Anonyme. CAUCHEMAR. Extrait du « Dictionnaire des sciences médicales, composé des meilleurs articles puisés dans tous les dictionnaires et traités spéciaux qui ont paru jusqu’à ce jour », (Bruxelles), Aug. Wahlen, Tome troisième, 1838, pp. 349-351.

Anonyme. CAUCHEMAR. Extrait du « Dictionnaire des sciences médicales, composé des meilleurs articles puisés dans tous les dictionnaires et traités spéciaux qui ont paru jusqu’à ce jour », (Bruxelles), Aug. Wahlen, Tome troisième, 1838, pp. 349-351.

 

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

[p. 349, colonne 1]

CAUCHEMAR, s. m., ephialtes, pingalion, pnigmon, epilobe, ludibria Fauni, incubus, succubus, oneirodynia gravans. On a désigné sous ces diverses dénominations synonymes plusieurs états morbides qui n’ont de commun qu’une perception singulière sans cause extérieure, et une gêne douloureuse de la respiration, ordinairement pendant le sommeil , quelquefois pendant la veille.

Galien donnait au cauchemar les noms d’asthme ou d’épilepsie nocturne. Caelius Aurelianus assure, d’après le témoignage de Silimaque, qu’à Rome le cauchemar régna épidémiquement, et se termina par la mort. Rien de plus vague que tout ce que les anciens nous ont laissé sur cette maladie. Hippocrate lui-même se livre à des divagations théoriques sur son origine, au lieu de la décrire. Les observations de cette maladie sont trop peu nombreuses et trop peu circonstanciées pour qu’on puisse en assigner exactement le siège.

Chirac paraît être de tous les auteurs qui ont écrit sur cette affection, celui qui l’a le mieux étudiée. II la définit une difficulté de respirer qui attaque pendant le sommeil, surtout durant la nuit, accompagnée d’un rêve fatigant qui peint a l’âme quelque chose qui comprime la poitrine. Selon Sauvages, c’est une forte anhélation, accompagnée de la sensation d’un certain corps qui comprime la poitrine, pendant laquelle la respiration est tremblante, plaintive ; le malade sanglotte, sue, s’agite ; ii s’éveille bientôt ; la douleur s’évanouit ; il frissonne , demeure pendant quelques instants dans un état de frayeur, d’anxiété, de convulsion même, il sanglotte ; sa tête est pesante ; il éprouve des palpitations et une fatigue générale.

A ce sentiment de pesanteur, que la personne endormie éprouve à l’épigastre et sur le sternum, se joint l’idée que cette sensation douloureuse est produite par un corps quelconque, ordinairement vivant, posé sur le creux de l’estomac ou sur la poitrine. Les malades croient voir dans leur sommeil un être d’une forme monstrueuse, un chat, un chien d’une grosseur remarquable, une vieille femme d’une figure hideuse et menaçante ; d’autres pensent qu’une jeune et belle fille [p. 349, colonne 2] ou un jeune et beau garçon, selon leur sexe, les serre dans ses bras pour les exciter au plaisir.

Le cauchemar a quelquefois lieu dans le jour et pendant la veille. Le sujet qui en est affecté éprouve d’abord, pendant la nuit, tous les symptômes que nous avons décrits : ils cessent ; mais pendant un, deux ou trois des jours suivans, a l’instant ou il fixe une personne, ou il mange, il voit, au lieu de cette personne, l’être fantastique dont ! »image l’a tourmenté pendant la nuit ; il éprouve un sentiment de malaise qui se peint sur ses traits, profondément décomposés ; sa respiration s’accélère et devient gênée ; il exécute des mouvemens de déglutition, comme lorsqu’on éprouve un sentiment de strangulation par la présence d’un corps étranger dans l’œsophage. S’il parlait au moment ou la vision lui apparaît, il se tait ou parle avec difficulté, avec distraction, comme un homme frappé subitement d’un souvenir effrayant ou de la vue d’un objet qui inspire la crainte. Au moment où nous écrivons, nous avons sous les yeux une personne très-fréquemment affectée de cette espèce de cauchemar vigil, dont on n’a guère parlé jusqu’ici , et c’est elle qui nous fournit une partie des traits du tableau que nous venons d’esquisser.

Henry Chapront – La possession 1912 – Illustration pour J.-K. Huysman : Las-Bas.

Dans notre enfance, nous avons eu plusieurs accès de cauchemar, dans lesquels, au sentiment de suffocation imminente, se joignait la vue d’un immense filet lumineux qui nous enveloppait de toutes parts, et s’opposait à tous nos mouvemens, en même temps que nous éprouvions un violent désir de franchir cet obstacle.

Le cauchemar n’est jamais continu ; il revient par accès, qui durent rarement au-delà de quelques minutes, et sont plus ou moins fréquens. Ordinairement il y en a un ou deux en plusieurs années ; quelquefois on n’en éprouve qu’un seul dans le cours d’une longue vie. C’est ainsi que Sauvages étant fort jeune rêva qu’un chat montait sur son lit, de la sur ses pieds, et se portait sur sa poitrine ; depuis ii n’eut plus un seul accès de cette maladie, Foreest dit avoir observé un cauchemar à type tierce régulier chez une jeune fille, mais la description qu’il en donne n’annonce que de longs accès d’hystérie périodique. Les enfans, les femmes et les vieillards sont plus sujets au cauchemar que les adultes et les hommes. Une prédominance marquée d’un des départemens du système nerveux, et notamment de l’encéphale , parait être une des conditions principales [p. 350, colonne 1] de la production de cet état morbide. Le renversement de la tête en arrière pendant le sommeil, le coucher en supination sur un plan disposé de manière que la tête n’est pas plus élevée que les épaules, celles-ci étant plus basses que l’abdomen, suffisent pour le provoquer chez des personnes qui ne l’ont jamais éprouvé. Le sommeil immédiatement après le repas l’occasionne le plus ordinairement. La surcharge de l’estomac rempli d’alimens, l’excitation vive de ce viscère par l’usage habituel des boissons alcooliques, la chaleur excessive du lit produite par des couvertures pesantes, le déterminent souvent. II est plus fréquent dans les saisons ou le temps est chaud et très-humide, ou le vent du midi souffle avec force. Ettmuller pense que chez Ies enfans il peut être l’effet de la présence des vers dans les intestins. Laurent dit avoir observé un cauchemar épidémique sur tous les soldats d’un bataillon français logé à Tropea, en Calabre, dans une vieille abbaye : ce cauchemar eut lieu pendant les deux nuits que les soldats couchèrent dans ce couvent, et l’on ne put lui assigner une cause probable.

L’anatomie pathologique n’a jeté aucune lumière sur la nature et le siège du cauchemar. Bonet rapporte seulement qu’un jeune homme mélancolique, ayant la vue faible, l’intelligence peu développée, sujet a des terreurs nocturnes, a des accès de cauchemar, et qui portait habituellement la tête penchée du côté gauche, étant venu à mourir, on trouva son cerveau inondé de pus, le sinus gauche gonflé de pourriture et de mucus, et les veines cérébrales noires. Le même auteur ajoute que, chez deux autres personnes affectées du cauchemar, on trouva les sinus, ou plutôt les ventricules, dilatés par de la sérosité ; de là l’opinion de ceux qui ont placé le siège du cauchemar dans le quatrième ventricule, parce que, disaient-ils, la sérosité coule dans cette cavité quand la tête est renversée. On a observé la coïncidence de l’hydrothorax et du cauchemar, et Lower soupçonnait une hydrocéphale chez tous les malades affectés de cette dernière maladie. Serait-elle en effet un symptôme de l’hydropisie latente de l’encéphale ? Du moins il n’en est pas toujours ainsi , puisque chaque jour on trouve des épanchemens dans le crâne ou le cerveau de personnes qui ne se sont jamais plaint d’avoir rien éprouvé de pareil aux phénomènes de l’incube.

Le cauchemar est, plus souvent qu’on ne pense, lié à une hydropisie de la plèvre ou du péricarde, ou à toute autre affection [p. 350, colonne 2] chronique des viscères thoraciques. Ce qui nous porte à émettre cette opinion, c’est que, chez plusieurs personnes affectées d’un cauchemar fréquent, nous avons observé une gêne notable et continue de la respiration.

Des recherches d’anatomie pathologique fourniront-elles des données plus positives sur la nature et le siège de la lésion qui produit les symptômes du cauchemar ? Ces recherches peuvent-elles éclairer sur la nature d’une maladie souvent bornée à quelques accès fort rares et même à un seul ? Nous pensons que le cauchemar doit être considéré comme un rêve douloureux qui survient ordinairement dans le sommeil, quelquefois dans la veille, à l’occasion d’une modification primitive du cerveau produite par le chagrin, l’inquiétude ou la peur, plus souvent à l’occasion d’un état d’irritation passagère, mais vive, de l’estomac, des organes génitaux ou du cœur, qui réagit sur le poumon et sur l’encéphale naturellement très-impressionnable, ou rendu tel par un des trois états que nous tenons d’indiquer, ou par l’abus des liqueurs fermentées.

Cullen, en faisant du cauchemar et du somnambulisme un seul genre divise en deux espèces, et les rangeant tous deux dans les vésanies ; Pinel, en plaçant le cauchemar parmi les névroses des fonction cérébrales, ont détourné d’en chercher le siège ailleurs que dans le cerveau. Quelques physiologistes modernes ne manqueront pas de prétendre qu’il est toujours du a une lésion primitive de ce viscère. Ils apporteront en preuve de leur opinion le trouble de la digestion par une nouvelle affligeante annoncée subitement, par un travail intellectuel fatigant ; la difficulté de respirer que produit une vive attention accordée à quelqu’un qui s’explique avec difficulté et peu clairement ; l’influence du coucher horizontal, du renversement de la tête, de la pléthore, dans la production du cauchemar : tout cela ne prouve pas qu’il soit dû primitivement au cerveau, mais que toutes les causes qui font affluer le sang vers ce viscère peuvent favoriser le développement de cette affection.

Le cauchemar vigil nous parait être le seul que l’on puisse rapporter à l’action primitive du cerveau : c’est comme le souvenir subit et non cherché d’un événement fâcheux, dont l’impression se reproduit tout-a-coup, même au milieu des idées les plus riantes. Mais toujours il a été précédé d’un cauchemar fréquent pendant le sommeil. C’est le souvenir importun d ‘un songe pénible. [p. 351, colonne 1]

Le cauchemar étant peu connu, et les personnes qui en sont affectées recourant rarement aux secours de !’art, on ignore le traitement le plus approprié a cette maladie, qui n’est ni dangereuse, ni inquiétante.

Si les accès deviennent fréquens et se rapprochent de plus en plus, il y a lieu de craindre l’apoplexie, quand le sujet est replet, ou l’épilepsie, qui accompagne quelquefois le cauchemar ; Il faut alors recommander au malade un régime sévère, une grande sobriété, une occupation plus agréable que pénible, de la distraction, des promenades poussées jusqu’à une légère fatigue, et le séjour dans une campagne agréable, si ses gouts ne s’y opposent pas. On lui conseillera en outre de ne jamais se coucher que long-temps après le repas, d’avoir la tête et les épaules très-élevées pendant le sommeil, et de ne point se coucher sur le dos et moins encore sur l’abdomen.

Les saignées, l’émétique, les purgatifs, les amers, le quinquina, la rhubarbe et l’aloès, les vermifuges, la pivoine, le cinabre, l’oxide de fer, recommandés par Riviere, Lower, Ettmuller, Foreest, Schenk, Rhodius et Chirac , ne doivent point être mis en usage empiriquement contre le cauchemar ; aucun de ces moyens n’agit comme spécifique, aucun fait même ne prouve qu’ils aient jamais guéri cette maladie. Si l’on peut en attendre quelqu’avantage, c’est en les employant d’après les indications que fournissent l’état général du sujet et celui de chacun de ses organes. Peut-être serait-il avantageux, dans le cauchemar primitif ou cérébral, s’il était possible de le distinguer de celui qui dépend d’une irritation gastrique, génitale, d’une irritation douloureuse et passagère du cœur, ou d’un obstacle à la circulation, peut-être, dis-je, serait-il avantageux de produire une stimulation fixe et énergique de l’estomac, ce qui exigerait l’usage des amers et des ferrugineux.

La frayeur qu’inspirent les contes que l’on débite aux enfans, les terreurs que la superstition jette dans l’esprit des hommes disposé à la dévotion par une éducation mystique, l’irritabilité cérébrale, les chagrins profonds et les écarts dans le régime étant les causes les plus évidentes du cauchemar, il est aisé de voir par quels moyens on peut prévenir cette maladie, que l’on doit mettre au nombre de celles qui sont en grande partie l’apanage de la civilisation, mais que, par une heureuse compensation, la civilisation bien dirigée peut rendre de plus en plus rares.

ll serait curieux de rechercher si l’être [p. 351, colonne 2] fantastique que le malade croit être posé sur sa poitrine pendant le cauchemar est une réminiscence des idées superstitieuses de la veille, ou seulement l’effet de !’impression morbide exercée sur le cerveau par l’organe primitivement affecté.

On a vu que cet être bizarre varie selon !’âge et le sexe : chez les enfans c’est un des animaux qui leur causent souvent de la frayeur pendant la veille, chez les femmes c’est un homme, et chez les hommes c’est une femme ; d’autres fois c’est un singe, un monstre d’une forme imaginaire ; lorsque c’est un démon, il est évident que les frayeurs superstitieuses ne sont pas étrangères à la production de la maladie. Ici le traitement dirigé contre les désordres des fonctions intellectuelles convient d’autant plus que le cauchemar est, dans beaucoup de cas, selon Esquirol, le symptôme précurseur de la manie et des autres genres de folie. C’est au cauchemar qu’il faut attribuer ces ridicules croyances que l’antiquité païenne a léguées aux modernes sur le commerce charnel des esprits avec les hommes et les femmes. Ce que les Grecs et les Romain, attribuaient aux faunes, aux lémures ; d’absurdes théologiens et des médecins plus absurdes encore l’ont attribué aux démons. Honneur soit rendu par tous les amis de la raison à Jean Wier, qui osa le premier, dans un siècle de superstition et de barbarie, assigner une cause naturelle au cauchemar. Voyez aussi SOMMEIL, RÊVE et SOMNAMBULISME.

(Dict. Abrégé de Méd.)

 

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