A. J. S. D. [Aignan Sigaud De Lafond]. MAGNÉTISME ANIMAL. Extrait du « Dictionnaire des Merveilles de Nature. » (Paris), , tome 2, 1781, pp. 9-17.

M. A. J. S. D. [Aignan Sigaud De Lafond]. MAGNÉTISME ANIMAL. Extrait du « Dictionnaire des Merveilles de Nature. » (Paris), , tome 2, 1781, pp. 9-17.

 

Joseph Aignan Sigaud De Lafond (1730-1810). Physicien, à l’initiative de la physique expérimentale et de son enseignement, notamment en créant les premiers cabinets de physique. Il fit ses études au Collège royal de l’Université de Bourges, le Collège Sainte-Marie tenu alors par les jésuites. Pendant quarante ans il fit profiter de son talent d’enseignant, de pédagoque et d’expérimentateur un public averti, et publia de très nombreux ouvrages, dont nous avons sélectionné :
Leçons de physique expérimentale. 1767.
Leçons sur l’économie animale. 1767.
Traité de l’électricité. 1771.
Dictionnaire de physique. 1781. (4 vol.)
Dictionnaire des merveilles de la nature. 1781-1802 (3 vol.)
Description et usage d’un cabinet de physique expérimentale. 1784. (2 vol.)
La religion défendue contre l’incrédulité du siècle. 1785. (6 vol.)
Élémens de physique théorique et expérimentale. 1787. (4 vol.)

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

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MAGNÉTISME ANIMAL. Expression de nouvelle fabrique, pour désigner & caractériser des effets qu’on ne peut encore expliquer que par l’émission de certains corpuscules animaux, dont on ne connoît même l’existence que par les faits.

Depuis plusieurs années les Papiers publics étoient remplis de guérisons surprenantes opérées par un Médecin Allemand, nommé le D. Mesmer, & qui n’employoit, disoit-on, à cet effet que de simples attouchemens. A l’aide d’une puissance particulière, d’une vertu singulière, dont il savoit diriger convenablement l’action, il ébranloit, par ces attouchemens variés & réitérés, le genre nerveux de ses malades, & parvenoit par [p. 10] ce moyen à guérir ou à calmer les maladies les plus opiniâtres, dépendantes de l’affection du genre nerveux.

On imagine facilement la sensation que dut faire d’abord sur l’esprit des Médecins & des Physiciens le récit de cette nouvelle méthode de guéri, & je ne puis disconvenir qu’elle ne se présente d’abord que comme une véritable charlatannerie, faite pour abuser de la crédulité du Public.

Cependant les attestations multipliées & même circonstanciées des malades guéris par cette pratique, obligeoient nécessairement les plus prudens, ceux qui savent que nous sommes bien éloignés de connoître toutes les ressources de la Nature, à suspendre leur jugement.

Qui n’eût en effet regardé il y a deux cens ans, & même au commencement de ce siècle, comme une véritable charlatannerie, la proposition qu’on eût avancée de faire éprouver une forte commotion instantanée à quelques centaines de personnes qui se seroient tenues par la main, surtout si celui qui eût proposé cette expérience, eût voulu la masquer, mettre un peu de mystère dans cette opération, & dérober aux yeux des curieux la bouteille de Leyde, dont il se fût servi à cet effet. Je suspendis donc mon jugement sur le compte du Docteur Allemand, & j’attendis patiemment qu’une occasion favorable me mît à portée de voir & d’examiner par moi-même la certitude des faits qu’on publioit sur son compte.

Il vint à Paris vers le commencement de l’année 1778, & il désira faire ma connoissance, [p. 11] avec le même empressement que j’avois de faire la sienne. Nous nous vîmes plusieurs fois, & malgré toute la discrétion qu’il mit à s’expliquer devant moi, malgré le soin qu’il prit pour me dérober la connoissance de son secret, & même malgré le peu de succès des premières tentatives qu’il fit en ma présence, je ne pus lui refuser le témoignage que l’honnêteté de sa conduite & la justesse de ses raisonnemens m’engagèrent de lui rendre. Je jugeai par le peu que je pus appercevoir, que si les effets qu’il se proposoit de produire, ne répondoient point à ses intentions, il n’y alloit nullement de la faute de son agent, mais de la disposition des sujets sur lesquels il vouloit le faire agir, & j’en vis assez à l’hôtel où il logeoit alors, pour être persuadé que ses opérations dépendoient particulièrement du sujet sur lequel il opéroit. Ce n’étoit cependant point allez pour ajouter foi, sans reflection, à toutes les merveilles dont il me fit part. Il pouvoit très-bien se faire, que malgré toute la bonne foi qu’il paroissoit mettre dans son récit, il y eût un peu d’enthousiasme de sa part. C’étoit le jugement qu’en avoit déjà porté le savant Abbé Fontana, mon ami particulier, & qui étoit alors à Paris.

J’attendis de nouvelles expériences & des faits mieux caractérisés, mais je ne pus me satisfaire sur cet objet, M. Mesmer s’éloigna de Paris au mois d’Avril suivant, & fut s’établir à Créteil, avec plusieurs malades dont il s’étoit chargé, & je m’absentai moi-même de Paris pendant près de cinq mois.

J’appris à mon retour que presque tous les malades du Docteur avoient ressenti des effets [p. 12] extraordinaires de sa méthode, & que plusieurs en avoient véritablement retiré des avantages plus ou moins caractérisés. On me dit qu’une Dame sur-tout, que j’avois vue à Créteil, à un voyage que j’y avois fait, avant mon départ de Paris, & que j’avois trouvée dans un état de paralysie très-marqué, incapable de se soutenir sur ses jambes, marchoit alors avec toute la liberté & l’assurance possible. Ce témoignage fut même confirmé par la suite par une attestation bien en forme de ladite Dame, & cette attestation fut imprimée dans le Journal Encyclopédique du mois de Décembre 1778.

On me rapporta & on me décrivit, autant qu’il étoit possible de le faire, les effets singuliers de cette méthode, que le Docteur appelle son magnétisme animal : on me parla de son action sur le genre nerveux, & des mouvemens extraordinaires qu’il produit ; mais jusque – là je n’avois rien vu d’assez positif pour porter raisonnablement un jugement sur des phénomènes de ce genre.

Vers la fin de Novembre de la même année, j’engageai le Docteur Mesmer à venir dîner avec moi dans une maison, où il étoit attendu avec la même impatience que j’avois d’être témoin de quelques grands effets de son magnétisme. Il se rendit à l’invitation que je lui fis de la part des personnes de considération chez lesquelles je voulois le présenter, & qui sont on ne peut plus curieuses de toutes les découvertes qui peuvent tourner au bien de l’humanité. Or, voici ce qui se passa après le dîner, & ce que je puis attester comme un fait que j’ai suivi avec [p. 13] tout le soin possible, & que tous les témoins ont étudié avec toute la défiance imaginable.

La compagnie rassemblée dans le sallon, le D. Mesmer toucha successivement à plusieurs personnes, dont quelques-unes sur-tout avoient les nerfs extrêmement agaçables, & aucune n’éprouva de sentiment qui fût assez sensible pour qu’on pût en faire honneur au magnétisme animal. Il réitéra plusieurs fois son opération, sans qu’il survînt rien de nouveau, qui pût donner la moindre espérance de succès.

Le Gouverneur des enfans de cette maison, homme d’un tempérament fort, robuste, bien constitué, fort peu crédule, & fortifié dans son incrédulité par les tentatives infructueuses qu’il venoit de voir, se plaignoit depuis quelque tems d’une douleur vers les épaules. Il s’offrit au Docteur Mesmer pour sujet d’une dernière épreuve, mais avec une forte persuasion que le magnétisme animal n’agiroit pas davantage sur lui que sur ceux que le Docteur venoit de toucher. C’étoit sans contredit de toutes les personnes rassemblées alors dans le sallon, celle sur laquelle on eût moins suspecté l’action de ce magnétisme, & pour dire la vérité, comme l’incrédule en est convenu lui-même après, c’étoit une espèce de persifflage, mais qui tourna à la gloire du Docteur magnétisant.

Celui-ci s’apperçut sans doute du motif qui amenoit ce nouvel acteur sur la scène, & voulant, s’il étoit possible, lui donner la preuve la plus convaincante de son savoir-faire, il refusa de le toucher ; mais il voulut bien diriger contre lui, & à une certaine distance, son pouvoir [p. 14] magnétique. L’expérience devint plus curieuse & plus intéressante ; l’incrédule présenta le dos au Docteur Mesmer, & celui-ci lui présenta le doigt à sept ou huit pieds de distance. Tant que le doigt du Docteur resta fixe & immobile dans la direction & à la hauteur de ses épaules, il n’éprouva aucun sentiment, & les questions réitérées que lui fit le Docteur magnétisant pendant l’espace de deux minutes ou environ qu’il continua ce jeu, ne firent que l’affermir de plus en plus dans son incrédulité. Il ne put même s’empêcher de la faire paroître par quelques plaisanteries. Les choses en étoient-là, lorsque le Docteur fit ,quelques signes de la tête pour engager les assistans à fixer plus particulièrement leur attention sur le sujet de cette singulière opération. Alors il fit mouvoir son doigt de haut & de bas, & même un peu circulairement, autant qu’il m’est possible de me rappeller ce mouvement, & à l’instant le patient dit qu’il croyoit éprouver un certain frémissement vers la partie supérieure du dos. Le D. Mesmer suspendit son opération. Le magnétisé se retourna, & attribua l’effet qu’il venoit d’éprouver à la contention où il étoit depuis quelques momens, & à l’action du feu de la cheminée auprès de laquelle il s’étoit établi. On recommença l’expérience. L’incrédule s’éloigna de la cheminée, & se tenant de pied ferme, il présenta de nouveau son dos. Mêmes mouvemens, mais plus vifs, plus pressés de la part du Docteur Mesmer : aussi-tôt mêmes impressions dans le dos magnétisé, mais moins équivoques, plus sensibles, & notre incrédule convint alors de leur réalité, & dit qu’il ne pouvoit mieux les [p. 15] comparer qu’à un filet d’eau chaude qui circuleroit dans les veines de ses épaules & de toute la partie supérieure de son dos. On réitéra deux ou trois fois de suite la même expérience avec le même succès, & l’impression devint telle, qu’il refusa de se prêter plus long-tems à l’expérience. On l’y engagea cependant une nouvelle fois ; le Maître de la maison le saisit d’une part par un bras, & moi de l’autre. Le Docteur recommença son opération magique, & il nous échappa des mains, en protestant que la chaleur qu’il éprouvoit devenoit insupportable.

Le moment d’après il nous dit qu’il se sentoit couvert d’une sueur locale, qui s’échappoit de toute l’étendue de la surface de la partie qui avoit été affectée. J’y portai la main, toute la compagnie en fit autant, & on trouva effectivement sa chemise mouillée vers le milieu du dos & vers les épaules.

Après quelques momens de repos, le Docteur Mesmer le prit en face, & posa ses deux doigts, un de chaque main, sur les deux parties latérales de la poitrine, & il ressentit en ces endroits, & même dans toute l’étendue de la poitrine, une impression semblable, mais un peu moins forte que les précédentes. Bientôt une chaleur incommode lui monta au visage, & nous vîmes son front tout couvert de sueur.

Frappé de plus en plus de ces phénomènes, le magnétisé voulut bien se prêter à ce que le Docteur vouloit tenter de nouveau sur lui : il présenta son doigt index & son pouce de chaque côté, les autres doigts restans fléchis dans la main. Le Docteur lui présenta les mêmes doigts [p. 16] très-près des siens, mais sans les toucher. Alors il commença par éprouver un petit frémissement, une espèce de chatouillement dans les paumes des mains. Ce chatouillement fut suivi d’un engourdissement : la chaleur succéda bientôt, &c. ses mains furent couvertes de sueur, non cependant aussi abondante que celle que nous venions de remarquer sur son front, & encore moins que celle qui avoit imbibé sa chemise derrière les épaules.

Tels font les effets dont j’ai été témoin, sans m’être apperçu & avoir pu suspecter aucune cause méchanique qui les ait produits.

Son incrédulité vaincue par ces effets, & ne pouvant revenir de la surprise où ils l’avoient jetté, le nouveau converti se transporta le lendemain matin chez le Docteur, & là il éprouva encore les mêmes irmpressions, ce dont il m’assura par une lettre datée du 2 Décembre, dans laquelle il me marque :

« Ma douleur d’épaule, (car on doit se souvenir que nous avons observé ci-dessus, qu’il se plaignoit depuis quelque tems d’une douleur vers cet endroit,) augmentoit sensiblement, lorsqu’il dirigeoit sur moi l’action de son je ne sais quoi. J’ai ressenti de plus une chaleur comparable à celle de la vapeur d’eau presque bouillante ; des élancemens prompts & rapides dans les membres, de légers spasmes, & des frissonnemens très-vifs dans les doigts. Quand il retiroit sa main, il me sembloit qu’on souffloit dans la mienne un air très-froid. J’ai réitéré plus de vingt fois cette expérience ».

Il termine cette lettre par une réflexion fort sage, [p. 17] & digne d’un esprit juste & conséquent. « Je me fuis confirmé par-là dans la résolution de ne rien nier de ce que je n’entendrai pas, par cela seul que je ne l’entendrai pas. Tout ce que j’ai éprouvé ne paroît pas croyable, je l’avoue ; mais les raisonnemens ne tiennent point contre les sensations ».

Existeroit-il donc dans le corps de l’homme une émanation particulière, différente de la transpiration insensible, que l’homme pourroit diriger à volonté, & qui seroit capable de produire, suivant les circonstances, ou suivant les dispositions qu’elle rencontreroit dans le corps vers lequel elle seroit dirigée, des effets aussi surprenans ? C’est une question qui se présente naturellement à l’esprit ; mais à laquelle personne jusqu’à présent, excepté le D. Mesmer, ne peut répondre. Attendons donc patiemment ou qu’il publie son secret, ou qu’on parvienne à le découvrir. Ce ne sera sans doute pas par les moyens qu’on a publiés dans plusieurs Journaux en 1780. Il n’y a rien dans la poudre qu’on a composée, qui puisse produire les effets que nous venons d’indiquer. En attendant ne soyons point aussi Pyrrhoniens qu’on affecte de l’être sur quantité de phénomènes que nous ne pouvons comprendre, & soyons en même-tems plus circonspects sur la cause d’une multitude d’effets, qui ne doivent peut-être qu’à notre ignorance tout le merveilleux que nous leur trouvons.

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