Aperçu historique du mouvement psychanalytique en France. Par la Rédaction de L’Evolution psychiatrique [Angelo Hesnard]. 1925.

HESNARDAËRCU0006La Rédaction. Aperçu historique du mouvement psychanalytique en France. Article parut dans « L’Evolution psychiatrique », (Paris), Editions Payot, 1925, pp. 11-26.

Article probablement rédigé par Angelo Hesnard (1886-1969) et co-signé par les membres de la rédaction. – Certainement le premier article historique sur la psychanalyse, ce qui en fait un document incontournable. La plupart des historiens de cette discipline y ont puisé leurs sources, sans, toutefois, toujours les mentionner.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original.
 – Par commodité nous avons renvoyé les notes originales de bas de page en fin d’article. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

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APERÇU HISTORIQUE

DU MOUVEMENT PSYCHANALYTIQUE EN FRANCE

 

« Par la Nouveauté des idées qu’elle nous suggère,
« par la fécondité dont elle fait preuve, l’œuvre de
« S. Freud constitue l’un des événements les plus
« importants qu’ait jamais eu à enregistrer l’histoire de la
« science de l’esprit ».
(E. Claparède. – Introduction à la traduction française
des « Cinq leçons sur la psychanalyse. »

 

Il est intéressant, au début des recherches inaugurées par ce Recueil de reconstituer les phases du mouvement psychanalytique qui se dessine actuellement dans notre pays.
Un fait domine l’histoire de la Psychanalyse en France : l’hostilité, beaucoup plus tenace que partout ailleurs, qu’elle y a rencontré dans le monde médical. Si en effet les philosophes et les psychologues en ont salué la première offensive avec une sympathie qui pour être très légitimement mélangée d’étonnement n’en fut pas moins très sincère ; si le grand public littéraire a paru, de son côté, en accueillir les premières manifestations au théâtre et dans le roman, avec un enthousiasme souvent excessif, les médecins – neurologistes et psychiâtres – n’ont abordé l’étude et le contrôle des idées de Freud qu’avec une visible répugnance, et comme contraints par l’opinion publique. Nous ne recherchons pas ici les causes de cette répugnance. Bornons-nous à constater [p. 12] qu’elle n’a pas suffi à arrêter l’irrésistible expansion de la Psychanalyse; elle l’a simplement retardée.
Parcourant, d’un regard d’ensemble, l’évolution des idées médicales ct psychologiques, en France, concernant la Psychanalyse, nous dirons un mot du mouvement d’opinion qu’elle a soulevé avant la guerre, pendant la guerre, et immédiatement après ; puis nous nous étendrons un peu davantage sur la période actuelle – (depuis 1922) – véritable période de diffusion; dont ce recueil marquera, nous l’espérons, une étape définitive.

Avant 1912-1914, les idées ct méthodes de Freud et de ses collaborateurs dans le domaine des névroses étaient restées à peu près sans écho dans notre pays, malgré quelques travaux parmi lesquels il faut mentionner : le premier en date, un résumé de la théorie de Freud à propos des rêves, par Vaschide (1910), et surtout les exposés documentés et pleins d’intérêts de deux hommes clairvoyants qui se montrèrent à cet égard de véritables précurseurs. L’un, philosophe, fut Kostyleff, qui exposa les grandes lignes de la psychanalyse dans ses articles et ouvrages de psychologie expérimentale et publia, traduites et résumées, quelques observations de Freud. L’autre, médecin, fut le Docteur Mauricheau-Bauchant, de Poitiers, qui sut présenter le premier en France aux médecins praticiens, sous une forme aussi exacte qu’attrayante, certains points de la théorie psychanalytique comme celle du Report ou Transfert affectif.
En dehors des travaux de ces deux auteurs, parurent quelques articles concernant des points de détail de la doctrine freudique, en particulier de l’étiologie sexuelle des névroses (de l’angoisse notamment) ; dans ces exposés partiels, les conceptions de Freud étaient d’ailleurs présentées sous leur forme rudimentaire et primitive, d’il y a vingt ans, considérablement transformée depuis.

A cette époque le livre de Sollier sur l’hystérie contenait déjà une série de conceptions scientifiques remarquables – en particulier touchant la Régression mentale – qui indiquent la parenté des principes freudiques avec les idées des psychiâtres [p. 13] français. Le Précis de Psychothérapie de Thomas, la 5e édition du Précis de Psychiâtrie de Régis consacrèrent quelques pages à l’œuvre du Maître de Vienne. Citons aussi un intéressant travail de Courbon sur le sentiment incestueux chez l’enfant et un article de critique de Ladame père, parus tous deux dans l’ « Encéphale ».
Le premier travail dû à un psychanalyste en France fut un court exposé de la méthode psychanalytique par Maeder, de Zurich, dans l’« Année psychologique » de Binet.

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Enfin, deux rapports présentèrent à cette époque au public médical français un exposé critique de la psychanalyse. Le premier à la Société de Neurologie suisse, par de Montet, fut publié dans les « Archives de neurologie ». Le deuxième, de P. Janet au Congrès international de Médecine de Londres en 1913, eut un grand retentissement.
Ses conclusions méritent d’être rappelées, tant à cause de la personnalité de l’auteur qu’à cause de la manière à la fois réservée et cependant favorable dont l’éminent professeur du Collège de France manifestait son opinion personnelle sur une doctrine médicale qu’il ne connaissait encore qu’imparfaitement :
« J’ai été obligé, bien contre mon gré, de montrer aux médecins les exagérations et les illusions qui déparent la psycho-analyse. Mais je sais bien qu’au-dessous de ces exagérations et peut-être grâce à elles se sont développées une quantité d’études précieuses sur les névroses, sur l’évolution de la pensée dans l’enfance, sur les diverses formes des sentiments sexuels. Ces études ont attiré l’attention sur des faits peu connus et que, par suite d’une réserve traditionnelle, on était disposé à négliger. Plus tard, on oubliera les généralisations outrées et les symbolismes aventureux qui aujourd’hui semblent caractériser ces études et les séparer des autres travaux scientifiques, et on ne se souviendra que d’une seule chose, c’est que la psycho-analyse a rendu de grands services à l’analyse psychologique. »
C’est à ce moment que parurent successivement les articles d’Hesnard, puis son ouvrage avec le professeur Régis sur la [p. 14] Psycho-analyse des névroses et des psychoses. Exposé impartial de la question dans son ensemble, il ne visait qu’à faire connaître en France une méthode psychologique dont Hesnard comprenait tout l’intérêt et dont il soupçonnait la portée pratique. Son éminent maître et collaborateur, le professeur Régis avait été frappé de la féconde originalité des idées de Freud. Alors qu’à cette époque la psychanalyse était à peu près complètement ignorée chez nous, il en avait prévu l’inévitable diffusion future. – Ce livre, paru quelques mois avant la guerre, passa toutefois quelque temps inaperçu.
Par contre, en Suisse française l’œuvre de Freud avait déjà connu un succès considérable à la suite des travaux de Ladame, Th. Flournoy, Maeder, Dubois, Lombard, Ermakow, Gottschalk, Radecki, Schmiergeld et Provotelle, Weber, etc

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Pendant la guerre, la Psychanalyse ne fit aucun progrès en France, ce qui est assez compréhensible. L’intérêt des neuropsychiâtres était tourné vers les névroses de guerre et l’étiologie de celles-ci paraissait être tout entière subordonnée aux causes générales des maladies (traumatismes, surmenage, intoxications, émotions etc.,) agissant par l’intermédiaire d’un processus psychique intéressant exclusivement l’instinct de conservation.
A la vérité, c’est bien plutôt parce que les idées de Freud étaient trop peu connues en France que la pathologie mentale de guerre ne fit pas appel à la psychanalyse. Il est évident que la peur du danger est à la base des névroses de guerre, et que l’angoisse des champs de bataille n’a rien à faire avec la sexualité. Mais cette étiologie accidentelle de la guerre est souvent plus apparente que réelle; la névrose ne survenait, sauf dans les cas exceptionnels de sommation des émotions pathogènes, que chez des sujets préparés par leur constitution. Les conditions dans lesquelles l’individu aborde l’émotion de guerre dépendent donc en grande partie de son tempérament affectif et du degré de difficulté qui marque son adaptation au devoir patriotique comme aux divers conflits de sa personnalité avec les dangers extérieurs qui la menacent. Or ces [p. 15] conditions s’établissent dans le cours du développement, à la puberté et dans le jeune âge : ici encore une étude de l’évolution instinctive inspirée de la méthode psychanalytique peut révéler, dans la biographie intime et familiale du sujet, l’explication de bien des infériorités affectives (1). C’est pourquoi les psychanalystes ont étudié à l’étranger les névroses de guerre, avec des résultats qui ne paraissent pas sans intérêt pour la psychologie morbide…
Le mouvement psychanalyste français fut donc nul de 1914 à 1918.
Signalons toutefois, vers la fin de la guerre, la mention qu’en ont faite Devaux et Logre, dans leurs études des anxieux, Dide et Rogues de Fursac. Ajoutons que le regretté biologiste Y. Delage, tout en faisant siennes (sans en avouer l’origine), quelques notions freudiennes sur le rêve, n’hésita pas à se dévoyer dans une critique superficielle et inexacte, d’ailleurs plus ironique que blessante, de la doctrine psychanalytique, et que le Docteur F. Heckel, partisan de l’origine exclusivement physique de l’angoisse, portait à la même époque – et cela, évidemment, sans la connaître – un jugement sévère et définitif sur la méthode « »sans aucune consistance » du spécialiste viennois.

Après la guerre, le mouvement psychanalytique français se dessine très franchement de 1919 à 1922. C’est par les travaux suisses que les idées de Freud commencent à se répandre dans notre pays. Il faut ici citer les noms de de Montet, Lombard, Berguer, Flournoy père, le regretté professeur de Genève qui a beaucoup fait pour en répandre certains aspects de psychologie générale ou religieuse, de son fils, H. Flournoy qui a publié d’intéressants articles sur l’analyse symbolique des névroses et des psychoses, Naville, dont on connaît les recherches sur l’hystérie, Odier qui a [p. 16] tenté certaines applications de la Psychanalyse aux névroses de guerre, Schnyder qui, dans ses recherches psychothérapiques en fait état avec une sage réserve, Baudouin qui l’a appliquée à l’étude des rêves, A. Lemaître à la psychologie des adolescents, Claparède, à celle du jeu de l’enfant, Bovet à celle de l’instinct de combat, Kollarits à celle de la vie quotidienne, F. Morel au mysticisme, etc.
Quelques travaux psychanalytiques en langue française paraissaient entre temps à Zurich, à Genève ct même à Paris : des travaux de Maeder, d’une haute portée philosophique et morale, et de Freud lui-même, dont l’un – l’Introduction à la Psychanalyse, paru en 1921 – à les allures d’un exposé quoique ses parties en soient très inégales.
Bientôt, des travaux médicaux français annoncent ou relatent des résultats ; Dupré et Trepsat appliquent en 1920 avec conscience et habileté la méthode de Freud à la psychologie et au traitement des états hypocondriaques anxieux, dans deux études vivantes et empreintes du meilleur sens critique. Et le regretté professeur Dupré, psychologue profond ct intuitif servi par la séduction de son verbe, n’hésite pas à attirer l’attention sur l’intérêt de celte nouvelle méthode. Colin et Mourgue reconnaissent à Freud le mérite d’avoir insisté sur l’importance primordiale de la vie affective, de la pensée symbolique, de l’étude des rêves ct de la pensée primitive dans son analogie avec la pensée morbide. Laignel Lavastine et Vinchon, dans une étude pittoresque et fort bien documentée, reprennent la question des symboles sexuels, en en montrant l’intérêt historique et psychologique; ils admettent d’ailleurs – d’accord avec Freud lui-même – que d’autres instincts, comme l’instinct de conservation, se manifestent de la même façon dans le rêve. Logre ne conteste pas à la Psychanalyse son utilité dans l’exploration de la mentalité des névropathes, mais en dénonce très justement le danger au point de vue de son influence sur la suggestibilité hystérique. H. Claude applique avec une modération vraiment scientifique et suivant les principes de l’esprit d’observation clinique le mécanisme freudique, réduit à son expression la plus simple, à l’explication de certains états dépressifs et [p. 17] obsédants, en montrant que derrière la psychogénèse des symptômes on retrouvait souvent, à l’aide des méthodes médicales classiques, l’origine première de la maladie dans un trouble organique, par exemple dans une perturbation de la vie endocrinienne et du système neurovégétatif.
Signalons encore des travaux d’Amouroux, de Ladame, Stocker, Perelmann, Laumonier, Cornélius, Wimmer, Guiraud, Ley, etc. ainsi que les pages d’introduction à l’étude française de la Psychanalyse écrites d’une plume magistrale par le Professeur Claparède de Genève.
Pendant cette période de diffusion des idées de Freud dans le monde médical français, la doctrine psychanalytique pénétrait peu à peu chez les philosophes et chez les littérateurs.

En psychologie le regretté Ribot avait entrevu, avant de mourir, l’intérêt de la Psychanalyse, et l’avait annoncé dans la Préface de la Vie inconsciente. Il avait à plusieurs reprises insisté notamment dans des articles de la Revue Philosophique sur le rôle essentiel qu’il accordait au Symbolisme, tel que le conçoit Freud, et à l’activité affective créatrice méconnue, qui est la source du symbole ; sa sympathie évidente pour la Psychanalyse était une résultante naturelle de son œuvre magnifique qui a pour centre sa Logique des Sentiments. Dwelshauwers, souligne dans son bel ouvrage sur l’inconscient, la grande valeur de certaines explorations de l’inconscient affectif et dynamique, pratiquées à l’aide des méthodes psychanalytiques. Bergson exprime une opinion favorable à l’étude des tendances refoulées, dans laquelle il voit un champ nouveau d’étude pour l’exploration de l’inconscient. Kostyleff poursuit ses intéressants travaux sur le mécanisme cérébral de la pensée étudié à l’aide des méthodes freudiennes. Enfin, on connaît par Pieron les restrictions apportées au Freudisme par l’éminent biologiste et psychologue anglais, Rivers, dans ses études sur l’instinct. D’un autre côté tous les auteurs français, comme Y. Delage, qui ont traité l’étude des rêves font état de la célèbre théorie freudienne de la Réalisation des Désirs.

En littérature enfin, nous signalons la sympathie de P. [p. 18] Bourget pour la Psychoanalyse dont témoigne son roman Némésis. En littérature de langue française, citons Demole qui a fait la psychanalyse des « Confessions » de J. J. Rousseau, Ch. Ladame, qui a fait celle des œuvres de Maupassant. Peres a, dans une revue française, écrit à la lumière de la doctrine de Freud, quelques pages concernant l’étude de Lucy Dooley sur le Génie. Pachantoni a critiqué, dans son roman : Science galante, l’œuvre de Freud avec esprit. En 1920, J. Vodoz a appliqué la Psychanalyse à l’interprétation de la Chanson de Roland. .

Ajoutons qu’en Science religieuse plusieurs travaux psychanalytiques ont paru, dont nous ne pouvons faire état ici, à l’exception toutefois d’un intéressant ouvrage du pasteur Pfister sur l’application de la Psychanalyse à la cure d’âme religieuse.
Malgré tous ccs travaux, on reste frappé, par comparaison avec les autres pays, vers 1920, de la difficulté qu’éprouve la Psychanalyse à se répandre en France.
Résumant à cc sujet l’opinion étrangère sur l’hostilité des Français à l’égard du Freudisme, de Saussure (2) écrivait en 1919 : « La psychanalyse s’est heurtée en France à une opposition qui n’est que partiellement compréhensible… Les Français n’ont pas eu le même sens pratique (que les Anglais) et il en est bien peu qui aient cherché à expérimenter l’analyse des rêves et la méthode des associations. Aussi ne faut-il pas s’étonner de ce que tant de leurs critiques aient un caractère si théorique ».
Nous aurons plus tard l’occasion de rechercher les raisons de cette opposition : elle ne tient pas à un défaut dé sens pratique, mais à des malentendus apparus en vertu de raisons psychologiques profondes tirées de la constitution même de notre esprit national.

C’est depuis 1922 seulement que la Psychanalyse a paru vraiment devoir exercer une très notable influence sur la pensée française. [p. 19]

En littérature médico-psychologique, les exposés de la méthode se multiplient. Après la 2e édition de notre ouvrage avec Régis (1922), paraissent successivement le livre de Baudouin, de lecture attrayante, dans lequel on trouve de belles observations, en particulier des analyses très suggestives de rêves, et celui de de Saussure, – manuel écrit dans une langue claire et précise, devenu malheureusement introuvable par la suite – à l’aide duquel le lecteur français a pu pour la première fois se mettre au courant de façon aussi complète que possible des techniques psychanalytiques et les comprendre entièrement.
De nouvelles traductions de Freud permirent ensuite au public français d’approfondir les idées du Maître de Vienne, qui, pour la plupart, choquèrent, tout en paraissant toutefois à la majorité des lecteurs d’un réel intérêt psychologique. C’est alors qu’apparurent dans les journaux, les revues, les romans à la mode, les conférences mondaines, mille allusions à la doctrine psychanalytique, lesquelles, il faut bien l’avouer, ne témoignaient pas toujours, chez leurs auteurs, d’une compréhension parfaite de la pensée de Freud, à vrai dire souvent obscure.
C’est dans la critique littéraire (Thibaudet, R. L. Doyon, etc.,) et dans le roman que la doctrine psychanalytique connut sa première grande diffusion ; et certaines œuvres littéraires françaises ou traduites en français paraissent inspirées tout entières des idées de Freud (3). Les grandes revues littéraires en ont publié des exposés dûs à Dubujadoux, Canudo, Jules Romains, Chaslin, etc… et les journaux quotidiens eux-mêmes les ont répandues dans le grand public (4). [p. 20]
En même temps, les notions freudiennes du Symbolisme, du Refoulement, de l’Inconscient instinctivo-sexuel, etc … acquièrent droit de cité dans les discussions scientifiques et les travaux psychiâtriques.
Vers 1920, pour la première fois à Paris, quelques applications pratiques de la Méthode psychanalytique sont réalisées, grâce à une femme psychologue, élève de Freud, Madame Sokolnicka qui, au cours d’une collaboration médicale constante et avec un sens humain très sûr des réalités mentales, sut attirer l’attention de quelques praticiens. C’est à cette époque que le Docteur Laforgue, auteur d’une thèse importante sur l’affectivité des Schizophrènes (Strasbourg) commença ses travaux psychanalytiques à Paris, lesquels devaient aboutir, comme nous le verrons plus loin, aux recherches de contrôle effectuées à la Faculté de Médecine de Paris. Citons également le nom du Docteur Allendy, qui, sous son influence, publie les premiers résultats de son expérience dans des revues littéraires.
Adam consacre sa Thèse de Médecine en 1922, à la critique purement théorique du « Freudisme ».
M. Dide, l’éminent psychiâtre de Toulouse, accueille l’un des premiers les principes de la psychologie analytique en en donnant à plusieurs occasions une critique serrée, mais en les utilisant avec modération dans ses conceptions d’une psychopathologie primordialement affective. Dans son excellent petit « Manuel du praticien » écrit en collaboration avec Guiraud, il fonde toute la sémiologie psychiâtrique sur L’Inconscient affectif et les Complexes, et applique certaines vues fondamentales de Freud à l’étude des rêves et des délires. – De même Rogues de Fursac dans son manuel aujourd’hui classique avait, quelque temps auparavant, consacré un consciencieux développement à la psychanalyse. Quelques-uns de ses travaux témoignent par ailleurs de la sûreté avec laquelle cet auteur a su discerner l’intérêt de la psychologie affective, et sexuelle en particulier, en clinique psychiâtrique.
Les actes des sociétés psychiâtriques françaises indiquent clairement l’intérêt grandissant porté par beaucoup de leurs membres à la Psychanalyse. La société de Psychiâtrie, où il avait été question antérieurement de symbolisme des psychoses [p. 21] et des psychoses de refoulement, consacre en 1923 plusieurs séances au mécanisme psychique du Refoulement.
Les critiques de Delmas, Hartenberg, Cornélius, J. Dumas, etc… offrent le grand intérêt de préciser certains arguments contre l’uni latéralité des conceptions freudiennes de la névrose et des actes manqués. Mais les débats assez confus témoignent chez les argumentateurs d’une connaissance encore très insuffisante de la théorie critiquée et l’on peut déplorer le très petit nombre des documents cliniques qui y furent versés. D’autres argumentateurs s’accordèrent toutefois à admettre l’intérêt de la méthode au point de vue du contenu de la névrose et de la psychose (Hesnard, Minkowski) (5).
Le Congrès des aliénistes et neurologistes de France et des pays de langue française s’était fait, à Strasbourg en 1920 et à Luxembourg en 1921, l’écho de quelques débats étrangers sur la question. Il décida à Quimper en 1922 de confier à Hesnard pour l’année suivante à Besançon, le rapport psychiâtrique annuel sur la psychanalyse. Voici les conclusions de ce rapport :
« Il faut surtout retenir que la Psychanalyse nous découvre de vastes horizons dans la voie de l’exploration psychologique, et insister sur l’intérêt considérable que présente, même lorsqu’elle est erronée, son étude du contenu subjectif et personnel de la Névrose et de la Psychose.
« Névrose et Psychose ont souvent une de leurs principales racines dans l’expérience psychologique individuelle, dans la biographie intime (affective, mais non strictement sexuelle) du malade. Cette racine affective de la maladie, telle que la révèle la Psychogénèse, peut, dans les limites des conditions étiologiques organiques (toujours primitives et plus ou moins prédominantes) absorber à elle seule une partie de la causalité de l’état psychique morbide, de l’accident neuropsychopathique notamment. Toute méthode consistant à la mettre en lumière et à s’en servir comme [p. 22] fil conducteur· de l’influence psychothérapique, peut être bienfaisante,
« C’est par là que la Psychanalyse, débarrassée de ses erreurs terminologiques, de ses outrances doctrinales et de ses artifices symboliques de recherche séméiologique, se rattache à la Psychiâtrie, dont elle est tributaire, et à la Psychologie clinique – science malheureusement trop négligée dans nos programmes universitaires. C’est par là que cette doctrine-méthode, encore maladroite, mais très perfectible, a des droits incontestables à notre sympathie scientifique et française ».
Dans la discussion qui suivit l’exposé du rapport, la plupart des orateurs (Répond, Flournoy, Minkowski, Courbon, J. Lépine, Ley, Schnyder, Wimmer, etc…, se rallièrent à notre opinion et conclurent qu’il était devenu indispensable de multiplier les applications de la méthode discutée afin d’en préciser l’incontestable valeur, tout en la considérant comme une auxiliaire de la Clinique. Hartenberg fut à peu près le seul argumentateur franchement hostile à la Psychanalyse. Tout en reconnaissant l’existence de l’angoisse d’origine primitivement. sexuelle, il résuma avec une clarté séduisante les critiques traditionnelles du « Freudisme » en reprenant des arguments déjà opposés, pour la plupart, à la Psychanalyse dans les pays allemands avant la guerre, – arguments d’ordre surtout sentimental. Il parait évident que le subtil et sincère observateur des Anxieux, des Timides et des Imaginatifs hystériques qui, mieux que quiconque en France, a su rechercher les raisons de l’évolution clinique de l’angoisse vers les idées obsédantes dans l’orientation constitutionnelle des tendances affectives profondes de l’individu malade, n’était arrêté, dans son intérêt évident pour les doctrines psychanalytiques – pour les idées d’Adler en particulier – que par sa confusion très explicable du Sexuel avec le Génital. Nous insistons sur ce point parce qu’à notre avis il y a là un malentendu terminologique essentiel à dénoncer si l’on veut arriver à dégager de la Psychanalyse ce qu’elle peut avoir de vrai et d’utile, c’est à dire une Psychologie de l’intérêt humain. [p. 23]

Ce sont pareillement des arguments d’ordre sentimental qui, peu après, ornent la critique sévère de Freud par Blondel dans son récent ouvrage sur la Psychanalyse. L’éminent Professeur à la Faculté des Lettres de Strasbourg, qui avait antérieurement manifesté son antipathie dans une revue de science religieuse, n’a pas redouté de considérer la psychanalyse comme une « »obscénité scientifique » et de comparer, Freud tantôt à Sacher Masoch – pour sa perversité – tantôt à Broussais ou à Gall – pour leur notoriété imméritée. Son argumentation s’attarde aux petits côtés contestables ou amusants de l’œuvre de Freud et elle ne cherche pas à approfondir ni même à voir les grandes idées biopsychologiques qui en font peut-être la valeur profonde. .
Ce n’est que ces deux dernières· années que le contrôle clinique de la Psychanalyse a été réellement et sérieusement inauguré en France. Le grand honneur en revient au docteur Claude, professeur de clinique des maladies mentales à la Faculté de Médecine de Paris, qui a voulu en savant sincère et dépourvu de tout préjugé traditionnel, se rendre compte par lui-même de la valeur de la méthode et qui a pu le faire grâce à l’expérience déjà acquise dans ce domaine par son assistant le docteur Laforgue. Les « Résultats de la Psychanalyse » figurent au programme de son enseignement officiel. Il a inspiré ou publié seul et avec plusieurs de ses élèves (Ceillier, Codet, etc.) un nombre aujourd’hui considérable de travaux qui ont attiré l’attention des milieux scientifiques sur ce qu’il peut y avoir de profondément vrai et d’indispensable à retenir dans la doctrine du maître de Vienne.
Le docteur Laforgue vient de publier, en collaboration avec le docteur Allendy, un ouvrage, La Psychanalyse et les Névroses, qui pour la première fois en France, expose les grandes lignes du traitement freudique des états névropathiques en faisant état de documents originaux et inédits. Le docteur Laforgue, psychanalyste orthodoxe, dépasse souvent dans ses interprétations la pensée du professeur Claude ; il n’en est que plus intéressant pour le public français qui, avant de juger comme les Maîtres de la Psychiâtrie française, a besoin de connaître jusque dans ses affirmations les plus courageuse [p. 24] ses l’opinion des praticiens de la méthode psychanalytique.
Nous nous permettrons d’ajouter qu’une influence décisive a été récemment exercée dans les milieux psychiâtriques français par un des plus éminents élèves de Freud, de Saussure dont on connaît la thèse citée plus haut et les travaux publiés en Suisse et à l’étranger sur la question, et qui vient d’entreprendre avec succès la diffusion et l’explication en France des techniques psychanalytiques.
Le Prof. Claude a également publié, avec ses élèves Borel et Robin une série d’observations détaillées qui constituent les premiers documents cliniques français de recherches psychanalytiques originales dans le domaine des maladies mentales proprement dites.
Il poursuit actuellement des travaux cliniques qui paraissent devoir aboutir à de très importants résultats tant dans le domaine de la Pathologie mentale proprement dite que dans celui de la Psychothérapie ; ces travaux visent à isoler dans le groupe des Démences précoces ou Schizophrénies, certains états caractérisés par l’intériorisation mentale et la tendance foncière à forger un monde imaginaire, états qui paraissent caractéristiques d’une constitution spéciale, dite « schizoïde ». Le Maître de Sainte-Anne a été amené à ces. recherches cliniques par le contrôle des idées du Professeur de Zurich, le docteur Bleuler, dont on sait les affinités-particulières pour les doctrines psychanalytiques.
Cette doctrine de l’Ecole du Burgholzli, qui, si elle ne coïncide pas avec celle de Freud et de Jung, dérive de principes psychologiques comparables, accepte la théorie de Freud en ce qui concerne l’explication du contenu de la « pensée autistique », c’est-à-dire du rêve délirant schizophrénique consécutif à la « perte du contact vital » de l’individu avec la réalité. Elle a été introduite et propagée en France ces dernières années par les travaux du plus haut intérêt scientifique d’un élève de Bleuler, Minkowski, auquel nous devons, dans notre pays, les premiers et seuls exposés fidèles et consciencieux de la doctrine de Zurich.
Ajoutons qu’une récente discussion de la Psychanalyse au Congrès suisse de Psychiâtrie, (Berne 1923) a montré que la [p. 25] presque unanimité des psychiâtres suisses non psychanalystes s’est déclarée en faveur de la thèse qui admet la méthode psychanalytique comme désormais indispensable en Clinique et en Thérapeutique mentales.

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Pour être complet, cet aperçu historique devrait mentionner les innombrables travaux contemporains qui, s’ils ne sont pas inspirés par la psychanalyse, participent à cette orientation définitive de la pensée psychologique moderne vers l’intérêt de la vie affective. Car Freud est – quels que soient ses errements – sinon un des principaux artisans, du moins un des témoins les plus caractéristiques de cette évolution collective.
Qu’on jette un regard sur les travaux psychologiques de ces dernières années en France, et l’on comprendra cet avènement tardif, mais désormais définitif, de l’âme affective en Psychologie. D’un côté, la Littérature et l’Art affirment de plus en plus leur affinité légitime pour les forces obscures et puissantes qui président à l’écoulement de la pensée et à l’agencement de ses rythmes créateurs. D’un autre côté, Ribot a, en Psychologie normale, ouvert la voie à la science humaine de l’Affectif. Le Bergsonisme insiste sur le rôle des tendances dans l’Evolution créatrice et de l’intuition dans la Connaissance, et son énergie spirituelle implique un dynamisme sans doute assez dégagé de l’emprise des sciences biologiques, mais foncièrement soumis aux exigences temporelles et vitales de l’affection.
Bazaillas décrit un Inconscient créateur universel, activité positive de l’âme végétative, faite d’ « affectif pur ». Delacroix étudie les modalités de l’activité inconsciente qui inspire la pensée prophétique, les complications de l’intériorisation mystique et les manifestations de la Foi. Chez les médecins enfin, l’affectivité déjà décelée à la base de toutes les maladies évolutives de l’esprit devient l’organe vivant dont le détraquement explique la Névrose et la Psychose : P. Janet parti d’une conception statique de l’esprit, la rend peu à peu dynamique en précisant les lois de la tension psychologique, énergie très voisine de l’affectivité freudienne. [p. 26] Dupré voyait dans la vie affective le ressort de la fonction mythique. Legrain l’étudie dans le rêve délirant des buveurs. Pitres et Régis, puis Battenberg, ont décelé l’érethisme de l’appareil émotionnel à l’origine des phobies et des obsessions. Claude, Laignel-Lavastine, soulignent la relation entre l’affectivité morbide et le système neurovégétatif. Dide considère la psychose, comme d’origine instinctive et coenesthésique et en fait une irruption de la vie affective dans la vie rationnelle. Delmas édifie sur les dispositions affectives toute une psychologie dynamique de la personnalité et, avec M. de Fleury, dont on connaît les récents travaux sur les maladies d’origine émotionnelle, définit les psychoses constitutionnelles par leur base affective… Nulle époque n’est donc mieux choisie que celle que nous vivons pour accueillir avec loyauté et soumettre à la critique de l’esprit latin de mesure, les vues profondes, incertaines, mais géniales du Professeur Sigm. Freud, le premier auteur d’une Psychologie universelle fondée sur l’affectivité.

NOTES

(1) C’est ainsi que pour Dide le courage est fonction de l’instinct sexuel. En fait, dit-il, consciemment ou non, l’instinct génital domine toute la première partie de notre existence et en affirmant que les bouillants guerriers sont souvent des héros en amour, je ne fais que répéter l’observation de tous les psychologues Au fond de tout renoncement sublime existe un peu d’amour féminin.

(2) De Saussure, La littérature française de la Psycho·analyse avant 1919, Inter. Journ. of Psychoanalysis, Londres, 1921.

(3) L’inspiration psychanalytique s’est affirmé par exemple dans le roman de J. Benda, Les Amorandes ; Wells, Les Coins secrets du cœur ; Psichari, Typesses, etc…, et au théâtre, chez Lenormand, Mangeur de Rêves. – L’Homme et ses fantômes.

(4) Signalons que la revue bruxelloise, Le Disque Vert, vient de publier un important et très intéressant numéro consacré à Freud avec la collaboration de : Allendy, Ariand, Blanche. Borel, Claparède, H. Claude, Cresson, Crevel, R. de Traz, Dermée, Desson, Duhamel. L. Durtain, Dwelshauvers, Grenier, Gulette, Hesnard, Hytier, E. Jaloux, Laforgue, Valery Larbaud. L. Lapicque, Y. Le Lay, R. Lalou, Lenormand, Michaux, Ombredane, J. Paulhan, E. Rabaud, H. Read, J. Rivière, Robin, Soupault, Thibaudet. Vettard, Vinchon.

(5) Ajoutons qu’à la Société médico-psychologique il a été fait plusieurs fois allusion à la Psychanalyse. Récemment MM. Capgras et Carrette y ont présenté une remarquable observation de Complexe d’Œdipe se traduisant classiquement par une illusion délirante des « sosies ». (Mai 1924).

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