Catatonie chez une jeune fille de 20 ans (Présentation de malade). par M. LEROY.

LEROYCATATONIE0002LEROY Catatonie chez une jeune file de 20 ans. Article parut dans le « Bulletin de la société clinique de médecine mentale », (Paris), tome premier, 1908, pp. 138-143.

Raoul Leroy (1869-1941) médecin aliéniste. Quelques unes de ses publications :
— Contribution à l’étude de l’alcoolisme en Normandie, notes et documents sur le bilan de l’alcoolisme dans l’Eure au XIXe siècle. Évreux, impr. de C. Hérissey, 1902
— Pyromanie et puberté, examen médico-légal d’une jeune incendiaire. Évreux, impr. de C. Hérissey, 1905.
— La Responsabilité des hystériques. Publié dans les Actes du Congrès des médecins aliénistes et neurologistes de France et des pays de langue française. 16e session, Lille, 1er-7 août 1906. Lille, Le Bigot frères, 1906.
— Paralysie générale et malariathérapie. Avec G. Médakovitch. Préface du professeur Dr. Wagner-Jauregg … Avec graphiques dans le texte. Paris, G. Doin & Cie, 1931.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire des originaux, mais avons corrigé quelques fautes d’impression.
 – Les images sont celles de l’article original. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

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Catatonie chez une jeune fille de 20 ans, par M. LEROY. – (Présentation de malade).

Je désire vous présenter aujourd’hui une jeune fille de 20 ans offrant depuis 4 ans de remarquables symptômes de catatonie.
Yvonne F… est née le 20 juin 1888 à Paris. Ses antécédents héréditaires et personnels sont inconnus, car cette malade prononce rarement une parole et son dossier n’indique aucune adresse de famille. Les stigmates de dégénérescence abondent chez cette blondinette à type infantile : tète petite, front haut, oreilles à grand pavillon, voute palatine ogivale, mains petites, scoliose latérale à convexité gauche, développement plus considérable du bassin à droite, légère hypertrophie du corps thyroïde.
Cette jeune fille entre le 27 septembre 1904 au dépôt des aliénés de la Préfecture de police comme placement d’office. Elle passe successivement à l’admission de Ste-Anne, puis à l’asile de [p. 139] Maison-Blanche. Les différents certificats constatent un état de débilité mentale et même d’imbécillité avec apathie, indifférence, lenteur des mouvements, mutisme ; il faut s’occuper d’elle constamment, l’habiller, la faire manger.
Yvonne F… est transférée le 12 juillet 1905 à l’asile de Moisselles où mon prédécesseur, M. Trénel, pose le diagnostic de catatonie. L’état physique et intellectuel de la malade était alors le suivant : aspect indifférent, apathique, endormi : réponses rares, monosyllabiques faites d’une voix faible et indistincte : lenteur des mouvements : phénomènes intenses de catatonie ; position du Génie de la Bastille. Autres positions : reste le buste penché en avant, la tête baissée, la main droite passée derrière le cou ; conserve cette attitude jusqu’à ce qu’on lui donne l’ordre de s’asseoir. Lorsqu’elle s’assied, la malade garde les jambes tendues sans reposer le pied à terre. Grande suggestibilité : monte sur la table au commandement, descend, va, vient.

Cet état ne s’est pas modifié, Yvonne F… reste indifférente, engourdie, tantôt ouvrant les yeux, tantôt les fermant.

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Assise sur une chaise, elle reste toute la journée immobile, Lève-t-on son bras ? celui-ci garde la position donnée un temps excessivement long. Lève-t-on sa jambe ? même résultat. On peut donner à ses membres. à son tronc, il sa tête les positions les plus fatigantes et les plus singulières. On peut la faire asseoir en V sur le siège, le tronc et les jambes levées, elle reste ainsi en équilibre. C’est une femme automate, une véritable poupée articulée. [p. 140]
Si on lui ferme les yeux, elle tient les paupières baissées avec clignotement.
Si, ayant les yeux fermés, on veut les lui ouvrir, elle résiste énergiquement.
Il n’existe chez cette malade aucune spontanéité. Il faut la lever, l’habiller, la déshabiller, la coucher, la peigner, veiller à sa toilette. Elle gâte si l’infirmière n’a pas soin de la conduire aux cabinets et elle y resterait indéfiniment si on ne venait la chercher.
Yvonne mange seule, mais il faut lui mettre la cuillère entre les mains et la prier à plusieurs reprises de s’alimenter. Ses rares mouvements sont excessivement lents et encore est-il nécessaire de la stimuler. On fait lever la malade, et on lui dit de marcher, elle reste immobile. On la pousse et elle se met alors à se promener de long en large dans la cour indéfiniment, jusqu’à ce qu’on l’arrête. La disparition de la volonté normale s’associe chez elle à une exaltation de l’automatisme.

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La malade ne parle presque jamais spontanément ; on doit user de la plus grande patience pour arriver à lui faire répondre quelques monosyllabes prononcées à voix très basse et presque inintelligibles. Elle ne lit pas, n’écrit pas, mais nous ayons pu arriver à lui faire copier son nom, une phrase, un dessin élémentaire : elle reproduit exactement le modèle, très lentement, avec attention, donnant aux lettres la même forme, la même dimension.

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Il est difficile de se rendre compte si la malade présente quelque idée délirante, quelque hallucination. Cela est peu probable, son [p. 141] état mental consiste dans une torpeur, un engourdissement extrême ; un poison stupéfiant semble imprégner ses cellules cérébrales. Yvonne n’est pas cependant absolument étrangère au monde extérieur: elle regarde de temps à autre autour d’elle et demande quelquefois « du pain » ou « à boire ». Un jour même qu’une infirmière, la voyait tresser ses cheveux, lui faisait une réflexion sur sa coquetterie, la jeune fille répondit à voix basse : ‘mes cheveux étaient défaits ».
Cette apathie si caractéristique s’accompagne de quelques réactions motrices ; c’est ainsi qu’Yvonne se met quelquefois à rire à gorge déployée ou à éclater en sanglots sans aucun motif et sans qu’elle paraisse éprouver la moindre émotion. Quelquefois elle fait la grimace, d’autres fois enfin elle fait des gestes brusques avec sa tête ou avec ses bras pendant une grande heure.
Au point de vue physique, on constate une exagération des réflexes tendineux des 2 côtés du corps : Babinski en flexion ; mydriase constante ; réflexes oculaires normaux ; pas de troubles de la sensibilité tactile ; pas de dermographisme ; cœur normal avec légère tachycardie P = 92 ; poumons normaux ; ni sucre, ni albumine dans l’urine ; pas de crises convulsives : menstruation régulière ; température normale ; n’a jamais présenté aucune maladie incidente depuis son entrée dans le service.
Ainsi que vous pouvez le constater vous-même, nous sommes ici en présence d’un cas typique de catatonie. Est-il possible de pousser plus loin l’étude du sujet et de rattacher ce symptôme à une entité morbide définie ? La débilité mentale de cette jeune fille semble très probable étant donnés ses stigmates physiques de dégénérescence. Présente-t-elle de l’affaiblissement intellectuel ? Il est difficile d’être fixé sur ce point, vu son état. L’attention existe bien chez elle. Vous la voyez jeter quelques regards autour d’elle et vous avez examiné ses copies de dessin, mais en est-il de même des autres opérations intellectuelles ? Les accès de rire, les tics observés me font pencher vers la maladie de Kahlbaum, je n’affirme rien cependant et je serais très heureux d’avoir l’avis de mes collègues,

DISCUSSION

M. MAGNAN. — La malade ne semble pas aussi apathique et aussi affaiblie au point de vue intellectuel qu’on semble le dire, je ne puis croire pour ma part qu’il s’agisse là d’une démente.

M. RITTI. — Je suis de M. Magnan ; cette petite malade m’a paru prêter beaucoup d’attention à tout ce qui se passait autour d’elle et je serais bien surpris si on ne parvenait pas à modifier son état actuel.

M. PACTET. — Je comprends l’hésitation de M, Leroy à affirmer, dans le cas qui nous occupe, le diagnostic de démence précoce. Il n’est pas douteux, toutefois, si nous nous reportons seulement à trois ou quatre ans en arrière, qu’alors une semblable situation [p. 142] clinique eût semblé l’imposer. C’était en effet la période d’acception intégrale des idées du moment de Kraepelin, sur la question, période qui s’était ouverte au Congrès de Pau où les vulgarisateurs en France des théories du professeur de Munich s’efforçaient de faire entrer la pathologie mentale à peu près tout entière dans le cadre de la démence précoce. J’ai déjà soulevé, à l’époque, quelques objections relativement à une conception aussi compréhensive qui me semblait peu en harmonie avec l’observation clinique et je n’ai pas lieu de m’en repentir puisque Kraepelin lui-même reconnaît aujourd’hui la nécessité d’une révision des faits qu’il avait groupés dans certaines formes de cette maladie.
La malade de M. Leroy s’offre à nous sous l’aspect de la dépression et de l’inertie physique et psychique.
S’agit-il, dans ce cas, d’un état mélancolique ou de démence ? C’est un problème qu’il me paraît difficile de résoudre, en l’absence d’une analyse complète de l’état mental. M. Leroy nous déclare ne pas être fixé relativement à l’existence chez elle de délire et d’hallucinations ; or ce serait un point important à établir, car les réactions motrices qu’il a eu, par intervalles, l’occasion de constater, pourraient n’être pas des actes purement automatiques, mais se trouver déterminées par des idées délirantes ou des troubles sensoriels.
Nous constatons d’autre part que les facultés intellectuelles ne sont pas éteintes chez cette jeune fille et qu’elle conserve des sentiments affectifs.
Cet ensemble de constatations commande la prudence dans l’affirmation du diagnostic de démence précoce. Notez bien que je n’élimine pas a priori le diagnostic d’hébéphrénie, mais je pense que nous pouvons aussi nous trouver en présence d’un syndrome mélancolique susceptible d’amélioration et qui n’évoluera pas fatalement vers la démence.
N’oublions pas que la forme catatonique de la démence précoce serait celle qui donnerait le plus fort contingent de guérisons, jusqu’à 15%, et, dès lors, ne serait-on pas en droit de se demander si cette proportion considérable de cas de guérison d’un état démentiel ne s’expliquerait pas par des diagnostics un peu prématurés ?
Voici par exemple un cas qui me mettrait, si, à l’origine, j’avais cru à l’existence de la démence précoce, dans l’alternative, de déclarer aujourd’hui qu’il a été suivi de guérison ou de m’accuser d’une erreur de diagnostic.
Il s’agit d’un jeune homme de 30 ans que j’observe, il va y avoir bientôt un an, et qui, depuis son entrée dans mon service, est resté plongé dans un état de dépression confinant à la stupeur, entrecoupé, à de rares intervalles, par de courtes phases d’excitation. Le certificat rédigé, à son sujet, à l’infirmerie spéciale, indiquait qu’il se renfermait dans un mutisme absolu, qu’il présentait des attitudes théâtrales et stéréotypées, de l’opposition aux ordres qu’on lui donnait et qu’il était parti du domicile maternel après une crise de sanglots et l’émission de propos incohérents. [p. 143] J’ai de plus constaté chez lui les phénomènes catatoniques les mieux caractérisés, On aurait pu être tenté de considérer ce malade comme étant un dément précoce, Eh bien, depuis une quinzaine de jours, son état s’est totalement modifié : il est sorti de la dépression, il parle, il s’occupe à lire et à dessiner, joue avec ses camarades et manifeste dans la conversation une activité intellectuelle qui exclut la possibilité de la démence.

M. COLIN. — J’ai observé pendant longtemps une malade de l’âge de celle qui nous est présentée, et qui offrait des symptômes analogues. Et ! bien il s’agissait d’un cas de confusion mentale, et la malade a parfaitement guéri à la suite d’une maladie aiguë. Elle a quitté Villejuif après un séjour de près de deux ans dans les Asiles.

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