Calmeil. EXTASE. Extrait de « Encyclographie des sciences médicales. Répertoire général de ces sciences au XIXE siècle », (London), tome 13 – EXE-FUR, 1837, pp. 12-14.

Calmeil. EXTASE. Extrait de « Encyclographie des sciences médicales. Répertoire général de ces sciences au XIXe siècle », (London), tome 13 – EXE-FUR, 1837, pp. 12-14.

 

Louis-Florentin Calmeil (1798-1895). Nous renvoyons à notre fiche bio-bibliographique en ligne sur notre site, par un développement plus élaboré sur cet auteur. Egalement sur notre site :
— CAUCHEMAR. Extrait du « Dictionnaire des Médecine ou répertoire général des Sciences médicales, 2e édition », (Paris), Béchet jeune, 1834, tome VIII, pp. 26-30.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. –  Les images, ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

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EXTASE. — L’analyse des phénomènes extatiques intéresse la philosophie autant que la médecine. La disposition aux extases suppose dans les pensées, dans les sentimens habituels de ceux qui les éprouvent, un degré d’élévation peu fréquent dans la vie intellectuelle ordinaire. Les plus célèbres extatiques sont épris de l’amour de la poésie , des beaux- arts, de la philosophie, des sciences, de la religion et de la morale, adonnés à la contemplation de la nature et de l’Être-Suprême. L’extase, comme l’enthousiasme, le ravissement, les grandes passions, l’exaltation des familles morales et intellectuelles , est presque constamment de courte durée. L’on sait que la solitude, le silence, le recueillement, favorisent les pensées profondes ; et au fur et à mesure que l’attention se concentre sur un objet, les sens tendent à se fermer aux impressions du dehors. Archimède, occupé de la [p. 12, colonne 2] solution d’un problème de géométrie, ne sent pas la faim, reste sourd au tumulte de sa propre ville tombée dans la possession des soldats étrangers (Plutarque). Socrate, livré tout entier aux profondeurs de l’intuition , reste vingt-quatre heures à la même place, immobile, exposé à l’ardeur d’un soleil brulant (Platon). En général, l’extase suppose une inertie plus complète encore de la sensibilité viscérale et cutanée, de la vue, de l’ouïe, de l’odorat. Paul, l’apôtre, dans un accès de ravissement extatique, se crut transporté dans le ciel, et ressentit si peu son corps, qu’il ignora si ce corps resta sur la terre ou s’il fut enlevé dans l’espace céleste (Baillet). Les prétendus sorciers extatiques qui croyaient fréquenter le sabbat, affirmaient, quoi qu’en dise Delrio, que leur âme abandonnait momentanément leur corps. Les expressions manquent pour peindre les sensations purement cérébrales qu’éprouvent les sujets en extase. Tantôt ce sont des espèces d’hallucinations très-vives des passions affectives, sentiment d’un bonheur inexprimable , d’une béatitude céleste, d’un amour poussé jusqu’à l’enivrement ; tantôt ce sont des hallucinations de l’ouïe, de la vue. « Paul entendit des choses miraculeuses et ineffables qu’il n’est point permis à l’homme de rapporter, et que les hommes ne sont point capables de comprendre » (Baillet). Certains malades contemplent une lumière ravissante, savourent les accords d’une musique qui transporte ; d’autres s’abandonnent à une succession de pensées mystiques : il est donc clair que l’extase comporte plusieurs séries de phénomènes psychologiques. Quelquefois, au fort de l’accès extatique, les mouvemens volontaires sont suspendus, les membres conservent, comme dans la catalepsie, l’attitude qu’ils avaient avant l’accès, la position qu’on leur fait prendre à dessein ; mais ce symptôme manque assez souvent. Les battemens du cœur et des artères , les mouvemens de la respiration, peuvent être ralentis ; souvent la figure est décolorée, la peau froide, le cou tendu, la bouche entr’ouverte, l’œil fixe et tourné vers le ciel. Fr. Hoffmann rapporte qu’une fille, dénuée de toute culture d’esprit, devint immobile comme une statue, vers la fin d’un sermon, privée de tout mouvement volontaire, ne sentant rien, n’entendant et ne voyant rien ; le pouls était naturel, la respiration dans l’état normal : la malade confessa, en reprenant connaissance, qu’elle avait fait des rêves agréables sur son salut. Les chants religieux, les récits des saintes Écritures, provoquaient aussitôt l’état extatique, et pendant a peu près cinq semaines, cette fille éprouva plus de cent accès. (Med. ration. syst.). Zimmermann, parle dans son Traits de l’expérience, d’une dame, douée de beaucoup de sensibilitéet de tendresse, qui éprouva, dans sa jeunesse, des accidens hystériques. Quelquefois cette dame cessait de parler ; le système nerveux ne se laissait plus ébranler par les impressions extérieures ; la malade se sentait embrasée d’un amour divin, confondue avec un amant mystique, passant éveillée des nuits entières, savourant le charme de baisers imaginaires. Pinel , dans la première Édition de sa Nosographie philosophique, a tracé, d’après les [p. 13, colonne 1] propres expressions de Sainte-Thérèse, un tableau frappant de ce qu’il appelle la catalepsie mystiquede de cette sainte : « D’abord attention concentrée par une lecture pieuse, puis recueillement profond, ou sorte de quiétude avec le sentiment d’une joie enivrant ; dans le troisième degré, jouissances les plus vives et les plus pures, essor d’un amour ardent, sorte d’exaltation voisine de la folie ; dans le quatrième degré, marqué par une sorte d’évanouissement et de défaillance totale, le ravissement extatique est porte au plus haut degré de vivacité et de force ; respiration suspendue, plus de mouvemens des membres, yeux involontairement fermés, perte de la parole, suspension de l’usage des sens, pendant que toutes les facultés morales semblent s’élever au plus haut degré d’énergie, ou plutôt contracter une sorte d’union intime avec l’objet idéal de ces illusions fantastiques. Le ravissement saisit alors avec tant d’impétuosité, qu’on se croit transporté dans les nues, habiter dans l’Olympe, goûter les avant-coureurs d’une félicité suprême. Perte d’haleine, pouls insensible, rigidité des membres, état apparent de mort, position et attitudes antérieures conservées dans leur intégrité : c’est l’époque des épanchemens d’un amour ardent, des promesses solennelles, des résolutions héroïques (t. II ).

Lucas Cranach l’ancien (allemand, 1472-1553),
l’Extase de Sainte Marie Madeleine, 1506, gravure sur bois

L’on ne peut guère se refuser à admettre différentes sortes d’extases. Les individus que l’on représente comme pétrifiés, eprouvant le sentiment unique d’une vive frayeur ou d’une douleur inattendue, ne subissent-ils pas un accès extatique particulier ? Ces amans épris d’amour, dont parlent H. de Heers et quelques autres écrivains, que l’on ne parvint à rendre à la vie active qu’en leur criant avec force que l’on ne s’opposerait plus à leur bonheur, n’étaient-ils pas dominés par une passion extatique ? M. Dessessarts a connu un jeune anglais qui perdait par accès l’usage de tous les sens, et qui résolvait pendant les crises extatiques des problèmes des mathématiques qui ne l’avaient point occupé auparavant.

L’extase mystique s’observe principalement sur des personnes ferventes, adonnées au jeune, à la prière, habituées aux privations de sommeil, a une vie purement ascétique et contemplative ; de sorte qu’à l’aide de certaines pratiques, l’on peut, jusqu’à un certain point, acquérir une affection nerveuse qui porte une atteinte incontestable à la raison. Ainsi s’explique la fréquence de l’extase parmi les pieux cénobites , les anachorètes, et les ermites, soumis, pour la plupart, à un genre de vie dont la conformité est frappante. Ainsi peut s’expliquer la sévérité que l’on déploya dans un siècle qui fut témoin des convulsions des Cévennes et des miracles du diacre Paris, contre une femme dont les efforts tendaient surtout à procurer à ses semblables des ravissemens qu’elle croyait tenir de Dieu même.

L’extase se manifeste ordinairement par accès ; sa durée est variable et peut se prolonger indéfiniment, si l’on ne parvient pas à soustraire les malades à leurs habitudes mystiques, à leur imprimer un genre de vie beaucoup plus actif et moins austère. La fin des accès est caractérisée par un grand abattement , un sentiment [p. 13,colonne 2] très-prononcé de fatigue. Beaucoup d’extatiques ont fourni une carrière avancée ; d’où l’on peut inférer que l’état extatique n’exerce point une influence funeste sur les fonctions purement physiques ; seulement l’on doit nourrir les malades.

La suspension des mouvemens volontaires et de l’exercice des sens rapproche l’extase de la catalepsie. Dans l’extase, il existe une exaltation des sentimens, des opérations intellectuelles ; dans la catalepsie, toutes les facultés de l’âme sont dans un repos absolu. II est donc facile, en demandant compte au malade qui sort d’un accès cataleptiforme, des phénomènes intellectuels dont il conserve le souvenir, de prononcer sur la nature de son affection nerveuse, tandis que les symptômes extérieurs ne peuvent jeter aucun jour sur le diagnostic différentiel de l’extase et de la catalepsie. Plusieurs femmes hystériques ont des visions, des hallucinations à la manière des extatiques. A la fin de leurs extases, plusieurs femmes accusent de l’oppression, versent des larmes abondantes, comme dans l’hystérie : l’extase et l’hystérie offrent donc des traits de ressemblance. Les individus qui font usage des breuvages opiaces sont aussi eux habitués à planer dans les espaces célestes, à goûter toutes sortes de béatitudes ; mais ces individus trahissent, par la pétulance des mouvemens, par des actes de violence, le transport qui les agite intérieurement : toutefois l’hypnotisme reproduit quelques phénomènes qui sont surtout habituels chez les sujets en extase. Hippocrate ne semble point établir de différence importante entre l’extase et le délire frénétique, par exemple. Dès le quatrième siècle, il s’éleva des doutes sur l’état de raison de Simeon le stylite, dont les extases étaient parfois d’une durée effrayante, et presque en tout semblables à la catalepsie. Sennert attribue l’extase aux mouvemens de l’enthousiasme. L’extase nous parait constituer une variété du délire exclusif. Les monomaniaques ne se distinguent-ils pas surtout par l’exaltation de certains sentimens, la concentration des idées, la rapidité des hallucinations ? Le pieux Baillet confesse que du temps même de Sainte-Thérèse on la soupçonna possédée du démon, et qu’il fut question de lui faire subir l’exorcisme. La forme extatique du délire est loin d’être rare dans les établissemens d’aliénés, et c’est uniquement dans ces sortes d’hospices que l’on apprend à connaitre toutes les lésions de l’intelligence et des passions affectives, toutes les variétés d’hallucinations qui tendent à suspendre l’exercice des sens, des mouvemens volontaires, et à imprimer à toutes les parties de la face et du corps l’’expression que l’on assigne à la catalepsie. Nous avons vu plusieurs de ces malades garder le lit pendant des mois entiers, la poitrine et le cou raides, les membres inflexibles et tendus, se laisser soulever comme des cadavres saisis par le froid, sans obéir, alors même qu’on les stimulait, a aucun mouvement volontaire, ne manifestant jamais ni faim ni soif, n’avalant qu’avec une extrême lenteur et à la longue les alimens à demi-liquides que l’on insinuait dans la bouche. De notre temps, et sous noire climat, l’on peut affirmer que l’extase mystique est la moins commune : toutefois j’ai [p. 14,colonne 1] observé l’extase mystique sur deux jeunes séminaristes, sur un jeune Irlandais, appartenant à la religion réformée, sur des femmes hystériques. D’un moment à l’autre, cette maladie peut, sous l’influence de certaines dispositions morales, éclater parmi nous, et s’y répandre à la manière des affections nerveuses épidémiques.

Les phénomènes de l’extase, constitués tous par des lésions des fonctions cérébrales, se rattachent, sans aucun doute, à un état pathologique des grands centres nerveux. La prédominance incontestable des dispositions amoureuses sur certaines femmes extatiques pourrait porter à penser que, dans quelques cas, l’excitation utérine a précédé le dérangement de l’encéphale, et qu’elle a contribué à sa production. Mais ne peut-on pas aussi considérer comme un symptôme propre a l’extase l’exaltation qui règne dans certaines facultés affectives des femmes extatiques ?

Cabanis a fait remarquer, en se fondant sur ce qui se passe dans les extases, « que la sensibilité se comporte à la manière d’un fluide dont la quantité totale est déterminée, et qui, toutes les fois qu’il se jette en plus grande abondance dans un de ses canaux , diminue proportionnellement dans les autres. » (Rapports du phys. et du moral, etc. T. I, p. 121.) Cet aperçu de Cabanis n’établit aucunement la concentration d’un fluide nerveux dans le cerveau des sujets extatiques, et nous nous abstenons de consigner ici toutes les théories absurdes qu’on a inventées pour expliquer l’extase. II est fort difficile, dans l’extase , de procéder à des recherches anatomico-pathologiques. Lorsque les phénomènes sont à peu près instantanés, ainsi que cela avait lieu chez Saint-Cyprien, le Tasse, Mahomet, Cardan, etc., la lésion cérébrale disparaît avec l’accès, et les ouvertures de corps pratiquées plus tard n’enseignent rien. Sur les aliénés dont l’extase est continue, l’on craint toujours que les poses cataleptiformes soient commandées par la volonté ; un malade entend la voix de Dieu, qui lui ordonne de ne pas bouger ; un autre est dominé par l’idée qu’on le mettra à mort s’il tente le moindre mouvement : ainsi le médecin est exposé à se méprendre sur la nature véritable de la maladie qu’il a sous les yeux, et si le sujet meurt, l’on n’ose pas, au moment de l’autopsie, décider si l’on a réellement affaire a un individu mort dans l’extase. Ces considérations nous déterminent à ne consigner ici aucun détail nécroscopique.

Le traitement des extases devenues presque habituelles ne doit pas différer de celui des autres espèces de monomanies (voyez MONOANIE). L’extase mystique disparaît par la fréquentation des autres hommes, le changement d’habitudes, un travail actif qui éloigne le sujet de la contemplation, de la vie purement spéculative et intellectuelle. Comme la plupart des malades se complaisent dans leurs sensations extatiques, il faut apporter quelquefois une grande persévérance et beaucoup d’adresse dans l’application des moyens de traitement. Le changement de lieu, les voyages, l’exercice à pied, une conversation animée, au moment ou l’on redoute le retour des accès, préviennent souvent leur invasion : c’est surtout au moment où [p. 14,colonne 2] les sens commencent à perdre de leur excitabilité, qu’il convient de les stimuler, de secouer le malade, de le contraindre à marcher, de le surprendre par le contact brusque de l’eau froide sur la face : si l’accès existe déjà, la stimulation des sens doit être fort modérée, et produit rarement le résultat que l’on espère obtenir par ce moyen. Les accords de la musique, l’odeur de l’ammoniaque, des éclats de voix, l’application de sinapismes, suffisent, dans quelques cas, pour faire cesser l’accès extatique. Lorsque la durée des phénomènes se prolonge, la faim ne contribuant qu’à exalter les fonctions cérébrales demeurées en exercice, il convient d’introduire par la bouche ou par le nez une sonde oesophagienne et de nourrir le malade, dont il faut aussi entretenir la chaleur pendant la saison froide ou humide. Le stylite Simeon était presque mort d’épuisement, de froid, et paraissait plongé dans le marasme, lorsqu’on le recueillit presque à l’état de cadavre. Sur les femmes, l’on se propose souvent de remplir des indications particulières, par l’emploi du bain de siège composé avec la décoction de morelle noire, des lavemens camphrés, d’eau de mauve et d’assa-foetida , par l’usage des boissons rafraichissantes nitrées. La saignée ne convient que rarement, la pléthore sanguine coïncidant rarement avec l’extase ; très-souvent, au contraire, l’on doit substituer aux pratiques du jeûne des repas réguliers et des alimens réparateurs.

Carmeil.

 

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