Affaire curieuse des possédées de Louviers. Par Z.-J. Piérart. 1858.

« Exorcisme », détail agrandi du tableau attribué à Jean Nicolle (1610- vers 1650)  (XVIIe siècle),

« Exorcisme », détail agrandi du tableau attribué à Jean Nicolle (1610- vers 1650) (XVIIe siècle),

L’affaire des religieuses franciscaines possédées du couvent de Saint-François de Louviers qui eut lieu au milieu du 17e siècle, plus précisément en 1641, fit grand bruit et reste, après celle de Loudun avec Urbain Grandier et Jeanne des Anges, une des plus emblématique de la possession démoniaque. Déjà en 1591, une jeune fille, servante, nommée Françoise Fontaine avait été possédée par le malin esprit, en la même ville de Louviers… Mais cette histoire fera l’objet d’un autre article.

Piérart Z.-J. Le magnétisme, le somnambulisme et le spiritualisme dans l’histoire. Affaire curieuse des possédées de Louviers. (Explications et rapprochements des faits actuels, avec les phénomènes produits par M. Home). Paris, Chez l’Auteur, chez Dentu et chez Germer Baillière, 1858, 1 vol. in-8°, 39 p.
Très rare publication qui manque à la B. n. F. – Références: Y.-P.: 1377. – Lemonnyer: 61.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’ouvrage. – Par commodité nous avons renvoyé les notes originales de bas de page en fin d’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original, mais nous avons corrigé les fautes de composition.
 – Les images ont été ajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr Nous avons corrigé les fautes de frappe.

[p. 3]

LE MAGNÉTISME,
LE SOMNAMBULISME ET LE SPIRITUALISME
DANS L’HISTOIRE. 

AFFAIRE CURIEUSE DES POSSÉDÉES DE LOUVIERS. 

Les prodiges du magnétisme, du somnambulisme et du spiritualisme se sont montrés à toute les époques et chez tous les peuples. On peut même ajouter qu’ils ont été la base, qu’ils ont constitué le principal domaine de toutes les religions, le fonds commun de la plupart des anciennes philosophies. Il suffit d’avoir la bonne volonté de les chercher quelque peu dans l’histoire pour les y découvrir ; il suffit d’avoir la patience de les examiner pour se convaincre à point nommé de leur universalité et de leur ancienneté.
L’auteur, pages 4 et 44.

 Les sceptiques, les railleurs, les hommes légers qui jugent de tout sans connaître, traitent le magnétisme, le somnambulisme, les manifestations spiritualistes de jonglerie ou d’hallucination. Contre leurs sarcasmes, leurs dénégations obstinées, leur aveugle incroyance, le magnétisme, le somnambulisme et le spiritualisme ont été obligés de faire leurs preuves, de multiplier les expériences, d’accumuler les faits. Ces expériences, ces faits, se reproduisent maintenant par tout le globe entier, et bientôt il n’y aura à leur endroit d’aveugles que ceux qui absolument ne veulent point voir, de sourds que ceux qui rie veulent point entendre. Mais C’est bien plus: mis en demeure d’étayer leurs affirmations sur une base solide, les magnétiseurs et les spiritualistes sont allés chercher dans l’histoire des exemples propres à fortifier leur doctrine. Un grand nombre de ces exemples ont été mis au jour par quelques savants magnétographes. Mais dans leurs ouvrages que de lacunes encore ! Nous avons, dans le numéro du Journal du Magnétisme du 10 janvier dernier, donné un aperçu des faits et des sources, qu’il y [p. 4] aurait à consulter à ce sujet et que personne n’a consultés. Comme nous le disions alors, les prodiges magnétisme, du somnambulisme et du spiritualisme se sont montrés à toutes les époques et chez tous les peuples. Nous pouvons même ajouter qu’ils ont été la base, qu’ils ont constitué le principal domaine de toutes les religions. Le fond commun de la plupart des philosophies anciennes. La critique et l’examen de ces matières prouveront, dans un avenir prochain, si nous nous trompons à cet égard.

En attendant, qu’il nous soit permis de retracer ici une de ces affaires de possession si fréquent.es au moyen-âge, si émouvantes de leur nature, et où il y a tant à prendre et à glaner pour l’étude du spiritualisme et des phénomènes que Mesmer et Puységur ont érigés en corps de doctrine. Nous voulons parler de la possession des religieuses de Louviers, affaire bien plus émouvante encore que celle d’Urbain Grandier et des religieuses de Loudun, où on retrouve des phénomènes analogues à ceux dont nous avons parlé au sujet des sœurs Augustines du Quesnoy dans le n » du 25 octobre de l’année dernière.

C’était en 1641, deux ans avant la mort de Louis XIII, à peine cinquante ans après que les trop fameux démonographes Delangle [De Lancre], Boguet et Nicolas Remy avaient répandu la terreur et l’extermination, en Bourgogne ,en Gascogne ct en Lorraine, dans le siècle même où l’on brûlait des sorciers par centaines de mille en Allemagne, où l’on en immolait, rien que dans l’espace d’un an, 1,000 à Côme, 500 à Genève, 64 à Ruremonde, 50 à Douai. C’était dans le siècle qui avait vu brûler en place de Grève la maréchale d’Ancre. Les esprits étaient pleins de ce souvenir, ainsi que de celui du drame lugubre de Loudun, arrivé quinze ans auparavant, quand tout à coup ,1’attentfon générale fut portée sur les mystères non moins étranges et émouvants accomplis dans un modeste monastère de la Normandie, le couvent de Saint-Louis de Louviers, habité par des sœurs lie l’ordre de Saint-François.

Nous allons à ce sujet rapporter les faits dans l’ordre où ils se sont succédé en les appuyant des témoignages les plus [p. 5] authentiques, respectant la couleur que leur donnèrent les auteurs contemporains qui nous les ont relatés, et nous réservant çà et là d’y mêler des commentaires et des explications que nos connaissances magnétiques actuelles nous permettent d’avancer.

Le monastère Saint-Louis de Louviers, vers le milieu du XVIIe siècle, était remarquable entre tous par l’austérité des vertus des religieuses qui l’habitaient. Nulle part ailleurs on ne rencontrait un lieu où la vie éméritique apparût avec autant de perfection.

« Toutes les jeunes sœurs, qui s’y étaient vouées à Dieu, a dit un écrivain, étaient embrasées du feu de l’amour séraphique ; le recueillement, le silence, le goût de la retraite, l’anéantissement des passions étaient leurs vertus familières. Leur cloitre fut comparé à cette solitude ravissante que, selon le prophète, un éternel printemps enrichit de fleurs toujours nouvelles, et qui recèle dans son sein les pierres précieuses dont se construit la Jérusalem céleste,

« A la vue de tant de pureté, d’innocence et d’attraits, un ecclésiastique, doué de la plus rare éloquence, sentit son zèle enflammé au point de rêver pour ces adorables Créatures un degré de perfection encore plus exquis ; il crut concevoir la possibilité d’en faire presque des anges. C’était, dit la chronique, un homme d’une démarche grave et mesurée; ses yeux baissés, son humble contenance, sa barbe longue et négligée, son visage pâle et de jeûnes exténué, n’ôtaient rien à l’ardeur de sa parole, qu’il savait merveilleusement suspendre ou précipiter à son gré. Ceux qui lui parlaient trouvaient en lui une condescendance pleine de bonté ; il laissait échapper des mots enflammés qui donnaient un avant-goût du bonheur céleste ; ses messes n’étaient qu’une longue extase ; sa voix harmonieuse soupirait de sublimes actions de grâces qu’il entrecoupait de sanglots, ou qu’un silence mystérieux interrompait tout à coup dans leur plus grande véhémence.

« Il s’annonça à ces jeunes ouailles comme l’envoyé de l’Esprit-Saint et le dispensateur de ses grâces. Il les fortifia dans leur abnégation et dans le ferme propos où elles étaient de renoncer à tout et de tout souffrir en vue de Dieu ; il leur prêcha l’extrême simplicité du cœur, et canonisa l’obéissance aveugle ;il leur dit de s’anéantir entièrement dans la contemplation divine sans avoir égard à l’entendement, ni à la matérialité des sens, dont l’oubli complet était le triomphe de [p. 6] l’âme sainte. « Elevez-vous et ne rampez plus comme le vulgaire qui s’arrête à de misérables scrupules; volez avec l’aigle, et laissez loin de vous les tempêtes et les brouillards des passions et des dérèglements humains, se dissiper et se consumer d’eux-mêmes dans la basse région de l’âme. Mourez dans l’extase et dans l’union de l’esprit avec Dieu, sans vous occuper de ce qui se passe au-dessous. Des vierges illuminées comme vous, n’ont point affaire avec les fardeaux communs : en elles l’amour opère tout ; elles sont libres de la liberté du Christ ; la grâce est à vous : à vous l’onction de l’Esprit-Saint. Et des essences épurées comme la vôtre s’abaisseraient à repousser la convoitise de la chair, à lutter avec ses assauts ! Non, cette ennemie grossière est indigne de vous ; vous auriez beau la combattre, elle reviendrait toujours à la charge pour troubler la paix intérieure et l’ineffable repos sans lequel il n’y a pas d’adhésion possible avec le souffle divin ; il faut donc mortifier la honte et confondre le péché en évitant de le discerner et de le voir, parce qu’il n’y en a plus dès que l’âme est sans distraction unie à Dieu. Voilà, mes tendres colombes, la vie cachée dont j’avais à vous révéler les mystères, et dans laquelle vous trouverez des joies inconnues et des délices sans fin. »

« Pour entretenir les jeunes sœurs dans ces idées, qui, on le voit, n’étaient pas toutes orthodoxes, il leur prêtait les livres qui en étaient remplis. II avait dît à l’évêque d’Evreux : « Je ferai de ce monastère un tabernacle dont les murailles s’élèveront jusqu’aux nues, où les anges viendront converser, et dont la renommée s’étendra par de là les siècles ! »

« Quelques affaires, qu’il eut à Rome et à Paris, interrompirent le cours de ses instructions ; et à peine fut-il de retour, que la mort, qui vint le surprendre, arrêta le cours de ses ambitieux projets (1). » [p. 7]

S’il en faut croire les pieux écrivains qui jusqu’ici ont raconté la possession des religieuses de Louviers, leur directeur [p. 8] spirituel, par la vie séraphique qu’il leur, avait fait suivre, avait éveillé en elles des illusions et des idées d’orgueil dont l’esprit de malice s’empara pour les perdre. Le diable, fut jaloux des vertus des jeunes sœurs, de l’état de perfection où elles étaient arrivées et jura de leur dresser toutes sortes d’embûches afin de les entraîner dans le vice.

Exorcisme de Madeleine Bavent, une jeune nonne possédée à  Louviers.

Exorcisme de Madeleine Bavent, une jeune nonne possédée à Louviers.

Nous qui ne croyons pas au diable, c’est-à-dire à un esprit assez puissant pour entrer en lutte perpétuelle avec Dieu, à un être éternel fatalement voué à la perdition du genre humain, nous dirons : Ce n’est pas impunément qu’on distend, qu’on affaiblit le lien qui unit l’âme au corps, qu’on rompt l’équilibre, l’harmonie qui doit exister entre ces deux parties constitutives de notre être. Quand la vie physique s’efface, s’amoindrit, les facultés animiques prennent un développement par trop considérable, et de là des phénomènes que les physiologistes appellent désordres moraux, hallucinations, [p. 9] folie, quand ils veulent bien en reconnaitre l’existence, et que nous, nous appellerons manifestations, faits de l’ordre spiritualiste. L’âme arrachée à l’étreinte de la matière, placée dans un milieu autre que celui qui la domine pendant sa période d’incarnation, ou perd son libre arbitre, ou est susceptible de subir l’empire d’autres âmes plus forts, soit que celles-ci, se trouvent également incarnées, soit qu’isolées de la matière, elles nagent dans cet atmosphère qu’on a appelé fluide vital universel ou magnétique.

C’est ce qui arriva aux jeunes sœurs du monastère Saint-Louis de Louviers. Une série de faits que nous allons exposer nous les montrera en butte aux esprits qui peuplent l’atmosphère susdite ou en communication avec eux, nous les montrera le jouet de forces inconnues, extraordinaires ou de la volonté des hommes de leur entourage, qui par la fascination magnétique ou par la suggestion électro-biologique, leur feront faire ou avouer une foule de faits véridiques ou faux, par de là l’ordre de la nature ou du moins par de là l’ordre des faits réputés naturels et possibles.

En tête de ces faits, et les premiers qui se montrèrent au monastère de Louviers, figurent ceux d’apparition, de visions, d’obsession ; de manifestations d’esprits, genre de faits qu’on ne peut plus révoquer en doute aujourd’hui qu’il nous a été donné d’en être témoins et de les voir partout se reproduire.

Parmi les religieuses de Louviers qu’avaient surtout exaltées, fascinées les prédications, le regard, l’approche du directeur spirituel de ce couvent, les effluves émanés de sa personne, si l’on peut s’exprimer ainsi, il s’en trouva six qui portèrent au plus haut degré la faculté de percevoir les phénomènes de l’ordre spiritualiste et magnétique, de leur servir d’intermédiaire, d’instrument, de cause provocatrice, d’en être les jouets, les victimes ! Ces religieuses furent la sœur Marie de Jésus, la sœur Anne de la Nativité, la sœur Marie du Saint-Sacrement, la sœur Barbe, la sœur Marie Cheron et la sœur Marie du Saint-Esprit (2) [p. 10]

« A sœur Anne de la Nativité apparut un jour entre autres un ange dont rien n’égalait la beauté.

Dieu, disait cet ange, voulant gouverner la digne sœur, immédiatement par lui ou par ses anges, avait chargé celui-ci de venir lui enseigner les sept degrés de perfection ; mais il ne fallait pas qu’elle révélât rien de ce qu’il lui disait, parce que les hommes ont des connaissances trop basses pour comprendre les voies de Dieu, et ce qu’il peut opérer dans les âmes ; et c’est lorsqu’on ne s’en rapporte pas à lui qu’il vous livre au démon, ainsi qu’il lui est arrivé à lui-même; » mais elle eut la prudence de déclarer qu’elle ne voulait rien faire sans en référer à ses supérieurs. Au même instant elle entendit un grand cliquetis d’épées nues, et ce fut comme un nuage qui fondit devant elle. Enfin, Marie, mère de Dieu, vint un jour la trouver et l’avertit qu’elle avait fait une grande faute de repousser la grâce de son fils, qui, pour mieux la toucher, avait bien voulu se remettre sur la croix, et qui avait ensuite revêtu des splendeurs éblouissantes, qu’il était encore temps de revenir à des résipiscences ; qu’elle n’avait besoin pour cela que de s’abandonner à ses conseils, et qu’elle ne tarderait pas à jouir des célestes bienfaits. Tout cela ne réussit pas mieux ; et la jeune fille sut par la prière se préserver de cette nouvelle tentation.

« La sœur Marie du Saint-Sacrement vit de grosses étincelles de feu tomber la nuit du plancher sur sa couverture; quand elle se servait de sa discipline, on la lui arrachait pour la luit jeter à la figure.

« Une nuit, on frappa de petits coups à la porte de sa cellule : c’était une religieuse qui tenait une bougie ardente ; son voile d’étamine lui couvrait le visage et ses mains se cachaient dans de longues manches. Elle lui dit : « N’ayez pas peur, je suis la sœur de la Passion, autrefois religieuse en ce couvent ; je suis retenue en purgatoire, où je souffre beaucoup, et personne n’a pitié de moi ; je suis venue à vous parce que je connais votre bon cœur ; » et là-dessus elle lui proposa de faire à son intention diverses pratiques, dont Marie sut bien discerner le danger et qu’elle eut [p. 11] l’habileté d’éluder, Un autre jour, c’est une de ses compagnes qui vient lui faire la confidence qu’elle a découvert que le confesseur était amoureux d’elle et qu’il compose des philtres pour la séduire, et que les hosties qu’il lui donne pour communier ne sont que des charmes d’amour ; et, en effet, un matin, celui-ci vint dans sa chambre, et, après beaucoup de discours mielleux, finit par lui déclarer sa passion et lui cita des passages de l’Ecriture qui permettaient d’aimer. A ces mots, Marie resta interdite et lui dit en lui jetant de l’eau bénite : « Sors, infâme, au nom de Jésus-Christ ! Quand le véritable père confesseur l’envoya quérir pour tout de bon, elle ne voulut plus y aller, et ce ne fut pas sans peine que celui-ci parvint à lui démontrer que tout cela n’était qu’une imposture, et qu’elle avait été illudée par de fausses apparences. Enfin, dix-neuf jours de suite, un archange de lumière apparut à Marie comme une belle aurore qui venait éclairer sa cellule. « Je viens te trouver, lui dit-il, mais à Condition que tu garderas le secret ; il est écrit : Mon secret est à moi ; l’épouse portera l’époux sur son cœur comme un bouquet de myrte et sur son bras comme un cachet ; malheur à l’homme qui se confie à l’homme ; dès qu’on recherche l’approbation de l’homme, Dieu s’éloigne : c’est un maître qui ne veut pas de second et qui ne fait connaître le ravissement de ses consolations célestes et de ses complaisances d’amour qu’aux âmes qui ne se confient qu’à lui seul. »

« En un mot, il semblait lui développer des principes de vertu si sublimes et si purs, qu’elle fut persuadée que cette fois Dieu voulait lui enseigner le chemin de perfection. L’archange en lui parlant posait la main sur son cœur ; et elle se sentait entraînée vers Dieu par un amour si doux et si chaste qu’elle succombait sous le faix. Il lui apparaissait tous les jours plus lumineux et l’entretenait de la gloire de Dieu et· de l’immortalité de l’âme fidèle. Il lui procurait des ravissements d’esprit lors desquels elle pensait voir des choses admirables et entendre des harmonies sans fin. Il lui promettait de la faire sommeiller entre les bras de l’époux, de ce sommeil mystique qui est le complément de la grâce, et toujours il la pressait de lui donner son cœur ; mais il en vint à des flatteries si ouvertes et à des tendresses si vives, qu’elle devina le fourbe, et qu’elle le força de fuir en lui criant :

 

« Exorcisme », tableau attribué à Jean Nicolle (1610- vers 1650).

« Exorcisme », tableau attribué à Jean Nicolle (1610- vers 1650).

« Misérable trompeur, je te renonce. Sois confondu par la vertu de mon Sauveur ! »

Et à cela le narrateur qui nous a transmis ces faits ajoute [p. 12] que la sœur fit bien de repousser ainsi l’esprit séducteur, car ce n’était rien autre que Satan, l’esprit des ténèbres, cet être abominable toujours fatalement voué à la perdition des âmes.

L’auteur de la Science chrétienne de communiquer avec les esprits, le pieux Gérard de Caudemberg (3), un des plus pursécrivains spiritualistes de ce temps, ne conclut pas, commeon sait, de la même manière. Lui aussi a eu des communicationssemblables à celle de sœur Anne de la Nativité et à sœur Marie du Saint-Sacrement. Des anges, la sainte Viergemême lui sont apparus, dit-il, mais, loin de les considérercomme des démons, il s’est plu à entretenir, avec ces puissancescélestes le plus doux commerce, et il s’en est trouvétrès-bien, assure-t-il. Soyez pur, vertueux, vous attirerez àvous les esprits purs, vertueux, disent les spiritualistes modernes.C’est ce qui arriva à sainte Hildegarde, à sainte Gertrude,à Sainte Mechtilde, sa sœur, aux saintes Elisabeth de Schonav et de Spaelbeck, à sainte Brigitte, à sainte Marie de l’Incarnation,à Madeleine de Pazzi, à Marguerite de Cordoue, à sainteThérèse, à Madeleine de la Croix, à madame Guyon et à tant d’autres ; c’est ce qui dut arrive aux pieuses sœurs deLouviers ; mais le préjugé, l’opinion dominante, s’ obstinaitalors à voir le diable en tout, et l’on était loin du progrèsqu’a fait de nos jours cette importante question des esprits.

Après les visions, les apparitions, eurent lieu les obsessions, les faits les plus étranges de possession ou de manifestations physiques d’esprits. Celles des sœurs qui étaient exemptes de l’invasion des diables, dit le narrateur, aperçurent dans le chœur de l’église voler en l’air les règles, les bréviaires, les diurnaux de leurs sœurs tourmentées sans qu’elles se remuassent. Tantôt c’étaient les pupitres et les livres qui se renversaient, les plats et les ustensiles cuisine que chacun apercevait tomber rudement aussitôt que de loin en approchaient les obsédées. D’autres fois les pauvres sœurs s’affaissaient malgré elles sur leurs genoux, étaient jetées violement le corps contre la terre et maintenues de force dans des positions tout à fait contre nature, tandis que des [p. 13] mains invisibles attachaient leurs sandales, leurs disciplines et leurs chapelets à l’extrémité de leurs voiles. Pendant ce temps on voyait les lumières s’éteindre et se rallumer, on entendait des bruits, des tintamares épouvantables dans les cheminées et des sons de plusieurs voix d’hommes dans les dortoirs. Une sœur plusieurs fois fut enlevée de sa cellule par des mains invisibles et retrouvée en des lieux éloignés du monastère. Une autre fut saisie par le nœud de sa ceinture, enlevée en l’air et précipitée d’un grenier au bas d’une montée où elle fut relevée blessée, laissant échapper du sang par le nez. Une troisième reçut sur la joue de la part d’une main mystérieuse un soufflet qui fut entendu de ses compagnes ; une quatrième, forcée par l’esprit qui l’obsédait à lécher une patère, en eut la langue brulée et couverte de pustules pendant trois jours, comme si elle eût léché un fer rougi au feu ; une enfin fut guérie instantanément d’enflures, de pustules et de verrues causées par des piqûres d’orties et des contusions. On vit en outre la sœur de Jésus, possédée par un esprit qui se nommait Accaron, s’élever de trois pieds en l’air pour saisir le soleil d’or du Saint-Sacrement, et l’évêque d’Evreux, voulant la retenir, être enlevé à son tour et jeté violemment à terre. Un autre esprit, répondant au nom de Dagon, fit plus : s’acharnant après la pauvre sœur Marie du Saint-Esprit, il lui jeta un jour la tête et une main dans le feu, ce qui eut lieu sans la moindre brûlure, et une autre fois il la transporta sur un mur haut de dix pieds d’où il la fit tomber violemment la tête la première, sans qu’il s’ensuivit aucune lésion ni aucun autre mal qu’un léger étourdissement (4). On en vit d’autres marcher sur la [p. 14] surface d’une mare d’eau sans enfoncer, comme Pierre d’Alcantara, sainte Alma, Saint Bernard ; d’autres grimper comme [p. 15] des écureuils le long des toits et des murs, bondir en l’air, se tordre le corps en trois plis de manière à ressembler à un [p. 16] serpent en peloton. D’autres enfin sentaient l’esprit qui les obsédait passer dans le corps d’une autre possédée à la demande même de l’esprit, Celle-ci alors demeurait clouée à terre, les bras étendus ressemblant à des barres de fer, ayant le talon tellement effacé que le bout de la jambe ne présentait plus qu’une ligne droite, tandis que la tête était d’une pesanteur telle qu’aucune force ne pouvait la soulever de terre. Cet état durait jusqu’à ce que l’esprit s’en retournât dans le corps qu’il avait précédemment quitté et qui alors retrouvait l’agitation dont il avait été un moment délivré. Et l’on vit cette transmission réciproque des esprits se répéter plusieurs fois en présence d’un grand nombre de témoins et amener à chaque fois les crises les plus incroyables. Ajoutez à cela les phénomènes ordinaires du magnétisme, la double vue, la vue à distance, la pénétration de pensée, la connaissance et la découverte des choses les plus secrètes et les mieux cachées, le don de répondre à des questions faites en des langues étrangères, de faire les discours les plus savants, les plus éloquents sur une foule de hautes questions morales et religieuses, et vous n’aurez encore qu’un faible aperçu des phénomènes inouïs qui répandirent à la fois le trouble et la consternation au sein du monastère Saint-Louis de Louviers dans le courant de l’année 1641 et dans les premiers mois de 1642.

L'évêque d'Evreux, François de Péricard.

L’évêque d’Evreux, François de Péricard.

Aussi le bruit de faits aussi étranges, aussi prodigieux, ne tarda pas à se répandre. L’évêque d’Evreux, François de Péricard, et les principaux ecclésiastiques de son diocèse, y employèrent toute leur science, se livrèrent, à force de conjurations, à tous les exorcismes possibles. Mais ils y perdirent leur latin, rien n’y fit, et la possession des pauvres sœurs continuant, l’évêque d’Evreux fit venir, au monastère le provincial des capucins de Normandie, homme très-expert en matière de conjurations, prédicateur éloquent, persuasif et vigilant, très-propre à répandre partout l’esprit de Dieu là où il n’y avait plus que l’esprit du diable, très-habile à déjouer les ruses de ce prince des ténèbres et à pénétrer les secrets de ses machinations. Ce provincial des capucins ne fut rien autre que le père Esprit de Bosroger, le narrateur qui [p. 17] nous a transmis, dans un livre très-détaillé et assez bien écrit, l’histoire, complète de la célèbre affaire de possession des religieuses de Louviers.

De Bosroger se mit à l’œuvre avec la foi, le courage et la ferveur qui le caractérisaient. De nouveaux jeûnes, de nouveaux actes de piété plus grands encore que par le passé, des offices multipliés accompagnés de sermons, d’adjurations, conjurations, exorcismes, eurent lieu de plus belle au monastère de Louviers.

Un jour que le révérend père, en parlant du démon, s’animait plus qu’à l’ordinaire et disait que ce n’était qu’une mouche en comparaison de la vertu divine, l’une des assistantes, Madeleine Bavent, tourière du couvent, jeune fille admirablement belle, ne put s’empêcher de se récrier : « Eh bien, dit-elle, on verra dans quelques jours si ce n’est qu’une mouche. » Et cinq religieuses ne tardèrent pas à ressentir d’effrayantes convulsion. Cela fut un trait de lumière pour des imaginations crédules qui, croyant au diable, voulaient absolument lui trouver des suppôts. On se rappela. une circonstance où Madeleine avait crié au secours, en se plaignant que le diable la frappait et la renversait sur les marches de sa cellule ; on conjectura que Madeleine s’était vouée à lui, qu’il avait tout pouvoir sur elle, et qu’il en avait fait un des instruments des troubles abominables qui désolaient le monastère…

Aussi résolut-on de l’exorciser tout particulièrement. L’évêque d’Evreux s’en vint en personne pour procéder à cette œuvre. Les démons, dit de Bosroger, n’eurent point la force de résister à la puissance conjuratrice du pieux évêque, et crièrent tout d’une voix que Madeleine était magicienne, et que c’était elle qui leur avait fait prendre possession du couvent ; qu’elle fréquentait le sabbat et qu’il fallait qu’on s’en méfiât, parce qu’elle y avait reçu un nouveau pouvoir de charmer par les yeux. A cela le narrateur ajoute que Madeleine fut atterrée; qu’elle resta sans action et sans voix, et comme anéantie sous les terribles syndérèses de sa conscience qui l’écrasait, en présence de la vérité du Dieu vivant qui [p. 18] venait pour la confondre. On l’enferma dans une chambre séparée. On examina attentivement son corps, afin d’y reconnaître la marque du diable, c’est-à-dire la cicatrice, le stygmate dont le prince des ténèbres ne manquait jamais d’estampiller, disait-on, le corps de ceux qui s’étaient livrés à lui. Après un mûr examen, après avoir bien palpé, comme c’était l’habitude, le sein nu de la pauvre Madeleine, on crut y reconnaître la fatale marque. Alors, dit de Bosroger, la sorcière avoua tout. Mais, pleine de confiance, elle requit le secours de l’Eglise. Elle déclara qu’elle avait été pervertie par le prêtre Mathurin Picard, directeur spirituel du couvent, qui l’avait induite au mal, en lui arrachant son consentement par ruse ; que c’était lui qui l’avait instruite dans l’art de la sorcellerie et conduite au sabbat, et, là-dessus, elle se mit à faire récit de toutes les scènes incroyables de sabbat qui étaient admises de son temps.

Mathurin Picard, mort depuis peu, avait été curé de la paroisse du Ménil-Jourdain, près Louviers. Il avait eu pour vicaire Thomas Boullé, que Madeleine Bavent reconnut être son complice et son compère en tous ses maléfices et fornications. Comme elle et Picard, Boullé s’était rendu au sabbat, où il avait servi de diacre dans les messes sacrilèges célébrées en l’honneur de Satan. A cela Madeleine ajouta qu’elle avait participé avec les deux prêtres à une foule de scènes de magie, de diablerie, à toutes les énormités et sacrilèges qui se commettaient au sabbat. Doit-on regarder comme véridiques toutes les révélations de Madeleine Bavent ? Y a-t-il jamais eu réellement un sabbat auquel se rendaient, à travers les airs, des sorciers et des sorcières, montés sur un balai rôti ? Nous ne le croyons pas. Qu’on remarque que, dans la plupart des procès de sorcières, les malheureuses qui faisaient de tels aveux étaient de pauvres femmes en état d’hallucination, de fascination magnétique ; de malheureuses créatures chez qui le système nerveux avait acquis une sensibilité telle, que tout libre arbitre, toute volonté en étaient absents. A des êtres tombés dans un tel état, il est facile de tout suggérer, de [p. 19] tout faire avouer ; mille faits produits par nos magnétiseurs modernes en sont une preuve, et, pour quiconque a assisté à des séances d’électro-biologie, ces choses ne font pas le moindre doute, Au moyen-âge, au XVIIe siècle, on avait des idées, des croyances générales, officiellement, catholiquement admises sur les sorciers, le diable, le sabbat, croyances dont on ne se départissait jamais, qui étaient aussi bien enseignées par les docteurs de l’Église qu’insinuées aux jeunes générations dès la plus tendre enfance. Ces croyances, qu’on affirmait volontairement de soi-même, et à l’aide desquelles on expliquait tous les phénomènes de l’ordre surnaturel dont on avait connaissance, étaient de plus suggérées d’autorité par des prêtres, des exorcistes, des confesseurs, des inquisiteurs, des juges, Que pouvait faire, dans un procès de sorcellerie, une pauvre femme, dominée physiquement, magnétiquement, moralement par son juge, son scrutateur ? Que pouvait-elle, si ce n’est de faire des aveux conformes à sa propre croyance, à ses idées personnelles, conformes aux desseins, à la volonté fortement marquée et déterminée de celui qui l’interrogeait ? C’est ce qui est arrivé à a plupart des malheureux qu’on vit impliqués dans ces procès de sorcellerie, de magie, si fréquents autrefois ; c’est ce qui arriva à Madeleine Bavent. Parmi les aveux faits par cette jeune fille, on voit qu’elle avait été fascinée, séduite par le prêtre Mathurin Picard, son confesseur, et que des relations criminelles s’étaient établies entre eux. Ces fait, on peut les croire, on les comprend; ils ne sont arrivés que trop souvent ; l’histoire est là pour en administrer la preuve, et l’année dernière, dans le Journal du Magnétisme du 25 octobre, à propos de la possession des sœurs Augustines du Quesnoy, près Valenciennes, nous citions une circonstance tout à fait semblable. On peut admettre également l’état de fascination, de charme, exercés par le curé Picard et son vicaire sur la pauvre Madeleine ; les visions, les dons de clairvoyance, de vue à distance, les hallucinations, l’extrême sensibilité magnétique qui en furent chez elle la conséquence ; mais tous les autres faits incroyables de diablerie avoués par cette malheureuse, doit-on aussi [p. 20] facilement les admettre ? Non ; il y a là matière à controverse, et jusqu’à ce que des faits patents, une plus grande expérience soient venus nous convaincre, nous qui n’admettons pas l’existence du diable, nous les révoquons en doute.

Quoi qu’il en soit, après l’aveu de ses crimes, sortilèges et maléfices, aveu sur lequel elle revint pourtant, en protestant de sa parfaite innocence, Madeleine Bavent fut d’abord condamnée à la prison de l’officialité, puis traînée tour à tour de Louviers à Evreux, et d’Evreux à Louviers, en proie aux injures et aux exécrations de la foule crédule qui se rencontrait sur son passage. A Evreux, elle fut jetée au fond d’une basse fosse, appelée les oubliettes de l’Évêque. Dans cette réclusion, cette solitude horrible pour une femme impressionnable, passionnée, expansive, hystérique et sensuelle comme l’était Madeleine Bavent, un sombre désespoir s’empara plus que jamais de son esprit ; elle eut des frayeurs, des visions, des obsessions épouvantables. Elle crut voir, dit Bosroger, mille démons qui affluaient autour d’elle sans lui laisser ni cesse ni relâche. Les uns partageaient sa couche, d’autres la secouaient violemment et semblaient l’entraîner dans les enfers. Elle essaya de se couper les veines du bras avec un couteau rouillé qu’elle avait trouvé, puis de se couper la gorge, et enfin elle se l’enfonça un jour dans le ventre jusqu’au manche, et le tint ainsi dans la plaie pendant quatre heures, le retournant de temps en temps, mais tout fut inutile. Elle guérit de ses blessures ainsi que d’un ulcère cancéreux au sein. Pendant trois jours elle prit par cuillerées du verre pilé sans rien manger autre chose (5). Elle survécut encore à ce nouvel essai de suicide. Cinq fois elle resta sept jours sans rien prendre, et on la vit insulter un crucifix appendu dans son noir cachot. Elle conjurait les démons de la venger ; mais, au fort de ses accès, s’il faut en croire ses propres récits, un ange, lui apparaissant, [p. 21] venait la consoler. Puis, retombant dans son désespoir, elle mangea des araignées, et essaya de s’empoisonner avec de l’arsenic qu’elle s’était procuré, mais elle en fut encore empêchée par une apparition.

A Evreux comme à Louviers, elle fut exorcisée avec la même assiduité. Au milieu de ses terreurs, de ses hallucinations et de la contrainte exercée sur elle, elle fit de nouveaux aveux. Elle apprit que la présence du corps de Mathurin Picard, enterré près la grille de communion, dans l’église du monastère de Louviers, était la cause de l’un des plus dangereux maléfices qui affligeaient le couvent. De plus, une religieuse déposa contre Picard que, la veille de sa profession, il l’avait instruite à faire des vœux au dieu Beel ; deux autres déclarèrent que, pour avoir été seulement touchées par lui, elles en avaient ressenti comme des horreurs, et étaient restées dans un état complet de stupidité. Alors l’évêque d’Évreux fit faire le procès de feu le curé de Ménil-Jourdain. Le juge ecclésiastique ayant trouvé assez de charges, l’excommunia sur la fosse, et ordonna qu’on l’exhumât, et qu’il fût porté en un lieu profane (6). Il ne voulut pas, dit l’historiographe Bosroger, créer un curateur au corps, parce qu’il voulait épargner l’honneur du sacerdoce, tenant cette affaire le plus secrète qu’il fût possible. Mais quelque soin qu’on prît, quelque secret qu’on gardât, l’affaire ne tarda pas à transpirer ; cette exhumation d’un prêtre fit scandale. Le bruit en vint aux oreilles de la justice, où les parents de Picard en appelèrent comme d’abus : le lieutenant criminel de Rouen descendit sur les lieux et dressa du tout procès-verbal, pour en référer au parlement, qui en prit connaissance et ordonna qu’il en fût plus amplement informé. Le parlement réclama une enquête, afin de s’assurer si réellement il y avait possession de la part [p. 22] des religieuses et maléfices de la part des ecclésiastiques incriminés, et si les désordres nerveux arrivés au monastère de Louviers ne devaient pas plutôt être attribués à quelque maladie, à quelque contagion épileptique ou hystérique. La reine Anne d’Autriche, régente du royaume, à la requête des magistrats, nomma une commission chargée de faire une enquête sur tant de faits étranges, épouvantables, scandaleux, dont la connaissance commençait à être partout divulguée.

Cette commission se rendit à Louviers en septembre 1643. Elle était composée de Charles, de Montechal, archevêque de Toulouse ; de Jacques Charron, pénitencier et chanoine de l’Eglise de Paris, docteur en théologie; de Samuël Martineau, également docteur en théologie et chanoine de ladite Eglise, et enfin de M. de Morangis, conseiller du roi et maître ordinaire des requêtes de son hôtel. Ces doctes et respectables personnages se rendirent au sein du monastère Saint-Louis ; et, présumant que les convulsions et contorsions extraordinaires, les cris et agitations des soi-disant possédées pourraient bien être le résultat de quelque maladie, ils prirent la précaution de s’adjoindre un homme de l’art dont les lumières pussent les guider. Cet homme de l’art fut le sieur Ivelin, médecin ordinaire de Sa Majesté, qui, depuis quelques jours déjà, s’était rendu dans le monastère pour y examiner l’état des pauvres religieuses et y appliquer les remèdes de la médecine (7). L’enquête commença donc sous ces auspices avec toutes les précautions possibles. Mais, après l’examen le plus minutieux, les commissaires ne virent pas la plus petite trace de maladie ou d’indisposition corporelle dans les religieuses de Louviers, et force leur fut de convenir qu’elles étaient réellement obsédées, possédées et maléficiées. Ils constatèrent de la manière la plus formelle, dans un rapport qui est demeuré, l’existence de phénomènes identiques à ceux que nous avons indiqués plus haut.

Mais, se défiant de leur jugement en pareille matière et voulant [p. 23] pousser plus loin encore la circonspection et l’examen, ils prièrent les médecins de Rouen de se rendre comme eux au monastère afin de faire une autre enquête et que la plus grande lumière soit faite sur les faits étranges qui s’y passaient. Les médecins de Rouen obtempérèrent à cette invitation, et, quel qu’ait été leur peu d’empressement comme médecins à admettre des faits de la nature de ceux qu’on disait avoir lieu au monastère de Saint-Louis, ils ne purent s’empêcher, après un examen également long et minutieux, de conclure de la même manière que les commissaires nommés par la reine. Nous reproduirons leur rapport, attendu qu’émané d’hommes de l’art, il offrira un caractère d’autorité que les sceptiques seront moins tentés de révoquer en doute. Voici ce rapport tel que nous l’extrayons de plusieurs pièces originales relatives à la ténébreuse affaire :

 

Les médecins de Rouen, priés par MM. les commissaires députés par le roi de visiter les religieuses de Saint-Louis de Louviers, prétendues possédées et leur en donner advis : s’estant transportés audit lieu et ayant diligemment observé et considéré toutes les actions, paroles et mouvements desdites religieuses, tant hors que pendant leurs accès, en leurs exorcismes, communions, confessions et autres exercices de dévotion : icelles interrogées pendant leur tranquillité et en leurs accès, sur tout ce qu’ils ont cru pouvoir donner lumière à ceste connoissance, ont jugé conformément lesdites religieuses au nombre de cinq estre véritablement possédées par les signes suivants distingués en trois chefs, Premièrement aux choses qui dépendent de l’intellect et de l’esprit ; secondement aux choses qui dépendent du corps ; et tiercement en ce qui dépend des choses sacrées, sans s’arrêter aux signes présomptifs, dont les théologiens font douze sortes, par ce qu’ils ne concluent nécessairement, .

« Exorcisme », Détail du tableau attribué à Jean Nicolle (1610- vers 1650)  (XVIIe siècle),

« Exorcisme », Détail du tableau attribué à Jean Nicolle (1610- vers 1650) (XVIIe siècle),

Signes remarqués auxdites religieuses dépendant de l’esprit.

1° Qu’elles connoissent les personnes qu’elles n’ont jamais vues, les appelant par leurs noms, et les distinguent par les professions qu’elles font,

2° Qu’estant ignorantes et principalement les jeunes et les novices, lesquelles à grand’ peine savent par cœur les litanies, estant aux accès de leur possession, font des discours sur les plus hauts et difficiles mystères de nostre [p. 24] religion, avec des conceptions si rares, des termes si significatifs, des paroles si fortes un fort longtemps, qu’elles donnent de l’estonnement à ceux qui les entendent, et hors de là elles sont ignorantes.

3° Qu’après leurs plus violentes convulsions, extases et autres plus curieuses agitations de leurs accès, elles se ressouviennent de tout ce qu’on leur dit et fait : ce qui n’arrive jamais aux maladies qu’on pourroit accuser en ces religieuses : comme l’épilepsie, phrénésie, manie et autres, auxquelles on perd la mémoire lors des accès.

4° Qu’elles entendent les langues grecque et latine, répondent aux interrogatoires qu’on leur fait en ces langues ; en language vulgaire et après un peu de temps, et font aussi précisément les choses, lesquelles on leur commande en ces langues.

5° Qu’elles découvrent les choses desquelles elles n’ont jamais eu connoissance, comme elles l’ont fait pour le corps du Picard et les charmes et les maléfices cachés en plusieurs lieux de leur monastère ; désignant particulièrement et, véritablement les lieux où ils estoient, encor qu’ils fussent 8 ou 10 pieds dans terre ; et même les choses desquelles ils estoient composés, le tout s’estant trouvé véritable.

6° Qu’elles ont dit à plusieurs ce qu’ils avoient fait et même les desseins qu’ils avoient eus, qu’ils ont reconnu estre véritable. Et ont aussi donné advis à beaucoup de se prendre garde des choses qui leur estoient importantes.

7° Que lorsqu’elles sont hors de leurs accès, elles sont sages, tranquilles, humbles, demandent pardon à Dieu ; la bénédiction à ceux qui les assistent et reconnoissent que ce qu’elles ont dit et fait n’est point de leur volonté, mais par la contrainte des démons qui les possèdent.

8° Qu’elles nomment les démons qui les possèdent par leurs propres noms, et les démons s’appellent l’un l’autre par les mêmes noms.

 

Signes des choses qui dépendent du corps.

 

1° Qu’elles font plusieurs choses par de là l’ordre et la force de la nature et qui ne peuvent être référées à aucunes maladies quelles qu’elles soient, leurs accidents étant tous différents.

2° Qu’elles parlent intelligiblement la bouche ouverte et la langue tirée hors d’icelle.

3° Que dedans leurs plus violentes convulsions et accès, elles parlent ; ce qui est contre la nature de ces maladies. [p. 25]

4° Qu’en un moment, sans fléchir le corps, elles se jettent en arrière sur la teste, la battent d’une force incroyable sur le plancher fort longtemps, et se relèvent tout de même et en un moment sans s’ayder des mains.

5° Qu’elles se portent sur le plancher, sur l’extrémité de la teste et la pointe des talons, rendent leur corps en arcade et seulement soustenue sur ces deux parties, coulent de cette façon sur le plancher, sans s’appuyer des mains, et n’est pas possible de toute force leur pouvoir faire abaisser le ventre ainsi élevé et pendant ce temps, ont les pieds et les mains recrochés comme des crampons en pieds de chapon rosty.

6° Qu’ayant demeuré ainsi en convulsion universelle et extraordinaire, elles se relèvent de terre en un instant sans l’ayde des mains et sans témoigner aucune lassitude ny débilité, font des actions de force et d’agilité ; sautant pardessus les bancs et les tables sans y toucher, s’élançant et passant par des fenêtres impétueusement la tête la première sans se blesser.

7° Que, s’estant battu la tête, les mains, les coudes et les pieds fort longtemps contre le plancher d’une force incroyable, qui fait retentir du bruit de leurs coups le lieu où elles sont, avec étonnement des assistants, elles ne ressentent ni pendant ni apres aucune douleur, et ne restent en ces parties ainsi martelées aucune rougeur, effleurement, meurtrissure, marque ; ni impression, ces parties faisant aussitost leurs actions comme en pleine santé.

8° Que une d’entre elles que possède Dagon s’estant lancée de terre et passée par une fenêtre d’étroite ouverture, de hauteur d’une demi-pique de terre, la teste la première, et ayant esté retenue en l’air par le bas de sa robe accrochée à un barbillon de fer de ladite fenestre, se reguinda sans aucun ayde ni soustien et dégagea sa robe qui estoit ainsi accrochée, puis retomba de l’autre costé sans se faire aucun mal, et rentra aussitost dedans leur chapelle dansant et chantant.

9° Qu’après que leurs accès sont passés, leurs corps demeurent quelquefois tellement attachés contre terre, qu’il n’est possible à toute force humaine de leur faire perdre de la hauteur d’une feuille de papier. Ce que l’on a essayé plusieurs fois à l’ayde de 6 hommes toujours inutilement: et incontinent après se relèvent d’elles-mêmes.

10° Qu’elles montent à des arbres vite comme un escureuil avec leurs robes et sandales, et se coulent jusqu’à [p. 26] l’extrémité d’une branche qui ne pourroit pas porter deux livres pesant et y demeurent quelque temps avec crainte et étonnement des assistants, et, repassant par-dessus les mêmes branches, descendent comme elles ont monté.

11° D’autres se jetant dedans un puys ne soutiennent tout leur corps que sur le poing qu’elles appuient sur la marjelle, s’en retirent sans autre soustien, et font la pirouette autour du puits.

12° Que la nuit en laquelle les malades de l’esprit font plus de violences au corps et travaillent davantage les malades, c’est lorsqu’elles ont plus de repos et sont moins travaillées de leurs démons, disant qu’ils les laissent pour aller au sabbat.

13° Que dedans leurs accès elles hurlent, sifflent, aboient, dansent, sautent, chantent, crachent tant sur les choses sacrées qu’on leur présente, que sur le nez d’iceux qui les ont assistées, disent des paroles et chansons dissolues, et le tout presque en même temps.

Après avoir énuméré les signes dépendant des choses sacrées, signes moins curieux que les précédents, et que leur longueur nous fait un devoir de passer sous silence, les médecins ajoutent :

Il y a beaucoup d’autres choses qui sont encore davantage pour la preuve de leur possession.

Mais parce qu’elles ont été recueillies aux actes journaliers de leurs exorcismes, et qu’il est meilleur de les taire que les publier, ils ont trouvé bon de ne les employer.

Pour tous lesquels signes lesdits médecins ont jugé la vérité de ces possessions, ne pouvant être référées aux causes naturelles ny aux maladies, ce qu’ils maintiennent.

Ont signé: L’EMPÉRIÈRE et MAIGNARD. 2 septembre 1643.

PIERARTLOUVIERS0007

Après le rapport des médecins de Rouen, le parlement de cette ville n’hésita plus à instruire l’affaire. Il fit appréhender au corps Thomas BoulIé et chargea son lieutenant criminel Routier de faire subir à Madeleine Bavent les interrogatoires nécessaires.

Madeleine renouvela ses précédents aveux devant le lieutenant-criminel et, à ces aveux, en ajouta d’autres. Elle avoua qu’étant à Rouen, chez une couturière, un magicien la séduisit et la conduisit au sabbat ; que ce magicien y célébra la messe et lui donna une chemise pour la porte à [p. 27] l’impudicité ; qu’elle fut mariée à Dagon, diable d’enfer ; qu’elle reçut son accolade maritale non sans beaucoup souffrir ; que Mathurin Picard l’éleva à la dignité de princesse du sabbat, quand elle eut promis d’ensorceler toute la communauté et qu’elle commit avec lui le crime de Sodome sur l’autel du diable ; qu’elle composa des maléfices en se servant d’hosties consacrées mêlées avec du poil de bouc du sabbat ; que, dans une maladie qu’elle éprouva, Picard lui fit signer un pacte de grimoire ; qu’elle vit accoucher quatre magiciennes au sabbat ; qu’elle aida à égorger et à manger leurs enfants ; que le Jeudi-Saint on y fit la Cène en y mangeant un petit enfant ; que, dans la nuit du Jeudi au Vendredi, Picard et Boullé, son vicaire, avaient assassiné le Saint-Sacrement, en perçant l’hostie par le milieu et que l’hostie jeta du sang ; de plus, elle confessa s’être fait avorter et avoir assisté à l’évocation de l’âme de Picard, faite par Thomas Boullé dans une grange, pour confirmer les maléfices du diocèse d’Evreux.

 

Il n’en fallait pas tant pour être déféré à la justice. Aussi Madeleine fut-elle assignée à comparaitre devant le parlement de Rouen. Là, elle compléta ses aveux d’une manière encore plus explicite. Elle raconta que David, le premier directeur du monastère de Louviers, était magicien ; qu’il avait donné à Picard une cassette pleine de sorcelleries et qu’il lui avait délégué tous ses pouvoirs diaboliques ; que Mathurin Picard un jour lui tâtant, le sein pardessus sa guimpe quand elle s’avançait pour communier, lui avait dit : « Tu verras ce qui t’arrivera ; » qu’elle en éprouva une telle émotion, qu’elle fut obligée de sortir dans le jardin et que, s’étant assise sous un mûrier, un horrible chat, fort noir et puant, lui mit ses pattes sur les épaules et approcha sa bouche de sa gueule comme pour faire attraction de la sainte Hostie qu’elle n’avait pas encore digérée ; qu’elle composa des maléfices avec des crapauds, de vilaines poudres, et le corps et le sang de Jésus-Christ.

Madeleine confessa, de plus, qu’étant un jour dans la chapelle du monastère de Louviers, Picard la connut charnellement [p. 28] dans ladite chapelle, commettant cette action criminelle avec des abominations qu’on a horreur d’expliquer, pendant laquelle exécrable action un diable en forme de chat (que la déposante croit être le même qui lui apparut sous le mûrier) se présenta à elle et que le magicien Picard fût souillé honteusement par lui en même temps qu’il avait sa compagnie charnelle. Elle dit enfin avoir péché et dansé avec Boullé et Picard, et que les démons, sous forme de chats, étaient venus leur prodiguer leurs-caresses dans sa cellule ; que les magiciens ayant donné des coups de couteau dans le précieux sang de Jésus-Christ, le vin, devenu sang, ruissela jusqu’à terre ; que Dieu parut, selon son humanité, la très-sainte Vierge à ses pieds ayant deux saints à ses côtés ; qu’il reprocha cet assassinat aux magiciens ; qu’il les frappa de sa foudre pendant que les deux saints ramassaient le précieux sang qui avait coulé à terre (8).

Boullé, incriminé par tant d’aveux ; comparut devant le parlement; mais il fut très-difficile à convaincre ; jamais le moindre aveu ne sortit de sa bouche, même au milieu des plus atroces douleurs de la torture. Mais cela ne prouva rien, aux juges ; selon de Bosroger, cet homme avait reçu le don de taciturnité. Mais, malgré son silence obstiné, il n’en fut pas moins déposé contre lui :

 

Qu’un homme harassé de fatigue, se trouvant encore à plus d’une lieue du Ménil-Jourdain, où il se rendait avec le dit Boullé, celui-ci dit qu’il n’avait qu’à mettre le bout du pied sur le sien, ce qu’ayant fait, il marcha et arriva presque aussitôt et sans se donner de peine ; que le même homme s’étant plaint à lui des obstacles qu’il éprouvait dans la conclusion d’un mariage, Boullé lui remit un billet où se trouvaient écrits les noms de cinq démons avec des caractères talismaniques, et lui indiqua certaines pratiques au moyen desquelles il devait venir à bout de ce qu’il désirait ; qu’un prêtre, scandalisé de ses [p. 29] désordres, lui ayant reproché de s’être voué au démon, et ayant défié de déclarer qu’il y renonçait, Boullé s’y refusa constamment ; qu’il donnait les maladies et les guérissait avec des sortilèges ; qu’un jour, pendant matines, il tomba dans l’église et qu’il parut alors effroyable ; qu’il se tordait en se roulant ; qu’il avait le visage noir, les cheveux hérissés et la langue hors de la bouche ; qu’il débauchait les filles en abusant de la confession, et qu’il ensorcelait les femmes à tel point que celles qui aimaient le mieux leurs maris ne pouvaient plus les sentir et leur jetaient des bâtons à la tête ; que, se trouvant à une noce, sous prétexte de bénir le lit nuptial, il y jeta un charme, et que toute la nuit les nouveaux époux furent tourmentés et frappés de vertiges ; qu’on lui surprit souvent entre les mains des livres de magie ; qu’il avait toujours écrit dans sa poche quelque nom de diable pour s’en faire-assister au besoin ; qu’il se vantait de se coucher sur des brasiers ardents, sans éprouver le moindre mal, ce qu’en effet plusieurs personnes l’ont vu faire ; qu’il s’appropria une somme d’argent qu’on avait cachée avec le plus grand soin ; qu’il se rendait exactement au sabbat où il adorait le bouc et commettait toutes sortes d’ abominations et d’ impuretés.

On ajoutait qu’une nuit, pour sceller plus fortement leur détestable association, la reine du sabbat, Boullé et Madeleine Bavent, se retirèrent de la bouche des hosties consacrées, les piquèrent, en firent jaillir du sang, puis échangèrent entre eux les quatre hosties, qu’ils se présentèrent en signe d’alliance ; que Boullé se fit désigner par Picard pour succéder à ce dernier dans la continuation de ses sortilèges et des maléfices pratiqués dans le monastère de Louviers ; que Madeleine Bavent promit de lui obéir comme elle avait obéi à Picard, et qu’elle signa avec lui le papier de blasphème ; qu’au retour du grand sabbat, ils en firent un petit dans le chœur du couvent ; que, dans la confrontation de Madeleine avec Boullé, ce dernier lui toucha le bras et lui fit d’horribles menaces, en lui ordonnant de rétracter tout ce qu’elle avait dit contre lui ; qu’en effet elle fut agitée de frissons et qu’elle perdit l’usage de ses sens, tandis que Léviathan, vaincu aussi par la force du charme, fut arrêté tout court lorsqu’il allait déposer contre Boullé et garda le silence le plus obstiné: qu’il portait sur son corps les stigmates du démon (en effet, on trouva sur son corps la marque d’un fer chaud) (9); enfin qu’il avait trempé dans tous les meurtres [p. 25] et dans toutes les profanations qui ont été ci-dessus rapportées, etc. »

Après les interrogatoires et aveux de Madeleine Bavent et des témoins, le tribunal se déclara suffisamment informé, et, admettant le fait de présomption de magie, sorcellerie, prononça la sentence suivante, que nous avons retrouvée parmi les actes originaux relatifs au procès.

 

Arrest de la Cour du Parlement de Rouen contenant le jugement et exécution de maitre Mathurin Picard, curé du Menil-Jourdain, et son vivant vicaire, accusés de magie et sortilège, lesquels ont esté brûlés tout vifs au vieil marché de Rouen, le 21 août 1647.

« La Cour, les grand’ chambre, Tournelles, et édicts assemblez, ayant aucunement égard à l’appel comme d’abus, dict, qu’il existe par ledict juge ecclésiastique, abusivement et précipitamment ordonné de l’exhumation du corps dudict Picard, et faisant droit sur le coprivilégié, a déclaré et déclare ledict défunt maître Mathurin Picard, et ledit Boullé, son vicaire, duement atteints et convaincus du crime de magie et sortilège, pour punition et réparation duquel crime et autres cas abominables mentionnés au procès, les a condamnés et condamne, savoir : ledit BoulIé à estre traisné nud en chemise sur une claye ensemble, ledict cadavre devant le portail principal de l’église cathédrale de Notre-Dame de Rouen, et là, ledit Boullé faire amende honorable, tenant une torche ardente du poids de 2 livres, et demander pardon à Dieu, au roi et à la justice. Ce faict estre conduit en la place du vieil marché de ceste dite ville, pour y estre bruslé vif, comme aussi le corps dudit Picard y estre bruslé et consommé en cendres, et icelles estre jestées au vent, tous et chacuns leurs biens acquis et confisqués au roi, sur iceux préalablement pris la somme de 1,000 livres d’amende, applicables audit moines de Saint-Louis de Louviers, et auparavant souffrir ladicte exécution de mort, ordonne que ledict Boullé sera submis et appliqué à la question ordinaire pour avérer ses complices, et a différé le jugement de ladite Bavent jusque après l’exécution dudit Boullé, à ordonné et ordonne que sœur Françoise Gaugain, cy-devant religieuse audit monastère et couvent, sera prinse et appréhendée au [p. 31] corps, amenée et constituée prisonnière en la Conicergerie du palais, pour estre interrogée sur les charges contre elle rapportées par le procès, et où recouvrée ne pourra estre, sera appelée à six on à trois briefs jours, le 1er au mois du lendemain de l’exploit et les deux autres de quinzaine en quinzaine (10)

. »

L’exécution par le feu du vicaire Boullé et du corps du curé Mathurin Picard eut lieu à l’endroit désigné, au milieu d’un concours innombrable de peuple, accouru de toutes parts. Depuis six ans, cette terrible et ténébreuse affaire du monastère de Saint-Louis de Louviers occupait l’attention des esprits, non seulement dans les environs, mais dans la France entière. Des bruits étranges, exagérés même par l’imagination des conteurs, avaient rendu fameuse au-dessus de toutes cette affaire, et l’avaient fait apparaître plus formidable encore qu’elle ne l’était. Ce ne fut pas sans un sentiment d’inquiétude où la curiosité, l’intérêt se mêlaient à une certaine frayeur que tant d’hommes, de femmes et d’enfants entourèrent le bûcher qui devait réduire en cendres les corps du curé de Ménil-Jourdain et de son vicaire. Il semblait à chacun que toutes les puissances infernales allaient intervenir pour empêcher l’exécution, ou du moins pour renouveler l’une de ces manifestations terribles qu’on disait avoir eu lieu dans le monastère. Tous emportèrent du spectacle de cette exécution, pour crime de magie, la plus vive impression. Le même lieu avait vu brûler autrefois, victime des mêmes accusations, l’infortunée Jeanne Darc.

Peu de temps après, de dernières instructions étant faites, le parlement de Rouen rendit son arrêt relativement à Madeleine Bavent. Cet arrêt est conçu en ces termes :

 

« La cour, les grand’ chambre, Tournelles et Edicts assemblés, en ce qui concerne Madeleine Bavent ; vu la sentence de l’évêque d’Evreux, du 12 mars 1643, par laquelle Madeleine Bavent a été déclarée dûment atteinte et convaincue d’apostasie, sacrilège et magie, d’avoir été au sabbat et assemblée [p. 32] de magiciens, par plusieurs et diverses fois, d’avoir obéi aux diables, et obtenu d’eux le pouvoir d’employer ses charmes sur telles personnes qu’elle voudroit, d’en avoir fait mettre en plusieurs lieux du monastère, de s’être donnée au diable diverses fois par billets et cédules signés de son sang, voire même d’être retombée en cette abomination après renonciation par elle faite entre les mains dudit évêque ; d’avoir abusé des saints sacrements, et particulièrement pris la sainte Hostie, lorsqu’ elle communioit, pour être portée au sabbat et employée à faire des charmes et autres choses abominables : d’avoir livré honteusement son corps aux diables ; aux sorciers et autres personnes; d’avoir voulu séduire plusieurs religieuses du monastère, et les attirer par ses charmes, à son affection démesurée et à mauvaise fin ; d’avoir conspiré, avec ses sorciers et magiciens, dans leurs assemblées et dans le sabbat, au désordre et ruine générale du monastère, perdition des religieuses et de leurs âmes ; pour la réparation desquels crimes ladite Bavent avoit été déclarée indigne de porter, à l’avenir, le nom de religieuse, et il avoit été ordonné qu’elle seroit dépouillée du saint voile et habit de religieuse, et revêtue d’habits séculiers, qu’elle seroit confinée à perpétuité, tant qu’il plairoit à Dieu de conserver ses jours, dans la basse fosse ou un des cachots des prisons ecclésiastiques de l’officialité, pour y jeûner au pain et à l’eau trois jours la semaine ; diffère à statuer définitivement jusque après l’audition de Simonne Gaugain, dite la petite mère Françoise, ci-devant supérieure du monastère, et plusieurs autres religieuses, la sentence conservant jusque-là son effet.

 

On ne sait pas si Madeleine Bavent subit sa dure réclusion, du moins les documents que nous avons consultés n’en font pas mention (11) ; ils ne font pas davantage mention de ce qui arriva aux autres religieuses compromises avec elle, et sur lesquelles le parlement devait statuer. Peut-être ces dernières firent-elles plus de révélations qu’on n’en voulait savoir et découvrirent-elles de nouveaux mystères qu’on trouva bon de tenir secrets. Trop de scandales en effet avaient déjà eu [p. 33] lieu dans l’asile des jeunes religieuses, et on aura peut-être trouvé par trop difficile de les attribuer tous au diable, de s’empêcher de reconnaitre que d’antres séducteurs y avaient mis la main, On se contenta de renvoyer les religieuses dans leurs familles, ou de les transférer momentanément dans un autre monastère, c’est-à-dire qu’on finit par où l’on aurait dû commencer. Quant à la petite mère Françoise, que les dépositions de Madeleine et des autres religieuses avaient incriminée, elle avait eu le soin, dès le moment où tant de phénomènes étranges avaient éclaté au monastère de Louviers, de se réfugier à Paris, selon Dibon et Floquet, de qui nous tenons ce fait, elle parvint à se faire une telle réputation de vertu et de sainteté, que, peu de temps après, elle était nommée supérieure des religieuses hospitalières de la place Royale, devenait l’amie de l’archevêque Gondy et s’acquérait tant de crédit à la cour par des visions, des prédictions agréables à la régente Anne d’Autriche, que celle-ci, par un arrêt du Conseil d’Etat de septembre 1646,fit défense que l’on continuât de nouveau toute information à son sujet (12). Peu de temps après, le Parlement de Rouen, ayant horreur de ce qu’il avait fait, anéantit lui-même toutes les pièces du procès.

Quoi qu’il en soit, cette terrible affaire n’en a pas moins été regardée comme une des plus mémorables qui figurent dans les annales des faits et gestes attribués au prince des ténèbres. La tradition s’en est maintenue, et aujourd’hui encore il n’est personne à Rouen, à Louviers et aux environs, qui ne connaisse l’histoire des possédées de cette ville, et il n’est point de vieille femme qui n’y fasse souvent encore avec effroi confidence des faits terribles attachés à la mémoire de Madeleine Bavent, du curé Picard et de son vicaire Thomas Boullé. Dans les bâtiments du couvent, aujourd’hui transformés en hôtel-de-ville, en palais de justice, en [p. 34] gendarmerie et en maisons d’école, on montre encore la place de la cellule de Madeleine, de l’église et des lieux où se passèrent les différentes, scènes du lugubre et merveilleux drame.

Cette célèbre affaire des possédées de Louviers, bien plus émouvante et bien plus curieuse encore que celle de la démonomanie de Loudun, et pourtant omise, comme tant d’autres de ce genre, dans les différents ouvrages qui traitent de l’histoire du magnétisme, fait naître bien des réflexions. Elle montre une fois de plus que ces faits de magie, de fascination, de clairvoyance somnambulique, que ces phénomènes magnétiques et spiritualistes si extraordinaires et si contestés ont eu lieu de tout temps et sont on ne peut mieux attestés, on ne peut plus clairement prouvés. Il suffit d’avoir la bonne volonté de les chercher quelque peu dans l’histoire pour les y découvrir ; il suffit d’avoir la patience de les examiner pour se convaincre à point nommé de leur universalité et de leur ancienneté. Et pourtant combien n’est-il pas de savants encore qui, pouvant être aujourd’hui témoins de ces faits ou en retrouver la trace partout dans l’histoire, préfèrent les nier effrontément ! Mais, fermer les yeux à la lumière, déserter l’examen d’une question de peur d’être obligé de lui donner une conclusion affirmative, n’est pas même la résoudre négativement. Une vérité dédaignée, étouffée, bafouée, enterrée ne tarde pas à surgir et à se dresser de nouveau, mettant un chacun en demeure de s’en préoccuper. C’est ce qui est arrivé, c’est ce qui arrivera au magnétisme jusqu’à ce que la science officielle lui ait donné droit de cité, et ce temps-là, nous le croyons, est prochain. Autrefois, cette grande vérité était étouffée dans la flamme des bûchers. Les hommes qui avaient découvert le secret de cet agent formidable, qui osaient s’en servir, comme ceux qui en étaient les jouets, les victimes, étaient taxés de complicité avec Satan et immolés, persécutés comme tels : autre malentendu, non moins fatal à l’éclosion de la vérité contestée que le scepticisme aveugle de nos savants modernes.

On frémit en pensant avec quelle tranquillité d’âme, avec quelle confiance les prêtres catholiques et la justice d’autrefois [p. 35] voyaient l’intervention du diable dans tout ce qui surpassait leur entendement et livraient au bûcher une foule de malheureuses victimes, A Louviers, de pauvres femmes qu’aujourd’hui on considérerait tout simplement comme des médiums, des somnambules, des voyantes, des extatiques, des cataleptiques, sont regardées comme possédées par les puissances de l’enfer. Une jeune femme, deux prêtres sont désignés comme les complices des maléfices qui pèsent sur elles. L’un est mort et ne peut plus se défendre ; l’autre, malgré la torture, n’avoue rien. Reste l’infortunée Madeleine Bavent, une pauvre femme hallucinée, égarée, se trouvant dans un état presque permanent d’électro-biologie, de crise magnétique, sur l’imagination de laquelle peut tout la suggestion de ses exorcistes et de ses juges ou celle de ces esprits follets perfides et impurs qui nagent à côté de notre monde dans l’atmosphère des âmes, mauvais esprits dont l’existence ne peut pas plus aujourd’hui être révoquée en doute que celle des bons esprits, et qu’on a eu, trop longtemps la grave erreur de considérer comme des démons, comme des puissances ennemies éternelles de l’homme et en lutte continuelle avec Dieu. Eh bien ! cette malheureuse égarée, ainsi dominée par des forces, des volontés dont elle n’a pas conscience, ce sont ses seuls aveux, ses rêves, ses hallucinations dirons-nous plutôt, qu’on prend pour guides et pour point capital de tout un système d’accusation aussi étrange qu’incroyable. D’après des révélations qui lui sont arrachées à force de suggestion, et sur lesquelles elle revient pourtant plusieurs fois, disant qu’il fallait prendre garde à ses dires sur le sabbat, que c’était peut-être illusion, d’après des aveux aussi peu solides, deux ecclésiastiques, l’un mort, l’autre vivant, sont déclarés convaincus de complicité avec le diable et brûlés comme tels,

Si on supprime les scènes de sabbat et autres diableries incroyables révélées par Madeleine Bavent, que reste-t-il à la charge des victimes du parlement de Rouen ? Des faits de fascination, de puissance magnétique, un abus bien coupable sans doute de leur position de la part de ministres de la [p. 36] religion : et de la part des pauvres femmes soumises à leur action, des faiblesses criminelles aussi sans doute, mais des faiblesses que l’on comprend, qui sont arrivées et arrivent tous les jours, mais qu’il n’est pas besoin d’expliquer par l’action du diable. Aujourd’hui, Mathurin Picard et Boullé seraient sans doute passibles de grandes peines disciplinaires, mais non du bûcher. L’affaiblissement qu’a subi en ces temps la croyance au diable leur vaudrait ce résultat. D’égales peines seraient sans doute infligées à David, ce premier directeur du couvent de Saint-Louis, à ce prêtre excentrique qui, par des macérations excessives, des pratiques d’un acétisme vraiment curieux, par les plus étranges maximes de l’Adamisme et du Gnosticisme, avait exalté, égaré l’âme de ces pauvres religieuses et leur avait fait perdre terre.

Mais, que disons-nous ? Il est bien question des lumières du siècle et de la sagesse de nos tribunaux actuels. N’existe-t-il point encore un parti puissant, nombreux, qui voudrait assimiler les faits de magie que nous voyons chaque jour se reproduire sous nos yeux à des œuvres du prince des ténèbres et dont les coryphées ne seraient pas éloignés de déchaîner contre nous le bras séculier, les foudres de quelque sainte inquisition nouvelle ? Mais, grâces soient rendues à la Providence, la lumière s’est faite et grandit chaque jour. Il ne sera pas plus au pouvoir du fanatisme ignorant de la dénaturer qu’au scepticisme aveugle des savants de l’étouffer.

 

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L’habitude que nous avons prise de toujours citer nos sources et d’étayer nos affirmations sur les témoignages les plus authentiques, nous engage à donner une nomenclature des documents à consulter sur les faits qui précèdent.

Ces documents sont de deux sortes : contemporains ou postérieurs à l’époque où les faits se passèrent. Les documents postérieurs sont :

1° Görres, la Mystique divine, naturelle et diabolique, ouvrage traduit de l’allemand, en 1854, par Ch. de Sainte-Foi, 5 vol. in-8 ; — 2° Garinet, Histoire de la magie en France, 1818 ; — 3° Collin de Plancy, Dict. infernal,

1826 ; — 4° Morin, Histoire de Louviers, Rouen, 1822 ; — 5° Paul Dibon,

Essai historique sur Louviers, Rouen, 1836 ; — 6° Histoire du Parlement de Normandie, par Floquet, ancien élève de l’Ecole des chartes, greffier en chef de la cour lu cour royale de Rouen, Rouen, 1842, 7 vol. in-8, ouvrage qui a obtenu le grand prix Gobert ; — 7° Histoire de France sous le règne de Louis XIV, par de Larrey, t. 1, p. 363, 364, édition in-12 de 1718; — 5° Histoire civile et ecclésiastique du comté d’Evreux, par Le Brasseur, ch. 41 et 42.

Les documents contemporains sont : -1° Examen de la possession des religieuses de Louviers, Paris, 1645, par Ivelin ; — 2° Procès-verbal de M. le pénitencier d’Evreux, sur ce qui est arrivé dans la prison, interrogeant et consolant Madeleine Bavent, magicienne, à une heureuse conversion et repentance, Rouen, 1643 ; — 3° Récit véritable de ce qui s’est passé à Louviers touchant les religieuses possédées, Paris, 1645 ; — 4° Interrogatoires de Madeleine Bavent, religieuse du monastère de Louviers, convaincue du crime de magie et sortilèges, par le lieutenant criminel Dupont de l’Arche, 1644 ; — 5° Histoire de Madeleine Bavent, religieuse du monastère de Louviers, sa confession générale (dictée par elle-même à Rouen dans sa prison), où elle déclare les abominations impies et sacrilèges qu’elle a pratiquées et vu pratiquer tant dans ledit monastère qu’au sabbat, et les personnes qu’elle y a remarquées ; ensemble l’arrêt donné contre M, Picard et Thomas Boullé, et ladite Bavent, tous convaincus du crime de magie, Paris, 1652, ouvrage dédié à la duchessed’Orléans. Ces cinq ouvrages sont dans le volume de la Bibliothèque

impériale, intitulé : Possession de Loudun, marqué Ze, n° 1016, petit in-4° ; — 6° Apologie pour l’auteur de l’examen de la possession des religieuses de Louviers, adressée à MM. L’Emperière et Maignard, médecins de Rouen, par Du Bal, chirurgien, Rouen 1643 ; — 7° Rapport de MM. l’Emperière et Maignard, médecins de Rouen, sur les preuves de la véritable possession des religieuses de Louviers, Rouen , 1643 ; — 8° Réponse à l’examen de la possession des religieuses de Louviers, Evreux, 1643 ; — 9° Censure de l’examen de la possession des religieuses de Louviers, 1645 ; — 10° Défense de la vérité touchant la possession des religieuses de Louviers, par Jean Le Breton, théologien, Evreux, 1613 (ces quatre pièces se trouvent à la bibliothèque de Sainte-Geneviève, dans un in-4°, intitulé : Discours sur le fait de Marthe Brossier, marqué Zem, n° 899) ; — 11° La Piété affligée, ou Discours historique et théologique sur la possession des religieuses de Louviers, par Esprit de Bosroger, provincial des capucins de Normandie, Rouen, 1652, et Amsterdam, 1700, in-4° et in-8° ; —12° L’Innocence opprimée ou défense de Mathurin Picard, curé de Mesnil-Jourdain, par Laugeois, successeur immédiat dudit Picard, manuscrit de la bibliothèque de feu M, Auguste Le Prevost, d’Evreux, membre de l’Institut, aujourd’hui entre les mains de M. d’Acquigny ; — 13° Récit de ce qui s’est passé aux exorcismes de plusieurs religieuses de Louviers, in-8, par Gauffre.

Des ouvrages écrits postérieurement à la possession des religieuses de Louviers, et qui parlent de cette affaire, le plus sérieux est celui de Görres qui, bien qu’il admette l’intervention du diable et s’en réfère entièrement aux récits de Madeleine Bavent, n’en donne pas moins des détails précieux accompagnés de commentaires. Quant à Garinet, Collin de Plancy et Morin, ils n’ont fait que travestir les faits et en rire. Il est curieux de voir avec quel sans-façon ces auteurs parlent des choses les plus sérieuses. Morin, dans son Histoire de Louviers, fait plus : [p. 38] c’est à peine s’il dit un mot des religieuses du couvent de Saint-Louis, et des faits merveilleux qui les ont à jamais rendues célèbres. Il glisse sans aucun examen sur des faits qui à eux seuls pourtant suffisent pour faire ranger l’histoire de Louviers parmi les plus intéressantes histoires locales qu’on connaisse. C’est à peine s’il leur accorde quelques lignes. Devant les documents les plus nombreux, les plus irréfragables émanés de témoins oculaires, lui qui ne fut témoin de rien, révoque en doute la possession des religieuses, et dit qu’il n’y eut tout au plus dans leur sein que des têtes égarées, des femmes nerveuses, atrabilaires, exaltées. Et voilà comment les hommes de l’école sceptique écrivent l’histoire, nient les faits les mieux avérés quand ils viennent se mettre à l’encontre de leurs opinions.

Paul Dibon est plus consciencieux, il enregistre un certain nombre de faits, donne des détails et paraît avoir quelque peu recouru aux sources originales. En cela son livre est utile. Mais également sceptique, il ne voit dans la possession de Louviers que des crises nerveuses et surtout des scènes de débauche suscitées par le prêtre David, directeur primitif du couvent. Pour lui, le témoignage d’hommes honorables et de bonne foi qui ont vu, minutieusement vu, est regardé comme non avenu. Quant à l’Histoire du Parlement de Normandie, de Floquet, c’est peut être l’ouvrage où l’on trouve les renseignements les plus précis, les plus intéressants et les plus variés sur la matière. Floquet non seulement nous fait connaître à point nommé la fameuse affaire de Louviers et ses suites, mais encore tous les procès de sorciers qui eurent lieu devant le Parlement de Normandie. Seulement, comme Dibon, il ne croit ni aux sorciers, ni à la magie, ni même aux phénomènes psychiques incontestables qui, pour la plupart, donnèrent lieu à ces procès. Il s’en moque, et selon lui, tant de gens dans tant d’occasions et à toutes les époques, n’auraient été que des dupes, des fous, des imbéciles ou d’habiles jongleurs. C’est ce qui s’appelle trancher un peu commodément sur une question aussi grave qu’importante et qui demande avant tout de la part de ceux qui la veulent éclaircir d’être examinée sérieusement, minutieusement par les faits, la science magnétique et une expérience soutenue.

Plus sérieux et plus croyants sont Gauffre, Jean Le Breton, de Bosroger, dans leurs ouvrages. Gauffre était un pieux ecclésiastique de Paris qui s’en vint à Louviers persuadé que le contact des reliques qu’il portait suffirait pour classer les démons. Il raconte des faits de seconde et de double vue, de pénétration de pensées remarquables de la part des religieuses qu’il vit et qui lui firent croire plus que jamais à leur possession. De Bosroger narre avec les détails les plus circonstanciés ce qu’il a vu, ce que d’autres ont vu, et si ce n’est sa croyance au diable, au sabbat qui lui fait admettre comme véridiques tous les aveux de Madeleine Bavent, et interpréter tous les phénomènes psychiques du couvent de Louviers comme étant l’œuvre du démon, son livre serait d’un prix immense.

Mais à nous magnétiseurs et spiritualistes modernes qui avons la clé de ces phénomènes, de nous servir des faits précieux qu’il enregistre et de leur restituer leur véritable sens.

Les différentes pièces contemporaines qui figurent ci-dessus sous les numéros 1, 3, 6, 7, 8, 9, sont aussi très-curieuses à consulter. Ce sont des controverses soutenues de part et d’autre peu de temps après le dénoûment de la fameuse affaire. Les unes affirment, les autres nient le fait de possession ou [p. 39] du moins en amoindrissant le caractère. De ce nombre sont les controverses d’Ivelin et de Du Bal. Le premier, tout en admettant une partie des affirmations du rapport des médecins de Rouen, fait ses réserves sur plusieurs. Du Bal, esprit ergoteur, sceptique quand même et, de plus, sceptique sans avoir vu, avait attaqué le rapport des médecins. La pièce n° 8 est une réplique critique pleine d’énergie et de logique, Quant au manuscrit possédé par M. Auguste Le Prévost, c’est une apologie de Mathurin Picard que paraît avoir beaucoup consultée Dibon. L’auteur de cette apologie, le curé Laugeois était le successeur du curé de Mesnil-Jourdain. Il prit à tâche de le réhabiliter en tout point. Il nie le fait de possession, et attribue le tout à la faiblesse de l’évêque d’Evreux et au crédit de Bosroger. Lui qui n’a rien vu, il prétend en savoir plus que des témoins oculaires, hommes honorables et désintéressés. Cependant il convient que des choses horribles et criminelles se passaient dans le couvent quand David en était directeur, ce qui était dû aux damnables maximes de celui-ci ; que Picard, de son vivant, en avait fait la confidence à un jésuite nommé Dufour. Pour laver son prédécesseur de tout ce qu’on lui avait imputé, Laugeois assure que c’était un homme pieux et éclairé, et il cite à ce sujet des ouvrages qu’il avait écrits et dont l’un était intitulé : le Fouet des Paillards. Ce qui ne prouverait pas grand’ chose, Tartuffe en effet n’affectait-il pas une très-grande austérité de mœurs et une très-grande inimitié pour les libertins ?

Dibon a recueilli à la suite de l’apologie de Du Bal un fait dont il s’empare pour nier la possession des religieuses. Une des sœurs aurait indiqué l’endroit où se trouvait enterré un des charmes du curé Picard. Comme on ne le trouvait pas, elle aurait déclaré qu’elle seule pouvait le trouver. Alors une foule de personnages l’accompagnèrent jusqu’au lieu indiqué. L’un d’eux lui voyant une partie de la main fermée, la lui fit ouvrir et y reconnut un petit objet pareil au charme désigné, dont la malicieuse sœur avait pris soin de se munir, afin de ne point se trouver au dépourvu. Là-dessus, grande colère de tous les assistants. Nous ne savons si ce fait est vrai ; tout ce que nous savons, c’est que nous avons eu des somnambules qui voyaient très-bien, n’importe en quel lieu où ils pouvaient être cachés, les objets que nous avions magnétisés. Pour quiconque connaît la science de Mesmer, ce phénomène est considéré comme un des plus faciles à reproduire. Après cela, la supercherie de la religieuse de Louviers fût-elle avérée, que cela n’empêche nullement les autres faits de possession d’être véritables. Parmi ces faits, il y en eut un bien grand nombre que nous mettons qui que ce soit au défi de simuler. D’ailleurs un seul fait faux au milieu de cent véritables ôte-t-il à ceux-ci leur valeur ? Ce serait, en vérité, une singulière manière d’argumenter que de nier tout un ensemble de phénomènes on ne peut mieux attestés, par cette seule raison que l’un d’eux serait le résultat d’une ruse habile,

 

 

NOTES

(1) Cet ecclésiastique si austère et si plein de Sollicitude pour le perfectionnement des jeunes brebis confiées à sa garde, était un prêtre de la contrée. C’était par ses conseils que le monastère Saint-Louis savait été fondé par la veuve d’un procureur de la chambre des comptes de Rouen, nommé Hennequin, condamné à mort pour cause do malversations. Il y avait fait transférer les sœurs d’un couvent de l’ordre de saint François existant depuis longtemps à Louviers, et avait été choisi pour le diriger par la veuve du procureur Hennequin, devenue elle-même supérieure du couvent.

Nous avons dans ce qui précède suivi les assertions des écrivains contemporains qui sont les plus favorables à ce prêtre. Cependant nous devons dire que les avis sont partagés sur son compte. M, Paul Dibon de Louviers, dans une histoire de cette ville, imprimée en 1836, et M. Floquet, dans son Histoire du Parlement· de Normandie, imprimée à Rouen en 1842, disent de lui que, sous prétexte d’introduire la parfaite obéissance dans le monastère, de faire, comme il disait, mourir le péché par le péché (similia, similibus curantur), et de forcer les jeunes sœurs à rentrer dans l’état d’innocence parfaite à l’imitation de nos premiers parents qui n’avaient aucune honte de leur nudité, il exigeait d’elles qu’elles se dépouillassent de leurs vêtements. Les religieuses qui passaient pour les plus saintes, les plus parfaites, étaient celles qui, dans cet état, paraissaient au chœur pour y recevoir l’Eucharistie, etc., etc. Delà, MM. Dibon et Floquet tirent la conclusion que David était un infâme débauché. A cela, ils ajoutent qu’il introduisit dans la communauté une religieuse nommée Françoise Gaugain, avec laquelle il avait des relations toutes particulières, et que c’est à l’aide de cette femme, nommée peu après supérieure, qu’il établit la corruption dans le couvent. Nous ne savons où ces auteurs ont puisé leurs affirmations à l’égard de l’esprit de débauche qu’ils attribuent au prêtre David. S’ils n’ont eu pour les étayer que le fait de nudité des jeunes sœurs dans l’accomplissement des plus saintes pratiques de la religion, ils pourraient très-bien se tromper dans leurs conclusions. Dans un culte où Dieu, les anges, la plupart des saints sont partout représentés à l’état de nudité, il a pu arriver que des sectateurs de ce culte, égarés par leur imagination, par des maximes erronées et par un esprit d’imitation par trop docile et peu éclairé, aient cru à cet égard s’affranchir des liens de la bienséance. L’histoire n’est-elle pas pleine d’aberrations de ce genre ? Qui ne connaît les habitudes des fakirs indiens, d’une foule de derviches, d’ascètes des pays orientaux ? L’exemple des flagellants et de tant d’autres fanatiques du moyen-âge n’est-il pas là pour montrer jusqu’où peut aller parfois en pareille matière l’égarement des esprits ? N’a-t-on pas vu aussi des sectes prétendre que le corps n’étant rien et l’âme tout, il n’y avait que les péchés de celle-ci qui étaient répréhensibles, et que par conséquent il importait peu de s’abandonner ou non aux souillures du corps ? Qui ne connaît les aberrations des Adamites, des Gnostiques, des Cyniques, des Turlupins, etc. ?Tant d’hommes en délire, mais dont la ferveur était sincère, doivent-ils être considérés comme des débauchés, des infâmes ? Non, certainement, pas plus que les pieux écrivains de la Bible, quand ils racontent avec une cruauté naïve des scènes dont le récit fait aujourd’hui rougir le vulgaire. Il est à remarquer que plus les mœurs sont corrompues, plus le sentiment de la pudeur est, sinon puissant, du moins affecté. Jean-Jacques Rousseau a très-bien développé cette thèse dans son Emile. Les natures innocentes, les Ames pures qui ne pensent pas au mal, qui n’ont dans l’esprit rien de déshonnête, ne voient jamais dans un récit une peinture où la nature apparaît dans toute sa nudité, mais rien que dans sa nudité, le scandale, l’immoralité qu’y voient les âmes perverties. C’est ainsi que chez les sauvages, les peuples primitifs, les femmes privées de leurs vêtements n’inspirent pas plus de désirs déshonnêtes que les femmes convenablement vêtues de nos sociétés civilisées. C’est ainsi que chez les Spartiates, le peuple le plus continent et le plus frugal de la terre, on voyait les femmes danser toutes nues sur le mont Taygète. Cela étant, nous croyons que dans l’état de macération, d’exaltation et de dévotion excessives où se trouvèrent les religieuses de Louviers, il fût possible de les égarer au point de leur faire bannir la pudeur inhérente à leur sexe. On peul voir là de l’aberration, de l’égarement, de la démence, de la part de ces pauvres femmes et de leur trop excentrique directeur, mais jusqu’à plus ample informé, nous n’admettons pas qu’il y ait eu intention de débauche et d’infamie. Ce qui nous empêche de l’admettre surtout, c’est la certitude acquise à l’histoire des austérités excessives, des actes de dévotion extrême auxquels furent soumises les religieuses de Louviers par le prêtre qui les dirigeait. Les jeûnes, les abstinences, les veilles, la prière ne sont guère propres à alimenter los passions sensuelles : ce sont de pauvres ressorts pour la débauche, le libertinage. Ajoutez à cela que les phénomènes de l’ordre psychique, les extases, les visions, l’extrême sensibilité nerveuse des religieuses de Louviers, ne se montrent guère en des milieux où on a pris l’habitude de se livrer aux séductions des sens, aux passions charnelles. Les facultés animiques ne se développent qu’en proportion, de l’élévation morale, et il est de notoriété aujourd’hui chez les spiritualistes que plus l’homme se détache de la matière, plus il est susceptible d’éprouver les perceptions, les divines facultés inhérentes à la vie des âmes.

(2) Sœur Marie du Saint-Sacrement, sœur Anne de la Nativité et sœur Marie du Saint-Esprit, ont laissé par écrit le récit de leurs visions et des manifestations spirituelles qui leur furent faites. Comme on le voit, ce n’étaient pas seulement des extatiques, mais encore des médiums écrivants, autrement dit psycographes. Nos spiritualistes moderne connaissent la signification de ces mots et la nature des facultés qu’ils désignent, facultés qu’on mettait autrefois sur le compte du diable.

(3) Voyez son livre publié dernièrement par Dentu. [Note de histoiredelafolie.fr : Girard de Caudemberg, Scaevola Charles. Le Monde spirituel, ou Science chrétienne de communiquer intimement avec les puissances célestes et les âmes heureuses, par Girard de Caudemberg. Paris, E. Dentu, 1857. 1 vol. in-18, IX-308 p.]

(4) Les faits de déplacements d’objets à l’approche de certaines personnes ne sont pas arrivés seulement au monastère de Louviers. Toute l’histoire est pleine de phénomènes de ce genre. Dans le JournaI du Magnétisme, tomes Il, XV et XVI, il est fait mention de jeunes filles des départements de l’Orne, de Seine-et-Oise et de la Côte-d’Or qui étaient douées de l’étonnante faculté de provoquer ainsi par leur approche le déplacement d’une foule d’objets. Les journaux ont suffisamment parlé de ces jeunes filles pour que nous n’ayons pas besoin d’insister à cet égard, et aujourd’hui encore, 6 février 1858, une autre jeune fille de la petite villa de la Haie (Indre et Loire), attire sur elle l’attention de tous, par des faits de ce genre, aussi merveilleux qu’inexplicables.
Quant aux autres phénomènes qui se seraient passés à Louviers, tels que le mouvement et le déplacement imprimés à des personnes vivantes ou à des matières inertes par des mains invisibles, nous y avons la plus grande foi. L’histoire est également pleine de faits de ce genre, et on les a vu reproduire de nos jours dans une foule de circonstances manifestes et devant les témoins les plus attentifs et les moins favorablement prévenu. Avons-nous besoin de citer ce qui se passe actuellement dans tant de pays, surtout en Amérique ? Avons-nous besoin de rappeler ce qui a été fait à Paris devant tant de personnes honorables et dignes de foi par M. Home, l’illustre médium ?
II est vrai que des personnes qui ne se sont point donné la peine d’étudier et d’expérimenter patiemment, minutieusement par elles-mêmes les faits de manifestations spiritualistes, et qui n’ont point été témoins de celles de M. Home, les ont révoquées en doute. Leur argumentation consiste à représenter ce jeune homme comme un habile charlatan, un prestidigitateur, un ventriloque ou bien les témoins des phénomènes qu’il produit comme des dupes par trop crédules, jouets de cet état d’hallucination, de suggestion magnétique qu’on a appelé électro-biologie. Pour quiconque connaît M. Home, il est de notoriété que ce jeune homme, si doux, si honnête et si simple, n’est ni un jongleur, ni un charlatan : c’est encore moins un prestidigitateur. Un moment on avait cru pouvoir le considérer comme tel, et il est une circonstance que nous avons rapporté dans le Journal du Magnétisme (année 1857, n° du 25 avril) où l’on fit venir un prestidigitateur consommé. Les faits se sont passés au Palais-Royal en présence du prince Napoléon et de plusieurs autres personnages. Après un examen attentif, force a été à M. Moreau-Sainti de convenir qu’il n’y avait aucune des pratiques ordinaires de la prestidigitation dans tout ce que faisait M. Home. Mais ce qui prouve clairement que les phénomènes spiritualistes produits par ce jeune homme ne sont pas de la prestidigitation, ce sont les circonstances où l’illustre médium n’a pu rien produire, malgré son désir et celui des personnes présentes. Ces circonstances, dont les railleurs, les incrédules ont fait grand bruit, prouvent au contraire en faveur du spiritualisme. Comme nous l’avons dit ailleurs (voyez le n° du Journal du Magnétisme, du 10 septembre dernier), si M. Home ne produit rien ou produit pas quand il veut, il n’est donc point un prestidigitateur, car les prestidigitateurs ont toujours la certitude du faire mouvoir leurs ficelles et, pour eux, le moment et les spectateurs, quels qu’ils soient, ne sont jamais des obstacles. Il faut donc attribuer à des causes d’un tout autre ordre la puissance de M. Home et les éclipses dont cette puissance est parfois l’objet. Il faut les attribuer à des causes d’un ordre plus élevé, causes que l’on ferait mieux d’examiner, d’approfondir sérieusement plutôt que d’en nier les effets ou d’en rire en s’accompagnant des épithètes de jongleurs ou de dupes et de la qualification de ventriloquie. L’illustre médium un ventriloque ! L’idée est divertissante, en vérité. Où a-t-on jamais vu qu’il fût au pouvoir des ventriloques de causer des bruits dans des tables, des murailles, de déplacer des objets inertes sans les toucher, de mettre en œuvre des forces, des intelligences étrangères aux milieux où elles se manifestent ?
Quant aux allégations qui tendent à représenter les phénomènes produits par M. Home comme le résultat de l’état d’hallucination, d’illusion, d’électro-biologie dans lequel se trouveraient les personnes par trop crédules et impressionnables qui en auraient été témoins, les faits sont là pour leur donner le plus complet démenti. En effet, parmi les personnes qui ont rendu témoignage aux étonnantes facultés du jeune médium, il n’y a pas eu seulement que des imaginations faciles à tromper, à se laisser éblouir, mais des esprits forts, des incrédules, nullement sensitifs et impressionnables, qu’on le veuille bien croire. D’ailleurs, M. Home, ce jeune homme si frêle, si peu faiseur et si peu initié à la science des prestiges, est bien loin d’être un magnétiseur, un électro-biologiseur, si l’on peut s’exprimer ainsi. Il suffit de l’avoir vu et connu pour s’en convaincre. Du reste, ce qui prouve péremptoirement contre ce dernier ordre de raisonnement imaginé par les incrédules, ce sont des déplacements de personnes ou d’objets, ou bien des signes sensibles constatés après coup par des personnes qui n’avaient nullement assisté aux séances de M. Home, et qui, par conséquent, n’avaient pu en être électro-biologisées. C’est ainsi qu’aux Tuileries, un fauteuil s’est brisé en morceaux : qu’à Bordeaux, l’automne dernier, chez madame Ducos, veuve de l’ancien ministre de la marine, en présence du conte de Beaumont, sénateur, et de plusieurs autres personnes dignes de foi, Home, à l’exemple de Marie d’Agreda, d’Agnès de Bohême, de saint Dominique, de saint Bernard, etc., s’est élevé en l’air à la hauteur du plafond et s’y est tenu suspendu pendant deux minutes ; que chez le comte de Omar, rue des Champs-Elysées, 13, un lustre du poids de 25 livres a été emporté miraculeusement de la cheminée sur une table située au milieu de la salle, et cela à la vue de douze témoins ; que chez le même comte de Omar, des fleurs ont été cueillies sur une jardinière par des mains invisibles et distribuées aux dames, ainsi qu’à deux messieurs, qui les ont emportées fixées à leur boutonnière ; c’est ainsi que, dans chacune de ces circonstances, des communications écrites intimes ont été faites sans intermédiaire des assistants par des personnes défuntes qui leur étaient étrangères ; qu’enfin des sonnettes se sont agitées toutes seules au grand étonnement des voisins et des passants. Dira-t-on que les domestiques qui sont venus ramasser les débris du fauteuil, que les personnes qui ont été témoins de l’ascension de Home, de la promenade du lustre à travers l’espace ; que celles qui, après la soirée, sont venues le remettre en place ou constater l’absence des fleurs à la jardinière ; que celles qui ont examiné les fleurs attachées à la boutonnière et lu les autographes si merveilleusement obtenus; que les passants et les voisins enfin qui ont vu les sonnettes s’agiter toutes seules, étaient halluciné, électro-biologisés ? L’explication serait par trop commode, en vérité. Mais combien d’autres faits que le défaut d’espace nous empêche de rapporter ici, viennent en réponse aux objections des incrédules ! Encore quelque temps, ils frapperont tellement les yeux de tous, qu’il n’y aura plus de possibilité de les nier.

(5) Nous renvoyons ceux qui douteraient de ces faits à ce qui est dit des Aïssasouas, secte d’illuminés de l’Algérie, dans le Monde illustré du 16 janvier 1858, et dans le tome XVI du Journal du Magnétisme, page 255, et à ce que dit des derviches d’Ancyre, la princesse Belgiusoso, dans la Revue des Deux-Mondes du 1er février 1855.

(6) Ce lieu fut un trou profond, appelé puits Crosnier, lequel existe encore dans un petit bois voisin de Louviers, appelé bois de Défens. L’imagination populaire fut tellement frappée du récit des sortilèges abominables de Picard, que pendant longtemps il régna une tradition qui assurait que son corps, lorsqu’il fut tiré de ce lieu, paraissait plein de vie, et que du fond du puits il vomit pendant longtemps des flammes qui illuminaient toute la forêt pendant la nuit.

(7) C’est le même qui a publié sur la possession des religieuses quelques uns des mémoires, réclamations, controverses, que nous citons ci-dessous. Il y eut aussi M. Briant, médecin de Louviers, et, comme témoins, le duc de Longueville, gouverneur de la province, l’illustre Corpéan, évêque de Lisieux.

(8) Voyez Garinet, Histoire de la Magie en France, et Collin de Plancy, Dictionnaire infernal, ouvrages imprimé à Paris au temps de la Restauration. Toutefois, il est a propos de dire que ces aveux étaient pour ainsi dire arrachés à Madeleine Bavent et que plusieurs fois elle revint dessus, disant qu’il fallait distinguer les scènes de sabbat d’avec les autres, priant les juges de n’y ajouter qu’autrement de créance qu’ils trouveroient être à propos, de séparer ce qu’ils penseroient réel d’avec ce qui porteroit quelque marque d’illusion (Floquet).

(9) On prit pour la marque des sorciers une cicatrice qu’il avait à la cuisse et qui provenait d’une blessure qu’un chirurgien du pays avait pansée et guérie (Dibon). Voyez au sujet de la marque des sorciers, le passage curieux que M. Louyer-Villermay a inséré dans le Dictionnaire des sciences médicales, au mot Imagination. Voyez aussi Görres, 1, ch. XV ; 5, ch. XIV.

(10) Cet incroyable arrêt ne passa pas toutefois sans opposition. Il y eut celle du procureur général Courtin, qui, le lendemain de l’exécution, demanda aux chambres assemblées que l’on insérât dans les registres du parlement les conclusions contraires qu’il avait données (Dibon).

(11) Floquet prétend que la réclusion de Madeleine fut douce et agréable. A cela il ajoute que ses dernières années furent vouées aux pratiques d’une grande piété. Il existoit, dit-il, dans la riche bibliothèque de l’abbé Gauget un recueil de diverses vies (mss.) de personnes séculières qui avoient vécu dans une haute piété. Or, le n° 25 était la vie de Madeleine Bavent. (Bibliothèque hist. de France, par Lelong et de Fontette, t. 1, n° 4135). Si ce fait est vrai, c’est une preuve de plus à l’appui du dicton : Quand le diable devient vieux, il se fait ermite.

(12) (1) Comme Madeleine Bavent, Simonne Gaugain, la complice de toutes les scènes si étranges établies par le prêtre David au Monastère de Louviers, mourut en odeur de sainteté, On a même écrit sa légende, Voyez la Vie de la très vénérable mère Françoise de la Croix, institutrice des religieuses hospitalières de la charité de Notre-Dame de Paris.In-12. Paris, 1745.

(Extrait du Journal du Magnétisme. Tirage renfermant des additions et corrections de l’auteur.)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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