A. Fournier. Une épidémie de sorcellerie en Lorraine aux XVIe et XVIIe siècles. Extrait des « Annales de l’Est », (Nancy), cinquième année, 1891, pp. 228-259.

Albert Fournier. Une épidémie de sorcellerie en Lorraine aux XVIe et XVIIe siècles. Extrait des « Annales de l’Est », (Nancy), cinquième année, 1891, pp. 228-259.

Albert Fournier. Médecin. Membre de la Société philomatique vosgienne.
Aure publication :
— Note sur la sorcellerie dans les Vosges. Extrait du « Bulletin de la société philomatique vosgienne, 1884-1885 », (Nancy), 10me année, 185, pp. 93-99. [en ligne sur notre site]

[p. 228]

UNE

ÉPIDÉMIE DE SORCELLERIE EN LORRAINE

AUX XVIe ET XVIIe SIÈCLES

La magie, dit Littré, est l’art prétendu de produire des effets contre l’ordre de la nature. Elle comprend toute une série d’opérations comme la sorcellerie, oneiromancie (songes), nécromancie (morts), gyromancie (sorts), cleidomancie (clefs)… etc. Elle comprend aussi les présages, les fées, les génies divins, les talismans, les amulettes … etc.

Il n’est pas d’extravagance que la magie, sous ses formes multiples, n’ait mise au jour, et ici l’imagination de l’homme aidée de ses passions, de ses désirs et de ses convoitises, est arrivée jusqu’à la frénésie (1).

Duns le monde entier, à toutes les époques, quel que soit l’état de la civilisation, à quelques races qu’ils appartinssent les hommes se sont livrés aux pratiques de la magie :

Chaldéens, Egyptiens, Grecs, Romains avaient leurs devins ou sorciers ; au moyen âge, tout ce qui du paganisme ne fut pas absorbé par le christianisme, devint la part du sorcier ; on crut aux génies malfaisants, c’est-à-dire aux diables ; o, évoqua ces derniers, on pratiqua des conjurations.

Les sorciers, c’est-à-dire ceux qui avaient conclu un pacte avec le diable à l’effet d’opérer des maléfices, qui étaient en [p. 229] relation avec lui, qui assistaient à ses réunions ou sabbats, qui jouissaient, en tout ou partie, de leurs attributs ; les sorciers, dis-je, avaient, dans l’esprit des populations, tout pouvoir sur les tempêtes, les orages, la grêle, la foudre ; sur les maladies des hommes, des animaux. C’est à eux que l’on s’adressait pour obtenir les talismans, les amulettes afin de se préserver de tous ces maux.

On les craignait, car s’ils pouvaient faire le bien, ils pouvaient aussi faire le mal : qu’une épidémie sur les hommes, les bestiaux survienne ; qu’une série de troubles atmosphériques gâtent les récoltes, c’est au sorcier que l’on s’en prendra ; c’est lui qui sera responsable de tout le mal.

A la sorcellerie se rattachent d’effroyables sacrifices humains et un martyrologe qui se prolongea pendant dix siècles !

Si les mauvais esprits ou démons entretenaient des relations avec des êtres humains, ils pouvaient aussi se loger dans le corps de l’homme, en prendre possession, y établir leur résidence, en faire un possédé (2).

Un possédé était convaincu d’avoir l’intérieur du corps occupé par un ou plusieurs démons ; d’autres voyaient le diable, sentaient ses attouchements, c’était l’obsession diabolique ».

Avant d’aller plus loin, je dois dire que, dans la proportion de neuf sur dix, ce furent les femmes qui devinrent sorcières, possédées. Elles, surtout, voyaient, approchaient le diable, conversaient avec lui, allaient au sabbat dont elles laissaient une description détaillée, affirmant avoir vu…

…. Quand on les exorcisait, le prêtre et l’appareil religieux qui l’entourait les exaspéraient ; elles injuriaient, blasphémaient, priaient, chantaient ; avouaient avoir mille fois mérité la mort pour leurs accointances avec le diable …. Soumises à la torture, elles montraient une insensibilité qui stupéfiait le juge ; elles allaient à la mort avec une indifférence qui épouvantait les spectateurs. [p. 230]

Toute cette mise en scène, cette répression atroce, augmentaient la terreur, l’horreur que la population éprouvait pour ces malheureuses.

I

De loin en loin, les chroniques lorraines signalent, soit des édits contre les pratiques des sorciers, soit des faits de sorcellerie.

Au XIe siècle, Gérard d’ Alsace fait défense de n’user « d’ aucun mal engin ne sorcellerie pour empecher femme d’avoir enfants de son corps » (3)

Bournon raconte, d’après les Mémoires de son père, une anecdote concernant un fait de « philtre » qui montre une certaine tolérance pour les sorciers au XIIIe siècle. Une fille de bonne famille de Metz, Catherine Dupont, s’énamoura de l’évêque, Jacques de Lorraine (4). Ne pouvant triompher de la froideur de l’évêque, elle alla « en un certain village et consulta bon sorcier et négromancien qui faisait commerce de certains filtres d’amour et breuvages pour rendre gens amoureux… »

Maîtresse du philtre, il fallait le faire boire par Jacques de Lorraine. Catherine s’adressa à un serviteur de ce dernier ; or il se trouva que ce serviteur était, lui aussi, amoureux et qu’on ne le payait pas de retour, Il fit l’expérience sur « sa cruelle » elle réussit entièrement.

Mais l’affaire s’ébruita ; l’évêque, averti, fit arrêter son serviteur et Catherine Dupont. Tous deux furent condamnés à mort pour « accointances avec gens qui faisaient sortilèges et negromances… »

Avant l’exécution, l’évêque se rendit au village où se [p. 231] préparaient ces breuvages pour interroger « les négromanciens ». Il constata que ces prétendus sorciers avaient donné à Catherine Dupont un vin capiteux « qui avait bouleversé tête de femmelette par grand ivrement et quand eut, la femme, cuvé son vin, ne fut tant plus, ni moins amoureuse que fut onc et se porta bien. »

L’évêque fit grâce aux condamnés ;mais à Metz « ce fut mainte et grande risée des juges » pour s’être laissé jouer ainsi et avoir cru « trop légèrement à sorciers, magie et negromances qui ne furent ».

Au siècle suivant, sous le règne de Raoul (1329-1346), on édicta, que celui « qui fera magie, sortilège, billets de sort, pronostic d’oiseau ou se vantera d’avoir chevauché la nuit avec Diane ou telle autre vieille qui se dit magicienne sera banni et paiera dix livres tournois » (5).

Voilà un exemple de tolérance qui fait le plus grand honneur à l’auteur de cet édit.

En l’année 1408 « fut grande déconfiture de femmes que, disait-on, avoir privautés et blandities avec certain gentil­homme qu’avait chatel en Voge et qu’avait nom Romaric Bertrand… par science négromance et sorcellerie avait à mal maintes filles et femmes ». Il avoua qu’une nuit entre « la minuit et la deuxième heure avait eu joyeuses amours et accointances de femmes qui furent dix-huit de bon nombre le même jour… (6) »

Romaric Bertrand fut exécuté ; par grâce spéciale, on lui donna un prêtre, ce qui ne s’était jamais fait auparavant. Les prouesses amoureuses de ce gentilhomme ont valu à Satan l’honneur d’être parfois appelé Monsieur Bertrand, surnom qui vient s’ajouter à ceux de Persin, Nanel, Perrin, Persil, Jolibois, Saut-Buisson, Verdelet…

Romaric Bertrand n’était pas un sorcier dans l’acception [p. 232] du mot ; les femmes se donnaient au diable et nin aux hommes. Bertrand fournissait à ces femmes des breuvages — des philtres -— qui étaient préparés par des sorciers. Ce fut là son véritable crime aux yeux des juges. Quatre-vingts ans plus tard (1482) eut lieu à Senones l’exécution d’Idate, femme de Colin Paternostre du Mesnil. On fit venir un inquisiteur de Metz, Elle était accusée de génocherie et triage. (7).

A la fin du même siècle, une histoire de sorcellerie provoqua un gros scandale à Nancy (1497).

Un prêtre Louis Mouzon rendit mère une tille, Guillaumette Lançon. Pour se tirer d’embarras, ce prêtre accusa sa maîtresse d’accointances avec le diable ; c’était, disait-il, « Monsieur le diable qui avait icelle mis à mal et qui donnerait de lui un petit diablotin et que c’était sort que lui avait jeté un certain Michel Adam… » Ce dernier était aussi un homme d’église, de fort bonne réputation, qui jamais n’avait adressé la parole à Guillaumette. Tous deux furent arrêtés. L’évêque de Toul évoqua l’affaire devant son tribunal, le duc René s’y opposa. Le clergé demanda l’exorcisation qui fut renouvelée à diverses reprises ; Michel Adam protestait de son innocence, assurait ne pas connaître, même de nom, la fille Lançon ; de son côté, celle-ci confirmait cette déclaration et assurait que Louis Mouzon était le père de son enfant et non le diable. Le prêtre calomniateur, effrayé, prit la fuite ; c’était se reconnaître coupable (8).

Si l’on veut tenir compte des idées de l’époque, il est certain que la répression de la sorcellerie en Lorraine n’était pas des plus sévère. Certains ducs, comme Raoul, se contentaient de bannir les sorciers ;les comtes de Salm, à Senones, les abbés de Moyenmoutier, le chanoine Lud , du chapitre de Saint-Dié, donnaient l’exemple d’une certaine tolérance (9). [p. 233]

Mais nous arrivons aux XVIe et XVIIe siècles, au moment où la persécution va prendre un développement inouï .

II

« Dans l’accomplissement de nos actes psychiques nous ne sommes jamais complètement libres ; il y a une sorte de mimétisme social qui nous entraîne. Dans la société on s’imite les uns les autres et c’est l’ensemble de ces imitations conventionnelles qui constitue la bonne tenue.

« Prenez les hommes les plus raisonnables, les plus maîtres d’eux-mêmes, réunissez-les en assemblée; il n ‘est pas impossible que, par l’entraînement, comme on dit, ils se laissent aller à des actes, à des résolutions qu’ils regretteront une fois en face d’eux-mêmes.

« Descendez d’un échelon, réunissez des individus quelconques, faites-en une foule et cette réunion, composée d’hommes bons en particulier, vous savez à quels excès elle pourra se livrer. »

Cette tendance à l’imitation a été si bien entrevue par les législateurs que partout on trouve des lois contre les attroupements.

« C’est au mimétisme que nous devons attribuer ces résolutions subites qui emportent vers la guerre, la révolte ou l’émeute des peuples entiers au moment où ils semblaient le plus calme, le plus pacifique… Il y a des moments où une nation semble devenir malade et perdre son libre arbitre. C’est une véritable épidémie qui règne avec fureur ; c’est une folie par imitation qui les conduit aux actes les plus insensés… »

Il y a des maladies épidémiques de l’esprit comme du corps.

Le fond est toujours le même, les circonstances en font varier la forme, cela tient au milieu ambiant, à l’impulsion première, aux circonstances. Les folies épidémiques du moyen [p. 234] âge ont le même principe que les nôtres, mais elles ne leur ressemblent pas (10).

Aux XVIe et XVIIe siècles, c’est la forme religieuse qui domine. Les luttes religieuses de cette période surexcitent les imaginations, provoquent les exécutions, les massacres, les guerres civiles ; la peur de l’hérésie, de Satan, qui hante les cerveaux fait sombrer Ia raison. La misère, la douleur, le désespoir mènent aussi à la folie ; ceux-là se jettent dans les bras du démon.

Chez le persécuteur, comme pour la victime, la marche de la folie était parallèle ; si tous les déments étaient démonolâtres, les persécuteurs voyaient partout des possédés de Satan.

Une de ces folles avoue avoir déterré son enfant mort récemment et l’avoir mangé. On la condamne au feu. Le mari réclame, demande qu’au moins le fait soit vérifié. La fosse est ouverte et le petit cadavre retrouvé intact. Mais le juge se garde bien de se rendre à cette preuve. Il s’en tient à l’aveu de l’accusée et déclare le corps de l’enfant une apparence produite par la ruse du démon !

La mère fut brûlée avec l’enfant (11). La mère était folle, mais le juge ?

Au XIVe siècle, au début de l’été, hommes et femmes étaient pris subitement d’une envie irrésistible de danse (12) ; ils allaient de ville en ville, faisant partout des recrues, dansant jusqu’à épuisement. C’est à la même époque que la célèbre tarentule éclatait en Italie (13). [p. 235]

Aux XVIe et XVIIe siècles apparurent les épidémies démoniaques. En Alsace, dans une période de vingt années, on brûla dans l’évêché de Strasbourg cinq mille personnes (14).

Pendant dix-neuf ans, on exécutait, tous les ans, mille de ces malheureux en Lombardie.

Des couvents entiers furent atteints en France ; les Ursulines d’Aix, celles de Loudun ; les filles d’Elisabeth à Louviers etc… perdirent la raison par peur du diable. Les procès célèbres d’Urbain Grandier, de Gaufridi, sont trop connus pour qu’il soit utile d’insister.

L’épidémie de Lorraine commença dans le milieu du XVIe siècle. Personne jusqu’alors ne s’en était trop réoccupé ; la population était « délaissée imprudemment, en proie aux rêveries populaires ; personne n’avait prévu que tout entière elle allait se trouver possédée d’un vertige inouï, frappant grands et petits et plongeant la magistrature dans les plus tristes égarements de l’ignorance. Des hommes et des femmes en apparence sains d’esprits se dirent tout à coup avoir des relations suivies avec Satan, le reconnaître pour maître et se complaire à utiliser, aux dépens de leurs voisins et amis, la puissance occulte qu’ils en avaient reçue en retour d’une complaisance impie (15).

Nicolas Remy

Nicolas Remy avoue avoir fait périr, pendant les quinze années qu’il resta procureur général, neuf cents sorciers.

  1. G. A Save (16) estime à six cents le nombre des victimes pour le seul arrondissement de Saint-Dié et à quatre cents ceux qui résistèrent aux tortures ou qui échappèrent au supplice. Il a relevé, toujours pour la même région, deux cent trente procédures de 1530 à 1629. [p. 236]
  2. Dumont (17) fait le même travail pour toute la Lorraine (de 1532 à 1661), il en trouve sept cent quarante. Je ferai remarquer que ces chiffres sont bien au-dessous de la vérité, car le plus grand nombre de ces dossiers ont été perdus.
  3. G. Save (18) a eu l’ingénieuse idée de tracer la courbe de cette persécution pour l’arrondissement de Saint-Dié pendant une période de trente-deux années (1600-1632). On a ainsi sous les yeux les hauts et les bas du développement de la sorcellerie.

On constate sa marche : 1609, Raon ; 1610, Étival ; 1611, le ban de Fraize ; 1612, Saint-Dié ; 1613, la vallée de la Fave.

Pour l’ensemble de la Lorraine, voici quelques chiffres pris dans les relevés de M. Dumont (18) : 1582, 22 suppliciés dont 17 femmes ; 1587, 28 sur lesquels 21 femmes ; 1594, 31 dont 24 femmes ; le village de Leintrey voit 8 victimes dont 7 femmes en 1603 ; l’année 1608 est celle qui a le plus de supplices, 37 : 25 femmes et 12 hommes.

1616 : 32, dont 26 femmes. Cette année, il y eut à Raon 10 victimes et 7 à La Neuveville-Ies-Raon !

1629 : 7 nouvelles victimes à Raon ; 5 à Hymont en 1630 et 7 à Mattaincourt.

Au val d’Ajol, l’année 1653 vit supplicier 6 sorciers.

Je le répète, ces chiffres sont de beaucoup inférieurs il la vérité ; nombre de dossiers de ces procès sont disparus, dispersés par ces ventes d’archives faites sous la Restauration (19).

Quoi qu’il en soit, ces chiffres relevés par MM. Dumont et G. Save nous donnent une idée de ce que dut être la répression sous les règnes du grand duc Charles III et du bon duc Henri II. [p. 237]

III

On ne connaissait que deux remèdes à la sorcellerie : l’exorcisation, le bûcher.

Par la première on tentait de chasser le diable : si l’en n’y parvenait pas, le feu détruisait tout à la fois le malheureux et le démon qui habitait en lui.

Cette obsession, c’est-à-dire la peur de Satan, se retrouve dans l’imagerie, dans la peinture de l’époque. Des dessins des XVIe et XVIIe siècles ont reproduit des scènes d’exorcisme ; dans une vieille estampe de 1589 on voit sortir de la bouche d’un exorcisé une forte fumée, c’est le diable qui fuit ; une autre représente la femme qui se débat violemment pendant que le prêtre lit ses prières.

On trouve dans la Transfiguration (21) de Raphael un possédé ; Rubens (22) a peint un saint Ignace exorcisant un démoniaque ; avec Jordaens (23) c’est saint Martin qui débarrasse un homme de son démon ; une fresque du Dominiquin (24) reproduit la même scène…

Callot n’a pas manqué de graver de pareilles scènes de supplices, d’exorcismes. C’est surtout dans son Enfer qu’on retrouve cette influence dominante ; dans une des quatre feuilles, celle des luxurieux, on ne voit que des femmes et un seul homme ; les diables ont certain membre contourné de diverses façons, exactement comme les femmes, qui s’accusaient de relations avec eux, disaient l’avoir remarqué dans leurs interrogatoires.

L’exorcisme avait pour résultat de provoquer une crise : la vue du prêtre et de la mise en scène qui l’entourait exaspérait la victime ; aussi le résultat était-il toujours négatif. [p. 238]

Ces crises étranges, bruyantes, revêtaient aux yeux du public un caractère surnaturel ; la colère divine, l’intervention du démon pouvaient elles en être la cause. Aussi, l’imagerie n’a pas manqué de les reproduire.

Le livre d’Abraham Paling (25) représente une femme tombée aux pieds des juges, se débattant ; c’est le début de la crise ; dans d’autres, ce sont des scènes de délire, de contraction du corps et des membres, de vomissements enfin qui terminent le tableau d’une attaque hystéro-épileptique. C’est exactement ce que l’on voit dans nos hôpitaux d’aliénés ou à la Salpêtrière !

L’interrogatoire, les dépositions de ces pauvres insensées sont encore plus caractéristiques, on se trouve en présence du délire, de l’hallucination :

Barbe, femme de Jean-Remy Colin de Moyemont, accusée de sorcellerie, est arrêtée et transférée à Saint-Dié (1613.). Elle commence par tout nier : « Elle est femme de bien et que sy elle fut ou était aultre, elle n’eut failly de nous le dire cy devant et présentement… »

Les juges la « voyant en ceste résolution et qu’impossible nous est de tirer la vérité par voie amyable, nous l’avons fait raser en tous les endroictz de son corps par la vile personne du dict Saint-Diez…

Cela fait (26), on lui montre les appareils de torture, on l’exhorte à parler ; elle refuse encore, mais les juges constatent une certaine hésitation… « La voyant à demy esbranlée et que nonobstant la réponse cy-dessus, il y avoit apparence qu’elle ne résisteroit aux douleurs sy on luy faisoit sentir tant soit peu, nous avons ordonné de l’appliquer à la dicte question… »

Étendue sur l’échelle et « tirée un tant soit peu » elle finit par parler :

« Elle a convenu que sont vingt ans ou environ, qu’un jour [p. 239] sur le vespre, estante allée en un lieu dit vers la Haye des Chafour, faschée qu’elle estoit de ce que son marit l’avait tantée, s’apparut à elle une personne habillée de noire qui lui demanda la cause de sa fascherie et, Iuy en aiant reparti la cause, la persuada destre des siens et se croire à luy, qu’en ce faisant i lui donneroit de l’argent et aultre chose nécessaire. De quoy elle fit un grand refus du commencement ; mais enfin vaincue, consenty de se croire et donner à ceste personne qui la pinça au front sans Iuy faire toutes fois grand douleur.

« De suite luy fit renoncer Dieu et le prendre pour son maitre luy disant qu’il s’appelait maître Perrin, Iuy donna de plus, dans un papier, quelque chose qui sonnoit luy asseurant estre argent qu’elle trouva, s’estant disparu d’elle, estre des escailles de verre qu’elle jecta aussitôt par terre voyant qu’elle estoit ainsy abusée.

« Luy donna de plus trois sortes de pouldres dans du papier, sçavoir : de la noire pour faire mourir gens et bestes, la grise pour languir et la blanche à guérir. »

C’est la première hallucination :

Cette femme, misérable, énervée, tourmentée par des chagrins, des querelles avec ses voisins, par des scènes conjugales, sort de chez elle, surexcitée, elle est, comme tous — à cette époque — hantée par la peur de Satan, par des récits de sorciers… Satan lui apparait et fait avec elle un pacte : elle aura de l’argent, elle pourra se venger.

Deux jours après elle revoit « maitre Perrin ». Cette fois, elle se livre à lui et le « congnut charnellement mais avec fort peu de volupté ains (même) du mescontentement, ad cause que la nature diceluy ne ressembloit à celle de son marit… »

Elle se sert des poudres que Satan lui a données : elle reconnaît avoir fait périr du bétail appartenant à Jean Vincent, maire « ad cause que la femme du dict Vincent avoit heu quelque légère dispute avec elle… » Une autrefois « Nicolle, femme de Thomas Vincent » occupait une place à l’église, au même banc qu’elle, il lui fallait passer devant pour gagner la sienne ; [p. 240] cette femme ne voulait pas se déranger, de là des querelles : « en hayne de quoy, la trouvant un jour à sa commodité aisise (assise) luy jecta de la dicte pouldre, elle Iuy en jecta tellement que la dicte Nicolle d’aussy tost tomba malade et dans quelques sepmaines rendit l’âme… »

Une autre fois: « le dict maître Perrin son maître; s’estant presente à elle et l’adverty de l’occasion qu’elle pouvoit avoir de se venger d’un certain Mengeon Colin qui la chargei t d’avoir esté prendre quelque chose dans son meix et dont y avoit heu dispute entre eulx et ne pouvant elle-même effectuer son desseing, elle donna son consentement audict Perrin de prendre vengeance d’icelle dispute en son nom, qui fut qu’un fils du dict Mengeon Colin appelé Nicolas fut précipité) sur le ministère du dict son maitre, dans une chaudière d’eau chaude qui estoit auprès du feu et de laquelle ledict fils estant bruslé sans en avoir peu estre soudainement retiré, mourut… »

Maitre Perrin lui défendait l’usage de l’eau bénite, « Iuy faisant croire qu’elle ne servoit de rien et n’en falloit user « .

Bien des fois, le diable l’« a induict par menasses et coups de lui porter la saincte et sacrée hostie qu’elle recepvoit le sainct jour de Pâques ; mais qu’elle n’en a abusé que deux ou trois fois, qu’elle la tiroit avec sa main de sa bouche et que secrètement, elle la mectoit clans du papier et luy portoit au sabat, ne sçait ce qu’il en faisoit… »

Plus d’une fois l’accord entre elle et Satan faillit se rompre, elle se refusait à ses exigences à à donner maladie, mort… et la battoit assez souvent bien rudement avec ses mains qui estoient rondes et courtes en forme de patte ou pied de bestes dont elle recevait grand mal… »

C’était le mercredi ou le jeudi — elle ne se rappelait au juste — qu’elle allait au sabbat ; « elle y alloit à son pied et retournoit toujours de nuict et que le dit Perrin la venoit sommer derrière chez elle ou d’ordinaire elle se trouvait à cest effet de recepvoir la sommation…, le dict sabat se tenait communément en un lieu dict au Pinat ou y a un bois et joingnant un [p. 241] prey, ou elle a veu danser les assistants en nombre de sept à huict personnes, partie desquelles elle ne cognoissoit ad cause des masques hideux qu’elles avoient de noire ; y a de plus veu bancqueter et manger de la chair, ne sçait d’où qu’elle venoit, qui n’avoit point de gout ad cause qu’il n’y avait point de sel… Qu’environ le dict Pinat estoient quelques ruisseaux dans lesquels elle et ses complices touchoient avec des baguettes blanches que le dict maître Perrin leur donnoit, de façon que peu de temps après la gresle tomboit, mais qu’elle ne faisoit mal aux biens des champs pour ce qu’elle craignoit d’avoir faim… » On dansait au sabbat « au son  d’une fleute joué e par un habillé de noir. Une fois « maître Perrin » la ramena chez elle et « l’a chargée sur son col (27) ».

Toutes n’avouaient pas comme la femme Colin de Moyemont. Il en était qui résistaient aux douleurs de la torture et le juge était obligé de convenir de leur innocence et de les relâcher.

Nicolle Grillat, femme du maire Colas Solviat de Girivillers, arrêtée en novembre 1594 pour sorcellerie est transférée à Saint-Dié (28).

NicoIle Grillat se refuse à tout aveu : « jamais elle ne fict acte de sorcellerie non plus que l »un de nous (les juges) ».

On la soumet à la torture (17 novembre) :

« Luy avons fait veoir tous les apprestz préparés pour luy donner la question et le maître prest pour faire son debvoir Ià où elle le vouldra convenir de ses maléfices… a toujours fait réponce qu’elle n’est sorcière et que sy le diable a fait quelque chose en son nom elle n’en peult… » On lui applique les gresillons (29), mais on les lui enlève « ad cause qu’elle a faict veoir [p. 242] de ne se sentir d’iceulx… a esté étendue sur l’échelle (30) liée par les piedz et mains pour luy faire sentir la question suivant ordre dicelle…. retirée (tirée) en cest estat a commencé a s’écrier : qu’elle n’est pas sorcière, a demandé que la facions mourir d’aultre mort que ceste cy… Luy avons réplicqué qu’il faut qu’elle nous die comment elle fut tentée et pourquoy et qui a esté celuy qui I’a abusée ?  A dit qu’elle n’en scaurait rien dire et que nous la facions mourir… A esté sur ce faict détirée plusieurs tours sans qu’elle (se) soit plaint ou montré signe qu’elle endure douleur grande et extraordinaire, miais bien plustot que le diable porte la peine pour elle. Et de cette cause, avons jugé que tourtes les remontrances qui lui sont faites ne sont fruit à son endroict et que la prêchons en vain. Ainsy, continuans à la rernonstrer, luy avons faict applicquer les tourdillons pour essayer si ce tourment aura plus de force de la faire confesser son faict… » Un instant la douleur l’emporte, elle fait quelques aveux ; les juges s’empressent d’augmenter la torsion, croyant qu’elle va parler enfin, mais la voilà qui « denye » tout ce qu’elle vient de dire ; jamais elle n’a vu maître Perrin… et « encore sur telles dénégations elle a este de rechef rudoiée, n’a voulu rien dire, sy bien que voyant cette obstination sy grande et présupposans n’estre maintenant son heure de pouvoir tirer d’elle la vérité… » on la laisse tranquille afin « qu’elle advise de se délibérer de nous dire la vérité ».

Le lendemain 18 novembre on lui demande « sy le dict [p. 243] maître Perrin s’a apparu à elle ?… a dit que jamais elle ne vit maître ny que jamais elle ne fut tentée du diable… »

On l’accable de questions insidieuses, à toutes elle répond qu’elle n’est pas sorcière, qu’elle est femme de bien… « La voyant en ceste résolution, Iuy avons fait présenter la question pour veoir sy cela l’intimidera et fera parler d’ung aultre langage, n’at neantmoings pour toutes menaces et presentations voulu dire autre chose qu’ainsy qu’elle avoit dict cy-devant ; nous laissons tout estonnés de la veoir ainsy forte et sans se sentir que sy peu des tourments qu’elle endura hier et l’avons renvoyé à sa prison ordinaire… »

Le cas était embarrassant en effet, on en référa aux échevins de Nancy qui ordonnèrent de continuer « d’informer plus amplement et de l’interroger de rechef pour voir s’il y aurait quelques variations en ses réponses ».

Le 29 décembre suivant la malheureuse Nicolle fut ramenée devant ses bourreaux.

Les interrogatoires recommencèrent, mais elle persévéra dans ses dénégations ; « Voyant cette persévérance, Iuy avons faict veoir les grésillons, I’échelle et aultres instruments servant à donner la question et l’avons menacée de la faire détirer, sy elle ne confesse la vérité et que scavons bien qu’elle est sorcière… a dit : par sa foid qu’elle n’est sorcière et que perdons temps de la prescher ainsy ; qu’elle est d’une sy bonne race et de sy bonnes gens esquelz jamais ne se trouva sorcier ne sorcière et que, quant à elle-elle ne I’est pas aussy… »

On lui fuit subir à nouveau lu torture : « Elle prie pour I’honneur de Dieu qu’on la meine brusler tout maintenant (tout de suite) qu’elle aime mieux mourir et que nous nous damnons de faire contre elle ce que faisons… »

Les juges s’avouèrent vaincus : « Les maîtres échevins de Nancy qui ont veu ce qu’a esté besongné à l’encontre de Nicolle Grillat disent qu’il y a matière de la renvoyer jusques à rappel… » (2 janvier 1595).

Elle fut relâchée. [p. 244]

La femme Colin de Moyemont avoue tout ; elle raconte dans tous ses détails ses hallucinations, sa rencontre première avec le diable, son pacte avec lui, les visites qu’il lui faisait, ses attouchements ; elle décrit le sabbat ; la façon dont elle se vengeait de ses ennemis.

C’était bien une folle.

Nicolle Grillat, au contraire, n’avoue rien. Elle résiste aux tourments les plus violents, Les juges eux-mêmes en sont stupéfaits ; ils en concluent que c’est le diable qui prend la douleur pour lui !

Ils recommencent ; mais c’est en vain. Ils sont tous « estonnés de la veoir se sentir sy peu des tourments qu’elle endure ».

Il y avait d’autres malheureuses qui ne poussaient pas un cri et subissaient la torture dans le silence le plus absolu, on appelait cela le charme de la taciturnité.

Pour celles-ci comme pour Nicolle Grillat, c’était le diable qui leur enlevait, supprimait la douleur. Aujourd’hui ce charme s’appelle tout simplement une anesthésie hystérique totale.

François L’Hermite de Saint-Dié fut examiné par maitre Pierre, chirurgien de cette ville ; il reconnut une marque noire de la grosseur de la tête d’une épingle entre les deux épaules, « laquelle il a sondé fort profondément sans que ledit prévenu ait fait semblant de douleur ni qu’il soit sorti de sang (31). »

Ce point était le Stygma diaboli. Pour ceux-là, inutile de continuer le procès, ils étaient possédés du diable et condamnés sûrement.

Les hystériques ont tous un ou plusieurs de ces points absolument insensibilisés qui sont peu ou point irrigués par le sang. On enfonce, chez eux, en ces points, de longues aiguilles, on les brûle, on les coupe ; ils ne sentent rien ; le sang ne jaillit pas. C’est de l’hémianesthésie locale.

Parfois, au cours de la torture, les accusés étaient repris de leurs hallucinations ; ainsi ce même L’Hermite assurait qu’il était assisté par le diable qui le regardait du haut de la toiture ; [p. 245] d’autres recevaient sa visite en prison : Barbon (1629) de Neuviller demande d’être « ouïe parce que ayant été battue la nuit par maître Persin son maitre, elle craint s’il recommençait de ne plus être assez forte pour répondre aux questions ». Il est fait droit à sa requête et elle avoue tout ce que l’on peut imaginer (32).

Jean Viney assure que le diable est venu le trouver dans sa prison et l’a engagé à nier, il est sorti de sa bouche sous forme de fumée. (G. Save.)

Il y a une chose qui frappe, c’est que tous ces sorciers font des aveux identiques. C’est toujours une apparition du diable après un chagrin, un mouvement de colère, de désespoir ; un pacte avec lui ; de l’argent donné qui se transforme, à sa disparition, en terre, feuilles, éclats de verre ; poudres magiques ; mêmes descriptions du sabbat. On le voit, c’est bien, comme le dit M. Regnard, l’actualité qui décide de la forme de la folie.

Voici cependant une cause de condamnation qui sort des faits habituels reprochés aux sorciers.

On sait que le pape Grégoire XIII réforma le calendrier en 1582. Les pays catholiques acceptèrent cette réforme, non sans difficultés toutefois. Les régions protestantes aimèrent mieux « ne pas être d’accord avec le soleil que de l’être avec la cour de Rome ». La calviniste Genève était de celles-là.

Un négociant de Mattaincourt fut brûlé parce que l’’on trouva chez lui deux actes signés de lui le même jour, à la même date, dans deux villes différentes et éloignées l’une de l’autre : Besançon et Genève. Il n’y avait qu’un sorcier, en effet, pour faire pareil tour de force.

Les juges oublièrent ou ne voulurent admettre que les calendriers n’étaient pas les mêmes à Besançon, appartenant à la catholique Espagne, et Genève la protestante ; qu’il y avait dix jours de différence. Temps plus que suffisant pour accomplir le voyage (33). [p. 246]

IV

Pendant un siècle ce fut une véritable terreur. La répression féroce augmentait l’épouvante qui allait jusqu’un délire ; on voyait des gens qui venaient s’accuser d’être sorciers, d’être possédés du diable, d’avoir fait un pacte avec lui : de là les exorcismes, les prières, les offrandes pour être délivrés ; on exorcisait les lieux de rendez-vous des sorciers, ceux du sabbat surtout, on y élevait des croix, on gravait — comme à la Pierre des fées à Ormont (34) — des inscriptions commémoratives. Ces exorcisations se firent un peu partout, dans la même année : 1555. On trouve à Gérardmer trois de ces croix portant ce millésime (35). Elles furent élevées en souvenir de ces cérémonies expiatoires qui devaient débarrasser le pays du diable.

On soupçonnait jusqu’aux animaux d’être ensorcelés ! A Moyenmoutier un porc dévora un enfant. Arrêtée en flagrant délit, la bête, à la diligence du procureur de l’abbé, fut traduite « ez prisons de l’Abbaye » et écrouée sous le nom de porc Claudon (du nom de son propriétaire). Il y eut enquête, les témoins furent confrontés avec l’accusé ! Ces actes de procédure envoyés à la sanction des échevins qui ordonnèrent la mort du coupable. Le jugement disait que le porc « doit être pendu et étranglé au lieu où on a accoutumé de faire semblables exécutions ».

On suivit toutes les formalités usitées en pareil cas pour un être humain. Le porc fut livré «  tout nud » au prévost de Saint- Dié venu exprès. L’exécution eut lieu le 20 mars 1572 (36).

Pour ne pas être confondus avec les mécréants, loups-garous, maléficiers, on portait sur les vêtements une double croix j aune fort apparente (37).

Cela devint une vraie panique. [p. 247]

Les autorités affolées ne voyaient partout que possédés et accueillaient comme bonnes toutes dénonciations. Un nom arraché par la torture suffisait pour faire arrêter et envoyer au bûcher. C’étaient surtout les noms de ceux que l’on soupçonnait d’avoir été au sabbat que l’on tenait le plus à connaître. Ces aveux obtenus par la question valaient le meilleur témoignage : un sorcier de Lamarche (1608), Thomas Gaudel, poussé à bout par la torture et aussi par le désir de se venger de ses bourreaux accusa tous les juges, depuis le procureur général jusqu’au greffier ; il assurait les avoir vus au sabbat.

Grand émoi ! on suspend le procès et par deux fois « on alla en conférer avec les deux avocats les plus célèbres de Langres (38) ».

Cette terreur que le sorcier inspirait était partagée par les juges. Ces hommes qui croyaient à la possession du diable et qui, tous les jours, étaient en contact avec les possédés, avaient l’esprit constamment hanté de ces visions diaboliques.

Un incident comique du procès de Gaufridi nous fera connaître l’état d’esprit des juges et combien ils frisaient, eux aussi, la folie.

Dans ce procès, il était fort question du diable et de ses pouvoirs, toutes les imaginations étaient fort surexcitées par ces événements surnaturels. Dans une séance on racontait que Gaufridi, après s’être frotté d’une huile magique, se transportait au sabbat et rentrait clans sa chambre par le tuyau de la cheminée. A ce moment on entend tout à coup un grand bruit dans celle de la salle d’audience et l’on voit apparaître un homme noir ! Les juges crurent que c’était le diable… ils s’enfuirent tous ! un seul, impotent, ne put les suivre. Effrayé, tremblant, il faisait force signes de la croix. Mais voilà le prétendu démon qui prend peur à son tour, fort surpris de l’émoi dont il était la cause. Il finit par s’expliquer, se faire connaître ; c’était un ramoneur qui, après avoir ramoné la cheminée d’une salle [p. 248] voisine et qui communiquait avec celle de la chambre d’audience, s’était trompé à la descente (39).

Sous l’influence de la folie régnante, il se trouvait des témoins qui, de bonne foi — la plupart — transformaient en maléfices les actes les plus simples. Pour montrer son innocence, il fallait, comme Nicolle Grillat, persister dans ses dénégations, malgré les horreurs de la torture. Combien cédaient et avouaient tout ce dont on les accusait afin d’éviter ou abréger cette horrible épreuve ? Ils avaient beau revenir sur des aveux extorqués par la souffrance, il n’était plus temps ; ces désaveux aggravaient la situation du malheureux. Plus d’un, sous prétexte de sorcellerie, fut victime de rancunes privées, de vengeances politiques. Personne n’était à l’abri de telles accusations : nobles, prêtres, bourgeois, paysans, artisans, payèrent leur tribut à la folie de l’époque.

Desbordes, seigneur de Gibeaumeix, gouverneur de Sierck, et Melchior de la vallée, chantre de la Collégiale Saint-Georges, aumônier du duc, favoris tous deux de Henri II, avaient fait opposition au mariage de Nicolle, sa fille, avec son cousin le futur duc Charles IV.

Arrivé au pouvoir, celui-ci ne pardonna pas. Sous prétexte de sorcellerie, il fit condamner ces deux favoris de son oncle Henri II.

D’une agilité surprenante, Desbordes faisait des tours de force et de souplesse qui n’étaient possibles, disaient les témoins, qu’avec l’aide du diable. On affirmait l’avoir vu ordonner à des figures de tapisserie de faire la révérence et elles l’avaient fait. Une autre fois, Henri II dînant en pleins champs tout proche d’un chêne où étaient pendus trois cadavres, il avait fait un signe et ceux-ci vinrent servir le duc, pour retourner, le repas terminé, à leur chêne et à leur corde !

Desbordes nia d’abord ; accablé par la torture, il avoua tout (40). [p. 249]

Melchior de la Vallée avait baptisé la duchesse Nicolle. Condamné pour sorcellerie, ce baptême devenait nul. Un possédé de Satan ne pouvait faire une chrétienne. Ce fut une des causes alléguées par Charles IV pour demander son divorce avec cette princesse (41).

Desbordes fut exécuté en 1622 et Melchior en 1631.

Un moine tiercelin, le P. Vincent, mentionnait ainsi la mort de Melchior : « Un certain chantre fut aussi par après chargé de pareilles ordures, mais il fut lavé dans un cent de fagots et c’est assez dire… ». Ce mot atroce rappelle cet autre d’un terroriste pendant la Révolution ; il s’agissait des noyades : « Nous envoyons à la Commission militaire un grand conspirateur, à mesure que nous en découvrirons nous les acheminerons vers la sainte piscine et ils n’en sortiront que bien purifiés… (42) ».

Le curé de Vomécourt, Dominique Cardet, eut la curiosité d’étudier de près la sorcellerie. Il acquit la conviction que le crime — auquel il croyait — ne méritait pas le supplice du feu.

Dans sa commune, il exorcisait ses sorciers, leur recommandait de se tenir tranquilles ; il expulsait les incorrigibles. Cet honnête homme n’avait d’autre but que d’épargner à ses paroissiens une fin tragique.

Dénoncé, arrêté, torturé, il nia jusqu’au bout. Il fut brûlé parce qu’il avait soustrait au bûcher des sorciers (1632).

V

C’est aussi à ce moment que se produit en Lorraine un grand mouvement de transformation religieuse, conséquence des réformes calviniste et luthérienne qui enserraient notre pays de tous côtés.

La peur de Satan qui hante les cerveaux, doublée de celle de [p. 250] l’hérésie qui cherche à s’introduire dans la catholique Lorraine, pousse les esprits au mysticisme.

Les évêques de Metz, Toul ,Verdun rétablissent la régularité dans leur clergé ; le cardinal Charles de Lorraine prête son puissant appui à Dom Delacourt qui a entrepris de ramener à I’observance de leur règle les Bénédictins pendant que Servais Laruelle réforme les Prémontrés.

Pierre Fourrier, de son côté, oblige les chanoines réguliers au respect de leurs statuts.

Alix Leclerc, Marguerite André, Catherine de Lorraine, Elisabeth de Ranfaing, la mère Mecthilde, etc. créent des ordres nouveaux de femmes ou transforment les anciens : on voyait successivement s’établir à Nancy des Annonciades (1616), des Carmélites (1618), des Tiercelines (1620), des Dames du Saint-Sacrement; en même temps arrivaient des Carmes, des Capucins, des Tiercelius, des Oratoriens .

Tout ce monde religieux vivait dans un état de surexcitation cérébrale excessive ; Élisabeth de Ranfaing, entre autres, perdit un moment la raison et, se crut possédée du démon.

Veuve à 25 ans de Dubois, prévôt d’Arches, avec lequel elle fit mauvais ménage, elle fit vœu de chasteté et ne porta plus que des habits de laine. Très belle, elle inspira un amour profond au médecin Charles Poirot.

Refusé dans ses demandes de mariage, il ne se rebuta pas. Il employa les promesses, les caresses, tout ce que la passion peut inspirer. Mais en vain.

Désespéré, il mit en œuvre les maléfices : « La jeune veuve commença a en ressentir les effets ; le fréquent usage des sacrements, l’exercice de la plus sévère mortification lui firent surmonter les premiers effets de la magie. Mais ce malheureux médecin, employant de plus grands maléfices, Dieu permit qu’elle fût véritablement possédée… Elle entendait ce qu’on lui disait en allemand, en latin, en hébreu et répondait pertinemment, quoiqu’elle n’eût jamais appris ces langues… Elle s’élevait en l’air avec une telle impétuosité que six personnes [p. 251] des plus robustes pouvaient à peine la retenir ; elle grimpait sur les arbres et allait de branches en branches avec autant de légèreté qu’auraient pu le faire les animaux les plus agiles (43). » Charles Poirot fut arrêté et exécuté le 2 avril 1622. Élisabeth, rassurée, recouvra la raison.

A la fin du XVIe siècle, le mariage du prince Henri, héritier de Lorraine, avec la protestante Catherine de Bourbon, sœur de Henri IV, irrita au dernier point la surexcitation religieuse de l’époque. Déjà, l’on voyait Satan substituant le protestantisme au catholicisme : Satan, c’était l’hérétique Catherine de Bourbon. Le pape refusa les dispenses, excommunia le prince Henri. Une des plus célèbres extatiques de l’époque, Alix Le Clerc, eut une vision le jour du mariage : « … Une grande nuée de serpents s’abattaient sur la tête de chacun pour les mordre. J’entendis en même temps dire que cela signifiait une nuée d’hérétiques qui devaient entrer en Lorraine et, comme je priais ardemment que cela n’arrivât pas, il me sembla voir un grand précipice dans lequel cette dame (Catherine de Bourbon) voulait jeter les autres ; mais, tout à coup, je vis qu’elle-même, sans y prendre garde y était tombée … »

Catherine, malgré les instances les plus pressantes, refusa de changer de religion. Elle tombe malade ; Alix Le Clerc continue à invoquer le ciel : « Le démon de l’hérésie se félicitait du succès, il comptait la Lorraine parmi le pays de son domaine… autant il triomphait par avance, autant fut grande sa confusion… » lorsque, par la puissance de la prière, « Dieu permit que la maladie de la princesse, n ‘étant pas comprise par les médecins, ne fut pas soignée, le mal fit des progrès avec une rapidité foudroyante et en peu de jours la malheureuse princesse fut précipitée dans les bras de la mort … » (13 février 1604) .

Ainsi arriva, comme la vision l’avait prédit à la charitable [p. 252] servante de Dieu, la funeste chute de Catherine dans l’affreux précipice où elle voulait jeter ln Lorraine. Le Seigneur avait écouté la prière d’Alix — je n’ose dire le vœu — et avait permis que des médecins ignares prissent une tumeur pour une grossesse. Catherine souffrait beaucoup, mais elle ne voulait se droguer dans la crainte de nuire à son enfant. Quand on reconnut l’erreur il était trop tard. ·

VI

Le duc Charles III subissait également l’influence de cette folie épidémique ; il intima l’ordre t à Nicolas Remy de ne pas donner un instant de repos aux sorciers, de ne rien négliger pour en purger ses Etats.

Son fils le cardinal Charles, sa fille Catherine étaient obsédés par la peur du diable ; nous allons les voir lui attribuer leurs maladies et ne pas hésiter — comme Catherine — à permettre jusqu’au crime pour obtenir de Dieu leur guérison !

Le cardinal Charles était très rhumatisant ou goutteux. Ses douleurs ne lui permettaient de voyager qu’en litière. Malgré divers traitements, sa maladie s’aggravait. Les médecins avaient renoncé à obtenir tout soulagement ; ils étaient au bout de leur science (1595). Le cardinal, devant l’impuissance de la médecine, se crut ensorcelé ; il fit venir d’Italie des frères Ambrosiens « fort habiles à exorciser ». Le résultat fut nul et le prince resta perclus jusqu’à sa mort qui arriva le 24 novem­bre 1607.

Sa sœur Catherine, née le 3 novembre 1573, était l’enfant bien-aimée de Charles III. Elle refusa tout mariage, bien décidée à se retirer du monde aussitôt qu’elle le pourrait (45). A la mort de son père (1608), elle choisit l’ordre qui lui parut le plus austère et le plus éloigné des plaisirs et des grandeurs. Elle voulut se faire capucine.

Cet ordre, dont l’austérité avait fait donner aux religieuses [p. 253] le nom de Filles de la Passion, avait été introduit en France par une autre princesse de Lorraine, Louise de Vaudémont, veuve du roi Henri III.

Elle commençait la construction du couvent où elle voulait se retirer, quand son frère, le duc Henri, la fit nommer coadjutrice (1609), puis abbesse de Remiremont (1611).

La manière de vivre des dames de Remiremont ne s’accommodait guère avec ses idées de pénitence et de retraite. Elle voulut y introduire des réformes qui soulevèrent de violents orages et des inimitiés qui allèrent jusqu’à attenter à ses jours : « Ce fut en ce temps (1612) qu’on projeta de se défaire de Mme l’abbesse d’une façon que l’on croyait très sûre et sans dangers pour les meurtriers ; c’était de faire une figure en cire de la taille de la princesse (46) et de donner un coup de poignard à cette figure à l’endroit du cœur… Cela devait s’exécuter par un nommé sieur de Tournois qui, ayant eu horreur d’un si noir parricide, en donna avis à Madame et lui envoya la lettre qu’une dame chanoinesse lui avait écrite pour le porter à cette action infâme… (47) ». La coupable, avertie à temps, prit la fuite ; on ne la revit jamais.

Quelque temps après, une autre dame chanoinesse s’adressa à un sieur de Lamothe « habitué à de semblables homicides » ; au dernier moment il recula et prévint la princesse. Le duc Henri envoya des commissaires pour informer, mais Catherine étouffa l’affaire — le scandale d’un tel procès eût été trop grand — et fit bonne figure à la coupable.

Quinze années plus tard, elle devait être moins indulgente !

Catherine dut renoncer à ses tentatives de réforme du couvent de Remiremont.

Très exaltée, elle s’enthousiasmait facilement (48). Elle s’éprit [p. 254] de la règle de saint Benoît, la suivit dans toute sa rigueur, balayant, écurant, travaillant au jardin, aidant les domestiques dans un couvent qu’elle venait de fonder à Nancy. Elle faisait constamment maigre ; si bien que, déjà d’une mauvaise santé, elle finit par se rendre malade tout à fait.

Il lui fallut se remettre au gras, ce qu’elle ne fit qu’avec un bref du pape qu’elle portait toujours sur elle et le montrant à tous afin que l’on ne se scandalisât pas de sa conduite, Enfin elle pratiquait de grandes mortifications.

A côté de cela, capable de la plus grande énergie, ainsi qu’elle le montra en défendant victorieusement Remiremont contre Turenne,

Très nerveuse, souffrant toujours de l’estomac, fort préoccupée de sa santé, elle voyageait toujours suivie d’un médecin et d’un apothicaire. Ceux-ci furent bientôt impuissants à soigner leur malade. Elle s’adressa à Dieu, demandant aux capucins d’obtenir par leurs prières sa guérison. Rien n’y fit.

En 1587 était mort à Rome, en odeur de sainteté, un capucin, Félix de Cantalice, qui avait édifié le monde par sa charité, ses jeûnes et ses austérités. Toutes les nuits il se donnait une discipline sanglante « malgré une colique bilieuse » qui le tourmentait cruellement, mais dont il « faisait ses délices ainsi que de toutes les autres douleurs qu’il appelait ses fleurs du paradis (49) ».

C’était bien là l’homme qui convenait à Catherine et à ses sentiments exaltés.

Les capucins lui persuadèrent que si elle obtenait la béatification de Félix de Cantalice, elle aurait auprès de Dieu un appui plus puissant et que, dès lors, leurs prières pour sa guérison auraient toute chance d’être exaucées (50).

Catherine s’enthousiasma à cette proposition. Elle fit le [p. 255] nécessaire pour obtenir la béatification du capucin, dépensa soixante mille livres et, le jour où le nouveau béat fut proclamé, tous les couvents de capucins adressèrent à Dieu leurs plus ferventes prières pour obtenir la guérison d’une princesse qui leur avait procuré une illustration nouvelle (1626). Enfin, ils lui firent cadeau des os d’un bras de Félix de Cantalice. Mais Catherine ne s’en porta pas mieux. Elle avait épuisé tous les moyens en son pouvoir pour obtenir sa guérison et Dieu n’avait pas voulu l’entendre.

On était en 1626, en pleine persécution de sorcellerie, nul doute que c’était le diable qui était la cause de tout le mal. On interrogea la princesse, on rappela ses souvenirs: elle finit par avouer qu’un gentilhomme, le chevalier de Tremblecourt, s’était} en plaisantant, permis avec elle une familiarité inconvenante.

La cause du mal était trouvée : le chevalier était un sorcier, cette privauté qu’il s’était permise et que la princesse avait pardonnée était un sort jeté sur elle. Tremblecourt fut arrêté, emprisonné à Châtel ; là, sans procès, on le pendit sûr la place publique, tout bon gentilhomme lorrain qu’il était (51) !

La mort du chevalier lui rendit sans doute un peu de tranquillité, le sort jeté sur elle était conjuré.

Dieu l’écouta enfin.

Elle guérit ; ou, du moins, il y eut une grande amélioration dans son état. Elle approchait de la soixantaine ; à cet âge, les nerfs se calment.

Quoi qu’il en soit, elle garda la plus grande reconnaissance aux capucins et surtout à Félix de Cantalice auquel elle attribua sa guérison, car une fois le sort conjuré, Dieu put l’écouter (52).

VII

Il est bien difficile de ne pas parler de Nicolas Remy, procureur général (1591-1606), quand il s’agit de sorciers en Lorraine.

Un livre l(53) qui eut un grand succès à l’époque où il parut, lui a valu toute la responsabilité de la répression barbare dont ces malheureux insensés furent les victimes.

Cette responsabilité doit être partagée pourtant.

Comme tous, Nicolas Remy subit l’influence qui faisait voir le sorcier partout ; il croyait au diable, à son action sur l’homme, à ses maléfices. Dans ce livre, il fut l’écho de l’opinion publique. Comme il le dit lui-même, cet ouvrage fit le plus grand plaisir au souverain. Cette horreur du sorcier qui perce à chaque instant dans ses écrits montre combien il était convaincu ; combien était grande aussi sa peur des actes de Satan ; il craignait d’être atteint ; tout en défendant la société d’un fléau qu’il considérait comme très dangereux, il se défendait lui-même. Cette terreur, cette peur l’ont rendu féroce.

Son livre eut un grand succès, Il fut imprimé à Lyon (1595), à Cologne (1596).

A-t-il eu autant d’influence qu’on l’a dit sur l’esprit des juges ? Il est possible qu’il ait enlevé à quelques-uns de ces derniers quelques scrupules, quelques hésitations — si jamais ils en ont eu, — mais, je dois le dire à la décharge de N. Remy, les actes, les procédures, l’application répétée jusqu’à huit et dix fois de la torture, nous montrent que ces juges n’avaient besoin d’être stimulés ni par leur chef, ni par ses écrits.

Les échevins de Nancy, de qui relevaient les sorciers jugés dans cette ville, à qui l’on soumettait les dossiers de la Lorraine, sévissaient avec la plus grande rigueur) applaudissaient [p. 257] au zèle de leurs collègues de la province. Jamais ils ne manquèrent de demander l’application de la torture, ce que l’on ne pouvait faire sans leur autorisation ; plusieurs fois ils allèrent de leur personne dans les Vosges et ailleurs et, chaque fois, leur passage était marqué par un redoublement de supplices.

A Toul (54), à Saint-Mihiel où ils étaient indépendants de N. Remy, ils se montrèrent aussi impitoyables que Ieurs collègues de Nancy (55). Ils ont donc leur part de responsabilité et ils doivent la partager avec N. Remy.

Quoi qu’il en soit, cette part est lourde pour la mémoire de N. Remy et il est impossible de lui témoigner la moindre sympathie. Cette épithète de Torquemada lorrain lui restera comme une tache dont on ne peut le laver.

Jamais il n’a varié ; jamais il n’a montré le moindre mouvement de pitié pour ses victimes.

Sur ses vieux jours, retiré et remplacé par son fils, il continue à les accabler et à exciter l’horreur qu’elles inspiraient.

Sa Démonolâtrie était écrite en un latin barbare « ignoré de Cicéron » ; mais, pour mieux se faire comprendre, c’est en vers français qu’il explique la manière de faire parler une sorcière qui ne veut avouer :

…Ces femmes en effet, au milieu des tortures,
Vantent leur probité, leurs intentions pures,
Eludent du questeur les arguments pressants,
S’indignent de se voir en proie à ses tourmenta,
Et par aucun aveu n’indiquent leur défaite ;
.   .   .   .   .   .   .   .    .   .    .   .   .   .   .    .   .   .    .   .   .   .

Mais déjà si l’on sait les verser sur le dos,
Et dans leur bouche ouverte leur infuser un peu d’eau,
Surtout de l’eau sucrée empruntée à l’église,
Une confession est aussitôt émise. [p. 258]
Les Grecs, en leurs tourments si raffinés, si forts,
N’en obtiendraient jamais l’aveu des moindres torts ;
Tous leurs poils tomberaient de leurs peaux ratissées
Qu’on les verrait dormir sans crainte, déhontées.
Pour le sûr, le démon, dans quelque coin caché,
Conduit toute la scène avec autorité.
C’est lui qui leur impose une mâle constance
Et contre la douleur leur ferme résistance.
.   .   .   .   .   .   .   .    .   .    .   .   .   .   .    .   .   .    .   .   .   .

Juges, ne craignez point de vous montrer sévères
Dans vos arrêts portés pour punir les sorcières.
…. Tous les siècles loueront ces actes de justice (56)

Nicolas Remy était un favori du duc Charles III. Il le nomma procureur général en 1591 ; huit années plus tard, il désignait son fils Claude-Morel Remy aux mêmes fonctions (1599).

Ce fils venait de terminer l’étude du droit à Paris ; trop jeune encore pour prendre des fonctions aussi importantes, le père fut autorisé à rester en place afin de permettre au fils de poursuivre ses études et « le façonner en la cour du Parlement de Paris pour le rendre toujours tant plus idoine et capable à exercer ledit état… »

Il était, en conséquence, permis « audit Nicolas Remy de continuer la charge de procureur général tant et si longuement qu’il voudra, soit en l’absence ou en la présence d’iceluy Remy son fils » (26 août 1599) (57)

Remy père se retira en 1606 ; la persécution n’en continua pas moins aussi violente. On voit, par cette faveur, combien Charles III tenait à le conservé ; combien il approuvait aussi sa conduite à l’égard des sorciers. Dans cette persécution tous étaient complices : le duc, le procureur général, les juges ; et, il faut bien le dire, la population tout entière. La guerre amenée en Lorraine par les intrigues de Charles IV ; les invasions des Suédois, des Français, des Allemands ; l’occupation française qui se prolongea presque sans interruption jusqu’à la fin (du XVIIe siècle, arrêtèrent la persécution. [p. 259]

Louis XIV, enfin, mit un terme aux procès de sorcellerie ; un édit daté de 1672, rédigé par Colbert, destitua sans façon Satan, en défendant aux juges de recevoir les procès de sorcellerie.

Il y eut bien encore des épidémies, comme celle de saint Médard au XVIIIe siècle (1730-1740). Puis vinrent le mesmérisme, le magnétisme. La Révolution (12 juillet 1791) classa les démoniaques dans la catégorie des escrocs ou des malades, les envoyant., selon le cas, en prison où à l’hôpital,

De nos jours, il se rencontre peut-être encore des possédés, dans les régions où le sentiment religieux ne s’est pas dégagé totalement des grossières superstitions d’autrefois ; mais, comme l’a écrit un médecin : « La médecine et la physiologie nous montrent les démoniaques dépouillés de leur attirail infernal ; .le bûcher transformé en douche hydrothérapique et le tortionnaire en un placide interne (58). »

A. FOURNIER.

Notes

(1) Chéreau, Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales, t. X, 2e série. — Mot Sorcellerie.

(2) L’imagination populaire logeait dans les arbres les plantes, les fontaines, des génies ; pourquoi n’en aurait-elle pas mis dans le corps humain ?

(3) Chroniques, lois, etc., de la Lorraine au moyen âge, recueillies par Jacques Bournon, p. 1. Il s’agit ici des « noueurs d’aiguillettes ».

(4) Évêque Ile Metz de 1238 à 120. Il était fils du duc Ferry II.

(5) J. Bournon, Chroniques, lois, etc., de la Lorraine au moyen âge, p. 7 et 10.

(6) J. Bournon, Chroniques, lois, etc., de la Lorraine au moyen âge, p. 93. — Gravier, Histoire de Saint-Dié.

(7) Triage, du bas latin striga, sorcier. Genocherie, de Gynosco, contraction de Gyronosco, connaîte l’avenir par des ronds et des baguettes. De nos jours, on appelle Genot un sorcier.

(8 J. Bournon, Chroniques, lois, etc., de la Lorraine au moyen âge, p. 35.

(9) Gravier, Histoire de Saint Dié.

(10) Voir pour tout ce qui concerne ces folies épidémiques le livre si remarquable de M. P. Regnard : Les Maladie, épidémiques de l’esprit. Plon, 1887.

(11) Axenfeld, Jean Wier et les Sorciers, 1865. [en ligne sur notre site]

(12) Les malheureux atteints de celle danse (danse de saint Jean ou estivale ou de saint Guy) allaient demander leur guérison à saint Guy, de là le nom de danse rie Saint Guy donné à cette maladie. Il existe une maladie, la chorée, appelée aussi danse de saint Guy, sans doute à cause des mouvements involontaires qu’elle provoque aux personnes qui en sont atteintes et qui, dans l’esprit des populations, rappelaient les danses de saint Guy du moyen âge. Bien entendu, la chorée n’a rien de commun avec la danse de saint Jean ou estivale.

(13) Tout le monde connait la légende de la tarentule qui serait le résultat de la [p. 235] piqûre d’une araignée (genre Lycosa) appelée tarentule. Il va sans dire que cette araignée, inoffensive, n’est pour rien dans cotte maladie.
Je crois inutile d’insister ; pourtant j’engage à lire la charmante description qui en a été fuite par le regretté F. Lenormant : La Grande Grèce, T. l p. 108 et suiv.

(14) Documents relatifs à l’Histoire de la sorcellerie dans le Haut-Rhin. Colmar, 1869.

(15) Dumont, Justice criminelle des duchés de Lorraine et Bar, T. II. p. 23.

(16) G. Save, La Sorcellerie à Saint-Dié (Société philomatique, 1887-1888), p. 135 et suiv. [en ligne sur notre site]

(17) Dumont, Justice criminelle des duchés de Lorraine et Bar.

(18) G. Save, La Sorcellerie à Saint-Dié (Société philomatique, 1887-1888).

(19) Dumont, Justice criminelle des duchés de Lorraine et Bar.

(20) Dans une vente de bibliothèque, à Paris, j’ai retrouvé deux pièces concernant des sorciers de Moyenmoutier.

(21) Ce tableau est au musée du Vatican.

(22) Au musée de Vienne.

(23) Au musée de Bruxelles.

(24) Estampe de la Bibliothèque nationale, d’après une fresque du cloitre de Grotta­ Ferrata. C’est saint Nil qui exorcise.

(25) Abraham Paling, Traité des diableries. Amsterdam, 1659.

(26) On rasait hommes et femmes jusqu’au dernier poil sous prétexte d’enlever tout refuge au malin esprit. La « vile personne » était le tondeur de chiens, l’écureur des égouts…, celui qui était chargé des plus immondes besognes.

(27) Documents rares et inédits de l’Histoire des Vosges, T. l, p, 144 et suiv.

(28) Idem, T. 1, p. 123 et sui v.

(29) Gresillon, instrument de torture composé de trois lames se rapprochant à l’aide d’une vis que l ‘on serrait à volonté. Il servait à presser violemment le bout des doigts du patient qui était introduit antre les j-lames jusqu’à la racine des ongles. Il y avait de ces instruments pour les doigts des mains et des pieds. (Dumont, Justice criminelle des duchés de Lorraine et Bar, T. I, p. 80.)

(30) ] Echelle et Tortillons ou Tourdillons. L’échelle était construite dans la forme des autres. A une extrémité se trouvait un tourniquet ou petit treuil comme en portent nos chariots ou baquets de brasseur. Attachait à l’autre extrémité le patient par les pieds, tandis que les mains étaient liées par une corde qui allait s’enrouler autour du tourniquet. Au moyen de ce dernier, on donnait au corps une extension — on délirait — graduée d’après le crime ou l’importance, ou le refus d’aveux que l’on voulait obtenir. (Dumont, Justice criminelle des duchés de Lorraine et Bar, t. 1. N. 81) — Tortillons ou Tourdillons. Le patient était toujours fixé à l’échelle. : on lui attachait les bras, les cuisses, les jambes de toute leur longueur après les montants de l’échelle avec des cordes. On passait ensuite les tortillons, qui étaient des petits bâtons de six centimètres de grosseur, entre le membre ainsi lié et la corde, on tournait celle-ci autant qu’il était possible, de sorte que les chairs, comprimées par les tours de plus en plus serrés de la corde, ressortaient de toutes parts en bourrelets meurtrissants. (Dumont, Justice criminelle des duchés de Lorraine et Bar, t. 1. N. 83)

(31) Dumont, Justice criminelle des duchés de Lorraine et Bar, T. II, p. 45.

(32) Dumont, Justice criminelle des duchés de Lorraine et Bar, p. 51.

(33) Digot, Histoire de la Lorraine, t. V, p. 119.

(34) Près salut-Dié.

(35) Ces croix sont connues sous le nom de Croix des Trois-Cinq (1555).

(36) Gravier, Histoire de Saint-Dié, p. 232.

(37) Noël, Mémoires pour servir à l’histoire de Lorraine.

(38) Dumont, Justice criminelle des duchés de Lorraine et Bar, T. II, p. 56.

(39) Papon, Histoire générale de Provence, t. IV, p. 430.

(40)  Lepage, Bulletin de la Société d’archéologie, t. VII, 1857. — André des Bordes, p. 6.

(41) Lionnois, Histoire de Nancy, t. II, p. 337. — Haussonville, Histoire de la réunion de la Lorraine, t. I.

(42) Wallon, Les Représentants en mission, t. I.

(43) Dom Calmet, Histoire de Lorraine, T. IIII, col. 783.

(44) Alix Le Clerc, dite en religion Mère Thérèse de Jésus, fondatrice de la congrégation de N.-D. de l’ordre de saint Augustin, T. 1, p. 170 et suive. Liège, Dessain.

(45) Digot, Histoire de Lorraine, T. IV.

(46) C’est ce qu’on appelait l’envoultement.

(47) Dom Royer, Éloge de la princesse Catherine de Lorraine. — Richard, Traditions populaires de l’ancienne Lorraine. -— Lyonnois, Histoire de Nancy, T. III, p. 152.

(48) Pour l’histoire de Catherine, voir : Dom Calmet, Histoire de Lorraine, T. III (édition eu 3 volumes), et Lyonnois, Histoire de Nancy, t. III. — Le récit de Lyonnois n’est que la reproduction de celui de Dom Calmet.

(49) Félix de Cantalice , né à Cantalice (Italie) en 1515, mort en 1587.
Gardeur de pourceaux au début, il entra dans les ordres en 1543. Il était frère quêteur de son couvent à Rome. Sa vie a été écrite par le P. Jean-François de Dieppe.

(50) Noël, Mémoires pour servir à l’histoire de la Lorraine. N° 3, p. ·29. – 1858.

(51) Noël, Mémoires pour servir à l’histoire de la Lorraine. p. 30.

(52) Elle avait fait vœu, pour obtenir sa guérison, de procurer la béatification de Félix de Cantalice, (Dom Calmet.)

(53) Nicolai Remigii sereniss, ducis Lothoringiæ a consiliis interioribus, et in eius ditione Lothoringiæ cognitoris publici Dæmonolatreiæ. Libri tres ex judiciis capitalibus nongentorum plus minus hominum, qui sortilegii crimen intra annos quindecim in Lothoringia capite luerunt. Cologne. 1596. chez Henri Falkenberg .

(54) Albert Denis, La Sorcellerie à Toul aux XVIe et XVIIe siècles, Le maire, 1888.

(55) Voici les noms des échevins de Nancy de 1591 à 1631 : Nicolas Obry ; Chrétien Philhert ; Nicolas Bourgeois ; Aubry Tarrat ; Nicolas Hahillon ; Claude Guichard ; Claude-Nicolas de Bernecourt ; Jean de Gondrecourt ; Charles Reguaudin ; Claude Bourgeois ; Jean Noirel ; Erard Mainbourg ; Thierry Maucervel ; Nicolas Peur-Got.
Avant 1591, N. Remy faisait aussi partie de ce tribunal. (Justice criminelle des duchés de Lorraine et Bar, T. II, p. 61 et suiv.)

(56) Regnard, ouvrage cité, p. 30.

(57) Dumont, Justice criminelle des duchés de Lorraine el Bar, T. II.

(58) P. Regnard, Les Maladies épidémiques de l’esprit.

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