A propos de rêves prémonitoires et de paramnésie. [Partie 2]. Par C. Vesme. 1901.

Les rêves sont les clés pour sortir de nous-mêmes.

Les rêves sont les clés pour sortir de nous-mêmes.

C. Vesme. A propos de rêves prémonitoires et de paramnésie. [Partie 2]. Article parut dans la « Revue des Etudes psychiques », (Paris), 2e série, 1er année, n° XI, Novembre. 1901, pp. 331-350.

Pour faire suite  à la partie 1 : « Revue des Etudes psychiques », (Paris), 2e série, 1er année, n° VIII-IX-X, Août-Sept.-Oct. 1901, pp. 225-242. [En ligne sur notre site]

César  BAUDI DE VESME (1862-1938). D’origine italienne il vécut la plus grande partie de sa vie en France, où il mourut. Défendant une philosophie spiritualiste, bilingue bien sûr, il publia de très nombreux articles et un ouvrage reprenant l’ensemble de ceux-ci. Il se spécialisa dans les études du paranormal et du spiritisme. Son principal ouvrage : Histoire du Spiritualisme expérimental. Paris, Jean Meyer, 1928.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original, mais avons corrigé quelques fautes de typographie.
– Par commodité nous avons renvoyé les très nombreuses notes de bas de page en fin d’article. – Les images ont été rajoutées par nos soins. . – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

[p. 331]

A propos de rêves prémonitoires

et de paramnésie. (1)

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III. — LES RAPPORTS ENTRE LES REVES ET LA PARAMNESIE

En abordant la question de la paramnésie, nous passerons en revue les principales hypothèses qui ont été imaginées pour expliquer les cas où il ne s’agit point d’une simple erreur de la mémoire, car le sentiment du « déjà vu » est bel et bien le résultat d’une connaissance antérieurement acquise d’une façon supernormale. M. Bozzano a déjà fait quelque chose de semblable, avec une limpidité d’idées à laquelle plusieurs journaux se sont plu dernièrement de rendre hommage ; mais cette matière est si peu connue encore et a presque toujours été traitée avec tant de partialité scientifique, que bien des observations intéressantes restent à faire, pour aider à l’éclaircir. Nous nous bornerons à toucher à celles qui se présentent avec le plus de vivacité à notre esprit.
On a pu voir que le professeur Letourneau est venu ajouter une nouvelle explication à celles, déjà assez nombreuses, qu’on avait forgées pour se rendre compte de la raison d’être de la paramnésie. Il rattache ce phénomène à son hypothèse, bien hardie à coup sûr des rêves ancestraux, d’où proviendrait, dit-il, « la reconnaissance fortuite de lieux qu’on n’a jamais vus ». C’est de même par « ce qui a été senti et vécu par quelqu’un de nos aïeux plus ou moins proches » que Mme de Manacéine expliquait « qu’un milieu insolite, que nous apercevons pour la première fois de notre existence, nous parait tout à coup bien connu et même familier ». [p. 332]
Nous ne nous arrêterons pas à cette hypothèse, avant tout parce qu’elle ne s’appuie, pour le moment au moins, sur aucune observation valable, ensuite parce qu’elle ne peut servir à expliquer qu’un nombre fort restreint de cas, et qu’on peut facilement lui appliquer les remarques que nous devrons faire aux hypothèses de la télépathie et de la télesthésie.

Joan Miró , this is the color of my dreams, 1925. (Détail).

Joan Miró , this is the color of my dreams, 1925. (Détail).

Ce qu’il nous faut noter tout d’abord, c’est que, de toutes les dernières études sur la paramnésie, il ressort clairement le rapport qui parait exister entre le sentiment du « déjà vu » et les rêves. MM. Vaschide et Piéron eux-mêmes citent M. Bernard Leroy (2) là où il dit :

Certaines personnes, ne pouvant se résoudre à admettre que le même fait se soit déjà passé une fois intérieurement, pensent qu’il est réellement nouveau, mais qu’elles en ont eu antérieurement une représentation mentale soit en rêvé, soit ailleurs.

Et plus loin :

La plupart de ceux qui sont dupes d’une telle illusion croient que c’est dans un rêve qu’a eu lieu la première perception.

M. de Rochas a cité dernièrement un curieux passage de la biographie que Balzac a écrit de son ami Louis Lambert. Ils étaient alors tous deux au collège de Vendôme. Un jour de fête, les Pères emmenèrent leurs élèves visiter le château de Rochambeau, situé dans les environs :

Ni moi ni Lambert, nous ne connaissions la jolie vallée du Loir où cette habitation a été construite. Aussi son imagination et la mienne furent-elles très préoccupées la veille de cette promenade qui causait dans Je collège une joie traditionnelle. Nous en parlâmes toute la soirée. Quand nous fûmes arrivés sur la colline d’où nous pouvions contempler le château assis à mi-côte, et la vallée tortueuse où brille la rivière en serpentant dans une prairie gracieusement échancrée, Louis Lambert me dit : « Mais j’ai vu cela, cette nuit, en rêve ! » — Il reconnut et le bouquet d’arbres sous [p. 333] lequel nous étions, et la disposition des feuillages, la couleur des eaux, les tourelles du château, les accidents, les lointains, enfin tous les détails du site qu’il apercevait pour la première fois…

 — Illusion de la mémoire — s’écrieront, avec M. Bernard Leroy, MM. Vaschide et Piéron. — Hypothèse inconsciente, due à l’impossibilité de localiser le pseudo-souvenir dans la vie normale !
Mais pourrions-nous encore en dire autant si le percipient avait consigné le rêvé qu’il avait fait, de manière à établir un témoignage, avant de revoir dans la vie réelle ce qu’il avait vu en songe ?
Non évidemment
Or, lisez, par exemple, le cas suivant, publié, dernièrement par M. C. Flammarion :

 

En 1868, j’avais alors 17 ans, j’étais employé chez un oncle établi épicier, 32, rue Saint-Roch. Un matin, et après fui avoir souhaité le bonjour, encore sous l’impression d’un rêve qu’il avait eu dans la nuit, il me raconta que dans ce rêve il était sur le pas de sa porte, lorsque ses regards se portant dans la direction de la rue Neuve-des-Petits-Champs, il en voit déboucher un omnibus de Ville de la Compagnie des chemins de fer du Nord, qui s’arrête devant la porte de son magasin. Sa mère en descend, et l’omnibus continue sa route, emportant une autre dame qui était dans la voiture avec ma grand’mère, laquelle dame, vêtue de noir, tenait un panier sur ses genoux.
Tous les deux, nous nous amusions de ce rêve si peu en rapport avec la réalité, car jamais ma grand’mère ne s’était aventurée à venir de la gare du Nord jusqu’à la rue Saint-Roch. Habitant près, de Beauvais, lorsqu’elle voulait venir passer quelque temps chez ses enfants, à Paris, elle écrivait de préférence à mon oncle qui était celui qu’elle affectionnait le plus, et il allait la chercher à la gare, d’où il la ramenait en fiacre, invariablement.
Or, ce jour-là, dans l’après-midi, comme mon oncle regardait les passants sur le pas de sa porte, ses yeux se portant machinalement vers le coin de la rue Neuve-des-Petits-Champs ; il voit tourner un omnibus du Chemin de fer du Nord qui vient s’arrêter devant sort magasin. [p. 334]
Dans cet omnibus il y avait deux dames, dont l’une était ma grand’mère qui en descend, et la voiture continue sa route emportant l’autre dame telle qui l’avait vue en rêve, c’est-à-dire vêtue de noir et tenant son panier sur ses genoux.
Jugez de la stupéfaction générale ! Ma grand’mère croyant nous faire une surprise, et mon oncle lui racontant son rêve !

PAUL LEROUX,
Le Neubourg (Eure).

Supposons que l’épicier de la rue Saint-Roch n’ait pas communiqué son rêve à son neveu. Qu’est-ce qu’il en serait advenu ? En assistant ensuite à la scène de l’omnibus, au coin de la rue Neuve-des-Petits-Champs, et aussitôt saisi par le sentiment du « déjà vu », il aurait raconté à sa grand’mère, à son neveu et à qui voulait l’entendre, le rêve qu’il avait fait la nuit précédente. La grand’mère, le neveu et les autres y auraient peut-être cru ; mais M. Bernard Leroy se serait écrié avec un peu de précipitation juvénile :
— En voilà un autre qui est dupe d’une illusion lui faisant croire que c’est dans un rêve qu’a eu lieu la première perception !
Et bien, pas du tout : l’oncle de M. Paul Leroux avait heureusement parlé de son rêve avant que la scène rêvée se reproduisît dans la vie réelle ; donc il s’agissait réellement d’un rêve prémonitoire : donc M. B. Leroy se trompe en supposant que le souvenir d’avoir rêvé la scène qui donne lieu au sentiment du a déjà, vu » ne soit toujours qu’une illusion, une erreur de la mémoire. — Et c’était M. Bozzano qui avait vu juste, tout simplement parce qu’il n’était pas retenu par la timide préoccupation de ramener tout fait inexpliqué aux limités des lois psychologiques acceptées actuellement par la science officielle — préoccupation dont parlait dernièrement le prof. Vailati, et qui est le plus grave obstacle à toute nouvelle conquête de la science.
L’oncle de M. Paul Leroux se souvenait parfaitement du rêve fait quelques heures auparavant, il avait à côté de lui un homme qui le connaissait à son tour — par conséquent, il n’a [p. 335] pas été saisi par le trouble mystérieux qui accompagne nécessairement le sentiment du « déjà vu », lorsque le percipient ne parvient pas à se rendre compte de l’origine du sentiment en question.
Si quelques semaines, ou quelques mois, s’étaient passés avant la réalisation du rêve, de façon à ce que le souvenir de celui-ci se soit effacé de la mémoire consciente de l’épicier et de son neveu, alors nos deux bonshommes se seraient évertués — peut-être en vain — pour comprendre comment la scène de l’omnibus ne leur était pas chose nouvelle.
Cette observation suffit à nous expliquer pourquoi ne sont pas plus nombreux les cas servant à prouver que la paramnésie tire parfois son origine d’un rêve prémonitoire. Ou vous vous souvenez parfaitement du rêve et vous vous en êtes même entretenu avec quelqu’un de vos familiers — et alors il s’agit sans contredit, non pas d’une paramnésie, mais d’un rêve prémonitoire ; ou bien le rêve n’a laissé aucune trace, ou seulement une trace fort vague, dans votre mémoire consciente, et alors le lien qui rattache le sentiment du « déjà vu » au rêve n’est plus évident, et il est permis à M. le Dr Leroy et aux autres de le contester.
Mais si les rêves prémonitoires existent — et il y en a des centaines d’exemples bien documentés — ils doivent nécessairement, fatalement donner lieu à des cas de paramnésie, lorsque ces rêves n’ont pas laissé de trace bien claire dans la subconscience du percipient.
On pourra contester la réalité des rêves prémonitoires, en contestant l’exactitude de l’observation des faits ; mais si on les admet, l’on ne pourra pas en nier la conséquence qui en découle, parce qu’elle est de toute évidence.

Merci à  Zibiline Rouillon.

Merci à Zibiline Rouillon.

IV. — LA PRÉVISION SE MÊLANT A.LA PARAMNÉSIE

Du fait même que la paramnésie se produit à la vue d’une scène qui éveille, en nous un souvenir qui avait, au moins pour un instant, disparu de notre conscience normale, il résulte que nous n’avions pas prévu ce spectacle. Sans cela, il ne se produirait plus de paramnésie, mais seulement la constatation d’un cas de prémonition. :
Dans certains cas, pourtant, une fois le souvenir réveillé du fond de la subconscience, le percipient parvient à prévoir le restant de la scène. C’est ce que plusieurs auteurs ont déjà fait remarquer. MM. Vaschide et Piéron le remarquent à leur tour ; ils disent : « Il arrive même que la personne croit pouvoir prévoir une suite d’événements, mais seulement à mesure qu’ils sont écoulés ». Et ils citent deux cas dont l’un est arrivé au docteur L. H., rapporté par Lalande et publié dernièrement dans cette Revue par M. Bozzano. Nous croyons utile de le reproduire de nouveau. Le voilà donc :

…Lorsque j’eus achevé mon éducation, ma mère m’emmena à l’étranger. Après quelques mois de voyage, nous nous établîmes pour tout l’automne à Gunten, sur le lac de Thun. Malheureusement, il m’arriva de me fouler un pied, quelque temps après mon arrivée, et il ne me fut pas possible de prendre part à bien des promenades que les autres faisaient dans les alentours.
Un jour où il faisait très beau, j’avais assisté au départ d’un groupe de touristes pour Thun ; ma mère était restée me tenir compagnie. Nous avions à peine commencé à lire, lorsqu’un monsieur de nos amis revint prier ma mère de lui permettre de nous accompagner au Lac, en nous assurant que nous aurions pu jouir sans la moindre fatigue d’une belle promenade en bateau, après quoi il nous aurait emmenées, par une montée de quelques pas seulement, à un point d’où l’on découvrait un paysage magnifique. Nous acceptâmes et, après une délicieuse promenade de deux heures en bateau, nous prîmes terre à un petit promontoire.
Nous avions commencé à monter par un petit sentier tortueux, lorsque, tout à coup, je fus saisie par la conviction d’avoir déjà été là une autre fois. Et cette sensation fut si forte, que je ne pus m’empêcher d’en parler à ma mère ; en ajoutant, pour lui montrer mieux la vérité de ce que je lui disais, qu’aussitôt que nous serions parvenus au détour du sentier, près du sommet de ce promontoire, j’étais sûre que nous verrions à gauche un arbre avec une petite inscription sur une plaque de tôle. En effet, lorsque nous fûmes, parvenus en haut et que nous tournâmes l’angle formé par le sentier, nous aperçûmes à gauche l’arbre, qui portait l’inscription sur la plaque en métal. Il n’était pas possible que je l’eusse aperçu auparavant, puisqu’on ne la voyait d’aucun point du chemin, et c’était la première fois de ma vie que je visitais ces lieux ; jusqu’à ce jour je ne m’étais jamais avancée si loin vers Interlaken.
Pourtant je reconnaissais parfaitement tous les arbres, tous les points de vue du paysage.
Voilà ce que je trouve dans mes notes de voyage de ce jour :

« 19 Octobre 1887.

« Tous ont été aujourd’hui à Thun, hormis ma mère, qui ne les accompagna que pendant une partie du chemin, pour ne pas me laisser seule. Monsieur T.., nous emmena alors faire un tour sur le lac, après quoi nous prîmes terre pour aller sur le sommet d’une colline, jouir du plus merveilleux coup d’œil dont je me souvienne, A moitié chemin je dis : J’ai déjà été ici ; près de la cîme vous verrez un arbre avec une curieuse inscription sur une plaque de tôle. Ceci se réalisa ; pourtant je n’avais jamais vu ces lieux, ni n’avais entendu parler d’eux avant aujourd’hui,

« Louise M. ROBINSON. »

Mme Robinson ajoute :

« J’ai lu le récit de ma fille ; je puis en tout point en garantir la vérité.

« Charlotte ROBINSON. »

Nous sommes tout prêts à reconnaître qu’il serait avantageux d’avoir à notre disposition un plus grand nombre de faits de ce genre et de pouvoir les contrôler rigoureusement. Mais nous avons fait observer que la rareté relative de ces paramnésies permettant de prévoir une partie de la scène à laquelle elles se rapportent, tient à l’origine même du phénomène.
Du reste, nous le répétons : pour prouver que la paramnésie dévie souvent d’une connaissance subconsciente acquise d’une voie supernormale, il suffira de prouver que nous acquérons réellement ainsi certaines connaissances ; la conséquence en découlera tout naturellement.

 V. — L’EXPLICATION PAR LA TÉLÉPATHIE

Lalande, ainsi que nos lecteurs le savent, explique certains phénomènes de paramnésie par l’hypothèse de la télépathie. Cette explication peut encore paraître bien modérée à côté de celle de M. Bozzano. Néanmoins, M. Alfred Binet la couvre de son dédain ; il la trouve « si bizarre, qu’en vérité on ne parvient pas à comprendre comment il a été possible de la proposer en des temps comme les nôtres. »
Elle n’est pourtant pas aussi bizarre que la situation d’un homme qui se croit à l’avant-garde de la Science, parce qu’il combat les nouvelles conquêtes de la psychologie, telle la télépathie. On a vu déjà cela parmi les conservateurs qui, dernièrement encore, « ne parvenaient pas à comprendre comment on pouvait parler de somnambulisme artificiel en des temps comme les nôtres », — et qui ne s’apercevaient pas qu’ils étaient eux-mêmes les réactionnaires ; que c’était leur théorie qui était démodée. Tels, dans la politique, les anarchistes, qui voudraient ramener l’humanité à son état social primitif, en renonçant à ses plus utiles conquêtes, et qui traitent de réactionnaires ceux qui s’y opposent.
Certes, on peut contester la théorie de M. Ath. Lalande, en ignorant la télépathie, ainsi que pour croira que Rollet était un honnête homme, il suffisait d’ignorer que c’était un fripon. — Mais pour l’hypothèse télépathique on peut dire ce que j’ai dit pour celle des rêves prémonitoires — et avec plus forte raison ; puisque la « prémonition » est une chose qui, pour d’aucuns, n’est pas encore bien établie, tandis que la télépathie né peut donner lieu à doute si ce n’est pour ceux qui le font de parti pris, en refusant de prendre connaissance des observations et des expériences qui s’y rattachent. Nous disons donc que, comme une connaissance subconsciente peut être acquise au moyen de la télépathie, il est tout naturel qu’elle donne lieu, au sentiment du « déjà vu », lorsque l’on voit se reproduire dans la nature le fait auquel cette connaissance subconsciente se rapporte. Ce qui serait inexplicable, ce serait qu’il n’en fût pas ainsi.
Pourtant, avant de nous occuper des cas de paramnésie qui paraissent réellement dûs à un souvenir subconscient acquis au moyen de la télépathie, il nous faut faire quelques remarques.
Mlle Kama Fairbanks a publié dernièrement dans les Archives de Psychologie de la Suisse romande une observation, dont voici les principaux passages :

Vers la fin d’octobre 1900 j’assistai à la première conférence du cours de psychologie de la Faculté des sciences de Genève. J’étais pour la première fois dans cette salle, je voyais et j’entendais pour la première fois le professeur, M, F. J’étais fatiguée physiquement, mais mon esprit était parfaitement éveillé, comme c’est d’ailleurs presque toujours le cas chez moi en temps de fatigue ; (j’ai même beaucoup souffert d’insomnie à cause de cela).
M. F. traitait des généralités et je notais dans mon carnet tout ce qui me paraissait intéressant ou important…
Tout à coup, il me sembla que j’étais à des milliers de lieues de là, que je l’entendais à peine et à travers une grande distance, et je savais tout ce qu’il allait dire. Je sentais en moi comme une impulsion très forte à crier chaque mot avant qu’il l’ait prononcé, et, chose étonnante, il disait en réalité les mots que je lui soufflais mentalement. C’en était de même pour les chiffres, quoiqu’il ne s’agît pas de calculs, mais de chiffres pris au hasard comme exemples. Il n’y avait pour moi dans ce moment-là ni salle ni assistants. Il n’y avait que M. F. et moi-même dans l’espace et je lui soufflais mot à mot ce qu’il disait, quoique je ne connusse point le sujet dont il parlait…
Quelle peut être l’origine du phénomène que je viens de décrire ? Les conditions extérieures dans lesquelles il s’est produit sont assez bien déterminées… L’air vicié et la chaleur en sont sans doute les causes déterminantes. ,
Mais il est plus délicat de donner une explication de la forme même de l’illusion à laquelle j’ai été sujette. J’insiste sur le fait qu’elle n’était pas de la fausse mémoire où de la fausse reconnaissance. M. Bernard Leroy demande, au N° 29 de son questionnaire : « Vos fausses reconnaissances s’accompagnent-elles parfois de ce sentiment que vous prévoyez ce qui va arriver à l’instant prochain (sentiment que nous savons parfaitement ce qui va être à l’instant, comme si nous nous le rappelions soudain). » Cette définition se rapproche du phénomène que j’ai éprouvé, sauf que ledit sentiment le constituait à lui seul, et n’était pas accompagné de paramnésie ; je savais ce qu’allait dire M. F., mais non comme si je me le rappelais, car j’avais constamment le sentiment que le sujet qu’il traitait m’était inconnu.
C’est dire que les diverses théories mises en avant pour rendre compte de l’illusion du déjà-vu ne sauraient expliquer ce qui s’est passé chez moi. Pour MM. Lapie (3) et Bozzano (4), par exemple, la paramnésie résulterait de la réalisation des combinaisons formées par le rêve. Cette hypothèse explique bien les cas cités par Bozzano lui-même, ou d’autres, tels que celui de M, Hannais (5), mais ne peut rendre compte du mien, qui est plutôt de la promnésie que de la paramnésie. Les hypothèses connues de Wigan, d’Anjel, qui ne sont d’ailleurs pas bien claires, ne peuvent pas davantage être invoquées. Celle de Lalande, qui fait intervenir la télépathie, ne mériterait de retenir l’attention que si l’on était certain de ne pouvoir expliquer le phénomène autrement. Les autres théories s’appliquent à rendre compte delà récognition qui caractérise la paramnésie, et nous n’avons pas à les examiner puisque ce qui distingue notre cas, c’est précisément le défaut de récognition.
On pourrait faire l’hypothèse suivante : j’ai été victime d’une illusion d’après laquelle je croyais prévoir les paroles de M. F., tandis que ce n’était que le sens général de la leçon qui avait pénétré dans mon esprit ; et comme j’avais moi-même induit ce qu’allait dire le professeur, je croyais savoir déjà ce qu’il disait au fur et à mesure qu’il parlait. Je ne crois pas cependant qu’il en ait été ainsi, car le sens d’une idée quelconque m’arrive toujours en russe, je pense toujours en cette langue et c’est d’elle que je me sers pour prendre mes notes. Les paroles de M. F. prononcées en français, n’auraient [p. 341] donc pu me paraître la répétition de mon langage intérieur, formulé en russe.
Peut-être pourrait-on supposer que, par suite de la fatigue ou de l’intoxication dues aux conditions extérieures dont j’ai parlé, il s’est créé pendant quelques instants un état d’automatisme de mes centres cérébraux, état grâce auquel les paroles prononcées devant moi, d’une part subissaient un retard avant de parvenir à ma conscience sous forme de mots entendus, d’autre part excitaient d’une façon réflexe mon centre verbal d’articulation, en sorte que je me trouvais prononcer mentalement les paroles de M. F. au moment où je les entendais, ou juste avant. On sait en effet que tout trouble des fonctions corticales favorise les automatismes. Ce mécanisme, si d’autres faits permettaient de le vérifier, rendrait assez bien compte, semble-t-il, de l’illusion de prévision immédiate.

Mlle Kama Fairbanks qui parle, non seulement avec beaucoup de pénétration d’esprit, mais aussi avec une prudence dont bien des savants ne se montrent pas capables, se borne à exposer les différentes explications que l’on peut donner au phénomène auquel elle a été sujette. En effet, rien ne prouve absolument que les dernières hypothèses avancées par Mlle K. Fairbanks ne puissent être les justes. Elles ne le paraîtront pourtant point, par voie d’analogie, si on compare ce cas à celui, qui lui est similaire, de M. J. assistant à la représentation de Ferdinand le Noceur, et disant d’avance à son ami les phrases que les acteurs allaient réciter. Si Mlle K, Fairbanks avait eu une amie à son côté et avait pu en faire autant,-elle se serait probablement persuadée qu’aussi dans son cas il n’y avait pas d’illusion.
Il nous faut pourtant faire uns remarque sur ce que dit Mlle Fairbanks. Elle observe que, dans sort cas, l’on ne peut pas parler de paramnésie, puisqu’elle savait ce qu’allait dire le professeur F., mais non pas comme si elle s’en rappelait. Elle forge donc, pour en baptiser son cas, le mot de promnésie.
Seulement, cela n’a qu’une importance assez-secondaire. La « promnésie » avait lieu aussi dans le cas du Dr J., assistant [p. 342] à la représentation de Ferdinand le Noceur, dans celui du Dr L. H. jouant aux cartes, etc. Seulement, dans ces deux derniers cas, elle était accompagnée de paramnésie.
Qu’est-ce que cela veut dire ? — Tout simplement que, lorsque les docteurs J. et L. H. entendaient prononcer une phrase qu’ils avaient prévue, ils ne pouvaient s’empêcher de songer : « Tiens ! je reconnais cette phrase ; c’est celle que je pensais tout à l’heure ! » Mlle Fairbanks, au contraire, s’est bornée à songer : « Je prévoyais que M. F. allait dire cela ! » — Mais le commentaire que le « sujet » a pu faire à l’égard du phénomène qu’il éprouvait, ne modifie aucunement l’essence du phénomène en question, qui peut être toujours le même dans les cas étudiés par Athanase Lalande comme dans le cas de Mlle Kama Fairbanks : qu’il s’agisse de télépathie, de prémonition, ou même d’un retard que les paroles prononcées devant le « sujet » subissaient avant de parvenir à sa conscience sous forme de mots entendus. Car, enfin, Mlle Fairbanks elle aussi éprouvait le sentiment du « déjà vu » (ou pour mieux dire, du « déjà connu ») lorsqu’on entendant une phrase dite par M. F., elle la reconnaissait identique à celle qu’elle avait pensée un instant auparavant.

Alice Vegrova.

Alice Vegrova.

VI. — LES RÊVES TÉLÈPATHIQUES

Dans les cas qui précèdent, si la paramnésie avait réellement une origine télépathique, la transmission de la pensée avait lieu, selon toute vraisemblance, quelques secondes seulement avant que le percipient entende les mots prononcés par l’agent, c’est-à-dire au moment même où l’agent pensait une phrase avant de la dire. Il se produisait quelque chose de semblable à ce qui nous arrive quand nous assistons au tir de pièces d’artillerie un peu éloignées ; la fumée nous apprend que le coup est parti, avant que celui-ci arrive à nos oreilles. — Cela rend le phénomène assez incertain, assez difficile à bien établir.
Il n’en est pas de même des rêves télépathiques.
Nous ne parlerons pas des cas spontanés : on n’a qu’à ouvrir, par exemple, les Phanfasms of the living, pour en trouver des dizaines. Mais nous signalons plus spécialement ceux qui sont induits, provoqués — par conséquent expérimentaux — et dont l’importance saute aux yeux.
On en a des exemples relativement anciens, tels que ceux publiés par Wesermann dans son livre Der Magnetismus und die Allgemeine Weltsprache, dans l’Archiv für den Thierischen Magnetismus (Dusseldorf, 1819) et dans la Zeitschrift fur Psychische Aertze (Leipzig, 1820) (6).
Wesermann fait rêver à une personne qui se trouvait à la distance d’un mille, qu’elle prend part à l’enterrement d’un de ses amis ; à une autre, qui se trouvait à 1/8 de mille, il fait rêver qu’elle assiste à une rixe nocturne dans la rue, etc., etc.
La plus intéressante de ces expériences est sans doute celle dans laquelle le lieutenant N… devait servir de percipient. Mais comme celui-ci, malgré l’heure avancée de la nuit, veillait encore, la suggestion à distance prit la forme d’une hallucination à l’état de veille ; elle présenta même cela de remarquable : que ce fut une hallucination collective. Voilà ce curieux événement, tel que Wesermann le raconte:

L’objet du rêve que je voulais faire faire au lieutenant N…, à 10 heures et demie, était le suivant : une dame morte cinq ans auparavant devait lui apparaître et l’exciter aux bonnes œuvres. A 10 h. 30, contrairement à mon attente, M. … n’était pas encore couché ; il se trouvait dans l’antichambre et il était en train de causer des guerres de Napoléon avec son ami le lieutenant S—. Tout à coup, la porte de la chambre s’ouvrit ; la dame entra habillée en blanc, avec un petit châle noir sur les épaules et la tête découverte ; elle salua trois fois S— par un geste amical de la main ; ensuite elle se retourna vers N…, lui fit de la tête un petit salut et sortit par où elle était entrée. [p. 344]

Cette scène, qui m’avait été rapportée par le lieutenant N… me parut assez remarquable au point de vue psychologique, pour mériter d’être établie d’une manière rigoureuse. J’écrivis donc au lieutenant S— pour le prier de m’en donner une relation. Voilà sa réponse :
« Le 13 mars 1817, M. N… vint me visiter dans ma demeure à une lieue de A— et s’arrêta cette nuit chez moi. Après le souper, au moment où nous allions nous coucher, lorsque nous étions déjà déshabillés, je me trouvais assis sur mon lit, pendant que N… était debout près de la porte qui mène à la chambre à côté. Il était 10 h. 1/2 à peu près. Nous causions des guerres de Napoléon et d’autres choses.
« Soudain, la porte qui donne sur la cuisine s’ouvrit sans bruit, et nous vîmes entrer une dame très pâle, plus grande que M. N…, étant haute de 5 pieds et 4 pouces environ, de taille forte, habillée en blanc et la tête découverte ; elle avait sur les épaules un grand châle noir, qui lui tombait sur les reins. Elle me salua trois fois de la main, d’une façon cérémonieuse ; ensuite elle se tourna à gauche, vers M. N… et le salua trois fois aussi avec le même geste de la main ; après cela, la figure sortit tranquillement et sans que la porte fit, cette fois encore, le moindre craquement. Nous la suivîmes aussitôt pour découvrir s’il ne s’agissait point d’un tour joué par quelque farceur, mais nous ne trouvâmes rien. Ce qu’il y a de plus singulier c’est que nous trouvâmes endormis les deux soldats de faction à la porte de la maison ; pourtant un instant auparavant, nous avions constaté qu’ils étaient éveillés. Ils se réveillèrent à peine les eussé-je appelés. Une autre chose étrange c’est que la porte de la chambre, qui fait toujours beaucoup de bruit quand on l’ouvre ou qu’on la ferme, n’en a fait absolument aucun lorsqu’elle donna passage à la mystérieuse apparition.

D—n, 11 janvier 1818.

« S — »

L’intérêt de ce cas tient à ceci : il prouve que les phénomènes psychiques ayant toute l’apparence d’être spirites peuvent parfois ne pas l’être. En second lieu, cet exemple prouve l’analogie qui existe entre certains rêves supernormaux et certaines hallucinations à l’état, de veille, sous le rapport télépathique, puisqu’une suggestion mentale, ayant trouvé [p 345] le percipient éveillé, a produit en lui une « hallucination télépathique », au lieu d’un rêve, comme d’habitude.
Mais les plus intéressants rêves télépathiques provoqués que l’on connaissent sont probablement ceux que le Dr J.-B. Ermacora, fondateur de cette Revue, a publié d’abord dans les Proceedings de la Société pour les recherches psychiques de Londres (Vol. XI), ensuite dans les Annales des sciences Psychiques (1896), enfin dans son admirable ouvrage sur la Télépathie (§ 50),
Le mécanisme psychologique de ces expériences est quelque peu compliqué. Mlle Marie Manzini avait chez elle une enfant de cinq ans, sa parente. C’est cette fillette qui servait inconsciemment de percipient ; l’agent était une des personnalités qui se manifestaient dans l’écriture automatique et dans le somnambulisme de Mlle Marie. Celle-ci, dans sa personnalité normale, fut toujours incapable d’action télépathique. Elle ne réussit même pas à provoquer des rêves chez l’enfant au moyen de la suggestion verbale ; M. Ermacora, à son tour, le tenta en vain. Cela offre l’inconvénient de laisser supposer à plus d’un qu’il s’agit là d’un phénomène spirite. En tout cas, il s’agit toujours de télépathie qu’elle se soit effectuée par le moyen des hommes ou par le celui des esprits.
Les expériences se passaient donc ainsi : Pendant que se manifestait la personnalité médiumnique Elvire, M. Ermacora proposait à celle-ci le programme du rêve qu’elle devait faire faire à la fillette, la nuit suivante. Le jour après, l’enfant racontait le rêve à Mlle Marie, ou plus souvent à sa mère Mme Anne Manzini, à qui elle se confiait de préférence. Les expériences faites sont au nombre de 100 ; celles constituant le premier groupe, auquel se rapporte la publication dans les Proceedings et les Annales, ne sont que 71, dont 35 couronnées par un succès complet, 19 réussies incomplètement, et 17 insuccès. Mais de ces 17 insuccès, 4 ne sont qu’apparents, pour des raisons que le Dr Ermacora exposé, et 10 autres ont été plus ou moins justifiés par les conditions défavorables de [p. 346] l’expérience; les insuccès non justifiés se réduisent donc à 4 seulement.
Il va sans dire que le Dr Ermacora prit toutes les précautions imaginables pour prévenir toute fraude volontaire ou involontaire, quoiqu’il ne doutât aucunement de la bonne foi de Mlle Marie ; il arriva jusqu’à faire coucher une personne dans la chambre de l’enfant, afin d’empêcher toute communication entre elle et le « médium » ; il enferma Mlle Marie ; dans sa chambre et en cacheta la porte, etc. Naturellement, la fillette était toujours tenue loin lorsque M. Ermacora fixait à « Elvire » le thème du rêve ; le plus souvent, elle était même déjà endormie.
Voilà, en abrégé, quelques spécimens de ces rêves :

N° 13.L’enfant rêvera de passer avec Mlle Marie dans une place, toute couverte de neige, hormis un point ou la neige sera couverte de poussière de charbon, répandue par un homme qui sera passé par là quelque temps avant. — Au matin, Mme Anne Manzini se fait raconter le rêve par l’enfant, aussitôt que celle-ci se réveille et avant qu’elle ait pu communiquer avec Marie. Le récit de l’enfant est conforme au programme, excepté en cela, que la petite, qui ne se souvient pas d’avoir vu de la neige, dit que la place était toute couverte de grêle. Elle vit qu’à un certain point le terrain était noir comme du charbon, mais elle ne sait rien de l’homme qui l’avait ainsi noirci — deux circonstances qui prouvent que la transmission a été télépathique, et non pas verbale.
N° 30.L’enfant sera à bord d’un paquebot qui portera un drapeau rouge avec une croix verte, Il fera mauvais temps et elle souffrira du mal de mer. — Pendant la nuit, Mme Anne est réveillée par les cris de l’enfant ; elle va aussitôt dans sa chambre et trouve qu’elle se plaint d’avoir mal ; elle dit avoir rendu près du lit, mais la dame constate que cela n’était pas matériellement vrai — la fillette l’avait donc rêvé. Le rêve s’était passé conformément au thème : [p. 347] avec les matelots affairés, le capitaine qui donnait des ordres, l’eau qui passait sur bord, le roulis qui faisait trembler les jambes à la petite — et enfin le mal de mer. A cause d’associations spéciales, qui existaient dans sa tête, le percipient appela tramway le paquebot et « couronne couleur de la salade », la croix verte du pavillon.
N° 59.L’enfant (qui ne connaît pas encore l’alphabet) en rêve saura lire, et lira un mot donné, que M. Ermacora montre à Mlle Marie et qui se trouve dans un livre. — Le jour après, l’enfant se lève toute joyeuse parce qu’en rêve elle savait lire et parce qu’elle a l’impression de le savoir encore ; elle reconnaît le mot dans le livre, mais ne sait pas le prononcer.
N° 80.L’enfant sera un berger et conduira paître les chèvres sur la montagne. Elle s’apercevra qu’il en manque trois ; en revenant les chercher, elle rencontrera une femme habillée en bleu ciel, avec une ombrelle de la même couleur, qui lui dira que les trois chèvres qui manquent sont tombées à l’eau. — Succès complet. Dans son récit, la dormeuse ne dit point être un berger, mais elle « marchait dans un lieu haut, un bâton à la main, et elle était précédée par beaucoup de chiens avec des cornes ». Mme Anne, qui ignorait, comme toujours, le programme du rêve, lui dit alors : « Voyons, les chiens n’ont point de cornes ; c’était sans, doute des oreilles ! » Mais l’enfant répondit : « Non, c’était bien des cornes. »
N° 98. L’enfant est un Français, professeur de chimie à l’Université de Tokio. Un ami lui envoie 10 bouteilles de Bordeaux et le prie de les analyser pour constater si elles ne contiennent pas de fer. On y trouve réellement du fer. — Après que Mlle Marie est revenue de sa transe médiumnique en son état normal, M. Ermacora lui fait répéter plusieurs fois à l’enfant, qui dort, la suggestion verbale, qu’elle rêvera de jouer avec une balle rouge. — En se réveillant, la fillette raconte, comme d’habitude, son rêve à Mme Manzini. Elle dit avoir rêvé d’être un vieux monsieur et de faire la leçon à des [p. 348] jeunes hommes qui « parlaient une autre langue ». Un autre monsieur lui envoya quelques bouteilles de vin (elle ne sait pas dire exactement combien ; elle croit que c’est 8 ou 9). Elle versa dans ce vin un peu de la liqueur contenue dans une fiole, et le vin devint « très sombre ». Elle ajouta qu’il y avait du fer dedans. Mme Anne, qui ne pouvait pas comprendre ce que cela signifiait, lui dit : « Mais si on avait mis du fer dans les bouteilles, celles-ci se seraient brisées. » Et l’enfant : « Non, non ; le vin avait tout simplement le goût de fer. » — M. Ermacora remarque que l’essai chimique rêvé, par l’enfant est conforme à une vraie analyse pour le fer, lequel produit en effet une coloration sombre. Or, il est à observer que Mlle Marie n’a, pas plus que la fillette, aucune connaissance de chimie — ce qui permettrait de supposer que quelqu’autre intelligence ait été mise télépathiquement à contribution dans l’exécution de ce rêve. — Aucun rêve de balle rouge.
Concluons. Si ces rêves n’avaient pas un caractère spirite (hypothèse à laquelle on ne doit recourir qu’à toute extrémité), il est à présumer que Mlle Marie Manzini, ne pouvait les provoquer lorsqu’elle était en son état normal de conscience, parce que la transmission télépathique s’opère de préférence de la subconscience de l’agent à la subconscience du percipient.

Odilon Redon -Le Monstre  (1885).

Odilon Redon -Le Monstre (1885).

Cela dit, supposons un instant, s’il vous plaît, que l’un des rêves faits par la fillette se réalise ensuite, en son état de veille. Prenons pour exemple le premier rêve : celui de la place couverte de neige et de la tache de charbon. Si le Dr Ermacora avait voulu faire une intéressante expérience de paramnésie, il n’aurait eu qu’à ne pas faire questionner l’enfant sur son rêve. Ensuite, pendant la journée, si c’était l’hiver et si la place en question était couverte de neige, il aurait dû répandre sur une partie du terrain de la poussière de charbon. Alors, il aurait dû inviter Mlle Marie à se rendre avec l’enfant sur les lieux. Qu’est-ce qu’il en serait résulté ? Qu’à ce spectacle, fort probablement, la fillette aurait été [p. 349] saisie par le sentiment du « déjà vu ». D’abord, elle n’aurait su s’expliquer cela ; enfin elle se serait souvenue d’avoir vu cela en rêve.

Là encore M. Bernard Leroy aurait parlé d’une « hypothèse raisonnée, due à l’impossibilité de localiser le pseudo-souvenir dans la vie normale. » Et là encore, M. B. Leroy se serait trompé, car il s’agissait bien d’un rêve.

Là encore M. Alfred Binet ne serait pas parvenu à comprendre comment il est possible de proposer l’explication télépathique de la paramnésie « en des temps comme les nôtres ». Et ceci aurait tout simplement prouvé que M. A. Binet croit être encore au déclin du XVIIIe siècle. Pourtant il s’agissait bien de télépathie : d’un rêve télépathique provoqué. Et le seul moyen de ne pas le qualifier ainsi serait d’admettre que c’était un phénomène spirite. Après tout… qui sait ? Et pour l’apparition racontée par Wesermann… qui sait ?

Il nous reste à examiner les hypothèses de l’origine télesthétique et prémonitoire de la paramnésie — et à conclure.

(La fin au prochain numéro.)                                                                                                                                                   VESME.

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Nous recevons de M. le professeur N. Vaschide la lettre suivante, que nous sommes heureux de publier :

« Paris, 28 octobre 1901 »

« Monsieur et honoré Directeur,

« Je viens de lire, dans le récent numéro de votre Revue, quelques lignes dans l’article « A propos de rêves prémonitoires et de paramnésie », que vous signez, quelques lignes que je prends la permission de vous signaler, comme ne reposant pas sur une appréciation suffisamment objective de mes travaux faits en collaboration avec mon ami H. Piéron. A la page 227, vous écrivez ces lignes : « Mais il n’est pas scientifique non plus de supprimer tous [p. 350] les faits qui nous dérangent et qu’on ne trouve pas assez classiques. Bien mieux, il est étonnant de voir que MM. Vaschide et Piéron ont tout simplement négligé de consulter les travaux de la Society for Psychical Research, etc. ». Or, M. Piéron et moi, nous espérons n’avoir absolument rien négligé, d’autant plus que nous nous réservions l’étude des documents spirites, télépathes et autres, dans un article spécial, qui paraîtra sous peu. Nos recherches embrassent le rêve prophétique dans la manifestation la plus complète de l’humanité croyante et l’article de la « Revue des Revues » n’est qu’un chapitre d’une série d’études antérieures parues dans diverses publications scientifiques. Je vous citerai à ce propos : « Le Monist », du 2 janvier 1901, « Bulletin de la Société d’Anthropologie », séance du 7 mars 1901, etc., et bientôt paraîtront des articles sur « le rêve prophétique au moyen-âge », « le rêve prophétique dans la philosophie moderne », etc., etc.
« Tout cela pour vous dire que notre méthode est exclusivement scientifique et que nous n’avons rien omis par principe. Comme vous et comme tant d’autres chercheurs nous n’avons qu’un seul but : celui de la vérité ; nous ne défendons aucune idée préconçue et l’ensemble de nos recherches montre suffisamment l’esprit dans lequel nous nous sommes placés pour reconstruire pour la première fois la prophétie onirique dans la vie intellectuelle de l’humanité.
Agréez, je vous prie, Monsieur et honoré Directeur, avec mes meilleurs sentiments, l’assurance de ma plus parfaite considération.

« N. VASCHIDE »

 

(1) Suite. — Voir le N° 8-9-10 de la Revue.

(2) Etude sur l’illusion de la fausse reconnaissance, Thèse de médecine, Paris, 1898.

(3) Rev. philos. XXXVII, 1894. Cité par B. LEROY, Op. cit., p. 77.

(4) BOZZANO, La paramnésie et les rêves prémonitoires, Revue dés Etudes psychiques, 1901, p, 57 et 100.

(5) Cité dans l’Inconnu, de FLAMMARION, p. 530 §et par BOZZANO, ibidem, p. 110.)

(6) Ces expériences sont rapportées dans : Apparitions und Thought-Transference de J. Podmore, page 331, et dans : Phantasms of the Living (vol. I, page 101).

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