Psychanalyse de Régis et Hesnard. Revue de la quinzaine. Par Georges Palante. Mercure de France. 1916.

PALANTEPSYCHANALSE0001Georges Palante. Psychanalyse de Régis et Hesnard. Article parut dans le « Mercure de France », (Paris), n°422, tome CXIII, 16 janvier 1916, pp. 307-312.

Cet article du Mercure de France est très peu connu. Il a échappé aux travaux de références d’E. Roudinseco et d’A. de Mijolla. Nous avons choisi de publier l’intégralité de l’article, sans en isoler le critique sur Freud, afin de montrer le contexte dans lequel celui-ci se situe.

Georges Toussaint Léon Palante est un philosophe né le 20 novembre 1862 à Blangy-les-Arras, petite commune du Pas-de-Calais, mort par suicide le 5 août 1925, à Hillion près Saint-Brieuc (Côtes d’Armor). Très tôt, Georges Palante apprend qu’il souffre d’une maladie dégénérative grave : l’acromégalie. Quelques publications, outre ses très nombreux articles dans le Revue philosophique, et le Mercure de France, dont il tiendra l rubrique Chronique philosophique de 1911 à 1922 date de sa démission.
Combat pour l’individu. (Recueil d’articles). Paris, Félix Alcan, 1904.
La philosophie du bovarysme – Jules de Gaultier. Articles qui parurent d’abord dans le Mercure de France puis en 1 volume. 1912.
Les Antinomies entre l’Individu et la Société. Paris, Félix Alcan, 1912.
Pessimisme et Individualisme. Paris, Félix Alcan, 1914.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original, mais avons rectifié quelques fautes de composition.
 – Nous avons renvoyé les notes originales de bas de page en fin d’article. – Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

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REVUE DE LA QUINZAINE

PHILOSOPHIE

Psychologie objective et Psychoanalyse. — N. Kostyleff : Le Mécanisme cérébral de la Pensée, 1 vol. in-8, 5 fr., Alcan, 1914. — J.-P. Nayrac : Physiologie et Psychologie de l’attention (2e édition), 1 vol. in-8, 3 fr.75, Alcan, 1914 — Régis et Hesnard : La Psychoanalyse, 2 vol. in-16, 3 fr. 50, Alcan, 1914. — Paul Gaultier : L’Adolescent, 1 vol. in-16, 0 fr. 6o, Bloud et Gay, 1914. — Cl. Piat : Quelques Conférences sur l’âme humaine, 1 vol. in-16, 2 fr. 50, Alcan. — Dr Ch. Blondel : La Conscience morbide, 1 vol. in-8, 6 fr., Alcan, 1914. — Pierre Villey : Le Monde des Aveugles. 1 vol. in-16, 3 fr. 50. E. Flammarion, 1914. — Helen Keller: Mon Univers, 1 vol. in-16, 2 fr. 50, Alcan, 1914. — J. Ronjat : Le Développement du langage observé chez un enfant bilingue, 1 vol. in-8, 4 fr., Champion. — Memento.

Quel est, ou plutôt quel était, avant la guerre, l’état de la psychologie objective ? — Les adeptes de cette psychologie s’accordaient, ce semble, à reconnaître, en ce qui concerne ces recherches, une certaine diminution de la faveur du public et du zèle des chercheurs. Deux psychologues dont nous avons à parler aujourd’hui, MM. Kostyleff et Nayrac, se rencontrent dans cette constatation. M. Kostyleff a parlé d’une crise de la psychologie expérimentale et a même écrit sur ce thème un ouvrage suggestif (1). M. Nayrac, de son côté, dans la préface de la seconde édition de sa Physiologie et Psychologie de l’Attention, signale quelques-unes des causes de cette évolution de l’opinion du public lettré à l’égard de la psychologie expérimentale : le regain de faveur des spéculations métaphysiques sous l’influence de virtuoses de la pensée philosophique ; la lenteur des progrès dans un domaine difficile ; l’abondance et l’incoordination des enquêtes, l’incohérence au moins provisoire des résultats ; en particulier, dit M. Nayrac, « la psychologie pathologique nous a fait connaître une quantité de monographies cliniques dont il est difficile de dégager des constantes ». — Il ne faut pas trop pousser au noir ce tableau. M. Nayrac garde sa foi dans les destinées de la psychologie expérimentale. La jeunesse studieuse reviendra aux laboratoires un instant désertés. — En attendant, les ouvrages que nous présentons un peu tard au public attestent de la part des maîtres de la psychologie objective une inépuisable ingéniosité dans la recherche, en même temps qu’une louable sûreté de méthode qui n’exclut pas l’esprit de synthèse. [p. 308]

C’est ce dernier trait qui nous semble caractériser le livre de M. Kostyleff : le Mécanisme cérébral de la Pensée. L’auteur étudie diverses branches de la psychologie objective : l’école psychologique russe, avec Setschénoff, Bechterew et Pawlow, dont les travaux, inaugures par les recherches sur le réflexe salivaire et progressivement étendus à l’étude des perceptions visuelles, auditives, des images mentales et des idées, se résument dans la formule adoptée par M. Kostyleff lui-même : réduction des phénomènes mentaux au fonctionnement des réflexes cérébraux ; puis l’école de Wurtzbourg (méthode du questionnement), avec les recherches de H.-J. Watt sur l’association mentale et le jugement ; de Messer sur la pensée sans expression verbale ; de Büchler sur les états de conscience sans représentation, données purement idéatives qu’il ramène à : 1° la conscience d’une règle ou conscience de la manière dont on résout le problème ; 2e la conscience d’un rapport ; 3e conscience d’un développement logique, purs processus idéatifs qui doivent être rapprochés, selon M. Kostyleff, du fonctionnement des réflexes cérébraux ; enfin l’école psychoanalytique de Freud dont la méthode présente une main-mise sur l’inconscient et fait rentrer celui-ci dans le schéma des réactions neuro psychiques. Ces divers résultats, non moins que les recherches personnelles de M. Kostyleff sur le mécanisme de l’imagination, de l’inspiration poétique, de l’inspiration dans le roman, convergent vers une conclusion unique : la justification du symbolisme physiologique de l’auteur : la réduction de toute vie mentale au schéma du réflexe cérébral ; schéma très différent, selon .-M. Kostyleff, de l’ancien schéma des cellules et des fibres nerveuses et qui se concilie bien mieux que l’autre avec le nombre des impressions et la mobilité de la vie psychique, et qui permet de plus de donner au terme d’Inconscient une signification fonctionnelle et non plus spatiale. « Du moment que les impressions ne se rattachent à aucune empreinte fixe et ne reparaissent dans la mémoire qu’avec la répétition des réflexes, plus n’est besoin d’une région spéciale pour l’existence d’un psychisme inconscient. De spatiale qu’elle semblait être, la division devient purement fonctionnelle… » (p. 8o).

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Jusqu’à quel point le schéma de M. Kostyleff est-il en conformité avec les résultats obtenus par les diverses disciplines qu’il invoque ? Evidemment il est en conformité avec les résultats de Pawlow et de Bechterew, puisqu’il ne fait que reproduire la formule même de ces psychologues. — On peut ajouter qu’il semble aussi en conformité avec la formule développée par M. Ribot dans son livre : La Vie inconsciente et les mouvements : l’Inconscient est de nature essentiellement motrice ; il se compose des résidus moteurs de nos états de conscience. » — Les expériences de l’école de Wurtzbourg paraissent aussi pouvoir commodément être traduites dans ce symbolisme. [p. 309]

Pour les résultats de l’école de Freud, la question est discutée. Au cours de leur remarquable livre : la Psychoanalyse, MM. Régis et Hesnard remarquent que « l’assimilation récemment faite par M. Kostyleff de la théorie psychologique de Freud à sa théorie personnelle des réflexes cérébraux semble peu légitime » (p. 20). Freud lui-même se défend d’envisager la psychologie du point de vue anatomophysiologique et de distinguer spatialement les deux psychismes conscient et inconscient (p. 16). — à quoi Kostyleff pourrait répondre qu’il ne les sépare pas non plus spatialement, mais fonctionnellement, comme nous l’avons vu. Je me borne à signaler ici cette divergence entre Kostyleff et les deux récents commentateurs français du freudisme : MM. Régis et Hesnard.

L’exposé fait par ces derniers de la célèbre doctrine autrichienne est de tout point remarquable. C’est une lecture indispensable à quiconque veut s’aventurer sur ce domaine attirant et ténébreux de l’investigation psychoanalytique. — Dans une telle étude, les trois points de vue clinique, psychologique et psychiatrique sont étroitement liés. Laissant de côté le premier, disons un mot des deux autres. Au point de vue psychologique, il faut signaler d’abord le procédé freudien, la confession psychoanalytique, sorte de coup de sonde jeté dans l’inconscient pour en ramener des morceaux dans le jour de la conscience ; la théorie psychologique des « affects » ou complexes affectifs (complexe de l’inceste, oedipe-complex, Electra-complex) ; celle de la libido, ; la conception du rêve comme réalisation d’un désir ; celle de l’Œehertragung ou report affectif ; celle du symbolisme psychoanalytique ; le traitement psychiatrique par le procédé cathartique ou nettoyage psychique par l’aveu du passé sexuel et le décèlement des chocs traumatiques d’origine sexuelle, enfin les conceptions métaphysiques impliquées dans cette psychologie : le psycho-dynamisme et le pansexualisme. M. Ribot avait déjà rapproché la psychoanalyse et sa propre conception de la logique affective (2). — MM. Régis et Hesnard rapprochent la psychoanalyse des théories psychologiques de MM. P. Janet et Bergson. Ce tout dernier rapprochement nous paraît peu éclairant. Rien de moins clair d’ailleurs que la distinction qu’on essaie de faire entre psychologie statique et psychologie dynamiste. MM. Régis et Hesnard sont d’ailleurs loin d’être hostiles à la psychoanalyse. Ils lui reprochent toutefois ce qu’ils appellent son finalisme biologique.

A notre avis, il serait prématuré de porter on jugement d’ensemble sur le freudisme. Il y a là évidemment beaucoup de fatras, de mythologie scientifique, de terminologie pédantesque, d’amour allemand de la complication ; pas mal d’indiscrétion et de ténacité [p. 310] allemandes, aussi ; témoins ces confessions sexuelles poursuivies parfois pendant des mois et poussées si loin que 1’on comprend le geste de la jeune personne qui, impatiente, envoie promener Freud… Il est vrai que le brave Freud ne se démonte pas pour si peu ; il explique cette rebuffade par un cas d’Uebertragung, par lequel la jeune personne a reporté sur son médecin l’antipathie vouée à son ancien fiancé… Mais laissons ces petits côtés de la question. Il n’en reste pas moins que Freud a raison de reconnaitre l’importance énorme de la sexualité dans l’évolution psychologique de l’individu et d’écarter des questions scientifiques cette pruderie antiscientifique que souligne le mot ironique d’Anatole France : « Les savants ne sont pas curieux. » Il y a dans le freudisme un effort intéressant pour jeter quelque lumière sur les parties les plus ténébreuses de notre nature…

Avec le petit volume de M. P. Gaultier : L’Adolescent, nous voici très loin du freudisme. Ici, plus d’ »affects » plus de traumas sexuels. C’est une description claire, fine, élégante, d’un jeune éminemment sympathique : l’adolescent français. — Très éloigné également des complications freudiennes est le point de vue un peu simpliste de M. CI. Piat, dans ses Quelques Conférences sur l’Ame humaine, où sont défendues contre la « psychologie sortie des clinique » les thèses traditionnelles de la psychologie spiritualiste : unité, identité, spiritualité de l’âme. L’auteur se garde des nouveautés bergsoniennes et critique judicieusement l’intuition naguère à la mode.

Voici maintenant une savante monographie psychopathologique : La Conscience morbide, du Dr Ch. Blondel. L’auteur signale dans sa préface une des principales difficultés qui compliquent la tâche du psychopathologue : la multiplicité et l’imprécision des espèces morbides. — D’après l’auteur, les psychologies physiologiques, associationiste, individuelle, sont inaptes à solutionner les problèmes posés par la clinique psycho-pathologique. C’est dans la psychologie sociologique, telle que l’a comprise M. Levy-Brühl, que se trouve la clef de ces énigmes. L’auteur identifie conscience normale et conscience socialisée, c’est-à-dire conceptuelle, logique, objective ; — conscience morbide et conscience trop individualisée ou pas assez désindividualisée, trop enfermée dans sa coenesthésie. L’auteur appuye sa thèse sur sept observations commentées.

A la psychologie des déficiences sensorielles se rattacheraient d’importantes contributions : d’abord, le magistral ouvrage de M. Pierre Villey, le Monde des Aveugles. On sait dans quelles conditions très particulières ce livre a été écrit. L’auteur, qui est chargé depuis plusieurs années d’un cours de littérature française dans une de nos universités, expose par quels procédés. il lui a été possible, en dépit de la cécité complète qui l’a frappé à l’âge de quatre ans, de [p. 311] faire toutes ses études dans divers lycées de Paris, de passer avec succès le concours de l’Ecole normale supérieure, et de conquérir tous ses grades universitaires. En même temps qu’il nous fait part de ses observations personnelles, l’auteur coordonne et met au point les résultats contenus dans une immense littérature spéciale. Parallèlement à la psychologie des aveugles, l’auteur fait, à l’occasion, celle des clairvoyants et de leurs préjugés à l’égard des aveugles.

A côté du témoignage plus objectif de M. P. Villey, prendrait place celui, plus subjectif, plus impressionniste et plus imaginatif de Mlle Helen Keller, la célèbre aveugle-sourde-muette de Boston. Hautement cultivée elle aussi, Mlle H. Keller nous décrit en un style plein de fraîcheur et de couleur, si l’on peut dire, son univers sensoriel, y compris, si paradoxal que cela paraisse, ses images et presque ses impressions…. visuelles et auditives auxquelles j’avoue préférer toutefois ses délicates notations sur le toucher et l’odorat, sens particulièrement cultivés et hyperesthésies chez elle, en vertu d’une loi compensatrice. Une très vivante et intéressante introduction de Mr L. Dugas commente certains problèmes délicats soulevés par la curieuse psychologie sensorielle et imaginative qui s’exprime dans cette œuvre unique.

A la psychologie linguistique se rattachent les notes prises par M. Ronjat sur le Développement du langage chez un enfant qui a eu pour langues maternelle et paternelle, si l’on peut dire, l’allemand et le français ; sa mère ne lui ayant parlé qu’allemand et son père que français. Je me borne à signaler aux compétences cet essai très spécial.

MEMENTO. — Le changement d’année amènerait une brève récapitulation du bilan de nos périodiques psychologiques et philosophiques de langue française, dont plusieurs manquent malheureusement à l’appel. Nous espérons les revoir un jour prochain. En attendant, mentionnons ceux qui poursuivent leur œuvre. Au premier rang, la Revue Philosophique, M. Th. Ribot qui a publié dans le dernier semestre une série d’articles de fond dus à MM. Th. Ribot, Bourdon, A. Leclère, G. Truc, Fonsegrive, etc. — Le Bulletin de l’Institut Général Psychologique a consacré son dernier N°(juillet-décembre) de 1914 à une très curieuse contribution à la psychologie zoologique, une monographie de Mlle Marie Goldsmith sur les Réactions physiologiques et psychiques des Poissons. D’autre part, on pourrait rattacher à la psychologie ethnographique le N° de janvier-juin 1915 qui contient une série d’études consacrées à la mentalité allemande et qui portent les signatur.es de MM. Boutroux, Bergson, Léon Bourgeois, Yves Delage, Edmond Perrier. — La Revue genevoise, Archives de psychologie publiée par MM. Th. Flournoy et Ed. Claparède, avec la collaboration de MM. Pierre Bovet et G. Larguier des Bancels, a publié, soit en 1914, soit en 1915, de remarquables études dues à MM. Leletz (l’Orientation d’esprit dans le témoignage) ; Edm. Degallier (Horlogerie et Psychologie) ; [p. 312] Ed. Claparède (Expériences sur la mémoire des associations spontanées) ; Dr Ch. Odier (A propos d’un cas de contracture hystérique) ; enfin une très curieuse contribution à la psychologie religieuse : Une mystique moderne, par M. Th. Flournoy. Ces deux derniers travaux font une place importante aux procédés et aux théories freudiennes.

GEORGES PALANTE,

NOTES

(1) Kostyleff : La Grise de la Psychologie expérimentales, 1 vol. in-8, Alcan, 1910.

(2) Th. Ribot: La Logique affective et la Psycho-analyse (Revue Philosophique, août, 1914).

 

 

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