Les Molas : broderies démons – monstres et fantasmes universels. Par Claude Maillard.

 

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Les Molas : broderies
démons – monstres et
fantasmes universel
par Claude MAILLARD

« Mola significa camisa, vestido, género », dit Rubén Pérez Kantule, l’Indien Cuna venu en Suède le 20 mai 1931 grâce à l’initiative du Professeur d’Erland Nordenskiöld qui l’avait connu dans son pays.

A l’heure actuelle, les femmes Cunas portent encore le mola, blouse courte sur laquelle figurent des motifs d’application extrêmement décoratifs ; motifs anciens, qui autrefois – probablement jusqu’au milieu du 18e siècle – étaient peints sur la peau. A cette fin, elles utilisaient des colorants naturels qu’elles emploient de nos jours pour leur maquillage, provenant soit de racines ou d’écorces d’arbres, soit de graines. Ainsi, pour le jaune et le rouge, obtenus à partir des graines Makepa du Nisala. Mélangée à de l’huile, cette matière colorante était étalée sur la peau à l’aide de bâtonnets en bois. Il est intéressant de savoir qu’entre le tatouage-vêtement et la blouse brodée, il y eut le vêtement- peinture sur tissu, appelé Picha Makkalet ; et ce, sur une période impossible à préciser mais qui correspond probablement à celle comprise entre le débarquement des Huguenots chez les San Bias en 1700 et leur extermination en 1757. Qu’il ait été tatouage puis vêtement peint, et qu’il soit maintenant vêtement brodé, que le mola soit très ancien – Mukan mola, Serkan mola – ou plus récent, un fait est là : les motifs représentés sont restés les mêmes au cours des âges.

 

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Qu’on ait reproduit avec autant de conservatisme ces motifs indique qu’ils ont une signification particulière – nous le verrons plus loin – et pose le problème des différents thèmes abordés dans cette ornementique cuna : thème social ou de la vie quotidienne, thème politique, thème religieux et mythologique. Car si la répétition du motif est une chose, la variété en est une autre ; et si on peut affirmer qu’aucun mola ne se ressemble et même que les deux panneaux constituant la blouse ne sont pas identiques, on doit constater que chacun d’eux, par le sujet traité en broderie, fait référence à l’un des trois grands thèmes suscités, à quelques exceptions près. Il faut dire que le thème social, défini par certains auteurs américains en sept mots : Aves, Fauna, Mammalia, Reptiles, Insectes, Aquatic, Flora, est le plus souvent traité, 47,6 % selon la statistique récente de Kit S. Kapp. Ce qui mérite d’être souligné, c’est qu’en représentant tout ce qui est autour d’elles : le ciel, la mer, les arbres, les oiseaux, les animaux, les fleurs…, en mettant en scène des personnages – voire le couple parental et l’enfant, où l’on peut noter l’identité des formes – en jouant avec toutes les couleurs de la nature, en nous contant de manière souvent naïve la vie de tous les jours, aussi bien celle d’un village que d’une maisonnée, celle d’une mère de famille que d’un bûcheron ou d’un pêcheur, les femmes Cunas – car ce sont les femmes et les jeunes filles, dès leur puberté, qui fabriquent les molas – nous offrent une nouvelle forme d’imagerie populaire.

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A côté du thème social, celui de la vie politique. En broderie, certains événements sont et continuent d’être relatés, souvent sous la forme d’un symbole. Telle, la croix à quatre branches égales en forme de gamma majuscule, insigne de la révolution pour l’Indépendance de 1925, rappelant le soulèvement, sous l’instigation de Marsh, un gringo nord-américain qui se faisait appeler l’Empereur du Darien, d’une tribu indigène de l’archipel de San Bias contre les autorités américaines et objectivant la proclamation de la république de Tulé, république des Indiens. Il est intéressant d’observer que cette croix-symbole se retrouve aussi bien en Inde, en Chine, en Grèce au 7e siècle avant J.-C., qu’à Suse 2000 ans avant le Christ et en Afrique au 19e siècle sur les poids à peser la poudre d’or, et de rappeler qu’elle a eu de tous temps une signification magique.

Mais si le thème politique est un de ceux traités en broderie, il ne l’est qu’à un faible pourcentage – l,54 %, toujours selon la statistique de Kit S. Kapp – venant de très loin après les thèmes religieux et mythiques, 24,6 % suivant le même auteur. Ce qui ne saurait surprendre quand on apprend que l’une des conditions à l’acceptation en 1925 de la souveraineté « paternelle » de Panama a été pour les Indiens San Bias le maintien et la reconnaissance de toutes leurs traditions tribales.

L’importance et le rôle que les Cunas confèrent à la Terre mère nourricière, ventre du Monde et aux Nèles (1), héros de leur mythologie religieuse (le plus marquant des Nèles fut lbeorkun (2), qui inventa la pictographie, apprit aux Cunas à construire des maisons, à fabriquer des objets en or, également à célébrer certains événements sous un mode rituel, ainsi que leur croyance au monde des esprits qu’ils appellent « purbas » et qui peuvent être ambivalents à la fois bons et mauvais, tout cela se retrouve dans l’ornementique du mola.

En effet, nombreux sont les symboles du type : arbre de vie, insecte femelle géant « giant blue butterfly lady », serpent « the sacred phallic symbol of the sun-god’s creative power » apparentés à l’idée de fertilité et de fécondité, qui sous-entendent le thème de la création du monde. Et plus nombreux encore, ceux qui représentés par des démons monstres, concernent le sujet des cérémonies conjuratoires. Démons figurant soit sous des formes humaines, auxquels cas ces formes sont assez schématisées et statiques, stéréotypées et généralement doubles, soit le plus souvent prenant l’apparence d’animaux réels : mammifères, reptiles, oiseaux, crustacés avec une prédilection pour les alligators, les écrevisses, les fourmis, les grenouilles, les poissons, les scorpions, les serpents, ou fantastiques tels que Nugaruéchur
à la longue trompe faite pour sucer le sang des hommes, Achusimudù-bolet au nombril proéminent grâce auquel il se déplace, et celui au corps de sirène.

La richesse de cette représentation symbolique est due au fait que les Cunas ont « spécialisé » les démons. C’est ainsi que les démons qui cherchent à empêcher la naissance d’un enfant quand une femme accouche sont le démon du chien, de l’étoile de mer, du serpent de mer, de la tortue de mer, de l’alligator et du homard. « Le tableau du monde utérin est tout peuplé de monstres fantastiques et d’animaux féroces… ce sont, dit l’informateur indigène, les animaux qui accroissent les maux de la femme en travail : Oncle Alligator, qui se meut çà et là, avec ses yeux protubérants, son corps sinueux et tacheté, en s’accroupissant et agitant la queue ; Oncle Alligator Tiikwalele, au corps luisant, qui remue ses luisantes nageoires, dont les nageoires envahissent la place, repoussent tout, entraînent tout ; Nele Kikirpanalele, la Pieuvre, dont les tentacules gluantes sortent et rentrent alternativement; et bien d’autres encore : Celui-dont-le-chapeau-est-mou, Celui-dont-le-chapeau-est-rouge, Celui-dont-le-chapeau-est-multicolore, etc., et les animaux gardiens : le Tigre-noir, l’Animal rouge, l’Animal bicolore, l’Animal-couleur-de-poussière ; chacun attaché par une chaîne de fer, langue pendante, langue sortante, bavant, écumant, la queue flamboyante les dents menaçantes et déchirant tout (3) ». Alors que le démon des maladies est le démon des singes ou Chichipàchudùvalet, qui est à moitié chien et à moitié femme.

En outre, il ne faut pas oublier à quel genre de mythologie on a affaire ; extrêmement riche en détails, comme celle des peuples primitifs et pleine d’un merveilleux légendaire.

Transposant le texte d’Erland Nordenskiöld, qui a rapporté de ses voyages chez les Cunas de l’isthme de Panama, entre autres plusieurs manuscrits soit écrits par des Indiens avec nos caractères, soit dessinés avec leur pictographie, je conterai ce qui suit:

Le bateau du soleil tourne autour de la terre et fait halte le matin quelques instants pour embarquer les passagers, c’est-à-dire les démons des maladies qui se trouvent partout dans les huit étages qui, pour les Cunas, composent la terre. A l’avant du bateau, se tient un coq et c’est à son appel que tous les coqs répondent.

Quant à la lune, qui voyage elle aussi dans un grand canot, elle a été autrefois – selon la tradition Cuna – une créature humaine comme le soleil et les étoiles et elle a eu des enfants, dont « Pùgsu » la planète Vénus. Sur son bateau ce sont les maladies de la nuit qui s’embarquent. Parmi ces passagers, se trouve le chien noir qui dévore la lune, produisant une éclipse. Pendant les éclipses de la lune ou  du soleil, seuls les Indiens blancs, c’est-à-dire les albinos, peuvent rester dehors ; ils tirent avec un arc et lancent des flèches (flechas pequenàs kinki) dans la direction du corps céleste, afin d’effrayer le chien noir, donc le mauvais esprit, qui cause ce phénomène. Le pilote du bateau lunaire est Chitchipniatùmadi, le grand diable de la nuit ; on le représente généralement avec des ailes.

Que les démons monstres figurent en bonne place dans l’ornementique du mola est un fait, tout comme celui qu’ils soient reproduits depuis des centaines d’années avec la même exactitude par les femmes Cunas. Vu le thème, ce conservatisme est logique et pourrait recevoir la qualification de magique.

Dans ses traits essentiels, le mola est bien indien et plonge ses racines dans l’art précolombien. Il n’est pourtant pas exempt de toute influence des Blancs, de ce que K.S. Kapp désigne par « acculturation » et « western influence » et qu’il explicite en parlant de christianisme, d’objets, de symboles et de littérature venant de l’Ouest. Selon lui, 13,1 % des molas non anciens – précisons-le – auraient subi cette influence. Il est exact qu’on peut voir certaines blouses agrémentées d’anges, de crucifix, d’arches de Noé ou de cathédrales. Exact, que des scènes inspirées directement par les « comics », les magazines à images, les posters apparaissent en broderie sur les molas. Ce qui demeure dans tous les cas, c’est le côté naïf de la représentation joint à la richesse des coloris. Or, quand on sait à quel point la couleur joue un rôle important chez les Cunas du fait même de sa signification magique – rappelons que dans leurs pictographies un point jaune mis sur l’image d’un démon de maladie signifie qu’on est sur la voie du soleil, c’est-à-dire de la guérison ; que quatre petites lignes tracées au-dessus d’une figure montrent à quel étage, des huit couches (4) qui forment la terre, habite le démon ; et qu’il est question, dans leur histoire de création du monde, d’âmes bleues, jaunes ou rouges – on est en droit de penser que, malgré certaines apparences, cette ornementique reste purement indienne.

Dans le Nouveau Monde, les Cunas sont les seuls à avoir des molas. Il est intéressant de le souligner, comme d’insister sur le fait que ce vêtement est non seulement confectionné mais porté par toutes les femmes et les fillettes de cette ethnie. Ce n’est pas par hasard que dès l’âge de sept ou huit ans, la petite fille commence à fabriquer son premier mola. On ne lui demande pas de faire n’importe quoi, mais un objet utile. On peut donc dire qu’en dehors de toute autre considération, le mola est un objet social.

Ajoutons que c’est un bel objet. Dans certains cas, un véritable chef-d’œuvre. Non seulement, grâce aux sujets choisis mais aussi grâce à la technique employée et à la qualité du travail – placées les unes sur les autres, les couches de tissu en coton ou popeline sont bâties, surjetées aux coins et le long des bords ; puis les dessins marqués au crayon doux sont découpés à des épaisseurs différentes et de façon discontinue. Ainsi, de mère en fille, un savoir tout en finesse de petits points et en richesse de coloris avec choix variable selon les couches mais constant statistiquement (première couche : 76 % de rouge, 19 % de noir, 5 % d’orange ; dernière couche: 40 % de noir, 36 % de rouge, 24 % de couleurs mélangées orange, jaune, bleu, vert et marron) a été transmis et, autour de lui continue à rôder l’âme légendaire des grands Nèles qui connaissaient bien des secrets dont celui de ressusciter les enfants morts. « Ils cherchaient, en premier lieu, à se procurer les feuilles tendres du Sabdur, qu’ils trempaient dans l’eau fraîche. Ils étendaient ensuite un vêtement de femme – mola – sur le mort et versaient de l’eau sur lui. Ils emportaient le mola dehors et le ramenaient tout de suite après dans la maison mortuaire, opération qu’ils répétaient quatre fois. Enfin, ils disaient au mort : « lève-toi » et celui-ci ressuscitait. C’est ce qui explique que peu d’enfants périssaient au temps des grands Nèles et que la population augmentait beaucoup. » (Professeur Erland Nordenskiöld)

Mais de qui les femmes Cunas ont-elles reçu ce savoir la première fois ? Question sans réponse, comme bien d’autres et qui repose le problème des concepts rattachés à cette ornementique.

S’il est dangereux et vain de vouloir connaître une ethnie tant dans ses concepts que dans ses motivations et ses besoins, surtout lorsqu’il s’agit d’individus dont la culture est peu connue, et de faire une psychanalyse – une psychanalysette, selon l’expression de Henry Ey – d’un groupe à partir d’éléments d’ornementique, il est permis et possible de réfléchir et de s’interroger sur ces molas – plus particulièrement sur ceux qui abordent le thème conjuratoire, essayant de retrouver quelque chose qui dépasserait les cultures et rejoindrait les fantasmes universels ; ce qu’on intitulerait : à la recherche d’un inconscient collectif.

Les démons-monstres, qui figurent si souvent sur les molas, se présentent comme une création fantasmatique sociale et collective. La mise en scène du monstre est l’essentiel ; peu importe que ce monstre soit homme, animal, être fantastique ou qu’il soit élément ou globalité.

Sous le chapiteau de ce qui est monstrueux, tout est groupé sans frontière entre les catégories suscitées. Et même si l’apparence première est plus adoucie et moins précisée, pas de doute à avoir, on est en face d’un représenté de l’angoissant. Mains griffues ou non, elles sont agressives ; nez avec ou sans bec, ils sont déchirants ; bouches édentées ou non, elles sont dévorantes. Comme l’écrit M’Uzan : « La dramatisation est à l’origine d’un large éventail de phénomènes humains qui vont du rêve et du fantasme à l’art en passant par les mythes et les représentations culturelles ; les jeux sacrés et profanes et jusqu’aux jeux de mots ». Ainsi, dans cette création artistique Cuna où la mise en scène des fantasmes est double, se faisant en recto-verso sur un corps vivant. Une représentation en miroir qui ajoute à l’ornementique un effet d’étrangeté. Plutôt que de continuer à généraliser, il convient de s’arrêter à des molas particuliers afin de s’interroger sur le sens possible du fantasme artistico-représenté lui conférant sa dimension symbolique.

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Le mola aux trois têtes

De quoi s’agit-il ? Quel est le signifié de ces masques aux yeux menaçants, à la triple bouche, aux larges oreilles ? Assurément, on est en face du couple parental et de l’enfant ; chacun lié à l’autre par une chaîne cordon qui pourrait bien être le cordon ombilical. Le personnage du Père est semblable à celui de la Mère, montrant par là l’identité des rôles dans une société matriarcale telle que celle des Cunas.

Dans la scène ici brodée, il est permis de voir l’équivalent de la Scène Primitive et la représentation des personnages œdipiens. L’Œdipe, matrice de la situation triangulaire, est à l’origine des fantasmes de séduction et de castration
– fantasmes primaires les plus précoces, les plus intenses et qui sont liés à l’image du corps. Quand ces fantasmes franchissent ce que Mélanie Klein appelle la « forteresse » – disons les franges de l’inconscient – là où ils étaient refoulés, ils déchaînent l’angoisse. C’est ce retour du refoulé qui est symbolisé ; le côté halluciné étant renforcé par le doublé de l’image. La dominance du rouge est-elle gratuite ou doit-elle faire penser au sang menstruel, – les premières menstruations chez la fillette mobilisant les anciennes angoisses, la peur de castration ?

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Le mola femme-insecte

L’insecte est vu comme « corps fantasmé-fantasmant de désir », selon l’expression de Fr. Dolto utilisée ici avec une certaine particularité ; de désir d’être. Donner naissance, c’est être dans le monde cette nécessité d’être fécondée tellement prégnante qu’elle est terrifiante (se rappeler la symbolique particulière rattachée à l’accouchement chez les Cunas). L’insecte est ici corps en voie de mue. La mutation, c’est l’ambiguïté du personnage, à la fois bonne mère et mère phallique, puissante et dangereuse; c’est aussi la figuration imaginaire de la dynamique projection-introjection. Elle peut également éveiller l’idée d’un vouloir vider le corps de la mère pour en arracher les enfants, ce qui correspondrait au sadisme oral, donc à une image de scènes primitives. La préhistoire vécue sous ce mode, n’étant qu’une partie du thème de l’ambivalence vie-mort.

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Le mola aux serpents.

Toujours présent dans les mythes et les contes, le serpent désigne ce qui est menaçant. Faudrait-il un exemple, qu’on prendrait celui de l’hydre de Lerne. Symbole légendaire du danger, et d’un danger habituellement rattaché à l’élément eau, le serpent c’est aussi le pénis. Ce quelque chose qui est dangereux et qui est en rapport avec le corps de la mère. Cet angoissant inconscient, qu’on trouve dans les fantasmes infantiles.

Il apparaît possible de voir un représenté d’une situation œdipienne avec la mère castratrice, celle qui est phallique, et le père bon, sous-entendre qu’il est ou a le bon objet – à quelques détails près, les deux serpents figurant l’homme et la femme ne sont-ils pas identiques, tous deux étant symboles phalliques – ; l’enfant assumant l’état conflictuel inhérent au moment de l’Œdipe, surtout de l’Œdipe féminin, étant figuré par le petit serpent central (position habituelle de l’enfant dans la constellation familiale, qui dans la mesure où il touche par son corps son père et sa mère objective la recherche d’identification et qui, du fait de sa forme pénienne, montre que le pénis est le commun dénominateur à la problématique des deux sexes.

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Le mola vampire.

Le vampire-diable, c’est celui qui boit le sang et amène sa victime lentement à la mort ; c’est aussi celui qui est censé agir par sa seule puissance spirituelle. Il représente le pouvoir d’agression et de destruction qui fait le sorcier. Cette conception d’un pouvoir spirituel néfaste est courante dans nombre d’ethnies.

Sorcier, le vampire-diable peut « attraper » l’âme d’un individu qui sentira alors faiblir ses forces et son esprit. Cette capture de l’âme principe spirituel-vital s’identifie à l’absorption du sang. Associé au principe de vie et étroitement lié à lui – dans la théorie de la sorcellerie, corps et esprit donc santé physique et santé mentale ne font qu’un – le sang-pouvoir défensif se transmet du père aux enfants mais en passant par la femme qui est le lieu de l’activité créatrice-reproductrice.

La femme, c’est celle qui précisément possède ce pouvoir d’ingestion, d’absorption, de restitution; pouvoir redoutable qui s’inscrit dans le fantasme très primitif de la femme-sorcière, de la mère-vampire.

« Amie du jour, ennemie de la nuit, femme changée en homme, visage devenu masque : triplement travestie, la femme-sorcière exprime la menace d’une attaque de l’intérieur, la fragilité de l’abri, l’illusion de la porte close, l’incertaine protection de l’entourage le plus proche et l’ouverture d’un corps toujours exposé aux intrusions d’un monde avide de sang ou de forces pressées de s’incarner » (Marc Augé).

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Le mola au couteau et a l’Oiseau.

« Le pater familias et la création de la morale des cigognes sont le résultat de : ignorance réelle des choses + manque d’imagination + autoritarisme devant la curiosité infantile ». Ainsi, parle Oswald de Andrade dans son manifeste anthropophagique rédigé en 1924. Pensée « sauvage », qui ne néglige la cohérence qu’en apparence et donne une primatie à l’humour.

Les concepts de la vie et de la mort semblent être évoqués ici de la même façon ironique et irrationnelle, avec un symbolisme interprétatif du destin de l’ordre vital qui pourrait rappeler certaines de nos légendes et mythes les plus naïves et primitives. Sur l’un des panneaux, ce serait la légende de la cigogne qui apporte l’enfant dans son bec; donc la représentation de l’entrée en scène de la vie. Sur l’autre, le conte du grand méchant loup; donc, l’expression du fantasme de dévoration cannibale, de ce désir de meurtre de l’autre – mais l’autre n’est que soi-même – qui introduit l’idée d’autodestruction ou de pulsion de mort. Mais la vie pulsionnelle est sexualité, ce qui donne à la finitude de l’Etre un caractère positif. Mourir étant : retrouver la mère, cet idéal premier, la mort, tout comme l’anthropophagie pour Oswald de Audrade, devient ce qui effacerait les limites.

« Le monde serait un système de vases communiquants : corps et esprit, raison et déraison, sujet et objet, le Même et l’Autre, enfin confondus dans une seule totalité». (P. F. de Queiroz-Siqueira).

Le fantasme de la fusion idéale étayant notre désir d’éternité, n’est-ce pas pensée « sauvage » ?

 

(1) Le mot Nèle ou Lèle est généralement traduit par Médecin, ce qui n’est pas tout à fait exact car le Nèle ne soigne pas les malades, mais pose le diagnostic. Selon les traditions tribales cunas, le Nèle représente la personne la plus importante de la tribu, à la fois grand-prêtre, historiographe et prophète. Le mot Lèle est employé également dans le sens de « saint». Ainsi Dieu est-il appelé Tiolèle.

(2) Dans certains villages, l’endroit où se font les réunions s’appelle Ibéorkun Nega, en égard d’Ibéorkun considéré comme fondateur de la culture cuna.

(3) L’efficacité symbolique de Claude Lévi-Strauss.

(4) La quatrième couche, appelée Bili Baki, est celle du royaume de Dieu.

 

 

 

 

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