Charles Bost. Les « Prophètes des Cévennes » au XVIIIe siècle. Extrait de la « Revue d’histoire et de philosophie religieuses », (Paris), 5e année n°5, Septembre-octobre 1925. pp. 401-430.

Charles Bost. Les « Prophètes des Cévennes » au XVIIIe siècle. Extrait de la « Revue d’histoire et de philosophie religieuses », (Paris), 5e année n°5, Septembre-octobre 1925. pp. 401-430.

 

Charles Bost (1871-1943). Pasteur de l’Église réformée de France. – Historien. – Journaliste, compositeur, et dramaturge.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’ouvrage. – Par commodité nous avons renvoyé les notes originales de bas de page en fin d’article. – Les images ont été rajoutées par nos soins. — Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

[p. 401]

Les « Prophètes des Cévennes » au XVIIIe siècle.

Le mouvement des « inspirés » du Dauphiné, du Vivarais et des Cévennes a donné lieu déjà à de nombreux travaux. L’un des premiers, fort sérieux, est la thèse de licence soutenue à la Faculté de Théologie de Strasbourg par le pasteur A. Dubois sur Les prophètes cévenols (1861). Deux autres thèses, portant le même titre (E. Rauzier, Montauban, 1893, et F. Watier, Paris, 1894) étudient les événements en faisant appel aux découvertes récentes de la psychologie. Une dernière thèse du pasteur Jean Benoit (Les prophètes huguenots, Montauban, 1910) est plus spécialement encore une étude poussée de psychologie religieuse, et mérite une mention particulière.

Il y aura lieu cependant de reprendre le sujet. Jusqu’ici, en effet, les commentateurs se sont exercés sur les mêmes documents, à savoir sur les récits imprimés des auteurs catholiques ou protestants du XVIIIe siècle. Or les catholiques Brueys (Histoire du Fanatisme) ou Louvreleuil (Le Fanatisme renouvelé) ne parlent des inspirés que pour les tourner en dérision, et par contre Jurieu (Lettres Pastorales) ou les témoins cités dans le Théâtre Sacré des Cévennes voient en eux un miracle manifeste de Dieu (1). Antoine Court, le plus sage des auteurs anciens, qui avait, comme pasteur, violemment combattu les prophètes, n’a pas osé, cependant, à la fin de sa vie, les peindre sous des couleurs trop bizarres dans son Histoire des Troubles des Cévennes (1760). Il a été retenu par un sentiment de filial respect envers sa mère qui les vénérait, et envers l’Église protestante (encore persécutée) du sein de laquelle ils avaient surgi.

Or, on conserve dans les papiers d’Antoine Court (Bibliothèque de Genève, copie à la Bibliothèque du Protestantisme français [p. 402] à Paris) des relations originales, et dans les Archives de l’intendance du Languedoc (Archives départementales de l’Hérault à Montpellier) des pièces judiciaires, qui fournissent du mouvement «prophétique» une vue directe. C’est seulement quand ces documents auront été publiés qu’une étude d’ensemble sera possible, à laquelle on pourra convier un neurologiste de profession.

Nous avons déjà mis au jour un certain nombre de ces données pour la période qui s’étend de 1700 à 1702, et décrit d’une façon neuve l’agitation prophétique des Cévennes à la veille de la guerre camisarde (voir :Revue Historique de 1921, tomes CXXXVI et CXXXVII). Les pages qu’on va lire ne prétendent qu’à amorcer des recherches plus considérables. Elles ont le seul avantage de s’appuyer en partie sur les éléments inédits empruntés aux deux dépôts que nous venons de mentionner. Ajoutons qu’elles reproduisent (avec quelques détails de plus) une conférence donnée en mars 1925 à Strasbourg et à Colmar.

*     *

Quand on raconte à un auditoire protestant des épisodes de l’histoire de nos Églises après la Révocation de l’Édit de Nantes, on choisit presque toujours un sujet qui lui soit familier. On peint la vie et l’activité de quelque martyr, de quelque pasteur, dont les idées ressemblent aux nôtres et qui entrent sans trop d’effort dans les cadres d’aujourd’hui. Tel n’est pas notre cas. Nous nous proposons de retracer à grands traits un mouvement étrange, qui nous transportera dans un monde avec lequel nous n’avons rien de commun. Il est d’autant plus surprenant, qu’il s’est propagé dans un milieu de tradition calviniste où le mysticisme a toujours été très sobre (trop sobre, si l’on veut). Nous présenterons d’abord un récit continu des événements, que nous ferons suivre de quelques observations sur la nature des faits rapportés et d’une rapide conclusion sur leur valeur morale et religieuse.

1. —Historique du mouvement.

La dragonnade qui, en 1685, dans le Bas-Languedoc le Vivarais et le Dauphiné, poussa par la violence ou la menace les protestants dans les églises catholiques, était absolument inattendue. La marche des troupes s’accompagna d’une véritable panique. La Révocation de l’Édit de Nantes, conclusion légale des conversions enregistrées, en supprimant tout culte protestant et en détruisant les derniers temples, mit le comble à l’angoisse religieuse. L’émotion provoqua chez les protestants les plus ardents, [p. 403] qui ressentaient le plus violemment la honte de leur apostasie, des hallucinations, dont d’ailleurs il est impossible de ne pas saluer l’intense et profonde poésie. A Orthez, dans le Béarn, dès septembre 1685 (l’Édit de Révocation est seulement du 21 octobre) on entendit chanter « dans les airs » les Psaumes défendus, au-dessus des ruines du temple. Cette nouvelle, colportée par des « fugitifs » provoqua les mêmes auditions miraculeuses jusque dans le Haut-Languedoc (Viane, Mazamet), les Cévennes, le Vivarais et le Dauphiné (décembre 1685-mai 1686) (2). A la mélodie des Psaumes s’ajoutait dans ces nouvelles régions le son éclatant de la trompette et le roulement des tambours (réminiscences douloureuses de la marche des dragons) ou le gémissement d’une plainte tragique et monotone.

Parurent alors dans les Cévennes, le Vivarais et le Dauphiné les premiers prédicants laïcs, création spontanée du protestantisme qui voulait vivre. On connut les assemblées tenues la nuit, la pendaison des fidèles arrêtés, la fusillade des auditeurs surpris, l’impitoyable répression d’une Cour affolée. Jurieu écrivit, dès mars 1686, que l’Apocalypse prédisait pour 1689 une délivrance assurée, et comme Pierre du Moulin avait fixé pour la même date un triomphe de l’Église, les affirmations du grand père fortifièrent celles du petit-fils. Enfin, dès les derniers mois de 1686, le bruit se répandit dans la vallée du Rhône que les princes d’Allemagne s’étaient coalisés contre Louis XIV (Ligue d’Augsbourg). Une guerre européenne était prochaine. Les réformés ne doutèrent pas qu’elle ne fût voulue de Dieu pour châtier un royaume persécuteur. En 1687, une effervescence générale se marqua dans toutes les provinces du Midi (3). Quelques mois plus tard éclatait le prodige initial, duquel dépend toute l’histoire des « prophètes ».

Dans le petit village de Saou, non loin de Crest (Drôme) vivait une pauvre bergère, illettrée, de 16 à 17 ans, nommée Isabeau Vincent. Née de parents protestants qui s’étaient convertis .avant la dragonnade, elle avait d’abord suivi la messe. Elle refusa ensuite à son père d’y assister. Celui-ci alors la « loua » [p. 404] comme gardienne de moutons et de porcs à son oncle Guil. Berthe. La nuit du 3 février 1688 ses maîtres l’entendirent « crier et parler». Elle était évanouie; on la fit revenir à elle. Depuis, elle « parla en dormant ». Les phrases qu’elle prononçait étaient religieuses. Elles étaient dites dans le patois du pays. Par la suite elle s’exprima en français. Les premiers témoins qui aient fait mention d’elle la montrent, dans son sommeil, assez calme, quoique par instants agitée de mouvements convulsifs. Endormie, elle était insensible, mais on pouvait la réveiller en la secouant violemment. Dans certains cas elle parlait avec une extrême véhémence, allant jusqu’aux cris. Autour de son lit s’assemblèrent rapidement des protestants curieux ou repentants qui virent en elle un instrument providentiel du Saint-Esprit. Elle fut enfin arrêtée le 8 juin, enfermée à l’Hôpital de Grenoble et après avoir quelque temps manifesté les mêmes agitations, et prononcé les mêmes discours — dont elle ne gardait pas mémoire — il semble qu’elle se soit apaisée, et qu’elle ait enfin vécu en catholique (4).

Mais la bergère, pendant les quatre mois qu’elle avait groupé autour .d’elle des personnes de tout âge et de tout sexe, avait, sans le vouloir, répandu le don étrange de l’exhortation inconsciente. Dès la fin de juin 1688 d’autres « enfants » parlaient comme elle et à la fin de l’année, dans tout le quartier qui s’étend de Livron à Montélimar et jusqu’à Nyons, on rencontrait de ces « petits prophètes », car c’est ainsi qu’on les nommait. Un témoin oculaire nous les décrit:

« Ce sont des personnes … des plus simples et des plus idiots (naïfs), qui ne savent ni lire ni écrire. Il y a des jeunes garçons et filles de 2, 3, 4 ans. Il y a des jeunes filles de 15 à 16 ans, des autres un peu plus âgées. Il y en a de 25, 27 ans, mais j’en ai ouï une de 65 qui a un zèle à faire fondre les cailloux. Quand le mal charmant et céleste les prend, il semble qu’ils tombent du mal caduc. Il y en a qui se relèvent d’abord: après, étant debout prêchent, et font des discours fort zélés qui ne tendent qu’à la repentance et amendement de vie… Il y en a d’autres qui ne parlent que couchés, d’autres parlent en se promenant (d’autres le) font souvent, comme j’ai vu, ou debout, ou couchés, ou même assis » (5). [p. 405]

Du Dauphiné, en traversant le Rhône, la contagion passa en Vivarais. Elle devint là plus violente, et présenta des caractères nouveaux. Des assemblées entières se courbèrent sous le souffle de l’« esprit ». Un «inspiré» du village de Cliousclat, Gabriel Astier, parut aux environs de Baix sur le Rhône, communiquant le don à un certain nombre de femmes (janvier 1689). Il annonçait que le Saint-Esprit s’était communiqué dans tout le Dauphiné, que bientôt la religion protestante serait seule professée dans le royaume, et que dans trois mois aurait lieu « le jugement général ». Il parlait aussi d’une effroyable bataille, où les peuples de l’Europe ligués contre le roi auraient le dessus.

Bientôt sur les sommets qui s’étendent au sud de la vallée de l’Eyrieux, des attroupements se formèrent, de protestants venus pour admirer les prophètes, qui devenaient prophètes à leur tour. Un gentilhomme envoyé pour dissiper une assemblée se vit entouré d’inspirés qui lui reprochaient à grands cris son incrédulité, le baisant sur la bouche pour lui « souffler l’esprit ». Gabriel Astier, qui avait fui en s’enrôlant comme soldat, fut remplacé par des Vivarois dont l’un portait le même nom que lui : Alexandre Astier. L’épidémie gagna vers le Haut-Vivarais. Sur la montagne de Tauzuc, le prophète Valette, apprenant que des soldats marchaient contre les fidèles. assura ceux-ci que les armes tomberaient miraculeusement des mains des dragons, et « serviraient à les tuer eux-mêmes ». Quelques heures plus tard, un capitaine, rencontré par une bande hors de sens, fut massacré à coups de pierre avec neuf soldats.

Les autorités du Languedoc accoururent de Montpellier, commandant une répression impitoyable, et le 19 février, sur le Serre de la Palle ( entre Saint-Pierre ville Pt Saint-Christol) une immense assemblée fut cernée par les troupes royales qui laissèrent trois cents morts sur la place. Les prophètes avaient assuré leurs auditeurs qu’il n’avaient rien à craindre, car ils les voyaient gardés par des anges « blancs comme la neige et petits comme le doigt ».

Cette horrible exécution arrêta net le mouvement commencé. Le Vivarais ne connut plus dès lors que des inspirés solitaires. Dans le Dauphiné le prophétisme ne se manifesta plus que sporadiquement. Des légendes lentement se formèrent autour des récits du massacre, qui subsistent encore en Vivarais (6). Le prédicateur [p. 406] Claude Brousson les recueillit pieusement huit ans plus tard (1697), quand il traversai les montagnes de l’Ardèche et les plaines de la Drôme pour s’instruire des « prodiges » qu’on lui avait dit se produire toujours dans ces régions. Il vit, ici ou là, des prophètes assez calmes, et des prophétesses ardentes; mais la plupart des miracles qu’on lui rapportait remontaient aux temps de la grande agitation. Il ne se doutait pas, ni personne, que l’« inspiration » allait reprendre, plus extraordinaire que jamais (7).

Le feu, cette fois, s’alluma dans une région où il n’avait pas encore paru. Les terres protestantes qui montent des environs de Nîmes jusqu’aux sommets cévenols, de l’ Aigoual et de la Lozère ,avaient été le champ d’élection des « prédicants ». On avait entendu là, de 1686 à 1698, des hommes souvent sans études (Brousson excepté), mais qui du moins prêchaient à la manière traditionnelle, sans extases, et dans la pleine conscience de leurs idées et de leurs mots. La plupart de ces prédicants avaient appuyé leurs exhortations d’espérances précises. Ils avaient compté que la guerre européenne s’achèverait par une paix où les réformés de France gagneraient la liberté. Les traités de Ryswick n’ayant rien apporté à ce peuple douloureux, un affreux découragement passa sur les troupeaux en 1698. Les derniers prédicants, exténués, s’exilèrent. L’intendant Bâville, pour exploiter une lassitude dont il se rendit compte, recommença les dragonnades, de sa propre autorité, pour obliger cette fois ses Nouveaux Convertis à fréquenter la messe et forcer leurs enfants à recevoir les instructions catholiques. L’exaspération, d’abord contenue, finit par éclater. Le prophétisme allait faire sa proie des âmes affolées.

Un inspiré du Vivarais, accompagné d’une ou de deux femmes, quitta les environs de Vals et de Vallon vers la fin de l’année 1700. A peine avait-il passé le torrent de I’Ardèche qu’il communiqua « le don» à un habitant de La Bastide de Virac nommé Daniel Raoulx. Ce fut ce dernier qui incendia d’abord la région d’Uzès. Le 2 juin 1701 le village de Valêrargues, soulevé d’un bloc, se rua contre deux prêtres et ‘un juge pour délivrer un inspiré, et saccagea ensuite l’église et la cure. A dater de ce [p. 407] jour, on peut suivre soit vers Nîmes au sud, soit vers Le Vigan à l’ouest, soit vers les Cévennes au nord, une véritable vague d’illuminisme. Tantôt ce sont des isolés qui « tombent », tantôt ce sont tous les enfants d’un bourg (Cruviers, sur le Gardon) qui pendant une nuit d’orage « hurlent comme des loups, frappant dans leurs mains, criant : Nous sommes aux derniers temps ; mes frères, mes sœurs, faisons pénitence; il faut faire mourir les blasphémateurs ! » Les éclairs étaient salués de l’exclamation : « Je vois le ciel ouvert ! »

Bâville condamne à la potence, aux galères, il entasse dans les prisons de jeunes « fanatiques » ( c’est le nom que leur imposent doctoralement les médecins de Montpellier). Les parents demeurent stupéfaits devant le mal incompréhensible qui atteint leurs enfants. Les soldats s’irritent, ils fusillent des· assemblées qui résistent, on les assaille à coups de pierres pour leur arracher des prisonniers.

La colère des inspirés s’emporte à de graves propos. En juin 1702, l’un d’eux déclare dans les Cévennes « qu’au premier jour » y aura deux cents personnes rassemblées, qui abattront les églises et tueront tous les anciens catholiques ». Le prophète Abraham Mazel qui a « reçu les grâces » près de Saint-Jean du Gard a des visions : « Dans un jardin, de grands bœufs noirs broutaient les plantes. Une personne me dit de chasser ces bœufs ». Puis, dans une inspiration, il comprend son rêve : « Ce jardin est l’Église, les gros bœufs noirs sont les prêtres. qui lia dévorent. Je serai appelé à les mettre en fuite. » L’Esprit lui dit ensuite : « Prépare-toi à prendre les armes pour la cause de Dieu. » Mais il hésite, et ses frères, eux aussi, sont « scandalisés de cet ordre inconcevable, voyant, dit-il, ma faiblesse et mon néant » (8)

La suite, on la connaît. C’est l’arrestation au Pont de Montvert de quelques fugitifs, le procès qui se prépare contre eux par les soins de I’abbé du Chayla, l’assemblée pieuse tenue sur la montagne du Bougès, où l’esprit commande à Mazel « en l’agitant beaucoup » (il s’agit de convulsions) de partir pour délivrer les prisonniers, C’est le siège nocturne de la maison de l’abbé, l’incendie du logis; c’est le corps du prêtre percé de cinquante-deux coups, le massacre de deux autres prêtres, de deux régents ecclésiastiques, de sept anciens catholiques, l’incendie et la ruine de deux églises et de trois maisons curiales.

Tout cela a été raconté, au début des diverses relations, [p. 408] anciennes ou modernes, qui fixent à la nuit du 24 au 25 août 1702 les débuts de l’insurrection camisarde. Mais il est surprenant que personne, sauf Louvreleuil, n’ait insisté sur la part qui revient dans ces événements tragiques aux «ordres» que les prophètes, chefs de l’expédition, ont donnés comme provenant de l’« Esprit ». Il suffit cependant de lire avec soin ce qu’Abraham Mazel a dicté dans le Théâtre sacré des Cévennes, pour se retrouver dans l’atmosphère qui était la sienne. Ces hommes ne se possédaient plus. Ils n’agissaient que sous le coup de leurs inspirations successives. C’est l’« esprit » qui lance la bande en avant, qui « ordonne » qu’on réclame les prisonniers à l’abbé, qui ordonne que la maison soit incendiée, qui ordonne qu’un soldat de milice, arrêté, soit épargné, qui ordonne que le prêtre, sommé de se convertir au protestantisme et qui refuse, soit mis à mort (9).

Pareillement les «inspirations» commanderont toute la révolte cévenole qui va soulever le pays de 1702 à 1704. On se condamne à ne rien comprendre à son audace, à sa violence — et aussi à sa cruauté — si l’on oublie qu’elle fut menée par des « prophètes ».

« C’était par les inspirations que toutes les affaires se réglaient et gouvernaient, » raconte un témoin. « Les chefs n’avaient le commandement qu’à cause de l’excellence du don qui était en eux. Je crois qu’il y avait bien près de la moitié de leurs soldats qui étaient inspirés » (10) Un autre affirme avoir vu « plusieurs fois dans l’extase et l’inspiration » les chefs Ravanel, Catinat, Abraham Mazel et le fameux Laporte, dit Roland (11)

Le héros le plus connu de la guerre camisarde, Jean Cavalier ne fait pas exception. A lire ses Mémoires, publiés depuis peu par M. Franck-Puaux (12) on croirait assister simplement à de hardis coups de main commandés par un officier de sang-froid, toujours maître de ses délibérations, Les prophètes n’y sont même pas mentionnés. Mais Cavalier a publié son livre en Angleterre, en 1726, alors que ses accès d’inspiration avaient cessé, et que le « prophétisme » lui-même était fort décrié. Il en .a soigneusement retranché tout ce qui touchait à l’illuminisme. Il avait été moins circonspect en Hollande. Voltaire, qui l’y rencontra, note qu’il était devenu chef « par son courage et à l’aide d’une prophétesse qui le fit reconnaître sur un ordre exprès du Saint-Esprit » (13) [p. 409] Mme du Noyer, chez qui Cavalier avait fréquenté (en Hollande également) rapporte que le jeune homme, quand il prit les armes (sous le commandement d’abord de Roland) s’autorisa d’un rêve qu’il avait fait à douze ans, où il se voyait « le libérateur de ses frères». Elle affirme qu’il n’agissait que sur les inspirations d’une jeune prophétesse, et parle même incidemment « d’une extase où il serait tombé lui-même, le lit dans lequel il était couché tremblant par la force de son agitation » (14).

On pourrait suspecter le témoignage de Mme du Noyer, qui est empreint d’une évidente mauvaise humeur, mais les compagnons mêmes de Cavalier, dans le Théâtre sacré, ont été plus explicites. Nous le voyons, grâce à eux, consultant constamment les prophètes ou les prophétesses qui l’accompagnent, désignant « par inspiration » ceux de ses soldats qui sont dignes de prendre 1a, cène, « doué de grâces extraordinaires » (les « grâces » sont précisément « le don » d’inspiration), obéissant à des visions (15). Il condamne à mort un traître de sa troupe, et il se reproche de ne pas l’avoir démasqué plus tôt : « Assis à terre il tomba en extase et eut des agitations extraordinaires. Dans la violence des mouvements qui le soulevaient et qui le secouaient rudement, l’Esprit lui dit (en fait, c’est Cavalier qui parle}. Je t’assure, mon enfant, que si tu murmures contre mon commandement, je t’abandonnerai» (16)

Après quelques succès éclatants, Cavalier fut battu aux environs de Nîmes, Ses magasins furent découverts, il manqua d’hommes, de munitions, de vivres. La, politique de la Cour, à ce moment précis, tourna, grâce à 1’a clairvoyance du Maréchal de Villars, L’illustre soldat, que Louis XIV avait envoyé dans le Languedoc pour apaiser la révolte, comprit dès son arrivée qu’il avait affaire à des hommes auxquels ne pouvait s’appliquer la mesure ordinaire: « J’ai vu, écrit-il dans ses Mémoires, des choses que je n’aurais jamais crues si elles ne s’étaient passées sous mes yeux: une ville entière (entendez : un bourg) dont toutes les femmes et les filles sans exception paraissaient possédées du diable. Elles tremblaient et prophétisaient publiquement dans les rues. » « J’ai affaire à des fols » écrivait-il au Ministre de la guerre (17). Il considéra que les violences n’aboutiraient qu’à [p. 410] aggraver la situation, et, comme on sait, entra dans la voie de l’accommodement. Cavalier fut sondé, et accepta de négocier. Il ne faut pas chercher dans ses Mémoires un récit authentique des faits, car délibérément et sans grande habileté il a voulu les tourner à sa gloire. Qu’il ait été trompé par le Maréchal, la chose est certaine, mais il s’ est prêté à la tromperie par une extrême candeur, et cette candeur lui vint de son obéissance à ses inspirations. Mme du Noyer et le Théâtre sacrés’accordent pour nous apprendre qu’il ne s’aboucha avec le général La Lande qu’après une extase convulsive. Ceux de ses soldats qui posèrent les armes avec lui ne doutaient pas qu’il n’eût agi « sur des avertissements positifs » de l’Esprit (18). Bien plus, si, brusquement, à Mâcon, il abandonna un instant ses compagnons pour aller à Versailles, c’est qu’il avait reçu, un peu avant de traiter, cette assurance divine : « Tu parleras au roi » (19). Jusqu’au moment où il est sorti de France il a donc été un inspiré, s’affirmant comme tel.

Ceux des Camisards qui refusèrent de le suivre, qui l’abandonnèrent à Calvisson et remontèrent dans les Cévennes pour continuer la lutte, obéissaient pareillement à l’ordre de prophètes dont les « avertissements » étaient contraires à ceux de Cavalier. Le baron d’Aygalliers, dont l’influence .avait été considérable auprès du grand chef dans l’affaire des négociations, ne gagna rien contre ces derniers prophètes. Il vit l’un d’eux « tomber sur le pavé avec armes et bagages. Il occupa, dit-il, la moitié de la chambre où il resta trois bonnes heures à faire des contorsions et des mouvements épouvantables, se tenant à lui-même des discours comme s’il avait été ravi au ciel, d’où il préjugeait beaucoup de malheur sur la terre » (20).

Roland fut surpris et tué en août 1704. Presque tous les Camisards s’exilèrent ou se rendirent. La guerre était finie. Quelques dernières entreprises échouèrent en 1705 et en 1709, conduites ou inspirées par des «prophètes» encore, notamment par Abraham Mazel, et par Pierre Claris, ce dernier célèbre parmi ses frères pour avoir affronté sur l’ordre de l’esprit l’épreuve du feu: il était passé volontairement au milieu des flammes « sans qu’un cheveu de sa tête eût été offensé ». En 1710 Mazel fut tué, et Glaris· roué vif (21). [p. 411]

Nous avons passé en revue jusqu’ici trois périodes successives de l’histoire des prophètes. Les premiers événements du Dauphiné (1688-1689) conditionnent ceux du Vivarais ( début de 1689). Ceux-ci, à distance, commandent ensuite tout le prophétisme qu’on peut appeler camisard, qui se révèle avant, pendant et immédiatement après le soulèvement des Cévennes (1701; 1702- 1704; 1704-1710).

Les prophètes ne disparurent pas, cependant, quand se furent apaisés les suprêmes mouvements de la révolte. Ils avaient tenu une telle place dans la résistance religieuse opposée par les Réformés à Louis XIV que vers 1711 ils étaient presque seuls à maintenir vivante la piété protestante. La fièvre camisarde tombait, sans doute, on revenait au bon sens, mais l’état des anciennes Églises était si misérable, si anarchique, si évidemment morbide, qu’une réaction s’imposait. Elle fut, on ne l’ignore pas, l’œuvre des deux prédicateurs du désert, Antoine Court et Pierre Corteiz. Dès 1715, dans le premier synode du désert, Antoine Court décide qu’on luttera contre le prophétisme, et qu’on ramènera les Églises à leur forme traditionnelle et à leur régularité mystique d’autrefois.

La lutte fut vive, et il faut le savoir. Court avait grandi au milieu des prophétesses du Vivarais, pour lesquelles sa mère avait une véritable vénération, et ce ne fut pas sans effort qu’il dut s’opposer à des souvenirs d’enfance. Nous le voyons, après 1715, pendant cinq ans au moins, fréquenter des prophétesses qui lui prédisent les plus vastes destinées, et qu’il consent encore à écouter. D’autre part, parmi les prédicateurs qu’il prétend ramener à l’ « ordreé, l’un au moins, Vesson, est un inspiré, rebelle à toute discipline, qui a de très chauds partisans (22).

L’« inspiration », combattue par les « pasteurs » nouveaux, et poursuivie, d’autre part, avec une particulière rigueur par les autorités royales qui lui reprochaient (avec raison) d’avoir été le facteur principal de la révolte camisarde, se vit de moins en moins. Une de ses suprèmes manifestations, et des plus curieuses, fut le groupement, sorte l’Église véritable, dont le peuple de Montpellier appela 1€s adeptes les « multipliants ». Un sanctuaire [p.412] établi dans une maison de la ville y fut découvert en 1723. Vesson y baptisait ses adhérents avec de l’eau-de-vie, dans des tabernacles de papier peint ornés d’inscriptions en un pseudo hébreu (23).

Les derniers « prophètes » suscitèrent en 1754 dans la Vaunage, près de Nîmes, l’agitation des écouflaïres » (en patois : les gonfleurs), dont le sobriquet rappelle les crises où ils « soufflaient et écumaient ». Un certain Maroger promit à une veuve qu’il ressusciterait son mari, et qu’un ange le transporterait lui-même « dans une île d’Angleterre où il serait roi » (24).

Dans les Baisses-Cévennes, en 1732, on arrête des inspirés « hurlants et tremblottants, paraissant ivres » et en 1748 encore une famille dont la mère, la fille et les deux fils se sont mis tout nus, ayant jeté par la fenêtre de leur chambre tous les meubles, « pour purifier le Temple du Seigneur » (25).

En Vivarais, où, dès 1701, la contagion prophétique avait brusquement repris après douze ans de demi-silence (26), elle ne provoqua pas la même secousse que dans les régions méridionales. On retrouve là des prophétesses en 1709 et 1713, autour du jeune Court. En 1728, près de Saint-Fortunat, pendant deux heures, une troupe d’illuminés hurle en frappant sur des tonneaux ou sur des coffres. Deux illuminés qui se désignent comme « le Saint-Esprit » et « le Père Eternel » sont vainement poursuivis. Le dernier, de son vrai nom Pierre Dortial, est pendu en 1742, mais en 1745 encore los pasteurs du quartier signalent les extravagances de ses derniers disciples (27)

Nous ne savons rien des toutes dernières convulsions des prophètes. On en signale un, dans les Cévennes, en 1750, et une tradition, que nous n’avons pu contrôler, prétend qu’on pourrait les suivre plus loin encore (28).

2. — Simulation. — État morbide. — Contagion.

Ayant exposé dans ses phases successives. le mouvement prophétique, nous présenterons maintenant quelques observations touchant sa nature. [p. 413]

Quelle sorte de personnages avons-nous devant les yeux, depuis 1688 jusque vers 1745 ou 1748 ? Les catholiques d’autrefois on dit d’eux : ce sont des possédés du démon. La bergère de Crest, à l’Hôpital de Grenoble, fut rasée, dépouillée de ses habits et de son linge. On cherchait si elle avait « un charme caché quelque part ». Elle fut exorcisée avec de l’eau bénite (Jurieu). Dans les Cévennes (1702), on soupçonne un homme ,d’avoir donné à deux prophétesses des breuvages (entendez : des philtres sataniques) ; ailleurs on parle d’une « poudre d’enchantement ». Nous ne croyons plus aux possessions démoniaques et nous n’insisterons pas sur cette première affirmation (29).

Autrement persistante a été l’assurance que les prophètes étaient des simulateurs. Trie histoire courut, qui a été appelée à une extraordinaire fortune, car elle .a été répétée ou combattue sans qu’on l’ait jamais examinée de près. Les petits prophètes du Dauphiné passèrent pour avoir été formés à dormir, gesticuler et parler, par un protestant zélé de la province. Si l’on en croit Fléchier (Mémoire touchant la bergère de Crest), ce serait la bergère elle-même qui, en 1689, calmée, et vivant en catholique dans l’Hôpital général de Grenoble aurait avoué avoir été « dressée à ce badinage » par un homme dont elle aurait fait le portrait, mais qui lui aurait été inconnu. Le bruit se répandit même que cet homme était arrêté et allait être jugé. Dans le même temps on parla de la friponnerie de « deux ou trois hommes » qui auraient « instruit » les inspirés (30). Fléchier ensuite nomma le coupable (Relation sur les fanatiques du Vivarais) : un De Ferre, gentilhomme verrier, de Dieulefit (Drôme) qui aurait apporté à sa famille, en revenant de Genève, ce prétendu don de prophétie, et qui l’aurait ensuite habilement passé à des enfants. En 1692, sous la plume de Brueys (premier volume de son Histoire du Fanatisme) l’homme devint « Du Serre, verrier sur la montagne du Peyra ». La relation de Fléchier fut oubliée. On ne propagea plus, dès lors, que l’affirmation de Brueys, qui contenait une double erreur de mots. Ce n’est que de nos jours qu’un érudit Dauphinois a retrouvé dans ce Du Serre un certain Amos Du Ferre, exploitant la verrerie de Salecru, dans un repli du massif boisé qu’on appelle parfois la montagne d’ Aleyrac, non loin de Dieulefit (31).

A y regarder de près, Brueys n’a fait que développer la [p. 414] donnée que lui a fournie Fléchier, en y ajoutant une indication géographique qu’il a mal recopiée (d’Aleyrac devenant du Peyra) et en estropiant le nom de De Ferre. On ne savait donc rien de net ni en 1692 ni en 1689 sur la part que le gentilhomme pouvait avoir eue dans la propagation ou l’origine du mouvement. Il est parfaitement absurde de prétendre qu’il ait pu rapporter le prophétisme de Genève, où les inspirés n’ont jamais trouvé que de la méfiance ou de l’hostilité. Si l’on veut absolument rapprocher ce De Ferre des petits prophètes, il suffit de voir en lui un des réformés qui sont venus entendre Isabeau Vincent, qui ont révéré en elle un instrument de la Providence, et dans la famille de qui le « don » s’est répandu.

Ceci accordée — si l’on y tient —, il est ridicule de soutenir qu’une agitation aussi considérable, et qui s’est poursuivie si longtemps, ait été une simple imposture. Les jeunes, prophètes ont été maniés, piqués, tourmentés, roués de coups parfois, par leurs propres parents sur lesquels leurs crises attiraient la colère des autorités et qui, désespérés, les conduisaient aux prêtres pour se décharger d’une lourde responsabilité. Les prisons du Bas-Languedoc en ont été remplies en 1702, et l’« inspiration » s’est manifestée jusque dans les galères et sur le banc de la torture. Qu’il y ait eu dans certains cas de la «simulation» de la part des inspirés, il en faut cependant convenir. Chez ceux d’entre eux qui présentent les symptômes marqués. de l’hystérie, on peut constater le « mensonge hystérique ». Un cas typique est celui de l’inspirée qui, en 1701, dans le Vivarais, était partout montrée comme « pleurant du sang ». Arrêtée dans une assemblée et envoyée à Montpellier, elle fut surprise par l’officier qui la conduisait, « dégorgeant du sang par la bouche ». Atteinte d’hémoptysies, elle se contentait donc de mettre les mains sur les lèvres pour se teindre le visage de sang. Si elle n’a pas imaginé elle-même le miracle, elle l’a tout au moins laissé s’accréditer sans le démentir (32). Il y aura lieu de retenir une observation de cet ordre quand on voudra examiner le dossier complet des prophètes.

Nous venons de prononcer le mot d’hystérie, et par là nous arrivons sur le terrain où il convient de se placer. Les inspirés sont des malades. Ils présentent souvent certains symptômes caractéristiques d’affections nerveuses aujourd’hui cataloguées, qui ne sont pas nécessairement liées à des émotions religieuses. Un prophète de 1702 déclare que lorsque « le don » s’empare de lui « il sent le Saint-Esprit dans son estomac comme un caillou » (ceci est la fameuse boule hystérique). Un autre, plongé dans un [p. 415] demi-sommeil laisse sortir de sa bouche un bruit « semblable à celui du pigeon qui roucoule » (on a noté dans des cas d’hystérie ce roucoulement). Ajoutons que les scènes d’inspiration se déroulent presque toujours selon le même plan. Il y a évanouissement (tout au moins perte apparente de connaissance), puis convulsions plus ou moins violentes (du corps tout entier, ou seulement des bras), et enfin flux de paroles, ou exclamations successives. Quelquefois, de la raideur tétanique pendant le sommeil. Les médecins d’aujourd’hui connaissent ce « sommeil catalepsique » suivi d’un « délire somnambulique ». Le plus souvent, l’inspiré ne se souvient plus au réveil de ce qu’il a pu dire ou faire, et la crise s’abat sur lui avec la soudaineté de l’épilepsie (33).

Insistons ,sur quelques traits particulièrement remarquables. D’abord sur l’insensibilité. Elle se manifeste pendant la période du sommeil. Le prophète ne réagit pas, qu’on le pince ou qu’on le pique. Dans des cas extrêmes cette insensibilité se conserve jusque dans l’état de veille. Un des prophètes qui joua son rôle dans l’affaire du Pont de Montvert, en 1702, Esprit Séguier, fut pris, condamné à avoir le poing coupé et à être brûlé vif après avoir subi la torture : « Étendu sur le banc de gêne il y fanatisa dans toutes les formes (c’est-à-dire qu’il y eut des convulsions et y tint des discours pieux). Il se laissa ensuite couper le poing avec une intrépidité sans égale, lequel tenant encore de la peau il acheva lui-même de le couper avec ses dents et le jeta dans son bûcher, où étant finalement attaché avec deux chaînes de fer il s’y donna deux si grandes secousses qu’il se tua avant qu’on y eût mis le feu » (34) Nous avons dit que le prophète Claris « passa par l’épreuve du feu ». Antoine Court, avec son bon sens, interrogea sagement l’un des témoins de l’affaire, qui consentit à reconnaître que Claris avait été si bien touché par les flammes qu’il avait dû ensuite se faire panser. Seulement il n’avait pas ressenti la: brûlure (35).

L’insensibilité de certains hystériques (dans le cas notamment des sorcières) est bien connue. Il n’est pas jusqu’à la contagion qui n’ait été constatée dans les observations des troubles nerveux. En 1882, en Vivarais, dans une usine de soie, une jeune [p. 416] fille tout d’un coup tomba en convulsions, criant : « J’ai un chat sur les épaules ! » Le lendemain quelques-unes de ses compagnes de travail étaient atteintes des mêmes agitations. La contagion prophétique du XVIIIe siècle avait été du même ordre. A cet égard le mouvement abonde en exemples surprenants.

La contagion était parfois « à retardement ». On dit des petits prophètes du Dauphiné en 1689 : « Cela leur arrive par une maladie qu’ils gardent une dizaine de jours, après quoi ils prennent un grand assoupissement et tombent comme morts, n’ayant rien de libre que la langue et les bras » (36).

En d’autres circonstances, la contagion était presque immédiate. Un témoin du Dauphiné proteste contre l’accusation que ces inspirés sont des simulateurs, et il raconte le cas d’un homme de bon sens, qui revient d’une assemblée de prophètes, subitement interrompue par la venue des soldats. « Se retirant la nuit avec ceux de son village il tomba tout à coup comme frappé du haut mal, se vautrant clans une couche de deux pieds de neige jusqu’à ce qu’on le retirât et qu’on le mît sur son séant, puis les yeux fermés et comme un homme qui dort il se mit à prêcher et à prophétiser » (37).

Enfin, la contagion parfois est subite. Nous rapporterons à ce propos deux faits, ceux-là d’autant plus curieux qu’ils concernent des catholiques. En 1702, à Montagnac près de Montpellier, un soldat de bourgeoisie, nommé Doustin, qui a vu un prophète en crise, est commandé pour le garder la nuit dans sa prison. Comme, quelques semaines plus tard, il est devenu lui-même un inspiré, on l’interroge, et il déclare que la nuit qu’il gardait le prophète il aurait eu un souffle (c’est le mot que le prophète emploie pour désigner son don), et sur le matin un autre soldat (catholique) lui révéla qu’il avait (lui, Doustin) prêché pendant la nuit, ce dont cependant il ne s’était pas rendu compte (38). Voici encore le récit d’un jeune homme de 16 ans, catholique d’origine, nommé Rouergas, arrêté comme prophète· aux environs de Nîmes (octobre 1701). A Lunel il a rencontré un inspiré, qui l’a fait boire dans un cabaret, et qui lui a demandé s’il savait le Notre Père. Rouergas répond affirmativement. Le prophète alors le baise et lui dit : « Quand tu réciteras cette prière, tu verras des choses extraordinaires ». « Ce qui me causa beaucoup de trouble, ajoute Rouergas. Je repartis de Lunel, et le long du chemin je dis le Notre Père ; dans lequel temps je tombai [p. 417] par terre, saisi d’un si grand tremblement que je crus que le prophète m’avait donné le haut mal. J’entrai chez un autre cabaretier qui m’invita à boire (pour me remettre). Je m’assis sur une chaise, je récitai le Notre Père, et en finissant je tombai à côté, saisi d’un grand tremblement avec saignée du nez, me venant en pensée (et en paroles aussi qui furent entendues et rapportées) qu’on rebâtirait les temples et que la religion huguenote fleurirait » (39).

Il nous resterait à citer des exemples de contagion collective. Nous avons parlé d’une troupe d’enfants hurlant pendant un orage durant toute une nuit, et de }a première bande d’attroupés qu’Abraham Mazel conduisit contre l’abbé du Chayla, et qui se soumit aveuglément aux «  ordres » des prophètes. Un tableau plus saisissant nous sera présenté par des officiers royaux qui ont surpris en Vivarais (1701) l’assemblée à laquelle l’inspiré Jacques Claude présentait la femme « pleurant du sang ». Nous recopions le procès-verbal officiel :

« Le prédicant prêchait avec tant de zèle, d’ardeur et d’emportement, ses auditeurs étaient si attentifs et si touchés de ce qu’ils entendaient que les uns hurlaient, les autres pleuraient, les autres gémissaient, ce qui faisait parmi eux une espèce de sabbat, ne s’entendant point les uns les autres, à la réserve du prédicant dont la voix très forte retentissait tout le long du ruisseau. Mais il y avait si peu de suite et de règle dans son discours que je n’y pus rien comprendre si ce n’est qu’il était dans une passion et un mouvement extraordinaires». Et plus loin : « C’étaient des cris, des gémissements, des frappements de mains, des répétitions de Ha ! mes frères ! des hurlements, faisant une espèce de sabbat, une assemblée de gens qui semblaient avoir perdu l’esprit ». Le prophète fut arrêté par deux soldats qu’il n’aperçut que lorsqu’ils lui mirent la main au collet. « Il avait un doigt d’écume à la bouche de chaque côté, et la voix si enrouée qu’il ne pouvait presque plus parler, étant tout mouillé de sueur » (40).

Cette contagion frénétique n’est due ici qu’à la parole. Mais on a pu relever déjà qu’elle se propageait individuellement par certaines manifestations qu’on pourrait appeler des procédés, et qui varièrent suivant les époques ou suivant les inspirés. Dans le Dauphiné, en 1689, on faisait « crier miséricorde une infinité de fois » (41). Gabriel Astier, en Vivarais, et ses émules, agissaient de même, mais de plus ils baisaient garçons et filles en leur disant : [p. 418]

« Tu seras de nos frères », « Tu seras de nos sœurs ». D’autres « soufflaient dans la figure » à ceux qu’ils voulaient voir animés de l’esprit, et c’est de cette coutume sans doute que provient le mot de « souffle » que nous connaissons déjà. Les « petits prophètes » de 1689 « demeuraient généralement quatre ou cinq jours sans manger, avant que de parler », sans qu’on puisse dire si le jeûne leur était imposé, ou s’il était chez eux le symptôme du travail secret qui les préparait à la crise décisive.

3. — Les dons « miraculeux ». — Exhortations. — Prédications.

Dans leur état de transe (nous écrivons ici le seul mot qui s’impose) prophètes et prophétesses étaient les agents de manifestations que leurs auditeurs et après eux beaucoup de protestants ont déclarées miraculeuses, et qui ont produit sur les catholiques du temps une impression profonde. Sous les sarcasmes des contempteurs des inspirés, on découvre un manifeste embarras. La Faculté de Montpellier appelée à examiner des prophètes se borna à les nommer dies « fanatiques », ce qui ne signifiait pas grand’chose, le mot ayant été employée par Fléchier dès 1689 en un sens qui n’avait rien de médical, et qui religieusement était fort vague. Nous sommes capables, aujourd’hui, de parler plus nettement. Pour autant que l’on peut ramener au connu ou à l’explicable des phénomènes qui, étant mentaux, demeurent mystérieux, la psychologie moderne a ici son mot à dire.

Parlons d’abord de ces discours, sortant de la bouche d’enfants souvent très jeunes et dont on affirme sans cesse qu’ils ne savaient ni lire ni écrire.

On constate d’emblée, par ce qui nous a été conservé des « discours » de la bergère de Crest, qu’ils se réduisent à des phrases religieuses, sans suite logique, commandées par l’idée de la repentance nécessaire à des apostats, et de la délivrance promise à une Église persécutée (42). Les versets bibliques qui sortent de sa bouche sont empruntés à la traduction usitée au XVIIe siècle parmi les protestants. Ils sont donc des souvenirs emmagasinés dans l’inconscient, qu’une agitation nerveuse d’un ordre particulier ramène au jour. On prétend qu’ignorante du français, et parlant seulement le patois du Dauphiné, la bergère ne put trouver en elle, dans des conditions intelligibles, les éléments de ses exhortations. Cependant il faut observer, tandis qu’un témoin l’entendit parler « bon français, bon accent » (43). [p. 419] qu’un autre nous dit des prophètes qui suivirent, et dans la même province : « Ils parlent français, mais c’est un français corrompu » (44). L’auditeur de la bergère a pu être dupe de son enthousiasme. Notons que pendant ses premières crises elle s’exprima uniquement en patois, et que ce fut, à œ qu’il semble, peu à peu, qu’elle usa du français, et seulement quand elle eut autour d’elle des personnes qui usaient entre elles du seul français (45). Il n’est pas téméraire de penser que ces visiteurs, gens pieux, transformaient la maison en un temple, y chantaient les Psaumes, y priaient longuement, probablement y lisaient à haute voix les livres religieux qu’ils avaient conservés. Par conséquent, sans s’en rendre compte, ils semaient dans l’esprit de la prophétesse des paroles dont elle usait ensuite inconsciemment. Si la bergère a refusé à son père d’aller à la messe, il est probable qu’avant ses crises elle a entendu des sermons lus entre protestants à la veillée, ou des exhortations prononcées par les premiers prédicants du Dauphiné qui parurent justement autour de Crest dès 1687 (46). On peut donc se représenter que les protestants les plus zélés, qui ont entouré les premiers inspirés d’une fervente admiration ont accru involontairement leur trésor verbal, et favorisé de la sorte leur développement. Si le rôle de De Ferre n’a pas été entièrement imaginé, peut-être est-ce à une action de cette sorte qu’il se réduit.

Quand un fonds antérieur de connaissances bibliques manquait à un prophète, celui-ci se bornait à répéter ce qu’il avait entendu sortir de la bouche des autres. L’inspiration, d’ailleurs, amenait au dehors tous les souvenirs religieux de l’inspiré. Isabeau Vincent, par moments, prononçait du latin, qu’elle avait, naturellement, recueilli à l’église. Un jour « elle chanta le Pater noster qu’on dit à la grand’messe, jusqu’à la fin ». Après quoi elle se reprit pour blâmer les chants latins (47). Mais un autre prophète, né dans l’Église romaine, ne savait pas distinguer entre ses souvenirs de catholique et ses acquisitions d’inspiré protestant. Doustin, que nous avons nommé, fut pris d’un accès pendant qu’un juge l’interrogeait. Ses paroles furent peu abondantes, car, comme on l’a vu, toute préparation antérieure lui manquait. L’« esprit » ne tira de ses lèvres qu’un Miséricorde! Grâce, Seigneur !, qui lui venait de l’homme de qui il tenait « le souffle », [p. 420] et un Filii, Filio meo qui sortait de la « synagogue de Satan » d’où maintenant le prophète prétendait retirer ses frères (48). Le cas de Doustin montre comment les discours des inspirés ne sont que la projection au dehors de paroles que leur passé — ancien ou récent — avait logées dans leur mémoire inconsciente.

Ces paroles jaillissaient parfois dans un tel désordre qu’elles restaient inintelligibles. On a vu ce que pouvait être le « discours » d’un Jacques Claude. Quelquefois les phrases, intelligibles, s’ajoutent les unes aux autres dans une puérilité ou une niaiserie décourageantes, On se demande comment il a pu se trouver, en 1712 et en 1714, des hommes assez bizarres d’esprit pour recueillir d’abord, et faire ensuite imprimer les « Avertissements» de quelques prophètes exilés en Angleterre, en Allemagne, en Suède ou en Pologne (49). Quand on a parcouru quelques pages de ces extravagances, qui sont dues en partie à des prophètes dont le témoignage est invoqué dans le Théâtre Sacré en faveur de la divinité des inspirations, on se prend à douter d’affirmations péremptoires qui nous peignent des prophètes camisards comme de puissants « prédicateurs ». L’un des plus fameux, Huc-Mazel produisit sur un agent des alliés, en 1704, une impression profonde. « Son sermon fut fait, dit ce dernier, d’une manière si sainte et si touchante que plût à Dieu tout le monde l’eût entendu. » (50). Il est peu probable qu’il eût satisfait les pasteurs de l’étranger à qui Huc est présenté comme un de leurs-collègues. On peut convenir d’ailleurs que l’« inspiration » s’est montrée souvent d’une énergie digne des plus hautes causes, et que du seul point de vue religieux elle a produit des effets inouïs. On peut, à ce propos, rappeler le mécanisme psychologique de la suggestion. Dans un cerveau momentanément vidé de toute idée, on introduit une idée forte, et capable de se développer largement. Livrée à elle-même et sans obstacle, elle se réalise par des moyens inattendus. Sous l’effet de cette inhibition cérébrale que produisait le sommeil cataleptique, les idées du repentir nécessaire, de l’Église à sauver, de Babylone à abattre, de la délivrance à attendre de Dieu, germaient en tiges touffues, s’épanouissaient en ramures abondantes. C’étaient des idées « désintéressées », par là d’autant plus animatrices et fécondes, et on s’explique (à ne regarder les faits que du dehors) que sous le coup de fouet « du don » ou « du souffle » des personnalités d’abord médiocres aient lentement conquis un [p. 421] ascendant considérable et se soient haussées à un niveau de courage et de conviction qui sort totalement de l’ordinaire.

Chez les plus puissants de ces prophètes la conscience se mêlait à l’inconscience de la façon la plus curieuse. Ils semblent s’être dédoublés, avoir gardé de leurs heures de «sommeil» un souvenir assez net, qu’ils utilisaient dans la veille. Cavalier cherchait dans une crise rapide, qu’il provoquait, croirait-on, à son gré, la réponse à une question difficile. La réponse lui était fournie par l’inconscient, et le conscient la saisissait aussitôt pour y conformer des actes. Des inspirés, ayant connaissance de leur « don », savaient pertinemment non seulement provoquer le don chez les autres, mais en un certain sens l’y régir. Ils appliquaient, probablement sans le savoir, la parole de saint Paul qui fut écrite à l’occasion de mouvements analogues à celui des prophètes cévenols, et que la traduction du temps présentait sous cette forme : « Les esprits des prophètes sont sujets aux prophètes » (I Cor. XIV, 32). Daniel Raoulx nous est montré en 1702 prenant part à une assemblée où l’on eut deux prédications successives : « Il était occupé à empêcher que ceux qui prophétisaient dans l’assemblée ne criassent, et que cela n’empêchât d’entendre la prédication ».

Nous n’avons trouvé nulle part qu’un inspiré se soit référé aux fragments de la Ire Épître aux Corinthiens qui concernent « le don des langues ». On peut se demander néanmoins si cette expression, prise dans le sens traditionnel tel qu’il a été inséré dans le livre des Actes (II,6) n’a pas eu sa part dans la rédaction du pseudo hébreu de Vesson. Les inscriptions de ses tabernacles, sûrement, avaient été données « par révélation ». A Alais, en 1704, le Maréchal de Villars se trouva en face d’une prophétesse qui passait parmi les protestants pour parler grec et hébreu, et qui lui adressa la parole « en une langue que personne n’entendit » (51). La pauvre créature « parlait en langues » au sens véritable que saint Paul donne à l’expression, c’est-à-dire s’exprimait, dans l’extase, en paroles inintelligibles. Il serait curieux de savoir si parmi ses compagnes d’inspiration il s’en trouva une qui crut devoir lui servir de truchement, en se prévalant, elle, du don d’interpréter les langues (I Cor. XII, 10) (52)

Dans les discours des premiers inspirés, ce sont les prédictions [p. 422] qui ont le plus vivement frappé l’imagination de leurs auditeurs. Ils ne se contentaient pas d’annoncer la prochaine délivrance de l’Église, ils fixaient une date à sa libération, et parlaient à ce propos de batailles sanglantes. A travers l’absurdité des phrases qui nous sont restées, nous reconnaissons une double influence, qu’ils subirent sans la reconnaître. D’abord celle des prophéties de Jurieu. Dès 1687, il prévoyait la chute de l’Église romaine pour mars 1689, dans un livre qui parvint en Dauphiné, car nous savons qu’il fut lu en Vivarais. Jurieu, en 1688, salua le Prince d’Orange, cinglant vers l’Angleterre avec son armée, comme l’homme providentiel qui, en abaissant la puissance du catholicisme, forcerait Louis XIV à restaurer en France la religion protestante. Mais avant Jurieu, les réfugiés de la Suisse, comme ceux de la Hollande attendaient de la guerre européenne le triomphe de leur foi; de Genève leurs lettres ou leurs émissaires entretenaient le Dauphiné dans cette heureuse espérance. Si l’on veut encore une fois ici faire intervenir le fameux De Ferre, on peut voir en lui le porteur de nouvelles qui, de Genève, ont fourni aux « petits prophètes » certains des matériaux de leurs discours. Le livre de Jurieu, et les lettres des réfugiés suffisent pour l’explication de tout ce qui en 1688 et 1689 est prédiction générale parmi les inspirés. Brueys ne s’est trompé qu’à demi quand il a fait de Jurieu le père du prophétisme.

Après cela il faut naturellement faire sa part à l’imagination de cerveaux ignorants et ne pas s’étonner des absurdités qu’ils répandirent. A la fin de 1688, en Dauphiné, les petits prophètes vaticinent « que dans trois mois il doit arriver des choses épouvantables…, qu’il se donnera une bataille au delà de Genève et proche de Lausanne… , que la délivrance approche, et qu’à Pâques nous communierons » (53). Quelques mois après il est dit « que si Bâle ne se repent, le chandelier lui sera ôté, que Bâle trahit Genève, que les étrangers seront mis dehors et massacrés, que Genève tiendra bon, que les grands de la terre s’y rassembleront et y tiendront un Concile. Qu’on verra les adversaires fondre comme la cire fond au feu et que le Roi fera un jour un accord avec le Prince d’Orange » (54) Au début de 1689, on prophétise en Vivarais « qu’un ange ira prendre le Prince d’Orange et le portera en France par les cheveux avec une armée de cent mille hommes » (55). Nous laissons de côté tout oe qui concerne les étoiles et les comètes dont l’apparition ou la chute saluera ce grand événement. Cette [p.423] préoccupation de l’avenir où la politique s’unissait à l’’illuminisme était si intimement rattachée aux inspirations qu’en 1698 Brousson connut en Dauphiné une vieille fille qui « en prophétisant, parlant de la guerre et de la paix, nomma tous les officiers généraux des armées de tous les souverains de l’Europe » (56).

Le thème de la guerre européenne ne fut pas repris par les prophètes d’Uzès ou des Cévennes lors de l’explosion de 1701. Nous ignorons à quelle date il reparut pendant la guerre camisarde. Ce ne fut pas à ses débuts. En 1704, au moment des négociations de Cavalier il est probable qu’il s’imposa aux derniers prophètes qui se mirent en relations avec les agents de l’Angleterre. Ils restèrent fidèles à cette espérance jusqu’en 1745, puisque nous la voyons reparaître dans les crises des illuminés du Vivarais et dans celles de Maroger, près de Nîmes.

Ce fut sûrement la mention du Prince d’Orange dans les prophéties du Vivarais qui provoqua, en 1689, les sévérités de Bâville et la tuerie du Serre de la Palle. Entre tous les « prédicateurs » les inspirés parurent toujours aux autorités les plus dangereux, car ils étaient les premiers à avoir prononcé des paroles « séditieuses ».

Comment maintenant résoudre 1a question des prédictions particulières sur lesquelles insiste si fortement le Théâtre Sacré ? Les inspirés, ceux notamment qui ont servi dans les bandes camisardes, auraient eu par instants un don de seconde vue. Ils auraient démasqué des traitres, prévu exactement leur délivrance ou leur mort, dirigé comme étant dans les conseils mêmes de Dieu l’activité infaillible des chefs. A cette capacité miraculeuse de percer dans l’avenir, ils auraient joint aussi des pouvoirs étranges. Claris a traversé les flammes ; un autre Camisard a arrêté les balles qui auraient sûrement percé un autre corps que le sien. Surtout, le grand miracle a été le don de la parole ou du chant accordé par Dieu à des enfants incapables en apparence d’ouvrir les lèvres. Un nourrisson de onze mois aurait chanté les Psaumes.

En cette sorte d’événements il convient de se souvenir du précepte de Flournoy, de Genève, qui s’était spécialisé dans des recherches sur la psychologie anormale. Comme lui nous serons « d’autant plus exigeant en matière de preuves que les faits rapportés sont plus étranges ». Il est possible, il est même probable, que des forces encore inconnues se manifestent parfois dans une personnalité, et peut-être hors d’elle. Mais quand tous les jours nous constatons comment la crédulité (faite de foi invincible) d’un [p. 424] spirite, d’un théosophe, ou d’un esprit religieux inculte, accueille des donnés très douteuses, nous demandons à réserver notre conclusion. N’oublions pas que les prophètes du Serre de la Palle se sont offerts la poitrine ouverte aux mousquets des soldats, et qu’ils tombèrent sous les yeux de leurs adeptes après s’être déclarés invulnérables. C’est la fausseté des prédictions dont Antoine Court a été saturé qui l’ont fait douter si l’« inspiration » des prophètes était un don divin. D’ailleurs les prophètes de son temps savaient si bien s’être trompés souvent dans leurs avertissements qu’ils ne prononçaient plus que des prophéties « conditionnelles », dont la réalisation dépendait de certaines données qu’ils déclaraient eux-mêmes ignorer. A ce compte, évidemment, il est facile de se donner pour devin.

4. — Valeur morale et religieuse du mouvement.

Quand on aura exercé une critique sagace sur tous les documents qui nous restent, que demeurera-t-il de tous ces prodiges dont un peuple s’est enchanté ? Le Théâtre Sacré a été réédité en 1847 par Ami Bost, l’enfant terrible du Réveil. Dans ce volume, le pieux pasteur a trouvé la confirmation de l’une de ses thèses les plus chères, à savoir que le don des miracles n’a pas été retiré à l’Église après le siècle apostolique. Affirmation très haute, mais fort dangereuse pour une certaine théologie, qui était la sienne. En établissant une étroite solidarité, ou plutôt une identité véritable entre les événements du XVIIIe siècle et ceux qui sont rapportés dans le Nouveau Testament, il poussait les chrétiens à appliquer aux récits évangéliques ou apostoliques les mêmes procédés critiques qui s’imposent à l’homme moderne devant les données du Théâtre Sacré. II aurait été tristement scandalisé qu’on osât tirer une telle conclusion de ce qui était pour lui une affirmation de l’éternel pouvoir de Dieu. Mais depuis 1847 les idées théologiques ont si profondément évolué au sein du protestantisme que ce qui était alors scandale est devenu vérité. Le prodige n’est plus pour nous une preuve de la présence divine, et seul le surnaturel moral et sa persistance nous importent.

La question qui se pose, en définitive, quand nous avons ramené au domaine de l’explicable des agitations aussi bizarres, est celle de leur valeur religieuse, L’« Esprit » souffle où il veut, aussi bien dans un corps malade que dans un organisme sain. Avons-nous le droit de saluer dans ces inspirés des instruments de Dieu pour le salut de l’église !

Les catholiques du temps ont cru devoir reprocher aux prophètes d’abord leur immoralité. Fléchier, en racontant les événements [p. 425]  du Vivarais, insiste avec une joyeuse malice sur la cohabitation de jeunes prophètes et de prophétesses, et il semble assuré qu’il y a eu parfois, dans la troupe des inspirés, comme un Vivarois d’esprit rassis l’écrivit plus tard à Brousson, des choses pour le moins douteuses (57). Le prophète Alexandre Astier, revenu de ses extases après un long séjour aux galères, avouait en Suisse « que les inspirations portaient au mal plutôt qu’au bien, et surtout à inspirer de l’inclination pour le sexe » (58). Certains prophètes de 1701 et de 1702 furent accusés de libertinage, et il faut convenir qu’ils donnèrent occasion de suspecter leur conduite (59). Touchant les Camisards, la question demeure obscure. Le curé Louvreleuil les accuse d’avoir fait de leurs assemblées des lieux de débauche, mais il se borne à mentionner à ce propos « la grossesse d’un très grand nombre de filles de toutes les paroisses (des Cévennes) » (60). Une affirmation de cet ordre cependant, si l’on y réfléchit, ne prouve rien, pas plus que les expressions du Maréchal de Villars écrivant en Cour : « La plupart des chefs ont leurs demoiselles » et mentionnant la maîtresse ou la fiancée de Ravanel (61), pas plus que celle du juge La Baume nommant huit camisards qui s’exilent « avec huit femmes qui n’étaient que leurs bonnes amies » (62). Les auteurs catholiques ont fait grand état aussi de l’union du chef Roland avec la demoiselle de Cornély. Or il se trouve que le Marquis de Ganges, en 1704, écrivait au Ministre de la guerre comme un fait tout simple et sur lequel il n’insiste pas, que Roland « avait épousé la demoiselle ». Il l’avait épousée, naturellement, « au Désert » et par devant quelque prédicateur». Le cas des autres peut être exactement pareil. Les prêtres de la campagne, depuis le début de la révolte, se sont enfermés dans les bourgs fortifiés, et la passion huguenote des insurgés n’avait nul désir de requérir d’eux un sacrement qui à cette époque faisait seul foi d’un mariage régulier aux yeux des autorités royales ou ecclésiastiques.

Y-a-t-il lieu d’attacher quelque poids à la lettre de remontrances écrite (de Genève sans doute) aux Camisards, qui porte ceci : « On nous confirme de toutes parts que vous tolérez parmi vous des filles libertines travesties en garçons… » (63) De sévères [p. 426] calvinistes ont pu trouver abominable qu’une femme prît des vêtements d’homme (Deutéronome XXII, 5) et déclarer ce seul « libertinage » odieux, sans comprendre que la vie errante et militaire des prophétesses pouvait leur rendre nécessaire un changement de costume.

Il vaut la peine, au contraire, de rappeler un témoignage de Jean Cavalier de Sauve, cousin du fameux chef, qui fait dater du jour où il est devenu un « inspiré » une profonde conversion morale, et qui écrit notamment : « Les fautes de libertinage auxquelles j’étais le plus sujet, me parurent des crimes énormes » (64)

Tout cela dit, il resterait pourtant à rechercher si des cas d’immoralité flagrante n’ont pas été constatés dans les bandes de Cavalier ou de Roland, ou chez les prophètes isolés. On connaît l’histoire extraordinaire d’un vieux maire de la ville d’Alais (1704) qui ayant eu l’autorisation de visiter dans sa prison la prophétesse « qui parlait grec et latin », devint lui-même à demi prophète, la séduisit, ou se laissa séduire par elle, et déclara que l’enfant qui allait naître serait le sauveur du monde (65). On sait aussi que dans Genève, en 1731, un prophète cévenol (exilé depuis 1706) fut condamné à la prison perpétuelle pour les mœurs malpropres que lui commandaient ses inspirations (66). Il est probable qu’à ces deux exemples on en joindrait d’autres. Ils resteront, croyons-nous, des exceptions. Nous oserons même dire qu’il est surprenant qu’il en soit ainsi. On n’ignore pas en effet de quelles perversions d’un genre spécial s’accompagne d’ordinaire le mysticisme exalté, surtout quand il est manifestement maladif. L’Allemagne du XVIe siècle et la Russie du XXe fournissent à cet égard des renseignements sur lesquels on nous permettra de ne pas insister. On observera que les juges les plus sévères des camisards, s’ils ont pu mettre à leur actif des violences atroces, n’ont pas trouvé à leur reprocher, parmi leurs brutalités, un seul attentat aux mœurs.

Mais ces brutalités mêmes, que devons-nous en penser ? A lire l’Histoire des Troubles des Cévennes, d’Antoine Court, elles se réduiraient à des exécutions isolées ou à des faits de guerre. Il a manifestement adouci la réalité. Si Louvreleuil peut paraître suspect, le juge La Baume, qui écrivait d’après des documents judiciaires, doit être cru, et on possède de plus des procès-verbaux dressés au lendemain de certains massacres de catholiques qui donnent vraiment le frisson. Dans le village de [p. 427] PoteIières, vers Uzès, le 12 septembre 1703, on trouva entassés dans l’église catholique, à laquelle les Camisards avaient mis le feu, treize personnes, hommes, femmes ou filles, qui avaient été « dépecées » à coup de hache ou lardées de coup de baïonnettes dans l’église même, avant qu’on n’y allumât l’incendie, et dix autres qui, horriblement abîmées, purent encore « se relever parmi les morts ». La boucherie avait été accomplie, disait-on, par un seul homme (l’exécuteur de la troupe) qui était éclairé par les autres (la scène avait eu lieu pendant la nuit) (67). Si écœurants que soient des spectacles de cet ordre,. il faut se les mettre sous les yeux pour se représenter le « prophétisme » dans les extrémités où il se porta. Les inspirés camisards se tenaient pour les agents de Dieu, chargés par lui « d’exterminer les prophètes de Baal » c’est-à-dire tous les tenants d’une église abhorrée.

Pour les juger, cependant, nous ne devons pas oublier les souvenirs qui les hantaient. Qui voudra lire notre histoire des Prédicants Protestants, qui s’étend de 1685 à 1700, de la Révocation de l’Édit de Nantes à la veille de la révolte, comprendra de quelle innommable rage ont pu être soulevés ces durs Cévenols. Pendant quinze ans et plus ils avaient été torturés dans leur famille, leur patrimoine et leur conscience. Le baron des Adrets, au XVIe siècle, avait dit à d’Aubigné pour laver sa mémoire du reproche de cruauté : « Nul ne fait cruauté en la rendant. Les premières s’appellent cruautés ; les secondes : justices ». Il est équitable de mettre les compagnons de Cavalier au bénéfice de cette maxime guerrière, si brutale qu’elle paraisse à nos cœurs d’aujourd’hui. Elle fut d’ailleurs — pour le temps — la chose est triste à dire, féconde. La férocité de la révolte emplit les autorités de la province d’une épouvante qui fut durable, si bien que c’est à l’excès de cette colère que les protestants du Languedoc durent de se voir un peu ménagés dans les jours qui suivirent (68).

Si nous laissons de côté lia question d’immoralité qui dans le mouvement prophétique se réduit en somme à peu de chose, et celle (plus grave ici) de cruauté, qui s’enferme uniquement dans les deux années de la révolte cévenole, l’agitation des[p. 428] inspirés, malgré son étrangeté, ses  niaiseries, son caractère maladif, ses crises qui touchent à la folie — et à la folie furieuse, — apparaît comme ayant servi, malgré tout, à un réveil de la piété réformée. Jurieu et Brousson, deux des principaux instruments de la rénovation protestante au lendemain de la Révocation, l’un par le moyen de ses Lettres Pastorales, l’autre pair sa carrière apostolique de prédicateur, ont senti en elle passer le souffle de l’esprit.

Les « petits prophètes » ont ranimé dans le Dauphiné la piété des apostats que la dragonnade avait conduits à une abjuration mensongère : « Vous direz, Monsieur, ce qu’il vous plaira, écrivait un de leurs auditeurs ; mais si vous entendiez ces enfants, vous feriez comme ceux qui les ont entendus. Il n’y a pas moyen d’y résister. Pendant une heure et demie nous pleurions tous, tant que nous étions, comme des enfants. » Un autre, racontant comment un jeune prophète faisait comparaître devant lui les Nouveaux Convertis et leur demandait combien de fois ils étaient allés à la messe, dit naïvement : « J’aurais tué mon père, que je l’aurais avoué devant eux. »

Elie Marion éclate en un chant d’allégresse quand il défend la valeur des « inspirations ». « Ce sont nos inspirations qui nous ont mis au cœur de quitter nos proches et ce que nous avions de plus cher au monde pour suivre Jésus-Christ et pour faire la guerre à Satan et à ses compagnons. Ce sont elles qui ont donné à nos vrais inspirés le zèle de Dieu et de la religion pure » (69), l’horreur pour l’idolâtrie et l’impiété… le mépris pour les vanités du siècle et les richesses iniques… Ce sont nos inspirations qui nous ont suscités, nous lia faiblesse même, pour mettre un frein puissant à une armée de plus de vingt mille hommes d’élite et pour éviter que ces troupes ne fortifiassent le grand et général Ennemi (Satan) dans le lieu où la Providence avait ordonné qu’il reçût le premier coup mortel… Elles ont banni la tristesse de nos cœurs au milieu des plus grands périls, aussi bien que dans les déserts et les trous des rochers, quand le froid et la faim nous pressaient ou nous menaçaient. Nos plus pesantes croix ne nous étaient que des fardeaux légers, à cause que cette intime communication, que Dieu nous permettait d’avoir avec lui, nous soulageait et nous consolait. Elle était notre sûreté et notre bonheur ».

Le Théâtre Sacré, d’où nous extrayons ces lignes, nous présente l’image de quelques « conversions » au sens le plus sacré du [p. 429] terme. Beaucoup d’inspirés qui, plus tard, ont perdu leur « don » et oublié leurs crises ont été les solides appuis de l’Église reconstruite par Court et Corteiz. Par leur apparence de « possédés », par leurs visions, par leurs citations de l’Écriture les prophètes ont agi sur des âmes qu’une prédication plus calme aurait laissées dans leur tiédeur.

Une lettre d’une prisonnière de la Tour de Constance nous a conservé un écho lointain de ces mots mystérieux qui l’avaient encouragée dans sa captivité, et qu’elle avait certainement recueillis sur les lèvres des prophétesses qui souffraient avec elle : « Qu’importe que nous soyons les haïs du monde, pourvu que nous soyons du bon grain du Seigneur, son froment savoureux qu’il doit mettre dans son grenier. C’est notre origine, et nous sommes le souffle de sa bouche » (70). A cette date (1739) les pasteurs du Désert, élevés à Lausanne dans l’école dru martyre, parlaient un langage moins imagé. Les prophètes — si pauvre que fût leur mentalité — gardaient au protestantisme un peu de la poésie qui lui est nécessaire.

Plus tard, l’influence du prophétisme s’est fait encore sentir, bien lointaine, mais réelle (71). Quand la religion, au XVIIIe siècle finissant, devint trop raisonneuse et froide et qu’une piété plus émue et plus exubérante fut réclamée par beaucoup d’âmes, les régions où l’on vit accueillir avec faveur les prédicateurs quakers, moraves, piétistes, méthodistes ou darbystes furent celles où s’étaient conservés le plus longtemps les anciens illuminés (72).

On pourra décrier ces mouvements indépendants, rebelles à la tradition établie, accompagnés d’une exaltation passagère ou persistante, qui se traduisent par des larmes, des cris ou des évanouissements, on pourra même les déclarer dangereux. Ils ont leur valeur. Aux heures tragiques ou décisives de l’Église on les a toujours vus se reproduire. La sobriété sage n’est pas toujours possible dans les heures d’angoisse. L’esprit, trop longtemps arrêté dans ses manifestations normales éclate alors en sursauts inquiétants, mais il reste l’esprit. Les chrétiens de Corinthe et leurs « langues étranges », plus tard les Montanistes, puis les Anabaptistes, puis les convulsionnaires de saint Médard, et plus près de nous les agités des grands «  Réveils » d’Allemagne, de [p. 430] Suède, ou des États-Unis, sont de la même race que les prophètes cévenols. Ils nous aident à les comprendre (73). Si les visionnaires et les illuminés ne peuvent pas constituer à eux seuls l’Église continue, que l’Église du moins les envisage comme des exceptions qui jouent leur rôle dans son développement. Devant eux il ne s’agit ni de se moquer ni de se voiler la face, il y a lieu de réfléchir. Une parole de saint Paul vaut à ce propos d’être méditée : « Puisque Dieu n’a pas voulu que le monde arrivât par la sagesse à le connaître, il lui a plu de sauver les croyants par la folie de la prédication (I Cor. I, 21). »

Ch. BOST.

Notes

(1) On sait que le Théâtre Sacré…, recueil de témoignages relatifs aux prophètes, édité à Londres en 1707, a été réimprimé en 1847 par A. Bost père, sous le titre : Les prophètes protestants. Cette édition nouvelle, où l’ordre des fragments divers a été modifié, reproduit scrupuleusement le texte ancien, et peut parfaitement en tenir lieu.

(2) Jurieu. Lettres pastorales, I, Iettre VI, pp. 150-166 ; III, lettre IV,. pp. 87-90. Voir aussi Ch. Bost, Les Prédicants protestants, I, pp. 61, 62; II, pp. 184, 189. Sur le prétendu chant des Psaumes entendu à Wassy en Champagne voir Bull. de l’Hist. du Prot., XXXIX, p. 13 n. Au temps des Camisards on entendit encore dans les Cévennes ces hymnes mystérieux. (Théâtre sacré, éd. Bost, ,pp. 104, 105, 175 ; Pap. Court, n° 14 : Relation d’Emion Saltet : le même témoin parle des Psaumes entendus près de Castres vers 1686). En décembre 1685 on entendit les Psaumes à Metz. (Bull. cité, XI, p. 174).

(3) Pour tout ceci voir Ch. Bost, Les Prédicants, I, chap. VI à XIII,. notamment p. 172.

(4) Sur la bergère de Crest voir les relations de Jurieu (Lettres Pastorales, tome III, lettres 3, 4, 14 et 17) ; Fléchier, Mémoires touchant la bergère de Crest .. (dans ses Lettres choisies), et surtout Pap. Court., n° 17, D (Relation de Blanchet, et Déposition de l’Avocat Gerlan: en partie reproduits par E. Arnaud, Hist. des Prot. du Dauphiné, III, p. 71, 416) et 17, B (Mémoire d’Ebzuy). Autres références, très importantes, dans Brun-Durand, Dictionnaire bioqrapliique … de la Drôme, au mot Vincent (Isabeau).

(5) Bull. de la Soc. d’Hist. du Prot., LVI, p. 534 (d’après Arch. de l’Hérault C 169). Sur ces « petits prophètes» voir d aux plaquettes extrême¬ment curieuses: Copie d’une lettre écrite de Genève … touchant les enfants qui prophétisent en Dauphiné … (La Haye le 28 janvier 1689), et Lettre de Genève… (février 1689), conservées à la Bibl. du Prot., R. 1240. Voir aussi Théâtre sacré, p. 176.

(6) Sur les prophètes du Vivarais en 1689, voir la bibliographie dressée par E. Arnaud : Hist. des Prot. du Vivarais. II, pp. 24-40. Le document essentiel est le récit de Fléchier, qui est évidemment établi sur des dossiers judiciaires. Il reste une partie du dossier de Gabriel Astier aux Arch. de [p. 406] l’Hérault C 169). Fléchier distingue fort bien entre Gabriel Astier et Alexandre Astier, que ses successeurs ont trop souvent confondus. Alexandre Astier, condamné aux galères, raconta plus tard ses souffrances de forçat sana rien rappeler de son « inspiration » (Arnaud, Il, 52). Arnaud a cru à deux massacres accomplis, l’un au Serre de la Palle (p. 34), l’autre au Besset (p. 40) : il s’agit de la même tuerie. C’est l’officier lui-même qui donne le chiffre de trois cents morts (Archives de la Guerre, volume 903. On trouve d’autres détails dans le même volume).

(7) Sur les prophètes que vit Brousson, voir Ch. Bost, Les Prédicants, Il, p. 178-190.

(8) Pour les années 1700, 1701 et 1702 (jusqu’en août) nous renvoyons à notre article de la Revue Historique, 1921, tome CXXXVI, où sont les références (Documents principaux aux Archives de l’Hérault).

(9) Revue Historique, t. CXXXVII, p. 10.

(10) David Flottard, dans le Théâtre sacré, p. 166.

(11)Dubois, de Monpellier, ibid., p. 156.

(12) Colonel Jean Cavalier, Mémoires sur la Guerre des Cévennes, Paris, 1918.

(13) Voltaire, Siècle de Louis XIV, chap. XXXVI, vers la fin.

(14) Mme du Noyer, Lettres historiques et galantes, tome II, lettre 43 : Histoire de Jean Cavalier (éd. de 1739, p. 165).

(15) Théâtre sacré, pp. 94-96 ; 118 ; 123 ; 122 ; 115.

(16) Ibid., pp. 120, 121.

(17) Voir les Mémoires de Villars, et ce qui a été publié de sa correspondance officielle de 1704 dans la nouvelle édition de l’Histoire de Languedoc (tome XIV, Pièces justiftcatives).

(18) Mme du Noyer, p. 175 ; Théâtre sacré, p. 149.

(19) Théâtre sacré, p. 149.

(20) Mémoires de Rossel d’Aygalliers, publiés par G. Prosterus, 1866, pp. 54, 64.

(21) G. Frosterus (Les insurgés protestants sous Louis XIV) a publié (p. 178) des visions et des avertissements écrits par Claris, conservés aux Archives de l’Hérault : Sur Claris passant par le feu voir Théâtre sacré, pp. 102 et 116. Les Mémoires de Bombonnoux, camisard et compagnon de [p. 411] Claris (publiés par J. Vielles d’après le manuscrit des Papiers Court) ne disent rien des inspirations de ce dernier. Bombonnoux, devenu prédicateur à côté d’Antoine Court, a passé sous silence, comme Cavalier, tout ce qui était « prophétisme » dans la révolte.

(22) Sur cette période, voir E. Hugues, Histoire de la Restauration du Protestantisme en France ( Antoine Court), vol. I, chap, II et III, et les Mémoires de A. Court (le tout à corriger ou à compléter d’après Ch. Bost. Les deux premiers Synodes du Désert ; Bull. de l’Hist. du Prot., LXV, p. 10). Nous avons écrit, et nous pensons publier, un travail sur Les premiers Synodes du Désert, de 1715 à 1723).

(23) Archives de l’Hérault. Dossier des Multipliants, C 196. Le symbolisme naïf des Multipliants avait été certainement introduit parmi eux par l’un des inspirés, Bonicel, ancien catholique. On n’a pas remarqué en effet que ce Bonicel avait commencé des études pour devenir prêtre.

(24) Arch,. de l’Hérault, C 218. Un manuscrit de l’inspiré Isaac Elzière, l’un des « gonfleurs », a été analysé Bull. Hist. du Prot. XL, p. 365,

(25) Arch. de l’Hérault, C 202 (1732, les Cambon, à Cazilhac près Ganges) ; C 392 (1748, les Favadesse, au Bouquet près d’Uzès).

(26) Arch. de l’Hérault, C 181 (septembre 1701, assemblée de Pranles ; dossier des plus curieux).

(27) Arch. de l’Hérault, C 198 (1728, assemblées de Saint-Fortunat : dossier très curieux). Pour le reste, voir E. Arnaud, Hist, du. Prot du Virarais, II, pp. 185, 215.

(28) M. Dubois. Les prophètes cévenols, p. 143.

(29) Elle a été reprise encore en 1859 dans un petit volume d’Hippolyte Blanc : De l’inspiration. des Camisards. Paris, Plon.

(30) Jurieu. Lettres pastorales, III, lettre XVII, du 1er mai 1689, pp. 403, 406.

(31) Brun-Durand, Dictionnaire biographique de la Drôme, au mot Ferre (Amos de).

(32) Arch. de l’Hérault, C 181 (assemblée de Pranles).

(33) Voir Revue Historique, t. CXXXVI, pp. 6-9 des exemples qui s’étendent de 1700 à 1739.

(34) Revue Historique, t. CXXXVII, p. 17 (d’après des renseignements provenant des juges de Séguier).

(35) (A. Court) Histoire des Troubles des Cévennes, éd. 1760, I, p. 443, note. Il convient de rapprocher cette note des deux récits du miracle tels qu’ils nous ont été conservés dans le Théâtre sacré, pour constater comment des « témoins oculaires » peuvent, si sincères qu’ils soient, fournir une déposition suspecte.

(36) Copie d’une lettre de Genève, Bibl. du Prot. R. 1240 (voir plus haut).

(37) Ibid.

(38) Revue Historique, t. CXXXVI, p. 7 ( Arch. de l’Hérault, C 183).

(39) Arch. de l’Hérault, C 181.

(40) Arch. de l’Hérault, C 181. Assemblée de Pranles.

(41) Bull. Hist. du Prot., LVI, p. 536.

(42) Voir à ce propos Douen, Les premiers Pasteurs du Désert, II, p. 52.

(43) E. Arnaud, Hist. du Prot. du Dauphinée, III, p. 72.

(44) Bull. Hist. du Prot., LVI, p. 534.

(45) « Pendant deux mois et demi elle a parlé le langage vulgaire» (E. Arnaud, loc. cit.). Jurieu (Lettr. past., III, lettre III, p. 60, dit qu’elle s’exprima en français « après les cinq premières semaines ».

(46) Bull. Hist. du Prot., V, pp. 7, 8.

(47) E. Arnaud, ibid., III, p. 418.

(48) Revue Historique, t. XXXVI, p. 7

(49) Par exemple le Cri d’Alarme aux Nations ; le Plan de la Justice de Dieu ; le Quand vous aurez saccagé vous serez saccagés (voir Bull. Hist, du Prot., XIII, p. 358 ; XVIII, p. 544, avec références).

(50) Bull. Hist. du Prot. XVI, p. 280.

(51) Mémoires de Villars, éd. de la Soc. de l’Hist. de France, II, p. 165.

(52) Nous n’avons trouvé qu’un témoin d’autrefois qui ait rapproché les crises des prophètes des inspirés de Corinthe. Nous regrettons d’ignorer son nom, car il était d’une remarquable perspicacité (Bull. Hist. du Prot., LVI, p. 534). La parole biblique à laquelle .;e référaient les prophètes ou leurs admirateurs était la prédiction du prophète Joël rapportée Actes, Il, 17.

(53) Bull. Hist. du. Prot., LVI, 535. (Remarquer la note, à rapprocher de Ch. Bost, Les Prédicants, I, p. 272).

(54) Copie d’une lettre écrite de Genève (voir plus haut).

(55) Fléchter (Relation sur le Vivarais).

(56) Ch. Bost, Les Prédicants, II, p. 188.

(57) Ch. Bost, Les Prédicants, II, p. 188.

(58) E. Arnaud, Hist. des Prot. du Vivarais, II, p. 56.

(59) Revue Historique, t. XXXVI, p. 35.

(60 Louvreleuil, Le fanatisme renouvelé, T, p. 201 (éd. 1868, 1, p. 126).

(61) Lettres de Villars, citées par H. Blanc, De l’inspiration des Camisards, 1859, p. 167.

(62) La Baume, Relation historique, éd. Goiffon, 1875, p. 364.

(63) Louvreleuil. Ed. 1868, I, p. 128 (reproduit sans commentaires par Court, Troubles, I, p. 222.

(64) Théâtre sacré, p. 91.

(65) Mémoires de Villars (voir plus haut).

(66) Revue historique, t. CXXXVII, p. 31 (avec références).

(67) Extrait d’un rapport du Comte du Roure, du 24 septembre (dans M. Tallon, Fragment sur la Guerre des Camisards, p. 101). Voir également Abbé J. Rouquette, L’Abbé du Chayla, Paris, Savaète, p. 133. L’Abbé Rou¬quette a publié dans le même ouvrage d’autres procès-verbaux (voir notam¬ment, p. 149, celui qui concerne Ies vilûages de Saturargues et S.aint-Sériès, 21 septembre 1703).

(68) Voir à ce sujet notre compte rendu d’un ouvrage de l’abbé Dedieu. Bull. Hist. du Prot., LXXIV, p. 104. Il vaut la peine d’observer que certaines « mutilations » atroces que les camisards infligèrent à des ecclésiastiques sont en rapport avec l’immoralité qu’on reprochait à ceux-ci (Rev. Hist., CXXXVII, pp. 15, 16).

(69) Nos vrais inspirés. Les camisards distinguaient donc entre les « inspirés ». Ce morceau, remarquable, du Théâtre sacré, p. 71, a été très probablement retouché par le premier éditeur, car il est surprenant que Marion ait pu s’exprimer en un style aussi correct.

(70) Ch. Bost, Les Martyrs d’Aigues-Mortes, p. 119.

(71) Nous ne disons rien de l’influence que les prophètes exilés, après 1705, ont exercée en Suisse, en Angleterre ou en Allemagne. (Voir Alfred Dubois, Les Prophètes cévenols, pp. 106-121. Le sujet est à reprendre.)

(72) La Vaunage, aux environs de Nîmes (les quakers de Congénies) ; les Basses-Cévennes ; et les confins du Vivarais et du Velay. Alfred Dubois a déjà noté le fait (p. 143).

(73) Voir par exemple sur le Réveil de Buch (près Schaffhouse), en 1817 et 1819 ; A. Bost, Mémoires, I, p. 146, et Supplément aux Mémoires, p. 255; sur les agitations de 1845 en Suède: A. Bost (Préface au Théâtre sacré, p. XIII) ; sur le méthodisme dans les environs de Nîmes : la Vie de J. Rostan par Mat. Lelièvre; et sur certains mouvements des Etats¬Unis: Mat. Lelièvre, Les prédicateurs pionniers de l’ouest américain.

 

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