A.. Vigouroux. Spiritisme et aliénation mentale. Article paru dans l’hebdomadaire « La Presse Médicale », (Paris), n°63, mercredi 9 août 1899, page 42 colonne 2 à la page 44 colonne 1.

vigourouxspiritisme0001Auguste Vigouroux. Spiritisme et aliénation mentale. Article paru dans l’hebdomadaire « La Presse Médicale », (Paris), n°63, mercredi 9 août 1899, page 42 colonne 2 à la page 44 colonne 1.

Auguste Vigoureux (1841-1902). Médecin neurologue.  à l’asile de Vaucluse.
—  (avec Dubuisson, Paul (1847-1908). Responsabilité pénale et folie : étude médico-légale. Avec une préface du Pr Alexandre Lacassagne. Paris, Félix Alcan, 1911.

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SPIRISTISME

ET ALIÉNATION MENTALE

Le spiritisme considéré comme doctrine philosophique, morale ou religieuse a été depuis longtemps jugé ; on a pu dire avec raison qui n’a rien à voir avec la science. « Il est facile de reconnaître en lui un amas confus d’hypothèses empruntées à toutes les vieilles écoles idéalistes, spiritualiste et mystique. Ce qui le proclame une philosophie très simple, très belle et très clair, bien supérieur aux autres systèmes philosophiques, pour la plupart ne connaissent que par ouï-dire ces autres systèmes, et c’est là leur excuse (1) ». Au point de vue scientifique, la plus grande partie des effets d’apparence étrange, pour ne pas dire tous, lorsqu’ils sont contrôlés et observés avec les méthodes sont susceptibles de recevoir [p. 42, colonne 3] une explication scientifique, en rapport avec nos connaissances actuelles en psychologie.

M. Pierre Janet à étudier tous ces phénomènes dans son Automatisme psychologique, et dans diverses publications de la Revue philosophique (actes inconscients et dédoublement de la personnalité, les rêveries subconscientes, etc.). Il considère tous les phénomènes médianimiques comme des manifestations de l’automatisme des centres nerveux, chez des sujets présentant une certaine disposition à la rêverie inconsciente et placée dans un état de distraction spéciale. Non seulement, il a reproduit toutes ces manifestations chez des sujets malades présentant d’une façon morbide cet état de désagrégation mentale, mais il a été plus loin : il a su se servir pour le traitement de certains cas pathologiques (idées fixes, possession, etc.), de l’écriture automatique, afin de connaître des pensées subconscientes dont le sujet ne pouvait se rendre compte.

Nous ne voulons pas insister sur ces faits déjà bien connus, mais nous voudrions montrer, par un exemple clinique, le danger que les pratiques spirites peuvent faire courir à certains prédisposés. Une parenté étroite, en effet, l’unique les troubles sensoriels et psychomoteurs des médiums spirites et les troubles de même ordre chez l’aliéné. Chez le spirite, les manifestations, qu’elles soient visuelles, auditives, psychomotrices (verbales ou graphique) provoquée en quelque sorte, et, de plus, leur interprétation repose sur une doctrine simple, celle de l’existence des Esprits de leur action sur notre corps. Que les Esprits soient d’un ordre plus ou moins élevé, qu’ils soient supérieurs ou simplement par farceurs, et la nature des communications est expliquée. Chez l’aliéné, ces mêmes manifestations sont hallucinatoires, le plus souvent spontanées, inattendues, et primitives par rapport au délire, elles surprennent étrangement le malade qui cherche à les interpréter suivant son fonds intellectuel et qui finit par les faire entrer dans un système délirant. Il n’est pas rare d’observer des malades qui n’ont jamais été spirites, attribuer les hallucinations à des esprits et leurs tourments au spiritisme, de même que d’autres accusent l’électricité, la magie, la franc-maçonnerie, etc.

Ces cas d’obsession et de possession par les esprits ont pu être appelées les formes néo-mystiques de la folie, remplaçant les formes de démonomanie, de zoanthropie, lycanthropie ; car on délire [p. 43, colonne 1] toujours, a dit Marcé, dans le cercle de ses idées et de ses croyances. Le professeur Ball, rapportant un cas de possession de ce genre, comparait son malade à un enchanteur maladroit qui, après avoir su évoquer le démon, faute de connaître les formules sacramentelles ne pouvait plus se débarrasser de lui et devenait la victime, l’esclave de celui auquel il avait voulu commander.

La conception de la folie par les spirites et très curieuse et découle logiquement de leur doctrine : pour eux l’aliéné est un voyant, et les troubles qu’il présente sont provoqués par un parent qui poursuit dans l’au-delà une vengeance d’injures faites sur terre. Le traitement est très simple : entrer en communication avec les esprits courroucés et l’amener au pardon et à la réconciliation.

L’observation que nous rapportons est celle d’une malade qui, d’abord adeptes du spiritisme, puis médium auditive et visuelle, devant hallucinée délirante. Ces hallucinations, en quelque sorte volontaires, apparitions fluidiques, conversations avec les esprits, se transformèrent en hallucinations morbides, involontaires, terrifiantes, sur lesquels elle construisit un délire qui la fit interne. Les apparitions fluidiques, qu’elle évoquait d’ordinaire, apparaissent d’elles-mêmes et malgré elle avec des allures de menaçantes, la suivent dans la rue, l’hypnotise et la force à agir contre sa volonté. Les hallucinations visuelles, auditives psychomotrices sont successivement et progressivement constituées. Puis le délire évoluant rapidement, c’est encore dans le spiritisme qu’elle trouve plus tard ses moyens de défense : à l’aide de la prière, elle repousse le fluide ennemi, et elle évoque les esprits supérieurs qui viennent de la défendre et la consolent.

Avant son accès délirant, contrairement à la règle générale, elle n’avait pas eu, au début, de troubles psychomoteurs, étant resté médium auditif et visuel. Depuis son délire, les troubles psychomoteurs, qu’elle attribue « à l’hypnotisme », abondent ; on la fait parler, agir malgré elle, etc. : ils persistent encore aujourd’hui, car les esprits supérieurs peuvent parler par ces organes ; c’est en quelque sorte, une forme finale de mégalomanie. L’autre voie intéressante cette observation se trouve dans son faîte, que le mari et la femme, soumis au même entraînement des belles séances spirites, devinrent le premier médium psychomoteurs écrivains, l’autre médium auditive visuelle, indiquant ainsi à quel type mental ils appartenaient.

Observation. – B. (Marie) veuve H…, cinquante-sept ans, est une femme bien constituée physiquement. Son intelligence présente en certain degré de débilité. Elle a peut fréquenter l’école, il est vrai, mais elle ne lit et n’écrit qu’avec peine et ne compte que difficilement. Cependant, elle a été placée comme domestique pendant treize ans dans la même famille.

Son hérédité de révèle aucun antécédent morbide ; son père et sa mère, cultivateur, sont morts très âgés, elle a 6 frères et 4 sœurs en bonne santé, un frère cependant elle mort de fièvre chaude pendant son service militaire en Afrique.

Dans sa jeunesse, elle a travaillé à la culture et n’a été souffrante qu’au moment de la puberté qui apparut à l’âge de dix-huit ans ; et les règles furent régulières jusqu’à l’époque de la ménopause survenue en cinquante-deux ans ; elle n’est pas d’enfant ni de fausse couche.

Elle vint à Paris à l’âge de vingt et un ans et se plaça comme domestiques. Ses maîtres, très content de ce service, la conservèrent treize ans et la fille mariée un employé d’octroi. Son mariage amena un grand changement dans son situation et ses habitudes. La tenue de son mariage lui laissa d’autant plus de loisirs, pas d’enfant ; d’autre part, son mari, occupés à des heures régulières hors de chez lui, la laissait souvent seul.

Jusqu’à cette époque, elle avait toujours eu des sentiments religieux suite à son éducation première. Elle pratiquait cependant, empêchée par son service, mais elle faisait ses prières et suivait les offices plus quand elle le pouvait. Une fois mariée, elle se mit à suivre toutes les pratiques de la religion, fréquentant les offices, communion, etc.

Elle fit la connaissance du loisible qui la conduisit à une séance de spiritisme et son existence changea ; cette réunion si une grande impression sur elle, elle fut vivement frappée par la foi des assistants, par les évocations des esprits, etc. Elle devint une assistante assidue et une adepte sincère du spiritisme ; les prières, les bonnes paroles qu’elle [p. 43, colonne 2] entendait, la simplicité de la doctrine la touchèrent. Elle comprit qu’on pouvait vivre avec Dieu sans suivre les exercices compliqués de la religion catholique ».

Pour le pas inquiété son mari par ses absences régulières, et aussi pour lui faire profiter de sa découverte, elle lui avoua son assiduité aux séances de spiritisme et l’emmena avec elle. Ils devinrent bientôt de fervents adeptes et, de 1880 à 1888, ils assistèrent régulièrement à deux réunions par semaine.

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Ces séances commençaient par une prière faite en commun ; on demandait à Dieu de faire incarner dans le médium soit un esprit souffrant, soit un esprit instructeur. Dans ce dernier cas, l’esprit instructeur disait de bonnes paroles, faisant des instructions morales, recommandé de faire le bien, d’aimer son prochain, etc. Puis, dans une seconde partie de la séance, les assistants demandés au guide de faire descendre, dans le médium endormi, l’esprit d’un parent ou d’un ami décédé ; l’assistant interrogateur mettait sa main dans celle du médium et la conversation commençait. Les assistants qui avaient la vue voyaient la fluidique du médium sortir de son corps où elle était remplacée par l’esprit invoqué. Pendant toute la séance, cette âme fluidique planait au-dessus du médium. Au début, ni elle ni son mari ne voyait rien, ce n’est qu’au bout d’un certain temps qu’elle a commencé à devenir « auditive et visuelle ».

Dans d’autres séances, le médium et écrivait des communications des esprits, et son mari devint à son tour médium écrive. Ces séances se terminaient par des prières et aussi par une quête au profit des médiums. Jamais ni l’un ni l’autre ne servirent de médium dans des séances publiques.

M… B… ne devint pas médium visuels et auditifs de prime abord ; elle avait été frappée d’entendre ses voisins des réunions lui raconter qu’ils voyaient les âmes fluidique des médiums et que chez eux ils pouvaient à leur gré voir et entendre des esprits évoqués ; elle les enviait et priait pour obtenir la vue.

Après cinq à six ans d’entraînement, les divisions apparurent, et ses visions lui furent plutôt désagréables. C’était en effet des follets, qui, prenant toutes sortes de formes fantastiques, se jouaient d’elle. Elle eut peur, mais l’arme de son père lui apparut pour la consoler, et il lui dit de persévérer, que c’était par la prière que la vue se développait. Elle persista en effet, et acquit la vue et l’ouïe ; non seulement dans les réunions, elle voyait les esprits s’incarner et la fluidité du médium planer au-dessus de son corps, mais elle devint médium et chez elle, après une bonne prière, elle pouvait évoquer tel esprit qu’elle désirait ; son mari priait avec elle, mais il n’entendait ni ne voyait rien qui ne pouvait écrire les communications des esprits évoqués.

En 1888, c’est-à-dire après huit ans de ces pratiques, le mari eut sa retraite d’employés d’octroi, et ils se retirèrent à la campagne, dans la Meuse, où ils s’occupèrent de culture et d’élevage d’abeilles, etc. Ce changement de milieu et d’occupation produisit un effet différent sur les époux : le mari, tout occupé de sa culture et de son travail, renonça à se servir de « l’écriture », tandis que la femme continua ses évocations et racontait à son mari ce qu’elle entendait ; ils étaient tenus au courant par une Revue spirite.

Après un an de cette vie relativement calme, le mari mourut, et M… B…, Restée seule et très attristée par cette mort, n’eut qu’une idée, revenir à Paris, fréquenter les réunions. Elle trouva du reste de rapide consolations dans les pratiques spirites, car huit jours à peine après la mort de son mari, ce dernier lui apparaissait et l’entretenait. Vers cette époque, la ménopause était survenue sans grand accident. En 1894, elle rentre à Paris et va de réunion en réunion, séances de spiritisme, d’hypnotisme, etc. Elle vivait seule de ses rentes dans une maison de la rue Traversière.

Bientôt, elle s’aperçut que ses voisins, pauvres ouvriers, la jalousaient de la voir vivre à ne rien faire ; l’un d’eux, M. S…, se mit « à l’hypnotiser », il lui envoyait du fluide. Quand ce fluide s’emparait d’elle, elle se sentait serrée comme dans un étau et avait conscience qu’une volonté plus forte que la sienne s’emparait d’elle. Alors, ce fluide la faisait parler, prier, lire à haute voix, lui faisait prononcer des paroles qu’elle ne voulait pas dire et que même, elle savait mensongère, d’autrefois, l’empêchait de parler. Quand elle disait, le fluide substituait aux [p. 43, colonne 3] lettres imprimées « des mots écrits avec du sang » ; ces mots étaient dirigés contre la religion. D’autrefois le fluide se condensait et devenait invisible, il prendrait la forme d’hommes ou de femmes masqués qui la suivaient dans la rue ; par la prière, elle s’efforçait de repousser ce mauvais fluide.

Décidée à quitter le logement qu’elle habitait elle sortit pour en chercher un autre qu’elle put retenir. D’abord, elle se vit suivie par des agents de la fausse police et se sentit sous l’influence du fluide ; partout où elle s’adressait, les concierges étaient empêchés de lui louer. Découragée, elle s’assit à la terrasse d’un café, et là, elle resta anéantie jusqu’à ce qu’on lui dise de s’en aller. Elle ne pouvait plus se lever, plus quitter sa chaise, « tout dans ce café la retenait, l’empêcher de partir ». Elle alla cependant chercher du secours auprès d’une amie, spirite comme elle, et, dans les rues qu’elle traversait, elle voyait s’amasser des foules, c’était comme des gens qui allaient se battre, il lui semblait que j’avais elle ne pourrait traverser une telle foule ; c’étaient des esprits fluidiques. Son ami spirite, qui n’avait pas la vue, ne voyait rien et la reconduisit chez elle. Là, les tourments recommencèrent de plus belle, le fluide la forçait à se lever, de se mettre à la fenêtre, on lui « subtilisait » de faire son testament et de déshériter son frère (elle entendait alors des voix lui parler), on lui « subtilisa » d’aller se faire tuer au pied de la colonne de la Bastille où elle avait soulevé une émeute et causé la mort de beaucoup de personnes.

Son frère, averti, vint et fit appeler un médecin ; celui-ci la crut folle, car le fluide l’empêchant totalement de s’expliquer.

Emmenée à Sainte-Anne, puis à Ville-Evrard (Mai 1895), elle continua à être sous influence du fluide : les filles de services l’hypnotisaient et lui faisaient dire des mensonges ; c’est ainsi que la voie à Monsieur Febvre avoir volé du linge à ses maîtres, ce que savait être faux. Elle eut aussi la tête « clousquée ».

Pendant son séjour à Ville-Evrard (Mai 1895 à Septembre 1896), hypnotisme était trop fort pour lui permettre de prier et de lutter contre lui. Cependant, à la fin de son séjour, il faiblit et elle put assembler quelques mots de prière ; alors elle commença à lutter, et ses prières eurent un effet puissant contre le fluide ; même elle put prier pour d’autres malades qu’elle voyait empêchées de le faire. Elle eut une vision. À l’asile de Bégard, où elle fut transférée, l’hypnotisme fut définitivement vaincu par le spiritisme, et les apparitions mauvaises, terrifiantes, involontaires firent place à des apparitions bonnes, réconfortantes et volontaires.

Par la prière, en effet, elle obtint à Bégard et obtient encore aujourd’hui de bonnes apparitions. Elle demande à Dieu de lui envoyer des esprits qui lui veulent du bien et alors apparaissent des formes humaines fluidique ; ce sont des apparitions lumineuses, éblouissante tant elles sont belles ; leur influence est si bonne, si fortifiantes que lorsqu’on les voit, on se sent léger et que l’on voudrait s’élever avec eux. Ils parlent aussi et leur voix est douce et suave, il faut avoir l’ouïe exercé pour les entendre, ils prononcent des paroles réconfortantes : espoirs, courage, tu viendras avec nous. Ce sont des esprits supérieurs. Les esprits d’un degré moins élevé, son mari par exemple, son père, etc., lui apparaissent avec toutes les apparences de la matière, ils sont habillés et tels qu’ils étaient avant leur mort ; ils causent aussi et l’entretiennent des choses de l’au-delà, de leurs souffrances, de leur purification, etc.

Ces apparitions ne surviennent pas toujours au moment de l’évocation, elles se font attendre quelques heures et parfois quelques jours, elle se montre le plus souvent quand elle est seule, mais pas d’une façon constante, la nuit comme le jour.

D’autres fois, des esprits qui souffrent, des follets apparaissent avec des masques sur la figure et cherchent à la taquiner, mais la prière facilement.

Enfin des esprits supérieurs arrivés à la perfection s’intéressent spécialement à elle, ils s’appelle Mas, et elle peut les évoquer à sa fantaisie. Ils l’ont suivi dans son voyage de Bégard à Dum. Ils accompagnaient le train de chaque côté de la portière et ils lui souriaient.

Ces esprits s’emparent parfois de ses organes, et parlent par sa bouche. Alors les paroles qu’elle émet ne sont pas d’elles, elle ne fait que les [p. 44, colonne 1] comprendre par les mouvements d’articulation et surprise de l’élévation des pensées. C’est ainsi qu’à deux reprises, à Bégard, elle a fait aux sœurs des observations sur leur conduite ; ces observations, très justes, n’étaient pas d’elle.

En ce moment, débarrassée de l’hypnotisme, dirigée et réconfortée par des esprits supérieurs et familiers, elle se trouve heureuse, mais cependant elle croit que son devoir est de faire le bien, de secourir, par des évocations, des esprits souffrants ; et comme elle sent que les esprits supérieurs peuvent s’incarner en elle est parlée par sa bouche, elle voudrait retourner à Paris, fréquenter de nouveau les réunions où elle pourrait servir de médium et servir à propager la foi spirite.

 

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