Charles Lejeune. Le spiritisme. Article paru dans les « Bulletins et Mémoires de la Société d’anthropologie de Paris », (Paris), Bulletins et Mémoires de la Société d’anthropologie de Paris, V° Série. Tome 10, 1909. pp. 654-665.

lejeunespiritisme0002Charles Lejeune. Le spiritisme. Article paru dans les « Bulletins et Mémoires de la Société d’anthropologie de Paris », (Paris), Bulletins et Mémoires de la Société d’anthropologie de Paris, V° Série. Tome 10, 1909. pp. 654-665.

Charles Lejeune. Avocat, membre de la Société d’Anthropologie de Paris, et le la Ligue Française de l’enseignement et de la Société pour l’Education sociale, etc. Publication :
— Quelques superstitions. Bulletins et Mémoires de la Société d’anthropologie de Paris, Ve Série. Tome 4, 1903. pp. 374-379. [en ligne sur notre site]

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original, mais avons rectifié quelques fautes de composition.
 – Nous avons renvoyé les notes originales de bas de page en fin d’article. – Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

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LE SPIRISIME

par M. CHARLES LEJEUNE.

C’est sur le sol de l’Amérique du Nord, chez la race anglo-saxonne, si imprégnée de religiosité qu’elle ne cesse de donner le jour et d’alimenter une série de religions nouvelles, que devait naître le Spiritisme. Nul pays ne peut se vanter d’avoir vu pareille floraison de cultes et quarante sectes religieuses n’ont pas suffi à satisfaire le goût de ce grand peuple pour les méditations mystiques. C’est le terrain d’élection pour un Joé Smith, fondateur du mormonisme en 1827 ou pour la sainte mère Eddy, qui imagina le scientisme en 1876.

Le fait qui donna naissance au spiritisme actuel se place en 1848, entre ces deux dates, comme si dans les Etats-Unis de l’Amérique du Nord il ne pouvait se passer un quart de siècle sans qu’il surgit une nouvelle croyance. Une famille Fox, habitant Hydesville, village du comté de Wayne (Etat de New-York), entendit plusieurs jours, à la tombée de la nuit, des bruits semblant provenir de chaises déplacées dans les chambres du haut sans qu’on y trouvât personne. Une des filles eut l’idée de dire à l’agent invisible de compter jusqu’à quatre, elle entendit quatre coups frappés et s’évanouit. Un précédent locataire vint dire qu’un soir il avait entendu frapper deux coups à la porte, qu’il était allé ouvrir et n’avait vu personne. La terreur se répandit dans tout, le village, la maison continuait à être hantée, l’agitateur répondait à toutes les questions et au moyen des lettres de l’alphabet on sut qu’il s’appelait Charles Rayn, qu’il avait été assassiné dans cette maison et demandait des prières. On apprit plus tard qu’une des filles de la famille Fox, qui était ventriloque, répondait aux questions posées à l’esprit frappeur et quant aux coups frappés à la porte, c’est une farce de gamins qui se pratique dans tous les villages.

C’est une des plus vieilles croyances de l’humanité que l’âme s’échappe du corps au moment de la mort et, qu’elle est condamnée à errer tant que le cadavre n’a pas reçu une sépulture convenable. Les mauvais esprits, les revenants, les fantômes, les lares, les gnomes, les farfadets n’ont pas cessé d’effrayer les populations naïves et crédules qui se plaisent toujours aux aventures surnaturelles. Depuis la préhistoire jusqu’à nos jours, en passant par les légendes chaldéennes, égyptiennes, grecques, romaines, juives, slaves, scandinaves et mahométanes, on trouve jusqu’en Extrême-Orient des âmes en peine qui viennent se plaindre aux vivants et des vivants terrorisés par les esprits des morts qu’ils voient dans leur sommeil ou par hallucination à l’état de veille. L’aventure de la famille Fox est presque textuellement rapportée dans une lettre de Pline le Jeune et les journaux nous parlent couramment de maisons hantées. Pour les hommes de science, il y a encore des maisons maudites qui, contaminées par des maladies contagieuses, sont toujours funestes aux habitants qui [p. 655] viennent y résider les uns après les autres. Cette constatation, qui a amené certaines peuplades à brûler la hutte dans laquelle s’était produit un décès, a pu contribuer à accréditer la mauvaise influence attribuée aux morts sur les vivants. Il est donc facile de comprendre que plus un peuple a de tendance à la religiosité, plus il est disposé à revenir aux vieilles idées superstitieuses qui ont toutes été conservées, souvent à peine transformées par la série des religions. On ne s’étonnera plus alors de constater qu’en 1854 les Etats-Unis comptaient 60.000 médiums, qui sont les intermédiaires nécessaires entre les vivants et les morts, c’est­ à-dire les prêtres de cette nouvelle religion.

Le spiritisme s’introduit en France vers cette époque et Allan Kardec en fixe la doctrine dans le Livre des Esprits, qui peut se résumer ainsi : « L’homme se compose d’un corps périssable, d’une âme ou esprit éternel et d’un périsprit, enveloppe fluidique, de forme humaine, participant de l’un et de l’autre, mais qui suit le sort de l’esprit. Ordinairement le péris­ prit est invisible, mais l’esprit peut le rendre momentanément accessible à la vue et au toucher et agir ainsi sur la nature inerte au moyen d’un médium dont il emprunte une partie de la substance et de la force. C’est par des coups et des mouvements que les esprits appellent l’attention sur eux et correspondent avec les vivants. Ils peuvent former des caractères quoique n’ayant plus de corps, mais ils préfèrent se servir de la main d’un médium pour se manifester. Les médiums auditifs ont la faculté d’en­ tendre les esprits et de converser avec eux, les médiums voyants ont le privilège de les voir sous une forme plus ou moins atténuée. Le moment de la mort est celui que les esprits choisissent de préférence pour se pré­senter à ceux qu’ils ont connus. Ils leur racontent leurs impressions sur l’autre vie qui est bonne ou mauvaise selon la façon dont il se sont con­ duits avant leur mort. La table tournante et frappante, qui doit être légère et avoir des roulettes, est l’instrument dont se sert généralement le médium pour correspondre avec les esprits, convaincre les incrédules et répandre la doctrine. Si le spiritisme n’apprend rien de nouveau, il prouve d’une manière irrécusable l’existence de l’âme, sa survivance, son indi­vidualité, son immortalité, les peines et les récompenses distribuées après la mort par la Justice de Dieu. Il ramène à la foi celui qui s’en était écar­té, car il a pour bases les vérités fondamentales de toutes les religions, mais sa morale est essentiellement chrétienne, parce que celle du Christ est la plus pure. »

Cette religion s’appuie, comme les autres sur une aveugle crédulité, sur des affirmations sans preuves, sur une foi robuste dans des faits con­traires à toutes les données de la science et qu’on ne peut accepter sans faire abstraction de sa raison. Le fondement même de cette croyance l’existence de l’âme qui persiste après a dissolution du cerveau, organe de l’intelligence, n’a pu être admis que par certains hommes de science dont l’imagination, la sensibilité et le mysticisme ont été plus impérieux que le besoin de rechercher la vérité par l’observation, l’expérience et le raisonnement. Peut-être venait-elle à son heure pour rassurer ceux [p. 656] qu’effrayait alors l’admirable campagne menée par cette pléiade de savants qui luttaient par leurs ouvrages et leur apostolat contre le mysticisme religieux ou philosophique pour le triomphe du matérialisme et de La Pensée nouvelle qui était le titre de leur journal de propagande. La société d’Anthropologie de. Paris s’honore d’avoir compté parmi ses membres la plupart de ces penseurs, de ces savants, de ces lutteurs qui ont sou­ vent payé de leur fortune et même de leur liberté le droit qu’ils s’arro­geaient de tout dire sous un régime abhorré de jésuitisme et de compression. Les noms de MM. Louis Asseline, Girard de Rialle, André Lefèvre, Charles Letourneau, Gabriel de Mortillet, Elisée Reclus, Clémence Royer, Eugène Spuller et Charles Vogt, pour ne parler que des disparus, doivent être pieusement conservés dans la mémoire de tous ceux qui ont vécu à l’épo­que héroïque de ces grandes luttes engagées pour le triomphe de la vérité et par tous ceux qui ont le souci de conserver une libre discussion qui n’a été conquise que par le travail et le dévouement de ces glorieux pré­curseurs.

Est-il besoin de dire que le spiritisme se propageait aussi, pour ne pas manquer aux traditions, par la fraude et le charlatanisme et que ses dupes conservaient leurs illusions même après qu’on leur avait donné la preuve de la façon dont ils avaient été mystifiés. Parmi de nombreux procès en police correctionnelle, le plus probant fut celui dit des photographies spi­rites, qui se déroula à la septième chambre les 16 et 17 juin 1875. Un sieur Leymarie, qui avait succédé à Allan Kardec dans la direction de La Revue Spirite, s’était associé à un photographe nommé Buguet et à un médium américain appelé Firmann pour photographier les ombres des personnes décédées moyennant finances. On donnait au client sa propre image der­rière laquelle apparaissait, sous la forme vague d’un spectre enveloppé d’un suaire, la tête de la personne évoquée et généralement reconnue avec la foi du charbonnier. Buguet avoua l’escroquerie qui consistait à com­pléter un mannequin drapé par une tête d’homme, de femme ou d’enfant découpée dans une photographie et répondant à peu près au signalement que l’on avait su habilement faire donner par l’intéressé sans qu’il s’en aperçût. A-t-on bien fait de condamner cette association d’exploiteurs quand on voit tous les jours des religieux, se vantant et trafiquant d’un pouvoir illusoire et relevant du même article du code, qui non seulement ne sont pas poursuivis, mais étaient encore payés hier et sont toujours honorés, flattés, ménagés et défendus par les pouvoirs publics. Pourquoi traiter dif­féremment le même acte selon que ceux qui le commettent sont puissants ou misérables, portent un vêtement civil ou religieux ? Ce n’est pas sans raison que Me Albert Salmon défendant la « Sorcière de Marly » déclarait que le spiritisme étant une véritable religion ne devait pas être traité autrement que les autres.

Dans les Religions actuelles, M. Julien Vinson cite de nombreux cas de fraude constatés un peu partout, des âneries et des niaiseries prêtées par des médiums aux prétendus esprits de grands hommes, des apparitions d’esprits de gens encore en vie. Une enquête faite par l’Université de [p. 657] Pensylvanie sur seize médiums les plus renommés, comprenant notamment Mme Fox-Kand, une des filles de M. Fox de Hyrlesville, a démontré l’ignorance et la mauvaise foi des médiums : on a saisi des ardoises dont n’avait pu se servir le médium Slade et où la dépêche spirite était déjà tracée ; on trouva les mains d’un médium tachées de l’encre dont on avait enduit les baguettes d’lin tambour dont venaient battre les esprits; à l’aide d’un miroir habilement dissimulé, on vit, sous la table, les mains d’un médium occupées à écrire. Enfin le célèbre Homes, dans une séance donnée aux Tuileries, fut surpris par un aide de camp sceptique donnant à la duchesse d’Albe son pied nu pour la main d’un esprit. M. Vinson ajoute qu’il n’y a là rien de bien nouveau, qu’il y a près de deux cents ans l’abbé Thiers anathématisait les tamis tournants, qu’au XVIIIe siècle Mesmer et Cagliostro exploitèrent la curiosité et la naïveté publiques par des procédés et des prétentions analogues, qui sont continués par les somnambules, les magnétiseurs et les devineurs de nos jours. On peut même remonter beaucoup plus haut et l’évocation de l’ombre de Samuel devant Saül par la pythonisse d’Andore est une séance de spiritisme dans laquelle le médium est une femme.

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Dans le journal L’homme, année 1887, M. L. Manouvrier a rendu compte d’une séance de spiritisme à laquelle il a assisté et qui confirme presque en tous points la critique de M. Vinson. A propos du raisonnement qui consiste à dire qu’on doit croire au spiritisme parce que de grands savants ont déclaré l’admettre, il rappelle que parmi les preuves de l’existence de Dieu ou de l’immortalité de l’âme les prédicateurs ne dédaignent pas de placer, à côté du consentement unanime des peuples, le consentement de nombreux grands hommes comme Napoléon. De même les spirites disent : M. Crookes est un physicien illustre, qui a inventé le radio­mètre, or il a constaté la réalité de certains phénomènes extra-naturels, donc, vous qui n’êtes pas un savant et qui n’avez rien inventé, vous ose­riez insinuer que la doctrine spirite ne repose sur aucun fait rigoureuse­ment constaté ! A celà M. Manouvrier répond que dans le déterminisme des phénomènes invoqués par les spirites peuvent intervenir des condi­tions physiologiques fort obscures et qu’un physicien, même illustre, peut se trouver dépaysé dans la physiologie cérébrale. Nous reviendrons plus loin sur l’explication possible qu’il en donne.

A une époque où la science a la légitime prétention de devenir la religion de l’avenir en faisant disparaître toutes les superstitions qui ne peu­vent s’appuyer sur l’observation et l’expérience, on aurait pu espérer que les sectateurs du spiritisme deviendraient de moins en moins nombreux. Mais les étonnantes découvertes de la science moderne ont été invoquées comme un nouvel argument en faveur de forces agissantes, qui ont pu ne pas avoir encore été définies de façon précise, mais que l’on doit chercher et que l’on peut trouver dans un temps plus ou moins rapproché. M. le Dr Félix Regnault, qui n’est pas, que je sache, un spirite, fait remar­quer que les rayons X, la télégraphie sans fil, la radio-activité, les rayons [p. 658] ont transformé certaines théories scientifiques et expliqué des phénomènes qu’on considérait comme relevant des sciences occultes.

C’est un peu en se fondant sur cette idée que M. Camille Flammarion a publié en 1906 un livre intitulé : Les forces naturelles inconnues, dans lequel il prend la défense du spiritisme. M. Flammarion est un astronome célèbre, qui a rendu de grands services à l’éducation populaire en vulgarisant la science astronomique, mais qui a fait aussi beaucoup de mal, à notre avis, en contribuant à consolider les doctrines de la philosophie métaphysique en publiant : Dieu dans la Nature, qui prétend être une réfu­tation en règle des conceptions matérialistes. C’est le droit devenu incon­testable, au moins dans les pays libres, de défendre par la parole et par la plume ce que l’on croit être la vérité, c’est le corollaire indispensable de la liberté de penser et ce sont les discussions sincères qui doivent mener à la découverte du vrai. Toutefois dans ses discussions scientifiques nous reprochons à l’auteur de considérer comme des ignorants ou des gens de mauvaise foi ceux qui ne sont pas convaincus par son argumen­tation. On aimerait à voir les savants comprendre que les esprits sont diffé­rents et que toutes les opinions peuvent s’exprimer et se défendre. La to­lérance en matière scientifique devrait être une réalité et faire le pendant de la tolérance religieuse ; nous avons encore beaucoup à faire pour con­ quérir l’une et l’autre. Notre auteur était admirablement préparé à admettre la doctrine spirite, car ayant adopté la doctrine pythagoricienne de la métempsychose et une partie des rêveries exposées par Jean Reynaud dans Terre et Ciel, il croit à l’Âme immortelle survivant au corps, à son perfectionnement presque indéfini par une migration dans les différents astres qu’il déclare habités, ce qui pourrait être cependant une difficulté de plus pour son évocation sur la terre dont elle doit être séparée par des distances presque incommensurables, mais il n’envisage pas cette objection. Il ne parait pas d’ailleurs très persuadé que la cause efficiente des phénomènes spirites auxquels il croit fermement, soit en réalité l’esprit des morts. Il pense tout au moins qu’ils peuvent avoir une autre cause, bien qu’il envisage la possibilité d’un cosmos spirituel composé d’êtres invisibles et d’une com­munication avec les Âmes des morts. Il admet que certains médiums ont la faculté de faire mouvoir des objets à distance, de soulever des tables, de les faire parler, d’agiter des rideaux, de faire entendre certains bruits, d’écrire sur des planchettes ou des ardoises, de faire apparaître des silhouettes qui impriment leur figure ou leur main sur la cire molle ou la farine, de photographier ces fantômes. Il dit qu’il s’agit d’une force physique d’ordre psychique.

Il s’appuie comme tous les apôtres du spiritisme sur l’autorité des savants, des littérateurs et des artistes qui défendent cette doctrine. Il cite Taine qui, dans son livre : De l’Intelligence, explique le spiritisme par un dédou­blement inconscient de notre esprit, par la co-existence dans le même in­dividu de deux pensées, deux volontés, deux actions distinctes, l’une dont il a conscience, l’autre dont il n’a pas conscience et qu’il attribue à [p. 659] des êtres invisibles. Il cite ses expériences personnelles et celles d’Allan Kardec, d’Agénor de Gasparin , de sir A. R. Wallace, Faraday, comte de Rochas, Dr Ch. Richet, Dr Dariex, G. de Fontenay, V. Sardou, W. Crookes, Alfred Binet, Dr Ochorswiez , Lombroso, etc. etc. Il rappelle que la Société dialectique de Londres dont le président est S. John Lubbock, à laquelle Huxley refusa de s’associer, nomma une commission comprenant : Mor­gan, Variey, R. Wallace… laquelle admit : « qu’il existe une force capa­ble de mouvoir des corps pesants, sans contact matériel et que cette force dépend, d’une façon encore inconnue, de la présence d’êtres humains. » Ce n’est pas nous qui contredirons à la nécessité de la présence d’êtres humains de bonne volonté.

Il pense que la radio-activité et les ondes hertziennes militeraient en faveur d’une force encore inexpliquée ; qu’il n’y a qu’une substance anté­rieure à la nébuleuse d’où tous les corps sont issus. Nous ne voyons et tou­chons, dit-il, que les condensations de la substance, les formes produites par le mouvement. Matière, force, vie, pensée ne sont qu’un. L’univers est un grand organisme régi par un dynamisme d’ordre psychique. L’es­prit est dans tout.

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Cette profession de foi spiritualiste n’est qu’une affirmation sans preuve qui n’est pas faite pour donner créance à. la cause qu’il défend. Il ne ré­pond pas à l’objection du Dr Paul Valentin disant que la science se ren­fermant dans ce qui est humain ne connait pas le merveilleux, qu’elle n’a pas à le contrôler parce que leurs méthodes sont différentes et qu’on a tort de demander aux savants de confirmer le spiritisme.

Mais la discussion est sincère et très honnêtement M. Flammarion ex­pose les objections qui ont été produites contre la réalité des faits sur les­ quels s’appuie la croyance spirite. Il reconnaît que personnellement les réponses ne lui ont jamais rien appris, ce qui diminue beaucoup l’impor­tance des communications de l’au-delà. A propos d’Eusapia de Naples, M. Aksakof dit qu’elle imposait toujours des conditions défavorables à l’observation et qu’il n’a pu se former une conviction. Slade, le médium de M. Zœllner, a été convaincu de tricherie. M. le Dr Gustave Le Bon a constaté, par un éclairage non soupçonné par Eusapia, que c’est son bras habilement dégagé qui, derrière le rideau, vient frapper ou pincer les assistants et il pense que tout est fraude. M. Antoniadi a la même con­viction, rien ne se produit sans une substitution de main qui se fait avec une dextérité extraordinaire ; une table suspendue au plafond n’a pu être agitée par des passes. M. le Dr Gilbert Ballet, après avoir cru voir une table soulevée, a proposé à Eusapia de placer lui-même une assiette sur une table préalablement contrôlée pour que sa conviction puisse se faire si l’assiette était soulevée, le médium a refusé de se soumettre à un programme fixé d’avance. Elle ne réalisait donc pas les conditions scien­tifiques de l’expérience normale et l’on se demande pourquoi il fallait un rideau dans une pièce plongée dans l’obscurité.

Homes, qui n’était lui-même qu’un simulateur, prétend que Mlle Cook, le médium de W. Crookes, une jeune hystérique de quinze ans, n’a été [p. 660] qu’une habile farceuse, elle a été surprise comme Slade en flagrant délit de tricherie. Les fantômes de la villa Carmen à Alger, maison très hospitalière aux jeunes hommes et aux jeunes filles, ont été expliqués par le journal La Vie normale ; ils étaient produits tantôt par le médium avec des drape­ries, tantôt par d’autres acteurs et notamment par une négresse dont la couleur facilitait l’imprécision. Pour prouver sa réalité on lui demanda de souiller dans une bouteille contenant une dissolution de sel de baryum que l’acide carbonique de la respiration devait rendre laiteuse. Mais la négresse fantôme était mal dressée, elle souilla d’abord à côté du goulot et fut obligée de s’y reprendre à plusieurs fois avant de réussir. Dans cette expérience, comme dans toutes les autres, il est défendu de toucher et le Dr Ch. Richet, qui a cru voir le fantôme, ne peut affirmer qu’il n’a pas été mystifié.

On peut se demander si M. C. Flammarion n’a pas une tendance à admettre des faits paraissant rentrer dans l’ordre de ses préoccupations métaphysiques plutôt qu’une réelle conviction, quand, après avoir dit que la fraude n’explique pas tout, il rappelle qu’il avait ainsi classé les séan­ces spirites :

1° Caresses amoureuses comme aux agapes chrétiennes ;

2° Charlatanisme du médium abusant de la crédulité ;

Quelques chercheurs curieux, auxquels on peut ajouter qu’il était refusé de prendre les précautions les plus élémentaires pour que l’expé­rience fût scientifique. En somme, après avoir lu ce livre, il est toujours aussi difficile d’admettre la réalité des faits qui forment la base du spiritisme.

Les spirites ont eu généralement l’habileté d’adjoindre à leurs séances un certain nombre d’expériences de somnambulisme ou d’hypnotisme qui sont régulièrement constatées par la science, bien que celle-ci ne puisse pas toujours en donner une explication satisfaisante, et ils espèrent, peut-être avec raison, que leur doctrine profitera de ce voisinage toujours impres­sionnant, surtout pour des profanes. En effet, en réunissant des faits dif­férents dont l’interprétation est encore sujette à caution, si l’on accepte les uns comme scientifiquement démontrés, on espère que les autres ne seront pas rejetés, quoiqu’ils n’aient pas profité d’une semblable démonstration. Mais nous avons volontairement laissé de côté les visions, les auditions de voix, les pressentiments et les rêves, si nombreux qu’il n’est pas étonnant qu’ils se réalisent parfois, en un mot, tout ce qui ne relève pas directement du spiritisme organisé.

Dans cet ordre d’idées, reste donc qu’on s’appuie sur des opinions de savants plus ou moins compétents, contredites par d’autres non moins importantes et que toutes sont d’une sincérité incontestable. Mais les sa­vants avec leur grande sincérité et leur honnêteté professionnelle sont prédisposés à croire à l’honnêteté des autres hommes et peuvent être facilement dupés par des fraudeurs. Pour découvrir des supercheries, ce n’est pas tant de savants, même physiologistes, que de prestidigitateurs qu’il faudrait s’entourer. Les personnes qui s’intéressent aux expériences [p. 661] des spirites sont en général préparées par leur éducation et leur menta­lité à admettre leur réalité et l’explication qui leur en est donnée, cela répond aux idées métaphysiques auxquelles on les a initiées dès leur enfance et il est rare d’y voir beaucoup de sceptiques disposés à se prému­nir contre la fraude et connaissant les moyens de la constater. Le médium a d’ailleurs un moyen radical pour se débarrasser de ces gêneurs, il déclare qu’il y a un assistant qui le trouble, qui n’est pas sympathique aux esprits et les empêche de se rendre à son invitation. Si l’on veut être plus poli, on attribue l’insuccès à la température ou à la mauvaise disposition du médium et le résultat est le même. On n’opère qu’entre initiés qui acceptent tout, comme à l’église, parce qu’ils ont été suffisamment entrainés, ou devant des savants venus pour contrôler et pour lesquels on a soigneu­sement préparé la séance pour leur donner satisfaction, mais auxquels on refuse de faire aucune modification dans la disposition des objets servant à l’expérience ou toute vérification qui n’a pas été prévue parce que cela gênerait les esprits.

Noël Amandru assistait à une conférence faite par l’étudiant Labiez à la salle des Ecoles, rue d’Arras. Une dame Brochard, qui était spirite, mécontente des conclusions matérialistes de l’orateur, offrit de convaincre les sceptiques par une démonstration. On proposa d’évoquer l’esprit de la laitière Gillet, qui venait d’être assassinée, pour lui demander si son assassin avait quitté Paris. Or Labiez, l’un des assassins, était présent et le fantôme de la laitière resta sourd à l’appel. C’était pourtant une belle occasion pour l’âme irritée de la victime de dénoncer le criminel, mais la séance manquait de préparation.

Les fidèles sont si éloignés de chercher à se documenter et à contrôler les manifestations qu’une dame m’engageait à suivre son exemple et à me préparer aux séances en m’enfermant seul dans l’obscurité, pendant un certain temps, avec un squelette humain, afin de me livrer à des ré­flexions macabres qui plaisent, paraît-il, aux esprits. Il est également recommandé aux néophytes de suivre avec assiduité une série de séances pour arriver à se convaincre. Le peintre Hugo d’Alési disait à M. Amandru qu’il devrait jeûner comme les saints de la Thébaïde pour mériter de croire au spiritisme. C’est en effet par des jeûnes et des exercices de piété répétés, qui dépriment le corps et l’intelligence, que l’on fait naître et que l’on en­tretient la foi et la vocation surtout chez les jeunes cerveaux. Là est l’expli­cation de l’intérêt que témoignent à leur manière les prélats pour les petits enfants. On conçoit qu’avec une pareille préparation on est disposé à tout accepter sans examen. Le meilleur moyen de communiquer avec les esprits c’est d’avoir la foi et de subir un bon entraînement.

L’obscurité paraît d’ailleurs jouer un grand rôle dans les expériences médiumnites. On ne s’explique pas en quoi l’obscurité peut favoriser un prolongement de force musculaire ou nerveuse ; mais on comprend qu’une apparition qui ne se voit que la durée d’une étincelle électrique, pendant laquelle il est défendu de regarder le médium, permet de reconnaître le fantôme apparu parce qu’il n’a pu être vu que par les yeux de la foi. [p. 662]

Les procédés employés par les purs esprits pour correspondre avec les vivants paraissent aussi bien frappants et bien matériels. Pincer les gens, les griffer, leur faire monter des tables sur les genoux, même sans les blesser n’a rien de précisément spirituel. Faire tomber des lunettes, changer une montre de poche, faire traverser un rideau par un livre, avoir besoin d’un arsenal de tambourins, de sonnettes, de bouquets, d’éventails, d’ar­doises, de bouteilles, de baignoire, de bahut, qui sont les accessoires or­dinaires d’un Robert Houdin, tout cela n’est pas fait de prime abord pour inspirer confiance. Si j’étais esprit, il me semble que je préférerais encore l’emploi du crayon et du papier pour entretenir une conversation, puis­que c’est un procédé qui peut s’employer.

Le malheur est que ces conversations écrites ou frappées sur un al­phabet sont d’une banalité désespérante. Cet esprit qui, dégagé de sa prison corporelle, devrait n’avoir au moins rien perdu de son élévation naturelle et des qualités de pensée et d’expression qu’il avait avant la mort, semble être tombé, en passant par le médium, à un état de dépres­sion si intense qu’on serait tenté de croire que c’est la réponse du médium que l’on entend, car elle parait être en rapport avec son instruction et son milieu et l’on n’a pas besoin d’être d’une intelligence supérieure pour en remplir les fonctions, Flammarion lui-même ne parait pas éloigné de le penser et il doit regretter plus que tout autre que les renseignements sur l’au-delà ne soient pas plus précis pour savoir s’ils correspondent à ce qu’il a imaginé. On aurait appris qu’il y a des esprits heureux et d’autres malheureux, mais en quoi consiste le bonheur des uns et le malheur des autres, on ne le dit pas. Est-ce parce que la contemplation de la divinité dans le paradis et le chant de ses louanges, quand on a perdu ses yeux, sa bouche et le reste, leur parait à la longue bien mono­tone, que les esprits se plaisent à revenir sur la terre ? Ils auraient été bien aimables de nous renseigner à ce sujet puisqu’ils se dérangent pour être utiles aux vivants et éprouvent le besoin de converser avec eux. On a dit cependant d’une façon plus précise que dans l’autre monde on joue la comédie, que l’on s’y marie, qu’on y est jaloux et qu’en y retrouverait toutes les misérables passions humaines. Mais il y a longtemps que l’on a imaginé la vie future comme étant, même chez les dieux, la reproduc­tion de la vie terrestre.

M. Vinson cite des médiums qui ont fait dire des niaiseries à des esprits supérieurs : Gambetta regrettant d’avoir eu trop d’ambition ; d’autres qui ont pris des noms de lieux pour des noms d’homme ou ont fait appa­raître les esprits de gens encore en vie. Il est remarquable aussi que l’es­prit ne pourrait dessiner ou faire de la musique, fût-il un grand peintre ou un grand musicien, si le médium ne savait lui-même le dessin ou la musique.

Le Dr Paul Valentin dit que les médiums et les adeptes convaincus sont des hallucinés qui donnent une existence réelle et objective aux concep­tions imaginaires et subjectives de leur esprit. L’image formée dans le cerveau du médium a plus d’intensité que l’image qu’y forment les corps [p. 663] extérieurs, leurs visions deviennent pour eux plus réelles que les réalités. Ils voient comme dans le rêve, ils voient en dehors et extérieurement les images de leur esprit. Ce sont des cerveaux malades, au moins sur ce point, mais ils sont de bonne foi, comme les gens crédules qui pensent avoir été témoins de faits miraculeux.

M. Manouvrier, qui avait déjoué la perspicacité d’un médium à la recherche d’un nom en appuyant légèrement sur la prononciation de lettres qui n’en faisaient pas partie, avait déjà dit qu’un médium, pré­tendant n’obéir qu’à l’impulsion des esprits peut être sincère, car les opérations cérébrales inconscientes l’emportent souvent sous le rapport de la délicatesse et de la pénétration sur les opérations conscientes. Les sens acquièrent une acuité prodigieuse dans le sommeil hypnotique et certains médiums peuvent réussir à se placer dans un état psychique analogue, sous ce rapport, à celui des hypnotisés.

Ces deux opinions concordantes d’hommes de grande valeur nous parai­traient presque trop indulgentes si le Dr Valentin n’ajoutait que Papus disait qu’il ne faut pas faire un crime à un médium de truquer, parce que tous y sont amenés. L’hystérique est toujours un enfant, il aime à se mettre en représentation et c’est surtout quand il est acteur qu’il doit intéresser les assistants. L’activité de jeu, même sans intérêt, explique son plaisir à faire du spiritisme. Il a pu, au début, recourir au somnambulisme réel, mais avec l’entraînement il s’en passe, c’est une question d’imagination. Le médium a pu être sincère au début, mais il y a plaisir à mystifier, il trompe plus ou moins consciemment et pris en flagrant délit il ne se croit pas un imposteur.

En dehors du sommeil hypnotique ou de la suggestion du médium et des assistants, nous pensons qu’il est toujours loisible d’admettre des faits non expliqués à la condition de se prêter sincèrement à la constatation de ces faits et aux expériences véritablement scientifiques qui peuvent en donner l’explication et permettre à tout le monde de les accomplir. Quand on voit des métaux émettre des radiations d’une activité considé­rable, quand on admet l’assimilation presque complète de l’influx nerveux avec le courant électrique, on ne doit pas s’étonner outre mesure que tous les corps vivants et spécialement les mammifères, les plus élevés dans la série zoologique qui sont des centres d’action et de réaction physico­-chimique toujours agissants, puissent aussi émettre certaines radiations qui feraient sentir leur action à distance. Mais les prétendus effets de ces radiations, coups, lévitation, fantômes, ne nous paraissent pas pouvoir être admis sans la plus extrême réserve. Dans l’expérience de la balance extra-sensible abaissant un de ses plateaux à l’approche du médium, un mouvement un peu brusque, un souffle volontaire, ou involontaire indépen­damment de l’aimant si ce plateau contient du fer, peuvent produire ce résul­tat. Mme Cécile Cassot déclare qu’elle a été très impressionnée par ce fait qu’étant d’une grande tristesse par suite de la mort de son frère, elle fut invitée à assister à une séance de spiritisme par M. Chaigneau, un savant spirite. Le médium lui ayant demandé de penser à quelqu’un, les lettres [p. 664] frappées par la table formèrent très vite le nom de son frère. On peut sup­poser que M. Chaigneau qui connaissait la femme de lettres et son deuil l’avait convoquée pour la consoler en la persuadant de la survivance de son frère, dont il avait pu donner le nom au médium, ou que, si Madame Casset prononçait elle-même les lettres, son émotion pouvait se traduire par sa prononciation comme dans l’expérience rapportée par M. Manouvrier·

M. Manouvrier nous paraît avoir fait la part large à la sincérité des médiums en supposant qu’ils peuvent à la rigueur, à l’état de veille, attein­dre à une acuité de sens comparable à celle des personnes en état d’hyp­nose. Mais d’un autre côté M. Valentin est peut-être allé un peu trop loin en disant que les adeptes convaincus du spiritisme sont des hallucinés et l’hallucination permanente est de la folie. Il n’y a probablement que bien peu de cerveaux dans lesquels ne voisinent des vérités et des erreurs et s’il fallait considérer comme fous tous les adeptes des croyances religieuses actuelles, au nombre desquels M. Vinson range, non sans raison, les spirites, les francs-maçons, les saint-simoniens et les positivistes, on conviendra qu’il est peu de personnes qui pourraient se vanter d’avoir conservé leur bon sens.

Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’on a pu constater une sorte de dédouble­ment de la pensée qui permet à des hommes de science de faire leurs expériences avec les plus scrupuleuses exigences et la plus grande recti­tude de jugement et de conserver en même temps, sans penser à les discuter, les croyances religieuses ou philosophiques qui leur ont été inculquées par la famille, le prêtre ou le professeur et auxquelles ils res­tent attachés par sentiment, comme à une sorte de souvenir d’une enfance regrettée ou de personnes aimées. On sait la réponse que faisait l’abbé Bourgeois à M. G. de Mortillet : « Comme savant, je crois que l’homme existe depuis plus d’un million d’années, mais comme prêtre j’enseigne qu’il a été créé il y a 6.000 ans. »

Nous devons être assez psychologues pour comprendre toutes les façons de penser, assez respectueux de la liberté pour tout excuser. Mais nous avons aussi le devoir de lutter pour faire disparatître ce que nous pensons être une erreur et triompher ce que nous considérons comme la vérité. Aurons-nous la chance, par cette rapide étude, de diminuer le nombre des spirites, nous n’osons l’espérer, car nous n’aurons certainement pas découragé les simulateurs et quant aux personnes sincères il en est peu qui se soumettent à un contrôle sévère et à une rigoureuse expérimen­tation parce qu’elles se trouvent bien de croire.

Nous nous sommes depuis longtemps efforcé de montrer que toutes les religions se tiennent, qu’elles reposent sur quelques idées morales, mais surtout sur des illusions, qu’elles devraient avoir fait leur temps et doi­vent disparaître devant les progrès de la science. Nous sommes d’ac­cord avec M. le Dr Legrain si bien placé à Ville-Evrard pour étudier la pathologie mentale et qui ne met pas en doute que le mysticisme, la croyance au diable et l’éducation religieuse donnée lors de la pre­mière communion, c’est-à-dire en pleine crise de la sexualité, sont au [p. 665] nombre des causes les plus fréquentes de la folie. Nous rejetons absolu­ment tout ce qui concerne la survivance de l’âme et le périsprit dont il n’a jamais pu être donné de preuve sérieuse. Le spiritisme, qui a fait appel peut-être encore plus que les autres cultes au charlatanisme dont ils se sont tous servis pour recruter des adhérents, est un de ceux qui devraient disparaître des premiers. S’il est dans les faits sur lesquels il s’appuie quelque chose qui mérite d’être examiné, la science s’en occupera d’autant mieux qu’ils seront dégagés d’explications préalables injustifiées, d’une mise en scène et d’une fantasmagorie voulues, qui ne peuvent que troubler la sérénité des chercheurs et retarder la constatation de la part de vérité que ces prétendus faits peuvent contenir.

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