Charles Vallon. Fétichisme honteux. Rapport médico-légal. Extrait de la « Revue de psychiatrie, de neurologie et d’hypnologie », (Paris) , nouvelle série, 1897, pp. 141-146.

Charles Vallon. Fétichisme honteux. Rapport médico-légal. Extrait de la « Revue de psychiatrie, de neurologie et d’hypnologie », (Paris) , nouvelle série, 1897, pp. 141-146.

 

Charles Antoine Vallon (1853-1924). Médecin expert près le tribunal de la Seine, inspecteur des aliénés ) la Préfecture de Police de Paris. Elève de Dagnonet chez qui il fit son internat. Fondateur de la Société de Psychiatrie, il fut membre de plusieurs société savante dont la Société médico-psychologique
Parmi ses travaux, très nombreux, plusieurs ont été couronnés par l’Académie de Médecine. Nous en avons retenus quelques-uns
— Chapitre dans le Traité de pathologie mentale de Gilbert BALLET, 1903.
— Aliéné auto-accusateur. Extrait des Annales d’Hygiène Publique et de médecine légale,04/18-Paris, -1898. 1 vol. in-8°, 11 p.
— Aliénés méconnus et condamnés. Extrait du Congrès des Aliénistes et Neurologistes, Marseille 1899-Marseille, Journal de Marseille, 1899. 1 vol. in-8°, 8 p.
— De la responsabilité des épileptiques. Extrait des Annales d’Hygiène publique et de médecinelégale,mai 1893. Paris, J.-B. Baissière et fils, 1893. 1 vol. in-8°, 11 p
— De la responsabilité des épileptiques. Extrait des Annales d’Hygiène publique et de médecinelégale,mai 1893. Paris, J.-B. Baissière et fUn possédé laïque, avec hallucinations coenesthésiques lilliputiennes. Article paru dans la revue « L’Encéphale », (Paris), dix-septième année, 1922, p. 58. [en ligne sur notre site]
— Les aliénés en Russie. Montévrain, Imprimerie Typographique de l’Ecole d’Alembert, 1899. 1 vol. in-8°, 1 fnch., X p., 392 p., 1 fnch., 10 pl.ht.
— Sur un cas de délire religieux à hallucinations visuelles et auditives. Extrait du Congrès des Aliénistes et Neurologistes… Nancy, 1896.-Nancy, A. Crépin-Leblond, 1897. 1 vol. in-8°, 15 p.
— (avec Genil-Perrin). La psychiatrie médico-médicale dans l’œuvre de Zacchias  (1584-1659). Article paru dans la « Revue de psychiatrie et de psychologie expérimentale », (Paris), 8e série, 16e année, tome XVI, 1912, pp. 46-82, 90-106. [en ligne sur notre site]

La [p.] renvoie au numéro de la pagination originale de l’article. – Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

[p. 141]

CAS DE FÉTICHISME HONTEUX — RAPPORT MÉDICO-LEGAL,

Par le Dr CHARLES VALLON,
Médecin en chef à l’asile d’aliénés de Villejuif (Seine),
Expert près les Tribunaux.

Chez les hommes normaux, l’excitation génésique est surtout provoquée par les organes génitaux de la femme et c’est le coït qui est le moyen ordinaire de satisfaction de l’instinct sexuel. Mais il n’en est pas toujours ainsi et les perversions sexuelles sont nombreuses et variées. Parmi elles il en est une, le fétichisme, bien connu depuis les travaux de Lombroso, Binet, Dessoir, Krafft-Ebing, Moll, qui consiste en ceci : l’excitation génitale est produite par une partie du corps de la femme autre que les organes génitaux ou bien par une pièce de son costume. [p. 142]

Les cas de fétichisme des objets sont très nombreux. Combien d’amoureux couvrent de baisers les objets venant de la femme aimée : gants, mouchoirs, lettres. Mais, comme le fait justement remarquer Moll (1), « il ne faudrait pourtant pas considérer comme morbide l’habitude d’embrasser les objets appartenant à la personne aimée, sous peine d’attribuer à presque tous les hommes une perversion sexuelle passagère ou chronique. Ce qui distingue les cas normaux des cas morbides, c’est que dans les premiers il existe un amour pour une personne et que si l’on embrasse les objets de la femme aimée, c’est justement parce qu’ils appartiennent à l’être aimé. Par contre, dans le fétichisme pathologique, c’est l’amour pour l’objet qui prime tout ; quant aux qualités physiques et morales de la personne en question, le malade ne s’en occupe que peu ou pas. »

Parmi les fétichistes des objets, les uns se contentent de palper, de caresser, de couvrir de baisers l’objet aimé ; les autres s’en servent pour se masturber.

Les mêmes remarques s’appliquent au fétichisme des parties du corps. Moll ne considère pas comme pathologiques les cas dans lesquels l’homme éprouve un plaisir particulier à regarder, à toucher, à embrasser telle ou telle partie du corps. Ces cas, dit-il, « sont peut-être déjà anormaux, mais sans être morbides. On peut aimer de préférence à tout une jolie bouche, une chevelure blonde ou brune, de grands yeux, sans être pour cela atteint de perversion génitale. Moll ne considère avec raison comme pathologiques que les cas dans lesquels « la perception sexuelle » d’une certaine partie du corps ou sa représentation mentale est la condition « sine qua non » de l’excitation voluptueuse. Dans ces cas la femme en tant qu’être féminin ne suffit pas pour provoquer l’excitation, contrairement à ce qui s’observe dans les conditions physiologiques. On pourrait dire que, dans les cas pathologiques, la femme est une sorte d’accessoire à une partie déterminée de son corps qui joue le rôle principal dans l’excitation de l’homme. »

Parmi les fétichistes, les uns avouent sans difficulté la perversion sexuelle dont ils sont atteints, mais il en est d’autres au contraire qui, honteux de leurs appétits bizarres, les cachent soigneusement et ne se décident que difficilement à les confesser, quand ils se sont laissés aller à commettre un acte qui en fait soupçonner l’existence.

J’ai eu à examiner, au mois de décembre 1894, un homme que j’ai supposé atteint de fétichisme des objets en raison de l’acte qui l’amenait devant la justice, mais qui malgré mes pressantes sollicitations n’a jamais voulu reconnaître devant moi qu’il était atteint d’une perversion sexuelle et ne s’est décidé que plus tard à entrer dans la voie des aveux.

Voici le rapport médico-légal que j’ai rédigé à cette occasion : X… a été arrêté le 9 décembre 1894, vers huit heures du soir, [p. 143] dans des circonstances qu’il importe de préciser et qui se trouvent exposées dans la déposition suivante faite par M. D., ingénieur, à M. le juge d’instruction : « Je me trouvais avec ma femme dans la salle des dépêches du journal le Figaro lorsque je remarquai un individu qui rôdait autour de nous. Je n’y attachai tout d’abord pas d’importance, lorsqu’en quittant la salle des dépêches, je m’aperçus que la jaquette de ma femme avait été coupée. Sur l’observation que nous en fîmes à haute voix, une autre dame dit aussitôt : « On m’a aussi coupé ma jaquette. » Je me rappelai alors les allures suspectes de l’individu que j’avais vu rôder autour de nous, et je le vis qui cherchait à s’esquiver. Je le suivis dans la rue et le fis arrêter par le premier agent que je rencontrai. Au moment de son arrestation, cet individu eut l’air hébété ou simula l’homme hébété en disant : « Que me veut-onN Je ne sais pas ce que cela veut dire. »

Conduit au poste et fouillé, X… fut trouvé porteur de sept morceaux d’étoffes paraissant avoir été coupés sur des vêtements de femme et d’une paire de ciseaux de poche. Un des morceaux de vêtements provenait manifestement de la jaquette portée par la femme du plaignant. Une perquisition pratiquée au domicile de X… amena la découverte de nombreux morceaux de rubans, d’étoffes diverses, de fourrures paraissant avoir été détachés de vêtements de femme à l’aide d’un instrument tranchant.

X… est donc inculpé d’avoir soustrait frauduleusement des morceaux d’étoffes au préjudice de diverses personnes.

Interrogé par M. le commissaire de police immédiatement après son arrestation, X… a d’abord nié les faits qui lui étaient reprochés ; interrogé de nouveau le lendemain, il a répondu : « Je ne puis dire dans quel but j’ai agi ainsi, je ne le sais pas moi-même. »

Invité par M. le juge d’instruction à faire connaître comment il se trouvait nanti des fragments d’étoffes trouvés en sa possession, X… a fait la déclaration suivante : « Je ne me rappelle pas du tout comment ces objets se trouvent en ma possession. Je ne me rappelle absolument rien. Je ne peux pas dire si je les ai coupés ou si je ne les ai pas coupés. Ils ne devaient pas être sur moi depuis bien longtemps. Je ne peux pas vous dire et je ne peux pas concevoir moi-même comment ces étoffes se trouvaient là. »

Prié d’expliquer pourquoi il était porteur de la paire de ciseaux qui lui a servi à couper les vêtements, X… a répondu : « Je porte toujours sur moi des ciseaux qui me servent à retirer des échardes qui m’entrent quelquefois sous la peau ou sous les ongles lorsque dans l’exercice de mon métier de boulanger je casse le bois qui sert à chauffer le four. »

X… est un homme de haute taille, de corpulence moyenne, normalement conformé ; il ne présente pas l’ensemble de ces défectuosités physiques que l’on trouve généralement chez les dégénérés; cependant ses oreilles ont une implantation vicieuse ; elles sont [p. 144] très écartées de la tête. Bien qu’âgé de trente et un ans seulement, X… a déjà la physionomie un peu vieillotte : des rides assez nombreuses se dessinent quand les muscles de la face entrent en jeu. Les organes génitaux sont normaux.

Le beau-frère de X. m’a donné sur la famille de celui-ci les renseignements suivants : Un grand-oncle maternel serait « mort dans l’idiotisme » ; le père, décédé depuis longtemps, avait des habitudes d’intempérance ; la mère, âgée de soixante-trois ans, est bien ; des trois sœurs, l’aînée, âgée d’environ quarante-trois ans serait idiote.

Enfant, X… était, paraît-il, un peu bêta ; jusqu’à quatorze ans il a fréquenté l’école de son village, mais d’une façon irrégulière, seulement quand le mauvais temps ne permettait pas de travailler aux champs : il sait cependant lire et écrire. A quinze ans il a appris le métier de boulanger ; il y a quatre ans il est venu à Paris et est entré chez son beau-frère comme garçon boulanger ; il gagnait 50 francs par semaine. Dans toute son existence on ne trouve d’autre maladie que quelques atteintes de rhumatisme articulaire.

Le beau-frère ne peut s’expliquer la conduite de X… ; il raconte qu’il était un peu bizarre, surtout depuis trois mois et travaillait assez régulièrement, mais il buvait, sans toutefois s’enivrer complètement.

En présence des actes singuliers commis par l’inculpé, la première idée qui vient à l’esprit c’est qu’on se trouve en face d’un individu atteint de cette perversion sexuelle particulière connue sous le nom de fétichisme.

X… affirme de la façon la plus catégorique qu’il n’est en proie à aucune passion particulière. Il a avec les femmes des relations normales, deux, trois ou quatre fois par mois ; il se défend de se livrer à l’onanisme. Il me renouvelle les déclarations qu’il a faites à M. le commissaire de police et à M. le juge d’instruction, à savoir qu’il n’a gardé aucun souvenir des faits qui lui sont reprochés.

« Je ne puis, dit-il, avoir agi que sous l’empire de l’ivresse, car pourquoi aurais-je pris ces morceaux d’étoffes qui ne pouvaient pas me servir ? Quand j’ai bu, le lendemain je ne me rappelle plus de rien de ce que j’ai fait la veille ; je n’ai jamais vu de morceaux de vêtements chez moi, je devais les jeter derrière mon lit avec le linge sale : je bois surtout de l’absinthe ; le jour où j’ai été arrêté, j’en avais pris peut-être plus de dix verres. »

X… est calme, lucide et fait preuve d’une mémoire suffisante ; il ne présente aucun signe physique d’intoxication alcoolique.

Devant les dénégations formelles et répétées de X… au sujet du fétichisme, je songe, alors, en raison de l’amnésie complète, totale, qu’il dit éprouver concernant les actes incriminés, en raison aussi de l’hébétude de X… au moment de son arrestation, je songe à l’épilepsie et particulièrement à l’épilepsie larvée. Un premier interrogatoire, quoique long et minutieux, ne me fait découvrir aucun [p. 145] indice de la grande névrose. X… m’a déclaré n’avoir jamais uriné au lit, ne s’être jamais, au réveil, senti courbaturé, n’avoir jamais éprouvé de vertiges, n’avoir jamais laissé échapper involontairement et inconsciemment un objet qu’il tenait à la main. D’autre part, les renseignements fournis sur son compte ne le présentent pas comme un homme irascible, emporté.

A son second interrogatoire, X… me dit qu’en recueillant ses souvenirs il est arrivé à se rappeler avoir éprouvé à diverses reprises un malaise qu’il décrit ainsi : « Fourmillement dans la tête, sueurs sur le front, sensation de fléchissement dans les jambes, tremblement dans les membres supérieurs et inférieurs. » Mais ces malaises il ne les a jamais éprouvés qu’étant au travail, devant le four. En sorte qu’il faut peut-être ne voir dans ces accidents que l’action de la trop grande chaleur sur un individu ayant bu avec excès.

Cependant je n’oserais pas affirmer d’une façon absolue qu’il ne s’agit pas ici de vertiges épileptiques. Cette réserve s’impose d’autan t plus que, d’après les renseignements fournis par un gardien de Mazas, X… aurait de temps à autre « l’air abruti ».

Si les actes incriminés ne peuvent être sûrement imputés ni au fétichisme, ni à l’épilepsie, peuvent-ils être mis sur le compte de l’ivresse ? X… assure que le jour où il a été arrêté il avait bu une grande quantité d’absinthe et que c’est sous l’influence des troubles cérébraux, causés par l’abus de cette liqueur, qu’il a commis les lacérations de vêtements qui lui sont reprochées. Cette assertion est-elle admissible ? Sans doute les actes spéciaux ici en cause ne sont pas de ceux que l’on observe d’habitude au cours de l’intoxication alcoolique ou absinthique, mais cependant il n’est pas impossible que l’explication fournie par l’inculpé soit la vraie.

X… n’a pas de stigmates prononcés de dégénérescence, ce n’est pas un débile de l’intelligence, son niveau mental est celui de la plupart des gens de sa condition. Mais, d’après les renseignements qui m’ont été fournis, il a des antécédents héréditaires : son grand oncle maternel est mort en démence, il est fils d’un père alcoolique, il a une sœur idiote. Or, chez les héréditaires il n’est pas rare de voir les excès alcooliques se traduire par des troubles cérébraux intenses par des actes particulièrement déraisonnables. C’est peut-être là qu’il faut chercher l’explication de la conduite de l’inculpé.

Cependant la probabilité la plus grande me paraît rester en faveur du fétichisme ; mais en présence des dénégations énergiques, formelles, réitérées d eX… je ne me crois pas autorisé à mettre sur le compte de cette perversion sexuelle l’acte incriminé.

Je dirai donc pour conclure :

1° X… n’est pas atteint d’aliénation mentale, il doit donc rendre compte à la justice des actes dont il est inculpé.

2° X… prétend avoir commis les actes qui lui sont reprochés sous ‘influence de l’ivresse. Cette assertion n’a rien d’inadmissible ; mais [p. 146] il ne m’appartient pas pour cela de déclarer l’inculpé irresponsable, l’ivresse n’étant pas considérée comme une excuse légale.

3° X… a des antécédents héréditaires ; il se pourrait qu’il fût sujet à des vertiges épileptiques. Ce sont là des circonstances qui sont de nature à lui mériter, dans une certaine mesure, l’indulgence de la justice.

Je n’étais pas, je l’avoue, satisfait du résultat de mon examen, et si je m’étais décidé à ne pas le prolonger davantage, c’est que je désespérais d’obtenir des aveux de X… et que surtout M. le juge d’instruction, poussé par la famille, me réclamait instamment mon rapport, me faisant remarquer avec beaucoup de raison que X… n’étant poursuivi que pour un délit léger (vol de morceau d’étoffes), on ne pouvait le laisser plus longtemps en prison. En déposant mon rapport je ne pus m’empêcher de confesser à M. le juge d’instruction le doute qui restait dans mon esprit au sujet du fétichisme.

M. Gouraincourt rendit alors une ordonnance de non-lieu et envoya X… à l’infirmerie spéciale de la Préfecture de police. Là X…, ne se sentant plus sous le coup de la justice, se montra moins catégorique dans ses dénégations et au bout de plusieurs jours, vivement pressé par M. le Dr Garnier, il finit par écrire une confession qu’il n’avait pas osé faire de vive voix.

M. Garnier, dans un travail récent sur le Fétichistes (2), a résumé l’observation de X… dans les lignes suivantes :

« Depuis l’âge de neuf à dix ans, il avait un culte pour les étoffes laineuses et duveteuses. A leur vue et surtout à leur contact, il a toujours éprouvé une grande excitation génitale, avec érection et parfois éjaculation.

« Il collectionnait, depuis quelque temps, des découpures de vêtements féminins avec une préférence marquée pour la fourrure dont le contact le transporte, pourvu, cependant, que celle-ci ait été portée par une femme.

« Il aime aussi palper du satin ; il a coupé plusieurs fois des rubans de cette étoffe pour les joindre à sa collection.

« Rentré dans sa chambre, il appliquait sur sa peau les découpures dérobées et provoquait ainsi une excitation génitale qui aboutissait à des manœuvres onanistiques. » (Société de médecine légale de France.)

Notes

(1) A. Moll, Les Perversions de l’instinct génital, Paris, 1893 p. 155, et suivantes.

(2) Dr Paul Garnier, Les Fétichistes pervertis et invertis sexuels, Paris; 1896.

 

 

 

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