Abbé Bergier. MAGIE. Extrait du « Dictionnaire de théologie. Nouvelle édition… », (Lille), L. Lefort, Tome troisième, 1844. pp. 145-153.

Abbé Bergier. MAGIE. Extrait du « Dictionnaire de théologie. Nouvelle édition… », (Lille), L. Lefort, Tome troisième, 1844. pp. 145-153.

 

Nicolas Sylvestre Bergier (1718-1790). Chanoine, théologien et antiquaire. Quelques publications :
— L’origine des dieux du paganisme et le sens des fables, 1767 .
— Certitude des preuves du Christianisme, 1768.
— Apologie de la religion chrétienne, 1769.
— Réfutation du système de la nature (de d’Holbach) ou Examen du Matérialisme. 1771.
— Traité historique et dogmatique de la vraie religion, 1780.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Par commodité nous avons renvoyé la note originale de bas de page en fin d’article. – Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

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MAGICIEN, MAGIE. On appelle magiel’art d’opérer des choses merveilleuses et qui paraissent surnaturelles, sans l’intervention de Dieu, et magiciencelui qui exerce cet art. Il en est souvent parlé dans l’Écriture sainte; la magie y est sévèrement défendue ; les magiciens y sont représentés comme odieux à Dieu et aux hommes : l’Église chrétienne a prononcé contre eux des anathèmes, et ils sont punis par les lois civiles. Quelle idée devons-nous en avoir ? Qu’y a-t-il de réel ou d’imaginaire, de naturel ou de surnaturel dans leurs opérations ? Sont-ce des fourberies humaines, ou des prestiges du démon ? [p. 145, colonne 2]

Si nous consultons les écrits des philosophes modernes sur ce sujet, nous y apprendrons peu de chose. Pour s’épargner la peine de discuter la question, ils l’ont supposée décidée selon leurs préjugés ; ils n’ont pas distingué suffisamment les différentes espèces de magie, comme les charmes, la divination, les enchantements, les évocations , la fascination , les maléfices, les sorts ou sortilèges : toutes ces pratiques sont différentes, et demandent chacune un examen particulier. Si nous leur en demandons l’origine, ils disent que tout cela est venu de l’ignorance ; mais l’ignorance n’est qu’un défaut de connaissance : une négation ne produit rien , ne rend raison de rien, et il nous faut des causes positives. Ils prétendent que de nos jours la philosophie, ou la connaissance de la nature, a réduit à rien le pouvoir du démon et celui des magiciens : ils se trompent. Si la magie est très-rare parmi nous, elle y a été commune autrefois, et on l’exerce encore ailleurs : pourquoi y a-t-on cru ? et pourquoi ne devons-nous plus y croire ? Voilà ce que des philosophes auraient dû nous apprendre. Ils jugent que ce qui est dit dans l’Écriture sainte, dans les Pères de l’Église, dans les conciles, dans les exorcismes, a contribué à nourrir le préjugé des peuples et la croyance aux opérations du démon : c’est une fausseté que nous avons à détruire.

Aussi nous devons examiner 1° l’origine de la magie, et ce qu’en ont pensé les philosophes ; 2° ce qui en est dit dans l’Écriture sainte et dans les Pères de l’Église ; 3° les raisons pour lesquelles l’Église a dû employer les bénédictions et les exorcismes pour dissiper les prestiges des magiciens ; 4° si l’accusation de magie, intentée contre plusieurs sectes hérétiques, a été une pure calomnie.

I. L’origine de cet art funeste est la même que celle du polythéisme : c’en est une conséquence inévitable , plusieurs auteurs l’ont fait voir : Bayle, Rép. aux quest. d’un prov., 1re part., c. 36 et 37 ; Brucker, Hist. de la Philos., tom. 1 , liv. 2, c. 2, § 1 ; Hist. de l’Acad. des Inscript. , t. 4, in-12, p. 34, etc. Chez les Orientaux l’on a nommé mages ceux qui paraissaient avoir des connaissances supérieures à celles du vulgaire, et magie l’étude de la nature et de la religion ; dans quelques cantons de la Suisse, le peuple appelle encore mages, les médecins empiriques auxquels il attribue des secrets particuliers pour guérir les maladies.

Chez les païens, dont l’imagination était frappée d’une multitude d’esprits , de génies, de démons ou de dieux répandus dans toute la nature , qui en animaient toutes

les parties et les gouvernaient, on leur [p. 144, colonne 1]attribuait les phénomènes les plus ordinaires, les biens et les maux, les orages, la stérilité des campagnes, les maladies et les guérisons ; à plus forte raison devait-on les croire auteurs de tout ce qui paraissait extraordinaire, merveilleux et surnaturel : rien ne se faisait sans eux : la connaissance la plus importante était donc de savoir comment on pouvait obtenir leur bienveillance, les apaiser lorsqu’ils étaient irrités, en obtenir des bienfaits, et les forcer en quelque manière de condescendre aux volontés de leurs adorateurs. Voyez paganisme.-

Tout homme qui semblait avoir cette connaissance , le talent de faire du mal ou de le guérir, de deviner les choses cachées, de prédire quelque événement, de tromper les yeux par des tours de souplesse, etc., passait pour avoir à ses gages un esprit ou des esprits toujours prêts à exécuter ses volontés. Le nom de mageet de magicienn’avait donc rien d’odieux dans l’origine : ceux qui se servaient de la magie pour faire du bien aux hommes étaient estimés et honorés ; mais ceux qui s’en servaient pour faire du mal, étaient, avec raison, délestés et proscrits. L’art des premiers se nomma simplement magie ; les pratiques des seconds furent appelées goëtie, magie noireet malfaisante.

Telle était l’opinion non-seulement des ignorants, mais des philosophes les plus célèbres ; tous soutenaient que les astres, les éléments, les animaux, étaient mus par des génies ou démons, que ces intelligences prétendues disposaient de tous les événements ; sur ce préjugé était fondé le culte qu’on leur rendait, et ce culte était approuvé par toutes les sectes de philosophie. C’est là-dessus que le stoïcien Balbus établit le polythéisme et la religion des Romains, dans le 3e livre de Cicéron, sur la Nature des dieux ; que Celse, Julien, Porphyre et d’autres, reprochent aux chrétiens d’être ingrats et impies, en refusant d’adorer les génies distributeurs des bienfaits de la nature. Celse soutient sérieusement que les animaux sont d’une nature supérieure à celle de l’homme ; qu’ils ont un commerce plus immédiat que lui avec la Divinité, et ont des connaissances plus parfaites ; qu’ils sont doués de la raison ; que ce sont eux qui ont enseigné à l’homme la divination, les augures et la magie. Orig. contre Celse, liv. 4 , n. 78 et suiv.

Il passait donc pour constant dans le paganisme, qu’un homme pouvait avoir commerce avec les génies ou démons que l’on adorait comme des dieux, obtenir d’eux des connaissances supérieures, opérer, par leur entremise, des choses prodigieuses et surnaturelles. Les philosophes en [p. 146, colonne 2] étaient persuadés comme le peuple ; Bayle, ibid.,  c. 37; les stoïciens en particulier, puisqu’ils avaient confiance à la divination, aux augures, aux songes, aux pronostics, aux prodiges, Cicéron nous l’apprend, L. 2 de Divin., n. 149. Lucien, dans son Philopseudes, reproche ce ridicule à toutes les sectes de philosophie ; et, encore une fois, c’était une conséquence inévitable de la théologie païenne. Les épicuriens mêmes n’en étaient pas exempts ; plusieurs ont été accusés de pratiquer lamagie, et d’être aussi superstitieux que le vulgaire le plus ignorant ; mais on ne sait pas quelle idée ils avaient du pouvoir magique ; on sait seulement qu’en général ils étaient très-mauvais physiciens. La théurgie des éclectiques ou des platoniciens du quatrième siècle était une vraie magie, dans le sens même le plus odieux ; ces philosophes se flattaient d’avoir un commerce immédiat avec les esprits , et d’opérer des prodiges par leur entremise. De là, Celse et les autres ne manquèrent pas d’attribuer à la magie, ou à ce commerce prétendu , les miracles de Moïse , de Jésus-Christ , des apôtres et des premiers chrétiens; mais c’était une double absurdité de prétendre que les démons , dont les chrétiens détruisaient le culte, étaient cependant en commerce avec eux, et de blâmer dans les chrétiens un art par lequel les philosophes prétendaient se faire honorer ; nos apologistes n’ont pas eu de peine à démontrer le ridicule de celte accusation : l’on ne pouvait pas reprocher aux chrétiens de s’être jamais servis d’un pouvoir surnaturel pour faire du mal à personne.

Voilà donc la première origine des différentes espèces de magie, qu’il faut distinguer. On a cru que, par certaines formules d’invocation, per camina, l’on pouvait faire agir les génies, c’est ce que l’on a nommé charme ; les attirer par des chants ou par le son des instruments de musique, ce sont les enchantements ; évoquer les morts et converser avec eux, c’est la nécromancie ; apprendre l’avenir et connaître les choses cachées, de là les différentes espèces de divination, les augures, les aruspices, etc. ; envoyer des maladies ou causer du dommage à ceux auxquels on voulait nuire, ce sont les maléfices ; nouer les enfants et les empêcher de croître, c’est la fascination ; diriger les sorts bons ou mauvais , et les faire tomber sur qui l’on voulait, c’est ce que nous nommons 50)7(76’f/(? ou sorcellerie ; inspirer des passions criminelles aux personnes de l’un ou de l’autre sexe, ce sont les philtres, etc. Tout cela dérive de la même erreur primitive ; mais à chacun de ces articles nous indiquons les autres causes positives qui ont pu y contribuer. [p. 147, colonne 1]

L’imposture , sans doute, y a toujours eu beaucoup de part ; tout homme qui se croit plus instruit que les autres veut paraître encore plus habile qu’il n’est, profiter de la crédulité des ignorants, se faire admirer et redouter ; c’est la passion des philosophes. Tout distributeur de remèdes a eu grand soin d’y mêler des formules, des cérémonies, des précautions, qui donnaient un air plus merveilleux à l’effet qui s’en suivait, et plus d’importance à son art ; c’est encore la coutume des charlatans. Pour qu’une plante eût la vertu de guérir, il fallait qu’elle fut cueillie dans certain temps, sous telle constellation ; il fallait prononcer certaines paroles inintelligibles, se tenir dans telle attitude, etc. Ainsi, la médecine devint une magiecomposée de botanique, d’astrologie, de souplesse et de superstition , Pline, 1. 30, c. 30 , c. 1. Puisque la plupart de ces pratiques ne pouvaient avoir aucune influence sur la guérison, il fallait donc que leur effet fut surnaturel. Ainsi l’on raisonnait, et il n’est encore que trop ordinaire aux philosophes d’argumenter de même : lorsqu’ils ne voient pas la cause immédiate d’une erreur, ils l’attribuent à la religion, au lieu qu’il faudrait en accuser une fausse philosophie.

Si nous remontons plus haut, où trouverons-nous le premier principe de la plupart des erreurs ? Dans les passions humaines. D’un côté, la vanité, l’ambition et la fourberie des imposteur ; de l’autre, la curiosité des hommes, l’avidité de se procurer un bien, l’impatience d’écarter un mal, la jalousie, la vengeance, l’envie de perdre un ennemi, les transports même d’un amour déréglé, ont fait tout le mal ; une âme furieuse a dit : Si je ne puis rien obtenir du ciel, je ferai agir l’enfer ;

Flectcre si nequco superos, Acheronta movebo :

or, la philosophie n’a pas le pouvoir de guérir les passions.

La vraie religion, loin de contribuer en rien à cette démence, n’a cessé d’en détourner les hommes. Dès le commencement du monde, elle leur a enseigné qu’il n’y a qu’un seul Dieu, que lui seul a créé et gouverne l’univers, distribue les biens et les maux, donne la santé ou la maladie, la vie ou la mort. Elle condamne toutes les passions, commande la soumission à Dieu et la confiance à sa providence, défend de recourir à aucune pratique superstitieuse, nous apprend à regarder le démon comme l’ennemi du genre humain. Parmi les premiers adorateurs du vrai Dieu, nous ne voyons régner aucune superstition ; l’on a cependant osé reprocher aux patriarches la confiance aux songes. A cet article, nous [p. 147, colonne 2] verrons ce que l’on doit en penser. Les juifs ne se sont rendus coupables de magieque quand ils ont imité l’idolâtrie de leurs voisins, et ce crime n’est jamais demeuré impuni.

Mais il est une troisième cause, de laquelle nos philosophes ne veulent pas convenir ; ce sont les opérations du démon lui- même, qui, pour se faire rendre les honneurs divins, a souvent fait des choses que l’on ne peut attribuer ni à une cause naturelle, ni à la puissance de Dieu ; et Dieu l’a permis, afin de punir les impies qui renonçaient à son culte pour satisfaire leurs passions. Selon nos adversaires, il n’y eut jamais rien de réel en ce genre ; tout ce que les ignorants et les philosophes ont cru voir et ont cru faire de surnaturel, ce que les Pères de l’Église ont supposé vrai, ce que les historiens et les voyageurs ont raconté, ce qui paraît constaté par les procédures des tribunaux et par la confession même des magiciens, est imaginaire : ce sont ou des impostures ou des effets purement naturels. Nous soutenons que cela n’est pas possible. Vainement Bayle et d’autres ont fait des dissertations sur le pouvoir de l’imagination, et en ont exagéré les effets : lorsque les maléfices ont opéré sur les animaux, ce n’était certainement pas l’imagination qui agissait.

En général, s’armer de pyrrhonisme et nier tous les faits, accuser d’imbécillité ou de fourberie tous les auteurs anciens et modernes, attribuer tout à des causes naturelles qu’on ne connaît pas et qu’on ne peut pas assigner, c’est une méthode très-peu philosophique ; elle prouve qu’un homme craint les discussions, et ne se sent en état de rendre raison de rien, Bayle lui-même en juge ainsi . Dict. crit. Majus, rem. D. Nous n’adoptons point tous les faits rapportés par les auteurs qui ont traité de la magie : un très-graud nombre de ces faits ne sont pas assez constatés : nous savons que, par ignorance, l’on a souvent attribué à l’opération du démon des phénomènes purement naturels, que plusieurs personnes ont été faussement accusées de magie, et punies injustement ; mais il ne s’ensuit pas de là qu’il n’y ait jamais eu de magieproprement dite. Nous raisonnerions aussi mal, si nous disions : Il y en  a certainement eu dans tel cas , donc il y en a eu dans tous les cas. Sur une matière aussi obscure, il y a un milieu à garder entre l’incrédulité absolue et la crédulité aveugle.

II. Trouverons-nous dans l’Écriture sainte ou dans les Pères de l’Église quelque chose qui ait contribué à entretenir parmi les fidèles le préjugé des païens et la confiance à la magie ?

Dans tout l’ancien Testament , nous ne voyons aucun exemple d’opération magique [p. 148, colonne 1] dont nous soyons forcés d’attribuer l’efffet au démon. Lorsque Moïse fit des miracles en Égypte, il est dit que les magiciensde Pharaon firent de même par leurs enchantements ; ils imitèrent donc les miracles de Moïse au point d’en imposer aux yeux des spectateurs ; mais y eut-il réellement du surnaturel dans leurs opérations ? Rien ne nous oblige de le supposer ; le récit de l’Écriture semble prouver le contraire.

En premier lieu, ces magiciens usèrent de préparatifs. Ils furent appelés par Pharaon pour changer leurs verges en serpents ; Pharaon lui-même fut averti d’avance du changement des eaux du Nil en sang, et de l’arrivée des grenouilles. Exod., c. 7. V. Il et 17 ; c. 8, v. 2. 11 est dit qu’ils imitèrent Moïse par des enchantements et des pratiques secrètes. Ces pratiques pouvaient être des moyens naturels, des tours de main capables d’en imposer aux yeux.

Secondement, la comparaison de leurs prestiges avec les miracles de Moïse confirme cette opinion. Enchanter les serpents par des drogues qui leur ôtent le pouvoir de mordre, les manier ensuite sans aucune crainte, est un secret très-commun , non-seulement en Égypte et dans les Indes, mais dans les cantons de l’Europe où l’on fait commerce de vipères. Avec ce talent et un peu de souplesse, il était aisé aux magiciens de faire paraître tout à coup un serpent au lieu d’un bâton. Mais le serpent de Moïse dévora ceux des magiciens, ce qui démontre que ce n’était point un serpent enchanté ou affaibli.

Donner la couleur de sang à un fleuve tel que le Nil, en corrompre les eaux par un coup de baguette, en présence de Pharaon et de toute sa suite, c’est ce que fit Moïse, et c’est un prodige qu’on ne peut opérer par aucune cause naturelle. Imiter ce changement dans une certaine quantité d’eau, dans un vase ou dans une fosse, ce n’est plus un miracle ; nous ne voyons pas que les magiciensaient rien fait davantage.

Lorsque Moïse , en étendant la main, fit sortir du fleuve une quantité de grenouilles suffisante pour couvrir le sol de l’Égypte, et qu’il les fit mourir ensuite par une prière à Dieu , ce ne fut point une opération naturelle. En faire sortir une petite quantité, non pas en étendant la main, mais par des appâts ou par des fils imperceptibles, c’est ce que peut faire un homme adroit avec un peu de préparation, et c’est où se borna le pouvoir des magiciens. Pharaon, convaincu de leur impuissance, ne s’adressa pas à eux, mais à Moïse, pour être délivré des grenouilles.

En troisième lieu, ils furent forcés de s’avouer vaincus ; ils ne purent produire des insectes, parce que l’art n’y a plus de prise ; ils s’écrièrent : Le doigt de Dieu est[p. 148, colonne 2] ici ; ils ne purent détruire aucun des miracles de Moïse, faire cesser aucun des fléaux dont il affligea l’Égypte, ni s’en mettre à couvert eux-mêmes. Dira-t-on que Dieu, après avoir permis au démon de lutter contre lui par trois miracles, l’arrêta seulement au quatrième ? Mais le psalmiste, avant de parler des plaies de l’Égypte, Ps. 135 , v. 4, dit, que Dieu seul fait de grands miracles : et Ps. 71, v. 18, que lui seul fait des choses merveilleuses. Quelques interprètes de l’Écriture sainte ont pensé différemment ; mais d’autres ont suivi le sentiment que nous proposon , et il n’y a rien dans le texte qui y soit contraire.

Quand il serait vrai qu’il y a dans l’Écriture sainte des faits surnaturels qu’on doit attribuer au démon, il s’ensuivrait seulement que Dieu a permis à l’esprit infernal de les opérer, soit pour punir les hommes de leur curiosité superstitieuse, soit pour faire éclater davantage sa puissance, en opposant d’autres prodiges plus nombreux et plus merveilleux ; mais dans tout l’ancien Testament nous ne voyons aucun exemple dont nous soyons forcés d’attribuer l’effet au démon.

L’apparition de Samuel à Saül, ensuite de l’évocation que fit la pythonisse d’Endor, I. Reg. . c. 8, v. 12, ne prouve point que cette femme ait eu le pouvoir de faire paraître un mort : c’est Dieu qui, pour punir Saül de sa curiosité criminelle, voulut lui apprendre, par Samuel, sa mort prochaine. La pythonisse elle-même en fut effrayée ; elle ne s’attendait point à cet événement.

Voyez Pythonisse.

Dans le livre de Tobie , c. 6 , v. 14 , nous lisons que le démon avait tué les sept premiers maris de Sara , fille de Raguel ; mais il n’est pas dit qu’aucun magicien y ait contribué. Tobie mit en fuite le démon en brûlant le foie d’un poisson, c. 8, v. 2 ; mais ce fut un miracle opéré par l’ange Raphaël.

Dans le livre de Job, nous voyons que le démon affligea ce saint homme par la perte de ses troupeaux, par la mort de ses enfants, par une maladie cruelle ; ce fut par une permission expresse de Dieu, et pour éprouver la vertu de Job, et non par aucune opération humaine. Aucun de ces exemples ne donne lieu de conclure qu’un homme peut avoir le démon à ses ordres, et le faire agir comme il lui plaît.

Dieu avait défendu aux Israélites toute espèce de magie sous peine de mort, Levit., chap. 19, ‘v. 31 : chap. 20, v. 6, 27, etc. C’est un des crimes que l’Écriture reproche à Manassès, roi idolâtre et impie , II.Paral., chap. 33, v. 6. Cette défense était juste et sage. En effet, la magieétait une profession de polythéisme , puisqu’elle supposait la confiance aux prétendus génies ou [p. 149, colonne 1] démons moteurs de la nature ; c’était la compagne inséparable de l’idolâtrie, et un des crimes que Dieu voulait punir dans les Chananéens. Cet art funeste avait plus souvent pour objet de faire du mal au prochain que de lui faire du bien. Presque toujours il était joint à l’imposture. Les magiciens avaient plus d’ambition de se faire craindre que de se faire aimer ; ils profitaient de l’ignorance, de la crédulité, des terreurs populaires, pour inspirer aux hommes une fausse confiance ; leur profession était donc pernicieuse par elle-même, et détestable à tous égards.

Mais la loi qui les condamnait supposait- elle qu’ils avaient en effet un pouvoir surnaturel, et pouvait-elle contribuer à entretenir la fausse opinion que le peuple en avait ? Rien moins. Nous ne voyons pas comment les incrédules peuvent en conclure qu’il n’y a eu parmi les auteurs sacrés que peu on point de philosophie. Nous soutenons qu’il y en avait plus que chez les Grecs et chez les Romains. Les lois de ces deux peuples, qui proscrivaient la magiegoëtique, la magie noireet malfaisante, ne statuaient aucune peine contre la magiesimple, qui avait pour but de faire du bien. Nous avons vu que les philosophes y croyaient comme le peuple ; on y avait recours dans les calamités publiques. Bayle a fait voir que la plupart des empereurs romains avaient des magiciensà leurs gages, sans en excepter le sage et philosophe Marc-Aurèle. Rép. aux quest. d’un Prov., lre part. c. 38.

Les auteurs sacrés, mieux instruits, répètent sans cesse que Dieu seul fait des miracles, que lui seul connaît l’avenir et peut le révéler, que de lui seul viennent les biens elles maux, les bienfaits et les fléaux de la nature. Si le démon fait quelque chose, ce n’est jamais par les ordres d’un magicien, mais par une permission expresse de Dieu. Ces vérités détruisent par la racine le prétendu pouvoir des magiciens de toute espèce.

A la vérité, les incrédules font aujourd’hui consister la philosophie à nier l’existence même du démon, et par conséquent toutes ses prétendues opérations ; mais nous leur demandons sur quelle preuve positive ils fondent ce dogme important, comment ils démontrent l’impossibilité des événements dont les auteurs sacrés font mention. Voilà sur quoi ils ne nous ont pas encore satisfaits. Un ignorant peut nier les faits avec autant d’opiniâtreté que le plus habile de tous les philosophes.

Le nouveau Testament fait mention de plusieurs opérations de l’esprit malin, mais auxquelles les magiciensn’avaient aucune part ; ainsi le démon tenta Jésus-Christ dans le désert, et lui montra dans un moment [p. 149, colonne 2] tous les royaumes de la terre , Luc, c. v. 5. Jésus-Christ et ses apôtres, en chassant le démon du corps des possédés, ne nous insinuent point qu’aucun magicien ait été cause de celte possession. Le Sauveur prédit qu’il viendra de faux prophètes, qui feront de grands prodiges capables de séduire même les élus, s’il était possible ; il ne décide point si ces prodiges seront réels ou apparents, Matth., c. 24 , v. 24, Marc, c. 13, v. 22. Les Actes des apôtres, c. 8, v. 11, rapportent que Simon le Magicien avait séduit les Samaritains, et leur avait tourné l’esprit par son art magique : mais on sait qu’il n’était pas nécessaire alors de mettre le démon en action pour venir à bout de tromper le peuple. Saint Paul , II. Thess., c. 2, v. 9, dit que l’arrivée de l’antéchrist sera signalée par les opérations de Satan, par des actes de puissance et par des prodiges trompeurs ; cette expression semble désigner des prodiges faux et simulés, plutôt que des choses surnaturelles, des actions suggérées par Satan, sans être pour cela des merveilles supérieures aux forces humaines.

Aussi les Pères de l’Église ne sont point d’accord dans le sens qu’ils donnent à ces passages. Saint Justin, Apol., n. 26, pense que le démon était l’auteur des prestiges de Simon le Magicien ; mais saint Irénée décide que les prétendus miracles des hérétiques, sans excepter ceux de Simon, sont tous faux, ne sont que des impostures et des illusions. Adv. Haer., I. 2 , c. 31 ; saint Clément d’Alexandrie, Cohort. ad Gent. p. 52, dit que les magiciens se vantent d’être servis par les démons, parce qu’ils les ont assujettis à leurs volontés par leurs charmes, carminibus ; il ne montre aucune confiance à cette jactance des magiciens. Origène contre Celse, I. 2, n. 50, pense que les prodiges des magiciens d’Égypte étaient de purs prestiges ; cependant il est ailleurs d’un autre sentiment. Homil. 13 : in Num., n. 4. « Que penserons- nous de la magie, dit Tertullien ? Ce que tout le monde en pense, que c’est une tromperie, mais dont la nature est connue des chrétiens seuls. » Conséquemment il juge que les magiciensde Pharaon ne firent que tromper les yeux des spectateurs, L. de Animâ, c. 57. Il paraît avoir la même idée des prodiges de l’antechrist. L.5, adv. Marcion., c. 17. Saint Jean Chrysostôme, en expliquant le passage de saint Paul, doute si ces mêmes prodiges seront vrais ou faux ; saint Augustin est dans une égale incertitude, Lib.20, de Civ. Dei, c. 19 ; et les Pères ont eu de bonnes raisons pour ne pas penser comme les incrédules.

En effet, lorsque le christianisme fut [p. 150, colonne 1] prêché, la magie était plus commune que jamais parmi les païens ; nous le voyons par ce qu’en disent Celse, Julien, les historiens romains, et nos anciens apologistes. Les Pères s’attachèrent avec raison à décrier cet art funeste : sans entrer dans des discussions philosophiques, plusieurs attribuèrent au démon les prétendus miracles dont les païens se vantaient ; c’était la voie la plus courte et la plus sage de terminer la contestation. Le pouvoir des démons est attesté par l’Écriture sainte, quoique leur commerce avec les magiciens ne le soit pas. Toutes les sectes des philosophes croyaient fermement l’un et l’autre : les historiens citaient des faits qui paraissaient incontestables, et que Ion ne pouvait attribuer à aucune cause naturelle : si les Pères avaient embrassé le pyrrhonisme des incrédules, ils auraient révolté l’univers entier. Pour détromper efficacement le monde, il fallait, non pas des arguments auxquels le peuple ne comprend rien, et auxquels il ne cède jamais, mais des faits : or, les Pères ont opposé aux païens un fait public et incontestable, le pouvoir des exorcismes de l’Église, dont les païens eux-mêmes furent souvent témoins oculaires, et qui en a converti un très-grand nombre : donc il n’est pas vrai que le sentiment et la conduite des Pères aient contribué à entretenir le préjugé populaire louchant les opérations du démon et de la magie.

III. Il en est de même de la conduite que l’Église a tenue dans les siècles suivants, et qu’elle tient encore. Au quatrième siècle, les nouveaux platoniciens remplirent le monde des prétendues merveilles de leur théurgie ; c’était , comme nous l’avons déjà remarqué, une vraie magie, et l’on sait les abominations auxquelles elle donna lieu ; nos philosophes modernes n’ont pas osé les nier, plusieurs sectes d’hérétiques faisaient profession de magie ; il fallut donc augmenter alors la sévérité des lois. Constantin, devenu chrétien, avait rigoureusement proscrit la magie goëtique, ou toutes les opérations qui tendaient à nuire à quelqu’un : mais il n’avait établi aucune peine contre les pratiques superstitieuses destinées à faire du bien. Après le règne de Julien, qui avait été lui- même infatué de la théurgie, les empereurs furent forcés d’être plus sévères, et de défendre absolument tout ce qui tenait à la magie.

L’Église fit de même. Le concile de Laodicée, tenu l’an 366 ; celui d’Agde, en 506 ; le concile in Trullo, l’an 692 ; un concile de Rome, en 721 ; les capitulaires de Charlemagne , et plusieurs conciles postérieurs. Le Pénitentiel romain , etc., ont frappé d’anathème et ont soumis à une [p. 150, colonne 2] pénitence rigoureuse tous ceux qui auraient recours à la magie, de quelque espèce qu’elle fût ; il a souvent fallu renouveler ces lois, parce que cette peste publique n’a cessé de renaître de temps en temps.

Nous soutenons que toutes ces lois, soit ecclésiastiques, soit civiles, sont justes, et qu’il y aurait de la folie à les blâmer. Bayle a très-bien prouvé que les sorciers, soit réels, soit imaginaires, soit simulés, méritent les peines affliclives qu’on leur fait subir, Rép. aux questions d’un Prov., 1re part. chap. 35. Les raisons qu’il apporte sont les mêmes à l’égard des magiciens.

Quand il serait certain que tout commerce, tout pacte avec le démon est imaginaire et impossible, il n’en serait pas moins vrai qu’un magicien a le dessein et la volonté d’avoir ce commerce, et qu’il fait tout ce qu’il peut pour y réussir ; y-a-t-il une méchanceté plus noire, ou quelque espèce de crime dont un tel homme ne soit pas capable ? Les magiciensne manquent jamais de mêler des profanations à leurs pratiques, et leur intention est toujours plutôt de faire du mal que de faire du bien ; l’on n’en connaît aucun qui ait été puni pour avoir voulu secourir les malheureux, ou pour avoir rendu des services essentiels a quelqu’un. Bayle observe très-bien que, quand in prétendu magicienne croirait pas lui-même à la magie, c’est assez qu’il ait voulu se donner la réputation de magicienpour être punissable, parce que l’opinion seule que l’on a de lui suffit pour opérer les plus tristes effets sur les caractères timides et sur les imaginations faibles.

D’autre part, que le pacte des magiciens avec le démon soit possible ou non, les exorcismes n’en sont pas moins bons et utiles : l’intention de l’Église, qui les emploie, étant de persuader les peuples que les bénédictions et les prières ont la vertu de détruire toutes les opérations du démon, ce qui, dans toute hypothèse, est vrai. Et cela suffit pour tranquilliser et rassurer les esprits trop timides, pour écarter leurs soupçons, pour les détourner de toute pratique superstitieuse et impie. Dans ses inquiétudes et dans ses peines, le peuple donne sa confiance, non à la philosophie, mais à la religion, et il n’a pas tort. Inutilement lui alléguerait-on des raisonnements pour le détromper de la magie ; sur ce point, les philosophes n’ont nue des preuves négatives : or ces preuves, dans l’esprit du peuple, ne prévaudront jamais au récit qu’il a entendu faire des opérations des magiciens, ni à la multitude des témoignages vrais ou faux que l’on peut lui citer. Le seul moyen de lui [p. 151, colonne 1] faire entendre raison est de lui représenter que toute opération magique est impie, abominable, sévèrement détendue par la loi de Dieu, et punie de mort par les lois civiles ; que tous les magiciens de l’univers ne peuvent rien sur un chrétien qui met sa confiance en Dieu et aux prières de l’Église.

Une preuve que ce ne sont ni ces prières, ni les exorcismes, ni les lois, qui contribuent à entretenir les erreurs du peuple, c’est que chez les protestants qui ont rejeté toutes les pratiques de l’ÉgIise, en Suisse, en Angleterre, dans les pays du Nord, la divination, la magie, les sortilèges sont beaucoup plus communs que chez les catholiques, parce que ces crimes demeurent impunis par les protestants.

Dans le temps même que l’Angleterre ne voulait reconnaître de règle et de loi que ce qu’elle appelait la pure parole de Dieu, elle se trouvait remplie d’astrologues, de magiciens, de sorciers. La liberté de penser, introduite depuis dans ce royaume, n’y a point guéri les meilleurs esprits de cette sotte crédulité. Hobbes, matérialiste décidé, avait peur des esprits : Charles II disait du célèbre Isaac Vossius : Cet homme croit à tout, excepté à la Bible. Londres, t. 2, p. 1 et suivantes.

Lorsque les incrédules prétendent que les progrès de la philosophie, dans notre siècle, ont réduit a rien le pouvoir du démon et celui des magiciens, que personne n’y croit plus, ils se vantent mal à propos d’un exploit auquel ils n’ont aucune part, et ils imitent en cela le caractère jongleur des magiciens. Sont-ce des philosophes qui sont allés instruire les habitants des Alpes, du Mont-Jura, des Cévennes et des Pyrénées ? Ce sont les ministres de la religion ; et ceux-ci n’adopteront jamais les principes des philosophes incrédules.

L’unique moyen d’extirper entièrement la magie, serait d’étouffer les passions qui l’ont fait naître ; l’Incrédulité n’a pas ce pouvoir. Déjà nous avons remarqué que les épicuriens, quoique très-impies, ne furent cependant pas exempts de superstition. Il ne serait pas impossible de citer des athées qui ont cru à la magie sans croire en Dieu. Bayle a prouvé que, dans le système d’athéisme de Spinosa, ce rêveur ne pouvait nier ni les miracles, ni la magie, ni les démons, ni les enfers. Dict. crit. Spinosa.

Nous ajoutons que, si les philosophes venaient jamais à bout de la révolution qu’ils se flattent déjà d’avoir opérée, ils rendraient un très-grand service aux théologiens ; ils leur aideraient à inculquer une grande vérité, savoir que le pouvoir du démon a été détruit par la croix de Jésus- Christ, qu’il n’en a plus aucun sur des [p. 151, colonne 2] chrétiens, consacrés à Dieu par le baptême, à moins qu’eux-mêmes ne veuillent le lui accorder. Voyez sur ce sujet on passage de saint Clément d’Alexandrie, au mot démon.

Quelques incrédules ont comparé les cérémonies et les formules sacramentelles usitées dans l’église catholique, à la théurgie et aux pratiques des magiciens ; ce sont les protestants, et en particulier Beausobre, qui leur ont suggéré cette ineptie ; ils comparent le saint-chrême aux parfums et aux fumigations dont se servaient les Égyptiens pour attirer les démons, ou pour les mettre en fuite. Ils n’ont pas vu qu’ils donnaient lieu aux impies de comparer la forme du baptême aux charmes ou aux paroles magiques des imposteurs. Cette absurdité sera réfutée au mot Théurgie. Voyez CHARME, DIVINATION, ENCHANTEMENT, etc.

IV. Plusieurs sectes d’hérétiques ont été accusées de pratiquer la magie, en particulier les basilidiens et d’autres sectes de gnostiques, les manichéens et les priscillianistes leurs descendants ; on supposait que Manès avait appris cet art odieux des mages de Perse, disciples de Zoroastre. Beausobre, protecteur déclaré de tous les hérétiques, a entrepris de les justifier contre ce reproche des Pères de l’Église ; il soutient que c’est une pure calomnie, qui n’a aucun fondement, Hist. du Manich, I. 4, c. 6, §10 ; I. 4, c. 3, § 19 ; I. 9, c. 13.

En premier lieu, dit-il, le nom de magie, dans l’origine, n’a rien d’odieux ; il signifiait l’art d’employer des observations naturelles, des connaissances de physique, de médecine, d’astrologie et de théologie : un mage, était un savant. En second lieu, les païens ont regardé les premiers chrétiens comme autant de magiciens, et de tout temps l’on a renouvelé celte accusation contre les personnages les plus respectables : elle ne mérite donc aucune attention. Quelques sectes d’hérétiques ont peut-être employé des pratiques superstitieuses, comme les amulettes, les talismans, les abraxas des basilidiens ; mais si c’est là de la magie, il faudra en accuser plusieurs Pères de l’Église. Origène, par exemple, liv. 1, contre Celse, n. 24 et 25, soutient qu’il  y a une vertu surnaturelle attachée à certains noms des anges ou des génies ; que la magien’est point un art vain et chimérique. Synésius, de lnsomn., était persuadé que l’on peut avoir un commerce immédiat avec ces êtres invisibles, et opérer des choses merveilleuses par leur entremise. On ne doit appeler magieque le commerce avec les mauvais démons ; quant aux esprits bienfaisants, il n’est point défendu par la loi naturelle de s’adresser à eux : cela n’était interdit par la loi de Moïse, [p. 152, colonne 1] que parce que c’était une source d’idolâtrie. Or, ou ne peut pas prouver que Zoroastre, les basilidiens, les manichéens, ni les priscillianistes, ont jamais invoqué les mauvais démons : c’est donc injustement qu’ils ont été taxés de magie.

Cette apologie n’est pas solide : elle porte sur un faux principe. Il est vrai que les anciens ont ont nommé magietoute connaissance supérieure bonne ou mauvaise, ensuite le commerce avec les esprits ou génies bons ou mauvais ; mais si le commerce entretenu avec les mauvais démons, dans l’intention de nuire à quelqu’un, est l’espèce demagie la plus abominable, nous soutenons que l’autre espèce n’est pas innocente ; non-seulement elle conduit à l’idolâtrie, comme le dit Beausobre, mais c’est une espèce de profession du polythéisme : nous l’avons fait voir ; donc elle est défendue par la loi naturelle : puisqu’un des premiers préceptes de cette loi est de n’adorer qu’un seul Dieu. Les protestants sont forcés d’en convenir, ou de se contredire. Lorsqu’ils argumentent contre l’usage des catholiques d’invoquer les anges et les saints, ils posent pour principe que l’invocation est un culte religieux, et que tout culte rendu à un autre être qu’à Dieu est une profanation et une impiété. Pourquoi, lorsqu’il s’agit de disculper des hérétiques , raisonnent-ils sur une supposition contraire ?

Posons donc un principe plus solide et plus vrai ; c’est que toute invocation d’esprits ou de génies supposés indépendants de Dieu, et non simples exécuteurs des ordres de Dieu, est un acte de polythéisme ; parce que l’on attribue à ces prétendus génies un pouvoir qui n’appartient qu’à Dieu, et qu’on leur accorde une confiance qui n’est dû qu’à Dieu : donc c’est une impiété défendue par la loi naturelle. Qu’on l’appelle magieou autrement, n’importe à la grièveté du crime. L’invocation des anges et des saints n’est permise et louable que parce qu’on les suppose parfaitement soumis à Dieu, et revêtus du seul pouvoir que Dieu daigne leur accorder ; qu’ainsi nous ne pouvons avoir en eux de la confiance qu’autant que nous en avons en Dieu. Par conséquent le culte que nous leur rendons se rapporte immédiatement à Dieu.

La question est de savoir quelle idée les manichéens avaient des esprits ou génies. Ils en admettaient de deux espèces, les uns bons, les autres mauvais ; mais ils ne les regardaient point comme des créatures de Dieu ; ils disaient que les bons sont co-éternels à Dieu, et que les mauvais sont sortis du sein de la matière, Hist. du Manich.., liv. 5, c. 6, § 18 ; liv. 6, c. 1, § 1. Jamais ils n’ont représenté les bons génies comme de simples ministres des volontés de Dieu comme nous considérons les anges. [p. 152, colonne 2]  Puisqu’ils invoquaient ces génies, et désiraient d’être en commerce avec eux, ils ne pouvaient rapporter à Dieu les respects, la confiance, la reconnaissance qu’ils témoignaient aux génies ; c’était donc une impiété, et nous ne voyons pas pourquoi l’on ne devait pas la taxer de magie.

Est-il certain, d’ailleurs, qu’aucune de leurs pratiques ne s’adressait aux mauvais démons, du moins pour les apaiser et les empêcher de nuire ? Ils usaient certainement de caractères et de figures magiques. Il est dit du pape Symmaqne qu’il fit brûler, devant le portail de la basilique constantine, leurs livres et leurs simulacres. Anast. in Symm. Beausobre, qui semble regretter la perte de ces livres, dit qu’il ne sait pas ce que c’était que ces simulacres, Ibid., 2e part, disc. prél. n. 1. Cela n’était pas fort difficile à deviner ; les auteurs ecclésiastiques nous ont assez donné à entendre que c’étaient des figures magiques.

Origène et Synésius ont pensé, comme tous les philosophes de leur temps, qu’il y avait des paroles efficaces, des noms doués d’une certaine vertu, des formules et des pratiques par le moyen desquelles on pouvait entrer en commerce avec les démons ou génies, que les magiciensen possédaient la connaissance ; qu’ainsi leur art n’était pas une pure illusion. Mais ces deux auteurs ont-ils approuvé ce commerce ? ont- ils dit que l’on pouvait en user innocemment ? Ils ont témoigné le contraire. Origène dans l’ouvrage même cité, liv. 1, n. 6, a réfuté la calomnie de Celse, qui accusait les chrétiens d’opérer des prodiges par des enchantements et par l’entremise des démons. Homil. 13, in Num., n. 5, il n’approuve que l’invocation des saints anges ; il dit que ces esprits célestes n’obéiront jamais aux enchantements des magiciens, qu’ils ne peuvent faire que du bien, au lieu que les démons ou prétendus génies ne peuvent faire que du mal , etc. Synésius n’en a pas eu meilleure opinion. Quelle superstition peut-on donc leur reprocher ? Un superstitieux n’est pas celui qui croit qu’une pratique abusive peut être efficace, mais celui qui en use et y met sa confiance. Nous avons montré ci-dessus que les autres Pègres de l’Église n’ont pas pensé comme Origène et Synésius.

Dès qu’il était avéré que les premiers chrétiens faisaient des miracles par le nom de Jésus-Christ, par le signe de la croix, par la récitation des évangiles, Origène contre Celse, ibid., il n’est pas étonnant que les païens les aient accusés de magie. Puisque l’on a formé le même reproche contre les manichéens, il faut donc qu’ils aient fait quelques prodiges apparents, ou qu’ils se soient vantés d’en faire, et qu’ils aient pro- mis d’en apprendre le secret ; dans ce cas, [p. 153, colonne 1] ils ont mérité le nom de magiciens, le blâme des Pères de l’Église , et les châtiments décernés contre ce crime par les lois impériales. Pour être censé magicien, il n’était pas nécessaire d’avoir conversé réellement avec les démons, ni d’avoir fait des prestiges par leur secours ; il suffisait de l’avoir tenté, d’avoir invoqué leur assistance, et d’avoir enseigné aux autres ces pratiques abominables. Saint Paul lui-même a décidé que quiconque prenait part aux sacrifices des païens, participait à la table des démons, I. Cor. c. 10, v. 21. Donc toute relation avec eux était un culte qu’on leur rendait. Les Pères de l’Église n’ont donc pas eu tort de taxer de magie les hérétiques coupables de ce crime, et Beausobre les a fort mal justifiés. VoyezSorciers.

 

 

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