Colonel Albert de Rochas. La physique de la magie. Communication faite au congrès international de l’histoire des sciences de 1900. Extrait des « Annales de sciences psychiques », (Paris), dixième année, 1900, pp. 193-203.

Colonel Albert de Rochas. La physique de la magie. Communication faite au congrès international de l’histoire des sciences de 1900. Extrait des « Annales de sciences psychiques », (Paris), dixième année, 1900, pp. 193-203.

 

Eugène Auguste Albert de Rochas d’Aiglun (1837-1914). Militaire et administrateur, en particulier de l’Ecole Polytechnique, il se livra, à titre privé, à quantité d’expériences sur le paranormal. Il reste plus connus pour ses nombreuses publications sur ce sujet que pour ses ouvrages historiques. On se demande comment, bien souvent, il se laissa abusé, en particulier sur les photographies d’ectoplasmes… Nous avons retenus quelques publications :
—  La Science des philosophes et l’art des thaumaturges dans l’antiquité, Paris, G. Masson, 1882.
—  La Science dans l’antiquité. Les Origines de la science et ses premières applications, Paris, G. Masson, 1884.
— Les Forces non définies, recherches historiques et expérimentales, Paris, G. Masson, 1887.
— Hypnotisme et changement de personnalité. Article paru dans la « Revue Philosophique de la France et de l’Etranger », (Paris), douzième année, tome XXIII, janvier à juin 1887, pp. 330-333. [en ligne sur notre site]
—  Les États profonds de l’hypnose, Paris, Chamuel, 1892.
—  L’Envoûtement, documents historiques et expérimentaux, Paris, Chamuel, 1893.
—  Les États superficiels de l’hypnose, Paris, Chamuel, 1893.
—  L’Extériorisation de la sensibilité, étude expérimentale et historique, Paris, Bibliothèque Chacornac, 1895.
—  L’extériorisation de la motricité, recueil d’expériences et d’observations, Chamuel éditeur, 1896.
—  La Lévitation, Paris, P.-G. Leymarie, 1897.
—  Le rêve. Extrait des « Annales des sciences psychiques », (Paris), onzième année, 1901, pp. 160-172. [en ligne sur notre site]

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Les notes de bas de page ont été renvoyées en fin d’article. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

[p. 193]

LA PHYSIQUE DE LA MAGIE

Communication faite au congrès international
de l’histoire des sciences de 1900.

Par le COLONEL DE ROCHAS

Le sujet que j’ai l’honneur d’aborder devant vous a déjà été traité plusieurs fois, devant des assemblées de savants . Ce fut d’abord, il y a deux mille ans, dans les cours de la célèbre école d’Alexandrie, alors centre intellectuel du monde entier.

Les Grecs venus en Égypte à la suite d’Alexandre le Grand s’étaient fait initier en vainqueurs à des sciences secrètes déjà plus de trente fois séculaires ; ils avaient employé leur clair génie à expliquer par les lois naturelles les prodiges que les prêtres accumulaient dans leur temple pour frapper les esprits des masses et dont la connaissance, venue d’Orien, constituait la science des mages ou la magie.

Ici c’était des statuts ou des sièges qui semblaient marcher tout seul grâce à des roues cachées et mises en mouvement soit par l’écoulement convenablement calculé d’une certaine quantité de sable tombant d’un récipient supérieur

Ici c’était des statuts ou des sièges qui semblait marcher tout seul grâce a des roues cachés et mise en mouvement par l’écoulement convenable calculé d’une certaine quantité de sable tombant d’un récipient supérieur [p. 194] dans un récipient inférieur, soit par la détente d’un ressort. Là, c’étaient des portes qui s’ouvraient spontanément, des images de dieux, de déesses, d’animaux, qui poussaient des cris ou répandaient des libations sous l’action de liquides déplacés au moyen de siphons et d’air comprimé.

L’ingénieur Héron avait réuni ses leçons dans une série de petits traité dont deux seulement,

Un autre savant alexandrin, le célèbre Euclide, nous a également laissé des traité, d’optique et de catoptrique ; mais, disciple du divin Platon qui ne voulait pas que la science s’abaissât aux applications usuelles, il s’est borné à exposer les propriétés géométrique, des rayons lumineux et à donner les lois de la perspective, de la réfraction et de a réflexion.

Quinze siècles plus tard, la prise de Constantinople par Mahomel II fit affluer sur la terre hospitalière de l’Italie, Ies débris de l’antique civilisation grecque qui avaient échappé au feu et à la flamme des Turcs. Beaucoup de réfugié, byzantin, trouvèrent des moyens d’existence dans la copie et la vente des manuscrits qu’ils avaient apportés avec eux et qui étaient restés jusqu’alors à peu près inconnus en Occident. On vit presque aussitôt, de tous côté, en France, en Italie et en Allemagne, les savant, rivaliser d’effort, pour associer leur nom à celui d’un ancien en le traduisant en latin, langue universelle des écoles à cette époque. De ce nombre fut Jean de Pène qui, tout jeune encore (il n’avait pas 30 an,) occupait, ici même, la chaire de mathématique, au collège de France nouvellement créé ; son cours, interrompu au bout de deux ans par la [p. 195] mort, porta exclusivement sur l’optique et la catoptrique d’Euclide, et la leçon d’ouverture, prononcée en 1556, fut consacrée à montrer comment ces sciences pouvaient servir à expliquer un certain nombre de faits réputés prodigieux (2) . En voici un extrait consacré aux fantôme.

« Je ne veux pas nier la présence et l’évocation des Génies, des Mânes, des Ombres, puisque les histoires profanes et les Saintes Écritures en offrent de nombreux exemples.

« Nous lisons dans les historiens qu’un psychagogue évoqua l’ombre de Pausanias que le Lacédémoniens avaient laissé mourir de faim dans le temple de Minerve, et que l’oracle leur enjoignit d’apaiser les mânes. Noua voyons pareillement dans Lucain qu’Erichtone, pythonisse thessalienne, évoqua une ombre qu’elle chargea d’annoncer la défaite de Pharsale à Sextus Pompée. L’historien Pausanias, dans ses Béotiques, rapporte avoir vu à Pionée, en Mysie, près du fleuve Caïcus, l’ombre de Pion fondateur de la ville sortir de son tombeau au moment où on lui offrit un sacrifice. L’histoire sacrée rapporte que les mânes de Samuel ont quitté la tombe à la voix de la pythonisse, afin que désormais on ne pût douter de la possibilité d’évoquer les ombres.

« Tout en faisant cette concession qu’on ne peut nier que les mânes et les génies ont été évoqués par des pythonisses et forcés d’apparaître, je dis en même temps que, grâce à la science extraordinaire de certaines personnes très habiles, on a vu un grand nombre d’apparition, que les ignorante seuls attribuent à des démons ; quelqu’un d’éclairé ne peut les attribuer qu’à des hommes versés dans l’optique et ne se laisse pas séduire par les promesses des magicienne, s’engageant à faire apparaître l’ombre d’un mort. Pour accomplir ce prodige elles se servent d’un miroir consacré par certaines formules, avec lesquelles elles prétendent évoquer les mânes. Tout cela m’est suspect, et [p. 196] je crois bien qu’il doit y avoir là-dessous quelque fourberie.

« La partie de l’optique que l’on appelle catoptrique, nous apprend, en effet, que l’on fait des miroir qui, au lieu de retenir à leur surface l’imago qui leur est présentée, la renvoient dans l’air. Vitellion a donné la composition de ces miroirs et, s’il plait à Dieu, nous en reparlerons quand nous traiterons de la catoptrique. Qui empêche d’adroites friponnes d’abuser les yeux avec ce miroir, au point que l’on croie voir les âmes des morts a évoquées du tombeau, tandis qu’on ne voit dans l’air que l’image d’un enfant ou d’une statue qu’elles ont soin de tenir cachée ? Il est certain (quoique cela semble incroyable) que si vous placez un miroir de forme cylindrique dans une chambre fermée de tous côtés, et que si vous êtes hors de cette chambre un masqué, une statue ou tout autre objet disposé de telle manière que quelques-uns des rayons, qu’il projette puissent passer à travers une légère fissure dans la fenêtre ou la porte de la chambre et venir frapper le miroir, l’image de cet objet qui est en dehors de la chambre est vue dans la chambre elle-même en suspension dans l’air. Pour peu que l’image réfléchie par le miroir soit déformée, combien elle apparaitra terrible, excitant l’épouvante el l’horreur !

« Le miroir est suspendu par un fil très fin. Les magiciennes imposent un jeûne pour se préparer aux cérémonies qui conviennent à ces sortes de mystères ; l’ignorant timoré qui les consulte et qui est loin de se douter de l’imposture sacrilège, obéit docilement. Quand le moment est arrivé, les prétendues magiciennes procèdent à leurs exorcismes et à leurs conjurations de manière à donner à la cérémonie, grâce à ces accessoires, un caractère plus important et plus divin. La personne qui consulte est placée dans l’endroit où arrive le rayon réfléchi, et elle voit, non dans le miroir mais dans l’air, le spectre légèrement agité parce que le miroir qui est suspendu est lui-même agité. Pleine d’horreur, elle voit dans l’air une image vaporeuse et livide qui semble venir à elle ; saisie d’effroi, elle ne songe pas à pénétrer l’artifice, mais plutôt à fuir ; et la pythonisse la [p. 197] laisse partir. Alors, comme si elle fût arrachée aux abîmes de l’enfer, cette personne dit à tout le monde qu’elle a vu les mânes et les âmes qui reviennent des enfers.

« Qui ne serait trompé par l’illusion que produit tout cet appareil. Qui résisterait à ces artifices. Nul certainement n’échapperait aux prestiges des Pytbonisses, qu’il n’était aidé de l’optique qui, jetant son irrésistible lumière, fait voir que la plupart des mânes, n’ont aucune cause physique, mais sont de pure artifices imaginés par l’imposture. L’optique apprend à le tirer au clair, à les démasquer, à laisser de côté les vaines terreurs. Que peut craindre, en effet, celui à qui l’optique enseigne qu’il est facile de construire un miroir au moyen duquel on voit plusieurs images dansantes ; qui comprend qu’on peut placer le miroir de telle façon que l’on observe ce qui se passe dans la rue et chez les voisins ; qui sait qu’en se plaçant d’une certaine manière et en regardant un miroir concave, on ne voit que son œil ; qui sait également qu’on peut, avec des miroirs plans, construire un miroir tel que si on regarde dans ce miroir on voit son image voler ? En vérité, celui à qui on aura enseigné tout cela, ne reconnaîtra-t-il pas aisément la source de prestiges des magiciennes de Thessalie ? Ne saura-t-il pat distinguer la véritable physique de la fausseté et de la fourberie ? »

Aux XVIIe siècle les découvertes relatives au magnétisme et à l’électricité provoquèrent de tentatives analogues, mais sous une autre forme : au lieu de se borner à expliquer les prodiges anciens, on chercha à en produire de nouveaux. De nombreuses sociétés se constituèrent pour subvenir au frais des expériences et de la construction des appareils ; la phénicienne porta le nom d’Académie des Secrets, et fut fondée à Naples, vers l’an 1600, sous les auspices du cardinal d’Este, protecteur de Porta, dont le livre sur la Magie naturelle eut un tel succès que les premières éditions, usées sous les doigts des lecteurs, sont [p. 198] devenues introuvables. C’est à cette époque qu’on commença aussi à utiliser la vapeur d’eau comme moteur.

On voit que les investigations des savants se sont portés a d’abord aux deux forces, la pesanteur et l’élasticité, qu’on trouve partout d’une la nature et qu’on peut mettre en jeu de la manière la plus simple ; plus elles ont abordé la lumière dont les effets sont déjà plus subtils et elles ne se sont fixées que fort tard sur la chaleur et l’électricité dont la production nécessite l’intervention de l’industrie humaine.

C’est seulement au milieu du XVIIIe siècle que Mesmer appela l’attention des académies sur une force dont il était bien plus difficile encore de déterminer les lois, puisqu’elle ne se manifeste d’une façon suffisamment apparente que dans certains organismes humain, et qu’elle est susceptible d’être influencée par la volonté non seulement de l’opérateur, mais peut-être aussi d’autres intelligences invisibles.

Mesmer qui était médecin et qui connaissait, par les traditions de certaines sociétés secrètes, la puissance de ses effets pour le bien comme pour le mal imposa à ses adepte le serment suivant :

« Convaincu de l’existence d’un principe incréé, Dieu de qui l’homme doué d’une âme immortelle tient le pouvoir d’agir sur son semblable en vertu de lois prescrites par cet être tout-puissant, je promets et m’engage sur ma parole d’honneur de ne jamais faire usage du pouvoir et des moyens d’exercer le magnétisme animal qui vont m’être confiés, que dans la vue unique d’être utile et de soulager l’humanité souffrante ; repoussant loin de moi toute vue d’amour propre et de vaine curiosité, je promets de n’être mû que par le désir de faire du bien à l’individu qui m’accordera sa confiance et d’être à jamais fidèle au secret imposé et uni de cœur et de volonté à la Société bienfaisante qui me reçoit dans son sein. »

Pendant longtemps les magnétiseurs, fidèles à leur serment, n’eurent en vue que les guérison, et s’occupèrent [p. 199] peu des théories ; cependant, les observations en s’accumulant les mirent en présence d’une foule de phénomène, dont il était impossible de méconnaître la parenté avec les miracles des saints et les prestiges attribués au démon, Dès lors, on expérimenta et on fut conduit à admettre l’hypothèse, déjà formulée par Mesmer d’après les occultistes du moyen Age, d’un agent spécial qu’on a appelé successivement : l’esprit universel, le fluide magnétique, l’od ou la force psychique.

C’est cet agent qu’on cherche aujourd’hui à définir en étudiant les actions réciproquent qui s’exercent entre lui et les forces naturelles, déjà connues. Dès maintenant quelques-unes de ses propriétés, parfaitement établies, ont permis de faire passer un certain nombre de phénomènes du domaine de la magie dans celui de la science positive. C’est ainsi qu’on explique la fascination par l’action de la force psychique sur les nerfs spéciaux de nos sens, qu’elle fait vibrer de manière à donner, sous l’influence de la pensée, l’illusion de la réalité. La base de l’envoûtement repose sur l’emmagasinement dans certaines substances de cette force, ou plutôt d’une matière extrêmement ténue qui lui est liée; la condensation de cette matière donne lieu aux apparitions. Les mouvements à distance, observés dans les maisons hantées sont presque toujours dus à une surproduction anormale de cette même force chez quelques personnes qu’on appelle des médium,. Enfin, les rayons Röntgen et la télégraphie sans fils, ne permettent plus de nier a priori la vue des somnambules à travers les corps opaque, et la télépathie.

Quand, il y a quelques mois, votre Comité d’organisation a bien voulu, sur ma demande, inscrire dans son programme cette question : «  Quelles sont parmi les découvertes modernes celles qui peuvent expliquer certains faits réputés prodiges dans l’antiquité, j’espérais la voir traitée par un philosophe bien connu en Allemagne, le baron Karl du Prel. Une mort inopinée nous a privés de sa collaboration, mais son dernier ouvrage publié à Iéna en 1899, [p. 200] sur le titre : Die Magie als Naturwissenschaft, constitue une étude magistral sur ce sujet et je ne serai mieux faire que d’y renvoyer ; je me bornerai à signaler ici une idée hardie sur laquelle du Prel ne manque jamais l’occasion d’insister aux cours des deux volumes de ses savantes recherches pour en faire ressortir le côté pratique.

Partant de cette observation que les mécanismes artificiels ne sont le plus, souvent que des imitations inconscientes d’organismes naturels et que, par exemple, la chambre noire n’est que la copie de l’œil, il pense que les concordance, déjà signalées ne sont que des cas particuliers d’une règle générale s’appliquant aussi aux processus psychiques, et il fait ressorlir le mutuel appui que peuvent se prêter : le psychiste qui met en évidence et analyse les faculté, de l’âme plus ou moins voilées chez la plupart des hommes ; le physiologiste qui décrit nos divers organes corporel, et le technicien qui se propose de remplacer par des instruments les uns et les autres.

Si, d’une part, le technicien avait porté son attention sur la constitution du système nerveux qui fait communiquer le cerveau avec la périphérie de notre corps, et sur le rapport exclusif qui s’établit entre le magnétiseur et le magnétisé, il aurait pu concevoir plus tôt l’idée des fils télégraphiques, des résonnateurs et des multi-communications. D’autre part, le technicien par l’invention des électroscopes et des spectroscopes permet au psychiste de concevoir que notre âme, par un perfectionnement progressif de nos facultés, arrivera à percevoir des vibration, auxquelles elle est actuellement insensible et il peut le guider dans la marche à suivre pour atteindre ce but.

D’une manière générale, l’expérience et le raisonnement nous autorisent à supposer que « tout ce qui se produit sous une forme sensible chez un individu, peut se produire sous une forme atténuée chez tous les individus semblables, que ce qui se produit naturellement chez un individu peut être produit artificiellement chez les individus semblables (3), et enfin que psychistes, physiologistes et techniciens [p. 201]pourront trouver dans l’étude des travaux des deux autres spécialités des analogie directrices pour leurs propres travaux.

Supposons, dit du Prel, qu’un technicien soit versé en la magie, la sorcellerie et l’Histoire des saints, qu’il ait observé des somnambules de tout genre, naturels et artificiels, expérimenté avec des médiums, et qu’il ait la conviction que tous ces phénomènes magiques sont des faits indiscutables, grâce à la conviction non moins forte que toute magie n’est que de la science naturelle inconnue, (4) il se trouverait ainsi devant une abondance inépuisable de problème.

« Supposons, par exemple, qu’il sût que la lévitation ou soulèvement au-dessus du sol contre les lois de la pesanteur, se produit chez les fakirs indiens, qu’elle est prouvée documentairement pour Joseph de Cupertino et une foule d’autres saints et qu’elle était fréquente chez les possédé du moyen âge. Supposons enfin qu’il ait été témoin lui-même de ce qu’ont vu une douzaine de savants anglais : le médium Home soulevé en l’air dans une chambre, en sortant par une fenêtre et y rentrant par une autre, après avoir ainsi flotté à quatre-vingt pieds au-dessus de la cour extérieure. Ce technicien ne serait-il pas plus près que Newton de la solution du problème de la gravitation ? Il saurait, lui, ce que Newton ne savait pas : c’est que la pesanteur est une propriété variable des choses. Mais se rendre compte de cette variabilité n’est pas la faire naître ; elle a existé avant et existera après cette découverte dont le résultat est d’expliquer le passé et de guider l’avenir. »

Dans un congrès qui a pour objet l’histoire des sciences, je ne serai mieux terminé cette communication forcément très superficiel quand vous citant les réflexions [p. 202] profondément justes inspirées à mon illustre ami par le sujet même qui nous occupe.

« Le côté brillant de l’histoire de la civilisation est, dit-il, l’histoire des sciences. Quand on réfléchit aux opérations, souvent merveilleuses, de la pensée qui amenèrent les découvertes ayant changé la face du monde, quand ou considère la somme de savoir condensée et mise en ordre dans les livres d’études, on est très porté à avoir une haute idée de l’humanité.

« Mais l’histoire des sciences a aussi un côté très misérable. Elle nous montre que le nombre des esprits vraiment supérieure a toujours été fort restreint, qu’ils eurent toujours à lutter contre les plus grandes difficultés pour faire accepter les découvertes faites par eux ; et enfin que les représentants scientifiques des idées alors régnantes n’ont jamais manqué de dénoncer comme s’écartant de la science tout ce qui s’écartait d’eux. Voilà une histoire qui n’a pas encore été écrite et qui contribuerait singulièrement à rabaisser l’orgueil des hommes.

L’histoire des sciences ne doit pas seulement enregistrer le triomphe des idée nouvelles ; elle doit dépeindre aussi les batailles qui l’ont précédée et les résistances qu’ont toujours opposées les représentants scientifique den nouvelles idées… Une nouvelle vérité se découvre-t-elle ? Elle jaillit, semblable à un éclair, du cerveau d’un seul comme une révélation ; mais il y a, en face de lui, les  millions de ses contemporains avec tous leurs préjugés. Celui qui a découvert une vérité se trouve devant cette écrasante difficulté de convertir tous ses adversaires et de faire table rase de tous les préjugés. La puissance de la vérité est sans doute grande ; mais plus elle s’écarte des idées régnantes, moins l’humanité est préparée à la recevoir et plus il est difficile de se frayer une route.

« Il en sera ainsi tant que l’histoire des sciences ne nous aura pu appris que de nouvelles vérités, alors précisément qu’elles ont une importance capitale, ne sauraient être plausibles mais sont paradoxales ; que, de plus, la généralité d’une opinion n’est nullement la preuve de [p. 203] sa vérité ;  enfin que le progrès implique un changement dans les opinions, changement préparé par des individus isolés et qui s’étend peu à peu grâce aux minorités…. Nous ne devons jamais oublier que toutes les majorités. procèdent des minorités initiales et que, par conséquent, aucune opinion ne doit être rejetée seulement à cause du faible nombre de ses représentants, mais qu’au contraire, elle doit être examinée sans préjugé aucun, car le paradoxe est le précurseur de toute nouvelle vérité. D’autre part, le développement régulier des science, ne se fait qu’à la condition d’y laisser un élément conservateur. Il faut donc que toute vérité nouvelle ne soit d’abord envisagée que comme une simple hypothèse ; plus elle est importante, plus sera long son temps d’épreuve que rien ne saurait empêcher. Ceux qui la découvrent doivent se dire qu’ils ne sont que des pionniers auxquels les colons succèderont peu à peu, car il est clair que celui qui est en avance de cent ans sur ses contemporains devra attendre cent ans avant d’être compris par tous

ALBERT DE ROCHAS.

Notes

(1) J’ai traduit du grec en français, les traités de Pneumatique de Héron et de Philon. Ces deux traités précédés de Notions sommaires sur quelques parties des sciences physiques dans l’Antiquité, ont été publié en 1882 chez Masson à Paris sous le titre : LA SCIENCE DES PHILOSOPHES ET L’ARD DES THAUMATURGE DANS L’ANTIQUITÉ. — Des extraits de ces mêmes traités et du traité des Automates de Héron ont été publiés, l’année suivante, chez le même éditeur, sous le titre : LES ORIGINES DE LA SCIENCE ET SES PREMIÈRES APPLICATIONS.

(2) Le texte grec et la traduction latine de l’Optique, et de la Catoptrique d’Euclide ont été publiés pour la première fois, avec le distcours de Jean de Pêne qui leur sert de préface, en 1557, à Paris chez André Wechel.

(3) FAVRE, La musique des couleurs, Paris 1900, p. 31.

(4) Les facultés magiques, dit-il ailleurs, on des bases physiques, non pas surnaturelles mais suprasensibles ; c’est-à-dire qu’elle ne sont pas en dehors des lois de la nature, mais en dehors des perceptions des sens ordinaires.

 

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