Antoine Ritti. FOLIE. Extrait du « Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales – A. Dechambre », (Paris), Quatrième série, tome troizième, FOI-FRA, 1879, pp. 271-306.

Antoine Ritti. FOLIE. Extrait du « Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales – A. Dechambre », (Paris), Quatrième série, tome troizième, FOI-FRA, 1879, pp. 271-306.

 

Antoine Ritti (1844-1920). Médecin aliéniste originaire de Strasbourg, il commença sa carrière dans le département de la Meurthe à l’asile de Fains, dont il fut chassé par les hostilités franco-allemandes. Il rejoint alors Paris et la Maison de Santé Esquirol.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Par commodité les notes de bas de page ont été renvoyées en fin d’article. – Les images on été rajoutées par nos soins, hors les deux tableaux in-texte. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

FOLIE. Le mot folie appartient à la langue vulgaire et a été transporté de là dans le langage médical aussi ne faut-il pas s’étonner qu’il s’adapte assez mal aux notions plus précises et plus scientifiques que nous commençons à acquérir en pathologie mentale. Sans parler de l’extrême difficulté de tracer des limites entre l’état sain et l’état maladif, il n’est guère plus aisé de déterminer quels faits on doit classer sous le titre général de folie.

Un grand nombre de pathologistes font de ce mot un synonyme d’aliénation mentale et rangent sous cette dénomination presque tous les modes d’altération [p. 272] des facultés mentales leur développement imparfait ou nul, leur perversion, leur abolition plus ou moins complète. D’autres auteurs, et en particulier M. parchappe, considérant le mot aliénation mentale comme terme générique, ne désignent sous le nom de folie que les troubles psychiques développés chez des individus dont l’intelligence était relativement saine antérieurement. L’idiotisme et l’imbécillité consécutive ou démence forment, avec la folie, les trois divisions principales de l’aliénation mentale.

Cette classification est justiciable de bien des critiques. Il n’est pas besoin d’avoir fait de longues études de pathologie mentale pour sentir combien, en clinique, ces divers états sont difficiles à séparer, combien l’idiotie incomplète, partielle, est fréquemment liée à la folie, et à quel degré la démence se mêle à certaines formes de folie, à la paralysie générale notamment, où elle existe pour ainsi dire dès le début. Il n’est pas étonnant, du reste, qu’avec l’abolition incomplète ou partielle des facultés mentales coexiste fréquemment le désordre de ce qui reste encore de facultés actives.

Néanmoins et malgré ses imperfections inévitables, cette classification a le mérite de rapprocher la signification médicale du mot folie de son sens vulgaire. Dans le langage ordinaire, chacun distingue le fou de l’idiot et du vieillard tombé en enfance, et comme il est difficile de donner au mot folie un caractère vraiment scientifique, il est peut-être préférable de lui laisser celui qui a été consacré par l’usage public et de ne décrire sous ce nom que les états pathologiques constitués essentiellement par la perturbation des facultés psychiques.

Nous adoptons d’autant plus volontiers cette terminologie que nous devons, pour éviter les redites, nous conformer au plan général établi dans l’article Aliénation.

Formes symptomatiques et espèces morbides. Classification. Les défauts du mot folie et son manque de précision se retrouvent à peu près au même degré dans la plupart des termes usités pour dénommer les différentes formes de trouble mental. C’est là un des plus grands obstacles à l’établissement d’une classification satisfaisante. Comment classer des espèces qui ne sont point suffisamment définies ?

Aussi la plupart des classifications proposées par les pathologistes réunissent-elles des faits disparates et d’ordre différent. Nous voyons rangés dans un même tableau des éléments symptomatiques considérés isolément et des syndrome complexes constituant de véritables maladies.

On ne peut grouper dans une même classification que des objets comparables et de nature analogue on peut tenter, par exemple, une classification des troubles fonctionnels ou éléments symptomatiques considérés indépendamment des syndromes auxquels ils appartiennent; on peut également tenter une classification des divers syndromes ou maladies dans lesquels se manifestent des troubles psychiques, mais on ne saurait, à moins de tout confondre, réunir dans le même tableau ces deux ordres de faits.

Jamais un botaniste n’a placé un végétal, considéré dans son ensemble, dans une classification des feuilles ou des fruits; jamais un géomètre n’a eu la pensée de classer un solide parmi des surfaces ; c’est cependant une erreur analogue qu’ont commise les pathologistes en réunissant la manie, la mélancolie, la stupeur, etc., en un mot, les divers éléments symptomatiques, dans le même tableau que la paralysie générale, syndrome complexe qui comprend presque tous [p. 273] ces divers éléments morbides. Pour sortir de ce chaos, il ne nous paraît pas possible, dans l’état actuel de la science, de procéder autrement que par un double classement l’un exclusivement symptomatique, dans lequel les troubles fonctionnels considérés en eux-mêmes seraient groupés suivant leurs analogies et leurs différences l’autre, au contraire, nosologique, fondé sur les symptômes psychiques considérés dans leur ensemble, dans leur succession et dans leur association avec les signes fournis par le reste de l’organisme ; enfin, dans leur liaison avec des syndromes déjà connus en pathologie ordinaire. Ce double classement n’est pas seulement applicable à la pathologie mentale; des exemples pris à la médecine ordinaire en feront même mieux comprendre l’importance et l’utilité. Pour m’éloigner le moins possible de mon sujet, je prendrai pour type l’aphasie. Au point de vue symptomatique, les faits d’aphasie forment un groupe assez nettement délimité, ils sont caractérisés par l’abolition plus ou moins complète des fonctions d’une partie déterminée de l’écorce cérébrale. Au point de vue nosologique, cette unité se dissocie complétement. L’aphasie n’est plus qu’un symptôme se rattachant tantôt au rhumatisme par l’embolie, tantôt à la syphilis, tantôt aux traumatismes céphaliques, tantôt à d’autres syndromes que je n’ai pas à énumérer ici.

Il en est de même pour les éléments psychopathiques ; la manie, par exemple, appartient tantôt à la paralysie générale, tantôt à la folie circulaire, tantôt à l’hystérie, à l’épilepsie, à l’alcoolisme, etc.

Quelquefois, il est vrai, les éléments symptomatiques se montrent isolément ; il y a des cas de manie ou de mélancolie, par exemple, qu’on ne peut rattacher à aucune espèce nosologique connue. Il est rationnel de laisser dans la classification purement symptomatique ces faits obscurs dont l’isolement et l’indépendance ne sont peut-être que provisoires.

Classification symptomatique. Le point de vue nosologique n’a pu apparaître clairement qu’à une époque relativement récente et après de longues études de toutes les parties de la pathologie. Aussi les premières tentatives de classification devaient-elles nécessairement être symptomatiques. Frappés surtout des états symptomatiques à caractères bien tranchés ou à manifestations bruyantes, les anciens nous en ont laissé d’admirables descriptions, mais, plutôt que de les rattacher à d’autres états morbides et au reste de la pathologie, ils ont cherché à les interpréter au moyen des théories physiologiques et métaphysiques de leur temps. Ces diverses théories imposèrent ainsi leur joug à la pathologie mentale et prirent, à côté de l’observation pure, une part importante dans la création des espèces symptomatiques admises jusqu’à nos jours.

Il serait fastidieux d’exposer ici toutes ces conceptions qui n’ont plus guère d’intérêt aujourd’hui. Je ne m’arrêterai point aux théories physiologiques des anciens; mais je ne puis passer entièrement sous silence les théories métaphysiques, car l’empreinte si forte dont elles ont marqué la pathologie mentale n’est pas encore effacée.

On sait que les hypothèses métaphysiques consistent à faire intervenir une cause indépendante des organes, existant tantôt en dehors de l’homme (action divine ou démoniaque), tantôt dans l’homme lui-même supposé double (corps et âme) ou triple (corps, principe vital et âme pensante). La première de ces hypothèses n’appartient plus qu’à l’histoire. Elle a disparu avec les derniers bûchers, et si on l’entend exprimer aujourd’hui, ce n’est plus guère que par [p. 274] la bouche de quelques aliénés qui expliquent ainsi les tourments et les hallucinations qui les obsèdent.

Il en est autrement de la seconde hypothèse. Soutenue jusqu’à ces derniers temps par des hommes du plus grand mérite, elle est restée le fondement de la psychologie classique et est, à ce titre, acceptée en pathologie mentale. Ne voyons-nous pas encore aujourd’hui la plupart des médecins spécialistes poser en principe que la folie est essentiellement, caractérisée par la perte du libre arbitre, c’est-à-dire par l’abolition d’une force dont aucun moyen scientifique d’investigation ne permet de démontrer l’existence ?

La plupart des données de la psychologie ont ainsi pénétré la pathologie mentale, et les médecins psychologues ont été conduits à constituer des formes symptomatiques en rapport avec les altérations des facultés hypothétiques admises par les métaphysiciens.

Quoi de plus rationnel, en apparence, que de baser la connaissance des perturbations sur celle de l’ordre normal ? Tout autres cependant ont été les procédés de l’esprit humain, et l’histoire de la médecine nous le montre clairement. Les médecins possédaient déjà de précieuses notions sur diverses maladies, alors que la physiologie n’était pas même née on ne peut lire aucun des auteurs anciens sans être frappé du contraste entre la vérité des observations cliniques et la grossière absurdité des théories physiologiques. Fallait-Il, pour observer les malades, attendre que la physiologie fût constituée ? Bien au contraire, c’est en grande partie aux lumières fournies par la clinique que furent dues les premières acquisitions de la physiologie positive. Il est vrai qu’aujourd’hui, pour un grand nombre de cas, la connaissance de l’état normal est la clef de la pathologie. Que comprendrions-nous aux affections du cœur, comment pourrions-nous les distinguer et les classer, si nous ignorions le mécanisme de la circulation ? Les rôles se sont donc intervertis. Là où nos connaissances sont le plus parfaites, la physiologie est le prélude indispensable de la pathologie, et les deux sciences tendent à se fusionner de plus en plus dans la grande unité de la science de l’homme.

Francisco José de Goya y Lucientes (1746-1828)

La pathologie mentale est loin d’un pareil état de perfection. Cette psychologie qu’on a voulu prendre pour base vaut-elle beaucoup mieux que la physiologie de Galien? Faut-il s’étonner du peu de succès de son intrusion en pathologie mentale et du retour des bons esprits vers l’observation pure? Espérons plutôt que la clinique mentale fournira peu à peu les éléments d’une physiologie psychique vraiment positive.

Il faut donc provisoirement renoncer aux secours d’une psychologie insuffisante et recourir à la seule observation médicale pour avoir quelques chances de déterminer plus exactement les formes symptomatiques des maladies mentales. C’est ainsi qu’on pourra rendre plus précises, sinon remplacer, diverses dénominations qui représentent plutôt des interprétations psychologiques que des faits généraux d’observation.

Les premières formes de folie qui ont frappé les médecins de l’antiquité sont la manie et la mélancolie, qu’ils distinguèrent des délires fébriles. La manie était caractérisée par l’agitation gaie, violente ou furieuse; la mélancolie par la tristesse, la crainte, l’angoisse et la concentration de l’esprit sur une seule pensée.

Ce dernier trait, indiqué par Arétée, a été l’origine de la distinction des délires généraux et des délires partiels. On crut avoir trouvé la caractéristique des [p 275] deux formes principales de la folie : manie devint synonyme de délire général, mélancolie synonyme de délire partiel.

Le sens primitif des mots se trouva ainsi altéré, à tel point qu’on en vint à admettre une mélancolie gaie. La confusion était inévitable ; caractériser la mélancolie par l’unité du délire, c’était chercher dans l’état de l’intelligence le criterium des lésions de la sensibilité morale, et s’il est vrai que les troubles moraux sont souvent accompagnés de troubles corrélatifs de l’intelligence, il s’en faut beaucoup que cette proposition et sa réciproque soient toujours vraies. Le mot de manie n’a pas subi de moindres vicissitudes. Laissant de côté son sens psychologique de trouble général de l’intelligence, la plupart des auteurs conservèrent ce nom à tous les cas de folie caractérisés par le désordre ou la violence des actes, et on en vint à admettre une manie raisonnante (Pinel), où il n’y avait point d’altération de l’intelligence.

La monomanie d’Esquirol, destinée à grouper les cas qui ne présentaient ni les caractères moraux de la mélancolie, ni le délire général de la manie proprement dite, ne suffit pas à dissiper la confusion.

Ce terme de monomanie réunit des faits disparates, n’ayant guère d’autre caractère commun que de ne pouvoir rentrer dans les anciens cadres de la manie et de la mélancolie ; il sert à désigner tantôt les troubles partiels de l’intelligence, tantôt les altérations des autres facultés mentales, l’intelligence restant saine dans sa totalité (monomanies affective et instinctive, etc.). On le voit par ces exemples, bien loin que nous soyons prêts à constituer une classification nosologique, nous ne sommes point arrivés à grouper les états symptomatiques en catégories satisfaisantes, et encore bien moins à les rattacher à des altérations organiques ou fonctionnelles déterminées.

Ces états symptomatiques, en effet, sont déjà complexes, constitués par les lésions coexistantes de nombreux éléments fonctionnels il est probable qu’il faudra pousser l’analyse plus loin pour savoir ce qu’il y a de constant dans ces phénomènes si variés et, en apparence, si insaisissables.

Des efforts ont déjà été tentés dans cette direction les médecins psychologues se sont occupés plus spécialement des troubles des diverses facultés de l’intelligence. Mais leur méthode était stérile et puis, était-il rationnel de mettre au premier rang des phénomènes presque toujours secondaires ? C’est ce qu’ont bien compris les cliniciens ; Falret, Morel, Griesinger, ont attribué, au contraire, la prépondérance aux altérations de la sensibilité morale. Les états moraux et émotifs réagissent sur l’ensemble de l’organisme ils constituent, pour les opérations intellectuelles, une sorte de milieu, dont l’influence peut les stimuler, les ralentir ou les dévoyer c’est le terrain sur lequel germent les idées délirantes.

« La lésion que l’on doit surtout étudier avec soin dans les maladies mentales, a dit Falret, c’est celle de la partie affective de notre être, la lésion des sentiments et des penchants. Nous avons accordé à cette étude une attention toute particulière. Nous avons cherché à prouver que les dispositions générales de la sensibilité morale, les impulsions, les penchants et les sentiments étaient primitivement altérés dans toutes les formes des maladies mentales; que sur ce fonds maladif primordial germaient peu à peu les idées délirantes ou les sentiments mieux déterminés, qui devenaient alors dominants et servaient à caractériser les diverses variétés des maladies mentales. Cette altération primitive des sentiments et des penchants chez les aliénés mérite au plus haut degré de fixer [p. 276] l’attention des observateurs. Elle doit servir de base à la connaissance du fond de la maladie, à la description de ces diverses formes, à leur classement, à leur pronostic et à leur traitement. En remontant ainsi, par l’étude de ces dispositions maladives de la sensibilité morale, à l’origine même des phénomènes ultérieurs. qui en découlent, on pourra réellement connaître la filiation des symptômes maladifs qui se développent successivement et proviennent tous de cette source commune. Nous comprenons ainsi, pour notre part, le stade mélancolique que Guislain surtout a signalé comme constant au début de toutes les maladies mentales. «

Éléments psychopathiques. Nous commençons donc l’étude des éléments constitutifs des troubles psychiques par celle des altérations de la sensibilité morale.

On s’accorde généralement à classer ces altérations en deux catégories principales, sous les noms d’états d’expansion et de dépression ; on établit ainsi deux genres principaux de folie le premier, caractérisé par la disposition à la gaieté, à la satisfaction, au bonheur ; le second, par la tristesse, l’anxiété, le désespoir.

Mais il est important de remarquer que ces termes d’expansion et de dépression se rapportent plutôt à l’expression extérieure, bruyante ou muette, active ou inerte, des altérations de la sensibilité morale, qu’à ces altérations elles-mêmes. Il est certain que les manifestations mimiques actives et bruyantes appartiennent le plus souvent à la gaieté et à la joie, tandis que le mutisme et l’inertie sont le propre des passions tristes. Il n’en est cependant pas toujours ainsi, et un examen superficiel des manifestations mimiques ferait souvent porter un faux jugement sur les dispositions intérieures. Certains extatiques ressemblent assez aux mélancoliques stupides, par leur aspect extérieur, et cependant quelle différence entre le bonheur céleste dont ils sont enivrés et les terreurs, les hallucinations effroyables de ces derniers Il semble que, dans ces deux cas opposés, l’excès du trouble cénesthétique aboutit à la même absence de manifestations externes. C’est, du reste, un fait d’observation commune que souvent les grandes douleurs, comme la joie excessive, restent muettes.

Les manifestations mimiques actives, le besoin de se mouvoir, d’agir, de parler, en un mot, d’épancher au dehors les sentiments dont l’âme est occupée, n’appartiennent pas non plus en propre aux états cénesthétiques (1) agréables. Les mélancoliques anxieux, qui gémissent sans cesse, ne peuveut rester en place, expriment à tout venant leur douleur et leur angoisse, méritent tout autant que les excités maniaques la qualification d’expansifs. Les mélancoliques agités, avec tendance aux actes violents, ressemblent extrêmement à des maniaques, quoique les troubles de leur sensibilité morale soient d’une nature toute différente. Beaucoup de malades désignés sous le nom de maniaques, les épileptiques entre autres, se rapprochent beaucoup plus des mélancoliques, par l’état de douleur morale, d’angoisse, de terreur, de désespoir, qui précèdent l’explosion de l’accès de fureur. Il y a donc une importance capitale à distinguer, chez les aliénés, les manifestations extérieures et les dispositions psychiques internes, et à ne pas conclure trop facilement des unes aux autres. [p ; 277]

Dans certains cas même, le rapport habituel entre le sentiment et son expression mimique est altéré ; il se produit une sorte d’automatisme des moyens d’expression qui semblent traduire un état moral qui n’existe nullement les larmes et les rires des hystériques ne correspondent point à un équivalent de joie ni de douleur tels sont encore, chez les mêmes hystériques, les états d’extase et tant d’autres manifestations, dont une analyse minutieuse finit par dévoiler le caractère mensonger et théâtral.

Nous examinerons donc séparément les manifestations mimiques et les états de la sensibilité intérieure, puisque ces deux ordres de faits ne se correspondent pas toujours exactement.

Le mot d’expansionmérite d’être conservé et doit être appliqué à la mimique, au langage, à l’activité de tous les modes d’expression dont notre organisme peut disposer.

Le mot de dépression, dont on se sert habituellement pour désigner les états opposés, se rapporterait plutôt à l’ensemble des facultés intellectuelles et morales, et le mot de concentration me paraît plus propre à exprimer les états où les manifestations extérieures font défaut, quel que soit d’ailleurs l’état intérieur d’exaltation ou de dépression psychiques.

Le propre du langage mimique est de manifester d’une façon involontaire et souvent inconsciente les états de l’âme. Les manifestations mimiques sont des actes qui succèdent directement à des impressions morales sans travail intellectuel intermédiaire. Ce fait physiologique s’exagère considérablement dans les états pathologiques où la sensibilité morale exaltée restreint de plus en plus le domaine de l’intelligence. Sous l’influence de cette sensibilité morale exaltée, des actes même qui, à l’état normal, ne se produisent jamais sans le concours préalable de l’intelligence, prennent le caractère des manifestations mimiques. C’est ainsi que le langage articulé se présente avec un caractère absurde, illogique et incohérent. Les mots se présentent vraisemblablement suivant certaines affinités qui les relient aux divers états émotifs en dehors de toute espèce de liaison logique. De là la répétition fréquente de certains mots ou de certaines syllabes dépourvus de sens. Le langage se rapproche de l’interjection et du juron. A l’état physiologique même, il suffit quelquefois d’un sentiment vif pour faire prononcer des syllabes dépourvues de sens ou des mots incohérents. Je citerai encore comme exemple certains refrains de chansons populaires où des mots sans aucun lien logique ou même des syllabes dépourvues de toute signification sont cependant en rapport avec certains états de la sensibilité morale qu’ils peuvent provoquer chez les individus qui les entendent. Sans aller jusqu’à l’incohérence, il arrive cependant que le langage cesse d’être exactement subordonné à l’intelligence. Une malade convalescente d’un accès de mélancolie me dépeignait ses souffrances dans les termes suivants : « J’étais dans un état affreux d’angoisse et d’agitation nerveuse je parlais constamment, et je sentais que ma parole n’était plus dirigée par ma pensée. » Cette action directe du trouble cénesthétique sur la fonction du langage se manifeste plutôt dans la parole que dans les écrits. C’est là une des causes du contraste que présentent quelquefois chez les aliénés ces deux formes du langage. Ce qui est vrai du langage est également vrai des actes proprement dits. Les divers gestes, la marche à pas précipités, l’impossibilité de rester en place, se rencontrent à l’état physiologique et se produisent sous l’influence des diverses passions d’une façon en quelque sorte automatique. Les maniaques brisent les [p. 278] objets qui sont à leur portée, déchirent leurs vêtements, frappent les personnes qui les entourent d’une manière également automatique et sous l’influence d’une impulsion instinctive dont ils ont quelquefois conscience. Le domaine de la mimique s’agrandit étonnamment aux dépens de l’intelligence, de la réflexion et du travail logique; des actes qui, à l’état normal, ne se produiraient jamais sans un travail intellectuel préalable, deviennent de simples manifestations automatiques d’un état violent de la sensibilité intérieure. Cette sensibilité intérieure peut d’ailleurs présenter les altérations les plus diverses; et il est facile de distinguer d’après les manifestations extérieures certains états d’exaltation, de gaieté, de joie, et d’autre part les états de mélancolie ou de tristesse profonde; il n’en est plus de même lorsque ces passions atteignent un degré excessif.

Une maniaque que j’ai eu récemment l’occasion d’observer, et qui dans le cours de son accès avait présenté une agitation excessive avec loquacité incessante et incohérente, refus absolu des aliments liquides et solides, tendance aux actes violents, m’a déclaré pendant sa convalescence. qu’elle avait gardé de son accès le souvenir d’un bonheur ineffable, tel qu’avant de l’avoir éprouvé son imagination n’aurait pu lui en fournir la moindre idée.

Bien différents sont d’autres malades, également qualifiés de maniaques. C’est sous l’influence de terreurs, d’angoisses profondes, qu’ils arrivent à l’agitation et à la violence, ils se rapprochent des mélancoliques à cet égard. Comme je l’ai dit plus haut, il semble que les états cénesthétiques extrêmes se traduisent par des manifestations extérieures analogues.

Les états caractérisés par l’absence de manifestations extérieures actives n’en présentent pas moins une mimique muette digne de la plus grande attention. La satisfaction, la joie et le bonheur, lorsqu’ils ne sont pas excessifs, se peignent clairement sur la physionomie. On le voit plus communément encore pour la mélancolie dont la manifestation extérieure est habituellement muette et qui ne se révèle que par l’attitude du corps et l’expression du visage. Mais lorsque les états émotifs deviennent extrêmes, lorsque la joie touche à l’extase, lorsque le désespoir aboutit à la stupeur, l’expression extérieure devient analogue comme il arrive pour les états expansifs.

Lésions de la sensibilité morale. Nous avons divisé les aliénés en deux catégories au point de vue de leurs manifestations mimiques externes. On divise également les aliénés en deux groupes principaux suivant l’état de leur sensibilité morale les uns, gais, satisfaits, optimistes les autres, tristes, en proie au découragement, à la frayeur et au désespoir chez les uns comme chez les autres il peut y avoir expansion ou concentration. De sorte que, si l’on considère en même temps l’état de la sensibilité morale et les manifestations externes, on peut répartir les diverses formes symptomatiques de la folie en quatre catégories principales :

1° États mélancoliques avec expansion (mélancolie gémissante, mélancolie agitée, avec tendance aux actes violents) ;

2° États mélancoliques avec concentration (mélancolie simple, mélancolie stupide) ;

3° États de satisfaction avec expansion (excitation maniaque, manie) ;

4° États de satisfaction avec concentration (satisfaction simple, extase).

L’extase correspond ainsi à la stupeur, et l’analogie de ces états extrêmes se manifeste par les accidents cataleptiques qui les compliquent assez souvent [p. 279] l’un et l’autre. J’ai déjà fait remarquer la même analogie entre la manie et. la mélancolie avec tendance aux actes violents. J’ajoute que le délire aigu se développe également sur le fonds de la mélancolie agitée et de la manie aiguë. Le tableau suivant .représente le classement de ces divers états psychopathiques d’après les principes que je viens d’indiquer :

Mais à côté de ces formes relativement simples de troubles cénesthétiques on rencontre un grand nombre de cas complexes dans lesquels la satisfaction se mélange à les sentiments d’orgueil à l’humiliation et à la crainte. C’est ce qu’on observe notamment chez les malades atteints de délire de persécution chronique et mégalomanes. Bien différents des mélancoliques simples pour qui tout est douleur, et des paralytiques généraux dont la satisfaction niaise n’est obscurcie par aucune ombre, il y a chez eux un mélange de joie et de douleur, le sentiment d’une lutte dont le succès n’est point désespéré, qui se traduisent par une attitude ironique pleine de finesse et de réticences. C’est à ces états mixtes qu’on pourrait à la rigueur appliquer, en restreignant son sens usuel, la dénomination de mélancolie partielle. On désigne communément ainsi, depuis que M. Baillarger a montré que chez un grand nombre de mélancoliques il y a trouble général de l’intelligence, le cas de mélancolie avec délire partiel, trouble partiel de l’intelligence. L’épithète partiel me semble assez mal appliqué dans ces cas à l’état mélancolique, à la lésion de la sensibilité morale, qui, même lorsqu’il y a lésion partielle de l’intelligence, est un trouble psychique général, comme l’a démontré Falret dans la célèbre discussion sur les monomanies.

Il est difficile, en effet, de concevoir une tristesse partielle, une gaieté partielle, une fureur partielle ces états émotifs peuvent être passagers, intermittents, ils peuvent alterner très-rapidement, mais lorsqu’ils existent, ils occupent l’âme humaine tout entière, réagissent sur les divers appareils viscéraux, et même sur tout l’organisme. Il semble qu’ils soient en rapport avec .des modalités fonctionnelles d’une portion étendue des centres nerveux, plutôt qu’avec une localisation étroite; on les voit alterner, se succéder comme des états complémentaires, comme à l’état physiologique se succèdent la veille et le sommeil, l’appétence et le dégoût, l’activité, la fatigue et le repos de divers organes. C’est surtout dans la folie circulaire et dans certaines formes de la paralysie générale qu’on voit les mêmes malades parcourir toute la gamme de ces divers états cénesthétiques et sans que jamais, chez ces derniers malades, on ait pu établir le moindre rapport entre le siège des lésions constatées à [p. 280] l’autopsie et les états de dépression ou d’excitation. Il est vrai que cette étude des rapports des symptômes psychiques et des’ lésions dans la paralysie générale n’est pas même ébauchée, et notre ignorance actuelle doit nous rendre circonspects dans nos affirmations..

A côté de ces altérations générales de la sensibilité morale, il faut noter les modifications des affections et des sentiments. C’est, en effet, le trouble psychique qui succède immédiatement aux altérations générales de la sensibilité. Les troubles intellectuels ne viennent que plus tard. Un grand nombre d’aliénés ont conscience de cette altération de leurs sentiments ils se plaignent de n’avoir ̃ plus de cœur, de ne plus rien aimer de ce qui leur était cher. L’excès de la douleur, comme l’excès du plaisir, en fixant incessamment l’attention sur le moi sentant, concentre l’homme en lui-même et empêche ce détachement, cet oubli de soi, sans lesquels il ne peut y avoir ni sentiments désintéressés, ni actions généreuses. La sensibilité exagérée rapporte tout à elle-même, a dit Griesinger. De là vient l’égoïsme de l’aliéné, sa sécheresse de cœur, son insociabilité et son isolement ; de là vient son abaissement moral, si justement signalé par M. le professeur Lasègue.

Il ne faut pas, à cet égard, s’en laisser imposer par l’affectuosité banale et par la générosité désordonnée des excités maniaques et des paralytiques au début. S’ils donnent, c’est qu’il ne leur en coûte rien s’ils veulent faire le bonheur du genre humain, guérir les malades ou ressusciter les morts, c’est pour faire éclater leur toute-puissance mais on ne doit leur demander ni dévouement ni sacrifice; au contraire, il faut s’attendre de leur part à toutes les ruses et à toutes les violences pour satisfaire leurs intérêts personnels. Même dans les passions de l’amour et dans les sentiments religieux, l’aliéné reste ordinairement égoïste (J. Falret) il est en proie à des préoccupations toutes personnelles de damnation, et croit qu’il a été choisi par Dieu pour remplir une mission divine; il prétend qu’il est aimé d’une personne de famille royale, etc.

Cette altération des sentiments affectifs, cet abaissement moral, qui caractérisent le début des affections mentales et la folie confirmée, ne doivent pas être confondus avec l’imperfection ou l’absence de ces mêmes sentiments qu’on observe chez certains individus atteints de folie raisonnante et appartenant à la catégorie des héréditaires dégénérés de Morel. Ces individus, comme l’a fait remarquer M. J. Falret, sont des êtres incomplètement développés au point de vue moral et souvent aussi au point de vue intellectuel ils présentent quelques facultés brillantes qui en imposent au jugement superficiel du public, mais pour le médecin, ce sont des idiots partiels, et leur histoire ne doit pas être détachée de la description de l’imbécillité et de l’idiotie. La même observation doit être faite pour les périodes raisonnantes de la démence au début il y a dans ces cas une démence partielle analogue à l’idiotie partielle des raisonnants héréditaires. Les altérations de la sensibilité morale se produisent habituellement d’une manière lente et progressive, et c’est après un long espace de temps qu’on voit apparaître le délire et les caractères de la folie confirmée. Il y a cependant des cas nombreux où les choses se passent tout autrement. Dans les accès de folie intermittente, dans la folie circulaire, on voit le trouble cénesthétique s’établir avec une brusquerie extrême; il en est de même chez les malades dits émotifs, où des états d’angoisse, de crainte, de terreur, se produisent soudainement sous l’influence de certaines causes extérieures, et peuvent être l’occasion du [p. 281] développement presque instantané de certaines idées délirantes; il semble que dans ces cas l’évolution vésanique, sans être foncièrement modifiée quant à la succession des phénomènes, présente une rapidité tout à fait insolite.

Lésions de l’intelligence. La partie intellectuelle de notre être n’entre guère en activité, à moins d’être sollicitée par un besoin, un désir, une passion, en un mot, par un état affectif. Cette proposition, vraie pour les événements ordinaires et normaux de la vie psychique, l’est peut-être encore plus pour les grands efforts de l’intelligence ; les créations originales, les découvertes dans les sciences et l’industrie, les productions littéraires et artistiques, ne naissent généralement que dans une intelligence vivement stimulée par des émotions profondes. Après un long travail d’incubation, l’idée apparaît d’une manière brusque, comme un trait de lumière.

Les procédés du développement des idées délirantes se rapprochent beaucoup, dans certains cas, de ce qui a lieu à l’état normal.

La création de l’idée délirante est en effet une sorte de découverte, s’il est permis d’appliquer ce mot à autre chose qu’à la vérité; c’est au moins l’enfantement d’une théorie qui satisfait l’entendement, et paraît résoudre les problèmes qui sont posés par l’état de la sensibilité morale.

Il ne faudrait pas croire cependant que l’intelligence ne soit jamais affectée que secondairement les facultés intellectuelles peuvent être surexcitées, diminuées, abolies ou troublées au même titre que les facultés morales; elles peuvent même être atteintes primitivement, dans les cas où l’affection cérébrale porte sur les régions plus spécialement en rapport avec l’intelligence (paralysie générale et affections cérébrales diverses).

De là une distinction importante entre les aliénés dont l’intelligence est restée relativement saine et dont le délire, suivant l’expression de M. Lasègue, a évolué, d’une manière en quelque sorte psychologique, et ceux chez lesquels les facultés intellectuelles sont radicalement atteintes, chez lesquels les notions psychiques fondamentales relatives au temps et à l’espace sont altérées, chez lesquels les idées s’associent d’une manière illogique et incohérente.

Je reviendrai sur cette distinction, mais je vais d’abord examiner les troubles de l’intelligence qui sont directement en rapport avec les divers états cénesthétiques indiqués dans le chapitre précédent.

L’intelligence, je l’ai dit plus haut, n’entre guère en activité que sous l’influence d’un sentiment, d’un état émotif; mais lorsque cet état émotif devient suffisamment intense il manifeste de plus son action sur l’intelligence en commandant certaines manières de voir, certaines idées ; de là les changements d’opinion qui s’observent à la suite d’émotions vives, de fortes impressions morales, de maladies ; le côté personnel des opinions humaines dépend surtout de ces états de la sensibilité morale, et on peut poser en principe que le degré de subjectivité des conceptions intellectuelles est proportionnel à l’intensité des états passionnels ou émotifs qui existent au moment où elles se forment.

L’excès de subjectivité est la caractéristique des opinions délirantes des aliénés, et cet excès de subjectivité est justement en-rapport avec l’exagération des états céneslhétiques qui marque le début des affections mentales; c’est après l’action plus ou moins prolongée de ce trouble cénesthétique que le malade arrive à enfanter son délire.

Mais à côté de ces cas où les états cénesthétiques stimulent l’activité intellectuelle, il en est d’autres où celle-ci est au contraire comme paralysée sans qu’on [p. 282] puisse aisément reconnaître en quoi ils diffèrent foncièrement des premiers. Tels sont beaucoup de mélancoliques, absorbés plutôt qu’attentifs, comme l’a justement observé Falret père; qui sentent plus qu’ils ne pensent (Esquirol). Il en est de même enfin des cas ou le trouble cénesthétique est extrême ; le rôle de l’intelligence se trouve en quelque sorte annihilé, l’excès du trouble intérieur se répand de suite en manifestations externes, automatiques et multiples, langage incohérent, actes bizarres, désordonnés et violents, etc., ou, au contraire, se traduisant par une mimique muette, aboutit à la stupidité vraie dans laquelle il y a à la fois inertie de tous les moyens d’expression et inertie de l’intelligence.

Il faut donc que le trouble de la sensibilité morale ne dépasse pas un certain degré pour que l’activité de l’intelligence soit augmentée c’est ce qu’on observe dans les états d’excitation maniaque modérée où la loquacité est intarissable, où les idées se présentent en foule, où les traits d’esprit, les plaisanteries, semblent couler de source, où les souvenirs acquièrent une précision extraordinaire.

Pour être moins apparente, l’activité intellectuelle n’existe pas moins chez certains mélancoliques dont la méditation concentrée aboutit, comme je l’ai dit plus haut, à l’enfantement d’un délire plus ou moins compliqué. Mais c’est surtout dans les états cénesthétiques mixtes propres aux persécutés qu’on voit l’intelligence créer les conceptions délirantes les plus extraordinaires et les plus complexes.

Il serait oiseux de chercher à passer en revue toutes les idées délirantes qu’on peut rencontrer chez les aliénés, le nombre en est infini, mais il en est tout autrement, si on les répartit en catégories, et la classification des idées délirantes, quelque difficile qu’elle soit dans l’état actuel de la science, ne nous paraît pas un problème insoluble.

Sous l’influence des états douloureux de la sensibilité morale les sentiments affectifs s’altèrent, l’intelligence ne peut plus s’appliquer aux occupations habituelles, et les malades qui ont conscience de ce trouble général sont portés à se considérer comme indignes, incapables. Ne trouvant aucune satisfaction ni en eux-mêmes ni en dehors d’eux, ils tombent dans le désespoir, le tœdium vitœ. Ils attachent une importance exagérée à certains faits réels dont ils ont gardé le souvenir pénible, ou ils interprètent dans les mêmes dispositions d’esprit un événement fortuit qu’ils jugent devoir motiver pour eux une accusation et une condamnation. Souvent ainsi il y a un point de départ réel dans les délires mélancoliques, avec idées de culpabilité, d’indignité, de ruine, de damnation, et tendance au suicide.

Tel est, en général, le cercle assez restreint des idées délirantes qui s’observent dans la mélancolie simple.

Lorsqu’à l’état mélancolique viennent s’ajouter des troubles sensoriels, un nouvel aliment est fourni à l’intelligence soit par diverses sensations viscérales (hypochondrie), soit par des hallucinations des divers sens. Ces sensations maladives et ces hallucinations peuvent-elles être primitives ou bien n’apparaissent-elles jamais que secondairement après les lésions de la sensibilité morale et même de l’intelligence ?

Je ne veux point aborder cette question obscure ; quoi qu’il en soit, lorsqu’elles existent, elles fournissent un aliment considérable au délire c’est dans ces cas qu’apparaissent les conceptions variées des hypochondriaques et des [p. 283] persécutés, les idées de possession démoniaque, d’animaux vivants renfermés dans les viscères abdominaux, de fluides, d’électricité, de magnétisme, de poudres vénéneuses, etc., etc.

Les troubles intellectuels de cette espèce forment une catégorie assez nette, à cause de leur caractère doublement subjectif par le substratum hallucinatoire et par l’interprétation délirante. Ils présentent encore ceci de particulier que trouvant toujours de nouveaux aliments dans les hallucinations des divers sens, il se compliquent de plus en plus. Les malades, confinés dans la vie intérieure, finissent par se servir d’un langage particulier indéchiffrable pour qui n’a a pas assisté à la lente évolution de leur délire, langage rempli d’expressions bizarres et même de mots dépourvus de sens.

Mais, pour que cette évolution se produise, il faut que les hallucinations ne soient pas simplement un épiphénomène surajouté au trouble moral et intellectuel, qu’elles ne soient pas seulement confirmatives d’un état mental préexistant, comme cela arrive dans les cas de mélancolie simple ; il est nécessaire qu’elles apparaissent d’une façon automatique et indépendante dans une certaine mesure c’est à cette condition que naissent les idées de possession démoniaque, que le sentiment de la personnalité s’altère, les hallucinations de l’ouïe représentant un automatisme mental qui empiète de plus en plus sur le domaine de l’ancien moi.

Sous l’influence d’un état cénesthétique directement opposé à celui qui engendre les délires de nature triste, naissent les idées de satisfaction et de grandeur. Les malades expriment un sentiment de bien-être extraordinaire ils prétendent jouir d’une santé parfaite, ils sont fiers de leur force et de leur beauté physiques, leur intelligence est supérieure, ils sont des hommes de génie, tout leur est facile, la fortune, les honneurs ne peuvent leur manquer, ils ont tout ce qu’un homme peut désirer; leur puissance même dépasse les limites de la nature humaine, ils peuvent faire des miracles, ils sont des dieux. Le monde extérieur se transforme également, le genre humain tout entier est appelé à partager leur bonheur.

Le délire s’étend ainsi à tout ce qui les entoure. De même, on voit les mélancoliques avec idées de ruine et de culpabilité étendre leurs craintes à leurs parents, à leurs amis, à tout ce qui les entoure, annoncer la fin du monde et le jugement dernier.

La mégalomanie des persécutés chroniques repose habituellement, comme je l’ai dit plus haut, sur un état cénesthétique mixte, et s’allie avec des conceptions de nature triste. Elle diffère notablement de la satisfaction sans mélange des paralytiques et des circulaires. Des états mixtes se rencontrent cependant aussi dans la paralysie générale où, tout en gardant la forme spéciale du délire ambitieux, les conceptions peuvent être de nature triste les malades prétendent qu’on leur a volé des millions, qu’ils ont été attaqués et tués par des géants d’une taille et d’une force colossales, qu’ils ont dans le corps des millions d’animaux qui les rongent, etc.

Une distinction importante mise en lumière surtout par M. J. Falret doit être établie entre les conceptions ambitieuses des paralytiques, multiples, mobiles et contradictoires, et le délire systématique des mégalomaniaques. Cette différence tient surtout à l’affaiblissement considérable de l’intelligence des paralytiques. Ils ne peuvent ni coordonner leurs conceptions présentes, ni les rattacher logiquement à leurs conceptions passées. [p. 284]

Je reviendrai sur ce point en parlant de l’incohérence des idées et du langage chez les aliénés.

Les indications succinctes que nous venons de donner sur les idées délirantes, tristes ou gaies, qu’engendrent les divers troubles de la sensibilité morale, sur les états de dépression ou d’exaltation du moi, nous conduisent directement à parler des altérations de la personnalité.

Le sentiment de l’identité personnelle résulte principalement de la notion de continuité, et cette notion de continuité est fortement ébranlée par la transformation profonde que la maladie imprime à l’état moral, aux sentiments et aux pensées. II peut arriver ainsi que le complexus d’idées maladives qui constitue le nouveau moi se rattache moins aisément à l’ancien moi qu’à telle ou telle autre personnalité réelle ou imaginaire, restée gravée dans la mémoire.

Un mélancolique obsédé par des idées de culpabilité et de damnation en vient à croire qu’il est l’Antéchrist, qu’il est le diable. Un mégalomane arrivera, par un procédé analogue, à penser qu’il est un grand personnage, qu’il a une origine illustre, que sa famille n’est pas celle qu’on lui attribue, etc. Il croira qu’il est Jésus-Christ, Charlemagne ou Napoléon, qu’il est roi, empereur, Dieu.

Je n’ai pas besoin d’ajouter qu’en même temps que leur personnalité se transforme la plupart des aliénés font subir une transformation adéquate aux personnes qui les entourent.

Ces altérations de la personnalité sont en rapport direct avec le trouble cénesthétique et le délire préexistants. Il n’en est pas tout à fait de même dans les cas où les hallucinations fournissent un contingent important à l’évolution du trouble mental.

L’hallucination vraie (je ne parle pas des sensations subjectives simples) dérive d’un automatisme intellectuel et entraîne, à son tour, le dialogue intérieur et le dédoublement de la personnalité qu’on rencontre si souvent dans l’aliénation chronique. Il semble, chez certains individus, que l’ancien moi soit constamment en butte aux empiétements de cette activité cérébrale indépendante qui tend sans cesse à se substituer à lui. Les malades se plaignent qu’on en veut à leur personnalité, qu’on veut les changer, leur ravir leur nom, etc.

Ce dédoublement de la personnalité prend fréquemment une forme manichéique. C’est l’esprit du bien et l’esprit du mal qui sont en lutte. Dans des périodes très-avancées de la maladie, il arrive quelquefois, par les progrès de l’automatisme, que, le moi étant réduit à une entière passivité, la lutte entre le bien et le mal (voix bonnes et mauvaises conseillères) continue néanmoins : l’activité psychique se trouve alors fragmentée en trois parties. De plus, de nouvelles conceptions sont à chaque instant suggérées par l’imprévu de l’automatisme hallucinatoire. De là, l’étonnante complexité des délires qui se produisent dans ces conditions. Les malades imaginent et s’attribuent les biographies les plus singulières et finissent (généralement lorsque les idées de grandeur ont pris le dessus sur les idées de persécution) par renoncer à leur personnalité ancienne.

A côté de ces changements de la personnalité, on rencontre fréquemment chez les aliénés diverses autres lésions du sens intime. Dans certaines formes de folie, le plus souvent dans la paralysie générale, il n’est pas rare que la conscience du moisoit profondément altérée certains malades prétendent qu’ils sont morts ; d’autres ne parlent plus d’eux-mêmes qu’à la troisième personne et comme d’une chose inanimée. [p. 285]

Le sens intime est donc sujet aux illusions et aux hallucinations tantôt le moi semble aboli, tantôt il est dédoublé, tantôt il est altéré dans sa continuité. L’argument sur lequel Berkeley appuyait sa réfutation du matérialisme pourrait être reproduit sous une forme analogue contre le spiritualisme, puisque le sens intime n’est pas moins que nos sens externes sujet à l’illusion et à l’erreur.

Il faut rapprocher de ces altérations du sens intime les délires hypochondriaques des malades qui prétendent n’avoir plus de bouche, ni d’estomac, ni de cerveau ; les idées de transformation de certaines parties du corps ou du corps tout entier en substances diverses, les idées de grossissement ou de diminution de volume, d’augmentation ou de diminution de poids du corps, etc. Ces délires paraissent liés à des altérations des sensations internes dont l’ensemble contribue à constituer à l’état normal la notion du moi. Les mêmes paralytiques qui disent n’avoir plus de gosier, plus d’intestins, être bouchés, finissent par déclarer qu’ils sont morts, et cette dernière conception paraît de même nature que leur délire hypochondriaque, elle en est le plus haut degré.

Chez d’autres malades, il semble qu’il y ait une sorte d’hyperesthésie du sens intime; certains phénomènes psychiques normalement inconscients se trouvent alors perçus au même titre que le sont, à l’état maladif, divers phénomènes viscéraux, tels que les battements cardiaques, le travail de la digestion, etc.

Il est fréquent d’entendre ces malades parler de la sensation qu’ils éprouvent, d’idées qui leur sont suggérées ou retirées avant même d’être nées ; on devine leurs pensées, on les leur vole, avant qu’elles soient formées ; il semble qu’ils assistent à ce travail obscur qui prépare et précède l’éclosion des pensées. Dans l’impossibilité où ils sont d’exprimer des sensations qui n’ont point d’analogue à l’état physiologique, quelques-uns de ces malades se servent d’expressions singulières, ils parlent du sens de la penséecomme d’un sixième sens.

Un fait assez important à noter, c’est que ces malades perdent le sentiment de la liberté morale; ils déclarent qu’ils ont perdu la liberté intérieure de leurs pensées et gémissent de cette servitude de leur âme. C’est qu’en effet le sentiment du libre arbitre paraît résulter surtout de l’ignorance ou nous sommes des phénomènes psychiques inconscients qui précèdent et commandent nos pensées et nos déterminations.

Dans la chaine que constitue la succession des actes psychiques, quelques anneaux seulement sont aperçus par la conscience nous les croyons indépendants, nous croyons qu’ils forment le commencement de la chaîne, le premier acte psychique conscient nous semble une cause première, parce que nous ne voyons pas les chaînons antécédents auxquels ils sont liés et qui restent plongés dans les ténèbres de l’inconscient.

Aussi, chez les malades dont j’ai parlé tout à l’heure, le sentiment de l’indépendance des actes psychiques s’altère à mesure que la conscience pénètre plus profondément dans les racines de la pensée.

Les sensations maladives que fournit le sens intime engendrent à leur tour des conceptions doublement délirantes elles-mêmes sont anomales, et l’intelligence qui les apprécie n’est pas moins altérée. Ce sont des ennemis, des persécuteurs, que les malades accusent de leur ravir leurs pensées ou de leur en suggérer de nouvelles, comme ils les accusent des diverses hallucinations qui les obsèdent. Lors même que le sens intime ne présente aucune des altérations mentionnées précédemment, il est rare que les malades n’aient pas une [p. 286] inconscience complète de leur état maladif, et ne prétendent pas être parfaitement sains d’esprit. Ce fait a même été considéré comme caractéristique de l’aliénation mentale. Il y a cependant un nombre assez considérable d’aliénés qui, au moins à certaines périodes de la maladie, ont conscience de l’altération de leurs facultés mentales (J. Falret, Soc. méd.-psych., 1866 ; Discussion à la Soc. méd.-psych., 1869-70).

On peut admettre comme règle générale que la conscience du caractère maladif du trouble mental appartient surtout aux aliénés atteints de mélancolie, chez lesquels la maladie se manifeste par des sensations incommodes, pénibles ou douloureuses.

Dans la période mélancolique initiale, un assez grand nombre de malades ont conscience de l’invasion du trouble mental. On observe aussi le même fait avant les accès des formes intermittentes, surtout lorsque les malades ont eu des accès antérieurs. Beaucoup de ces malades se rendent un compte assez exact de ce qui va leur arriver et demandent quelquefois eux-mêmes leur placement dans un établissement spécial. Il en est aussi de même dans certains cas pour les courts accès de fureur maniaque qui appartiennent le plus souvent à l’épilepsie. Dans la période mélancolique initiale de la paralysie générale, quelques malades paraissent juger assez exactement leur situation ; ils ont conscience du trouble commençant de leurs facultés, de leur inaptitude au travail, de l’affaiblissement de leur mémoire, de l’embarras de leur prononciation, ils expriment la crainte de devenir fous ; il y en a qui répètent sans cesse qu’ils se ramollissent, qu’ils sont perdus. Cette conscience plus ou moins confuse de leur état maladif disparaît totalement dès que la phase ordinaire d’excitation maniaque vient remplacer la mélancolie du début. Les malades déclarent alors qu’ils sont guéris, ils s’irritent, si on les considère comme malades, et déclarent qu’ils ne se sont jamais aussi bien portés.

On conçoit aisément que les excités maniaques qui éprouvent un sentiment de bien-être général, de force physique et morale, qui se sentent comme rajeunis par l’activité des fonctions organiques et par la nouvelle vigueur de tous leurs appétits, ne puissent manquer d’être dupes d’un semblable état. Leur famille partage les mêmes illusions tant que des troubles intellectuels graves ne se sont pas produits.

Il est impossible, en effet, de se juger malade, à moins d’éprouver un malaise quelconque, à moins d’être affecté péniblement, soit par des sensations douloureuses, soit par l’affaiblissement, le désordre ou la perte de quelque faculté physique ou morale.

Mais il ne faut pas seulement que les malades sentent que leur santé est altérée, il faut que leur intelligence ait conservé assez de lucidité pour juger sainement de la nature du trouble maladif. Beaucoup d’individus, tout en admettant qu’ils sont malades, attribuent l’altération de leur santé à des causes chimériques, suivant la nature de leur délire hypochondriaque ou de persécution. Dans les cas de folie avec conscience, le trouble pathologique existe plutôt dans les sentiments et dans les actes que dans l’intelligence proprement dite. Les désordres intellectuels qui se manifestent dans quelques cas sont très-limités et se bornent à des idées isolées, généralement liées à un état émotif et qui se présentent avec une obsession fatigante.

M. Billod a rapporté des exemples curieux de ce genre. Ce sont des idées que les malades reconnaissent fausses, mais dont ils ne peuvent se débarrasser, des [p. 287] craintes auxquelles ils ne peuvent se soustraire, des impulsions qu’ils déplorent, mais qu’ils ne peuvent maîtriser.

En général, comme l’a dit M. J. Falret (hypochondrie morale avec conscience de son état, Soc. méd.-psych., 1866), le trouble mental repose sur le fond commun de la mélancolie.

Exceptionnellement quelques maniaques, au milieu de leur agitation et de leur loquacité désordonnée, déclarent qu’ils sont fous. Mais le trouble de leur intelligence est trop grand pour qu’on puisse admettre qu’ils aient réellement conscience de leur état.

Les diverses lésions intellectuelles, les diverses idées délirantes que nous venons de passer en revue sont compatibles avec un degré quelquefois très-considérable de lucidité. Les malades tiennent des discours raisonnables, dissimulent leurs idées délirantes, ou bien, lorsqu’ils consentent à les communiquer, leur donnent une apparence de logique et sont prêts à les justifier par de longues argumentations.

Les facultés intellectuelles ne sont donc pas atteintes dans leur totalité, il y a, suivant les expressions usitées, délire partiel, lésion partielle de l’intelligence ou monomanie.

Il ne faudrait pas croire cependant que des idées délirantes pussent rester absolument isolées dans une intelligence saine d’ailleurs. D’après Falret, il n’y a pas de délire qui ne suppose une altération générale de l’intelligence. Cette opinion est justifiée par le mode de genèse des idées délirantes c’est d’abord une exaltation maladive de la sensibilité morale, puis un travail de l’ensemble des facultés intellectuelles aboutissant à la production du délire. Ce n’est point telle ou telle faculté de l’intelligence qui est lésée dans les cas qualifiés de délire partiel, c’est l’intelligence tout entière anormalement stimulée qui finit par concevoir une idée délirante. L’unicité du délire ne doit pas faire croire à une lésion partielle, car l’ensemble des facultés est nécessaire pour la moindre conception intellectuelle. Est-il besoin d’ajouter que l’altération grave d’une des facultés de l’intelligence entraînerait un délire général ?

Il faut distinguer dans l’intelligence, d’une part, les diverses facultés ou fonctions de l’entendement, et d’autre part, les résultats acquis, les connaissances, les opinions, etc. Si au lieu de considérer les facultés on examine l’ensemble des connaissances et des opinions, on peut admettre qu’il y a désordre partiel lorsque quelque idée délirante s’est produite sous l’influence d’un processus pathologique.

Même à ce point de vue, la lésion reste rarement isolée; en effet, les conceptions maladives réagissent sur les notions antérieurement acquises et indirectement sur les facultés de l’entendement. La tendance à la coordination logique et à l’unité qui est inhérente à notre nature intellectuelle fait dévier les diverses conceptions dans le sens de la conviction la plus forte, dans le sens du délire chez les aliénés. C’est là la systématisation des idées délirantes, mais il ne peut y avoir de systématisation logique parfaite, surtout lorsque les hallucinations fournissent constamment de nouvelles conceptions difficilement assimilables aux convictions antérieures.

Au contraire, la coexistence permanente de convictions incompatibles finit par amener la déchéance des facultés logiques et l’abaissement intellectuel. Cette dégradation de l’intelligence vient ainsi s’ajouter à l’abaissement moral que nous avons déjà signalé chez l’aliéné. Confiné dans sa rêverie égoïste, l’aliéné s’isole [p. 288] de plus en plus du monde réel; il n’a plus ni les soucis, ni les préoccupations ni les affections de l’homme sain d’esprit; aussi, même en dehors de ses idées délirantes, se distingue-t-il par une foule de lacunes, d’omissions, en un mot, de caractères négatifs (Falret).

Les conceptions des délirants partiels considérées en elles-mêmes se rapprochent à certains égards des erreurs de l’homme sain, et l’on conçoit que Leuret ait pu soutenir qu’elles étaient de même nature. Elles en diffèrent surtout par leur énormité, par leur absurdité choquante pour le sens commun, par leur incompatibilité avec les opinions du commun des hommes, et enfin par leur apparition, leur évolution et leur succession suivant un ordre déterminé par la maladie qui leur a donné naissance. Mais le mécanisme de la production des idées délirantes ne diffère pas foncièrement du mode habituel de formation des opinions erronées.

Dans ces deux cas la conviction pénètre, non par l’entendement, mais par le sentiment. « Il y a deux entrées, à dit Pascal dans son admirable fragment sur l’art de persuader, par où les opinions sont reçues dans l’âme, qui sont ses deux principales puissances, l’entendement et la volonté (l’esprit et le cœur). La plus naturelle est celle de l’entendement, car on ne devrait jamais consentir qu’aux vérités démontrées, mais la plus ordinaire est celle de la volonté, car tout ce qu’il y a d’hommes sont presque toujours emportés à croire non par la preuve, mais par l’agrément. »

L’existence de convictions erronées, d’idées délirantes, est donc la marque de la prépondérance du sentiment et de la faiblesse relative de l’intelligence. Cet affaiblissement relatif est général chez les aliénés. Il est démontré par la coexistence chez le même individu de convictions logiquement incompatibles. Là où il parait le moindre, dans les délires partiels, il s’en, faut de beaucoup, comme l’a remarqué Falret, que l’aliéné motive convenablement son délire, qu’il déduise logiquement toutes les conséquences de ses prémisses; il y a une foule de lacunes, d’inconséquences, de contradictions qui révolteraient un homme sain d’esprit.

Il ne faut point s’en laisser imposer par la facilité d’élocution, par les traits d’esprit, par la précision des souvenirs de certains aliénés. Un examen attentif démontre que chez eux les facultés logiques sont plus ou moins gravement atteintes.

Théoriquement, on ne peut donc établir de séparation absolue entre les aliénés incohérents et les délirants partiels. Il y a seulement une différence de degré dans l’affaiblissement intellectuel et dans le défaut de cohérence logique. C’est ce qui apparaît clairement dans les paroxysmes des délires partiels il suffit d’un degré d’excitation de plus pour que le délire semble devenir général.

Mais il faut distinguer les cas où l’intelligence est directement atteinte, affaiblie radicalement, de ceux où il y a plutôt oppression des facultés intellectuelles par l’exaltation de la sensibilité morale des sentiments et des penchants. C’est particulièrement dans ce dernier cas que le délire peut être partiel. M. le docteur Delasiauve a justement remarqué que les délires partiels correspondaient à des altérations de la partie morale de notre être, tandis que les lésions graves des facultés intellectuelles devaient entraîner un délire général. « Si, dit cet auteur, la lésion porte sur l’intelligence, sapant ainsi la base du raisonnement, l’irrégularité fonctionnelle se trahira d’une manière incessante, à propos de tous [p. 289] les sentiments et de tous les sujets le délire sera nécessairement général, faute d’enchaînement dans les idées. Si, au contraire, l’altération réside dans une ou plusieurs des autres facultés, l’acte logique pourra s’accomplir, l’attention se fixer, le jugement se faire, le raisonnement s’opérer, les déterminations volontaires avoir lieu, un langage coordonné s’ensuivre. Seulement alors, comme dans une passion surexcitée, on verra se former des appréciations vicieuses, s’enraciner des convictions fausses, des croyances ridicules, des appréhensions chimériques surgir des impulsions irrésistibles, s’accomplir des actes bizarres, insensés, funestes le malade extravaguera, tout en conservant le pouvoir de raisonner. Le délire enfin devra être plus ou moins circonscrit, partiel, se renfermer, en un mot, dans le cercle des impressions et des idées afférentes au sentiment affecté. »

L’incohérence peut dans certains cas être plus apparente que réelle, c’est-à-dire exister plutôt dans le langage que dans les idées. Falret a observé que chez les maniaques il y avait souvent une certaine suite dans les idées et que le langage était plutôt elliptique qu’incohérent. Il peut arriver aussi que, violemment sollicité par l’état de la sensibilité morale, l’organe du langage fonctionne sans participation suffisante de l’intelligence, suivant le mécanisme que j’ai indiqué précédemment.

La remarque de Falret est surtout vraie pour les aliénés chroniques, à délire systématisé très-ancien, dont le langage plein de sous-entendus, d’ellipses, paraît au premier abord incohérent. Dans certaines affections cérébrales, dans la paralysie générale, il peut arriver aussi que le langage soit plus gravement atteint que l’intelligence ; les malades emploient les mots les uns pour les autres, beaucoup d’expressions échappent à leur mémoire, et, si on en juge par le langage parlé ou écrit, l’affaiblissement de leur intelligence paraît plus considérable encore qu’il n’est réellement.

Je ne veux point m’arrêter à ces cas où l’intelligence est directement atteinte par l’affection cérébrale ; ils appartiennent à l’histoire de l’IDIOTIE, de la DÉMENCE et de la PARALYSIE GÉNÉRALE (voy.ces mots). L’affaiblissement des facultés intellectuelles est alors marqué par la perte de la mémoire, par l’altération des notions psychiques fondamentales de l’espace et du temps (J. Falret).

Je dois cependant indiquer l’influence que cet affaiblissement radical de l’intelligence exerce sur le délire; les notions antérieures étant plus ou moins effacées, les facultés logiques profondément altérées, les conceptions délirantes les plus absurdes et les plus contradictoires apparaissent d’un moment à l’autre et sans rencontrer la résistance qu’opposent, à l’état normal, les notions psychiques fondamentales qui servent d’éléments de contraste ou de critique pour les produits de l’imagination. Cette longue période d’incubation qui précède l’apparition des délires partiels et leurs transformations est ici supprimée il suffit de la moindre sollicitation de la sensibilité morale pour faire éclore des conceptions correspondantes, quelles qu’en soient l’incohérence et l’absurdité, jusqu’au moment où toute activité intellectuelle est supprimée par les progrès de l’affection cérébrale.

Les altérations de la mémoire mériteraient de nous arrêter plus longtemps, car elles n’appartiennent pas seulement aux débilités intellectuelles. Un grand nombre d’accès de trouble mental sont suivis d’oubli plus ou moins complet, tandis que pour d’autres le souvenir persiste. Je me bornerai à renvoyer le lecteur à l’article Amnésie où tous ces faits ont été étudiés avec le plus grand soin. [p. 290]

Des actes. A l’état normal, l’homme n’agit que sous l’influence d’un besoin, d’un désir, d’une passion, en un mot, d’un mobile moral ou affectif. L’intelligence elle-même n’est pas habituellement le point de départ de notre activité, elle sert seulement à la diriger de manière à satisfaire efficacement aux sollicitations des mobiles affectifs. Le désordre des actes est la conséquence inévitable de l’altération de ces deux facteurs de notre activité volontaire. Mais il faut encore tenir compte d’un troisième facteur, je veux parler des états pathologiques qui peuvent frapper l’activité volontaire elle-même, la disposition à agir (Billod, Maladies de la volonté, in Ann. méd.-psych., 1847). Tantôt, en effet, on observe une augmentation de cette activité, un besoin de mouvement incessant, une loquacité intarissable, une tendance à l’emportement et aux violences de toutes sortes, tantôt, au contraire, il y a une inertie et une paresse invincibles, les malades restent immobiles et ne veulent plus prendre la peine de s’habiller ni même de se nourrir. Dans ces deux cas opposés, la suractivité et l’inertie ne sont point suffisamment expliqués par les troubles intellectuels et moraux. Il faut donc établir pour les actes volontaires une distinction analogue a celle que nous avons indiquée pour les manifestations mimiques on involontaires. En général, ces deux ordres de manifestations extérieures se suivent parallèlement; les aliénés expansifs passent plus facilement à l’action que les malades concentrés. Ceux-ci peuvent méditer pendant longtemps un acte violent, suicide ou homicide, mais ils ne le mettent guère à, exécution que sous l’influence d’une excitation quelconque, spontanée ou toxique (alcool).

On ne saurait classer exactement les actes des aliénés en trois catégories correspondant à ces trois origines de l’activité volontaire. Il n’est guère d’acte pour lesquels elles ne concourent plus ou moins toutes les trois, il y a seulement une prédominance plus ou moins marquée qui nous permet, cette réserve étant faite, d’examiner les actes délirants dans leurs rapports : 1° avec le trouble de la partie morale de notre être ; 2° avec le trouble de l’intelligence ; 3° avec les lésions de l’activité volontaire elle-même.

Le désordre des actes en rapport avec la perversion des sentiments et des penchants caractérise particulièrement la folie morale ou folie raisonnante (voy. MANIE RAISONNATE et MANIE IMPULSIVE). Mais il n’est guère de forme de vésanie où l’on ne puisse observer des’ altérations dans la manière d’être et de se conduire dépendant plutôt du trouble moral que de conceptions délirantes déterminées.

Le début des affections mentales est souvent marqué par le changement du caractère et de la manière de vivre avant qu’il y ait de désordre intellectuel manifeste. Sous l’influence d’états cénesthétiques douloureux, les malades s’isolent, négligent leurs occupations, manquent à leurs devoirs, a chaque instant ils pèchent par omission en raison de l’altération de leurs sentiments affectifs.

Les excités maniaques, au contraire, animés d’une confiance sans borne en eux-mêmes, sont toujours disposés à se mettre en avant, écrivent lettres sur lettres, s’affublent de vêtements et de parures bizarres, font des visites à des personnes qu’ils connaissent à peine, entreprennent des spéculations hasardeuses, s’occupent de mille choses qui sont étrangères à leur vie habituelle.

Les excès vénériens et alcooliques; les perversions génitales, les actes bizarres et malfaisants de toute nature exécutés et dissimulés avec des ressources intellectuelles quelquefois extraordinaires, marquent, en même temps que la conservation [p. 291] relative de l’intelligence, l’altération des facultés morales et la prédominance des instincts inférieurs sur les sentiments élevés.

Chez certains individus, le suicide et l’homicide sont l’objet d’une appétence maladive et ne sont justifiés par aucun délire intellectuel appréciable. Il arrive même que les idées délirantes, lorsqu’elles existent, ne sont qu’accessoires, secondaires, justificatives d’un acte dont elles ne sont nullement l’origine. C’est ce qu’on observe notamment dans les familles de suicides; l’impulsion héréditaire est le fait principal, le délire intellectuel peut varier ou même faire défaut.

Quelques malades font des efforts désespérés pour résister à ces impulsions. D’autres après un acte violent, après avoir brisé des objets inanimés ou commis un meurtre, éprouvent un soulagement, une sorte de détente du système nerveux.

L’imitation peut quelquefois provoquer l’explosion de ces impulsions maladives chez des individus prédisposés. On en a cité de nombreux exemples pour le suicide et l’homicide. Il suffit que l’imagination ait été fortement impressionnée par un acte de ce genre pour que la propension à le commettre se produise. M. le professeur Lasègue a fait observer que la pensée habituelle de la mort et même la crainte de la mort conduisaient fréquemment au suicide.

Quoique l’origine de ces divers actes délirants soit dans le trouble des qualités morales, l’état de l’intelligence leur imprime néanmoins une marque particulière les vols, les excès vénériens des déments et des paralytiques au début, chez lesquels l’intelligence est affaiblie, diffèrent considérablement par leur modus faciendides mêmes actes commis par des raisonnants héréditaires ou par des hystériques.

Les actes délirants de la seconde catégorie sont en rapport direct avec les troubles intellectuels. Ils présentent en eux-mêmes, dans leur succession et dans leur exécution, un caractère plus ou moins logique ou plus ou moins absurde suivant l’altération des facultés intellectuelles et le degré d’incohérence ou de systématisation des conceptions délirantes.

Dans les délires partiels les actes peuvent dévoiler l’existence du trouble mental bien avant que celui-ci se soit manifesté dans les discours.

Morel cite l’exemple d’un hypochondriaque qui remplissait des fonctions importantes et dont le premier soin, en se levant, était d’observer ses urines, d’examiner au microscope ses déjections, et, après ces premières investigations, de procéder à l’analyse des aliments qu’on lui apportait, pour voir s’ils ne renfermaient aucune substance délétère. Avant de se rendre à la chaire qu’il occupait dans le haut enseignement, cet hypochondriaque parcourait la ville en différents sens afin de dépister ses ennemis il coudoyait en passant les personnes qui lui étaient suspectes, et crachait pour ne pas absorber les miasmes funestes qu’on lui envoyait. Il prononçait des paroles cabalistiques, faisait des gestes bizarres pour déjouer les projets funestes de ses ennemis, et surtout pour tromper la police, acharnée à sa perte, disait-il. En l’entendant professer, personne n’aurait pu soupçonner une pareille maladie. Lorsqu’il rentrait le soir, il se barricadait chez lui, vivait avec des aliments qu’il achetait tantôt dans un endroit, tantôt dans un autre, pour mettre à néant les complots de ses empoisonneurs il se relevait la nuit pour faire des ablutions et se livrer à d’autres actes excentriques.

Les actes violents, le suicide, l’homicide, sont fréquemment en rapport avec des conceptions délirantes. Ce n’est plus seulement un penchant aveugle un [p 292] persécuté devenu persécuteur tue celui qu’il considère comme le chef de la conspiration ourdie contre lui. Un mélancolique frappe mortellement une personne inconnue afin d’être guillotiné. Un autre tue ses enfants pour les envoyer au ciel ou pour leur épargner le déshonneur. Un autre, chez lequel prédominent les idées religieuses, s’arrache les parties génitales ou se mutile d’autres parties du corps dans un but d’expiation ou de purification.

Les hallucinations, principalement lorsqu’elles ont un caractère impératif, ont une influence considérable sur les divers actes des aliénés, suicide, homicide, mutilation, refus des aliments, etc.

Les actes, dans ces cas, empruntent à l’hallucination son caractère instantané, imprévu. Des violences subites, des meurtres suivent immédiatement l’ordre reçu. « Un jeune homme, dit Esquirol, qui, depuis six mois, après un accès de manie aiguë, n’avait dit un mot, ni exécuté un mouvement volontaire, saisit une bouteille pleine et la jeta à la tête d’un domestique. Il resta immobile et silencieux et guérit après quelques mois. Je lui demandai alors pourquoi il avait jeté cette bouteille Parce que, me répondit-il, j’entendis une voix qui me dit Si tu tues quelqu’un, tu seras sauvé. Je n’avais pas tué l’homme que je voulais atteindre, mon sort ne voulait pas changer; je restai silencieux et immobile. Au reste, la même voix me répétait sans cesse depuis six mois Si tu bouges, tu es mort. » Beaucoup d’actes singuliers, d’attitudes bizarres, sont ainsi motivés par les hallucinations, des divers sens.

Le refus des aliments, souvent produit par des voix impératives, peut provenir d’hallucinations des autres sens; les malades croient reconnaître des débris humains dans les mets qu’on leur sert, ils y trouvent la saveur du poison, etc.

Pour se protéger contre les hallucinations ou contre certaines influences malignes, des malades se couvrent la tête et les oreilles d’une façon singulière, se bourrent le conduit auditif de coton, de papier mâché, etc. Des femmes se remplissent les parties génitales de cailloux, de morceaux de bois, de débris de toutes sortes. Les sensations hypochondriaques et leur interprétation délirante sont également le point de départ d’une foule d’actes singuliers.

A mesure que le délire systématisé tend à la chronicité, les actes deviennent stéréotypéscomme les conceptions délirantes ; des malades reproduisent chaque jour les mêmes actes, les mêmes attitudes ils marchent des heures entières dans une même ligne, tantôt dans un sens, tantôt dans un autre, et finissent par tracer ces petits sentiers battus qui sillonnent les cours et les jardins des asiles d’aliénés. D’autres répètent à chaque instant les mêmes gestes et y ajoutent souvent quelques mots ou quelques lambeaux de phrases. Ces actes se rapprochent de ceux des déments et des idiots, mais ils doivent en être distingués comme nous avons distingué de l’incohérence vraie l’incohérence apparente des délirants systématisés chroniques.

Un malade, cité par Morel dans ses études cliniques, connu dans l’asile sous le nom de Gémisseur, se tenait habituellement assis sa main gauche tordait convulsivement les pans de son habit ; son bras droit, continuellement en mouvement, répondait au rhythme qu’il imprimait à son pied droit avec lequel il frappait le sol. Ses yeux étaient convulsivement fermés, il ne desserrait pas les dents et poussait de longs gémissements. Lorsqu’on lui en demandait la raison, il disait que c’était pour conserver son allure. Il pensait que, s’il cessait ces diverses manœuvres, ses ennemis auraient droit de mort sur lui. Souvent les [p. 293] malades sont moins explicites et leurs actes, comme leur langage, ne peuvent être compris que de ceux qui ont assisté à l’évolution de leur délire. Lorsque le désordre des facultés intellectuelles ne permet aucune coordination logique, les actes présentent le même caractère d’absurdité et d’incohérence que le langage. Ils cessent même d’être en rapport les uns avec les autres ou avec un but quelconque; des maniaques brisent, frappent, déchirent leurs vêtements, se précipitent par une fenêtre d’une façon plutôt automatique que volontaire. Des déments passent tout leur temps à ramasser des cailloux, des ordures, etc. ; ils se souillent de leurs matières fécales, s’écorchent le visage, répètent constamment les mêmes gestes, comme ils répètent aussi certains mots ou certaines syllabes dépourvues de sens.

Les lésions de l’activité volontaire elles-mêmes s’ajoutent à l’influence des sentiments, des instincts et de l’intelligence, pour produire les actes délirants. Mais il est bien difficile de faire la part de ces altérations de l’activité volontaire. Elles paraissent évidentes dans les cas où les malades en ont conscience et où ils déclarent qu’ils ne peuvent plus vouloir (Aboulie). Chez certains excités maniaques il y a une disposition à l’agitation et au mouvement qui semble dépasser la vivacité de leurs sentiments et de leurs pensées. Quelques-uns de ces malades, des circulaires notamment, dépensent ce besoin d’activité à des futilités, jouent comme des enfants, ramassent du sable, des cailloux, des morceaux de bois, collectionnent toutes sortes de petits objets dont ils remplissent leur chambre, etc. Il faut peut-être ranger dans ces altérations de l’activité volontaire les hésitations perpétuelles qui tourmentent certains malades anxieux et émotifs (J. Falret, Aliénation partielle avec prédominance de la crainte dit contact des objets extérieurs. Legrand du Saulle, Folie du doute avec délire du toucher. (Voy. MONOMANIE). Mais il y a dans cette forme singulière de trouble mental un ensemble très-complexe de symptômes intellectuels et moraux d’une analyse difficile. Les malades qui en sont atteints présentent tous la plus grande analogie par leurs actes hésitation, lenteur, lavage des mains, répugnance à changer de vêtements, crainte du contact des objets extérieurs, etc. Le fonds émotif est également analogue chez tous, mais il n’en est pas de même des idées délirantes, qui sont fort variées. Les conceptions intellectuelles sont donc secondaires, accessoires, justificatives des actes et des dispositions morales, plutôt qu’elles n’en sont l’origine.

Nous venons de passer en revue les principaux éléments psychopathiques. Nous avons tenté de les grouper dans un ordre méthodique suivant leurs affinités et d’après leur ordre d’apparition et d’évolution. Il nous reste à examiner les altérations des sens, des mouvements et de diverses fonctions de l’économie tout entière.

Troubles de la sensibilité. Les états pathologiques du système nerveux qui précèdent l’apparition des troubles psychiques se traduisent fréquemment par une impressionnabilité extrême, par une aptitude à la douleur tant physique que morale, et par des souffrances de toute sorte. Cette impressionnabilité est le fonds sur lequel se développent les troubles de la sensibilité morale, les états émotifs que nous avons signalés au début de cette étude.

Beaucoup de malades se plaignent de céphalalgie, de névralgies diverses (Griesinger). D’autres accusent un état de fatigue extrême, de douleur générale, ils souffrent de partout. Quelquefois ces divers phénomènes douloureux se dissipent quand apparaît le trouble mental ou alternent avec lui. Dans d’autres [p. 294] cas, au contraire, certaines sensations douloureuses se développent en même temps que le trouble psychique et l’accompagnent pendant tout le temps de l’accès. Il n’est pas rare que le début même’ du trouble mental soit signalé par quelque sensation particulière de choc, de déchirement dans l’intérieur du crâne ou par des vertiges (Lasègue).

Les mélancoliques anxieux éprouvent des sensations pénibles dans l’intérieur de la tête, compression comme par un cercle de fer, sensation de vide ou de plénitude exagérée angoisse avec sensation de resserrement et de griffe à la région précordiale.

Les altérations des sensations internes, de la faim, de la soif, sont extrêmement fréquentes chez les aliénés et expliquent le refus des aliments ou la voracité les appétits dépravés sont plus souvent en rapport avec les perversions du goût et de l’odorat, et quelquefois avec des conceptions délirantes.

On ne saurait énumérer les sensations des mélancoliques hypochondriaques, leur sensibilité exaltée leur fait une douleur de chaque impression. La lumière, le moindre bruit, les importunent. D’autres éprouvent une brûlure, un feu intérieur ou bien un froid glacial ou mille autres sensations diverses. L’hyperesthésie n’est pas rare non plus chez les maniaques.

Les persécutés se plaignent de secousses, d’attaques, de sensations bizarres (fluides, électricité, magnétisme) dans les diverses parties du corps. Il est difficile chez eux, comme chez les hypochondriaques, de faire la part du délire et du trouble sensitif, mais celui-ci n’en existe pas moins; il est probable seulement que ces diverses sensations ont leur origine dans l’altération des parties les plus centrales de l’appareil sensitif et les plus voisines des régions dévolues aux phénomènes psychiques. En effet, ces sensations apparaissent à l’occasion d’une penséeet sont intimement liées à l’exercice des facultés mentales. Elles se rapprochent, à cet égard, des hallucinations vraies dont le point de départ est psychique.

Tout autres sont l’hyperesthésie, les douleurs qui accompagnent certaines affections cérébrales, la paralysie générale et très-communément l’hystérie. Elles n’ont souvent d’autre lien avec le. trouble mental que leur commun caractère symptomatique d’une même maladie. Elles peuvent néanmoins et accessoirement recevoir une interprétation délirante; les hystériques croient souvent avoir des animaux dans le ventre, être enceintes, sur le point d’accoucher, etc. J’ai indiqué, dans un chapitre précédent, divers troubles obscurs de la sensibilité, qui font croire aux malades que des parties de leur corps ou leur corps tout entier sont transformés en diverses substances, augmentés ou diminués de poids et de volume. D’autres malades (le plus souvent des paralytiques) croient que leurs organes sont détruits, qu’ils n’ont plus de bouche, plus de dents, plus d’intestins, qu’ils sont morts. Ces dernières conceptions délirantes paraissent liées à l’abolition de la sensibilité, à l’anesthésie.

En dehors des affections cérébrales à grosses lésions et de l’hystérie, l’anesthésie proprement dite est assez rare chez les aliénés ; mais il arrive souvent que, sous l’influence d’une exaltation considérable de la sensibilité intérieure ou d’une torpeur profonde, les impressions externes sont atténuées ou passent inaperçues. Tels sont particulièrement les maniaques très-exaltés, les stupides, les. extatiques, certains idiots et certains déments. Quelques mélancoliques ont conscience de cet état et se plaignent que leur sensibilité est émoussée, ils déclarent que leurs divers sens ne perçoivent plus le monde extérieur que [p. 295] comme à travers un voile. Quelques-uns même se plaignent de ne plus pouvoir souffrir.

Il n’est pas rare de voir des individus atteints de délire partiel, surtout à forme religieuse, supporter volontairement des tortures terribles, se brûler, se mutiler, sans que leur physionomie exprime la souffrance. Ici encore on peut le plus souvent reconnaître que cette insensibilité est liée à un état d’exaltation morale et de passion concentrée.

On a souvent cité le peu de réaction que produisent les traumatismes chez les aliénés, la facilité avec laquelle ils supportaient le froid, les variations de température, sans contracter de phlegmasies viscérales. L’exaltation de la sensibilité morale peut expliquer, jusqu’à un certain point, cette immunité. Un fait analogue se présente à l’état physiologique chez les individus qui sont animés par des passions énergiques, et qui opposent une résistance toute particulière aux influences morbifiques.

Je n’ai jusqu’ici parlé qu’incidemment des illusions et des hallucinations. Ces phénomènes, à la fois psychiques et sensoriels, feront l’objet d’un article spécial (voy. HALLUCINATIONS). Je me bornerai ici à les distinguer en deux catégories les hallucinations vraies et les sensations subjectives. On désigne sous cette dernière dénomination des sensations simples, bruits, bourdonnements d’oreilles, lueurs, odeurs et saveurs désagréables, douleurs dans les diverses parties du corps et dans les viscères, etc. Ces diverses sensations sont souvent l’occasion de conceptions délirantes, mais elles ne portent pas en elles-mêmes la marque d’un travail intellectuel, et peuvent avoir leur point de départ dans des lésions du système nerveux périphérique. Les hallucinations vraies consistent, au contraire, dans des visions d’objets, de personnages, d’animaux, dont l’image est restée dans la mémoire ou qui sont le produit de l’imagination. Pour l’ouïe, ce ne sont plus des détonations, des bourdonnements, ce sont des voix, prononçant des paroles, des phrases ayant un sens déterminé. L’état cérébral qui correspond à la perception des objets extérieurs se produit automatiquement dans ces cas, sous l’influence de la maladie, tantôt pour des images d’objets réels restées dans la mémoire, tantôt pour des conceptions imaginaires.

Cette distinction entre les hallucinations proprement dites et les sensations subjectives est faite quelquefois par les malades eux-mêmes, ainsi que nous l’a souvent fait remarquer M. J. Falret. Des persécutés chroniques hallucinés, se croyant poursuivis et injuriés par leurs ennemis, et souffrant des sensations subjective s de la vue, ont quelquefois conscience du caractère maladif de ces dernières, et les jugent tout autrement que leurs véritables hallucinations. Mais il faut ajouter que quelquefois les sensations subjectives sont comme les sensations externes l’objet d’illusions. Il est alors très-difficile de les distinguer des hallucinations vraies.

Troubles de la motilité. Je n’ai point à décrire ici les convulsions et les paralysies qui appartiennent à l’hystérie, à l’épilepsie, à la chorée, à la paralysie générale, à l’alcoolisme, etc., et qui seront étudiées en même temps que ces diverses affections.

En dehors de ces divers troubles de la sensibilité, Falret a appelé particulièrement l’attention sur les lésions des mouvements dans la folie proprement dite. Ici, comme pour les altérations de la sensibilité, il est difficile de faire la part de ce qui n’est que la conséquence du trouble mental, soit dans les actes volontaires qui succèdent à des conceptions délirantes, soit dans les actes automatiques [p. 296] qui traduisent, l’état intérieur de la sensibilité morale, soit dans les dispositions générales à l’agitation ou à la torpeur.

Le tremblement nerveux, les tics, le strabisme, le nystagmus, les palpitations nerveuses et divers spasmes viscéraux sont assez fréquents chez les individus névropathiques, héréditairement prédisposés à la folie. Nous avons déjà signalé les attitudes bizarres, les mouvements rhythmiques analogues à ceux des idiots, qu’on observe dans l’aliénation chronique et dans la démence. Ces mouvements sont ordinairement en rapport avec des conceptions délirantes et avec des hallucinations mais à la longue, suivant la remarque de M. A. Foville, le phénomène intellectuel s’efface et le mouvement prend de plus en plus le caractère automatique.

Les troubles de la motilité de l’iris seront étudiés à l’occasion de la paralysie générale {voy. ce mot) ; pour les altérations de la voix, je renvoie le lecteur aux articles MANIE et HYSTÉRIE.

Du sommeil. L’insomnie est habituelle dans la période prodomique des affections mentales elle persiste pendant des semaines et des mois chez les maniaques. L’insomnie est fréquente aussi dans la période aiguë de la mélancolie. Même dans les états chroniques, le sommeil est souvent court, entrecoupé, fréquemment troublé par des rêves et des cauchemars. Les rêves sont fréquents chez les individus prédisposés aux affections mentales. Quelquefois même, ils marquent le début de la folie (Baillarger) ; le rêve persiste pour ainsi dire après le réveil et devient le point de départ de conceptions délirantes. La perte de connaissance qui signale l’invasion du sommeil est l’occasion chez quelques aliénés de troubles psychiques. Les uns (émotifs) éprouvent un sentiment de terreur, ils craignent de s’endormir. D’autres (persécutés chroniques), attribuant le sommeil comme les autres phénomènes psychiques à une influence étrangère, se plaignent « qu’on les fait dormir, qu’on les abrutit par le sommeil, etc. »

Tous les auteurs signalent le retour d’un sommeil paisible comme un signe pronostique favorable ou bien comme l’indice du début de la démence. Dans les états de torpeur et d’inertie, dans les périodes de dépression de la folie circulaire, le sommeil est assez souvent profond et prolongé. Il en est de même des états chroniques où l’activité intellectuelle est ralentie. Les phénomènes sensoriels qui marquent le passage de la veille au sommeil (hallucinations hypnagogiques), les hallucinations et les conceptions délirantes des rêves qui présentent tant d’analogie avec les symptômes de la folie (Moreau, Ann. Méd.-psych., 1855), seront étudiés aux articles HLLUCINATIONS et SOMMEIL.

Altérations de la nutrition. Nous avons signalé plus haut l’influence des états moraux, non-seulement sur les fonctions intellectuelles, mais aussi sur les différents viscères et sur l’économie tout entière.

Il suffît d’examiner les différentes périodes que traversent les circulaires pour se rendre compte du lien intime qui relie les états de la sensibilité morale aux phénomènes de la nutrition. Pendant la période d’excitation, ces malades présentent les attributs de la santé physique la plus florissante ; ils mangent avec grand appétit, engraissent, toutes les fonctions organiques s’exercent avec une régularité et une facilité singulières. La période de dépression est marquée par des phénomènes inverses; anorexie, apathie, constipation, amaigrissement, teint blafard ou terreux les malades semblent en quelques jours avoir vieilli de dix ans. En dehors de la folie circulaire, les mêmes modifications organiques [p. 297] accompagnent l’excitation maniaque et les états mélancoliques aigus, ou au moins transitoires. La nutrition est altérée dans tous les cas où la sensibilité morale est elle-même fortement ébranlée. Ces états violents s’atténuent ou disparaissent dans la folie chronique, aussi voit-on revenir à leur état normal, en même temps que le sommeil et l’appétit, les diverses fonctions de l’organisme et la nutrition générale.

L’accélération du pouls et l’augmentation de la température (voy. MANIE et PARALYSIE GÉNÉRALE) caractérisant un véritable état fébrile s’observent dans les délires aigus, chez quelques maniaques et en particulier chez les paralytiques. Dans la folie simple on peut poser en règle générale que le pouls est accéléré chez les maniaques, lent et faible chez les mélancoliques, surtout dans les cas de dépression profonde et de stupeur. Mais cette règle comporte de nombreuses exceptions. L’examen de la température du corps n’a pas, que nous sachions, fourni de données importantes dans la folie simple. Il n’en serait peut-être pas de même de l’étude des températures locales, de l’étude des températures comparées des différentes parties du corps. Chez les maniaques, la tête, les téguments du crâne ou même d’une portion du crâne présentent une augmentation très-sensible de la température relativement au reste du corps. Le même phénomène se présente aussi chez certains mélancoliques anxieux, chez certains hypochondriaques. L’injection de la face, la chaleur de la tête, font un contraste remarquable avec le refroidissement des pieds et des mains.

Morel a observé une mélancolique stupide qui présentait le phénomène suivant la moitié de son corps était quelquefois brûlante, tandis que l’autre moitié était froide. Les parties dont la température était augmentée étaient en même temps très-rouges la malade disait qu’elle brûlait.

Ces altérations locales de la température sont dues à des troubles nerveux de l’appareil circulatoire et s’accompagnent fréquemment de palpitations nerveuses du cœur, de pulsations abdominales, de battements dans la tête, etc.

Les sécrétions cutanées sont quelquefois modifiées. La peau est ordinairement sèche chez les mélancoliques quelquefois aussi des sueurs locales habituelles se suppriment au début de l’affection mentale. Dans l’aliénation chronique la peau de la face et des mains prend souvent une coloration foncée, terreuse; les sécrétions cutanées exhalent une odeur pénétrante et fétide.

L’augmentation de la sécrétion salivaire, qu’il ne faut pas confondre avec la sputation des maniaques, signale quelquefois le retour à la santé (Foville, Thore). D’autres fois, au contraire, la sialorrhée se montre dans les états chroniques et dans la démence, elle n’est pas rare chez les hystériques et marque quelquefois le début de la démence (Morel).

La sécrétion des larmes est souvent tarie dans les états mélancoliques les malades se plaignent de ne pouvoir plus pleurer, « leurs yeux sont secs comme leur cœur. » D’autres mélancoliques au contraire versent constamment des torrents de larmes. Le retour des larmes est quelquefois un signe pronostic favorable les larmes marquent quelquefois aussi la terminaison d’un paroxysme, notamment chez les hystériques. Chez les maniaques, les larmes ne sont pas rares, elles tarissent vite, et ne sont pas toujours, suivant la judicieuse observation de Morel, l’expression d’une véritable douleur morale. Les larmes sont faciles dans la démence apoplectique et dans la paralysie générale.

Les urines ont été l’objet de nombreuses analyses, sans qu’il soit encore possible d’établir un rapport exact entre leur composition chimique et les diverses [p. 298] formes des maladies mentales. Il paraît cependant vraisemblable que la quantité des phosphates est augmentée dans les cas de manie avec grande agitation et grande dépense de force musculaire et nerveuse, et qu’elle est, au contraire, diminuée dans les cas de stupeur, de démence et d’inertie physique et morale (Sutherland). Il n’est pas très-rare de rencontrer du sucre dans les urines des aliénés. Le diabète, en effet, se complique quelquefois de trouble mental (Marchal de Calvi).

La quantité des urines varie beaucoup, suivant les diverses formes de trouble mental. Ordinairement rares dans les états mélancoliques, elles sont, au contraire, extrêmement abondantes dans les périodes d’affaissement de la paralysie générale (J. Falret), et laissent déposer un sédiment bondant. Cette diurèse considérable paraît en rapport avec l’amaigrissement, la fonte paralytique que subissent les malades cette période.

La menstruation est fréquemment troublée chez les aliénées ; elle est suspendue, irrégulière, pendant les accès de trouble mental, et le retour des règles est quelquefois un signe favorable. Mais bien souvent l’apparition des menstrues ne modifie point le trouble mental, et les époques coïncident au contraire avec des paroxysmes et des actes de violence. C’est quelquefois à une époque menstruelle que le trouble mental fait explosion. Je n’ai pas besoin de rappeler l’influence réelle, mais exagérée, que peut jouer la suppression accidentelle du flux cataménial dans la production de la folie.

Classification nosologique. Les symptômes ou éléments morbides sont essentiellement constitués par des perturbations survenues dans un ou plusieurs organes de l’économie. Ces troubles élémentaires ne sont bien connus que lorsqu’il est possible de les rapporter à une fonction et à un organe déterminés. C’est là l’objet de la physiologie pathologique.

Nous avons vu combien, en médecine mentale, nous sommes encore loin de ce desideratum, et, en conséquence, combien il nous est difficile d’établir une classification anatomo-physiologique des troubles psychiques élémentaires.

Mais il est bien rare qu’un symptôme se présente isolément. Les divers phénomènes morbides s’associent suivant des lois de coexistence et de succession dont la connaissance permet au clinicien de conclure de l’existence de quelques signes à tout un ensemble de faits, de deviner le passé du malade et de prédire l’avenir qui lui est réservé. La détermination de ces ensembles de symptômes est l’objet propre de la nosologie.

Sans retomber dans un ontologisme suranné et en se bornant à constater des rapports de coexistence et de succession, on a pu constituer de vastes groupes de phénomènes morbides présentant dans leur ensemble assez de fixité pour être distingués au milieu de la multitude des faits et désignés d’un nom spécial. Ainsi se sont constitués en pathologie la syphilis, la goutte, le rhumatisme, le cancer, le tubercule, etc., et, en pathologie nerveuse, l’hystérie, l’épilepsie, la paralysie générale, etc.

Ces diverses affections se composent de symptômes multiples dont la connaissance exacte et le pronostic sont impossibles, si l’on se borne à les considérer en eux-mêmes et indépendamment de l’ensemble pathologique auquel ils sont liés. On observe des pleurésies chez les rhumatisants, chez les tuberculeux, chez les cancéreux, etc., et ces pleurésies se révèlent par .les signes analogues; mais le fait commun dans ces cas, c’est-à-dire l’épanchement pleural, est d’importance secondaire à côté de la maladie principale. [p. 299]

En pathologie mentale, la manie hystérique, la manie des circulaires, la manie des paralytiques, etc., malgré leurs caractères communs, ne diffèrent pas moins les unes des autres, et le pronostic se déduit bien moins de l’accident morbide lui-même que de la maladie à laquelle il appartient.

Il y a une grande distinction à établir, a dit récemment M. le professeur Lasègue (Soc. méd. Psych., 12 nov. 1877), entre l’espèce séméiotique et l’espèce pathologique proprement dite la première n’a de valeur qu’en ce qu’elle nous donne les caractères extérieurs d’une affection; la seconde, au contraire, doit nous donner toute l’évolution de la maladie, c’est-à-dire son origine, sa marche, sa durée, son pronostic. etc. Ainsi, en prenant des exemples dans la pathologie générale, l’œdème et l’anasarque ont eu longtemps leur existence propre, quand Bright est venu et a démontré que l’œdème était attaché à une affection des reins. Que nous apprend le symptôme diarrhée ? Rien, quand on l’envisage seul mais quelle importance ne prend-il pas quand nous savons le rattacher à un ensemble symptomatique bien défini, la fièvre typhoïde, par exemple !

Pourquoi ne pas appliquer les mêmes principes à l’étude et à la classification des maladies mentales ?

Le premier pas dans cette voie a été fait par la découverte de la paralysie générale(Bayle, Delaye, Calmeil, 1822-1826). La constitution de ce vaste ensemble symptomatique a réduit au rang de symptômes les anciennes formes admises en pathologie mentale manie, mélancolie, monomanie et démence, qui toutes peuvent se présenter successivement dans son évolution.

La folie circulaireou à double forme(Falret, Baillarger, 1851-1854) constitue également une forme naturelle, quoique peut-être moins nettement délimitée que la précédente. En effet, elle se relie par des nuances insensibles avec les formes intermittentes de la folie, et, d’autre part, dans d’autres espèces de maladies mentales, dans la paralysie générale notamment, on observe souvent des alternances d’exaltation et de dépression qui reproduisent très-exactement le type de la folie circulaire.

Il faut accepter cette imperfection inévitable des classifications nosologiques. Les faits pathologiques ne peuvent se répartir exactement en groupes indépendants les uns des autres. Tel ensemble symptomatique habituellement isolé et indépendant peut dans certains cas se comporter comme un élément morbide et entrer, à ce titre, dans un syndrome plus compréhensif.

L’attention particulière que Falret attachait à la marche de la maladie le conduisit à établir, à côté de la folie circulaire, deux autres formes de maladies mentales les folies intermittenteset les folies à courts accès.

Il est difficile de comprendre pourquoi la folie intermittente n’a pas été généralement admise comme espèce morbide, tandis que la folie circulaire a été reconnue comme telle par la plupart des pathologistes. Le début brusque de l’accès, sa marche continue, sa terminaison rapide; l’analogie des accès successifs, le caractère fréquemment héréditaire de la maladie, constituent incontestablement un ensemble de signes spéciaux suffisants pour que la folie intermittente ait sa place à côté de la folie circulaire dans le cadre nosologique.

Je n’oserais être aussi affirmatif pour la folie intermittente à courts accès séparés par de courtes rémissions. Falret a insisté sur l’incurabilité caractéristique de cette forme. En réalité, cette incurabilité appartient à toutes les formes intermittentes, y compris la circulaire. Dans la folie intermittente à longs intervalles, les guérisons ne sont que des guérisons d’accès; la disposition pathologique [p. 300] du système nerveux persiste, et il ne faut pas prendre pour une récidive l’explosion d’un accès ultérieur. La preuve que cette disposition du système nerveux persiste (et en ceci les folies intermittentes se confondent avec la folie circulaire), c’est que, pendant les intervalles, les malades présentent souvent un état mental particulier. Entre les accès de mélancolie intermittente, on constate souvent un état complémentaire caractérisé par de la satisfaction, de l’activité, de la gaieté, et par un optimisme qui paraît surtout dans la manière dont les malades parlent de leurs accès antérieurs et de leurs accès à venir (J. Falret).

A peu près au même moment où Falret décrivait comme espèces nosologiques les folies intermittente et circulaire, M. Lasègue séparait du groupe confus de la lypémanie toute une catégorie de cas qu’il désigna du nom de délire de persécution. Si l’on a soin de distinguer le délire de persécution proprement dit, idiopathique, des idées de persécution qu’on rencontre dans diverses affections, dans l’alcoolisme, dans l’épilepsie, dans l’hystérie, dans la paralysie générale, etc., et de considérer, en même temps que les conceptions délirantes de persécution qui ont servi à la dénommer l’ensemble de la maladie et son évolution, on reconnaîtra sans peine que cette forme de vésanie se distingue par les caractères les plus nets longue durée, marche rémittente, hallucinations de l’ouïe et de la sensibilité générale (électricité, magnétisme, fluides, etc.), altérations de la personnalité, mégalomanie systématisée, etc.

En 1860, Morel exposa une nouvelle classification des maladies mentales. 11 crut avoir trouvé dans l’étiologie ila vraie caractéristique des espèces nosologiques. II établit suivant ce principe six groupes principaux de maladies mentales :

1° Les aliénations héréditaires, caractérisées par des malformations physiques et morales, par des marques de dégénérescence, et se manifestant surtout par le délire des actes (folie raisonnante, folie morale, folie instinctive, etc.) ;

2° Les aliénations par intoxication (alcoolisme, narcotisme, ergotisme, pellagre, impaludisme, etc.) ;

3° Les aliénations déterminées par la transformation de certaines névroses (folies hystérique, épileptique et hypochondriaque) ;

4° L’aliénation idiopathique (démence consécutive aux maladies chroniques du cerveau; paralysie générale)

5° Les folies sympathiques ;

6° La démence (état terminatif).

D’autres tentatives de classification étiologique ont été faites à l’étranger. Le docteur Skae a essayé d’établir autant ou à peu près de formes distinctes qu’il y a de causes de trouble mental. Cet auteur admet, par exemple, comme autant d’espèces particulières, la folie aménorrhéique, la folie post-connubiale, la folie de grossesse, la folie puerpérale, la folie de lactation, la folie de la ménopause, la folie phthisique, la folie traumatique, etc.

La tentative du docteur Skae montre par son exagération ce qu’il y avait de vicieux dans le principe de Morel.

Les causes de la folie sont obscures et multiples, et on n’est en droit de prendre une condition étiologique comme criterium d’une espèce morbide qu’autant qu’à cette condition étiologique se joignent des caractères symptomatiques spéciaux. C’est ce qui a lieu pour l’alcoolisme, pour l’hystérie, pour l’épilepsie, et peut-être aussi pour la chorée.

La folie hypochondriaque admise par Morel à côté des folies hystérique et épileptique me parait constituer une forme beaucoup plus discutable. En effet, [p. 301] le délire hypochondriaque est le plus souvent un symptôme; on l’observe dans divers états mélancoliques, dans les folies intermittentes, dans les périodes de dépression de la folie circulaire, dans l’hystérie, dans la paralysie générale, etc., et particulièrement dans le délire de persécution. Assurément l’hypochondrie ne saurait être mise sur le même rang que des syndromes tels que l’hystérie et l’épilepsie. Un grand nombre de persécutés sont hypochondriaques au début de leur maladie; c’est là la cause de l’erreur de Morel, qui a vu une transformation de névrose là où il n’y avait qu’une seule maladie en voie d’évolution.

La détermination du groupe des héréditaires est peut-être le plus beau titre de gloire de Morel. Il a démontré que certaines conditions d’hérédité produisent des dégénérescences caractérisées par des malformations physiques (stigmates de l’hérédité) et par des malformations morales imprimant à la folie qui se développe aisément sur ce terrain des caractères et une évolution propres (voy. J. Falret, Responsabilité LÉGALE DES ALIÉNÉS, Aliénés héréditaires. Voy. aussi Legrand du Saulle, Folie héréditaire). Les dégénérés forment donc une catégorie bien distincte parmi les aliénés, même en faisant abstraction des conditions héréditaires qui leur sont habituelles. Je dois cependant faire une réserve : des aliénés notoirement héréditaires, atteints de folie intermittente, par exemple, ne présentent pas de signes appréciables de dégénérescence et ne doivent pas, à notre sens, être confondus avec les vrais dégénérés. On voit par cet exemple le défaut de la classification étiologique qui réunit ces formes distinctes dans le groupe général des héréditaires.

Aussi, sans cependant rien préjuger de l’avenir, ne pouvons-nous considérer aujourd’hui, comme des espèces distinctes, les affections mentales qui paraissent en rapport avec les diverses causes admises dans l’étiologie de la folie état puerpéral, troubles de la menstruation, hémorrhoïdes, excès génitaux, anémie, fièvres graves, érysipèle, rhumatisme, goutte, diabète, phthisie pulmonaire, affections du cœur, etc. La plupart de ces causes ne sont que déterminantes et n’agissent que sur des individus déjà prédisposés; la prédisposition reste la cause principale de la maladie mentale et de la forme qu’elle affecte.

Dans un discours prononcé à la Société médico-psychologique (8 janv. 1866), M. J. Falret appela l’attention sur une forme peu connue de maladie mentale, déjà indiquée par Falret père sous le nom de Maladie du douteet qu’il désigna du nomd’Aliénation partielle avec prédominance de la crainte du contact des objets extérieurs. Cette affection mentale dont M. le docteur Legrand du Saulle vient de donner une nouvelle description (Folie du doute avec délire du toucher) nous paraît devoir constituer une espèce morbide distincte. En effet, c’est une maladie de longue durée, sujette à des paroxysmes et à des rémissions, mais restant toujours identique au fond. Les faits qui y ressortissent forment un groupe assez nettement isolé en pathologie mentale. Nous devons cependant signaler chez quelques persécutés l’existence de symptômes très-voisins de ceux de la maladie du doute craintes des contacts, lavages réitérés, etc.

Le délire émotif de Morel, l’agoraphobie de Westphal, paraissent également constituer des formes spéciales de trouble mental, mais de nouvelles recherches seraient nécessaires pour en préciser davantage les caractères, la marche et les rapports avec le reste de la pathologie mentale. J’en dirai autant de l’hypochondrie morale avec conscience de son état, décrite par M. J. Falret (Soc. méd. psych., 8 janv. 1866).

En résumé, nous voyons que depuis un demi-siècle les efforts des cliniciens [p. 302] ont abouti à la détermination d’un certain nombre d’espèces psychopathiques suffisamment déterminées paralysie générale, folie intermittente et circulaire, délire de persécution, folie héréditaire ou mieux folie des dégénérés, folie alcoolique, folie hystérique, folie épileptique, folie du doute, telles sont les espèces qui nous paraissent les moins contestables.

Elles présentent dans leurs caractères, dans leur évolution, dans leurs terminaisons, une régularité et une constance qui permettent, suivant l’expression de M. J. Falret, de les comparer aux familles naturelles des plantes.

Mais, comme je l’ait fait remarquer tout à l’heure pour la paralysie générale et la folie circulaire, les ensembles symptomatiques qui constituent ces différentes espèces nosologiques sont très-inégalement compréhensifs. Si chacun d’eux existe dans beaucoup de cas à l’état isolé, il n’est pas moins fréquent qu’un de ces syndromes devienne élément symptomatique, partie constituante d’un autre syndrome plus compréhensif. Un épileptique délirant peut être simplement épileptique délirant, mais il peut être aussi épileptique paralytique, épileptique alcoolique, épileptique dégénéré.

Le syndrome qui devient élément d’un ensemble symptomatique plus étendu garde ses caractères principaux, mais subit cependant une modification plus ou moins considérable dans sa forme, sa marche ou sa durée. C’est ce qui a lieu pour la folie circulaire quand elle devient symptomatique de la paralysie générale.

Il y a donc une certaine subordination entre les divers syndromes constitués en pathologie mentale, subordination qui nous permet de les classer en les disposant hiérarchiquement d’après leurs caractères plus ou moins compréhensifs.

Le groupe le plus étendu et le plus compréhensif est incontestablement celui des héréditaires dégénérés. En effet, sur ce terrain de la dégénérescence héréditaire peuvent se développer, en y revêtant toutefois un caractère spécial, la plupart des autres formes de maladies mentales.

La folie hystériqueconstitue également un syndrome très-vaste dans lequel peuvent entrer comme éléments constituants la plupart des autres formes de la folie et les états symptomatiques les plus divers. La folie hystérique n’est pas rare chez les héréditaires dégénérées, et du reste il y a des analogies symptomatiques remarquables entre ces deux formes de folie elles sont caractérisées toutes les deux par la fréquence des états raisonnants, par le délire des actes, par des accès maniaques soudains et quelquefois par l’apparition précoce d’une démence incurable. Ces analogies se manifestent surtout dans les cas hybrides où l’hystérie se développe chez des dégénérées.

Après la dégénérescence héréditaire, l’alcoolisme paraît être la cause la plus fréquente des maladies mentales. L’action de l’alcool, tout en déterminant l’apparition de formes psychopathiques variées, imprime à chacune d’elles des caractères spéciaux qui justifient leur groupement sous la dénomination de folie alcoolique. Mais l’alcoolisme lui-même n’est souvent qu’un résultat de dispositions psychiques anomales ; et s’il faut admettre des alcooliques simples, il faut admettre au même titre des alcooliques dégénérés. Suivant la loi formulée plus haut, l’alcoolisme des dégénérés présente des caractères spéciaux tant au point de vue de l’action de l’alcool sur les facultés mentales que des impulsions maladives à commettre des excès de boisson (dipsomanie). [p. 303]

La paralysie générale, malgré les caractères distinctifs qui la séparent des vésanies proprement dites, n’en constitue pas moins un ensemble symptomatique très-compréhensif l’épilepsie dans ses diverses formes, la folie circulaire et les états psychopathiques les plus divers peuvent lui appartenir à titre de symptômes. Elle-même peut se développer chez les héréditaires et devenir un simple chapitre d’une histoire pathologique plus étendue et plus complexe. Elle se modifie alors et affecte dans ses symptômes et dans sa marche quelque chose de l’allure générale des folies héréditaires (Morel, Doutrebente, J. Falret).

La même observation doit être faite pour la paralysie générale alcoolique.

Les folies intermittenteset particulièrement la folie circulaire, qui peut être considérée comme une variété de ces dernières, nous paraissent, dans l’ordre systématique que nous avons adopté, devoir être placées immédiatement après la paralysie générale. La folie circulaire et la paralysie générale présentent quelquefois de grandes analogies et de véritables difficultés de diagnostic différentiel, soit que la paralysie générale affecte à s’y méprendre les caractères de la folie circulaire, soit que la folie circulaire idiopathique s’accompagne de quelques symptômes physiques, d’un léger embarras de la parole (Baillarger).

Des alternances analogues à celles de la folie circulaire ne sont pas très-rares chez les hystériques. Morel en a cité des exemples dans ses Études cliniques. Les périodes d’excitation sont alors caractérisées par la prédominance des instincts pervers et des actes nuisibles qui sont le propre de la manie hystérique. Cette disposition malfaisante et maligne des circulaires hystériques est toute différente de l’extravagance sotte des circulaires paralytiques. Ceux-ci ne sont pas moins nettement caractérisés dans leurs périodes de dépression par le délire mélancolique spécial signalé par M. Baillarger.

La folie épileptiquerangée par la plupart des auteurs à côté de la folie hystérique nous parait devoir être subordonnée aux quatre groupes précédents. En effet, à côté de l’épilepsie simple il faut admettre l’épilepsie des dégénérés, l’épilepsie des hystériques, l’épilepsie alcoolique, l’épilepsie des paralytiques. Ici encore nous voyons que l’épilepsie, tout en regardant ses traits principaux et en se présentant sous ses diverses formes, vertigineuse, convulsive ou délirante dans les affections que je viens d’énumérer, leur emprunte cependant des caractères particuliers. L’épilepsie des dégénérés se présente plus particulièrement sous des formes frustes, le trouble mental prédominant sur les phénomènes physiques, et se rapproche des actes impulsifs qui appartiennent spécialement à la folie héréditaire. L’épilepsie des hystériques (hystéro-épilepsie) présente également des caractères spéciaux qui la distinguent des autres épilepsies symptomatiques et de l’épilepsie vraie (Charcot).

Le délire de persécutionexiste très-fréquemment à l’état idiopathique ; une portion considérable des délirants partiels chroniques des asiles d’aliénés appartiennent à cette espèce morbide. Mais les idées de persécution se rencontrent dans beaucoup d’autres formes de maladies mentales. Elles ne sont pas rares chez les épileptiques et dirigent dans quelques cas leurs actes de fureur. On les observe passagèrement à certaines périodes du cycle de la folie à double forme, de même que le délire de grandeur systématisé. Chez les paralytiques elles se présentent avec le caractère absurde et incohérent qui appartient à cette catégorie de malades. Chez les alcooliques elles constituent une des formes les plus fréquentes de trouble mental, présentent quelquefois une grande analogie avec le délire de persécution vrai, mais s’en distinguent, en outre des signes de l’alcoolisme, [p. 304] par les hallucinations de la vue et par divers caractères psychiques que je n’ai pas à énumérer ici (Lasègue, De l’alcoolisme subaigu, in Arch. gen. de médecine, 1869).

Chez les hystériques et chez les dégénérés, les idées de persécution se rencontrent fréquemment. D’après M. J. Falret, le délire de persécution des héréditaires présenterait souvent des caractères spéciaux il affecterait particulièrement la forme raisonnante, les hallucinations feraient défaut ainsi que les idées de magnétisme, d’électricité, de fluides, etc. De plus, les héréditaires persécutés seraient moins persécutés que persécuteurs.

Les autres formes de folie, folie du doute, folie émotive, etc., constituent des groupes symptomatiques encore plus restreints que les précédents.

En descendant ainsi cette échelle des syndromes psychopathiques classés d’après leur caractère de moins en moins compréhensif, nous arriverions finalement aux anciennes formes, manie et mélancolie. Ces états morbides sont dans l’immense majorité des cas symptomatiques des formes énoncées ci-dessus, mais ils peuvent exceptionnellement se produire isolément, du moins nous ne sommes pas ‘en droit d’affirmer qu’ils ne sont jamais idiopathiques. La manie et la mélancolie doivent donc prendre place à la suite des formes que nous venons de passer en revue et dont nous résumons le classement dans le tableau suivant :

Si nous étions mieux renseignés sur l’anatomie et la physiologie pathologiques du cerveau, nous y trouverions sans doute de quoi confirmer ou infirmer les diverses formes symptomatiques et nosologiques que nous avons passées en revue. Les différents troubles psychopathiques correspondent assurément à des états particuliers du cerveau ou de quelques-unes de ses parties. Les autopsies des maniaques permettent de penser que dans les états de grande exaltation il y a une fluxion sanguine exagérée vers le cerveau. L’affaissement profond des [p. 305] facultés, la stupeur vraie, paraissent au contraire en rapport avec la diminution de l’hématose cérébrale, soit par anémie vraie, soit par stase sanguine, congestion passive, soit par œdème du cerveau. Enfin l’affaiblissement radical et permanent des facultés intellectuelles correspond ordinairement à des lésions graves et à la dégénération des couches corticales des régions antérieures des hémisphères (Démence, Paralysie générale).

En dehors de ces données générales, nous ne connaissons pour ainsi dire rien du substratum organique des désordres intellectuels et moraux. Nous ne savons rien des état3 cérébraux qui correspondent à la gaieté, à la satisfaction, à la douleur, à l’angoisse, etc., ou aux troubles psychiques qualifiés de délires partiels délire de persécution, délire ambitieux, délire hypochondriaque, etc.

L’extrême difficulté des recherches anatomiques, le caractère mobile, fugace, de la plupart des phénomènes psychiques, expliquent suffisamment cette imperfection de nos connaissances la nature névrosique de la plupart des affections mentales contribue à rendre le problème anatomo-pathologiqne encore plus difficilement accessible. Si nous n’avions jamais pu étudier l’hémiplégie ou la paraplégie, par exemple, que sur des hystériques, il est probable que nous ignorerions encore quelles sont les parties du système nerveux dont la lésion correspond à ces affections.

Mais il existe une forme de maladie mentale dans laquelle des lésions matérielles évidentes se produisent concurremment avec les symptômes psychiques les plus variés. L’étude plus attentive des lésions de la paralysie générale, au point de vue de leur localisation et de leurs rapports avec les phénomènes psychiques, fournira certainement de précieux renseignements, aussi bien pour la physiologie que pour la pathologie mentales.

S’il reste beaucoup à faire dans cette direction, nous devons reconnaître qu’au point de vue nosologique, les lésions de la paralysie générale sont suffisamment déterminées pour constituer une espèce morbide distincte. Je renvoie le lecteur à l’article Paralysie générale, pour l’étude de ces lésions, et aux mots ALCOOLISME, LYPEMANIE, MANIE, MONOMANIE, DÉMENCE, IDIOTIE, pour les diverses altérations anatomiques qui peuvent se rencontrer chez les aliénés.

Il est bien difficile, à moins de s’en tenir à des considérations extrêmement vagues, de traiter de l’étiologie, du diagnostic, du pronostic et du traitement de la folie en général.

Pour chaque cas de folie, un double problème se pose : 1° déterminer la forme symptomatique ; 2° déterminer la forme nosologique.

Chaque forme symptomatique conserve une certaine autonomie, quelle que soit sa subordination à la maladie principale. Un accès de manie se présente avec certains caractères constants, qu’il soit idiopathique, symptomatique de paralysie générale, d’alcoolisme ou de folie circulaire, et on peut tirer de ces caractères généraux de l’accès maniaque quelques données pour prévoir son évolution probable. Mais le diagnostic n’est complet et le pronostic n’acquiert toute la précision dont il est susceptible que lorsqu’il est possible de rattacher l’accès maniaque à une espèce nosologique.

Cette double considération de la forme symptomatique et de l’espèce nosologique se présente pour l’étiologie et le traitement aussi bien que pour le diagnostic et pour le pronostic.

Dans un grand nombre de cas, la maladie principale peut être considérée comme une prédisposition c’est un terrain favorable sur lequel des causes [p. 306] déterminantes variées font germer les divers états psychopathiques. Cela est évident chez les héréditaires prédisposés à la folie et chez les hystériques chez les individus même les plus étroitement enchaînés à la fatalité morbide de leur affection mentale, chez les circulaires et les intermittents, des causes extérieures physiques ou morales peuvent précipiter ou retarder l’explosion des accès. Pour le traitement, il faut également tenir compte de la forme symptomatique et de l’espèce nosologique. Les principales indications se déduisent de l’une ou de l’autre suivant les cas. Quelle que soit la nature de la maladie, les règles générales du traitement de la manie et de la mélancolie restent les mêmes. Que l’épilepsie soit idiopathique ou symptomatique, elle peut être modifiée avantageusement dans l’un et l’autre cas par un traitement approprié, abstraction faite des indications tirées de la maladie principale. Est-il besoin d’ajouter que l’affection cérébrale qui constitue-la, folie paralytique est la source d’indications spéciales? que dans les folies par intoxication, la connaissance de la cause principale de la maladie permet d’agir d’une manière particulièrement efficace ?

Les questions relatives à l’étiologie, au diagnostic, au pronostic et au traitement des formes élémentaires ides maladies mentales ont été traitées aux articles MANIE, LYPÉMANIE, et MONOMANIE. Pour les espèces nosologiques, je renvoie aux mots HÉRÉDITÉ, HYSTÉRIE, ALCOOLISME, PARALYSIE GÉNÉRALE, FOLIE CIRCULAIRE, ÉPILEPSIE, DÉLIRE DE PERS&CUTION, FOLIES DIVERSES. Enfin les troubles psychiques qui surviennent quelquefois dans le rhumatisme, la goutte, la chorée, le diabète, l’état puerpéral, la syphilis, la pellagre, les fièvres intermittentes, dans la convalescence des fièvres graves, etc., seront étudiés en même temps que ces dernières affections. J. COTARD.

Bibliographie. Ne traitant de la folie dans cet article qu’à un point de vue très-général, nous n’avons pas cru devoir donner de liste .bibliographique. Nous nous contentons de renvoyer aux ouvrages cités dans le cours de l’article et aux articles spéciaux. C.

 

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