Freud, la psychanalyse et la théorie psychogénétique des névroses. Par Emile Lombard. 1914.

LOMBARDPSYCHANALYSE0002-2Emile Lombard. Freud, la psychanalyse et la théorie psychogénétique des névroses. Article parut dans la « Revue de théologie et de philosophie », 1914, pp. 14-46. Existe aussi sous forme de tiré à part : 1vol. in-8°, (36 p.)

Emile Lombard est un auteur franco-suisse naquit en 1875 et mourut en 1963. Professeur de théologie biblique à Lausanne, ses travaux sur le Nouveau Testament furent très controversés. Ses principales études et contributions concerent les phénomènes de glossolalie. Le texte que nous présentons ici est un des premiers articles en français sur la psychanalyse.
Autres écrits de l’auteur :
— Essai d’une classification des phénomènes de glossolalie. Article parut dans les « Archives de psychologie », (Genève), tome VII, juillet 1907, pp. 1-51. [En ligne sur notre site]
— Les extases et les souffrances de l’apôtre Paul : essai d’une interprétation de 2 Corinthiens XII, 1-10. Article parut dans la « Revue de théologie et de philosophie et Compte-rendu des principales publications scientifiques », 1903.
— De la Glossolalie chez les Premiers Chrétiens et des phénomènes similaires Etude d’exégèse et de psychologie. Préface de Th. Flournoy. Georges Bridel & Cie éditeurs, 1910. 1 vol. in-8°. Ceci est l’exemplaire de librairie de la Thèse présentée à la Faculté de théologie de l’Université de Neuchâtel pour obtenir le grade de docteur.

Nous remercions Pascale Beaudon, Université BIU Santé Rangueil Toulouse 3, pour son active et sympathique collaboration et, bien sûr, Nicole Humbrecht, indispensable.

Les [< >] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original, mais avons corrigé les fautes de frappe.
 – Par commodité nous avons renvoyé les notes originales de bas de page en fin d’article. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

<14>

FREUD, LA PSYCHANALYSE

ET LA THEORIE PSYCHOGENETIQUE DES NEVROSES

___________

L’œuvre de Freud et de ses disciples peut être appréciée fort diversement. Tout au moins ne saurions-nous en méconnaître l’importance. La neurologie, telle que l’éminent professeur de Vienne la comprend, ne se sépare pas de la psychologie au sens le plus large. Chez lui le clinicien se double d’un humaniste. En renouvelant l’étude des névroses, il a renouvelé une foule de questions qui intéressent l’art, la morale, la religion. Et dans bien des domaines où il n’a pas tenté lui-même l’application de ses vues, de dévoués épigones s’en sont chargés pour lui.

Car il a fait école plus qu’aucun psychologue de notre temps. Ce qui s’explique autant par la portée philosophique des hypothèses qu’il a émises que par son rare génie d’observateur. Une Association psychanalytique internationale s’est fondée en 1909. Elle a de nombreuses sections dans les deux parties du monde et tient un congrès tous les ans. Autour des ouvrages classiques de Freud s’est groupée déjà toute une littérature. Nous connaissons quatre périodiques spécialement consacrés à la psychanalyse, quatre en allemand et un en anglais (1) Freud dirige en outre la publication d’une belle série de monographies, dont les sujets sont empruntés aux départements les plus divers de la science de l’esprit : mythologie, folk-lore, psychologie religieuse, <14><15> histoire de l’art, psychiatrie, jurisprudence.(2) Et naturellement, d’innombrables articles d’inspiration freudienne ont paru et ne cessent de paraître non seulement dans d’autres recueils savants, mais dans des journaux ou revues accessible au grand public. En dehors des pays de langue allemande, c’est en Amérique que la psychanalyse compte le plus de partisans. Les travaux français sur la matière commencent à se multiplier. (3)

On est donc en présence d’un mouvement avec lequel il faut compter. Mais ce n’est point une tâche facile que d’en donner une idée d’ensemble. Seuls les gens mal informés prêtent à la méthode psychanalytique la fixité des systèmes construits in abstracto. Elle se transforme à mesure que les expériences succèdent aux expériences  ; elle évolue dans sa technique et dans ses thèmes d’interprétation. De plus, comme il ne s’agit point seulement de curiosités de clinique ou de laboratoire, mais de problèmes d’un haut intérêt humain, la métaphysique s’en est mêlée. Des divergences morales se sont manifestées dans l’appréciation des faits. Si bien qu’aujourd’hui le freudisme nous apparaît en pleine crise intestine. Tandis qu’une partie de ses adhérents s’en tiennent aux formules du maître, qui lui-même ne se cache pas d’avoir considérablement varié, d’autres les révisent et les modifient. A Zurich notamment, seconde capitale de la psychanalyse, Freud a trouvé de bonne heure des disciples zélés, mais libres d’allure, et capables de faire école à leur tour. (4) <15><16>

C’est avant tout en ce qui concerne le rôle du facteur sexuel dans l’évolution des maladies nerveuses et dans la formation normale de la personnalité que les réformistes zurichois se séparent de l’orthodoxie viennoise. (5) Ils font intervenir dans la thérapeutique des considérations de valeur qui ne sont pas, d’ailleurs, aussi étrangères à Freud qu’on a bien voulu le dire, mais qui ont été trop négligées par certaines de ses élèves et admirateurs. Au récent congrès de Munich, cette rivalité de tendances s’est accusée plus nettement que jamais. « Le désaccord entre Vienne et Zurich est complet », nous écrivait à ce propos un psychanalyste de la nouvelle école, « aussi complet qu’il peut l’être entre matérialistes et idéalistes, car il s’agit d’une lutte pour la Weltanschauung ».

On comprend dès lors qu’un mouvement scientifique comme celui-là soit difficile à caractériser en quelques pages. Comment s’orienter au milieu de ces discussions qui se poursuivent et de ces notions qui vont se modifiant? D’un côté il importe de marquer le chemin parcouru. C’est à bon droit que les défenseurs avisés de la psychanalyse reprochent à la plupart de ses adversaires de batailler obstinément contre des théories abandonnées depuis quinze ans. D’un autre côté, si les représentants de la jeune école ont eu beaucoup de lest à jeter, c’est bien pourtant aux procédés et aux inductions de Freud, ― ils sont les premiers à en convenir, ― qu’ils doivent ce qui fait l’originalité et le nerf de leur psychologie.

Il faut rendre justice à l’ancien freudisme, quoique une mise au point soit nécessaire pour nous en faciliter l’assimilation. Il faut aussi que l’intérêt qui s’attache à l’histoire organique d’une doctrine ne soit pas sacrifié au désir de la présenter sous son jour le plus nouveau. Seul d’ailleurs un spécialiste, journellement occupé à contrôler la théorie par la pratique, pourrait se flatter d’apporter sur le sujet qui nous occupe le dernier mot de l’actualité. Bien des gens croient qu’on peut en toute facilité s’improviser psychanalyste. La vérité est que ces recherches, ― sans parler des dons personnels qui seuls les rendent fécondes, ― exigent un temps énorme, dont nous avons le regret de ne <16><17> pas disposer. Quelques observations, des expériences d’association, des analyses de rêves, nous ont permis de constater par nous-même la validité de plusieurs des processus décrits par Freud et son école : refoulement, symbolisation, influence des complexes affectifs. Mais ce n’est là que l’enfance de l’art. Il y a loin de ces constatations très décisives pour celui qui les fait, mais incomplètes et fragmentaires, à l’utilisation approfondie d’un matériel psychique de choix.

Ces pages n’ont donc pas la prétention de dresser le bilan exact de la psychanalyse à l’heure présente. Sans négliger la différence si importante qui existe et s’accentue chaque jour davantage entre les thèses de Vienne et celles de Zurich, nous nous attacherons surtout à suivre Freud dans le développement de sa doctrine. Ainsi nos lecteurs seront introduits dans le monde de faits et de problèmes où se meuvent les psychanalystes professionnels. (6)

Freud à sa table de travail.

Freud à sa table de travail.

I

Le Dr Sigmund Freud, né en 1853 actuellement professeur de neurologie à l’Université de Vienne, se fait gloire d’avoir été l’élève de Charcot. (7) Il suivit de 1885 à 1886 ses fameuses leçons cliniques, dont il fut l’un des traducteurs. Il partageait alors en tout les opinions de ce maître, dont le prestige était sans égal  ; comme lui il repoussait absolument la théorie de l’origine sexuelle de l’hystérie. Lorsque une dizaine d’années plus tard, il reprit en collaboration avec un de ses confrères viennois, le Dr Joseph Breuer, l’étude de cette névrose, à l’observation de laquelle la psychologie moderne doit tant de progrès, <17><18> il était loin de soupçonner que ses propres expériences l’amèneraient à reviser l’enseignement de la Salpêtrière par une interprétation étiologique nouvelle des symptômes que Charcot avait si magistralement débrouillés.

A l’époque où Freud devint son collaborateur, le Dr Breuer était déjà en possession d’une méthode thérapeutique qui contenait, ― c’est Freud qui le dit, ― toute la psychanalyse en germe. Dans les années 1880 à 1882, soit à un moment où les cercles médicaux de Vienne n’étaient pas encore au courant des travaux de Charcot, il avait eu à traiter une jeune fille de 21 ans, instruite et intelligente, qui présentait un riche tableau de symptômes hystériques. (8) Cet état maladie avait commencé alors qu’elle soignait avec dévouement son père, atteinte lui-même d’une maladie à laquelle il devait succomber. Beaucoup de médecins à cette époque, croyaient que de poser le diagnostic d’hystérie les dispensait de prendre au sérieux les maux qu’ils avaient une bonne fois rangés sous cette rubrique commode. Breuer eut la patience d’écouter sa malade, il lui témoigna une sympathie qui encouragea la jeune fille à décrire par le menu ce qu’elle ressentait. Elle était sujette en particulier à des absences, pendant lesquelles elle murmurait des paroles qui paraissaient être en rapport avec ses préoccupations intimes. Breuer, l’ayant mise en hypnose, lui répété ces paroles. Elle put alors en révéler la signification. C’étaient des rêveries sur un thème triste : la situation d’une jeune fille au chevet de son père mourant. Chose remarquable, elle se trouva libérée et soulagée par cette reviviscence hypnotique des souvenirs qui l’obsédaient. On renouvela le procédé avec succès. Elle comparait elle-même cette opération à un ramonage mental.

Un de ses symptômes les plus douloureux était l’hydrophobie. Quoique on fût en été et qu’il fit très chaud, elle se trouvait dans l’impossibilité de boire et devait prendre des fruits pour étancher sa soif. Cette inhibition disparut complètement lorsqu’elle eût raconté en hypnose qu’elle avait vu une gouvernante anglaise, qui lui était antipathique, donner à boire à son petit chien dans un verre. Au moment même elle avait dissimulé, par politesse, la vive répulsion que lui causait cette <18><19> vue. L’horreur de l’eau lui était restée, suite naturelle, quoique non consciemment reconnue, de la violence qu’elle s’était faite pour surmonter son dégoût. L’ayant une bonne fois exprimé avec énergie et s’en étant ainsi en quelque sorte déchargée, elle fut affranchie du veto morbide et put se désaltérer à longs traits. Elle avait aussi des troubles oculaires, dont l’origine s’expliqua comme suit : Un jour qu’elle était assise, les yeux pleins de larmes, auprès du lit de son père, celui-ci lui avait brusquement demandé l’heure. Il avait fallu à la jeune fille un violent effort pour lire sur le cadran tout en dissimulant les pleurs qui brouillaient sa vue  ; et la grosseur apparente du chiffre, qu’elle n’avait pu distinguer qu’en tenant la montre tout près de ses yeux, avait donné lieu à la macropsie qui se manifestait chez elle, associée à du strabisme convergent.

Ainsi tous ces phénomènes apparaissaient comme des résidus laissés dans l’esprit de la malade par des évènements qui l’avaient péniblement affectée. Et souvent un symptôme devait son origine à tout un enchaînement de souvenirs pathogènes qu’il fallait suivre en remontant des plus récents aux plus anciens. De là cette conclusion, à laquelle Freud s’associa sur la base d’observations concordantes, et qui représente le premier état de sa doctrine : les hystériques souffrent de réminiscences. Les symptômes névropathiques sont déterminés dans leur forme par certains évènements dont ils ont pour but d’éluder le souvenir. La lésion mentale qui afflige le malade provient de ce qu’il a dû réprimer son émotion au lieu de l’exprimer librement. Les éléments affectifs qui n’ont pas trouvé leur mode normal d’extériorisation sont incarcérés dans l’organisme psychique comme des corps étrangers. C’est ce qu’on appellerait, chez nos piétistes, « garder un interdit dans son cœur ». Ou bien ces impressions rentrées constituent une surcharge durable pour la conscience, un foyer permanent d’excitation  ; ou bien elles se fraient un chemin détourné, en créant des inhibitions et des innervations qui dessinent l’aspect clinique de l’hystérie.

D’après cette conception, le symptôme est un symbole, qu’il faut déchiffrer dans chaque cas. Les vomissements nerveux, par exemple, peuvent traduire la répulsion inspirée par une personne ou une action. L’estomac expulse son contenu alimentaire par que la mémoire voudrait se débarrasser d’un odieux fardeau. On donne à ce phénomène le nom de conversion hystérique. <19><20> C’est la transposition corporelle d’une réalité mentale qui ne s’avoue pas. Le rappel du souvenir produit son effet thérapeutique en fournissant un exutoire au sentiment frustré. L’image « abréagie » perd son caractère nocif. Ainsi se fonde le traitement cathartique (de καθαίρω , purifier, purger).

Tel est le point de vue exposé en 1893 dans un article de Breuer et de Freud (9) qui se trouve reproduit comme introduction à leurs Etudes sur l’hystérie? En même temps qu’il montrait dans les signes extérieurs de cette maladie des souvenirs pénibles transposés. Breuer avait cru pouvoir établir en thèse générale que la mémoire des faits pathogènes doit être récupérée hypnotiquement. Il était arrivé, indépendamment de Janet, à admettre que les manifestations hystériques s’élaborent dans des états hypnoïdes, comportant une certaine division de la personnalité. Il fallait donc, pour vaincre l’amnésie fonctionnelle et remonter à l’origine des accidents nerveux, placer le malade dans une situation mentale analogue à celle qui avait permis aux images de se muer en symptômes. Freud ne tarda pas à reconnaître la possibilité d’appliquer le traitement cathartique sans l’hypnose. Du même coup, il renonçait à attribuer aux états hypnoïdes un rôle déterminant.

C’était une innovation grosse de conséquences. Bernheim déjà avait remarqué que la mémoire du somnambulisme pendant la veille n’est pas proprement abolie, mais inhibée. La conscience résiste à l’évocation de certaines souvenirs : il s’agit de vaincre cette résistance. Et, selon Freud, l’hypnotisation n’est pas nécessaire pour cela. Il suffit que le sujet se sente parfaitement à l’aise, qu’il renonce pour un moment au contrôle que l’éducation et les nécessités de la vie sociale nous habituent à exercer sur la direction et sur les modalités de notre pensée, qu’il adopte enfin, à l’égard des représentations qui s’enchaînent dans sa conscience, une attitude d’abandon et de laisser-aller. C’est à quoi tend la technique de la psychoanalyse (ou mieux psychanalyse, le o intercalaire étant contraire à l’euphonie autant qu’étymologiquement superflu). Ce terme, qui devait faire fortune, fut appliqué par Freud, dès 1896, à la méthode de Breuer modifiée <20><21>. (10) Il convient ici de décrire sommairement cette méthode en anticipant sur ses perfectionnements ultérieurs.

II

Nous trouvons dans le récent livre de Pfister, (11) qui est le premier conpendium psychanalytique destiné aux éducateurs et aux théologiens, la définition suivante : « La psychanalyse est une méthode scientifique qui, par la récolte et l’interprétation des associations d’idées, sans le secours de la suggestion brutale ou de l’hypnose, cherche à atteindre et à influencer les tendances subliminales et le contenu de la vie de l’esprit. » Il y a donc là deux choses à considérer : un instrument d’exploration mentale, un procédé curatif. Nous ne nous occuperons présentement que du côté recherche, à l’exclusion de la question traitement. Notons ceci cependant : tous les psychanalystes s’accordent à dire que les phénomènes mis au jour par leur méthode existent non seulement chez les nerveux et les psychopathes, mais aussi, à des degrés moindres, chez les normaux. Aussi estiment-ils qu’il n’est inutile à personne de se faire psychanalyser.

Nous n’insisterons pas sur les moyens extérieurs, d’ailleurs fort simples, destinés à procurer au patient ― qui n’est donc pas forcément un malade ― une liberté d’esprit aussi complète que possible. Ils consistent à l’installer sur une chaise longue, dans une pièce où règne une demi-obscurité. Le faible éclairage doit disposer à la concentration intérieure  ; la position couchée a pour but de réduire les sensations musculaires au minimum. Ceux qui croient devoir recourir à ces adjuvants ont soin en outre de se tenir à quelque distance de la personne et de préférence derrière <21><22> elle, pour être plus sûrs de ne pas l’influencer par l’expression de leur physionomie. D’autres praticiens voient des inconvénients à cette petite mise en scène et se bornent à faire asseoir les gens dans l’attitude naturelle de la conversation. L’essentiel est qu’on ressente cette impression de confort psychique, de confiance, qui incite à la franchise et au libre épanchement imaginatif.

Le sujet reçoit la consigne de se recueillir, de se mettre en état d’introspection passive et de dire tout, absolument tout ce qui lui vient à l’esprit, sans user de réflexions ni de critique, sans faire d’exception pour les idées qui peuvent lui paraître le plus ineptes et les plus incongrues. (12) Le psychanalyste prend ses notes ; il se garde de rien changer au désordre des propos qu’il transcrit, puisque c’est à travers leur incohérence superficielle que se révèlent les composants significatifs. Il se borne à intervenir, d’un mot bref et d’une voix neutre, pour réitérer lorsqu’il le faut la consigne ou pour réclamer la suite quand un silence se produit. Les gestes et les petits accidents d’élocution (marques d’émotion ou d’embarras, soupirs ou rires, hésitations, arrêts, lapsus) ont aussi leur importance et doivent être relevés avec soin.

L’aptitude à cette sorte de rêverie à haute voix varie suivant les personnes. Maeder observe que les esprits qui s’y prêtent le plus facilement sont du type que Binet qualifie d’intuitif ; les mentalités objectives s’y montrent au contraire peu disposées. (13) Toujours une certaine mise en train est nécessaire. Presque invariablement une personne soumise pour la première fois à l’expérience s’écriera ; « Mais il ne me vient rien du tout ! » Cela signifie simplement qu’elle exerce la censure dont on veut obtenir l’abolition momentanée. On lui demande de dire <22><23> n’importe quoi  ; au lieu d’obéir à la lettre, elle croit devoir faire un tri, ne dire que des choses sensées, logiques, décentes, qu’elle n’éprouve aucun ennui ou aucune vergogne à énoncer. L’opération ne va pas sans quelque sacrifice de la part de celui qui s’y prête. Il faut de la bonne volonté et un réel effort, au moins en commençant, pour surmonter l’amour-propre qui nous retient, dans les circonstances ordinaires de la vie, de faire part même à nos proches des images sans suite apparente, des inepties et des calembredaines qui traversent le champ de notre conscience dans les moments où l’attention volontaire se relâche, quand par exemple nous cédons à un demi-sommeil.

Une fois que le sujet a pris le pli d’être tout à fait franc dans la description de ce qui se passe en lui, il ne tarde pas à fournir lui-même les jalons de la piste que suivra l’investigateur. Les associations d’idées, soumises plus immédiatement que d’habitude à l’action des déterminants effectifs, ne tardent pas à prendre une direction appréciable. Elles forment des séries en rapport avec les vicissitudes psychiques du malade, avec les préoccupations secrètes du bien-portant. Le propre de ces éléments de vie mentale, que leur caractère trop douloureux ou trop intime empêche de venir directement au jour, est de s’exprimer sous forme d’allusions parfois assez claires, parfois déguisées plus ou moins subtilement.

Exemple : Une hystérique de 30 ans, célibataire, ayant rêvé de vers de terre, on la prie de penser à cela et de dire tout ce qui lui passe par la tête. Elle obéit, et dit entr’autres : « Ver de terre, c’est dégoûtant, comme tout ce qui rampe et qui a cette même forme (soupirs répétés), quelque chose de bas, de vulgaire  ; les anguilles ; je ne peux pas les manger ; c’est lisse, luisant ; ramper, ver, ver de terre ; on les coupe en morceaux et on les met au hameçon pour en faire des appâts pour les poissons… Je me rappelle le temps où j’apprenais à nager ; je frétillais comme un poisson pris au hameçon. « Le chant de la truite » de Schubert ou Schumann me vient à l’idée ; c’est le récit de la pêche d’une nymphe ; le titre véritables est : Celle qui fut trompée ; on est comme le poisson, on est pris… » Le psychanalyste flaire une aventure de séduction. Il insiste sur ce point, et la malade finit par avouer la faute dont la souvenir la tourmente. (14) <23><24>

Le sujet non averti peut ne pas se rendre compte du sens métaphorique de ses paroles, parce que l’évènement ou l’état d’âme auquel elles se rapportent a été l’objet d’un « refoulement » qui se traduit par un oubli électif. Ce sont ces constellations associatives, groupées autour d’une image de forte tonalité émotionnelle et réfractaire à l’évocation, qu’on appelle dans le style de l’école des complexes. La tâche du psychanalyste consiste à dépister les complexes, en repérant les zones de résistance de la mémoire, et à les reconstituer fragment après fragment.

Rien n’est plus utile a cet égard que l’analyse des rêves. (15) Freud donne raison à la vieille sagesse des nations, qui attribue aux rêves un sens profond, mais caché, et susceptible d’interprétation. Il n’y a pas, selon lui, plus de hasard dans ce domaine de notre vie mentale que dans un autre. Ce n’est pas sans un motif quelconque que tel homme, à tel moment, rêve telle chose. Il faut distinguer entre le contenu manifeste de nos songes, représenté par le récit que nous en faisons, et les composants oniriques latents, empruntés à nos tendances affectives. Certains rêves, comme ceux des enfants, sont d’une signification transparente. Ils figurent visiblement l’accomplissement d’un souhait ou la satisfaction d’une convoitise. Des désirs n’apparaissent pas sous leur vrai jour. Un travail de condensation et de déplacement s’opère (16), dont le produit n’a qu’un rapport symbolique avec la véritable pensée du rêve. C’est pourquoi si fréquemment ce que nous sommes conscients, d’avoir rêvé semble se rapporter à des circonstances insignifiantes ou n’offrir aucune espèce de sens. La psychanalyse s’applique à pénétrer ce symbolisme. On attire l’attention du sujet sur les traits les plus saillants de son rêve, tel qu’il l’a raconté, en l’invitant à communiquer à mesure toutes les images, impressions ou réminiscences qui lui traversent l’esprit. Par ce moyen on ne prétend pas obtenir une restauration automatique du rêve. On suppose seulement, et cette supposition est légitime, que <24><25> deux idées qui s’associent ne s’associent pas pour rien. Il peut se former a posteriori des associations sans lien direct avec l’objet de la recherche. Elles indiquent du moins l’attitude mentale de la personne à qui l’on a affaire et par là profitent à l’interprétation. Le chemin à suivre est plus ou moins sinueux. Mais bien souvent on est surpris de la facilité avec laquelle, en prolongeant les lignes fournies par le rêve même et par son commentaire introspectif, on les voit se rejoindre dans une région qui est celle des vœux du rêveur, de ses craintes et de ses conflits intimes. Parfois il ne se rend pas du tout compte des corrélations qui sautent aux yeux de l’analyste, et s’étonne, quand ensuite on les lui signale, de ne pas les avoir aperçues plus tôt. Freud appelle cette onirocritie modernisée la « voie royale » pour la connaissance de l’inconscient.

Il est malheureux que les exemples les plus instructifs soient en général ceux dont l’analyse tient le plus de place. En voici deux bien faciles à interpréter (peut-être cependant quelqu’un de plus expert y verrait-il des choses que je ne sais pas y voir).

Je rêve qu’un étudiant, qui m’a, quelques jours auparavant, demandé conseil pour un travail, m’annonce qu’il a soumis ce travail au théologien allemand W., lequel lui a dit : « On voit bien que cette partie (celle au sujet de laquelle j’ai été consulté) a été revue par une spécialiste ». ― En réalité, pris à l’improviste par la question de l’étudiant, je lui avais répondu d’une manière insuffisante et vague, et mon amour-propre en avait souffert. Le rêve constitue donc une Wunscherfüllung typique. Mes médiocres renseignements deviennent une collaboration effective dont la valeur scientifique ne peut échapper à un connaisseur. Le théologie W. apparaît comme garant de ma compétence parce qu’une fois il m’a écrit deux mots aimables en réponse à l’envoi d’une publication.

M. R. me raconte qu’il a fait dernièrement ce rêve : Il était (comme en réalité la nuit du rêve) à la campagne. Son fils, un jeune collégien, lui disait : « nous avons acheté un beau mulet ». M.R.. allait voir l’animal. C’était une mule, qui l’accueillait par ces paroles : Je m’appelle Marianne. Spontanément M. R. m’explique qu’étant enfant, il passait ses étés dans le même lieu de villégiature. Il y trouvait des mulets et des mules, belles bêtes aux flancs arrondis. Il aimait à les monter, à les flatter de la main. Il leur parlait comme à des personnes. Question : « Qui est-ce qui, à votre connaissance, s’appelle Marianne? » ― Réponse : «Une jeune fille qui me sert parfois de la bière dans un café. <25><26> Mais il n’y a aucun rapport entre elle et une mule. S’il fallait la comparer à un animal, ce serait plutôt à une chatte ». Evidemment M. R., homme sérieux et conscient de ses devoirs ne voit pas les choses à l’état éveillé comme lorsqu’il rêve. Mais, mule ou chatte, c’est d’une bête agréable à caresser qu’il s’agit, et l’on discerne par quelle assimilation esthético-affective le nom d’une accorte soubrette est devenu celui d’un des animaux avec lesquels il se plaisait tant à jouer dans son enfance. Son fils sert d’intermédiaire entre ce qu’il était alors et ce qu’il est maintenant.

A côté des produits de l’activité psychique pendant le sommeil se placent les manifestations de la subconscience à l’état de veille. Armés de leur méthode, Freud et ses disciples ont découvert toute une causalité interne dans une catégorie de phénomènes où l’arbitraire paraissait régner en maître : oublis, distractions, erreurs de plume ou de langue. C’est ce qu’ils désignent sous le nom de psychopathologie de la vie quotidienne. (17) Dans une foule de cas ils arrivent à montrer que nos défaillances de mémoire sont tendancieuses, que bien des actes mis sur le compte de l’irréflexion ou de la maladresse, ― explication toute négative, ― correspondent à une intention qui se méconnaît. Ainsi on oublie une lettre dans sa poche parce qu’on a quelque raison de ne pas désirer qu’elle parte : on égare ou l’on casse un objet dont l’idée est liée à celle d’une personne qu’on n’aime pas ; on dit un mot pour un autre sous l’empire d’une secrète préoccupation, etc. De même nos plaisanteries, traits d’esprit et calembours, doivent leur succès à certains penchants qui y trouvent une satisfaction détournée. (18)

Désireux de perfectionner les procédés de Freud, et de restreindre la marge qu’ils offrent à la construction subjective de l’observateur, Bleuler et Jung ont adapté aux besoins de la psychanalyse la méthode employée pour l’étude expérimentale <26><27> de l’association des idées.(19) Cette méthode est connue, au moins dans ses applications les plus simples. Un mot est prononcé devant vous : il s’agit de répondre, aussi promptement que possible, par un autre mot, le premier qui s’associe dans votre pensée à celui que vous entendez. Les psychanalystes se fondent, pour l’utilisation de ce mode de faire, sur la propriété que possède tout inducteur qui touche de près ou de loin à un complexe de mettre aussitôt tout ce complexe en mouvement. Dans une série de cent mots, choisis comme ayant trait le plus possible aux choses de la vie de tous les jours, on peut être sûr qu’il s’en trouvera qui provoqueront chez un individu donné de ces brusques affleurements de l’affectivité latente, reconnaissables à divers signes : indices physiques tels que rougeur, bredouillement, mouvements involontaires ; allongement du temps de réaction ; réactions insolites, soit par le sens des termes accouplés, soit par les altérations que subit le consigne, ainsi quand le mot-inducteur est répété en guise de réponse ou traduit dans une langue étrangère, quand on répond deux ou plusieurs fois par le même mot au lieu de réagir aux nouveaux inducteurs (persévération), etc. Si, après avoir obtenu une centaine de couples associatifs, on récapitule la série, en priant le sujet de répondre à chaque mot comme il l’a fait la première fois, on observe que les reproductions défectueuses (oubli ou remplacement du mot induit) concernent pour la plupart des termes déjà marqués de quelque anomalie de réaction.

Les expérimentateurs étrangers à la psychanalyse avaient constaté ces divers troubles, sans pouvoir en donner l’explication. La méthode de Bleuler et de Jung permet de les interpréter psychologiquement et d’en exploiter la valeur diagnostique. L’hésitation à répondre, chronométriquement enregistrée, ou tout autre signe de perturbation idéo-affective, met en vedette les mots sur lesquels il y a lieu de revenir. Une fois la série épuisée, on procède si l’on veut à la récapitulation, puis l’on recourt à la psychanalyse, en prenant chacun des mots suspects pour point de départ.

Bien des secrets se révèlent ainsi, que la simple anamnèse n’avait pas permis de découvrir. M. Claparède raconte avoir soumis à cette <27><28> expérience une jeune femme qui se plaignait d’une tristesse persistante et dont on ne pouvait rien tirer en l’interrogeant. Elle fournit entre autres quatre couples successifs :

Encre ― plume     (1 sec.6)
Méchant ― bon   (1 sec.4)
Aiguille ― épingle         (1 sec.4)
Nager ― promener        (4 sec.

Cette dernière association avait donc pris un temps sensiblement plus long que les précédentes. Il demanda à la patiente, avec la bienveillante insistance qui convient en pareil cas, ce que le mot nager lui suggérait. Après avoir déclaré en riant qu’elle ne trouvait rien, elle finit par se troubler et avouer avec larmes qu’elle avait, peu de jours auparavant, pensé se jeter à l’eau de désespoir. (20) ― Un jeune garçon de 16 ans, psychanalysé par M. Pfister, manifesta une forte inhibition à l’endroit du verve rencontrer. Le mot ami lui vint après une pause de 19 sec.8 ; mais il ne put s’en souvenir au moment de la récapitulation. L’introspection ne donna d’abord que l’idée d’une « connaissance désagréable ». Mais au bout de deux séances l’adolescent se rappela que, deux ans auparavant, il avait été l’objet d’une poursuite libidineuse de la part d’un inconnu rencontré dans un bois. (21)

D’autres moyens encore sont employés pour déceler la présence des complexes : se faire donner, par exemple, des séries de mots assemblés sans préoccupation d’ordre ni de sens. Ces « chaînes libres d’associations », par la nature des vocables dont elles se composent comme par les perplexités et les résistances qui entravent leur formation, amènent souvent des pensées à se trahir. On recourt aussi au galvanomètre pour corser les épreuves associatives en vertu de la loi qui veut que les émotions se traduisent, chez les personnes placées dans le circuit d’un courant électrique, par une déviation mesurable (réflexe psychogalvanique).

Toutes ces expériences sont relativement faciles ; elles ont une valeur démonstrative par l’élément d’objectivité qu’elles introduisent dans la recherche ; elles permettent, dans les cas de psychose grave, d’acquérir une vue prompte des défectuosités de l’idéation. Dans la pratique médicale, la plupart des psychanalystes estiment pouvoir s’en passer, et fondent plutôt leur diagnostic sur l’interprétation suivie des rêves et l’observation du discours spontané.

Salvador Dali (1904-1989). - Les trois sphinx de bikini, 1947.

Salvador Dali (1904-1989). – Les trois sphinx de bikini, 1947.

III

Discuterons-nous maintenant les objections élevées contre cette méthode de recherche? Nous devons nous borner à relever la plus générale et la plus grave : la psychanalyse ne donne pas de résultats positifs, vérifiables ; c’est de la science de fantaisie. Ce reproche revient comme un leit-motiv sous la plume des savants et des médecins qui, dans les pays de langue allemande, attaquent les théories freudiennes parfois avec une extraordinaire passion. (22) En France, le regretté Alfred Binet, peu au courant d’ailleurs des travaux psychanalytiques, les a traités de jolis romans et n’a point manqué de railler ceux qui les préfèrent à la « sèche psychologie de laboratoire ». (23) Nul pourtant n’était mieux placé que lui pour savoir qu’il se fait de très intéressantes et très valables observations en dehors de celles qui peuvent se réduire en schèmes et en courbes, s’inscrire sur un cylindre ou se mesurer au compas. L’essentiel est d’aller aux phénomènes, de les prendre sur le vif, dût-on, pour les atteindre, tâtonner d’abord. Il y a des rapports d’une incontestable réalité qui échappent au contrôle du chiffre. Le vrai principe, en science, c’est que tout ce qui est bien vu et bien noté doit être tenu pour virtuellement susceptible de s’exprimer mathématiquement. Le moment peut venir ou une découverte quelconque rendra possible l’explication du calcul. Grâce aux expériences d’association, les mathématiques ont eu leur mot à dire dans la recherche des complexes, quoique toujours ce qu’il y a de sui generis dans un phénomène de conscience reste en dehors de l’expérimentation. <29><30>

Les psychanalystes disent volontiers que seule la pratique directe de leur méthode permet d’en apprécier la valeur. Il y a une manière de présenter cet argument qui peut donner prise à l’accusation d’ésotérisme. Rien ne serait plus préjudiciable à la psychanalyse elle-même que de récuser en son nom, par pétition de principe, le jugement de tous les non-initiés. Mais il est vrai que des critiques de pure doctrine ne suffisent pas à détruire l’effet d’un pareil amas d’observations frappantes. A la fin du brillanté mémoire (24) où il s’applique à démolir tout l’enseignement freudien, le Dr Arthur Kronfeld, d’Heidelberg, déclare que néanmoins on doit à l’intuition de Freud des aperçus d’une grande finesse, que par lui la psychologie a été rendue attentive à des traits de secrète analogie entre la vie mentale des malades et celle des bien portants, et que la doctrine psychanalytique, si erronée qu’elle soit, implique une louable tendance à étudier de près des phénomènes individuels trop laissés de côté par la médecine de l’âme. Ces loyales déclarations nous laissent rêveur. Comment peut-on prêter sans contradiction aux mêmes investigateurs des vues si pénétrantes et un jugement méthodologique si dévoyé? Oui, il arrive que des hypothèses archi-fausses profitent à la science par les réfutations qu’elles suscitent. Mais on nous parle ici d’un résultat positif, de rapports et d’analogies qu’il y avait du mérite à découvrir. Et l’épithète d’ »individuels », appliquée aux phénomènes dont il s’agit, n’y change rien : c’est bien à la condition qu’un élément de constance s’en dégage que de tels phénomènes peuvent être scientifiquement intéressants. Alors n’y aurait-il pas quelque légitimité dans la méthode qui a permis de réaliser ces acquisitions, et autre chose qu’un cercle vicieux dans l’argumentation fondée sur les résultats de cette méthode? Toute la question qui se pose, pour les faits dont la psychanalyse s’alimente, est celle de Hamlet : être ou n’être pas.

M. de Montet, qui n’est certes pas un freudien fanatique, reconnaît carrément qu’une bonne partie de ces faits sont réels : <30><31> ils surgissent en nombre et s’imposent avec évidence, sans qu’on ait besoin de recourir aux moyens d’investigation préconisés par Freud, Jung et consorts. (25) D’où l’on ne doit pas, ajouterons-nous, conclure à l’inutilité de toute cette technique. Elle peut devenir inutile par l’avènement de procédés meilleurs. Elle a eu pour effet de grouper en un tout impressionnant d’homogénéité ce qui, autrement, ne fût pas sorti de la phase de l’observation empirique. ― dans le sens où ce mot s’oppose à méthodique. On reproche bien mal à propos aux adeptes de la psychanalyse d’avoir aventuré la science psychologique dans un domaine jadis réservé aux conteurs et aux romanciers. Le grief se retourne contre l’incuriosité des savants qui ont trop longtemps fermé les yeux sur certaines réalités de la vie psychique. C’est tant pis pour eux si l’initiative des observateurs profanes les a devancés. De même la psychologie « sérieuse » ne doit s’en prendre qu’à elle si tant de sorciers et de charlatans ont exploité les phénomènes de suggestion, d’automatisme, de télépathie, avant qu’elle soit prête à se les annexer.

Mais le tout n’est pas de constater en gros qu’il y a beaucoup de vrai dans la direction où la psychanalyse travaille. N’apporte-t-elle pas avec elle des chances particulières d’illusion? Il faut distinguer, parmi les erreurs possibles, celles qui viennent du sujet, et celles qui viennent de l’expérimentateur.

Dans tout examen mental, et non pas seulement dans la psychanalyse, le sujet peut, ou bien essayer de tromper le médecin ou le psychologue qui l’interroge, ou bien donner de bonne foi pour authentiques des produits de son imagination. Parlons des essais de tromperie volontaire. Il arrive que le patient, ― malade interné dans un asile, ou prisonnier soumis aux épreuves du diagnostic judiciaire, ― ait intérêt à cacher ce que l’on cherche. Il doit arriver aussi sans doute que le patient soit un farceur. Les psychanalystes se disent parfaitement armés contre de telles tentatives. Et l’on ne peut se refuser à reconnaître qu’ils sont pour le moins aussi bien armés que d’autres, même si l’on admet un certain déchet dans les preuves dont ils font état. D’abord ils ne négligent pas l’enquête de fait, qui souvent confirme leurs inductions. Ensuite, ― ceci pour eux est essentiel? ― <31><32> le menteur ne peut rien leur dire qui ne lui soit venu à l’esprit. Les mensonges sont des associations d’idées, dont le contenu et la direction fournissent des renseignements aussi précieux qu’involontaires sur la mentalité des gens. Et les efforts mêmes du simulateur pour truquer ses réponses l’amènent à se trahir dans les expériences d’association. A ce propos on s’est plaint de ne pas disposer d’un moyen objectif pour distinguer une inhibition psychique d’une dissimulation. (26) C’est un écueil quand la matérialité d’un fait est en question. Mais cette analogie prouve d’autre part la justesse du principe dont s’inspire la recherche expérimentale des complexes, à savoir que les résistances qui n’ont pas de but conscient ont tout de même un but.

La limite est difficile à marquer entre les falsifications voulues comme telles et celles qui s’opèrent inconsciemment dans l’esprit du sujet. Celles-ci sont le pain quotidien de la psychanalyse. Chez certaines personnes, la permission de parler de n’importe quoi suffit à déchaîner toute une mythomanie latente. Elles inventent des histoires et se figurent les avoir vécues. Nous verrons que la fréquence de la tromperie inconsciente peut être invoquée contre l’ancien programme psychanalytique, qui était de remonter aux causes extérieures de chaque état nerveux, mais non plus contre la psychanalyse actuelle, qui voit dans la régression imaginative dont les illusions de la mémoire sont un symptôme le trait essentiel du tableau morbide.

Quant au danger de suggestion de la part de l’expérimentateur, il ne saurait être nié. Mais est-il plus grand sur le terrain de la psychanalyse qu’ailleurs? On a assez reproché à Charcot son « hystérie de culture » ! Que les idées de Freud aient influé sur l’évolution de plus d’un cas, c’est, à priori, très vraisemblable. On se trompe d’ailleurs en lui prêtant une tournure d’esprit dogmatique. Mais il peut avoir, comme tant d’autres consciencieux observateurs, généralisé la portée de quelques observations frappantes et sollicité ensuite les phénomènes dans le sens de ce qu’il croyait vrai. En réalité ce reproche l’atteint moins que certains de ses disciples. Il y en a qui systématisent terriblement leurs constructions, qui ont par exemple tout un canon symbolique pour l’exégèse des rêves, d’après lequel tel animal, <32><33> tel objet, tel nombre, doit avoir telle signification. Sans doute il est des thèmes qui reviennent dans l’imagerie mentale des individus comme dans les mythes des divers peuples. Mais en s’attachant trop constamment à la recherche de ces thèmes, on crée une ambiance suggestive qui risque d’agir malgré toutes les précautions dont s’entoure l’étude des cas individuels. La seule connaissance du vocabulaire psychanalytique, qui condense si commodément un ensemble de remarques si justes, peut engendrer des préjugés d’interprétation contre lesquels les commençants surtout ne sauraient trop se prémunir.

Cela dit, il faut répéter que si l’on entreprend ces recherches même avec le secret espoir de trouver Freud et les freudiens en faute, même en prenant pour sujet des personnes qui ignorent tout des théories en discussion, on ne tarde pas à faire des constatations qui supposent que la méthode s’est modelée sur les phénomènes et non l’inverse. (27) Toutes les exagérations dont les enthousiastes de la psychanalyse ont pu se rendre coupables n’empêcheront pas un esprit sensé de convenir que Freud n’a pas inventé ce qu’il décrit, et que ses procédés d’enquête, malgré leur imperfection, ont servi à ouvrir sur un monde de choses jadis pressenties, mais non sérieusement étudiées, une porte qu’il ne sera désormais plus possible de ferme. Ajoutons que les psychanalystes zurichois se montrent de plus en plus préoccupés de ne rien suggérer à leurs sujets pendant l’investigation, d’observer à leur égard une stricte neutralité de ton et d’attitude. Ils recommandent à toute personne désireuse de psychanalyser autrui de se soumettre elle-même à l’examen psychanalytique, afin de s’affranchir de cette forme de dérèglement intellectuel qui consiste à nous mirer complaisamment, ― nous, nos manies et nos théories, ― dans l’esprit de notre prochain. Enfin, il faut y insister : la psychanalyse ne s’est pas immobilisée <34><35> une codification arbitraire de ses premiers résultats. Nous allons voir comment, par ses propres ressources, elle les a complétés, amendés, renouvelés, ce qui est bien le meilleur signe de vitalité scientifique.

LOMBARDPSYCHANALYSE0003

IV 

Après comme avant la substitution de la confession introspective à l’hypnose, la théorie de Breuer et Freud demeurait conforme à celle de Charcot par le rôle qu’elle attribuait aux commotions affectives ou « traumatismes psychiques » en tant qu’agents provocateurs de l’hystérie. Les vues du savant français semblaient même recevoir une confirmation sensible, grâce à la façon dont s’élargissait la recherche des facteurs traumatiques. Mais c’est quant à la nature de ces traumatismes que Freud, poursuivant ses travaux, en vint à se séparer de Charcot et de son école.

On sait avec quelle maîtrise le grand clinicien de la Salpêtrière avait porté le coup de grâce à la vieille opinion qui faisait de l’hystérie une affection utérine. Sur ce point, personne aujourd’hui ne songe à revenir en arrière. On admet que cette maladie est essentiellement psychique (ce qui n’exclut pas, en vertu du principe de parallélisme psycho-physique, l’hypothèse d’un substrat organique encore à trouver). Mais la question du rapport entre les troubles hystériques et la sexualité n’a pas été définitivement résolue ni même réellement posée par Charcot. Pourtant, à propos des paroles et des attitudes qui traduisent le rêve de l’attaque, le traité de Gilles de la Tourette signale chez les femmes une corrélation fréquente entre ces manifestations paroxystiques et le souvenir d’une aventure amoureuse ou d’une scène de viol. (28)

Breuer et Freud, quand ils publièrent en commun leurs mémorables Etudes, étaient d’accord pour dire que, parmi les images qui défraient, en se déguisant, la symptomatologie hystérique, il fallait mettre au premier rang celles qui appartiennent au domaine sexuel. Freud devait aller beaucoup plus loin dans <34><35> ce sens. On peut suivre sa pensée dans une série de travaux datés de 1893 à 1908. (29)

Voici quelles étaient, en 1896, ses principales thèqes neurologiques. L’hystérie constitue avec la névrose d’obsession (Zwangsneurose) le groupe des « psychonévroses par réaction défensive » (Abwehrneuropsychosen). Un second groupe est formé par la neurasthénie proprement dite et la névrose d’angoisse (Angstneurose) ; c’est celui des névroses simples, dues à des influences perturbatrices actuelles, tandis que dans l’autre catégorie il s’agit de traumatismes remontant à l’enfance. (Aujourd’hui le terme de neurasthénie a disparu du vocabulaire psychanalytique.) Comme l’intérêt biologique s’attache surtout à la théorie des psychonévroses, nous nous en tiendrons à ce qui concerne ces dernières.

L’anamnèse des patients n’amène souvent au jour que des causes banales, quelconques, d’ébranlement nerveux. C’est, selon Freud, un leurre, un effet de mécanisme de dérivation qui substitue inconsciemment d’autres motifs à ceux que l’on n’aime pas avouer. Sans aller au-delà des circonstances de l’âge adulte, on peut voir que des émotions très spéciales se cachent parfois sous l’apparence d’une « simple frayeur ». C’est l’histoire de la jeune fille qui était censée avoir pris sa première crise de nerfs parce qu’un chat lui avait sauté sur les épaules dans un escalier, mais qui, en réalité, avait réagi de la sorte parce que, peut de jours auparavant, au même endroit, elle n’avait pu échapper qu’à grand peine à l’entreprise d’un amoureux trop hardi. (30)

Cependant, chez beaucoup de personnes, le détraquement nerveux est consécutif à un évènement bien précis, ― catastrophe de chemin de fer ou accident du travail, ― lequel n’a nullement une récente agression érotique pour doublet. Mais, dit Freud, il ne faut pas s’arrêter à la zone récente et superficielle des souvenirs. La psychanalyse remonte à l’enfance et y trouve l’origine spécifique du mal. Ceux qui après la puberté se révèlent névropathes ont été, avant leur huitième année, sexuellement affectés, soit par un attentat proprement dit, soit par le caprice immoral de quelque personne de leur entourage, soit par des jeux érotiques entre <35><36> enfants. Ces expériences précoces peuvent ne laisser aucune trace dans la mémoire consciente. Mais l’impression persiste à l’état latent, et acquiert rétrospectivement une grande importance par suite du conflit qui surgit entre les excitations de même nature et les scrupules dûs à l’éducation. Si certaines images, dans l’hystérie, sont refoulées et converties en symptômes nerveux, c’est en vertu de leur rapport direct ou lointain avec ces pénibles reviviscences enfantines, dont le sujet lui-même n’est pas conscient.

La question des traumatismes sexuels aboutit à la question plus vaste du pansexualisme, qui nous paraît mériter d’être traitée à part dans une autre étude. Disons seulement que le terme de sexualité a pris dans la suite, sous la plume de Freud, un sens prodigieusement extensif, et que Jung en est venu, par une transition logique, à considérer la libido des psychanalystes comme une hypothèse de travail qui ramène à une seule source énergétique les instincts de conservation et de reproduction. (31) Quoi qu’il en soit, la notion du refoulement (Verdrängung) a une portée qui dépasse de beaucoup celle de l’ancienne théorie traumatique. Il s’agit comme on le sait de la réaction par laquelle la conscience aliène, projette hors de sa sphère (force est bien de recourir à ces métaphores spatiales !) certains éléments de son contenu. Que le refoulement soit actif ou passif, imputable à une décision primitivement volontaire ou à un pur automatisme mental, on ne saurait nier ce curieux phénomène, qui est loin d’appartenir exclusivement à la psychologie morbide. Freud en a montré toute l’importance. Ainsi une formule dynamique était substituée à la conception statique de Janet, qui avait mis l’hystérie en rapport avec un rétrécissement du champ de la conscience, un état de désagrégation de la personnalité.

A l’époque des travaux dont nous venons de résumer les conclusions, Freud cherchait toujours dans un ou plusieurs évènements de l’enfance de ses malades le corps du délit psychologique qu’il s’agissait d’extraire pour les guérir. Ix ans plus tard, son point de vue est tout autre. (32) Il convient de bonne grâce, dans un article publié en 1906, des changements que de <36><37>nouvelles observations l’ont contraint d’apporter à sa doctrine.(33) Les symptômes ne dépendent plus directement des souvenirs enfantins, ―ceux-ci peuvent être absolument mensongers sans que la situation en soit modifiée, ― ( mais bien des fantaisies que l’imagination superpose aux souvenirs. La notion des lésions accidentelles de la sexualité est remplacée par celle d’une persistance de l’infantilisme sexuel. La maladie reconnaît dès lors pour facteur primitif une tendance anormale au refoulement, probablement liée à une disposition organique, et qui a pour conséquence que l’enfant devenu adulte, réagissant à faux au contact de la vie réelle, se replonge sans s’en douter dans des formes de mentalité anachroniques. L’image des parents surtout agit tyranniquement chez les nerveux et entrave le développement individuel. Le traitement n’a plus pour condition essentielle la décharge des états effectifs, mais leur transfert (Uebertragung) sur la personne du médecin, qui doit servir d’intermédiaire entre le régime d’assujettissement morbide aux anciens types d’affection et une économie nouvelle, fondée sur la réadaptation de l’affectivité à la vie.

Pour être complet au point de vue médical, il faudrait faire ici des distinctions, montrer comment la psychanalyse s’applique à différencier ce qui appartient d’une part à l’hystérie (faculté de dramatisation symbolique, plasticité des complexes, vive aptitude au transfert), et d’autre part à la névrose d’obsession (recherche inquiète d’une compensation aux infériorités dont on souffre, perplexités et scrupules en présence des problèmes de la vie). Il faudrait aussi parler de la démence précoce, la schizophrénie de Bleuler. Cette grave maladie mentale, dont la détermination symptomatologique est l’œuvre de l’aliéniste allemand Kraepelin, a été étudiée de très près par les psychanalystes. Elle a pour caractéristique, d’après eux, l’envahissement de la psyché par un complexe parasite, dont l’action multiple et sournoise contracte le malade sur lui-même, ruine en lui le sentiment de la réalité, confère une déplorable fixité à ses fausses <37><38> attitudes physiques et morales et le rend inapte au transfert libérateur (34).

Mais nous devons nous borner à souligner, dans ce qu’il a de plus général, l’intérêt de la théorie régressive des névroses dont on doit surtout le développement à l’école de Zurich.

Dans bien des cas, explique Jung (35), la psychanalyse met en lumière des faits dont une information rétrospective établit l’exactitude. Mais d’autres fois le médecin s’aperçoit qu’il a eu affaire à des pseudo-réminiscences. Est-ce à dire que la recherche psychanalytique se soit égarée ? Nullement. Au point de vue d’une juste compréhension de ces phénomènes, l’important n’est pas de savoir si l’imagination du malade opère sur des données illusoires ou sur des souvenirs réels ? Quelle que soit l’origine authentique ou apocryphe des images dont il compose sa rêverie, l’essentiel est qu’il cherche dans une rêverie qui le ramène à l’enfance le moyen de s’affranchir du présent. L’élément constitutif de la névrose est fourni par une tendance à la régression. La preuve que la disposition subjective jour là-dedans le plus grand rôle, c’est que des adultes normaux peuvent avoir à raconter des histoires fort pareilles à celles qu’on obtient en confessant les nerveux. De deux petites filles dont la vue a été souillée du même spectacle obscène, l’une fera de l’hystérie et l’autre demeurera indemne. Ainsi on n’envisage plus comme indispensable de fouiller la mémoire des malades jusqu’à ce qu’on en ait exhumé quelques scabreux épisode enfantin. On incrimine plutôt des conflits affectifs qui ne se rapportent pas nécessairement à une circonstance extérieure déterminée et qui ont un intérêt actuel. Même quand le développement des manifestations morbides se rattache à un fait biographique saillant, l’accent est mis sur la défectuosité des réactions qui président aux conséquences personnelles de l’aventure. Si l’hystérique souffre de réminiscences, ce n’est pas précisément parce qu’il aurait besoin pour être soulagé de revivre telle ou telle <38><39> scène dont sa conscience garde l’endolorissement. C’est que ce retour en arrière, effectué sous une bonne influence, aurait le sens d’une rupture avec le passé.

La névropathie apparaît donc comme la solution vicieuse d’un antagonisme mental. « Le refoulement s’exerce sur les éléments réprouvés par l’instance supérieure. » (36) C’est donc une fausse manœuvre, qui a cependant pour mobile un juste instinct défensif. Il s’agit ici de biologie, et non de morale au sens dogmatique qu’on donne habituellement à ce mot. Mais la biologie est couramment obligée de recourir au vocabulaire téléologique. Ce qui est refoulé soit au début des névroses, soit au cours de leur évolution, ce sont des composants dont l’individu sain et adapté à son milieu n’a que faire, des tendances qu’il est appelé à surmonter. Seulement barrer la route à un ennemi n’est pas s’en rendre maître. Les forces qu’on endigue restent capables d’irruptions dangereuses, aussi longtemps qu’on ne les canalise pas. Les sentiments incompatibles avec les convenances esthétiques et sociales, avec les impératifs moraux, ne sont vraiment rendus inoffensifs que lorsqu’ils ont passé par le procès de la sublimation, c’est-à-dire lorsqu’ils ont passé par le procès de la sublimation, c’est-à-dire lorsqu’ils ont été dérivés et utilisés au profit d’un intérêt supérieur. Le refoulement pathologique est un mode précaire d’élimination, par lequel le moi se donne le change, et qui entretient le mal tout en le dissimulant.

Ces sortes de compromis vitaux répondent à la loi du moindre effort. L’individu s’est trouvé en présence de certaines difficultés et n’a pas su les résoudre à son honneur. Alors il a fait comme l’alpiniste pris de trac qui, ayant reculé devant l’obstacle, va disant partout et finit par se persuader que l’obstacle était infranchissable. L’empêchement venait de lui ; il a rejeté la faute sur les circonstances, se créant à plaisir des inhibitions qui sont des prétextes, tel l’enfant inventif et peureux qui dresse des croquemitaines sur sa route pour se dispenser d’aller où il doit. Ou bien encore, au lieu d’envisager en face les causes et les leçons de sa défaillance, le candidat à la névrose ira chercher dans des exploits imaginaires un dédommagement pour son orgueil. Ainsi de toute façon il substitue au monde où il est appelé à lutter et à vivre un monde fictif plus conforme à ses désirs. Il trouve dans la maladie, selon la formule aujourd’hui consacrée, un refuge contre la réalité. <39><40>

Jung illustre ses considérations théoriques de plusieurs suggestives observations, dont l’une en particulier lui sert de pierre de touche pour la critique des diverses thèses en présence. La voici en résumé :

Une jeune femme ― appelons-la Melle X. ― rentrait chez elle en compagnie de plusieurs personnes avec qui elle avait passé la soirée. Arrive derrière ce groupe de piétons une voiture roulant à un allure désordonnée. Tout le monde s’écarte, sauf notre héroïne, qui, à la stupéfaction générale, se met à courir devant les chevaux comme une folle, malgré les cris du cocher. Elle parcourt ainsi une longue rue aboutissant à un pont. Là, ses forces l’abandonnent. Elle fait mine de sauter dans le fleuve, comme si c’était le seul moyen de ne pas être renversée par les chevaux ; des passants la retiennent et on la ramène, complètement épuisée, dans la maison qu’elle avait quittée un moment auparavant. Cu fut pour elle le point de départ d’une hystérie grave. ― Dira-r-on simplement, ― théorie banale du choc nerveux, ― qu’il s’agit d’une personne impressionnable à qui la peur a fait perdre la tête ? Mais Melle X. s’était trouvée à Saint-Pétersbourg, le 22 janvier 1905, dans une rue balayée par la fusillade, et avait montré le plus grand sang-froid alors que les morts et les blessés jonchaient le sol autour d’elle. Belle occasion, pourtant, d’avoir peur ! Il fallait donc que son impressionnabilité fût particulièrement vive à l’égard des voitures et des chevaux. Elle en donna pour raison un incident dramatique de son enfance. A l’âge de sept ans, elle faisait une promenade en voiture, quand les chevaux s’emportèrent ; le cocher sauta à terre, en lui disant de sauter aussi, ce qu’elle fit juste au moment où l’équipage, lancé perpendiculairement à la ligne d’un quai, allait s’abîmer dans l’eau profonde. Ceci semble être en faveur de la théorie des traumatismes anciens (dans les rêves les chevaux jouent souvent le rôle d’un symbole sexuel). Mais cette histoire est sujette à caution ; et réelle ou inventée, elle ne nous apprend pas pourquoi la peur des chevaux se serait traduite dans cette circonstance d’une façon aussi inadéquate à la situation. ― D’après les renseignements réunis par Jung, tout s’explique par un petit roman dont la fuite devant la voiture était inconsciemment destinée à précipiter le dénouement. Melle X., étant petite, s’était fait remarquer par des goûts et des allures de garçon (37). A l’âge <40><41> de la puberté, elle prit des habitudes de rêverie solitaire, évitant le monde et manifestant une aversion prononcée pour tout ce qui concerne les rapports des deux sexes. A vingt-quatre ans, elle parut recevoir le coup de foudre et se fiança avec un certain Monsieur B., pour qui elle se figurait avoir une grande inclination. C’était là l’effet d’une substitution inconsciente. En réalité, elle aimait M.A., le mari de sa meilleure amie. M.B., étant célibataire, ami et commensal de M.A., on comprend par quelle duperie d’imagination Melle X. l’aviat mis à la place de celui qu’elle préférait sans se l’avoue. Or, c’est précisément chez les A. qu’elle avait dîné le soir de la crise. Mme A., partant pour un voyage, avait été accompagnée à la gare par toute la société, et c’est après le départ de sa rivale que Melle X., dans un état de demi-somnambulisme, s’était livrée à cet acte extravagant qui avait eu pour conséquence de la ramener, plus morte que vive, dans la maison où le mari de son amie se trouvait seul. M.A., troublé par la détresse et l’exaltation visible de celle qui venait chercher un refuge et des soins sous son toit, lui fit une déclaration passionnée. Racontant cette fin de l’aventure à son médecin, Melle X. déclarait avoir été surprise d’un pareil aveu, d’où résultait, en l’absence de la maîtresse de céans, une situation pénible et fausse. Cependant il était bien claire que tout ce qui avait précédé tendait à ce but : être aimée de M.A. Interrogée sur l’impression qu’elle avait ressentie en entendant derrière elle la galopade des chevaux, elle répondit : « Un sentiment d’effroi : cela approchait, et pas moyen d’échapper ! » Juste expression de la résistance qu’une portion du moi, ― le moi de la pudeur et de la dignité humaine, ― oppose vainement à la libido inférieure qui use de la mise en scène hystérique pour arriver à ses fins.

Bien des gens, nourris de l’idée que la vie mentale et la vie consciente ne font qu’un, refuseront à voir dans cette histoire autre chose que la machination lucide d’une femme amoureuse. Au nom du même préjugé, on a contesté l’hypnotisme, on a regimbé contre le subconscient et le subliminal, ― des mots certes qui n’expliquent pas tout, mais qui correspondent à un ensemble de réalités dûment constatées. Il est remarquable, pour le dire en passant, que certaines des objections auxquelles le freudisme se heurte en pays allemands soient une réédition de celles qu’on a opposées aux psychologues français, anglais et américains qui parlaient d’une activité psychique étrangère à la conscience. Assurément, il y a des femmes expertes à jouer la comédie ; mais certaines façons de la jouer ne sont possibles qu’à la condition de se prendre soi-même au jeu. Imagine-t-on cette <42><43> personne de bonne éducation cherchant de propos délibéré l’occasion d’un tête à tête avec l’homme dont elle s’est amourachée, et ne trouvant rien de mieux que cet acte de terreur absurde, excusé tant bien que mal par l’évocation d’un danger couru dix-huit ans auparavant ! Ce n’est pas faire beaucoup d’honneur à l’ingéniosité féminine que de supposer que Melle X. aurait su, en y prenant peine, concilier autrement l’intérêt de son amour et le souci des apparences. On a dit très justement que pour simuler la folie il faut déjà être un peu fou. L’envie de se donner en spectacle, de se rendre intéressantes à tout prix, qui fait taxer tant de femmes hystériques de simulation, est en réalité une manifestation d’infantilisme et tient à un état mental auquel ne peut pas s’appliquer la mesure de la froide raison. La maladie de la patiente de Jung consistait à trouver dans un avènement ancien, réel ou fictif, la justification suffisante d’une action déterminée par un désir actuel, mais méconnu.

Cette façon d’interpréter le fonctionnement de l’imagerie mentale dans l’hystérie s’applique sans peine à plus d’un cas célèbre de dissociation du moi. La hantise spirite et la possession démoniaque sont du ressort de la psychanalyse. Rappellerons-nous les aventures du pauvre Achille, ce patient de Janet qui fut frappé de mutisme, mourut pour semblant et se réveilla en enfer, parce qu’il avait trompé sa femme et que le remords, joint à la préoccupation de cacher cette faute, le tourmentait ? (38) Nous retrouvons là, sous une forme bien frappante, la même tendance à transporter dans un domaine puéril et imaginaire les conflits où se débat notre moralité. Qu’on relise aussi, dans Des Indes à la Planète Mars, l’admirable chapitre consacré à la personnalité et à la psychogenèse de Léopold. (39) Une demoiselle de magasin, médium à ses heures, fait sous la conduite d’un guide spirituel =, invisible aux yeux du vulgaire, de prestigieuses promenades dans l’Orient magique et dans le monde sidéral. Sa mémoire somnambulique rattache ce dédoublement à une frayeur éprouvée dans son enfance. A l’âge de dix ans, revenant de l’école, elle fut assaillie par un gros chien. Heureusement qu’un « personnage en robe », peut-être en réalité <42><43> quelque religieux ou prêtre passant par là, vint à son secours et chassa l’animal. Par une répercussion que les recherches de Freud aident à comprendre, cette agression devint pour l’enfant promue jeune fille le type de tous les dangers qui atteignaient en elle la sphère de la pudeur et des intimes aversions. Le mystérieux protecteur qui l’avait tirée de peine prit l’habitude d’apparaître dans toutes les circonstances où ces sortes de sentiments étaient en jeu. Et c’est sous son patronage que se développa la riche floraison somnambulique où Mlle Smith, nature romanesque et fière, condamnée à une existence médiocre, devait trouver de quoi satisfaire ses aspirations sentimentales et ses rêves de grandeur.

Avec un cas comme celui-ci, nous touchons aux formes supérieures de la névrose, dont les manifestations tendent à se confondre avec les créations du mysticisme et de l’art. Léopold est le nom d’un complexe ; mais il y a des éléments, dans les complexes dont nos actions trahissent la poussée, qu’il serait néfaste d’extirper. C’est ce que la nouvelle psychanalyse montre avec force. En « désexualisant » le freudisme, en ne faisant plus des fantaisies sexuelles subconscientes qu’une forme rétrograde de l’évasion hors du réel, elle se rapproche beaucoup de la théorie « ludique » de Flournoy. En imputant aux crises de croissance, aux déplacements et aux métamorphoses de la libido, ― désir universel et profond instinct de vie, ― tout ce qu’il y a de pire dans l’homme et tout ce qu’il y a de meilleur, elle rejoint les essais de synthèse de Myers et de Bergson. Mais grâce à l’immense matériel d’enquête dont elle dispose, grâce aux subtiles fouilles mentales inaugurées par Freud, elle arrive à préciser comme jamais on n’avait pu le faire encore le sens biologique des désordres nerveux.

Le refoulement, dont les conséquences peuvent être si désastreuses, n’est après tout qu’une forme excessive et inadaptée d’une élimination sans laquelle il n’y a pas de progrès. Dans certaines limites, la régression n’est pas un mal ; il arrive que nous ayons besoin, pour franchir une étape difficile, de nous retremper à des sources vives d’affection et d’énergie (sentiments familiaux, traditions religieuses) où l’on n’accède qu’en se tournant vers le passé. L’observateur sagace, attentif à l’aspect biologique des choses, discerne dans chaque symptôme hystérique <43><44> un essai de défense, partant de guérison. Il y a des cas où ce sont des hallucinations qui sauvent le malade, en lui faisant trouver le chemin d’une utilisation plus haute (sublimation) des forces que dilapide sa névrose. (40) Enfin, faut-il rappeler que le rêve est la folie du normal ? On retrouve couramment, dans l’activité psychique de l’homme sain endormi, l’équivalent des conceptions les plus aberrantes. Or le rêve est utile ; il a sa fonction. Et c’est vrai non pas seulement du rêve nocturne, « gardien du sommeil ». La rêverie à l’état de veille peut être un agent de désorganisation. Ainsi dans la démence précoce, où la pensée s’appauvrit et se replie sous l’attraction égocentrique du songe intérieur. Mais rêver, cherche quelque chose au-delà du possible, ― à condition de savoir que l’on rêve et de pouvoir s’arrêter à temps, ― c’est une affirmation légitime de la liberté de l’esprit. Plaignons l’homme qui ne pense qu’en vue de l’utilité immédiate, qui ne bâtit jamais de châteaux en Espagne, qui n’accorde jamais une caresse à la folle du logis. Le grand problème de la psychothérapie, et celui de la morale, n’est-ce pas de réaliser l’équilibre entre la vie et le rêve, de trouver un modus vivendi qui, sans mutiles la fantaisie, la fasse tourner au profit de l’action ?

Encore quelques considérations générales en guise de conclusion. Si l’on reconnaît aux gens du dehors le droit de donner leur avis, quand c’est pour parler contre la psychanalyse, on ne trouvera pas mauvais que quelqu’un qui n’est pas de la maison dise en toute simplicité, et en se plaçant au point de vue des ouvrages français antérieurs, ce que les travaux psychanalytiques lui paraissent apporter de fécond et de satisfaisant pour l’esprit.

I. Du moment qu’il s’agit de phénomènes que la médecine moderne depuis Charcot nous a habitués à qualifier de psychiques, il y a quelque avantage logique, ― M. de la Palisse ne dirait pas le contraire, ― à les interpréter psychologiquement. Freud et ses disciples ne se contentent pas de proclamer que les troubles hystériques sont des produits de suggestion, ce qui revient à constater une fois de plus que c’est la psyché qui est <44><45> en cause. Ils ont en commun avec Janet la notion utile d’un état de conscience instable et dissocié. Mais ils vont plus au fond des choses par la façon dont ils s’appliquent à reconstituer dans chaque cas l’histoire intime de cette dissociation. (41) Sans doute Freud a dû revenir sur ses premières théories exclusivement psychogénétiques et faire une place à l’hérédité. Ici comme partout, il faut admettre qu’une disposition constitutionnelle fournit la base sur laquelle les causes provocatrices vont agir. Quelle est la nature organique de cette disposition ? On n’en sait rien ; et le saurait-on, on n’en comprendrait pas mieux l’évolution de la maladie elle-même. L’important est de connaître ce qui se passe dans l’esprit des malades. Pas plus qu’il n’y a d’adéquation possible entre une association d’idées et un mouvement moléculaire de la substance cérébrale, une altération de la chimie sexuelle n’a le pouvoir de nous apprendre comment les symptômes se superposent et s’organisent dans les névroses. En tant que ce sont là des faits mentaux, et à défaut d’une explication globale des relations de l’âme et du corps que seule la métaphysique peut donner, nous n’élucidons ces faits qu’à la condition de mettre chacun en rapport avec un fait mental antécédent. Ce n’est pas en parlant d’une « diathèse neuropsychopathologique » qu’on éclaire beaucoup la question. Tandis qu’on sait au moins ce que les psychanalystes veulent dire quand ils nous montrent dans telle manifestation nerveuse la conséquence historique de tel conflit affectif. Poser le problème en ces termes est déjà un progrès.

2. Un autre mérite de la psychanalyse, corrélatif du précédent, est de contribuer à éclairer le dynamisme de l’association des idées. On sait combien peu se justifie la prétention d’expliquer toute notre activité mentale par l’association. Claparède compare les associationistes à des gens qui attribueraient la marche d’une montre aux engrenages et non au ressort. Il n’y aurait pas de pensée si nos faits de conscience n’étaient pas susceptibles de s’associer. Mais cela ne nous dit <45><46> pas à quelle force ils obéissent en s’associant. (42) Bergson de son côté s’élève contre la théorie d’après laquelle chaque perception irait « à décrocher » dans la masse indifférente des images un souvenir correspondant. Il s’appuie en particulier sur les cas d’amnésie hystérique pour établir qu’on doit admettre entre les éléments dont dispose la mémoire, des différences d’affinité, de tension et de tonalité qui témoignent d’une fonction d’adaptation active. (43) On conçoit l’intérêt que présentent à cet égard les travaux de l’école psychanalytique, quelle que soit d’ailleurs l’attitude personnelle des auteurs dans la discussion des thèses associationistes. (44) Kronfeld reproche précisément à Freud d’exagérer le pouvoir de l’association. (45) Freud il est vrai a montré des connexions psychiques là où l’ancienne psychologie ne voyait que désordre. Un transfert affectif, par exemple, peut être considéré comme une application de la loi de ressemblance ou de la loi de contiguité. Mais le rôle soit inhibitif soit moteur qu’il assigne à l’affectivité ajoute quelque chose de souple et de vivant à la notion, purement mécanique, de l’association suffisant à tout, et illustre à nouveau ce que de bons observateurs avaient dit de l’action des sentiments sur la pensée. (46)

3. C’est un gain notable, nous devons encore le dire, que d’avoir élargi l’application psychologique du principe de causalité en cherchant un déterminisme interne dans le rêve et les <46><47> actes subsconcients de la vie de tous les jours. Même s’ils on parfois recouru ) des explications un peu osées pour trouver partout la satisfaction symbolique d’un désir, Freud et les freudiens n’ont pas travaillé en vain dans ce sens. Il y a assurément plus de choses dans nos rêves, et dans toute la part impulsive et irréfléchie de notre activité à l’état de veille, que ne peut nous en apprendre une étude même très perfectionnée des « conditions physiologies » de ces phénomènes. Nous savons maintenant qu’il faut compter avec les subtils détours par lesquels ce qui est inconsciemment voulu peut se trahir dans l’involontaire.

4. En même temps, nous voyons des transitions auparavant mal connues se préciser entre certains dessous de l’idéation réputée la plus saine et les produits psychiques envisagés comme aberrants. Et voilà bien le principal service rendu à la psychologie par le père de la psychanalyse et ses continuateurs. Ils ont jeté un jour nouveau sur les voies qui relient le pathologique au normal. A ce seul titre, leur œuvre serait d’un grand prix pour nous. Toute recherche qui tend, non pas à abolir pratiquement dans l’ordre mental la distinction de la santé et de la maladie, mais à interpréter le désordre comme une modification intelligible de la fonction, doit s’imposer à l’attention de ceux qui vouent leur étude à quelque délicate et haute activité de l’esprit. La science religieuse en particulier ne saurait s’en désintéresser, ― elle dont le domaine est à la fois si lourdement grevé de phénomènes morbides, et si riche en manifestations qui représentent le summum de l’élan humain.

Emile Lombard.

La langue de l'inconscient René Magritte (1898-1967).

La langue de l’inconscient René Magritte (1898-1967).

NOTES 

(1) Jahrbuch für psychoanalytische und psychopathologische Forschungen (Leipzig et Vienne, Deuticke. Sauf indication contraire, tous les ouvrages et recueils psychanalytiques que nous citons ont paru chez cet éditeur). ― Zentralblatt für Psychoanalyse (Wiesbaden, Bergmann). ― Imago. Zeitschrift für Anwendung der Psychoanalyse auf die Geisteswissenschaften (Leipzig, Heller). ― Internationale Zeitschrift für ärztiche Psychonanalyse (Ibid.). ― The Psychoanalytic Review (New York).

 

(2) Voir A. Maeder, Une voie nouvelle en psychologie, Coenobium, III, 1909, ― Sur le mouvement psychanalytique, Année psychologique, XVIII, 1912 (excellente revue d’ensemble). ― N. Kostyleeff, Les derniers travaux de Freud et le problème de l’hystérie. Archives internationales de neurologie, janvier et février 1911. ― Freud et le problème des rêves, Revue philosophique, juillet-décembre 1911 ? ― La psycho-analyse appliquée à l’étude objective de l’imagination. Ibib., avril 1912. ― Ch. De Montet, L’état actuel de la psycho-analyse. Archives internationales de neurologie, sept.-oct. 1912. ― P.-L. Ladame, Névrose et sexualité Encéphale, janvier 1913. ― E. Régis et A. Hesnard, La doctrine de Freud et de son école. Encéphale, avril, mai et juin 1913.

(3) Nommons les médecins Bleuler, Jung, Riklin, Maeder, les pasteurs Pfister et Keller. Voici en dehors du groupe zurichois, quelques noms de freudiens de marque : Adler, Rank, Stekel, Sadger, Silberer, Rosenstein (Vienne) ; Abraham (Berlin) ; Ludwig Binswanger (Iena) ; Ferenczi (Budapest) ; Jones (Toronto) ; Jeliffe (New-york) ; Morichau (Poitiers).

(4) Cf. A. Keller, Ruhige Erwägungen im Kampf um die Psychanalyse. Kirchenblatt für die reformierte Schweiz, 3 et 10 février 1912. ― Fortschritte der Psychanalyse. Züricher Post, 18 et 19 déc. 1913.

(5) Rendant compte d’une série de publications zurichoises, M. Flournoy se montre nettement favorable au point de vue du freudisme réformé (Archives de psychologie, XIII, n°50, juin 1913).

(6) Cf. Freud, Ueber Psychoanalyse, Fünf Vorlesungen Gehalten sur 20 jährigen Gründungsfeier der Clark University in Worcester, Mass., Septembre 1909 ((7)te Aufl. 1912). (Exposé charmant de clarté et de bonhomie, à recommander en vue d’une première initiation.) ―Pendant la rédaction de ces pages a paru : Freud, Interesse an der Psychoanalyse, « Scientia », Rivista di scienza, vol. XIV, nos 31 et 32, sept. Et nov. 1913 (avec la traduction française).

(8) Breuer et Freud, Studien über Hysterie, 1895, p. 15 et suiv. (2e éd. 1909).

(9) Breuer et Freud, Ueber den psychische Mechanismus hysterischer Paänomene, Neurologisches Zentralblatt, 1893, nos 1 et 2.

(10) Cf. Weitere Bemerkungen über die Abwehr-Neuropsychosen. Neurologisches Zentralblatt, 1896, n°10. Reproduit dans Sammlung kleiner Schriften zur Neurosenlehre, 1906, p.112 et suiv.

(11) O. Pfister, Die psychanalytische Methode (Pädagogium, Bd. I), Leipzig et Berlin, Klinkhardt, 1913, p.16-17. ― L’auteur, pasteur à Zurich et professeur à l’école normale de cette ville, a trouvé dans la psychanalyse un précieux auxiliaire de la pédagogie et de la cure d’âme et en fait depuis plusieurs années un usage constant.

(12) Le même résultat peut être atteinte, suivant les cas, dans une simple conversation où on laisse parler le malade sur l’inépuisable chapitre de ses symptômes.

(13) A. Maeder, Année psychologique, XVIII, p. 394. ― Citons une phrase de Bergson (Matière et mémoire, 2e éd., Paris 1900, p.167) qui est tout à fait dans l’esprit de la psychanalyse : « Si notre passé nous demeure presque tout entier caché parce qu’il inhibé par les nécessités de l’action présente, il retrouvera la force de franchir le seuil de la conscience dans tous les cas où nous nous désintéresserons de l’action efficace pour nous replacer, en quelque sorte, dans la vie du rêve. »

(14) Maeder, loc. cit., p.394-395.

(15) Freud, Die Traumdeutung (1900 ; 3e éd. 1911). ― Ueber den Traum (Wiesbaden, Bergmann, 1901 ; 2e éd. 1911).

(16) Condensation de plusieurs images en une seule ; déplacement des valeurs affectives, qui passent d’un objet à l’autre.

(17) Freud, Zur Psychopathologie des Alltagslebens. (Berlin, Karger, 1904 ; 4e éd. 1912.) ― Sur le rêve et ces divers phénomènes, voir en français : Maeder, Contributions à la psychopathologie de la vie quotidienne. Archives de psychologie, VI, n°21-22, juillet-août 1906. ― Essai d’interprétation de quelques rêves. Ibid. VI, n°24, avril 1907. ― Nouvelles contributions… Ibid. VII, n°27, février 1908. ― Jung, L’analyse des rêves. Année psychologique, XV, 1909.

(18) Freud, Der Witz und seine Beziehung zum Unbewussten (1905).

(19) Diagnostische Associationsstudien, publ. Par c. G. Jung. (Leipzig, Barth, vol. I., 1906 ; vol. II, 1910.)

(20) Ed. Claparède, Quelques mots sur la définition de l’hystérie. Archives de Psychologie, VII, N°26, octobre 1907, p. 185.

(21) O. Pfister, Die Psychanalyse als wissenschaftliches Prinzip und seelsorgerliche Methode. Evangelische Freiheit, X, 1910, p. 111-112.

(22) Entr’autres Friedländer, O. Binswanger, Isserlin, Foerster, Heilbronner, Wiegandt, Aschaffenburg. Bleuler leur répond dans son remarquable article Die Psychanalyse Freuds (Jahrbuch…, II, 2, 1910), non sans préconiser une judicieuse révision des thèses qu’il défend.

(23) A. Binet, Le bilan de la psychologie en 1910. Année psychologique, XVII, 1911, p. VIII.

(24) A. Kronfeld, Ueber die psychologische Theorien Freuds und verwandle Anschauungen. Archiv für gesamte Psychologie, XXII, 2-3, déc. 1911. ― Voir la remarquable réplique de G. Rosenstein, Eine Kritik, Jahrbuch…, IV, 2, 1912.

(25) Ch. De Montet, loc. Cit., p.16 du tirage à part.

(26) Cf. P. Menzerath, Contribution à la psychoanalyse. Archives de psychologie, XII, n°48, déc. 1912, p. 390.

(27) Sous le titre Un rêve expliqué, les Archives de psychologie, vol. XIII, n°52, donnent un curieux exemple de vérification objective. L’auteur de l’analyse était arrivé à conclure que le rêve visait un personnage connu de lui, connu aussi du sujet, mais dont celui-ci n’avait pu rétablir l’identité, dissimulée dans le rêve. Or la preuve fut faite, par un papier retrouvé le lendemain, qu’il avait en effet pensé à ce personnage peu de jours auparavant, et cela dans des circonstances répondant tout à fait à l’interprétation psychanalytique.

(28) Gilles de la Tourette, Traité clinique et thérapeutique de l’hystérie. II, p. 50 et suiv. (Paris, 1895).

(29) Voir Sammlung kleine Schriften…, 1906 ; 2e série 1909.

(30) Cf. Studien über Hysterie, p. 186.

(31) Jung, Wandlungen und Syymbole der Libido, 1912.

(32) Cf. Freud, Drei Abhandlungen zur Sexualtheorie, 1905 (2e éd. 1910).

(33) Freud, Meine Ansichenüber die Rolle der Sexualität in der Aetiologie der Neurosen (in Löwenfeld, Sexualleben und Nervenleiden, 4e éd., Wiesbaden 1906. Reproduit dans Sammlung kleiner Schriften…

(34) Ils estiment d’ailleurs que cette affection existe aussi sous des formes bénignes, méconnues du vulgaire, et qu’on peut la traiter avec succès en s’y prenant assez tôt.

(35) Jung, Versuch einer Darstellung der psychoanalytischen Theorie Neun Vorlesungen gehalten in New-york im September 1912. Extrait du Jahrbuch…, V, 1913.

(36) Maeder, loc. cit., p. 410.

(37) Trait commun chez les filles qui, devenues femmes, se montreront avides, d’hommages masculins, aimeront le flirt et les sports, et auront plutôt la vocation du mariage même que de la maternité. C’est chez celles-là que le besoin de revanche sexuelle prend souvent la forme d’un féminisme militant.

(38) Pierre Janet, Névroses et idées fixes, I, p. 375 et suiv. (Paris, 1898).

(39) Th. Flournoy, Des Indes à la planète Mars, p. 75 et suiv.

(40) Voir les cas de Benvenuto Cellini et de la baronne d’A., dans Flournoy, Automatisme téléologique antisuicide. Archives de psychologie, VII, n°26, oct. 1907, et Esprits et médiums (1911), p. 295 et suiv.

(41) P. Janet cependant adopte dans son ouvrage Les névroses (Paris, 1910) un point de vue biologique fort rapproché des thèses de Freud et surtout de Jung, « Les névroses, dit-il, sont des troubles ou des arrêts dans l’évolution des fonctions » (p.388).

(42) Ed. Claparède, L’association des idées (Paris, 1903), p. 305 et suiv.

(43) H. Bergson, matière et mémoire, passim.

(44) De même, ce que nous avons dit de l’avantage d’une interprétation psychologique des symptômes ne dépend pas de l’opinion que tel psychanalyste peut professer à l’endroit du principe de parallélisme.

(45) Kronfeld, loc. cit., p.197 et suiv.

(46) Kronfeld (loc. cit., p. 234) prétend aussi que l’idée de refoulement contredit l’idée de complexe. Du moment, dit-il, que ce système de représentations ne vaut que par l’émotion qui l’anime, le refoulement, en détachant l’émotion des souvenirs auxquels elle était attachée, doit détruire le complexe. Mais, répond Rosenstein (loc.cit., p. 786 et suiv.), ce « détachement de l’émotion » ne constitue pas le refoulement. Le sentiment refoulé agit à l’intérieur du complexe. Il use des liaisons associatives possibles pour se créer des satisfactions compensatrices et manifeste sa présence et son activité par les résistances mêmes que rencontrent les images qui le concernent.

Les commentaires sont fermés