Bergier Nicolas-Sylvestre. Magie, magicien. Article de l’Encyclopédie Méthodique – théologique. (Paris et à Liège), chez Panckoucke et chez Plomteux, 1789, pp. 516-523.

bergiermagie0001MAGICIEN, MAGIE. Article de l’Encyclopédie Méthodique – théologique par l’abbé Bergier, (Paris et à Liège), chez Panckoucke et chez Plomteux, 1789, pp. 516-523.

 

Nicolas-Sylvestre Bergier (1718-1790). Abbé et théologien. Il écrivit de nombreux ouvrages contre les philosophes des Lumières. Il s’en prend particulièrement à Rousseau, dont il dénonce les contradictions de la pensée dans Le Déisme réfuté par lui-même (1765). Outre sa participation à l’Encyclopédie Méthodique il fut à l’origine du Dictionnaire théologique. Plusieurs fois réimprimé, notamment en 1854 par les frères Gaume, en 7 vol. in-8, avec des additions du cardinal Thomas Gousset et en 1858, avec des augmentations par Mgr Jean-Marie Doney. Autre article retenu :
Songe. Article extrait de l’Encyclopédie Méthodique. Théologie. (Paris), tome troisième, 1790, pp. 519-521. [en ligne sur notre site]

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

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MAGICIEN, MAGIE. On appelle magie l’art d’opérer des choses merveilleuses, & qui paroissent surnaturelles, sans l’intervention de Dieu, & Magicien celui qui exerce cet art. Il en est souvent parlé dans l’Ecriture-Sainte ; la magie y est sévèrement défendue ; les Magiciens y sont [p. 516 – colonne 2] représentés comme odieux à Dieu & aux hommes ; l’Eglise Chrétienne a prononcé contr’eux des anathèmes, & ils sont punis par des lois civiles. Quelle idée devons-nous en avoir ? qu’y a-t-il de réel ou d’imaginaire, de naturel ou de surnaturel dans leurs opérations ? Sont-ce des fourberies humaines, ou des prestiges du Démon ?

Si nous consultons les écrits des Philosophes modernes sur ce sujet, nous y apprendrons peu de choses. Pour s’épargner la peine de discuter la question, ils ne l’ont supposé décidée selon leurs préjugés ; ils n’ont pas distingué suffisamment les différentes espèces de magie, comme les charmes, la divination, les enchantemens, les évocations, la fascination, les maléfices, les sorts ou sortilèges : toutes ces pratiques sont différentes, & demandent chacune un examen particulier. Si nous leur en demandons l’origine, ils disent que tout cela est venu de l’ignorance ; mais les l’ignorance n’est qu’un défaut de la connoissance ; une négation ne produit rien, ne leur en raison de rien, & il nous faut des causes positives. Ils prétendent que de nos jours la Philosophie, ou la connoissance de la nature, a réduit à rien le pouvoir du Démon & celui des Magiciens ; ils se trompent. Si la magie est très rare parmi nous, elle a été commune autrefois, & on l’exerce encore ailleurs : pourquoi il y a-t-on cru ? & pourquoi ne devons-nous plus y croire ? Voilà ce que les Philosophes auraient dû vous apprendre. Ils jugent que ce qui en est dit dans l’Ecriture-Sainte, dans les Pères de l’Eglise, dans les Conciles, dans les exorcismes, a contribué à nourrir le préjugé de l’époque, & la croyance aux opérations du Démon ; c’est une fausseté que nous avons à détruire.

Ainsi nous devons examiner, 1°. l’origine de la magie, & ce qu’en ont pensé les Philosophes ; 2°. ce qui en est dit dans l’Ecriture-Sainte & dans les Pères de l’Eglise ; 3°. les raisons pour lesquelles l’Eglise a dû employer les bénédictions & les exorcismes pour dissiper les prestiges des magiciens ; 4°. si l’accusation de magie, intenté contre plusieurs sectes hérétiques, a été une pure calomnie.

1° L’origine de cet art funeste est à même que celle du Polythéisme ; c’en est une conséquence inévitable, plusieurs Auteurs l’ont fait voir ; Bayle, Rép. Aux quest. D’un Prov., 1er part. c. 36 & 37 ; Brucker, Hist. de la Philos., Tome I, l. 2, c. 2, paragraphe 12 ; Hist. De l’Acad. Des Inscript., tome 4, in-12, page 35, & c. chez les orientaux l’on a nommé Mages ce qui paraissoient avoir des connoissances supérieures à celle du vulgaire, & magie l’étude de la nature & de la religion ; dans quelques Cantons de la Suisse, le peuple appelle encore Maiges les médecins empiriques auxquels il attribue des secrets particuliers pour guérir les maladies.

Chez les Païens, dans l’imagination était frappée d’une multitude d’Esprits, de Génie, de Démons, [p. 517 – colonne 1] ou de Dieux répandus dans toute la nature, qui en animoient toutes parties & les gouvernoient, on leur attribuoit les phénomènes les plus ordinaires, les biens & les maux, les orages, la stérilité des campagnes, les maladies & et les guérisons ; à plus forte raison devoit-on les croire auteur de tout ce qui paraissoit extraordinaire, merveilleux & surnaturel : rien ne se faisoit sans eux ; la connoissance la plus importante était donc de savoir comment on pouvoit obtenir leur bienveillance, les apaiser lorsqu’on est irrité, en obtenir des bienfaits, & les forcer en quelque manière de condescendre aux volontés de leurs adorateurs. Voyez PAGANISME.

Tout homme qui sembloit avoir cette connoissance, le talent de faire du mal, ou de les guérir, de deviner les choses cachées, de prédire quelque événement, de tromper les yeux par des tours de soupleste, &tc., passoit pour avoir assez gages un l’esprit ou des esprits toujours prêts à exécuter ses volontés. Le nom de Mage ou de Magicien n’avait donc rien d’odieux dans l’origine ; ce qui se servoient de la magie, pour faire du bien aux hommes, était estimés & honorés ; mais ceux qui s’en servoient pour faire du mal éteint, avec raison, détestés et proscrits. L’art des premiers se nomma simplement magie ; les pratiques des seconds furent appelées goëtie, magie noire & malfaisante.

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Spéculum humane salvationis – Germany vers 1430.

Tel était l’opinion non seulement des ignorans, mais des Philosophes les plus célèbres ; tous soutenoient que les astres, les élémens, les animaux, étoient mus par des Génies ou Démons, que ces intelligences prétendues disposoient de tous les événemens ; sur ce préjugé étoit fondé le culte qu’on leur rendoit, ce culte était approuvé par toutes les sectes de Philosophie. C’est là-dessus que le Stoïcien Balbus établi le Polythéisme & la Religion Romaine, dans le 3e livre de Cicéron, sur la nature des Dieux ; que Celse, Julien, Porphyre, & d’autres, reproche aux chrétiens d’être ingrats & impies, refusant d’adorer des génies-distributeurs des bienfaits de la nature. Celse soutient sérieusement que les animaux sont d’une nature supérieure à celle de l’homme, qu’ils ont un commerce plus immédiat que lui avec la Divinité, & ont des connoissances plus parfaites ; qu’ils sont doués de la raison ; que ce sont eux qui ont enseigné à l’homme la divination, les augures & la magie. Orig.contre Celse, L 4, n°78 & suiv.

Il pensoit donc pour constant que le paganisme qu’un homme pouvoit avoir commerce avec les Génies ou les Démons, que l’on adoroit comme des dieux, obtenir d’eux des connoissances supérieures, opérer, par leur entreprise, des choses prodigieuses & surnaturelles. Les Philosophes en étoient persuadés comme le peuple ; Bayle, ibid. c. 37 ; les Stoïciens en particulier, puisqu’ils avaient confiance à la divination, aux augures, au songes, [p. 517 – colonne 2] aux pronostics, au prodige ; Cicéron nous l’apprend, L. 2. De Divin. n. 149. Lucien, dans son Phisopseudes, reproche ce ridicule à toutes les sectes de Philosophie ; &, encore une fois, c’étoit une conséquence inévitable de la Théologie parisienne. Les Epicuriens même n’en étoient pas exempts ; plusieurs ont été accusés de pratiquer la magie, & d’être aussi superstitieux que le vulgaire le plus ignorant ; mais on ne sait pas quelle idée ils avoient du pouvoir magique ; on sait seulement qu’en général ils étoient très mauvais Physiciens. La théologie des Ecclectique, ou des platoniciens du quatrième siècle, était une vraie magie, dans le sens même le plus odieux ; ces Philosophes se flattoient d’avoir un commerce immédiat avec les esprits, & d’opérer des prodiges par leur entremise. De la Celse, & les autres, ne manquèrent pas attribué à la magie, ou à ce commerce prétendu, les miracles de Moïse, de Jésus-Christ, des Apôtres, & des premiers Chrétiens ; mais c’était une double absurdité de prétendre que les démons, dont les chrétiens détruisoient le culte, étoient cependant en commerce avec eux, & de blâmer dans les Chrétiens un art par lequel les Philosophes prétendraient se faire honorer ; nos Apologistes n’ont pas eu de peine à démontrer le ridicule de cette accusation ; l’on ne pouvoit pas reprocher aux Chrétiens de s’être jamais servi d’un pouvoir surnaturel pour faire du mal à personne.

Voilà donc que la première origine des différentes espèces de magie, qu’il faut distinguer. On a cru que par certaines formules d’invocation, per carmina, l’on pouvoit faire agir les génies, c’est ce que l’on a nommé charmes ; les attirer par des chants, ou par le son des instruments de musique, ce sont les enchantemens ; évoquer les morts & et converser avec eux, c’est la Nécromancie ; apprendre l’avenir & connoître les choses cachées, de-là les différentes espèces de divination, les augures, les aruspices, &c. ; envoyez des maladies, ou causer du dommage à ceux auxquels on vouloit nuire, ce sont les maléfices ; nouer les enfants, & les empêcher de croître, c’est la fascination ; diriger les sorts bons ou mauvais, & les faire tomber sur qui l’on vouloit, c’est ce que nous nommons sortilège ou sorcellerie ; inspirer des passions criminelles aux personnes de l’un ou de l’autre sexe, ce sont les philtres, &c. tout cela dérive de la même erreur primitive ; mais à chacun de ses articles nous indiquons les autres causes positives qui ont pu y contribuer.

L’imposture, sans doute, y a toujours eu beaucoup de part ; tout homme, qui se croit plus instruits que les autres, veut paraître encore plus habile qu’il n’est, profiter de la crédulité des ignorans, se faire admirer & redouter ; c’est la passion des Philosophes. Tout distributeur de remèdes a eu grand soin d’y mêler des formules, des cérémonies, des précautions, qui donnoient [p. 518 – colonne 1] un air le plus merveilleux à l’effet qui s’ensuivoit, & plus d’importance à son art ; c’est encore la coutume des Charlatans. Pour qu’une plante eût la vertu de guérir, il falloit qu’elle fût cueillie dans certains tems, sous telle constellation ; il falloit prononcer certaines paroles inintelligibles, se tenir dans telle attitude, &c. Ainsi, la Médecine de la magie, composé de botanique, d’astrologue, de souplesse & de superstition. Pline, I. 30, c. 1. Puisque la plupart de ces pratiques ne pouvoient avoir aucune influence sur la guérison, il falloit donc que leurs effets fût surnaturels. Ainsi l’on raisonnoit, & il n’est encore que trop ordinaire aux Philosophes d’argumenter de même ; lorsqu’ils ne voient pas la cause immédiate d’une erreur, ils l’attribuent à la religion, au lieu qu’il faudroit en accuser une fausse philosophie.

Si nous remontons plus haut, vous trouverons-nous le premier principe de la plupart des erreurs ? Dans les passions humaines. D’un côté, la vanité, l’ambition & la fourberie des imposteurs, de l’autre, la curiosité des hommes, l’avidité de se procurer un bien, l’impatience d’écarter un mal, la jalousie, la vengeance, l’envie de perdre un ennemi, les transports même d’un amour déréglé, on fait tout le mal ; une âme supérieure à dit : si je ne puis rien obtenir du ciel, je ferai agir l’enfer, flectere si nequeo susperos, Acheronta movedo ; or, la philosophie n’a pas le pouvoir de guérir les passions.

La vraie religion, loin de contribuer en rien à cette démence, n’a cessé d’en détourner les hommes. Dès le commencement du monde, elle leur a enseigné qu’il n’y a qu’un seul Dieu, que lui seul a créé & gouverne l’univers, distribue les biens & les mots, donne la santé ou la maladie, la vie ou la mort. Elle condamne toutes les passions, commande de la soumission à Dieu & la confiance à sa providence, défend de recourir à aucune pratique superstitieuse, nous apprend à regarder le Démon comme l’ennemi du genre humain. Parmi les premiers adorateurs du vrai Dieu, nous ne voyons régner aucune superstition ; l’on a cependant osé reprocher aux Patriarches la confiance aux songes. À cet article, nous verrons ce que l’on doit en penser. Les Juifs ne se sont rendus coupables de magie que quand ils ont imité l’idolâtrie de leurs voisins, & ce crime n’est jamais demeuré impuni.

Mais il est une troisième cause, de laquelle nos Philosophes ne veulent pas convenir, ce sont les opérations du Démon lui-même, qui, pour se faire rendre les honneurs divins, a souvent fait des choses que l’on ne peut attribuer ni à une cause naturelle, ni à la puissance de Dieu ; & Dieu l’a permis afin de punir les impies qui renonçoient à son culte pour satisfaire leurs passions. Selon nos adversaires, il n’y eut jamais rien de réel en ce genre ; Tout ce que les ignorans & les Philosophes ont cru voir & on cru faire de surnaturelles, ce que les Pères de l’Eglise ont supposé vrai, ce que les Historiens & les Voyageurs ont [p. 518 – colonne 2] raconté, ce qui paraît constaté par les procédures des Tribunaux, & par la confession même des Magiciens, elle est imaginaire ; ce sont des impostures ou des effets purement naturels. Nous soutenons que cela n’est pas possible. Vainement Bayle, & d’autres ont fait des dissertations sur le pouvoir de l’imagination, & en ont exagéré les effets : lorsque les maléfices ont opéré sur les animaux, ce n’étoit certainement pas l’imagination qui agissait.

En général, s’armer de Pyrrhonisme, & nier tous les faits, accusé d’imbécillité ou de fourberies tous les auteurs anciens & modernes, attribué tout à des causes naturelles que l’on ne connoît pas & que l’on ne peut pas assigner, c’est une méthode très peu philosophique ; elle prouve qu’un homme craint les discussions, & ne se sent en état de rendre raison de rien. Bayle lui-même en juge ainsi, Dict. crit. Majus, rem. D. Nous n’adoptons point tous les faits rapportés par les auteurs qui ont traité de la magie ; un très-grand nombre de ces faits ne sont pas assez constatés : nous savons que par ignorance l’on a souvent attribué à l’opération du Démon des phénomènes purement naturels, que plusieurs personnes ont été faussement accusées de magie, & punies injustement ; mais il ne s’ensuit par de la qu’il y ait jamais eu de magie proprement dite. Nous raisonnerions aussi mal, si nous disions : il y en a certainement eu dans tel cas, donc il y en a dans tous les cas. Sur une matière aussi obscure, il y a un milieu à garder entre l’incrédulité absolue & la crédulité aveugle.

II. Trouverons-nous dans l’Ecriture Sainte ou dans les Pères de l’Eglise quelque chose qui est contribué à entretenir parmi les fidèles le préjugé des Païens & la confiance à la magie?

Dans tout l’Ancien Testament, nous ne voyons aucun exemple d’opération magique dont nous soyons forcés d’attribuer l’effet au Démon. Lorsque Moïse et des miracles en Égypte, il est dit que les Magiciens de Pharaon firent de même par leurs enchantemens ; ils imitèrent donc les miracles de Moïse au point d’en imposer aux yeux des spectateurs ; mais y eut-il réellement du surnaturel dans leurs opérations ? Rien ne nous oblige de le supposer ; le récit de l’Ecriture semble prouver le contraire.

En premier lieu, ces Magiciens usèrent de préparatifs. Ils furent appelés par Pharaon pour changer leurs verges en serpens ; Pharaon lui-même fut averti d’avance du changement des eaux du Nil en sang & de l’arrivée des grenouilles. Exode, c. 7, v. 11 & 17 ; c. 8, v. 2. Il est dit qu’ils imitèrent Moïse par des enchantemens & des pratiques secrètes. Ces pratiques pouvoient être des moyens naturels des tours de main capables d’en imposer aux yeux.

Secondement, la comparaison de leur prestige avec les miracles de Moïse confirme cette opinion. [p. 519 – colonne 1] Enchanter les serpens par des drogues qui leur ôtent le pouvoir de mordre, les manier ensuite sans aucune crainte, est un secret très commun, non seulement en Égypte & dans les Indes, mais dans les cantons de l’Europe où l’on fait commerce de vipères. Avec ce talent & un peu de souplesse, il étoit aisé au Magicien de faire paroître tout à coup un serpent au lieu d’un bâton. Mais le serpent de Moïse dévorera ceux des Magiciens, ce qui démontre que ce n’étoit point un serpent enchanté ou affoibli.

Donner la couleur du sang un fleuve tel que le Nil, d’en corrompre les eaux par un coup de baguette, en présence de Pharaon & de toute sa suite, c’est ce que fit Moïse, & c’est un prodige que l’on ne peut opérer par aucune cause naturelle. Imiter ce changement dans une certaine quantité d’eau, dans un vase ou dans une fiole, ce n’est plus un miracle : nous ne voyons pas que les Magiciens et rien fait davantage.

Lorsque Moïse, en étendant la main, qui sortirent du fleuve une quantité de grenouille suffisante pour couvrir le sol de l’Égypte, & qui les fit mourir ensuite par une prière à Dieu, ce ne fut. Une opération naturelle. En faire sortir une petite quantité, non pas en tendant la main, mais par des appâts ou par des fils imperceptibles, c’est ce que peut faire un homme adroit avec un peu de préparation, & c’est où se borna le pouvoir des Magiciens. Pharaon, convaincu de leur impuissance, ne s’adressa pas mal, mais à Moïse, pour être délivré des grenouilles.

En troisième lieu, ils furent forcés de s’avouer vaincu ; ils ne purent produire des insectes, parce que l’art n’y a plus de prise ; ils s’écrièrent : le doigt de Dieu est ici ; il ne peut en détruire aucun des miracles de Moïse, faire cesser aucun des fléaux dont il infligea l’Égypte, ni sans mettre à couvert eux-mêmes. Dira-t-on que Dieu, après avoir permis aux démons de lutter contre lui par trois miracles, l’arrêta seulement au quatrième ? Mais le psalmiste, avant de parler des plaies de l’Égypte, Ps. 135, dit, v. 18 , que seul Dieu fait les grands miracles ; & Ps. 71, v. 18. que lui seul fait des choses merveilleuses. Quelques interprètes de l’Ecriture Sainte ont pensé différemment ; mais d’autres ont suivi le sentiment que nous proposons, & il n’y a rien dans le texte qui soit contraire.

Quand il seroit vrai qu’il y a dans l’Ecriture Sainte des faits surnaturels que l’on doit attribuer au démon, il s’en suivroit seulement que Dieu a permis à l’esprit intervalle de les opérer, soit pour punir les hommes de leur curiosité superstitieuse, soit pour faire éclater davantage sa puissance, en opposant d’autres prodiges plus nombreux & plus merveilleux ; mais dans tout l’Ancien Testament nous ne voyons aucun exemple dont nous soyons forcés d’attribuer les faits au démon.

L’apparition de Samuel à Saül, ensuite de [p. 519 – colonne 2] l’évocation que fit la Pythonisse d’Endor, I. Reg. C. 8. v. 12, ne prouve point que cette femme ait eu le pouvoir de faire paroître un mort ; c’est Dieu qui, pour punir Saül de sa curiosité criminelle, voulu lui apprendre, par Samuel, sa mort prochaine. La Pythonisse elle-même en fut effrayée ; elle ne s’attendait point à cet événement. Voyez PYTHONISSE.

Dans le livre de Tobie, c. 6, v., 14, nous lisons que le Démon avait tué les sept premiers maris de Sarah, fille de Raguel ; mais il n’est pas dit qu’aucun Magicien il y ait contribué. Tobie mis en fuite le Démon, en brûlant le foie d’un poisson, ch. 8, v, 2 ; mais ce fut un miracle opéré par l’Ange Raphaël.

Dans le livre de Job, nous voyons que le Démon affligea ce saint homme par la perte de ces troupeaux, par la mort de ses enfans, par une maladie cruelle ; ce fut par la permission expresse de Dieu & pour éprouver la vertu de Job, & non par une aucune opération humaine. Aucun de ces exemples de donne lieu de conclure qu’un homme peut avoir le démon à ses ordres, & le faire agir comme il lui plaît.

Dieu avait défendu aux Israélites toute espèce de magie, sous peine de mort, Lévit. c. 9,v, 31 ; c. 20, v, 6, 27, &c. c’est un des crimes que l’écriture reproche à Manassès, Roi idolâtre & impie, II, Paral. c, 33, v, 6. Cette défense étoit juste & sage. En effet, la magie étoit une profession de Polythéisme, puisqu’elle supposoit la confiance aux prétendus Génie ou Démon moteur de la nature ; c’étoit la compagne inséparable de l’idolâtrie, & un des crimes que Dieu vouloit punir dans les Chananéens. Cet art funeste avoit plus souvent pour objet de faire du mal au prochain que de lui faire du bien. Presque toujours il étoit joint à l’imposture. Les Magiciens avoient plus d’ambition de se faire craindre que de se faire aimer ; Ils profitoientt de l’ignorance, de la crédulité, des erreurs populaires, pour inspirer aux hommes une fausse confiance ; leur profession étoit donc pernicieuse par elle-même & détestable à tous égards.

Mais la loi qui les condamnoit supposoit-elle qu’ils avoient en effet un pouvoir surnaturel, & pouvoit-elle contribuer à entretenir la fausse opinion que le peuple en avoit ? Rien moins. Nous ne voyons pas comment les incrédules peuvent en conclure qu’il n’y a eu parmi les Auteurs sacrés que peu au point de philosophie. Nous soutenons qu’il y en avoit plus que chez les Grecs & chez les Romains. Les loix de ces deux peuples, qui proscrivoient la magie goëtique, la magie noire & malfaisante, ne statuoient aucune peine contre la magie simple, qui avoit pour but de faire du bien. Nous avons vu que les Philosophes y croyoient comme le peuple ; on n’y avoit recours dans les calamités publiques. Bayle a fait voir que la plupart des Empereurs Romains avoient [p. 520 – colonne 1] des Magiciens à leurs gages, sans en excepter les sage & philosophe Marc-Aurèle. Rép. aux quest. d’un Prov. 1re part. c 38.

Les Auteurs sacrés, mieux instruits, répète sans cesse que Dieu seul fait des miracles, que lui seul connoît l’avenir & peut le révéler, que de lui seul le viennent les biens & les maux, les bienfaits & les fléaux de la nature. Si le Démon fait quelque chose, ce n’est jamais par les ordres d’un Magicien, mais par une permission expresse de Dieu. Ces vérités détruisent par la racine le prétendu pouvoir des Magiciens de toute espèce.

A la vérité, les incrédules font aujourd’hui consistés la philosophie à nier l’existence même du démon, & par conséquent toutes ses prétendues opérations ; mais nous leur demandons sur quelles preuves positives ils fondent ce dogme important, comment ils démontrent l’impossibilité des événements dont les Auteurs sacrés font mention ? Voilà sur quoi ils ne nous ont pas encore satisfait. Un ignorant peut nier les faits avec autant d’opiniâtreté que le plus habile de tous les Philosophes.

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Magical sigil from the Faust Museum Knittlingen, Germany.

Le Nouveau Testament fait mention de plusieurs opérations de l’esprit malin, mais auxquelles les Magiciens n’avoient aucune part ; ainsi le Démon tenta Jésus-Christ dans le désert & lui montra dans un moment tous les royaumes de la terre, Luc, c, 4, v. 5. Jésus-Christ & ses Apôtres, en chassant le démon du corps dépossédé, ne nous insinue point qu’aucun Magicien ait été cause de cette possession. Le Sauveur prédit qu’il viendra de faux prophètes, qui feront de grands prodiges capables de séduire même les élus, s’il était possible ; il ne décide point si ces prodiges seront réels ou apparents, Matth. c, 24, v, 24 ; Marc, c, 13, v, 22. Les Actes des Apôtres, c, 8, v, 11, rapporte que Simon le Magicien avait séduit les Samaritains, & leur avoit tourné l’esprit par son art magique : mais on sait qu’il n’étoit pas nécessaire alors de mettre le Démon en action pour venir à bout de tromper le peuple. S. Paul, II, Thess. C, 2, v, 9, dit que l’arrivée de l’Anté-Christ sera signalée par les opérations de Satan, par des actes de puissance & par des prodiges trompeur ; cette expression semble désigner des prodiges faux & simulés, plutôt que des choses surnaturelles, des actions suggérées par Satan, sans être pour cela des merveilles supérieures aux forces humaines.

Aussi les Pères de l’Eglise ne sont point d’accord dans le sens qu’ils donnent à ses passages. S. Justin, Apos. n° 26, pense que le Démon étoit l’auteur des prestiges de Simon le Magicien ; mais S. Irénée décide que les prétendus miracles des hérétiques, sans excepter ceux de Simon, sont tous faux, ne sont que des impostures & des illusions, Adv. Hae., I, 2, c, 31. S. Clément d’Alexandrie, Cohorr. ad Gent, p. 52, dit que les Magiciens se vantent d’être servis par les démons, [p. 520 – colonne 2] par ceux qui les ont assujettis à leurs volontés par leurs charmes, carminibus ; Il ne montre aucune confiance en cette jactance des Magiciens. Origène conte Celse, I, 2, n. 50, pense que les prodiges des Magiciens d’Égypte étoient de purs prestiges ; cependant il est ailleurs d’un autre sentiment, Homil. 13, in um. n. 4. « que penserons-nous de la magie, dit Tertullien ? Ce que tout le monde en pense, que c’est une tromperie mais dont la nature est connue des Chrétiens seuls ». Conséquemment il juge que les Magiciens de Pharaon ne firent que tromper les yeux des spectateurs. L. de anima, c, 57. Il paroît avoir la même idée des prodiges de l’Anté-Christ, L. 5, adv. Marcion, c, 16. S. Jean-Chrysostôme, en expliquant le passage de S. Paul, doute si ces mêmes prodiges seront vrais ou faux ; S. Augustin est dans une égale incertitude, L. 20, de Civ. Dei, c, 19 ; & les Pères ont eu de bonnes raisons pour ne pas penser comme les incrédules.

En effet, lorsque le Christianisme fut prêché, la magie étoit plus commune que jamais parmi les Païens ; nous le voyons par ce qu’en disent Celse, Julien, les Historiens Romains, & nos anciens Apologistes. Les pères s’attachèrent avec raison à décrier cet art funeste : sans entrer dans des discussions philosophiques, plusieurs attribuèrent au Démon les prétendus miracles dont les Païens se vantoient ; c’étoit la voie la plus courte & la plus sage de terminer la contestation. Le pouvoir des Démons est attesté par l’Ecriture Sainte, quoi que leur commerce avec les Magiciens de le soit pas. Toutes les sectes de Philosophes croyaient fermement l’un & et l’autre ; les Historiens citoient des faits qui paraissoient incontestables, et que l’on ne pouvoit attribuer à aucune cause naturelle ; si les pères avoient embrassé le Pyrrhonisme des incrédules, ils auroient révolté l’univers entier. Pour détromper efficacement le monde, il falloit, non par des argumens auxquels le peuple ne comprend rien, & et auquel il ne cède jamais, mais des faits : or, les pères ont opposé au Païens fait public & incontestable, le pouvoir des exorcismes de l’Eglise, dont les Païens eux-mêmes furent souvent témoins oculaires, & qui en a converti un très grand nombre ; donc il n’est pas vrai que le sentiment & la conduite des Pères aient contribué à entretenir le préjugé populaire touchant les opérations du Démon & de la magie.

III. Il en est de même de la conduite que l’Eglise a tenue dans les siècles suivants, et qu’elle tient encore. Au quatrième siècle, les nouveaux Platoniciens remplirent le monde des prétendues merveilles de leur théurgie ; c’étoit, comme nous l’avons déjà remarqué, une vraie magie, & et l’on sait les abominations auxquelles elle donna lieu ; nos Philosophes modernes n’ont pas osé les nier ; plusieurs sectes hérétiques faisoient profession de magie ; il fallut donc augmenter alors la sévérité des loix. Constantin, devenu chrétien, avoit [p. 521 – colonne 1] rigoureusement proscrit la magie goëtique, où toutes les opérations qui tendaient à nuire à quelqu’un ; Bon etmais il n’avoit établi aucune peine contre les pratiques superstitieuses destinées à faire du bien. Après le règne de Julien, qui avoit été lui-même infatué de la théurgie, les Empereurs furent forcés d’être plus sévères, & de défendre absolument tout ce qui tenoit à la magie.

L’église de même. Le concile de Laodicée, de les l’an 366 ; celui d’Agde, en 506 ; le concile et in Trullo, l’an 692 ; un Concile de Rome, en 721 ; les Capitulaires de Charlemagne, & plusieurs Conciles postérieures ; le Pénitentiel Romain, &c. ont frappé d’anathème & ont soumis à une pénitence rigoureuse tous ceux qui auroient recours à la magie, de quelque espèce qu’elle fût ; il a souvent fallu renouveler ces loix, parce que cette peste publique n’a cessé de renaître de tems en tems.

Nous soutenons que toutes ces loix, soit ecclésiastiques, soit civiles, sont justes, & qu’il y auroit de la folie à les blâmer. Bayle, a très-bien trouvé que les sorciers, soit réels, soit imaginaires, soit simulés, méritent les peines afflictives qu’on leur fait subir, Rép. Aux quest. D’un Prov., 1re partie, c. 35. Les raisons qu’il apporte sont les même qu’à l’égard des Magiciens.

Quand il seroit certain que tout commerce, tout pacte avec le démon est imaginaire & impossible, il n’en serait pas moins vrai qu’un Magicien a le dessein & la volonté d’avoir ce commerce, & qu’il fait tout ce qu’il peut pour y réussir : y-a-t-il une disposition d’âme plus exécrables & une méchanceté plus noire, ou quelque espèce de crimes dont un tel homme ne soit pas capable ? Les magiciens ne manquent jamais de mêler des profanations à leurs pratiques, & leur intention est toujours plutôt de faire du mal que de faire du bien ; l’on en connoît aucun qui ait été puni pour avoir voulu secourir les malheureux, ou pour avoir rendu des services essentiels à quelqu’un. Bayle observe très bien que quand un prétendu Magicien ne croirait pas lui-même à la magie, c’est assez qu’il ait voulu se donner la réputation de Magicien pour être punissable, parce que l’opinion seule que l’on a de lui suffi pour opérer les plus tristes et très sur le caractère timide & sur les imaginations foibles.

D’autre part, que le pacte des magiciens avec le Démon soit possible ou non, les exorcismes n’en sont pas moins bons & utiles ; l’intention de l’Eglise, qui les emploie, étant de persuader les peuples que les bénédictions & les prières ont la vertu de détruire toutes les opérations du Démon, ce qui, dans toute hypothèse, est vrai. Et cela suffit pour tranquilliser & rassurer les esprits trop timides, pour écarter leurs soupçons, pour les détourner de toute pratique superstitieuse & impies. Dans ses inquiétudes & dans ses peines, le peuple donne sa confiance, non à la philosophie, mais à la religion, & il n’a pas tort. Inutilement lui allégueroit-on des raisonnements pour le détromper [p. 521 – colonne 2] de la magie ; sur ce point, les Philosophes n’ont que des preuves négatives : or, ces preuves, dans l’esprit du peuple, ne prévaudront jamais au récit qu’il entendu faire des opérations des Magiciens, ni à la multitude des témoignages vrais ou faux que l’on peut lui citer. Le seul moyen de lui faire entendre raison est de lui représenter que toute opération magique est impie, abominable, sévèrement défendu par la loi de Dieu, & punie de mort par les lois civiles ; que tous les Magiciens de l’univers ne peuvent rien sur un Chrétien qui met sa confiance en Dieu, & aux prières de l’église.

Une preuve que ce ne sont ni ces prières, ni les exorcismes, ni les loix, qui contribuent à entretenir les erreurs du peuple, c’est que chez les Protestans, qui ont rejeté toutes les pratiques de l’Eglise, en Suisse, en Angleterre, dans les pays du Nord, la divination, la magie, les sortilèges sont beaucoup plus communs que chez les Catholiques, parce que ces crimes demeurent impunis parmi les Protestans.

Dans le tems même que l’Angleterre ne vouloit reconnaître de règles & de loi que ce qu’elle appeloit la pure parole de Dieu, elle se trouva remplie d’Astrologue, de Magiciens, de Sorciers. La liberté de pensée, introduite depuis dans son royaume, n’il y a pas guéri les meilleurs esprits de cette sottes crédulités. Hobbes, Matérialiste décidé, avait peur des esprits ; Charles II disait du célèbre Isaac Vossius, cet homme croit à tout, excepté à la Bible. Londres, tome 2, page I, & suivantes.

Lorsque les incrédules prétendent que les progrès de la philosophie, dans notre siècle, on réduit à rien le pouvoir du Démon & celui des Magiciens, que personne n’y croit plus, il se vante mal-à-propos d’un exploit auquel ils n’ont aucune part, & ils imitent en cela le caractère jongleur des Magiciens. Sont-ce des Philosophes qui sont allés instruire les habitants des Alpes, du Mont Jura, des Cévennes & des Pyrénées ? Ce sont les Ministres de la religion, & ceux-ci n’adopteront jamais les principes des philosophes incrédules.

L’unique moyen d’extirper entièrement la magie seroit d’étouffer les passions qui l’ont fait naître ; l’incrédulité n’a pas ce pouvoir. Déjà nous avons remarqué que les Epicuriens, quoique très-impies, ne furent cependant pas exempts de superstition. Il ne seroit pas impossible de citer les Athées qui ont cru à la magie sans croire en Dieu. Bayle a prouver que, dans le système d’Athéisme de Spinoza, ce rêveur ne pouvait nier ni les miracles, ni la magie, ni les Démons, ni les enfers. Dict. crit. Spinosa.

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Malchuth – The Magical Ritual of the Sanctum Regnum,
Interpreted by the Tarot Trumps, translated from the Mss. of Alphas Levi, William Wynn Westcott, London- George Medway, 1896.
Merci à Elisandre L’Oeuvre Au Noir.

Nous ajoutons que si les Philosophes venoient jamais à bout de la révolution qu’ils se flattent déjà d’avoir opéré, ils rendroient un très-bon service au théologien ; ils leur aideroient à [p. 522 – colonne 1] leur inculquer une grande vérité, savoir que le pouvoir du Démon a été détruit par la croix de Jésus-Christ, qu’il n’en a plus aucun sur les Chrétiens consacrés à Dieu par le Baptême, à moins qu’eux-mêmes ne veuillent lui accorder. Voyez sur ce sujet un passage de S. Clément d’Alexandrie, au mot des mot DEMON.

Quelques incrédules ont comparé les cérémonies & les formules sacramentelles usitées dans l’Eglise Catholique à la théurgie & aux pratiques des Magiciens ; ce sont les Protestans, & en particulier les Beausobres, qui leur ont suggéré cette ineptie ; ils comparent le saint Chrême aux parfums & au fait fumigations dont se servoient les Égyptiens pour attirer les Démons, ou pour les mettre en fuite. Ils n’ont pas vu qu’ils donnoient lieu aux impies de comparer la forme du baptême aux charmes ou aux paroles magiques des imposteurs. Cette absurdité sera réfutée au mot THEURGIE. V. CHARME, DIVINATION, ENCHANTEMENT, &c.

Plusieurs sectes d’hérétiques ont été accusées de pratiquer la magie, en particulier les Basilidiens & d’autres recettes de Gnostiques, les Manichéens, & les Priscillianstes leurs descendants ;

On supposoit que Manès avoit appris cet art odieux des Mages de Perse, disciple de Zoroastre, Beausobre, protecteur déclaré de tous les hérétiques, a entrepris de les justifier contre ce reproche des Pères de l’Eglise ; il soutient que c’est une pure calomnie, qui n’a aucun fondement, Hist. Du Manich. L. I, c. 6, chap. 10 ; l. 4 ? c. 3, chap. 19 ; l. 9, c. 13.

En premier lieu, dit-il, le nom de magie, n’a rien d’odieux ; il signifioit l’art d’employer des observations naturelles, des connoissances de Physique, de Médecine, d’Astrologie & de Théologie, un Mage était un Savant. En second lieu, les Païens ont regardé les premiers Chrétiens comme autant de Magiciens, & de tout tems l’on a renouvelé cette accusation contre les personnages les plus respectables ; elle ne mérite donc aucune attention. Quelques sectes hérétiques ont peut-être employé des pratiques superstitieuses, comme les amulettes, les talismans, les abraxas des Basilidiens ; mais si celle-là de la magie, il faudra en accuser plusieurs Pères de l’Eglise. Auraient jamais, par exemple, liv. I, contre Celse, n. 24 et 25, soutient qu’il y a une vertu surnaturelle attachée à certains noms des Anges ou des Génies ; que la magie n’est point un art vain & chimérique. Synésius, de insomn, étoit persuadé que l’on peut avoir un commerce immédiat avec ces êtres invisibles, & opérer des choses merveilleuses par leur entremise. On ne doit appeler magie que le commerce avec les mauvais Démons : quant aux esprits bienfaisans, il n’est point défendu par la loi naturelle de s’adresser à eux ; cela n’étoit interdit par la loi de Moïse, que par ce que c’étoit une source d’idolâtrie. Or, on ne peut pas prouver que Zoroastre, les Bisilidiens, les Manichéens, ni les Priscillianistes, ont jamais invoqué les mauvais [p. 522 – colonne 2] Démons ; c’est donc un justement qu’ils ont été taxés de magie.

Cette apologie n’est pas solide ; elle porte sur un faux principe. Il est vrai que les anciens ont nommé magie toute connoissance supérieure bonne ou mauvaise, ensuite le commerce avec les Esprits ou Génies bons ou mauvais ; mais si le commerce entretenu avec les mauvais Démons, dans l’intention de nuire à quelqu’un, est espèce de magie la plus abominable, nous soutenons que l’autre espèce n’est pas innocente ; non seulement elle conduit à l’idolâtrie, comme dit Beausobre, mais c’est une espèce de profession du Polythéisme ; nous l’avons fait voir : donc elle est défendue par la loi naturelle, puisqu’un des premiers préceptes de cette loi est de n’adorer qu’un seul Dieu. Les Protestans sont forcés d’en convenir, ou de se contredire. Lorsqu’ils argumentent contre l’usage des Catholiques d’invoquer les Anges & les Saints, ils posent pour principe que l’invocation est un culte religieux, & que tout culte rendu par un autre être qu’à Dieu est une profanation & une impiété. Pourquoi, lorsqu’il s’agit de disculper des hérétiques, raisonnent-t-il sur une supposition contraire ?

Posons donc un principe plus solide & plus vrai, c’est que toute invocation d’Esprits ou de Génies supposés indépendant de Dieu, & non simple exécuteur des ordres de Dieu, est un acte Polythéiste, par ce que l’on attribue à ces prétendus Génies un pouvoir qui n’appartient qu’à Dieu, et qu’on leur accorde une confiance qui n’est du qu’à Dieux : donc c’est une impiété défendue par la loi naturelle. Qu’on appelle magie ou autrement, n’importe à la grièveté du crime. L’invocation des Anges & des Saints n’est permise & louable que par ce qu’on les suppose parfaitement soumis à Dieu, & revêtus du seul pouvoir que Dieu daigne leur accorder ; qu’ainsi nous ne pouvons avoir en eux de la confiance qu’autant que nous en avons en Dieu. Par conséquent le culte que nous leur rendons se rapporte médiatement à Dieu.

La question est de savoir quelle idée les Manichéens avoient des Esprits ou Génies. Ils en admettoient de deux espèces, les uns bon, les autres mauvais ; mais il ne les regardoient point comme des créatures de Dieu. Ils disoient que les bons sont coéternel adieu, & que les mauvais sont sortis du sein de la matière. Hist. Du Manich. I, 5, c. 6, Chap. 13 ; I, 6, c. I. Chap. I. Jamais ils n’ont représenté les bons Génies comme de simples Ministres des volontés de Dieu, comme nous considérons les Anges. Puisqu’ils invoquoient ces Génies, & désiroient être en commerce avec eux, ils ne pouvaient rapporter à Dieu les respects, la confiance, la reconnaissance qu’ils témoignoient aux Génies ; c’étoit donc une impiété ; et nous ne voyons pas pourquoi l’on ne devoit pas la taxer de magie. [p. 523 – colonne 1]

Est-il certain d’ailleurs qu’aucune de leurs pratiques ne s’adressoient aux mauvais Démons, du moins pour les apaiser & pour les empêcher de nuire ? Ils usoient certainement de caractère & de figures magiques. Il dit du pape Symmaque qu’il fit brûler, devant le portail de la Basilique Constantine, leurs livres & leurs simulacres, Anast. In Symn. Beausobre, qui semble regretter la perte de ces livres, dit qu’il ne sait pas ce que c’étoit que ces simulacres, ibid, seconde partie, discours préliminaire, n. I. Cela n’étoit pas fort difficile à deviner ; les Auteurs Ecclésiastiques nous ont assez donné à entendre que c’étoient des figures magiques.

Origène & Synesius ont pensé, comme tous les philosophes de leur tems, qu’il y avoit des paroles efficaces, des noms doués d’une certaine vertu, des formules & des pratiques par le moyen desquelles on pouvoit entrer en commerce avec les Démons ou Génies ; que les Magiciens en possédoient la connaissance, qu’ainsi leur art n’était pas une pure illusion. Mais ces deux Auteurs ont-ils approuvé ce commerce ? Ont-ils dit que l’on pouvoit en user innocemment ? Ils ont témoigné le contraire. Origène, dans l’ouvrage même cité, l. I, n. 6, a réfuté la calomnie de Celse, qui accusoit les Chrétiens d’opérer des prodiges & par des enchantemens par l’entremise des Démons. Homil. 13, in Num. n. 5, il n’approuve que l’invocation des saints Anges ; il dit que ces Esprits célestes n’obéiront jamais aux enchantements des Magiciens, qu’il ne peuvent faire que du bien, au lieu que les Démons ou prétendus Génie ne peuvent faire que du mal, &c. Synesius n’en a pas eu les meilleures opinions. Quelle superstition peut-on donc leur reprocher ? Un superstiieux n’est pas celui qui croit qu’une pratique abusive peut être efficace, mais celui qui en use & y met sa confiance. Nous avons montré ci-dessus que les autres Pères de l’Eglise n’ont pas pensé comme Origène & Synésius.

Dès qu’il étoit avéré que les premiers Chrétiens faisoient des miracles, par le nom de Jésus-Christ, par le signe de la croix, par la récitation des Évangiles, Origène contre Celse, ibid, il n’est pas étonnant que les Païens les êtres accusés de magie. Puisque l’on a formé le même reproche contre les Manichéens, il faut donc qu’ils aient fait quelques prodiges apparens, ou qu’ils se soient vantés d’en faire, & qu’ils aient promis d’en apprendre le secret ; dans ce cas, ils ont mérité le nom de Magicien, le blâme des Pères de l’Eglise, & les châtiments décernés contre ce crime par les lois impériales. Pour être censé Magicien, il n’étoit pas nécessaire d’avoir conversé réellement avec les Démons, ni d’avoir fait des prodiges par leur secours ; il suffisoit d’avoir tenté, d’avoir invoqué leur assistance, ou d’avoir enseigné aux autres ses pratiques abominables. S. Paul lui-même, a décidé que quiconque prenoit part au sacrifice [p. 523 – colonne 2] des Païens participoit à la table des démons, I. Cor. c. 10. v, 21. Donc toute relation avec eux étoit un culte qu’on leur rendait. Les Pères de l’église n’ont donc pas eu tort de taxer de magie les hérétiques coupables de ce crime, & Beausobre les accords mal justifié. Voyez SORCIERS.

 

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