Cécile Imbert. L’amour purifiant (version définitive). 2016.

cecilesurin0003-pacte-du-diable-avec-urbain-grandier-1425746_181759562013884_1400080741_n-copieCécile Imbert. L’amour purifiant (version définitive). 2016.

Ceci est le texte d’un exposé fait lors de journées consacrées au « Président Schrebert « , organisées par l’Ecole Lacanienne de Psychanalyse.
Suite à la parution du livre de Jean Allouch « Schreiber théologien » (éditions EPEL) , il s’agissait de regarder plus attentivement ce champ particulier de personnes opérant sur elles même et transmettant à d’autres
une expérience fondamentale.
Tel est le cas du père Surin qui, ayant demandé à Dieu de prendre sur lui la possession démoniaque de Mère Jeanne des Anges, s’est trouvé comme réduit à néant durant des années avant de se mettre à explorer ce qui le
traversait.
Cette recherche tente de suivre au plus près les différents écrits qu’il a produit.

Cécile Imbert, psychanalyste à Paris. Etudes de psychologie et philosophie.  A publié plusieurs articles dans des revues différentes:: Frénésie n° 1, 2,et  4. Littoral, l’Unebévue 1993, l’Evolution psychiatrique T.59, et le Grand
dictionnaire de la psychologie chez Larousse: sur la sorcellerie, la  possession, la mystique et diverses relations de cas anciens. Certains articles ont été rédigés sous le nom de Cécile Collée.

Article original – tous droits de reproduction interdits sauf permission de l’auteur. © histoiredelafolie.fr

L’amour purifiant

C’est l’enfer déchaîné, c’est le ciel en fureur
Dieu même vient armé le remplir de terreur
L’Amour se travestit et se déguise en juge
Il ôte au patient tout espoir de refuge
Il accuse, il reprend, il condamne au malheur
Il plonge et tient l’esprit dans l’infernale horreur,
Le pauvre infortuné tombe dans un abîme
Où c’est qu’il ne voit plus que douleur et que crime
Pauvre, faible, étonné, foudroyé, plein de fiel
Relégué dans la nuit et rejeté du ciel
L’ire du Tout Puissant à toute heure le presse,
La mort même l’allaite et la fureur l’engraisse

Jean-Joseph Surin

« Partout où il y a des hommes, il y a de l’hommerie »

Montaigne

Mais que Diable veut Dieu ?
Partons ailleurs…
Le père Jean-Joseph Surin vécut de 1600 à 1665. Jésuite bordelais.

Pourquoi lui, ici, dans un colloque sur Schreber ?
Le lien Schreber-Surin ne fut pas fait par moi, mais par quelqu’un que certains ont connu dans cette salle : Michel de Certeau, (dont « la Fable mystique II » vient du paraître) jésuite lui aussi, qui fût membre de l’école Freudienne de Paris, proche de J. Lacan.
Une affection profonde, au sens d’être affecté, atteint, liait Michel de Certeau au Père Surin ; il l’a exhumé, retranscrit, publié. Un poème du Père Surin fut lu à son enterrement ; il a fait renaître ses textes ; il l’admirait.
Il disait : « Le père Jean-Joseph Surin a plus tard raconté ses expériences de malade en un texte qui est, au 17ème siècle, un équivalent des mémoires du Président Schreber et qu’il intitula « Science expérimentale des choses de l’au-delà » rédigée en 1663 (p.232 « La Fable mystique II).
Deux récits « d’expériences de malades », donc. Mais qu’est-ce qui, dans ces récits, de l’un à l’autre ferait écho ?

De cela, j’aimerais parler.

J’ai un avantage, dans cet exposé, par rapport aux personnes travaillant sur Schreber :
Les textes sont en français ; fort peu en latin.
Mais il y a un inconvénient non négligeable : le foisonnement des écrits ; par exemple :

  • 42 lettres de 1626 à 1638 (13 ans)
  • Puis la maladie
  • Et 448 lettres de 1657 à 1665 (8 ans)

La correspondance publiée par Michel de Certeau fait 1820 pages. Juste de la correspondance. Après il y a les textes eux-mêmes : « Le Catéchisme Spirituel », « Les Dialogues Spirituels », « Les Cantiques Spirituels », « Discours justificatif de la Vie mystique » et « Les poésies » à ne pas oublier.

Deux textes m’arrêteront ici ; ils sont publiés ensemble chez « Jérôme MILLON » :

« Le Triomphe de l’amour divin sur les puissances de l’Enfer en la possession de la Mère Supérieure des Ursulines de Loudun »

Le début est de 1636, la fin fut rédigée 20 ans après

« Science expérimentale des choses de l’autre Vie acquise en la possession de la Mère Supérieure des Ursulines de Loudun»

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Mère Jeanne des Anges.

1663 (deux ans avant sa mort)

Nous reparlerons aussi de ces écrits stupéfiants que sont « Les contrats » (1655).

Dans le titre de ces deux textes apparaît la possession de la Mère Supérieure des Ursulines de Loudun, Jeanne des Anges.

Ces deux livres sont autobiographiques et racontent comment il fut « saisi », puis malade. Rendu malade du Diable, de Dieu ; en son corps, en son âme.

Le cadre :

Nous sommes donc à Loudun, au XVIIème siècle.

En ce grand siècle des procès de Galilée, des textes de Pascal et de Descartes ; en ce grand siècle mystique des Vincent de Paul, Marie de l’Incarnation, Angelus Silésius, Port Royal, et puis Madame Guyon, Fenelon et le Quiétisme.

En ce siècle des luttes entre protestants et catholiques, mais aussi, nous l’avons plus oublié, des grands traités de démonologie qui continuent d’être publiés ; ils s’interpellent et se répondent depuis l’ouvrage qui a structuré la théorie à la pratique des condamnations, le « Malleus Maleficarum » (ou « Marteau des Sorcières) des dominicains Sprenger et Institoris (1487).

Les travaux de Jean Boguet, Pierre de Lancre, Jean Bodin, Martin Del Rio pèsent. Les procès de sorcellerie font des ravages en Europe jusque vers 1630, puis diminuent et Louis XIV les interdira en 1682.

Et le XVIIème siècle est aussi, plus spécifiquement en France, la seule période des « épidémies de possessions démoniaques », ces grandes scènes publiques, faisant couler beaucoup d’encre, avec des débats contradictoires houleux, où -comme le relève Jules Michelet- le schéma est toujours identique : une possédée (parfois assistée de quelques autres) va faire bruler un homme -de préférence un prêtre, parfois un médecin- accusé de l’avoir possédée, ou plutôt de l’avoir faite être possédée par un (ou plutôt une légion) de diables. Le Un est du côté du divin.

« Loudun » est l’une de ces grandes histoires ; le premier visage connu du Père Jean-Joseph Surin est celui d’exorciste chargé de libérer la Prieure Jeanne des Anges de ses démons.

J’aimerais…disons un souhait…arriver à faire entendre une position autre que celle clairement dite par Louis Cognet dans un article à propos de la publication des lettres de Surin par Michel De Certeau.

« C’est toujours avec dégoût, il faut l’avouer, que l’on retrouve ces tristes épisodes démonologiques qui jalonnent le XVIIème siècle, l’un servant dans une large mesure de type à l’autre » (Rech. De SC. Relig. 56, 1968).

Et pourtant, comment avec une oreille un tant soit peu analytique, ne pas s’arrêter, la dresser cette oreille, sur un mécanisme de répétition se jouant à grande échelle, tel un cauchemar récurrent.

  • A Aix en Provence, Madeleine de la Palud fait bruler Louis Gaufridy, prêtre en avril 1611
  • Elisabeth de Ranfaing mène au bûcher son médecin Charles Poirot à Nancy en 1622
  • A Louviers, Madeleine Bavent accuse le Père Thomas Boullé qui sera brulé avec le cadavre du Père Picard déterré pour l’occasion (car accusé de sorcellerie après sa mort). Affaire hautement complexe mais sur un tout autre plan que celle de Loudun

« Délire collectif » dira J. Calmeil (De la folie » 1845). Une belle nomination bourrée de questions… !

                   Pour évoquer une autre lecture possible, ébauchée à la fin de cet exposé (je m’appuierai sur un article).

Le Père Jean-Joseph Surin

« Je n’ai qu’une chanson » disait-il.

A l’étude, la phrase est juste ; mais les variations multiples.

La « Mort de Dieu » a fait couler beaucoup d’encre. La « Mort du Diable » est plus sourde. Le terme de « dégoût » très fort de Louis Cognet porte -me semble-t-il- sur ce paradoxe : être intelligent / croire à cela.

Or, dans les deux textes de Surin cités ci-dessus, auxquels s’ajoute « l’Autobiographie » de Jeanne des Anges, écrite pour compléter les pages que Surin, malade, était impuissant à rédiger, apparaît un glissement s’opérant aussi bien chez la Prieure que chez le Jésuite menant de l’invasion diabolique jusqu’à la possession divine ; un mouvement qui s’ancre dans des « marques », des traces corporelles -stigma-, des pactes et des contrats.

Ils sont tels des passeurs quant à la place du Diable, sa disparition avalée dans un registre autre.

Il faudrait croiser cette recherche avec les travaux de Mino Bergamo, notamment « l’anatomie de l’âme » sans lequel rien de cela ne peut être entendu, mais là, la compétence me manque…

Le cadre de la présence du Père Surin est la ville de Loudun.

Cette ville se situe aux confins de trois provinces : le Poitou, la Touraine et l’Anjou, et relève à l’époque du diocèse de Poitiers.

Une toile de fond politique : Richelieu étend son pouvoir et entreprend la destruction systématique des villes protestantes fortifiées du royaume. Il construit sa forteresse qui portera son nom, rivale catholique de Loudun. Il n’aime pas U. Grandier et veut détruire le donjon de cette ville plutôt calviniste.

La toile de fond religieuse est pesante.

Un drame : la peste a tué le quart de la population de Loudun un ou deux ans avant le début de la possession.

L’affaire dure de 1632 à 1637.

Résumons…très brièvement :

Plusieurs couvents dans cette ville. Ici, le couvent des Ursulines dirigé par la Prieure Jeanne des Anges, jeune femme âgée de 25 ans, fille du Baron de Costes en Saintonge. Surin dira d’elle « son visage paraît d’une rare beauté, mais affecté et avec des attraits et des rayons dans les yeux ». « Contre faite » disent les textes. D’une chute étant enfant elle garde une épaule plus haute que l’autre, une allure « bossue ». Elle est issue d’une très bonne famille (elle se nomme Jeanne de Belcier), tout comme les 17 autres religieuses âgées de 17 à 35 ans, venues de la noblesse. Certaines sont des proches                de Richelieu.

Leur confesseur décède. Quelques temps après, trois d’entre elles voient son ombre apparaître la nuit. La peur s’installe. Un déplacement s’opère : l’ombre devient « un homme qui s’introduit dans l’obscurité ». Le prêtre attitré J. Mignon associé au curé Barré avertissent en octobre 1632 le procureur de la ville que la Supérieure est possédée de plusieurs démons ; et qu’elle n’est pas la seule. La machine se met en place ; au milieu de débordements, hurlements et convulsions elles nomment Urbain Grandier, Curé de Sainte Croix comme auteur de leurs troubles.

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 Je passe sur les détails ; Grandier ne se méfie pas assez, croit que, comme il ne les a jamais vues, la vérité apparaîtra d’elle-même, il n’arrivera pas à se faire entendre de Paris et sera brulé vif pour crime de sorcellerie le 17 août 1634.

Pour comprendre la suite, quelques points méritent d’être dégagés :

  • Le Père Surin arrive (avec d’autres jésuites) pour exorciser Jeanne des Anges en octobre 1634, donc deux mois après la mort de Grandier
  • Jeanne des Anges a essayé d’arrêter le processus. Lorsqu’elle se rend compte de la proximité de l’exécution, elle s’adresse à Laubardemont (lequel est en charge de l’affaire) pour lui dire qu’elle a « commis une grave offense en accusant l’innocent Urbain Grandier, puis s’étant retirée, attache une corde à un arbre et se serait pendue si d’autres sœurs n’étaient intervenues » (« Autobiographie » p. 116). Deux autres sœurs se rétractent également. Les instances en place leur répliquent que ce sont les démons qui les font ainsi parler.

Notons en passant que des scènes identiques de rétractation se déroulent dans les autres grandes affaires de possession et que la réponse du pouvoir est toujours la même. Le mécanisme les dépasse tous.

L’important ici est que la Prieure a la mort de Grandier sur la conscience. Que fait-elle de cela dans son lien à Surin ? Les textes laissent à entendre qu’elle enferme ce secret.

Contrainte au silence. Se taire et aveugler l’autre.

Du côté de J.J. Surin, il n’est pas sans avoir en tête la gravité du métier d’exorciste. Un mois après l’exécution du curé de Sainte Croix le Père Lactance en meurt.

« Dès le lendemain de l’exécution de Grandier, le Récollet Lactance qui avait mis lui-même le feu au bûcher, donnait des signes évidents de folie. Il était sombre et préoccupé, exprimant le regret d’avoir empêché le curé de Loudun de se confesser : « Dieu me punit, Dieu me punit », répétait-il souvent et, en disant cela « il avait, dit un témoin oculaire, je ne sais quel égarement en son visage. Il tomba malade d’une fièvre chaude ». Dans son délire, il s’adressait parfois à sa victime : « Grandier, ce n’est pas moi qui t’ai fait mourir », et il mordait avec rage les oreillers, les draps et les couvertures » (p. 91 « Autobiographie »).

L’autre exorciste, Le Père Tranquille (décidément, ces noms…) mourra dans les mêmes conditions et souffrances peu de temps après ; « fou » dira-t-on.

Et le Père Surin sait que non seulement à Loudun mais aussi parmi les Jésuites, le débat sur la culpabilité de Grandier n’est pas tranché.

Certes Richelieu manœuvre, cependant les véritables enjeux sont ailleurs, dans ce qui traverse les traités de démonologie, les juridictions condamnant des centaines de sorcières (à Bordeaux Pierre de Lancre), les pouvoirs respectifs de Dieu, de la Nature, de la maladie, et de cette entité nommée Diable…et Légions.

L’exécution n’arrête pas la possession…distinction entre origine et cause… Les Jésuites arrivent, et Surin est nommé pour s’occuper personnellement de la Prieure.

Il est jeune : 34 ans ; sa fragilité était déjà connue, mais son intelligence et sa droiture impressionnent. Le Provincial dont il dépend a permis cette nomination…contestée par d’autres…

Un aparté, important, ici : pour une lecture la plus « juste » possible, une connaissance des codes et des références auxquels sont soumis les individus est nécessaire. Et elle n’est pas forcément dite.

Il s’agit d’essayer de ne pas avoir une lecture trop décalée ; c’est-à-dire qui prenne en compte le décalage, justement.

Par exemple : dans une autobiographie, Jeanne des Anges dit « une fois, un de ses maudits esprits prit la figure d’un grand dragon de feu jetant du feu par la gueule » (p. 127). Elle dit elle-même (un peu avant) qu’elle a « un dérèglement d’imagination » (p. 121). Il est très facile, comme le font G. Legué et G. de La Tourette de parler d’hallucinations. Or, Jeanne des Anges connaît les textes.

Car, en 1614, le « Ritualae Romanum » redéfinit la procédure de l’exorcisme, celle qui encadre la lecture de la possession ; ce qu’elle est…et ce qu’elle n’est pas.

Quant aux causes de la possession :

« Le Diable entre dans le corps humain à cause du désespoir ou de quelque autre péché grave, ou cela est quelques fois permis à titre d’épreuve. Les deux premières choses relèvent de la vengeance du Seigneur Dieu, la troisième est pour le salut de l’âme. »
(préambule du Rituel par Castellani et Santori)

Puis la manière :

« Ils disent qu’avant d’entrer dans le corps humain, le Diable se présente à sa victime sous l’aspect de quelque revenant, souvent un membre de sa famille, ou sous l’aspect d’un animal terrible ».

Nous voyons se pointer le dragon (et aussi, d’ailleurs, le confesseur décédé).

Puisque les catégories d’obsession…et de possession vont être mises en avant dans la maladie de Surin, prenons cinq minutes pour rappeler ce qu’en dit le Ritualae.

Une question essentielle pour eux est de démasquer les simulateurs.

Ainsi que les malades.

« Il ne faut pas croire ces choses si facilement…à cause de la maladie ou de la débilité (terme à entendre comme grande faiblesse) de la tête, et, chez les femmes de l’impression véhémente des fantasmes et autres maladies de l’âme et du corps ; il n’est pas rare que cela procède de la malignité par laquelle elles simulent la possession du démon »… « Par convoitise d’un bien temporel ou charnel, soit pour éviter un mal, soit par haine ou par désespoir ».

D’où la présence impérative et effective des médecins dans tous ces cas de possession. Ils seront quatre autour de Jeanne des Anges, attitrés ; et pas d’accord entre eux.

Soit dit en passant, pour un clin d’œil à Charcot, l’un d’entre eux, Marc Ducan dit :

« La fréquentation ordinaire des hommes leur pourrait servir de préservatif contre de tels maux » (p. 14 de son opuscule, 1634 !). Le même : « ne se peut-il pas faire que, par folie et erreur d’imagination, elles croient être possédées en ne l’étant pas ? »

« Il y a maladie et artifices joints ensemble » ajoute Marc Ducan.

Les maladies possibles dont ils font état sont : la mélancolie bien sûr (« la mélancolie est le bain du Diable » Saint-Jérôme ; un grand classique), l’hystérie, l’hypocondrie.

Gabriel Naudé, quant à lui, dit :

« Il vaudrait mieux dire hystéromanie ou bien érotomanie, ces pauvres diablesses de religieuses, se voyant enfermées entre quatre murailles restent en délire mélancolique » (Cité par R. Mandrou p. 281).

La frénésie ou la manie sont également évoquées car elles donnent des capacités physiques inattendues.

Ceci à la fois pour donner une idée du contraste, mais aussi pour ne pas se laisser prendre à la tendance naturelle de les croire plus naïfs que nous.

Un détail, significatif, est à noter : le désintéressement pour la personne de la possédée car l’intérêt se porte sur le Diable, son dire et ses manifestations.

Surin « l’infirmus »

Il va décrire un enfer qu’il revendique dans les deux ouvrages déjà cités « Triomphe de l’Amour divin sur les puissances de l’Enfer » et « Science expérimentale des choses de l’autre vie ».

Michel de Certeau s’arrête sur le second, « Science expérimentale… », un ouvrage tardif (1660, Surin meurt en 1665 et la possession date de 1634), construit ; remarquablement écrit.

L’autre texte « Le triomphe de l’Amour » m’interpelle plus. Une note page 97 indique son étonnant montage. Elle est de lui, il parle de lui à la troisième personne.

« Le Père Surin, après avoir écrit ses six premiers chapitres, ne peut alors continuer ainsi qu’on le voit dans sa Vie, à cause des différents maux qu’il eut à souffrir lui-même, de l’obsession des démons qui le mirent alors hors d’état de rien pouvoir écrire depuis le mois d’octobre 1636 jusqu’au commencement d’août 1660 où il reprit le travail et continuera le sixième chapitre de la manière qui suit ».

Rien n’indique le montage, la soudure, à part la note ; des phrases se suivent en ce milieu de chapitre. Mais…par contre… Le chapitre sept manque. Là, sans note. Puis vient le chapitre huit écrit vingt ans plus tard.

Le pacte signé (soit-disant) par Urbain Grandier

Reprenons les titres :

  • « Triomphe de l’Amour divin sur les puissances de l’Enfer, en la possession de la Mère Supérieure des Ursulines de Loudun exorcisée par le Père Jean Joseph Surin de la Compagnie de Jésus »
  • « Science expérimentale des choses de l’Autre Vie, acquise en la possession des Ursulines de Loudun »

Ce qu’il va décrire est en lien avec la possession. Et avec Jeanne des Anges porteuse de la possession.

Il vient pour être chargé d’elle.

Il va formuler une demande :

« Il demandait à Dieu avec larmes qu’il lui donnât cette fille pour en faire une parfaite religieuse, et il se sentait porté pour cela d’une telle ardeur, qu’un jour il ne put s’empêcher de s’offrir à la divine Mère, pour être chargé du mal de cette pauvre fille et participer à toutes ses tentations et misères, jusqu’à demander à être possédé de l’Esprit malin, pourvu qu’il agréât de lui donner la liberté de rentrer en elle-même et s’adonner à son âme. Dès lors il s’engendra un amour paternel dans le cœur de ce Père vers une âme affligée, qui lui faisait désirer de pâtir (chose étrange !) pour elle ; et il se proposa que son grand bonheur serait d’imiter Jésus-Christ, qui, pour tirer les âmes de la captivité de Satan, avait souffert la mort après s’être chargé de leurs infirmités » (p. 27 « Triomphe… »)

Ainsi qu’il le dit juste avant (p. 26), il « mignote » de loin la place pour l’investir.

Un air de sa chanson : sauver Jeanne des Anges, imiter Jésus Christ, et donc subir, « pâtir ». Puis deux pages après vient ce qui complète la déclaration « Le Père avait formé le dessein de rendre cette religieuse Sainte ».

Et quand cette partie, où autre lui-même, qu’il nomme « le Père » forme un dessein, il s’y met en entier et s’y donne. Ainsi qu’il le dit : « l’obsession que le Père souffrit fut la plus extraordinaire qui eut peut être jamais été vue ».

Dans les modalités que celle-ci prit, il est effectivement possible qu’elle fût unique.

Un repère ici :

L’obsession n’est pas la possession ; sur le plan religieux, les deux ne sont pas considérées de la même façon. Obsession traduit le fait d’être assiégé, en état de blocus.

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Comme ce terme ne nous est pas étranger et qu’il a vécu une longue aventure jusqu’à ces derniers temps, je me permets de citer ici un texte de 1643 :

Obsession

Définition donnée par J. Le Breton 1643 (concernant la possession de Louvier, une autre grande scène) :

« La principale différence entre l’obsession et la possession consiste que dans l’obsession, le démon agit seulement sur les personnes obsédées, quoique d’une manière extraordinaire, comme serait en leur apparaissant souvent et visiblement, malgré qu’elles en aient, en les frappant, en les troublant, et en leur excitant des passions et des mots étranges, et surpassant notablement la portée de leur complexion, ou dispositions ou facultés naturelles, là où dans la possession le démon dispose des facultés et des organes de la possédée pour produire non seulement en elle mais par elle, des actions que personne ne pourrait produire d’elle-même, au moins dans les circonstances où elle les produit ».

Durant une courte période, le Père Surin est considéré comme « obsédé », catégorie religieuse (nombre de saints furent obsédés par des démons ; la fréquence est même très grande…).

Lorsqu’il change d’état, il est nommé infirmus, donc malade médicalement parlant.

L’obsession est le temps de son rôle d’exorciste, où il est saisi par le déchaînement des démons, avec convulsions et hurlements.

Tandis que, infirmus, il voit ses paroles, gestes et mouvements s’arrêter, le goût et le sommeil lui échapper. Son corps se pétrifie, la pensée reste.

Plus tard, lorsque J.J. Surin se trouve inscrit au catalogue de la Province d’Aquitaine sous le vocable « infirmus », il sait qu’il est considéré comme malade, inapte, et même « estimé fou », ce à quoi il ajoute qu’il « ne veut éviter ce blâme, car il peut avouer qu’il n’a pas trop craint ce titre, parce qu’il peut dire qu’il y a longtemps qu’il s’était offert à Dieu pour cela et pour avoir ce beau bouquet sur son chapeau que personne ne veut guère avoir » (Science expérimentale p.179). Pourtant il ajoute que pour lui, il s’agit là plutôt de « peines extrêmes de l’esprit ». Une juste et belle expression, me semble-t-il.

Nous pouvons donc distinguer trois temps : le trouble pris dans le cadre religieux (même s’il est extrême), la cassure, et la maladie reconnue comme telle.

Le premier et troisième temps présentent des manifestations opposées.

Dans l’obsession, la partie visible par les spectateurs est saisissante. Mais le combat intérieur et le déchirement qui meurtrit le Père Surin ne le sont pas moins.

En témoigne la lettre du 3 mai 1635 au Père Doni d’Attichy.

Cette lettre est très longue, en citer un bref passage me paraît nécessaire :

« Dieu a permis…ce qu’on n’a peut être jamais vu en l’Eglise, que dans l’exercice de mon ministère le Diable passe du corps de la personne possédée et , venant dans le mien, m’assault, me renverse et m’agite et travaille visiblement, me possédant plusieurs heures comme un énergumène…cet esprit s’unit avec le mien…faisant comme un autre moi-même, et comme si j’avais deux âmes dont l’une est dépossédée de son corps et de l’usage de ses organes, et se tient à quartier. Ces deux esprits se combattent en un même champ qui est le corps, et l’âme est comme partagée… Je sens une grande paix sous le bon plaisir de Dieu et…une rage extrême et aversion de Lui…et une tristesse qui se produit par des lamentations et cris pareils à ceux des damnés »… »Quand je veux, par le mouvement d’une de ces deux âmes, faire un signe de croix sur ma bouche, l’autre me détourne la main avec grande vitesse, ou saisit le doigt avec des dents pour le mordre de rage » (cité M. de Certeau « La possession de Loudun » p.299 ; A. Huxley p.297).

Cette lettre alors qu’il la voulait secrète, va circuler. A ce tourment intérieur s’ajoute la blessure des regards : « c’est le creuset qui consume, jusqu’au vif du cœur, jusqu’à la moelle des os, tout l’amour de soi-même ». L’humiliation est totale : les possédées se moquent « quand elles me voient dans cet état, c’est un plaisir de voir comment elles triomphent… Médecin, guéris-toi toi-même, va-t-en à cette heure monter en chaire, qu’il fera beau de prêcher cela après avoir roulé par la place ! »

Mais j’aimerais m’arrêter sur le temps deux, celui de la cassure, ou du passage.

Il met, viscéralement me semble-t-il, en jeu la relation de Surin à Jeanne des Anges.

Elle est d’une intensité stupéfiante. Je ne peux que l’effleurer ici ; elle mériterait une étude plus précise.

Ils vont mourir à deux mois d’écart, elle avant lui (elle : 29 janvier 1665 ; lui : 21 avril 1665).

Il écrit en février 1665 à Madame du Houx :

« Je vous dirai que, depuis son décès, je me trouve disposé comme une personne qui aspire à la vie future et qui n’a plus d’arrêt ni d’attente ici. Je n’aurai plus, ce me semble, de communication avec personne comme avec elle, parce que notre Seigneur avais mis des dispositions et préparations en son âme pour moi que ne n’ai eu en personne… Je suis désormais comme en exil de ce monde ». (cité P. Goujon p.192).

Michel de Certeau, les évoquant, dit :

« Aussi, la mort de Jeanne des Anges est elle pour lui la fin de toute vraie communication avec un autre et avec lui-même ; son passé n’a plus de répondant, c’est la mort d’un langage » (p.63 « Fable mystique I »).

Mais est-ce seulement son passé ?

Comment survit un être si toute vraie communication avec lui-même et avec un autre sombre ?

Une lettre du 4.11.1662 affirmait :

« Les choses je ne les dis qu’à vous. Ce sont des choses qui, hors le secret, ne se peuvent communiquer. Mais, pour vous, je n’ai rien que je sache guère secret… » (cité P. Goujon p.218).

Qu’est-ce que les exorcismes ont déclenché ?

Une scène est impressionnante et Surin lui-même en note le caractère probablement unique. Faute de mieux, je parlerai…d’interpénétration. Les catégories pénétrant/pénétré sont ici plus judicieuses que celles d’homme/femme.

« Une chose qui parut singulière, ce fut de voir que le démon passait tout soudainement du corps de la Mère Prieure en celui du Père, puis retournait d’où il était parti ».

Cela lui fit « grand trouble et grande honte ».

Mais…ne fut pas sans effet, un effet lui désiré : ses idées se transfèrent (le terme est de lui, p.59 « Triomphe de l’Amour ») en l’esprit de Jeanne :

« Toutes les idées de la doctrine spirituelle dont il était imbu et sur lesquelles on lui avait souvent formé des doutes et appréhensions furent immédiatement insinuées au cœur de la Mère qui les déduisaient justement comme si elle les avait connues ».

Un sacré mouvement ! Les démons font des va et vient entre les corps, les idées s’insinuent dans les âmes.

« Une telle correspondance entre leurs deux cœurs fut telle que des démons ont dit quelque fois qu’ils n’en avaient jamais vue de pareille » (p.61 « Triomphe de l’Amour »).

Un parcours se fait : ce qui s’est saisi d’un être humain est passé en l’autre pour revenir au premier ; les cœurs se mettent à correspondre, la doctrine qui anime Surin pénètre en l’esprit de la Prieure.

Dans les enjeux de cette relation, quelques points sont à dégager :

La disparité des attentes :

Du côté de Jeanne, elle cherche un lieu d’écoute, un autre à qui se confier. Ayant perdu le père Surin, enfermé dans sa maladie, elle se tourne vers le Père Saint-Jure, lui écrivant en janvier 1644 :

« Je désire que vous connaissiez mon intérieur ; j’ai une grande liberté de vous le découvrir ; tout ce que vous me dites s’exprime dans mon esprit et m’apporte une paix intérieure » (p.243 « Autobiographie »).

Par contre, Surin l’a placée dans une place d’unique ; de non-remplaçable.

Mais il n’est pas dupe.

Et surtout pas de l’envahissement par le sexuel…

 

Il impose la lucidité à Jeanne :

Il évoque ces « objets les plus déshonnêtes que les diables mettaient sous les yeux de la Prieure, lui donnant des désirs et sentiments d’une affection déréglée pour des personnes pouvant l’aider »…

C’est Jeanne qui conte cela, et l’objet de « l’affection déréglée » est le Père Surin…bien sûr.

Lequel lui répond donc :

« Pour ce qui est des tentations infâmes que vous sentez quand vous êtes proche de moi, ne vous étonnez pas, c’est une malice du Diable qui ne durera pas. Tâchez de m’ouvrir votre cœur »… (p.107 « Autobiographie »).

Réaction de la Mère ; assez appropriée, ma foi :

« Je ne savais si je devais être bien aise que le Père eût cette connaissance ou si je devais en être fâchée… »

Enfin…pouvoir accuser le Diable était une bonne porte de sortie !

Encore la lucidité du Père Surin :

« Je n’ai rien trouvé de si étrange, de si tyrannique, de si fort contre l’homme que cette malheureuse tentation…que sont les démons de fornication qui ont régné en cette possession, et que Notre Seigneur a chassé du corps de la Mère par mon ministère, qui m’ont souvent menacé de jouer de leur reste contre moi » (« Science expérimentale » p.191).

Le 15 octobre 1637, le dernier démon fut expulsé du corps de Jeanne des Anges.

Maintenant j’évoque le temps deux : celui de la cassure.

Elle aura lieu après le voyage de Jeanne, voyage où lorsqu’il la croise, la parole qu’il avait perdue lui est rendue provisoirement, avant qu’il ne s’effondre. La lettre ci-dessus citée à Madame du Houx ainsi que la reprise de leur correspondance vingt ans plus tard, et le ton de celle-ci, témoigne de la permanence de leur lien. Cependant, la donne du Père Surin semble avoir été totale, il s’y est jeté à corps perdu, alors que celle de jeanne, tout le montre, ne l’était pas. Et lorsqu’elle va exhiber au monde entier et à Surin son passage vers le divin et les traces de son élection, dans le même temps elle lâche et trahit le Père dans ce qui est pour lui au fondement de son rapport à Dieu : l’humilité, et le martyr.

Arrêtons-nous un temps sur ce voyage, sur ce moment d’histoire qui fut appelé « le Triomphe de Jeanne des Anges », son voyage en Savoie jusqu’au tombeau de François de Sales…voyage demandé par le dernier démon en échange de sa sortie du corps de la Prieure…

Sur sa main, en plusieurs temps, les noms de Maria, Joseph et François de Sales sont apparus.

« Laissant sur sa main gauche, à la vue de tout le monde, le saint nom de MARIA, en caractères romains. Ils étaient profonds dans la chair, au dessus du nom de SAINT JOSEPH, d’un caractère plus petit » (« Triomphe de l’Amour » p.71).

Ils sont là…pour être vus !

Elle va donc faire son tour de France…

Le terme de « Triomphe » est adéquat. Elle le décrit dans son « Autobiographie » sans l’ombre d’un soupçon d’humilité.

Il est vrai qu’elle se voit ouvrir les portes des plus grands du royaume, non seulement les évêques et archevêques des différentes villes où elle passe (Blois, Tours, Orléans, Paris, Nevers, Moulin, Lyon sans oublier Annecy lieu de la sépulture) mais encore elle rencontre Louis XIII et Anne d’Autriche, puis Lombardemont qui la logera et l’amènera auprès d’un Richelieu pourtant gravement malade. De plus, elle va, des heures durant, exposer sa main marquée des signes divins à un public avide de miraculeux et de notoriété. Qui sait d’ailleurs que notre grand roi Louis XIV est venu au monde alors que sa mère Anne d’Autriche portait sur son ventre la fameuse chemise de Jeanne ointe  d’un onguent attribué à Saint Joseph ?

Tout ceci « Pour la gloire de Dieu et la défaite des démons ».

Elle brille. Elle explose de brillance.

Cela ne peut que déstabiliser profondément le Père Surin : certes, il la connaissait, il avait même pris les devants :

Il lui avait fait signer un papier lui enjoignant, si elle était délivrée des démons « d’embrasser pour jamais la condition de sœur laie de l’ordre de Sainte Ursule » (« Triomphe de l’Amour » p.89).

Et même elle, elle le reconnaît : dans son « Autobiographie » elle dit avoir eu la « forte pensée d’être sœur laie afin de m’ôter toute espérance de parvenir à des grandeurs » (« Autobiographie » p.129).

Le désir de grandeurs la dépassa !

Car être sœur laie signifie être astreinte aux tâches les plus manuelles et pénibles ; c’est un grade inférieur. Parmi les dix sept sœurs du couvent seules deux étaient sœurs laie. Et Jeanne a gardé quasiment tout le temps sa fonction de Prieure ; qu’elle remplissait d’ailleurs plutôt bien.

Par ce voyage et ce qu’il représente pour elle, Jeanne des Anges se détache du Père Surin, non sans mettre à jour un paradoxe : il l’a libérée, il la « voulait sainte », elle suit son désir, mais à sa manière, et la forme ainsi donnée rompt le pacte d’humilité qu’il avait voulu et exigé.

La fin du pèlerinage se situe en 1638 ; lui et Jeanne ne se reverront jamais, la reprise de leur correspondance se fera lorsque Surin émerge enfin, le 31.12.1657 ; dix neuf ans plus tard.

La toute dernière page de « Triomphe de l’Amour » condense cet épisode en l’incluant dans une temporalité précise :

« On continuera jusqu’à Briare, où le Père Surin se sépare de la Mère, la laissant aller à Paris pour être présente aux couches de la Reine, et il se retira à Poitiers. Il dit la première messe à Moulins…alla à Bordeaux. Y étant arrivé il reprit les exercices spirituels, prêcha toute l’année 1638 et retomba ensuite plus que jamais en d’étranges accidents qui l’ont tenu jusqu’à maintenant 1660 sans pouvoir sortir de la chambre ni faire le moindre mouvement… Aucun médecin n’a pu donner raison de cette peine singulière » (p.123).

Fin du temps deux.


•    •

La maladie de J.J. Surin

Avant de l’évoquer, et puisque nous sommes dans ces années cruciales 1637-1638, des fragments de la vie personnelle du Père apparaissent dans le texte.

Peu, car sa vie privée n’est en aucun cas la raison de son écriture. Correspondance, poésies, ouvrages et textes divers n’ont pour lui qu’une finalité : témoigner et transmettre ce qui relève de Dieu et de la Religion.

Des évènements importants ont lieu.

Le décès de son père en décembre 1637.

Une seule phrase à propos de son père.

Sa mère, au pied du lit de son père mort, lui annonce sa décision d’entrer au Carmel, ce qu’elle fera le 15 octobre 1638.

Il écrit « son père mourut au commencement de ses plus grandes peines ».

Ensuite il fait se jouxter sa maladie à lui…et la non-maladie de celle-ci lorsqu’elle est réside au Carmel.

« Elle ne fut pourtant point à l’infirmerie, qu’à la maladie dont elle mourut… Je me trouvais si mal que je ne pus la voir, nonobstant que j’en eusse la permission. Notre Seigneur la laissa mourir sans lui donner la consolation de me revoir en santé, ni jouissant de mon état, qui ne tarda guère à venir après sa mort ».

Sur son père, une seule phrase, mais il écrit aussi que durant « quinze ans et même plus », il n’a pu appeler Dieu que papa.

Le glissement constant que le Père Surin opère dans la rédaction de ces deux textes entre le « je » le « il » et « le Père » (pour à chaque fois parler de lui) est à certains endroits plus troublant. Par exemple à la page 37 de la « Science expérimentale » lorsqu’il évoque ce que se passe entre lui et le démon ; ou bien ici, page 294, à un moment crucial de sa vie.

Michel de Certeau analyse avec brio les jeux de langage de Surin. Ce dernier ne s’y arrête qu’une fois :

« Enfin il se rendit à Saint Macaire, où je suis à présent, écrivant ceci, et parce que j’ai commencé à écrire parlant en tierce personne, je continuerai de même » (Science expérimentale p.178).

Ecrire-parlant est très exactement ce qu’il fait.

La maladie se met en place :

Déjà, (p.173 de la « Science expérimentale ») il parcourt en quelques lignes des étapes terribles.

« Tandis qu’il était encore à Loudun, environ le temps que la Mère fut délivrée de dernier des démons, le Père fut aussi délivré de l’obsession manifeste qu’il recevait de ces mêmes démons ».

Là, il évoque une possibilité de liberté, une « dilatation », mais :

« Au lieu de cela, Notre Seigneur permit…un trouble dans son sens naturel avec des comportements tout à fait méprisables…de sorte que les Pères furent obligés de l’exorciser…tout à fait comme une personne qui a perdu son sens et sa liberté ».

Quelques lignes plus loin :

« le Père tomba dans un état où les forces lui défaillaient tout à coup et tomba dans un mal terrible, car il ne pouvait produire aucun remuement de son corps, sans une extrême peine et n’avait la puissance ni de parler, ni de marcher, ni de faire aucune action qu’avec un extrême tourment ; si lié que ce qui était nécessaire comme de manger, de marcher et tous les autres mouvements nécessaires à la vie lui coûtaient de telle façon que, pour avoir repos, il s’abstenait de tout ».

La gravité extrême de la maladie se dévoile lorsqu’elle commence à desserrer ses liens.

Cela se fait par étapes.

  • La reprise de l’écriture fut favorisée par un retard de son secrétaire.

« Ce m’était peine que l’écrivain tardait à venir. D’impatience, je pris la plume et fis comme si j’eusse voulu écrire. Il y avait plus de dix huit ans que je n’avais rien écrit… Il ne semblait pas que ce fût rien d‘humain, tant il était confus » (p.248 « Science expérimentale »).

Nous sommes fin 1655.

Date des « Contrats spirituels ». Nous y reviendrons.

La correspondance reprendra plus tard, 1657.

  • Peu de temps après, quelques pas l’entraînent vers la porte du jardin où il était logé. Il voit les arbres. Il marche, enfin.

« Sur cette porte, comme j’avais mon cœur assez en joie, je me mis à le voir comme il était fort beau, et à m’appliquer plus distinctement aux objets qui y étaient ».

Il parle de « suavité ». Marcher et regarder : un même pas.

  • Douleur de l’habillement :
  • « Je souffrais si extrêmement à ce changement de chemise que quelques fois je passais la nuit du samedi au dimanche presque toute entière à quitter ma chemise et prendre l’autre avec d’extrêmes douleurs » (p.251 « Science expérimentale »).

« Se dépouiller » comme il dit, était une torture.

Souffrance extrême du corps.

Deux points résistent : la messe et le lit.

« Je me sentais prêt à m’acquitter de toutes les autres actions et mouvements que les autres faisaient, sauf deux sortes d’actions, de dire la messe et me mettre dans le lit…ne sentant point d’ouverture à cela ». (p.250 « Science expérimentale »).

Cela viendra plus tard, comme un verrou qui se lève.

Lui vient alors cette superbe phrase :

« Ce fut une grande nouveauté et merveilleux contentement que de pouvoir être réduit à la forme des autres ». (p.252 « Science expérimentale ».).

Soit dit en passant : c’est très exactement ce que Jeanne des Anges ne voulait pas pour elle, son « impossibilité » : être réduite à la forme des autres…

Un épisode de sa maladie est toujours cité par les auteurs. L’expression du récit (qui éclaire aussi le langage en tierce personne) mérite attention.

« Il vit la porte fenêtre ouverte…il se retira au milieu de la chambre, tourné vers la fenêtre. Là, il perdit toute connaissance, et soudain, comme s’il eût dormi, sans aucune vue de ce qu’il faisait, il fut lancé par cette fenêtre, et jeté à trente pieds loin de la muraille, ayant sa robe vêtue, ses pantoufles aux pieds et son bonnet carré en tête » (p.181 « Science expérimentale »).

Il reste sans connaissance vingt quatre heures, et se casse l’os de la cuisse.

Il fut « jeté ». La veille, il avait, dit-il, été « dejeté d’une assemblée » à laquelle il estimait avoir droit.

Il se dit agi.

La date de cet « accident » (1644 en pleine maladie) correspond à celle où Jeanne des Anges, avec l’accord de son directeur de conscience du moment, le Père Saint Jure, avait entrepris de reprendre et continuer la première partie de l’ouvrage de Surin « Le triomphe de l’Amour » qu’elle avait en main, d’en écrire la suite, donc d’une certaine manière…de le déposséder.

Et elle rédige là son « Autobiographie ».

Nous sommes dans la description des étapes de la guérison. Mais cela ne nous renseigne pas sur ce qu’il vit, dont il parle pourtant, dont il veut parler : tout écrit pour lui a pour finalité de montrer le pouvoir de Dieu.

Ebauchons une articulation possible : il s’agirait de mettre en parallèle ce qui se joue pour les deux individus ici concernés et ce qui présenterait le même mouvement au niveau social pour le XVIIème siècle français : l’engloutissement du diabolique dans le divin.

Certes, il y aura des résidus, des sursauts.

La fin des procès de sorcellerie décrétée par Louis XIV en 1682 va permettre la disparition des traités de démonologie ; toutes ces grandes scènes dramatiques vont être relues, critiquées et jugées, Urbain Grandier deviendra la victime et Jeanne des Anges la meurtrière ; puis tout cela sera mis à bas par l’école de Charcot et Bourneville.

Pour reprendre le terme qu’emploie Surin à son égard : « changement d’état ».

Stigma :

Cela va passer par un jeu d’écritures, entre traces, marques, et écrits. En surface, ou « cloués » ; visibles ou invisibles. Nous sommes dans le registre du sacré.

Brève synthèse du parcours de Jeanne concernant ce registre :

Les démons l’ont envahie, se sont logés en son corps, avec une fonction définie à remplir car, ne l’oublions pas, cela se fait pour la plus grande gloire d’un Dieu qui l’autorise. En vertu de quoi, l’exorciste a à charge de montrer le pouvoir et la puissance de l’Eglise et de son rituel faisant se nommer d’abord, puis parler et enfin sortir les occupants afin de rendre la personne libre et à elle-même ; « délivrée ».

Second temps :

Jeanne passe du statut de possédée à celui de porteuse de signes divins. Et pas seulement les trois marques sur sa main (Maria, Jésus et François de Sales) puisqu’il y a aussi la fameuse chemise ointe, dit-elle, du suintement d’une plaie au côté (stigmate christique supposé) ayant comme effets concomitants quelques miracles.

Les mots sur la main se nomment « épigraphies stigmatiques ». La caractéristique en est aussi l’absence de douleurs de la Passion Christique.

Il y a glissement direct -sans aucun temps pour Jeanne de relever de l’être humain quelconque- du diabolique au divin.

Porteuse ; mais non sainte. Tracée, par sa récupération par Dieu.

Deux repères annexes :

  • On appelle stigmatisés des individus qui portant sur leur corps les marques de la Passion Christique, c’est-à-dire des plaies aux mains et aux pieds, la plaie du côté (dite aussi du cœur), parfois la couronne d’épines. Elles peuvent saigner périodiquement. François d’Assise au XIIIème siècle fut le premier stigmatisé de l’histoire, phénomène qui se produit sans interruption jusqu’au XXème siècle…au moins.
  • D’autre part, Jeanne est une possédée, en aucun cas une sorcière. A Loudun, le sorcier est Urbain Grandier. C’est donc sur lui que vont être cherchées les fameuses marques de sorcellerie, ces points insensibles signes de la dépendance au Démon que le bourreau va vouloir trouver avec de longues aiguilles enfoncées dans le corps et qui, feront office d’aveu (preuve juridique). Trois furent trouvées sur Grandier : la douleur a ses limites.

Du côté du Père Surin, maintenant :

Un mécanisme s’anime en lui, qu’il vit, constate et décrit. De notre côté, pour pouvoir l’entendre à minima, il est nécessaire de le replacer dans son contexte :

Il est jésuite (depuis l’âge de 16 ans) ; chrétien.

Il y a : lui, le monde des jésuites, le monde extérieur.

Par rapport à ce qui le traverse, certaines données de la religion sont à rappeler. Il se détermine par rapport à elles…à sa manière…en homme de l’excès.

Un rappel donc : depuis le IVème et le Vème siècle de notre ère, les Conciles de Nicée et de Chalcédoine entre autres, la religion catholique chrétienne reconnait ce qui est nommé le mystère trinitaire : une seule nature (Ousia) en trois hypostases, Père, Fils et Esprit ; le deuxième assumant du fait de l’Incarnation, de l’union dite hypostasique, les deux natures divine et humaine.

Le père et le Fils sont un seul et même Dieu. Le fils est la partie charnelle de Dieu, celle qui a vécu l’agonie et la mort, ce par quoi il a connaissance et savoir de l’humain.

Le Père Surin va aller au plus proche de la position du Christ-Fils agonisant et humilié.

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Une sorte…de corps d’âme qui s’écrit…dont je vais énumérer les étapes et les développer ensuite :

  • Vivre la crucifixion

Devant le Mère, puis seul

  • Souffrir l’agonie Christique
  • Porter le regard sur son corps et y voir celui du Christ
  • Ressentir les stigmates, les vouloir invisibles
  • Ecrire phrase après phrase un livre tout autant invisible
  • Puis le dicter tel quel ; le faire ex-ister
  • Organiser le tout par la rédaction des « contrats spirituels »

Et enfin pouvoir reprendre son apostolat, arrêté depuis vingt ans.

Le mot « Croix » l’arrime…et le cloue.

Le 3 mai est une fête, supprimée maintenant, celle dite de « l’Invention de Sainte Croix » (elle date de 326). Les deux crucifixions dont il fait le récit un peu longuement ont lieu ce jour là. La première, juste avant l’effondrement comme il le note, en 1636.

« Je me sentis saisi de quelque véhémence qui portait l’âme à ressentir la croix de jésus Christ…je fus ôté de dessus mon siège…puis étant sur la terre, je fus avec la même raideur qui bandait les muscles et les nerfs, mis comme en croix » (p.262 « Science expérimentale).

Même page : « Après quoi, j’eus un changement d’état et il me semble que c’était des approches de l’horrible peine où Notre Seigneur permit que je tombasse… »

La deuxième est beaucoup plus tardive ; il la connote autrement : « Il lui advint une chose qu’il met au rang des plus grandes grâces » ; « je me trouvais comme si j’eusse été en croix, je fus trois heures là…comme si j’eusse été cloué…je vins à un point d’agonie, qu’il me semblait que j’allais rendre l’esprit » (p.272).

Faisant retour sur un moment du passé, il se souvint avoir reçu « l’impression intérieure des attributs divins » à l’âge de treize ou quatorze ans alors qu’il allait voir…une Mère prieure à l’église des Carmes de Bordeaux. Elle s’appelait « Isabelle des Anges »             – Echo – (p.281 « Science expérimentale »).

Dans ce registre viennent ensuite ce qui se nomment en théologie catholique « les stigmates invisibles ».

Elles sont répertoriées depuis longtemps. L’une des grandes ayant évoqué ce signe divin est Catherine de Sienne au XIVème siècle. Pour elle, comme pour tous les autres, les raisons avancées de la demande d’invisibilité des plaies sont toujours les mêmes : l’humilité veut que les traces ne soient pas perceptibles par autrui, par contre le stigmatisé demande d’en garder la douleur. Non visibilité et souffrance.

Ce qui est l’inverse de « l’épigraphie stigmatique », visible à tous et sans douleur.

Voici ce qu’écrit Surin :

« Environ ce temps, Notre Seigneur me donna une parole, me promettant qu’il écrirait intérieurement en mon âme ses cinq plaies…que ses plaies demeureront gravées en moi, et seraient en mes membres inférieurs…mais depuis ce matin où Notre Seigneur me dit effectivement qu’Il me les donnait et me les gravait en l’âme, jamais la vue et douce idée de cela ne m’a manquée quoiqu’il y eût à présent huit ou dix années de cela » (« Science expérimentale » p.290).

Comme il rédige vers 1665, cela permet de dater vers 1653-1655, vers la fin de la maladie.

Il ajoute : « C’est un des plus grands bienfaits que j’ai reçu de Jésus-Christ ».

Et là, comme à beaucoup d’endroits du texte, il s’arrête sur ce que lui dit son entourage, ses supérieurs :

« Plusieurs diront…que c’est une imagination…mais c’est une de ces imaginations qui est plus désirable que des trésors, car je ne puis dire…combien de forces et consolations j’ai reçu de cela » (p.290 « Science expérimentale »).

Il dit lui-même que par un discours imaginaire, il peut être instruit « par représentation ou par symbole » (p.274).

Avant de passer à son écrit invisible à lui, arrêtons-nous sur une transformation du vécu corporel :

« Je voyais manifestement en mon corps celui de Jésus-Christ plus que le mien même, et nullement le mien, car la forme et la couleur, tout semblait une chose plus divine qu’humaine… Je sentais un respect extrême pour ce corps qui me paraissait en moi, et cela me donnait un éblouissement tout divin…cela a duré peut être plus de vingt ans d’avoir cette vue aussi manifeste et sensible de Jésus-Christ en moi, que si je l’eusse vu hors de moi » (p.330 « Science expérimentale »).

Un repos, enfin, dans ce mot « respect ».

Dès le XVème siècle, un petit texte a eu un énorme succès dans l’univers chrétien : « De imitatione Christi » attribué à Thomas Kempis. Avec des répercussions.

Penser l’écrit

Je -il- tire ici le fil de l’écriture. Elle est son ossature.

Je ne peux que le citer, il décrit cela si bien !

« C’est pourquoi il (lui, donc) composa dans sa tête avant que de penser à rien écrire, pour ce qu’il avait entièrement perdu la faculté d’écrire et qu’il y avait plusieurs années qu’il n’avait pu facilement se signer : pour cela, il songea et composa dans sa tête le livre qui s’appelle « Le Catéchisme spirituel » lequel depuis a été écrit… Il acheva tout cet ouvrage, ayant plus de deux cent chapitres, tous prêts à être dictés mot à mot, comme il l’avait écrit dans sa tête… Il ne pouvait avoir de repos avant qu’il n’eût tout mis dehors » (p.244 « Science expérimentale »).

Il décrit une lutte terrible par rapport à l’écriture :

« Il lui semblait que Dieu s’opposait à tout ce qu’il voulait faire… Je le dictais tout, car je ne pouvais pas écrire un mot, avec des horreurs comme un homme qui eût été en enfer, et avec une vigueur de sens, et une mémoire plus grande que j’ai jamais eue en aucune action » (p.247 « Science expérimentale »).

Là se situe le moment où le secrétaire est en retard…et où il se remet à écrire, à pouvoir être acteur et non agi.

Il est tout à la fois dans :

« Ce fut comme si Notre Seigneur Jésus-Christ lui-même se fut imprimé et écrit dans l’âme » (p.260).

Et sa volonté, que le titre du livre indique : devenir un guide spirituel.

Les traces de l’agonie Christique témoignent à leur manière…d’une tentative pour transcender le corps.

Parallèlement, il va tenter un acte dépassant l’humain ; transcendant l’humain.

Cela va être la rédaction des « Contrats spirituels ». 

« Les contrats spirituels »

Cette connaissance qu’il vit de son corps comme étant celui de Jésus-Christ va lui permettre le passage à l’étape suivant.

Il me semble possible de poser l’hypothèse que cette nouvelle étape, par le côté social et sa portée vers l’extérieur qu’elle représente, lui ouvre les portes de la guérison.

Je ne suis pas la seule à le penser. Une note tout à la fin de ce texte « Les Contrats », alors que J.J. Surin, lui, le termine en disant « il (il s’agit de lui) désire de vous y servir avec toute sorte de fidélité et d’adresse », cette note donc ajoute « Le Père Surin fut exaucé, puisque, peu après, il devait reprendre son apostolat de direction et de prédication » (p.203).

 

De quoi s’agit-il ?

 

Un texte inouï, sur-réel. Un acte extrême, puisque impensable. Une sorte d’Acte parmi les actes. Cela le concerne, lui : il précise son rapport à Dieu. Mais comme tout acte juridique, il précise également son rapport aux autres, à la société, et…à ses supérieurs (avec lesquels les rapports sont souvent houleux…).

« Les Contrats spirituels » sont des écrits théologico-juridiques.

 

Le Père Surin va, dans un laps de temps court, car ces contrats s’étendent sur deux mois et dix jours (du 19 octobre 1655 au 29 décembre 1655) passer cinq contrats avec Dieu ; complétés, dans les mêmes dates, par : « Le Testament de l’âme », une « donation entre vifs faite en faveur de Jésus-Christ par un sien serviteur » une « transaction entre Jésus-Christ et l’âme » une « dénonciation, avertissement et sommation à tous les hommes d’aimer Jésus-Christ et terminer par deux « requêtes » faites à Jésus-Christ.

Le style est éminemment juridique.

D’ailleurs, il est fils et neveu d’hommes de loi : son père était conseiller au Parlement de Bordeaux, la sœur de celui-ci avait épousé un conseiller du même Parlement.

Avant d’évoquer le contenu du texte, peut-être est-il nécessaire de resituer brièvement l’était du Père juste avant cette rédaction.

Une semaine auparavant, le 12 octobre, Surin rencontre un confesseur auquel il confie sa détresse et son incapacité à vivre.

« Je me confessai en damné ». Celui-ci lui répond alors « Je ne suis point homme de révélation…toutefois il faut que je vous dise que souvent j’ai eu l’impression qui ne vient point de mon imagination, ni de mon propre sens, qui est que, devant que de mourir, Notre Seigneur vous fera grâce de voir que vous vous trompez et que vous viendrez enfin à faire comme les autres hommes et que vous mourrez en paix ».

La lumière pour Surin, qui dit « J’entendais dans mon cœur une parole comme ces paroles vitales qui sont paroles de vie et portent leurs effets avec elles = « oui, cela se peut » ». Etre de la forme des autres hommes…

Peut-on mieux dire le pouvoir de certaines paroles ?

Il change de lieu, aussi ; il est transporté à la propriété de la Croix (cela ne s’invente pas…lui-même fera le lien) voisine de Bordeaux chez un ami. Il y est bien.

Et là, il rédige son premier écrit « Le Testament de l’âme » soit. « L’âme sur le point de mourir du tout à soy-même a fait et dressé son testament en cette note ».

Dès les premières lignes il ajoute : « estant en mon bon sens et en plaine liberté j’ay fait et dressé mon testament en la manière qui s’ensuit ».

Condition effectivement indispensable dans un contrat.

Les contrats sont tous datés, les derniers sont rédigés à Bordeaux.

Il martèle la manière dont il se donne à Dieu.

Voici le début du « Testament de l’âme » :

« Premièrement je déclare et constitue mon héritier de tous mes biens mon Seigneur Jésus-Christ voulant qu’après ma mort il soit maître universel de tout ce qui m’appartient, pour en disposer à sa volonté. C’est-à-dire de tous mes dits biens, meubles et immeubles, patrimoine et acquets, du corps, de l’âme, de l’intérieur, de l’extérieur et de toutes mes facultés sans qu’il y ayt rien qui ne soit absolument à Luy. En premier lieu quant à mon corps je prétends qu’Il en dispose comme de chose sienne…que mon corps soit gisant aux pieds de Jésus-Christ…et qu’il soit par mon corps rendu hommage perpétuel à ce S Corps Vivant de mon Seigneur » (p.167).

L’ensemble fait une quarantaine de pages, la lecture est troublante, parfois ardue. Il parait possible de dire qu’il utilise des données du dogme en les poussant dans leurs limites extrêmes, et en essayant -c’est un contrat entre lui et Dieu- de se donner de manière telle, corps et âme, qu’aucun reste ne lui reste à aucun niveau.

Dans le « Contrat de mariage » :

« Travailler, négocier et agir que pour Lui, comme n’estant plus à soy-même » (p.172).

Des « mariages mystiques » sont reconnus dans la vie des Saints

De même que le Christ en croix fut « moqué, bafoué et outragé » il demande :

« Consentant s’il plait à mon dit Seigneur d’estre mesprisé et vilipendé des hommes et d’estre à leur esgard decheü de toute estime, gloire et réputation en terre, voire souhaitant d’estre traité comme néant » (Donation entre vifs p.175)

Au « Contrat de servitude » vient s’adjoindre le « Contrat de totalité », ce dernier étant…unilatéral.

Afin de « l’engager esclave pour servir toutes les âmes » (p.195) et que :

« Ses pieds, ses membres, ses genoux, ses poumons…son imagination, sa mémoire n’aient d’autre objet que Lui » (p.198) et qu’il trouve en Jésus-Christ « son habitation et son logement…que ce soit sa fournaise pour brusler, son oratoire pour prier, son lit pour le repos, sa  caverne pour se retirer en sa solitude » (p.191).

« Le Guide spirituel » va voir le jour, très vite suivi des « Dialogues spirituels », puis des « Cantiques », en 1660 il se lance dans de nombreuses « poésies », un « discours justificatif de la vie mystique »…et autres… Il finira aussi « Le Triomphe de l’Amour », laissé en chantier.

Qui le croirait ? Ses soucis ne sont pas terminés, loin de là.

Il se heurte, une fois encore, à l’histoire de son temps, une autre face de celle-ci, celle qui fait entrer en confrontation la théologie et la mystique.

Les rapports avec les « directeurs de mon âme » comme il dit ont souvent été durs, au point que dans la quatrième partie de la « Science expérimentale » il les accuse presque de l’avoir rendu malade.

L’affrontement maintenant est théorique.

Et il va se voir interdire de publier.

Dans un remarquable travail, P. Goujon reprend tous les éléments de ce dossier.

Le Père Oliva lui demande de :

« Tourner son talent littéraire et ses dons éminents vers des sujets plus utiles et qui, sans querelle, portent les esprits à la sainteté. Je ne doute pas que vous le fassiez pour moi et par obéissance. » (Goujon p.257).

Quant à Surin, il répond :

« La théologie des écoles est si différente de la mystique qu’on peut être fort habile en celle-là en ignorant celle-ci. Il faut quelque chose de plus que la science acquise par l’étude pour pénétrer les vertus chrétiennes dans leurs actes les plus profonds et les plus délicats ».

L’Ordre des Jésuites lui répond… ». Les nôtres ne doivent plus écrire sur cette matière ».

La lettre du 28 avril 1661 du Père Général mérite d’être citée…

«  J’ai appris que le Père J. Surin et le Père Cl. Bastide répandaient une théologie mystique étrangère à notre Institut et enveloppée de termes inintelligibles…bien plus que le Père Surin publiait sans autorisation des livres écrits dans un style inintelligible et plein d’erreurs…ce qui risquait de compromettre la réputation de la Compagnie et de provoquer, par un excès de tension, une rechute dans la démence… Il convient de séparer du Père Surin le Père Bastide qui lui tient lieu de père spirituel… » (p.67 Goujon).

Il est « trop mystique ». Il gêne. N’a-t-il pas toujours gêné ? Entre fascination et rejet, en tous cas depuis Loudun.

Cette exigence est douloureuse pour lui. Mais il se soumet.

Lui reste la correspondance. Qui circule.

J’ai fait le choix de rester au plus près des deux textes où le Père Surin évoque l’évolution de ses troubles et sa relation à Jeanne de Belcier.

Si le terme officiel posé sur sa maladie fut « infirmus » (levé tardivement en 1662), d’autres apparaissent dans les écrits comme « dément » ou « fou ». Il ne les rejete pas.

Il sait aussi les différents noms qui flottent dans l’air dès que l’on parle des possédées : hystérie, mélancolie, hypocondrie…ou « feintes » et simulations.

Il connaît la place accordée à l’imagination. Il en est beaucoup question et il n’ignore pas que l’on dit de la sienne qu’elle est « faible et échauffée » (« Science expérimentale » p.279).

En ce XVII ème siècle, le débat entre religion et troubles naturels de l’esprit est houleux et violent. Déjà.

Il le sera encore plus lors de la reprise de cette histoire à la fin du XIX ème siècle.

Gabriel Legué passe sa thèse de médecine sur l’affaire de Loudun.

En 1880, il publie un travail de recherche remarquable « Urbain Grandier et les possédées de Loudun » où il reprend avec un maximum de documents la manière dont ce prêtre s’est fait piéger jusqu’à en mourir. Le regard porté sur Grandier est chaleureux ; l’ouvrage s’arrête au moment du bûcher.

Par contre les cinq ou six pages de conclusion ne concernent que l’hystérie des possédées ; ces « vierges folles scandalisant par leur impudicité », atteintes de « nymphomanie » avec « exaltation nerveuse de l’appétit vénérien » pour lesquelles « tromper est une véritable passion ». Cependant comme « la perversion des sentiments est une conséquence de cette triste maladie…la responsabilité morale doit disparaître complètement » (p.313).

Nous avons donc pour elles :

la maladie/la sexualité en premier plan/l’irresponsabilité pénale.

Il prend sa place de médecin, et ne voit pas la lourdeur des connotations morales.

Le tout à un détail près…

Et il est de taille :

Pour être reconnue possédée, une femme doit présenter…des caractères et signes de la possession.

Le diable est porteur d’une sexualité débridée ; et les convulsions tout comme la force physique au-delà de la normale font partie des traits de la possession.

Six ans plus tard, donc en 1886, G. Legué rédige avec G. de la Tourette l’introduction à la réédition de « l’Autobiographie » de Jeanne des Anges.

Une courte préface précède l’introduction et elle est écrite par J.M. Charcot. Celui-ci plante le décor de la lutte en cours. « La possession de la Mère Jeanne des Anges ne le cède en rien aux quelques passages bien connus du « Chemin de perfection », du « Château intérieur », enfin de « la Vie de Sainte Thérèse écrite par elle-même » où celle femme de génie…nous fait pénétrer dans l’intimité de son mal. Le mal étant « la passion hystérique ».

Double sens du mot « mal », et importance du mot « passion ».

L’introduction des deux médecins rend hommage à J.M. Charcot.

« Nous nous sommes  toujours efforcés d’interpréter chaque symptôme accusé par la sœur elle-même d’après les connaissances empruntées aux maîtres les plus autorisés en cette matière » viennent les noms de J.M. Charcot, Richet et Briquet.

Le texte « l’Autobiographie » est, point par point, annoté et repris dans cette optique.

Une note p.28 classe le Père Surin dans le même diagnostic :

« Il est facile de reconnaître que c’était un hystérique des mieux caractérisés, présentant des attaques…avec une intensité de la contagion nerveuse…phénomène à rapporter au mutisme hystérique, état pathologique particulièrement bien étudié par Monsieur Charcot…en décembre 1885 ».

Nous sommes dans le combat acharné pour la laïcité.

Dans ce cadre, certains médecins vont faire un prodigieux travail de redécouverte de textes anciens concernant la mystique et la sorcellerie au sens large. Désiré Magloire Bourneville, par le biais de  la « bibliothèque diabolique » va rééditer près d’une dizaine d’écrits concernant quelques grands cas de possessions ou de stigmatisations, allant du XVI ème au XIX ème siècle pour en démontrer le caractère maladif et grandement hystérique. Un chantier sérieux et  complètement orienté qui sera publié au « Progrès Médical ». S’y trouvent par exemple le cas de Jeanne Ferry, la possession de Louviers, Louise Lateau, une belle compilation sur le sabbat par Bourneville et Teinturier.

Tout est réinterprété dans le cadre d’une maladie naturelle et désormais fixée « l’hystéro épilepsie n’a point changé avec le temps » (p.311 du texte de G. Legué).

Et là, j’insiste : si Jeanne de Belcier ne s’était pas conformée (avec d’autres) aux signes reconnus de la possession démoniaque, jamais les autorités de l’Eglise n’auraient bougé. D’où l’autre question : en quoi ces grandes scènes du XVII ème siècle étaient nécessaires à la société ?

Tout ceci ne fut pas sans conséquences. Les textes tirent le passé dans un certain présent, avec l’oubli du contexte. Ils vont donner une place particulière à l’hystérie dans l’hystérie de la psychiatrie et de la psychanalyse.

Avec, soulignons le en passant, en prime une erreur qui perdure et qu’il semble difficile de mettre à bas : l’idée que furent brulées des hystériques.

La raison à la fois de l’erreur elle-même, mais aussi de la nécessité de la maintenir mériterait d’âtre analysée. Ce qu’il est difficile de faire ici…

Mais les possédées ne sont pas brulées. La question posée à leur sujet est de savoir si elles relèvent de la maladie, de la simulation (la « feinte »), ou d’une « réelle » possession. D’où les débats contradictoires entre médecins, théologiens et parfois juristes ; les médecins pouvant soutenir l’envahissement diabolique et les représentants de l’Eglise la maladie, comme dans le cas d’E. de Ranfaing à Nancy.

Des écrits multiples, étapes importantes d’un chemin difficile.

Les sorcières furent brulées par centaines (voire bien plus) en Europe. Mais la logique est tout autre, dans la continuité de la lutte contre les hérésies depuis le XII ème siècle, celle de la « perversion hérétique ». Elles furent femmes du peuple et des villages.

Dans ces grandes scènes du XVII ème siècle en France, ce furent des hommes qui subirent le bûcher. Ici, Grandier.

Nous avons besoin de croire au progrès, mais cette explication ne suffit pas.

Ce que j’ai cherché à montrer, en isolant certains passages, est que, tout en se cloturant sur lui-même le Père Surin témoigne d’une mouvement extra-ordinaire.

Il prend corps sur le Corps des Ecritures, s’y arrime, s’ancre sur des textes parlant de l’imitation au Christ, dans une véritable fusion, puis en un autre temps, par la rédaction des « Contrats spirituels » il rétablit une certaine distance avec Dieu (distance incluse dans tout contrat), l’assujétissant à Dieu tout en le rendant à lui-même pour s’offrir aux autres.

Alors le «ferrement » terrible ourdi par ce qu’il appelle « le respir du Diable » le lâche.

Pour ce qui concernerait un diagnostic éventuel à propos de Jeanne de Belcier, la difficulté me semble démultipliée.

Deux points en passant…

  • Honnête certainement bien malgré elle (car l’ »Autobiographie » est aussi un texte…politique) dans le très court passage où elle évoque U. Grandier, ce qu’elle en dit est « qu’il voulait faire d’elle une femme de mauvaise vie ». Attrait sexuel, et non possession.
  • D’autre part, elle arrive à faire que Laubardemont fasse don aux Ursulines, au mépris de tous les droits de la propriété, du collège des protestants (Légué, p.282). Elle maîtrise.

Grand stratège, en tout cas, sûrement.

Elle « double » souvent le Père Surin. Ils se connaissaient bien, se sont côtoyés des heures durant. Elle impose. Lui a de vrais repères de foi, il veut être Jésus humilié. Cela, elle ne le veut pas. Etre une femme quelconque « à la forme » des autres femmes non plus. Lâché, il doit s’en sortir, lui avec lui, donc avec Dieu.

D’ailleurs, puisque c’était l’une des questions au départ de cet exposé, dans ce glissement du Diable à Dieu, le Père Surin se débat tout au long de ces deux textes.

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Il écrit même un chapitre -le XIV-  dans sa quatrième partie qui est théorique des « Réflexions sur la différence entre les bons esprits et les diables » car « les voies extraordinaires sont dangereuses, parce que le démon mêle toujours son opération avec celle de Dieu » (« Science expérimentale » p.305).

« Je fus surpris de telle sorte qu’il se fit un mélange des opérations de Dieu et du Diable, se faisant toutes deux, non seulement ensemble, mais aussi en même heure, tantôt l’une, tantôt l’autre, en sorte que l’on avait peine à les discerner. Le mélange fit très mauvais effet » (« Science expérimentale » p.267).

On le conçoit fort bien !

L’humour du Père Surin n’a pas été assez souligné…

Même si cette question est ancienne -elle a été très présente dans les procès de Jeanne d’Arc- l’Eglise revendiquant un savoir dont elle serait seule dépositaire pour différencier les actions divines et diaboliques, la manière dont elle traverse le Père Surin en sa singularité, en lui-même, croise les lourds enjeux à propos du Démon au XVII ème siècle. Les enjeux de ce XVII ème siècle passèrent par certains corps plus que d’autres.

Je ne voudrais pas clore cet exposé sans vous parler d’une découverte. D’abord vous dire le fil de ma pensée qui m’y a mené… Descartes, « Le discours de la Méthode »…sa date : 1637…donc en plein chambardement de Loudun, connu dans toute l’Europe. Je vais donc sur internet et tape « Descartes et le Diable ».

Heureux hasard de la bonne pioche. Là apparaît un article remarquable d’Etienne Anheim, dont le titre est « Satan, Descartes et Kantorowicz », écrit en 2006 à proposde l’excellent livre d’Alain Boureau « Satan hérétique », lequel traite de la mise en place de la démonologie au XIII ème siècle.

Le livre d’A. Boureau met l’accent sur la place centrale du pacte. Non seulement du pacte diabolique (dans les théories, les gravures et les histoires) mais aussi sur les  transformations qu’opère un pacte sur les deux parties qui le concluent, avec toutes les ramifications socio-politiques possibles.

L’article a tous les avantages que peut présenter un texte bref et dense : il ose. Il va loin, je vous conseille de le lire, je vais juste ici extraire quelques points :

1 – Descartes, d’abord

Lorsque Descartes avance « je supposerai donc, non pas que Dieu, qui est très bon…mais qu’un certain mauvais génie, non moins rusé et trompeur que puissant, a employé toute son industrie à me tromper ;… » (première des méditations métaphysiques) entrainant la célèbre controverse Derrida-Foucault, E. Anheim glisse là l’ombre possible d’une Diable dont la définition « mauvais, rusé, malin, trompeur » est, ma foi, assez bonne ; permettant à l’auteur de l’article de se diriger du couple folie/raison vers un autre couple altération/altérité.

J’ajouterai que ce « mauvais génie » apparaît tôt dans la vie de Descartes puisqu’il est évoqué avec un autre adjectif tout aussi caractéristique du démon, « le séducteur », lors des fameux rêves de la nuit du  10 à 11 novembre 1619 lorsqu’il parle de la « crainte que ce ne fût l’opération de quelque mauvais génie qui l’aurait voulu séduire » (p.63, « Descartes » ; S. de Saçy, « écrivain de toujours »).

Une petite remarque en passant, car le livre d’A. Boureau en parle longuement, sur l’apparition de cette nouvelle catégorie « le dormeur ».

Une décrétale de Clément V au XIV ème siècle définit « une notion d’irresponsabilité accordée à certaines classes d’individus : les fous, les enfants, les somnambules » ; le sommeil apparaît là comme  pouvant être cause d’une forme d’infirmité. Ce qui renvoie à l’épisode où Surin passe par la fenêtre « comme s’il eut dormi ».

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2 – Le pacte

Il avance que, par le pacte et l’hérésie une nouvelle lecture du monde va s’imposer du XIII ème au XVII ème siècle : « par la construction intellectuelle et sociale une nouvelle configuration imaginaire, avec une redéfinition de la personne humaine » va permettre « la représentation d’une société d’individus liés principalement par des formes contractuelles, individus dont la caractéristique anthropologique est d’être à la fois dotés d’une capacité de volonté et de responsabilité qui les rend à même d’être contractant, et d’une fragilité, d’une potentialité d’aliénation qui les rend infiniment faillibles et donc le cas échéant coupables ».

Le Père J.J. Surin, dans sa personnalité et par ses « Contrats spirituels » n’est pas si éloigné de cette description.

3 – L’énoncé et les faits

Autre point fort de l’article. L’efficacité de l’énoncé. « L’énoncé ne décrit pas, il agit ». Par exemple, dire « le pacte avec le diable existe bien et il est hérétique » finit par avoir une action concrète sur la société occidentale.

Et « le même énoncé peut appartenir simultanément et intégralement à un discours social déterminé et à des énonciations singulières ». Ce qui est le cas ici.

Un peu ce que j’ai appelé « le code », sur lequel nos deux protagonistes s’appuient et se construisent.

Les énoncés vont créer la réalité des faits.

Bouleversement.

D’autres travaux d’historiens vont en ce sens ; par exemple « Inventer l’hérésie », sous la direction de Monique Zerner (Centre d’études médiévales de Nice).

Ce qui ouvre un énorme champ de travail.

Et la belle note 18 de l’article reprend le désir exprimé par Alain de Libera « Qu’est-ce à dire, sinon que le Moyen-Age intellectuel attend toujours son Foucault… »

Mettre en avant l’importance du pacte ici résonne pleinement non seulement avec « les Contrats spirituels » du Père J.J. Surin, mais aussi avec ce qui le construit, les traces, les stigmates et écrits, invisibles mais présents ou visibles ; comme ceux de Madame de Belcier.

Cet homme a su traverser des âges, il s’est fait connaître et reconnaître, à travers les travaux de Michel de Certeau, mais au-delà de cela, il est admis comme l’un des plus grands mystiques du XVII ème siècle.

Terminer en ouvrant sur deux questions.

Beaucoup d’éléments de leur discours nous sont entendables.

D’autres paraissent tellement étranges qu’ils sont mis à l’écart presque d’emblée lorsque l’œil les croise.

Par exemple : le « en forme de », si fréquent dans le texte, et à l’époque. « Etre à la forme des autres hommes » nous agrée pleinement. Par contre, lorsqu’il est dit que « le démon pris la forme de son directeur de conscience » pour s’adresser à Jeanne des Anges et la duper, cela nous pose quelques problèmes.

Tout comme le « fantôme de corps », si présent en sorcellerie.

Comment lire ce qui nous est radicalement étranger ?

Les répertorier pourrait être intéressant et les confronter les uns aux autres.

L’autre question :

Les travaux de la Salpetrière, par leur volonté de tout faire rentrer dans la Maladie naturelle de l’hystérie, ont pétrifié notre lecture.

Le Diable s’est engouffré dans ce sombre passage, avec toutes les questions dont il était le porteur et le représentant.

Nous parlons actuellement beaucoup de la Mort de Dieu sans s’être trop penchés, tranquilles avec cette classification dans l’hystérie, sur ce que sa disparition entraînait avec Lui.

Les historiens ont, par contre, beaucoup avancé. Une question, là, est possible :

« L’obscénité » évoquée au début, et effectivement la sexualité la plus crue est parfois lourdement présente, a mis un voile sur l’originalité profonde de ce qui se joue à cette époque.

Avec l’occultation du diable en cette fin de siècle, qu’est devenue cette sexualité portée par cette entité nommée Diable, sexualité construire à travers lui, rêvée et cauchemardée grâce à son truchement, montée et développée au fil des siècles par cette création de la religion nommée sorcière ?

Ce diagnostic d’ « hystériques » posé sur ces femmes sur une toute autre scène a provoqué un arrêt sur image, et noué dans une croyance la lecture d’une autre croyance.

Le chantier reste ouvert.

 

Cécile IMBERT

 

BIBLIOGRAPHIE

BERGAMO Mino — « l’Anatomie de l’âme » de François de Sale à Fénélon. J. Millon  1994

BUREAU Alain — « Satan hérétique » histoire de la démonologie (1250-1330)/ O. Jacob 2004

BRETON Stanislas — « Deux mystiques de l’excès : J.J. Surin et Maître Eckhart », Cerf 1985

CARTONNA Michel — « Les diables de Loudon », sorcellerie et politique sous Richelieu, Fayard 1988

de CERTEAU Michel — La Fable mystique » T I, Tel, Gallimard 1982 – « La Fable mystique » T II Edition
présentée par L. Giard – Gallimard 2013. –  « La possession de Loudon » Gallimard 1980 « archives ».

GOUJON Patrick — « Prendre part à l’intransmissible ». La communication spirituelle à travers la correspondance de J.J. Surin. J. Million Grenoble 2008

SOUDARD Sylvie — « Les invasions mystiques » Les belles lettres 2008

HUXLEY Aldous — « les diables de Loudun » Edition Talendier ; texto Paris 2011

LEGUE Gabriel — « Urbain Grandier et les possédés de Loudon », Lafitte Reprints, Marseille 1979

MANDORE Robert — « magistrats et sorciers en France au XVII ème siècle », Seuil 1980

SURIN Jean-Joseph — « Triomphe de l’Amour divin sur les puissances de l’Enfer » et « Science expérimentale des choses de l’autre vie », Edition J. Million Grenoble 1990

SURIN Jean-Joseph — « Poésies spirituelles » et « Contrats spirituels ». Par E. Catta Paris Vrin 1957

SURIN Jean-Joseph — « Guide spirituel de la perfection ». Edition Desclée de Brouwer Paris 1963

Jeanne des Anges  —  Autobiographie » (Jeanne de BELIER) — Edition J. Million Grenoble 1990. Texte annoté et publié par Gabriel Legué et Gilles de la Tourette

FILMS

— « Les diables » de Ken Russell»

— « The devils » 1971

— « Jeanne des Anges » de Jerzy Kawalerowicz 1961

 

 

 

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