André Ombredane. Critique de la méthode d’investigation psychologique de Freud. Article paru dans la publication « Le Disque vert », (Paris-Bruxelles), deuxième année, troisième série, numéro spécial « Freud », 1924, pp. 165-177.

HISTOIREFOLIE0001André Ombredane. Critique de la méthode d’investigation psychologique de Freud. Article paru dans la publication « Le Disque vert », (Paris-Bruxelles), deuxième année, troisième série, numéro spécial « Freud », 1924, pp. 165-177.

André Ombredanne (1898-1958). Médecin, et docteur en psychologie. – Directeur du Laboratoire de psychobiologie de l’Ecole des Hautes Etudes de Paris ; Professeur de psychologie expérimentale, Université du Brésil.
Il est surtout connu pour avoir le premier traduit en français en 1962, et augmenté d’une introduction critique l’ouvre fondamental de Hermann Rorschach, Psychodiagnostic. Méthode et résultats d’une expérience diagnostique de perception.
Quelques autres publications parmi plusieurs dizaines :
— La psychoanalyse et le problème de l’inconscient. Article paru dans la « Revue Philosophique de la France et de l’étranger », (Paris), 47e année, tome CXIII, janvier à juin 1922, pp. 210-234. [en ligne sur notre site]
Le langage. Revue philosophique de la France et de l’étranger, III, 1931, pp. 217-271 et 424-463.
Sur le mécanisme des crises d’angoisse vespérales et nocturnes de l’enfant. Bulletin du Groupement français d’études Neuro-Psychopathologiques infantiles, mai 1938, p. 49.
Délire d’influence de type mystique (histoire de Clotilde). Cultura médica, outubro e novembro 1941, ano n°3, no 4 e n°5, 35 p.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. — L’ image a été rajoutée par nos soins. — Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

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CRITIQUE DE LA MÉTHODE D’INVESTIGATION

PSYCHOLOGIQUE DE FREUD.

Considérant la méthode d’investigation employée par Freud au cours de la psychanalyse des névroses et des psychoses, nous constatons qu’elle repose sur une conception erronée de l’activité psychologique et particulièrement de la mémoire.

Est-ce une raison suffisante pour prononcer une condamnation sans appel du dogme freudien ? Non, certes, car il y a là de belles et précieuses hypothèses. Mais il faut prendre d’autant plus de précautions que le terrain est ici moins solide. Freud, il est vrai, affirme que sa théorie ne s’est pas édifiée d’un seul bloc, en dehors des nécessités pratiques propres à la psychiâtrie. Ses hypothèses, dit-il, ont toujours été destinées à justifier les symptômes névrotiques que présentaient ses malades.

Mais alors, s’il est facile de démontrer que l’enquête psychologique, telle qu’il la pratiquait, partait d’un mauvais principe, la valeur pratique de la psychanalyse s’en trouve singulièrement diminuée. Il ne faut pas oublier que le rôle du médecin des âmes est ambigu, à la fois savant et sorcier. Trop souvent, l’investigation provoque la réalisation du fait psychologique recherché. L’événement se produit, si je l’annonce. Plus facilement encore je crée le souvenir, si ma passion actuelle le réclame ; toujours sincère cependant, mais trompeur et trompé. On ne fait guère qu’inventer des mythes dans l’analyse de ce que les rêveurs appellent leur vie intérieure. Le vrai savant veut une matière plus résistante. La Raison ne veut pas avoir raison trop vite. Mais entrons dans le vif du sujet.

La psychanalyse a prétendu d’abord expliquer les symptômes névrotiques par des causes uniquement psychologiques. Toutefois, avec le tempe, Freud a admis de [p. 166] plus en plus que les dispositions organiques constitutionnelles

ou accidentelles déterminaient, dans une certaine mesure, la maladie. Même, aujourd’hui, les névroses du type neurasthénique qui ne tombent pas sous la juridiction de la psychanalyse, apparaissent au maître comme le noyau des psychonévroses, comme le fondement organique sur lequel s’édifieront les troubles psychologiques. Mais alors, que penser de la conception primitive d’un déterminisme exclusivement mental ?

Il faut donc tenir compte de ce fait que les premières études de Freud portaient sur l’hystérie, maladie où les troubles organiques sont évidemment réduits au strict minimum, et qui disparaît depuis qu’on ne l’a cultive plus avec complaisance — maladie où la place du médecin est (plus grande que celle de ses dociles sujets. Freud a donné à toutes les psychonévroses une origine que Charcot et Janet avaient admise dans certains cas d’hystérie. Certains malades souffriraient de réminiscences émouvantes ; ils n’auraient pas pu liquider une situation à laquelle ils resteraient indéfiniment accrochés.

« Lorsque le médecin, dit Freud, se trouve en présence d’une idée dépourvue de sens, ou d’une action sans but, sa tâche doit être de retrouver la, situation passée dans laquelle l’idée en question était justifiée et l’acte conforme à un but. » Pour découvrir ces souvenirs, blessants, Breuer mettait ses sujets en état d’hypnose, mais Freud abandonna très vite ce procédé, parce qu’il n’était pas applicable à tous les malades. Il le remplaça, par une interrogation pressante du sujet, laissé dans son état normal, appliquant le principe énoncé par Bernheim et selon lequel les prétendues amnésies post-hypnotiques cèdent facilement aux injonctions réitérées du médecin. Cela n’allait pais sans difficulté, car le malade témoignait certaines résistances, refusant d’avouer certaines pensées, discutant les interprétations du médecin, manifestant à [p. 167} son égard des sentiments d’hostilité. Ces résistances témoignaient donc d’un conflit actuel entre certaines tendances, les unes officielles, propres à la personnalité sociale, les autres inavouables, individuelles de celles qu’on cache aux étrangers. Freud remarquait que ces résistances n’auraient aussi intenses en dehors de la névrose. Cela le conduisait à penser qu’il y avait une relation ente résistance et névrose. Il se réjouit alors d’avoir abandonné l’hypnose qui, pensait-il, supprime la résistance, alors que celle-ci peut fournir des indications précieuses sur la maladie.

Qu’on nous permette une parenthèse. Le mythe de l’hypnotisme est aujourd’hui dénoncé. Les gens un peu avertis ne croient plus aux multiples personnalités susceptibles d’être manifestées par le moyen du sommeil hypnotique. L’hypnose entendue comme une détente, comme une rupture artificielle entre les sensations et les répliques motrices du corps attentif, peut avoir une réelle valeur thérapeutique, mais elle n’a aucune valeur en temps que révélatrice d’un inconscient ou du passé. L’hypnotisé n’est pas plus sincère dans son pseudo-sommeil que dans son état normal. Mais revenons à la psychanalyse.

Freud suppose que le refoulement qui se manifeste dans la résistance envers le médecin tient aux causes mêmes du symptôme névrotique. Il s’agit donc de découvrir les raisons de ce refoulement. Ici, Freud fait intervenir la théorie du souvenir blessant. Le refoulement s’exerce sur les réminiscences d’événements qui ont violemment ému le sujet. Ces souvenirs ne sont pas accessibles par les tendances officielles du Moi social, être artificiel, puritain et conformiste, fruit du dressage patient des éducateurs. Ils sont donc que refoulés et devenus inconscients. Du point de vue technique, il suffira, pour déceler ces souvenirs inconscients, de provoquer, de la part du malade, une série d’associations libres autour de la [p. 168] représentation de la maladie.

On demandera au sujet de bien vouloir dire tout ce qui lui passe par la tête à propos de l’origine de son mal. Freud admet, en effet, qu’« une idée surgissant spontanément dans la conscience, surtout une idée éveillée par un effort d’attention, ne peut être tout à fait arbitraire et sans rapport avec la représentation oubliée, qu’on veut repérer ». D’ailleurs, si telle idée associée semblait n’avoir aucune relation avec le malade, le médecin aurait le droit de lui attribuer une valeur indicatrice, en prétendant que la résistance a provoqué une déformation du souvenir blessant, et la formation d’un produit de substitution ». — Telle est la conception freudienne du déterminisme mental.

Il convient ici de critiquer les opinions philosophiques que suppose une telle position du problème des psychonévroses et le choix d’une telle méthode d’investigation psychologique. Nous disons que la méthode freudienne employée à la découverte des souvenirs blessants, suppose une fausse théorie de la mémoire. Fraude croit que les souvenirs émouvants qui lui sont révélés par son enquête correspondent toujours à des événements qui seraient réellement survenus et qui aurait joué, à ce moment-là, un rôle traumatique. Le souvenir serait ainsi quelque chose de réel et d’immuable capable de modifier les états psychologiques ultérieurs dans un sens déterminé. Nous insistons sur le fait que c’est là une conception fausse et dangereuse de l’activité mentale s’appliquant à leur reconstitution du passé.

Nous définirions volontiers la mémoire de la façon suivante. C’est la reconstruction dialectique d’un passé comme le mien. Cette reconstruction s’effectue à partir du moment actuel de ma durée. Peut-être sied-il de développer ce point de vue.

Le passé n’est pas donné comme tel. Il n’y a pas de passé avant la reconstruction intelligente. Il y a un ensemble de représentations déterminées par mon état [p. 169] psychologique actuel et surtout par mon état passionnel présent ; il y a imagination et non mémoire.

La mémoire, c’est l’intelligence reconstruisant le passé selon certaines conditions d’objectivité.

D’une part, cette reconstruction est dialectique ; elle s’effectue selon le schème de l’enchaînement causal dans le temps. C’est une œuvre historique qui n’est objective que dans la mesure où elle utilise des documents préalablement soumis à une critique. Ces documents sont les mille objets qui nous entourent, la présence des personnes familières qu’il faut justifier, les témoins que l’on conserve et qu’on nomme « souvenirs », les notes, les lettres retrouvées, et surtout le langage qui a fixé des discours à propos de tel ou tel événement, discours incessamment repris, répétés, complétés. D’autre part, la mémoire reconstruit mon passé, mon histoire avec le caractère original qui les rend vraiment miens. C’est mon affectivité présente, la possibilité d’éprouver des émotions à propos de telle ou telle réminiscence, qui donne à l’histoire que

je reconstruis la marque de familiarité, de propriété personnelle.

La, preuve peut être faite parce qu’on rencontre trouble de la mémoire à la suite d’une défaillance de l’une ou l’autre de ces deux fonctions, à savoir lorsqu’il y a , reconstruction historique avec déficience actuelle de l’émotivité, et lorsqu’il existe une vive émotivité alors que les documents résistants font défaut à l’acte reconstitutif. Le premier cas nous est fourni par les psychasthéniques, qui, par le fait d’une déficience dans leur émotivité envisagent leur passé comme s’il n’était pas le leur. Le deuxième cas enferme toutes les déformations du témoignage, toutes les interprétations rétrospectives de la passion. Les souvenirs d’un passionné sont, le plus souvent, des créations imaginatives, surtout lorsqu’ils prétendent exprimer des sentiments jadis éprouvés. Cela est d’autant plus vrai que le passionné à la manie de la justification — un [p. 170] telle souvenir n’a donc aucune valeur si l’on attend de lui une révélation sur le passé ; il exprime simplement un état imaginatif actuel, c’est-à-dire au fond, un état du corps, comme le pensait Descartes.

La moralité de cet exposé est la suivante : méfions-nous d’un imaginatif malade ou passionné, lorsque nous n’avons pas en main des documents indiscutables, établissant la vérité de ce qu’il avance. Un souvenir n’est pas une chose réelle, fixe, qu’on puisse retrouver toujours le même, à divers moments d’une durée psychologique. C’est essentiellement une hypothèse établie pour les besoins d’une cause actuelle.

Or, quelles précautions Freud prend-il dans sa recherche du souvenir blessant ? Aucune. Il se contente d’interroger le malade. Certes, il finira toujours par dénicher quelque souvenir, mais que celui-ci corresponde à une réalité vécue et qu’il ait joué un rôle pathogène que le médecin lui attribue, c’est ce qui est absolument hypothétique. Nous citerons, à l’appui de notre thèse, l’exemple même du rêve, dont Freud tire le parti qu’on sait au cours de ses enquêtes. Le rêve, c’est la pensée privée de son appareil objectif, qui lui permet les reconstructions rigoureuses ou approximatives du passé. Or, le rêve est une pensée d’imagination, non de mémoire, où l’on doit retrouver tous sophismes de l’imagination cherchant à justifier un état affectif actuel.

On pourrait alléguer, à la défense de Freud, qu’il ne s’arrête justement pas aux dires du malade, qu’il s’efforce de rétablir l’exacte vérité sous les symptômes, ces affirmations, ces réticences, ces rêves que présentent les sujets. Les états psychologiques actuels seraient toujours déterminés par les états passés, mais ceux-ci seraient devenus inconscients. Selon Freud, l’inconscient est constitué par un ensemble de complexes dont la trame est un désir, une tendance à reproduire les excitations qui ont [p. 171] jadis été suivies de jouissance. Ces désirs se seraient constitués au cours de la première enfance et formeraient le noyau de l’affectivité. Ils comprennent un ensemble de réactions motrices et secrétoires cristallisées autour d’une représentation. Le caractère inconscient de ses souvenirs tiendrait au fait que la représentation actuellement liée à la réaction émotive n’est pas celle qui lui était primitivement naturellement attachée ; elle serait une représentation de substitution. En effet, les premiers désirs infantiles soumis uniquement au double principe de la recherche du plaisir et de la fuite du plaisir, se voient bientôt contenus, refoulés, modifiés par les contraintes d’origine sociale, par les diverses disciplines de l’activité technique ou morale. Ces contraintes, suivies de sanctions, finissent par rendre désagréables les satisfactions primitives. Ce renversement affectif caractérise le refoulement. Toutefois, la tendance refoulée, mais non détruite, peut encore se satisfaire si elle parvient à trouver un prétexte. Ce qui gêne la pensée secondaire, disciplinée et morale, c’est l’enrôlement de la réaction affective, somme toute banale, sous telle représentation condamnée. Si la réaction émotive parvient à s’accrocher à une autre représentation, cette fois tolérée, elle se satisfera sans craindre de nouveaux refoulements. Ainsi donc, l’inconscient exprimera que telle réaction affective, liée actuellement à des représentations qui ne semblent avoir aucun rapport avec elle, était primitivement sous la dépendance de représentation différente qui ont été refoulées. Le sujet ne seront donc pas comptes du sens primitif des réactions organiques qui éprouvent. Ces réactions comportent à la fois du plaisir et de la souffrance puisque nous avons vu comment la satisfaction, primitivement agréable, d’une tendance, devenait pénible par l’effet du refoulement. La synthèse hystérique serait un compromis entre ces deux réactions opposées ; la névrose d’obsession serait une oscillation incessante de l’une et de l’autre. [p. 172]

Cette théorie sur la constitution de l’inconscient nous paraît ingénieuse et séduisant. Sans le refoulement, il se constituerait des associations durables entre telles réactions affectives et telles représentations et toute notre affectivité serait imperméable à la conscience. La conscience doit apparaître dès qu’il y a une association entre une pensée actuelle, d’une part, et certaines réactions organiques de l’autre.

Toutefois, l’erreur serait ici de croire à la réalité d’un inconscient fixe, immuable, qui détermine à jamais les sentiments et les conduites d’un individu. L’obligation reste toujours la même, de partir du moment actuel de la durée psychologique et d’éclairer le passé en fonction de son état présent.

En fait, les souvenirs conscients soient conscients jouent dans la conduite de l’individu, le rôle de symboles, bien plutôt que de cause déterminante. Pour justifier et dramatiser son état affectif actuel, dont les causes sont, avant tout, organique, le sujet emprunte au cas où de ses souvenirs un symbolisme plus ou moins bizarre. Mais cela n’implique nullement que le souvenir pris comme symbole ait joué un rôle pathogène.

Il est remarquable que ce soit Freud lui-même qui prenne appui à la thèse que nous soutenons. Il écrit aujourd’hui : « le symptôme fournit par la réalité devient immédiatement le représentant de toutes les fantaisies inconscientes qui épiaient la première occasion de se manifester. Le médecin cherchera soit à supprimer la base organique sans se soucier du bruyant édifice névrotique qu’elle supporte, soit à combattre la névrose qui s’est produite accidentellement sans faire attention à la cause organique qui lui avait servi de prétexte » (1).

Mieux encore : a fini par constater que les scènes infantiles qui joueraient un rôle pathogène dans [p. 173] les névroses se ne sont pas toujours vraies. Dans quelques cas elles sont même directement contraires à la vérité historique. Nous citons les paroles mêmes de Freud : « si les événements infantiles dégagés par l’analyse étaient toujours réels, nous aurions le sentiment de nous mouvoir sur un terrain solide. S’ils étaient toujours faux, s’il se révélait dans tous les cas comme des inventions, des fantaisies des malades, il ne nous resterait qu’à abandonner ce terrain mouvant, il nous réfugier sur un autre. Les symptômes représentant tantôt des événements ayant réellement eu lieu et auxquelles on doit reconnaître une influence sur la fixation de la libido, tantôt des fantaisies les malades auxquelles on ne peut reconnaître aucun rôle étiologique » (2). Mais pour sauver à tout prix la théorie du souvenir blessant, solde donne cette explication renversante : « je pense que ces fantaisies primitives constituent un patrimoine phylogénique. Il est possible que toutes ces inventions aient été jadis, aux phases primitives de la famille humaine, des réalités, et qu’en donnant libre cours à son imagination, l’enfant comble seulement, à l’aide de la vérité préhistorique, les lacunes de la vérité individuelle » (3).

Voilà de bien belles hypothèses. Mais nous en présenterons une beaucoup plus simple et, dans ce domaine, ce sont les meilleurs. La théorie du souvenir traumatique a été établie sur des observations d’hystériques, et nous ne sommes pas surpris de trouver sous la plume de Freud l’aveu que la psychanalyse ne découvre souvent que des fantaisies. Les comédies des hystériques, leur désir de se rendre intéressant doivent être invoqués avant les « vérités préhistoriques » et les réminiscences d’expériences ancestrales.

Notons qu’avec les procédés d’interprétation dont usent les psychanalystes, il est trop facile de vérifier [p. 174] toutes les hypothèses et de ramener une fantaisie imaginée en souvenir d’un événement réellement vécu. Comme le dis Pierre Janet, reprenant Lyman Wells, « un événement peut toujours, quand cela est utile à la théorie, être considéré comme le symbole d’un autre. La transformation des faits, grâce à toutes les méthodes de condensation, de déplacement, d’élaboration secondaire, de dramatisation, peut-être énorme et il en résulte qu’a fait quelconque peut signifier tout ce que l’on voudra ». Ainsi, demeurons nous sceptiques lorsque Freud qui a annoncé que c’est à la suite de constatations empiriques qu’il a reconnues en chaque névrose l’effet d’un refoulement des désirs sexuels. En fait, c’est un raisonnement, une vue théorique que nous trouvons à l’origine de cette conception. Les symptômes névrotiques sont supposés produits par un conflit entre les tendances du Moi conscient, socialisé, et d’autres tendances refoulées. Or, l’instinct sexuel est peut-être l’instinct le plus puissant ; il est par ailleurs, le plus refoulé par les contraintes collectives : il doit donc jouer un rôle primordial dans la genèse des névroses. Autre raisonnement, autre hypothèse : la sexualité tient une place importante dans la vie de l’adulte ; par ailleurs, il est difficile de pénétrer la mentalité de la première enfance ; appliquons donc un « principe de continuité » et supposons que ce qui est développé chez l’adulte existe déjà chez l’enfant, avec une importance analogue. Il y a cependant bien longtemps que Jean-Jacques Rousseau a émis un jugement qui a été depuis lors, accepté par tous les pédagogues : il ne faut pas considérer un enfant comme un adulte incomplètement développé, mais comme un être parfaitement adapté à son milieu aux divers moments de sa formation.

À côté de la persistance de souvenirs sexuels émouvants, jadis refoulés, Freud envisage un autre facteur [p. 175] des névroses : la régression de la mentalité à des stades psychologiques antérieurs. Le développement normal se trouvant arrêté, le sujet ferait un retour en arrière, avec conduite sexuelle infantile. Cette notion nouvelle dans la psychanalyse témoigne d’un effort pour concilier la théorie avec la nécessité d’expliquer des psychonévroses telles que la démence précoce ou la folie d’interprétation. Sous l’influence des travaux d’Adler, de Jung, de Ferenczi, et par la considération des névroses de guerre, Freud a admis la possibilité de névroses qui seraient dues au refoulement des tendances du Moi conscient. Mais celles-ci ne sont-elles pas des agents du refoulement qui s’exerce contre les tendances libidineuses ? Oui, certes. Alors, selon quels mécanismes seraient-elles à leur tour refoulées ? Freud ne se range pas à l’opinion d’Adler qui substitue l’intérêt de la libido dans l’étiologie des névroses. Il faut, à tout prix, que toutes les psychonévroses soit due à un refoulement de la sensualité. Voici la construction à laquelle se livre Freud : « La lutte du Moi contre les tendances sexuelles et pénibles et le compromis qui est le symptôme névrotique satisfera, en somme, le Moi en lui laissant une paix relative. Le Moi se réfugie dans la maladie par recherche du plaisir et fuite de la souffrance. C’est-à-dire qu’il existe une « Libido du Moi » distincte de la Libido sexuelle, voisine belle cependant par ses racines affectives ». Cela est bien obscur, n’est-ce pas, bien difficile à saisir. Encore un petit effort, s’il vous plaît, et vous allez comprendre. Les névroses du Moi s’expliqueront si vous donnez le Moi comme objet à la libido. Enfin, le tour est joué. Les paranoïaques, ou interprétants, s’aiment eux-mêmes, se suffisent à eux-mêmes, et c’est pourquoi le psychanalyste ne peut pas les guérir. Ce sont des homosexuels. Ici se montre encore cette fausse conception de l’activité psychologique et de la mémoire que nous avons déjà dénoncée. Les troubles narcissiques de l’interprétant doivent avoir un fondement [p. 176] dans son passé ; ils doivent exprimer une régression aux périodes perverses et auto-érotiques de l’enfance.

Tout cela, donne, avant tout, l’impression d’un effort désespéré pour sauver, coûte que coûte, cette bonne Libido, quelle que soit l’entorse à donner aux faits. Comment, diable, admettre l’homosexualité chez l’interprétant amoureux ? C’est très simple, dit Freud. Si le sujet aime une personne du même sexe, c’est par ce qu’il l’identifie avec lui-même ou parce qu’il l’aime pour les satisfactions qu’il reçoit. Si la personne aimée et d’un sexe différent, il sera facile de supposer une substitution préalable entre celle-ci et une personne de l’autre sexe, après quoi nous retomberons au cas précédent. Nous croyons qu’il est inutile de faire remarquer le manque d’objectivité que présentent ces interprétations ( nous voulons dire, naturellement, celle du psychanalyste, et non celle qu’on suppose du malade).

Les succès thérapeutiques de la psychanalyse sont-ils une preuve de sa valeur en tant que méthode d’investigation ?

Notons d’abord une remarque de Ch. Blondel. Un traitement qui guérit un malade dans le temps où il aurait été guéri tout seul, ne saurait tirer de la aucune preuve de son excellence. D’autre part, avec des doctrines opposées, Freud, Adler, Jung, obtiennent la même proportion de guérison. Enfin, si l’on se fie aux dires mêmes de Freud, on constate qu’il entre dans la méthode une part prépondérante réservée à la bonne volonté du malade. Si bien qu’on retrouve dans la psychanalyse l’antique suggestion. Une des conditions du traitement psychanalytique est, nous dit-on, le transfert sur l’analyse de l’affectivité du sujet, autrement dit docilité, confiance chez le malade d’une émotion ou passion quelconque à la faveur de laquelle les suggestions pourraient opérer. La tâche de lutter contre le symptôme incombe aux malades, dit Freud, autant qu’au médecin. De [p. 177] ce point de vue, on pourrait peut-être comprendre comment la psychanalyse, portant l’attention du malade sur certaines tendances aussi vivaces et plastiques que la sexuelle, le provoque à les cultiver, à les orienter, à se créer de nouveaux facteurs d’intérêt.

En bref, nous mettons en doute la valeur de la psychanalyse comme méthode d’investigation d’un passé psychologique réellement vécu. Nous serions tentés d’ivoire plutôt une méthode curieuse d’investigation et de dressage applicable à l’imagination. Mais l’imagination du psychanalyste n’est pas l’objet le moins intéressant dans cet exercice et l’on pourrait dire, reprenant une formule que Dupré appliqué à l’hypnotisme, « que le psychanalyste et le psychanalysé réalise la plupart du temps un complexe morbide indissoluble ».

ANDRÉ OMBREDANE.

 

FREDERIC NIETZSCHE :
« Le degré et la nature de la sexualité chez l’homme pénètrent jusqu’au plus haut sommet de son esprit ».

 

 

NOTES

(1) Introduction à la Psychanalyse. Trad. Jankelevitch, p. 407.

(2) Introduction à la Psychanalyse. Trad. Jankelevitch, p. 382.

(3) Idem, p. 387.

 

 

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