses jours, calme, à l’abri du besoin, à l’abri de toute préoccupation matérielle, menant une vie plus fermée. « Et puis, disait-elle, je vivais avec des gens mieux. De toute façon, il me faut des gens supérieurs, et jamais mieux être domestique chez une personne très bien que légale de genre vulgaire. »

Elle ne resta que trois semaines chez ses nouveaux patrons. Peu après son entrée, elle devint triste, refusa de manger, vie des images terrifiantes entre les murs, toute une zoopsie fantastique. Elle se sentait observée, soupçonnée. Il semble bien qu’elle eût eu quelques hallucinations auditives. Elle dit avoir entendu par l’oreille d’une voix moins nette que la voie normale. Son agitation fut-elle que ces patrons la conduisirent chez un de ses oncles qui habitaient également Paris. La même agitation persistante. Elle reprocha à son parent d’avoir tué son frère, l’accusa avec violence, essayant de s’enfuir. Étroitement surveillée, elle arriva cependant à déjouer la surveillance qui l’entourait et finalement tant qu’à, chez lui, de se jeter dans la cage d’escalier.

C’est dans ces conditions qu’elle fut internée :

à son entrée à la clinique, le même état persistait. Et l’on avait l’impression d’être devant un épisode anxieux avec confusion dans les idées et hallucinations visuelles diverses. Elle gardait le silence, oppose la plus vive résistance à l’examen, repoussant toute nourriture, et essayait de se jeter la tête contre les carreaux. Incomplètement orientée, elle se servait à Sainte-Anne, mais ignorait la date exacte.

Quelques jours après, l’état d’agitation avait cessé. Très vite, notre malade est devenu calme, correct, étant au choix du ménage. Il fut difficile d’obtenir des renseignements d’elle sur sa maladie. Il semble bien, d’ailleurs, qu’il y ait une amnésie lacunaire, reliquat de l’état confessionnel précédent. Mais c’était un disparu, nous nous sommes toujours trouvés en présence d’une réticence bien arrêtée, la malade nous déclarant que ces histoires sont trop compliquées et qu’il n’y a rien là-dedans qui soit susceptible d’intéresser un médecin. Elle semble ignorante de sa tentative de suicide. Quand on parle de ses craintes que son frère fut assassiné, elle répond qu’elle a eu avec lui quelques discussions qu’elle s’est reprochées et qui ont bien plus lui « tourner la tête ». Elle a conscience de son état morbide, et non seulement au sujet les événements récents, mais encore à propos de son État habituel. « Il y a quelque chose qui ne va plus. J’ai un vide au cerveau et au cœur…, je ne cherche pas à guérir, [p. 486] au contraire. Je ne tiens plus à la vie, je suis trop fatigué, trop faible pour réagir… Je ne pense plus à personne, plus à rien. »

Elle croit que d’avoir concentré sa pensée là exténuée. Elle avait des idées supérieures à son milieu. Elle ne l’a jamais exprimé à son entourage parce qu’elle avait peur qu’on se moquât d’elle. Tantôt, elle avait tendance à douter d’elle-même, tantôt à se croire très bien.

Elle se plaint de l’estomac et du ventre. Elle a quelques idées hypocondriaques qui se traduisent par une angoisse diffuse. Elle reste déprimée, songeuse, renfermée, docile quand on l’interroge, malgré son extrême réticence, mais ne manifeste spontanément aucune tendance à faire des confessions. Elle n’a ni désirs, ni projets arrêtés. Elle croit qu’elle ne tardera pas à mourir, que sa santé est menacée car elle a trop attendu pour se faire soigner ; elle s’est « enfoncée » dans ses idées. Elle mourra, dit-elle, d’un mal de langueur. Elle n’exprime qu’un grand découragement, une grande lassitude et son attitude ainsi que sa réticence font redouter les tentatives de suicide. Elle ne veut pas quitter l’asile où elle dit calme, à l’abri des ennuis, livre de songer à l’aise à ses rêves envolés, ah ça fait manquer et elles ne sont pas à la réparer, à lutter. En somme, la conversation de Germaine B… Et celle d’une personne calme, qui reconnaît ses troubles morbides, a conscience de les avoir laissés envahir tout son être, croit désormais inutile de réagir contre leurs fâcheuses conséquences, mais se montre cependant à tous instants méfiante et réticente.

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Le diagnostic de dépression psychique auquel l’attitude de la malade qui se ralliait dès l’abord doit faire discuter l’hypothèse de mélancolie avec épisodes anxieux.

Germaine B…, Et triste, réticences, mais cette tristesse évolué depuis quatre ans. Les idées ne semblent ni fixent, ni limité. Il n’existe pas de délire du type mélancolique. Les idées d’auto-accusations signalées dans le premier certificat ne furent que des craintes anxieuses éphémères. La malade n’est ni humble, ni coupable. Les actions anxieuses sur ce fond déprimé s’accompagnent d’un léger état confusionnel avec onirisme. Ils apparaissent à la suite d’une concentration pénible de penser qui vont partie intégrante du terrain constitutionnel, lequel a été exagéré par un état délirant. Les épisodes anxieux, fréquents depuis quatre ans, peuvent s’accompagner de refus d’agrément, de tentatives de suicide. Mais ces réactions révèlent une mère foncièrement troublée depuis de longues années et traduisent un état différent de l’état mélancolique.

S’agit-il d’un délire à longue évolution ? Germaine B…, Acquitté L… En 1922 parce qu’elle sentait autour d’elle l’hostilité de ses compagnes d’atelier, parce qu’elle avait beau changer souvent de place, les mêmes regards hostiles, l’espèce de quarantaine où elle est émise la suivait partout. Elle avait été en butte à la jalousie d’un chef d’atelier de son âge qui voulait la disputer à seulement monsieur âgé et distingué qu’elle aimait. Revenue une première fois à L…, après une fugue, de [p.487] six mois à Paris, elle quitte ses cousins qu’elle accuse de la persécuter et fuit ensuite à Paris. C’est en placé domestique à Chatou, elle croit que la rancune de L… s’est propagée jusqu’à Chatou, par quels moyens, elle l’ignore. Mais la façon dont on la scrute lui révèle la méfiance qu’elle inspire. Il y a donc là, semble-t-il, un délire à base d’interprétation évoluant depuis quatre ans, avec des phases d’amélioration. Cependant, ce désir ne paraît pas offrir la systématisation, que l’intelligence de la malade, la longue durée de l’évolution rendrait probable s’il s’agissait d’un délire d’interprétation pure.

La malade n’affirme rien, elle redoute, elle n’emploie pour faire valoir le bien-fondé de ses dires aucunes dialectiques : elle suppose, elle n’ose même pas nommer, tant par leur réticence que par insuffisance de renseignements. Il n’apparaît pas qu’après avoir vaincu cette réticence on découvrirait un ou plusieurs persécuteurs nettement désignés. Ce délire depuis quatre ans ne s’est pas amplifié, est resté diffus et imprécis. Lors de sa première tentative de suicide, il y a trois ans, avec de la teinture d’iode, il n’existait aucune crainte délirante.

Germaine B…, a voulu se tuer pour ne pas céder à celui qu’elle aimait, parce qu’il y avait disproportion barrages et de fortune. Elle était déjà malade à cette époque, avant la phase délirante. Le délire n’est donc pas primitif et ne semble pas pouvoir tout expliquer. Lors de sa dernière fugue, en 1923, elle a quitté L…, surtout parce qu’elle s’y ennuyait et voulait changer ses pensées. Le refus dans d’aliments, les tentatives de suicide, le découragement ne sont pas les moyens habituels au délirant chronique. De plus, nous nous rappelons que la malade s’accuse volontiers d’être responsable de ces ennuis. Elle s’est enfoncée dans ses idées tristes, elle n’a pas réagi, elle a toujours eu des goûts au-dessus de son milieu, etc. On ne lui en veut que parce qu’elle a des relations plus élevées que sa situation ne comportait. À la rigueur, on pourrait considérer qu’il s’agit d’une persécutée mélancolique si la rage peut avancer de la malade, les caprices de l’évolution du délire et l’absence de systématisation paranoïaque empêchait de se rallier tout à fait à cette opinion.

Mais, avec la Chaslin, on peut se demander si, entre la folie la plus paranoïde et la folie la plus systématisée, il n’y aurait pas tous les intermédiaires possibles. En d’autres termes, cette psychose mal systématisée peut-être appartenir à la forme paranoïde de la démence précoce. On sait quelles sont les conceptions délirantes des paranoïdes. « Par leur multiplicité, leur mobilité, leur niaiserie, leur extravagance, elles égalent, si même elle ne dépasse pas celle des paralytiques généraux », dit Séglas. Le désir est absurde, polymorphe, extravagant et incohérent, celui de notre malade et simple, conséquent, logique en son raisonnement à thème unique. Aucune indifférence émotive et sentimentale. Pas d’incohérence, verbale, pas de maniérisme, ni de stéréotypie, [p. 488] ni d’actes s’automatique. La malade répond posément, elles ne paraissaient jamais ni démente ni discordante, et bien que la psychose évolue depuis quatre ans, bien que l’activité utile de Germaine B., soit intermittente, bien qu’elle soit sujette aux fugues, au négativisme, à des accès d’excitation avec phénomènes hallucinatoires, la malade a conscience de ces troubles, elle les résonne, les explique, et, quoi que la réticence ne permette pas de trouver la clé de ces troubles, le mécanisme intellectuel n’est pas touché. Ce n’est donc pas là un délire paranoïde, tel qu’il est décrit classiquement. Nous ne voulons pas exprimer par la que cette malade ne soit susceptible de présenter les symptômes de la démence précoce telle que nous la concevons. Mais en disant cela, nous portons plutôt un pronostique que nous ne faisons un diagnostic et nous nous sentons gêner par la nomenclature psychiatrique actuelle pour désigner d’un terme précis cet état psychopathie que déterminé à la fois par la constitution foncière de la malade, aggravée par des chocs émotifs, et les conceptions délirantes qu’elle émet.

Aussi, pensons-nous que nous aurons plus de clarté sur cette psychose si nous arrivons à préciser le terrain constitutionnel sur lequel elle s’est développée.

La notion des « constitutions » a pris une juste importance au cours des dernières années. Leur étude marque un essai de classification des différents déséquilibres psychopathie. Nous ne pouvons plus nous contenter des épithètes de « originales », « bizarre », « excentrique ». L’hérédité n’entre pas en ligne de compte pour notre malade. Que Germaine B., soit émotive, nous le pensons nettement. Elle a des réactions vaso-motrice très vives, les allusions à sa vie passée lui sont très sensibles, elle présente une gêne psychique, de l’inquiétude, etc., mais cette émotivité n’est ici qu’un épiphénomène donc d’une constitution plus importante.

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S’agit-il d’un état psychasthénique, c’est-à-dire fait de la perte de la notion du réel, d’incomplétude morale, d’accidents épisodiques tels que les obsessions ? Il ne semble pas qu’il existe chez notre malade « la sensation de l’absence de réalité psychologique ». Sans doute, comme chez le psychasthénique, ce n’est pas dans les phénomènes de l’imagination que Germaine est troublée, mais dans l’application à la réalité. Cependant elle se décide et son action est efficace, conséquence, ne se perd pas en agitation diffuse comme celle des malades observés par Janet. Comme eux, Germaine est certes absorbée dans le passé, mais son attention, quoique difficile à capter, n’a pas la mobilité, l’instabilité de celle du psychasthénique. L’attention de Germaine est concentrée sur le sujet qui l’intéresse, celui dont elle ne veut pas nous livrer les détails. Les « éclipses mentales » du psychasthénique au cours desquels il « perd ses idées » non rien à voir avec cet état de fausses distractions, de fausses rêveries, sous lequel travaille une pensée active et délirante. [p. 489]

D’autre part, notre malade et ignore les sentiments d’incomplétude, elle ne se sent pas insuffisante, instable, elle ne s’humilie pas, ne se juge pas incapable, au contraire, nous l’avons vu. Enfin nous n’avons relevé aucune obsession. Germaine B. n’est pas une psychasthénique.

Est-elle paranoïaque ? C’est une orgueilleuse, qui se jugent déshonorer d’être ouvrière, même que les individus d’une condition sociale supérieure à la sienne, elle a un grand talent d’organisatrice, les maisons aller moins bien quand elle les avait quittées ; on s’apercevait de ces dons, aussi la jalousait-on. Au semait de la calomnie autour d’elle. On la persécutait. Elle craint tout le monde, même les membres de sa famille. Elle est réticente, refusant de livrer un nom parce que la peur qu’ils soient colportés. Sa méfiance perce dans les paroles et se trahit dans ses actes. Elle a du « paranoïaque » cette « tendance extrêmement marquée à transformer et à grossir les faits évidemment insignifiants, à y voir des allusions préparées ». Elle ne s’adapte pas au milieu social. Pour Sérieux Capgras, « le paranoïaque reste normal (en apparence) ou mieux – en état d’équilibre instable – tant qu’un élément affectif plus ou moins intense n’intervient pas. Sa susceptibilité, sa méfiance, c’est tendance à la jalousie, ses rêves de grandeur sont tenus en bride ; mais qu’un état passionnel ou les motifs surviennent, et le chant reste libre aux aptitudes délirantes ».

Cependant, si nous reprenons les points principaux de la constitution paranoïaque nous reconnaissons que Germaine B…, n ‘est point radicalement « un esprit faux, une logicienne dévoyée » (Sérieux et Capgras) elle a une parfaite conscience de son état. Elle ne s’admire pas quant aux mécanismes psychologiques qui l’a fait devenir ce qu’elle est. Elle est malade essai de sa peau. Elle s’est enfermée dans ses idées, elle n’aime pas à discuter, à raisonner. Elle ne réfute pas. A-t-elle malgré ses idées de grandeur, de l’hypertrophie du moi ? Elle explique qu’elle a toujours vécu dans un rêve, qu’elle a le tort de regarder plus haut qu’elle. Elle avoue en souriant que parfois elle se trouvait très bien, mais elle reconnaît aussi que parfois elle « se dégoûtait ». Du reste, ses idées de grandeur, non seulement elle n’a pas songé à les réaliser, mais elle les a trouvées disproportionnées, ridicules, et s’est écarté de celui, dit-elle, qu’elle avait tant aimé.

Nous avons mis en relief la méfiance de Germaine B… et elle est, en effet, incontestable. Mais nous pensons qu’il ne s’agit pas là d’un caractère constitutionnel et que, peut-être, la malade n’a pas toujours été ainsi. Elle nous dit bien qu’elle avait peu d’amis, mais c’est par ce qu’elle préférer la solitude. On la disait orgueilleuse ; à son avis elle n’était plus silencieuse avec son entourage. Ce n’est pas, explique-t-elle, qu’elle se méfiait. Mais elle aimait mieux lire et rêver, faire des projets chimériques, entre à l’église pour y songer à l’aise, s’isoler de la vie par tous les moyens (n’a-t-elle pas l’idée d’entrer au couvent ?) Avant même [p. 490] d’avoir des ennuis à L… Elle ne s’isole pas par ce que méfiante et elle est devenues méfiante, semble-t-il, à force d’avoir perdu contact avec l’ambiance. Tout essai de rapprochement avec le monde extérieur la blesse, les rites, elle se tient sur ses gardes.

Le paranoïaque lutte, s’impose à l’ambiance ; Germaine B…, se dérobe. Le paranoïaque accepte, sans le déformer, le monde extérieur. Germaine B… en construit un nouveau selon son rêve. Le paranoïaque adopte une attitude envers les hommes. Germaine B… les ignore, essaye de passer à côté de sans les voir, et, si elle n’y parvient pas, s’en va. Le paranoïaque s’étale en maître sur son monde délirant. Germaine B… se recroqueville dans son monde imaginaire. Ce sont deux orgueilleux, l’un qui veut vaincre la vie hostile, l’autre qui marche à côté. Le premier est un homme d’action, la deuxième une rêveuse. Le premier étage ses conceptions dans ses tendances dominatrices, son insolence, sa morgue, ces moyens matériels de défense, il objectivera son délire. La deuxième est tout intérieure et ses réactions sont pour la plupart des manifestations anxieuses, brusque moyen de défense d’une nature concentrée.

De sorte que si nous nous entendons sur un certain point de la maladie, à savoir l’existence d’un délire à base d’interprétation (et encore nous avons vu que ce délire d’interprétation était atypique), il nous paraît s’être développé sur un terrain qui a favorisé son éclosion, mais qui n’a, lorsqu’on l’analyse de près, de la constitution paranoïaque que les apparences. En effet, si nous résumons dans un tableau schématique les caractères de la constitution paranoïaque et ce que révèle une analyse soigneuse du caractère de Germaine B… Nous constatons d’une part :

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Nous le voyons, ce n’est que superficiellement que les traits de notre malade rappellent la constitution paranoïaque. La physionomie clinique est aussi bien différente lorsqu’on suit le développement dans le temps de l’État psychopathie que Germaine B….dans lequel nous nous trouvons.

Dans l’enfance et l’adolescence, le coût de la solitude, du silence, la tendance à construire un monde imaginaire. Le caractère est romantique et utopique. Déjà nous nous expliquons la réticence de la malade. Outre la réticence délirante, qui existe dans notre cas manifestement, il existe [p. 491] une forme de réticences qui est la conséquence de ce goût inné du recueillement, du repliement, une réticence qui est primitivement beaucoup plus à base de pudeur 14 de méfiance.

D’autre part, la malade se plaît à organiser, point par point, la vie imaginative qu’elle aimerait mener. Ce goût de l’ordre est assez particulier. Il fixe un plan très net, classique, pourrait-on dire, à la construction imaginative. Il nous explique pourquoi Germaine B… revient sans cesse sur son désir d’avoir une administration à diriger, pourquoi elle s’était tant attachée à son patron dont le talent d’organisateur l’enthousiasmait. La malade se construit un monde conforme à l’idéal qu’elle se fait de la vie. Il est logique de penser que les idées de grandeur sont implicitement contenues dans le rêve d’une vie embellie, pratiquement irréalisable. Elle s’attache donc à des personnes d’un niveau supérieur au sien, elle s’imagine collaborer à des affaires importantes. Son milieu l’importune. Elle méprise la basse condition de sa famille. Voilà donc des idées de grandeur non délirante en rapport avec la constitution même de Germaine B…

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Elle a concentré toute sa pensée sur le monde où elle aimerait vivre. Son attitude dédaigneuse vis-à-vis de l’ambulance la conduite à des interprétations fausses : elle se croit persécutée, elle abandonne ses places, elle fait des études, etc. Elle réagit selon sa nature : en s’isolant, en refusant de manger, en tentant de se tuer. Elle fuit de plus en plus la réalité. La constitution spéciale de la malade lui a fixé ses traits. Ce délire et ce qui domine objectivement dans l’histoire de la malade. Il pourrait ne pas exister que la maladie selon nous resterait entière aussi grave. Ce délire paraît cohérent parce que la malade n’a pas perdu complètement contact avec l’ambiance. C’est là qu’elle cherche et trouve ses explications. Plus elle s’isolera dans ses pensées, dans son monde intérieur, plus se dissocieront, pensons-nous, les éléments du délire qui alors pourra vraiment paraître paranoïde. En un mot, la malade ne délire correctement que parce qu’elle n’est pas complètement dissociée. Elle n’est pas complètement détachée du monde extérieur. Celui-ci fournit les points de repère utile à la logique du désir. Germaine B… a conscience de s’être laissé enfoncer dans ses pensées, elle a le tort de ne pas réagir, elle dit, elle a le cerveau malade, elle s’analyse parfaitement, mais elle ne réagit pas et ne me tente même pas, au contraire. Ce n’est pas une attitude délirante. C’est la conséquence de sa constitution qu’il a fait hostile à l’action, enfermée dans un monde factice. Les chocs affectifs qu’elle a subis ont eu pour conséquence de la soustraire encore à la réalité extérieure.

La solitude et le silence étaient ces refuges au cours d’une vie cependant tranquille, on conçoit que contre une vie douloureuse, le moyen plus efficace de lutter, le plus logique quant à ses conceptions intimes, [p. 492] le plus psychologiquement rationnel, ce soit la mort qu’elle est conçue, la mort qu’elle conçoive encore, ou mieux la vivre plus qui, ainsi que nous l’avons déjà noté, et non seulement accepté, mais rechercher avec prédilection par cette catégorie de malade.

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la conclusion où nous voudrions arriver, c’est que nous nous trouvons souvent, en psychiatrie, devant des malades qui se présentent tantôt comme des psychasthéniques avec que simplement la perte du contact avec la réalité, la diminution de « l’élan vital », mais par période, suivant un rythme cyclique, tantôt comme des paranoïdes avec idées délirantes paraissant absurde au premier abord et pouvant cependant être rattaché par l’analyse à une constitution morbide particulière ayant été troublée à un certain moment par un élément affectif. Mais entre ces cas simples et ses cas compliqués, nous venons de voir une malade profondément consciente de son état morbide, de l’état de dissociation volontaire où elle s’est placée entre la réalité, d’une part, et ses pensées de l’autre, capable de mener une vie normale jusqu’à ce que l’intensité de ses pensées l’entraîne à des conceptions délirantes et à des réactions morbides. Nous avons montré comment ces conceptions délirantes étaient conditionnées par un État constitutionnel revêtant un examen superficiel les caractères de l’État paranoïde et que nous avons cherché à différencier : le paranoïaque tentant de réaliser dans l’ambiance ces idées pathologiques, le schizophrénie de les réalisant dans un monde intérieur en rapport avec ses représentations. De sorte que, d’une manière très générale, on peut dire que le paranoïaque au cours de l’évolution délirante transforme sa personnalité pour régner sur une réalité extérieure non modifiée, des malades tels que la nôtre bien au contraire intact leur personnalité pour vivre dans une réalité transformée, devenue imaginaire.

Une telle analyse, qui peut paraître un peu spécieuse et qui exigent en effet, des examens prolongés, souvent délicats, ne nous paraît pas une vue de l’esprit. Nous lui croyons une grande importance diagnostique. Il n’est pas un psychiatre qui n’ait été embarrassé tantôt par tel délire persécution atypique qu’il répugnait à faire entrer dans le groupe des délires chroniques, tantôt par telle psychose dite paranoïde dont la cohérence l’empêchait de la placer dans la démence précoce. Bien des observations révisées pourraient appartenir à la schizophrénie telle que nous la concevons, prise que dans un sens restrictif et non pas dans le sens extensif que lui donne Bleuler. Sans doute, dans les cas de schizophrénie que nous avons observée à la Clinique, nous n’avons jamais rencontré d’idées de persécution qui unisse cette logique et cette persistance. Le fait qu’elle peut exister pour qu’il était intéressant d’insister à leur [p. 493] sujet, afin de préciser un. Diagnostic. Le délire de notre malade se résout donc, en dernière analyse, en un délire asymptomatique. Au point de vue pratique, nous ne saurions trop insister sur la différence de traitement a institué pour des malades comme la nôtre et pour des délirants chroniques. Pour ceci, la psychothérapie sera inexistante ; pour cela, au contraire, elle devrait, à l’origine, faire partie d’une prophylaxie et d’une thérapeutique bien comprise. Sans doute cette malade nous est confiée après cinq ans maladie. Nous avons moins de prise sur les idées morbides intimement mêlées désormais à l’ensemble de la personnalité. Cela ne nous empêche pas de nous étonner même qu’elle ne soit pas plus profondément dissociée et qui lui reste assez de personnalité normale pour juger, comme elle le fait, sont moins morbides. Mais quel secours pourrait apporter aux médecins la connaissance des plus délicats symptômes de la constitution schizoïde, , de ces états « d’intériorisation » ! Certes, il ne transformera par leur nature foncière, mais s’il entreprendrait l’œuvre d’adaptation au réel, de prise de contact avec l’ambiance. Il essayerait de corriger, en quelque sorte, par une intégration judicieuse et progressive dans la réalité, les excès d’idéalisme où sont portées de tels malades. Alors que le paranoïaque tire de la vie en société des motifs d’accroître ses idées délirantes, le schizoïde bien dirigé devrait être tiré de la solitude qu’il affectionne et, mêlé judicieusement à l’existence quotidienne, serait susceptible d’améliorer ses tendances ou, tout au moins, d’en atténuer les effets par une activité utile. Le médecin chercherait à tirer de lui aussi des « réactions d’intérêt ».

Loin de la pensée de vouloir porter sur ces cas un pronostic est moins sombre qu’ils ne comportent. En général, leur avenir est grave, surtout pour nos malades d’asile, internés le plus souvent après une longue fixation des idées morbides. Pour tout dire, nous avons à faire alors à des schizophréniques. Ce malade, puis au début de l’infection par un psychiatre au courant de cette question, aurait certes gardé ses tendances constitutionnelles, mais il aurait peut-être pu rester schizoïde et ne pas franchir le pas vers la schizophrénie. Encore une fois, ces vues ne sont qu’une indication générale, et il faut atténuer ce que les termes peuvent avoir de trop précis dans leurs affirmations. La question est encore trop à l’étude pour que ses conclusions ne soient encore autre chose que des suggestions.

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