La Pensée magique chez le primitif . Par Marie Bonaparte. 1934.

BONAPARTEMAGIE0007Marie Bonaparte. La Pensée magique chez les primitifs. Article parut dans la « Revue Française de Psychanalyse », (Paris), 1934, VII, 1, pp. 3-18

Nous ne présenterons pas la Princesse Marie Bonaparte (1882-1962) bien connue, entre autre, pour avoir permis à Freud de s’exiler à Londres après que sont pays fut passé sous le joug nazi. Nous renvoyons aux biographies existantes et particulièrement à celle de Célia Bertin.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original.
 – Par commodité nous avons renvoyé les notes originales de bas de page en fin d’article. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

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La Pensée magique chez le primitif (1)

par MARlE BONAPARTE

C’est avec un certain effroi que j’inaugure ce soir notre série de conférences sur la Magie. Ce sujet est, en effet, l’un des plus vastes que 1’on puisse traiter : la magie n’est rien moins qu’une des principales conceptions du monde que se soient créées les hommes.
Je vous donnerai d’abord quelques exemples concrets de magie que j’emprunterai à l’ouvrage célèbre de Frazer, Le Rameau d’Or (2).

« L’application la plus familière de l’idée que tout semblable appelle- le semblable se trouve sans doute dans les tentatives faites universellement, et dans tous les temps, de blesser ou de détruire un ennemi en blessant ou en détruisant son effigie, cela, dans la croyance que la souffrance de cette effigie commandera la souffrance de l’individu et la destruction de l’une la mort de l’autre. Quelques exemples, choisis parmi un grand nombre, démontreront peut-être combien a été répandue cette pratique dans le monde entier, et combien remarquable a été sa persistance à travers les âges. Elle a été familière durant des millénaires aux sorciers de l’Inde antique, de Babylone, de l’Egypte, comme à ceux de la Grèce et de la Rome classique ; et souvent aujourd’hui, les malins sauvages australiens, africains, voire les enchanteurs écossais y ont recours. Les Indiens de l’Amérique septentrionale s’imaginent qu’il suffit de dessiner la forme d’une personne sur le sable, la cendre, ou l’argile, ou encore d’affecter un objet quelconque à la représentation du corps de l’ennemi, puis de frapper cette image avec un bâton pointu, ou de la blesser de toute autre façon, pour que l’individu ainsi figuré soit affligé d’une blessure pareille à celle qu’a reçue la figuration. Par exemple, quand un Indien Objebway en veut à un autre, il se met à construire une statuette de bois ressemblant à son ennemi ; puis, à l’aide d’une aiguille ou d’une flèche, il transperce soit le cœur, soit la tête de l’image, moyen qui, à l’idée de l’Indien, blessera instantanément son adversaire à la partie correspondante du corps ; mais, si c’est la mort de son ennemi [p. 4] qu’il désire, il brûlera ou enterrera le simulacre, tout en prononçant certaines paroles magiques. Les Indiens du Pérou modelaient dans de la graisse mêlée à des céréales l’effigie d’un individu qu’ils redoutaient ou détestaient, et ensuite, brûlaient l’image sur la route où l’ennemi devait passer : cela s’appelait « brûler son âme ». Un charme malais du même genre est le suivant : on prend des rognures d’ongles, des poils enlevés aux sourcils et à la chevelure de la victime visée, ainsi que de sa salive, etc., de quoi représenter chaque partie de son corps ; puis à l’aide de tout cela, on façonne une effigie avec de la cire recueillie dans une ruche abandonnée par un essaim. Il convient alors de faire roussir l’image, à petit feu, au-dessus d’une lampe et cela durant sept nuits consécutives et de dire :
« Ce n’est pas la cire que je fais ébouillir. C’est le foie, le cœur, rate de tel et de tel que je fais griller. »
A la septième fois, l’image étant brûlée, la victime sera morte.

Philippe Abril. Animisme.

Philippe Abril. Animisme.

Telle est ce qu’on pourra appeler à juste titre la magie agressive, qui satisfait aux instincts d’agression si puissants chez l’être vivant.
Une autre sorte de magie répond à l’instinct de défense contre cette agressivité même, c’est la magie défensive,
Pour les primitifs, la maladie, par exemple, n’est jamais un phénomène naturel ; elle est le fait de maléfices jetés par des ennemis ou des esprits hostiles. Un exemple de cette magie défensive peut être tiré du traitement de la jaunisse suivant la magie médicale :

« Les anciens Hindous accomplissaient une cérémonie compliquée, basée sur la magie homéopathique, pour guérir la jaunisse. Son principal objet était de rejeter la couleur jaune sur des êtres ou des objets jaunes par nature, tel le soleil, et de fournir au patient le teint vermeil de la santé en l’empruntant à une vigoureuse source de vie, par exemple à un taureau rouge. Dans ce dessein, un prêtre prononçait la formule suivante : « Ton cœur souffrant et la jaunisse iront trouver le soleil ; nous 1’enveloppons dans la couleur du taureau rouge ; nous t’enveloppons de teintes rouges afin de te procurer longue vie. Que ton corps aille sain et sauf, délivré de toute couleur jaune ! Nous t’enveloppons de toute la force des vaches rousses, dont la divinité est Rohini. Nous posons la jaunisse sur les perroquets, les grives, et en outre sur la bergeronnette jaune ». Tout en prononçant ces mots le prêtre, afin de transfuser une teinte vermeille dans le teint hâve du patient, lui faisait avaler à petits traits un liquide auquel étaient mélangés des poils d’un taureau roux ; il répandait de l’eau sur l’échine de l’animal et c’était ce breuvage qu’il faisait prendre au patient. Il faisait asseoir le malade sur la peau d’un taureau roux, peau dont on attachait un lambeau au corps du malade. Puis, pour aviver encore le carmin, en extirpant radicalement le jaune, le guérisseur barbouillait le malade des pieds à la tête d’une bouillie jaune faite avec du safran. Cette opération se faisait sur un lit, aux pieds [p. 5] duquel on attachait, par une ficelle jaune, trois oiseaux jaunes, savoir : un perroquet, une grive et une bergeronnette ; le prêtre aspergeait d’eau le malade, le lavant ainsi de son enduit de bouillie jaune et aussi, à coup sûr, de sa jaunisse transportée aux oiseaux jaunes. Enfin, pour l’épanouissement suprême de son teint, le magicien prenait quelques poils à un taureau roux, les enveloppait dans des lamelles d’or et les collait sur la peau de l’ictérique. Les Grecs anciens croyaient que si une personne affligée de jaunisse fixait du regard une bécasse de mer et que l’oiseau lui rendit la pareille, le mal s’envolait. « Telle est la nature et la complexion de l’animal, dit Plutarque, qu’il attire au dehors, et capte l’affection, qui s’échappe par un regard comme un torrent ». Cette vertu de la bécasse de mer était si connue des oiseleurs que, lorsqu’ils mettaient en vente un de ces oiseaux, ils le couvraient avec soin de peur qu’un ictérique ne le fixât du regard et ne gagnât ainsi sa guérison gratis. Ce pouvoir ne tenait pas tant chez la bécasse à la teinte marron de son plumage qu’a son gros œil doré qui parvenait à extraire le germe du mal jaune, remède infaillible ! Pline, lui aussi, fait mention d’un oiseau, peut être le même que les Grecs avaient appelé du mot qui signifiait « jaunisse » parce que la seule vue du volatile faisait partir la jaunisse et la reportait sur l’animal qui, lui, en mourait. L’écrivain latin parle encore d’une pierre à laquelle on attribuait le pouvoir de guérir la jaunisse, parce que sa couleur rappelait la peau d’un ictérique.

« La magie homéopathique possède, parmi ses grands avantages, celui de permettre des traitements curatifs sur la personne du guérisseur, au lieu et place du patient, lequel, exempt de tout ennui et de toute gêne, peut contempler son médecin qui se tord de douleur devant lui. Par exemple, les paysans du Perche se figurent que les vomissements prolongés sont déterminés par l’estomac qui se « décroche » suivant leur expression, et « tombe ». En conséquence, on appelle le médecin pour qu’il remette l’organe d’aplomb. L’homme de science se fait décrire les symptômes du mal, puis il se livre lui même aux plus atroces contorsions, dans le but de décrocher son propre estomac. Ayant réussi, il entame une seconde série de contorsions et de grimaces. Et le malade éprouve simultanément un soulagement corrélatif. Coût : 5 francs. »

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A côté de la magie agressive et de la magie défensive existe ce que Frazer a appelé la maîtrise magique de l’atmosphère.
Dans les sociétés primitives des régions sèches du centre de l’Afrique, du centre de 1’Australie, le « faiseur de pluie, l’homme qui porte en lui le pouvoir d’appeler les nuages et de faire tomber la pluie fécondatrice sur la terre desséchée, atteignait à un prestige considérable qui lui valut peu à peu une situation de chef.

« Un auteur très bien informé écrit au sujet des rapports qui existent [p. 6] entre les fonctions de chef ct de faiseur de pluie dans le Sud africain : « Au temps jadis, le chef était le grand faiseur de pluie de la tribu. Certains chefs ne permettaient à personne de leur faire concurrence de peurque les trop belles réussites d’un faiseur de pluie ne le fissent prendrepour chef. Autre raison de cet exclusivisme, le faiseur de pluie étaitcertain de s’enrichir, s’il s’était acquis une grande réputation et cela nefaisait évidemment pas l’affaire d’un chef qu’un dc ses sujets deviennetrop riche. Le faiseur de pluie a une extraordinaire autorité sur le peupleet, par suite, il était de haute importance de conserver cette fonctioncomme corrélative de la fonction royale. La tradition conçoit toujours lepouvoir de produire la pluie comme la gloire fondamentale des vieuxchefs et des héros, et il paraît probable que ce fut là l’origine de lasouveraineté. L’homme qui fait pleuvoir devait nécessairement devenirle roi. De la même façon, Chaka (le fameux despote zoulou) déclaraitsouvent qu’il était l’unique devin du pays, car s’il eût souffert des rivaux,il eût mis sa vie en danger.
Les témoignages qui précèdent rendent hautement probable qu’enAfrique la charge de roi se soit dégagée, dans son développement, decelle du magicien public et surtout de celle de faiseur de pluie. Lacrainte excessive qu’inspire le mage et la richesse que souvent il amassedans la suite de sa carrière, ont contribué toutes deux à lui valoir cetavancement. Les pouvoirs miraculeux attribués d’ailleurs aux rois sontpour le moins, compatibles, pour ne pas dire plus, avec l’hypothèse quelà aussi ils se sont élevés d’une origine inférieure jusqu’a la hauteur deleur rang actuel.
Si la carrière d’un magicien et surtout celle d’un faiseur de pluie, offre de grandes récompenses pour celui qui pratique son art avec succès, elle est aussi semée de nombreux pièges, dans lesquels peut tomber l’artiste maladroit ou malheureux. La position du sorcier public est, à la vérité, des plus précaires : lorsque les gens croient fermement qu’il est en son pouvoir de faire tomber la pluie, de faire briller le soleil et de faire pousser les récoltes, ils imputent naturellement la sécheresse et la famine à sa négligence coupable ou à son obstination et le punissent en conséquence. Aussi, en Afrique, le chef qui ne réussit pas à produire la pluie est condamné à l’exil ou à la mort. »

Voyons maintenant de quelle façon le magicien faisait tomber la pluie :

« Entre toutes les tâches que le magicien public assume pour le bien de la tribu, l’une des plus importantes est de régler l’état de l’atmosphère et spécialement d’assurer des pluies en quantité voulue. L’eau est la première des conditions essentielles de vie et, dans la plupart des contrées, il n’est d’autre moyen de s’en procurer que par la provision des ondées. Sans pluie la végétation dépérit, l’homme et les animaux languissent et meurent. Il s’ensuit que dans les communautés primitives le faiseur de pluie est un personnage de tout premier plan ; souvent on forme une [p. 7] classe spéciale de magiciens qui sont uniquement les régulateurs des provisions d’eau céleste. Les méthodes par lesquelles ces fonctionnaires publics essaient de remplir leur charge sont, d’ordinaire, mais non invariablement, basées sur le principe de la magie homéopathique. S’ils veulent faire la pluie, ils l’imitent par des aspersions d’eau ou des simulacres de nuages ; si leur but, an contraire, est d’arrêter la pluie et d’amener la sécheresse, ils évitent l’eau et ont recours à la chaleur et au feu pour dessécher l’humidité excessive. De tels procédés ne sont pas réservés, comme pourrait se l’imaginer le lecteur cultivé, aux sauvages qui courent nus comme des vers dans les régions brûlantes de l’Australie centrale et certaines parties du Sud et de l’Est africain, où souvent, dans un azur sans nuages, et durant des mois d’affilée, l’impitoyable soleil darde ses rayons sur une terre altérée et béante. Ces pratiques sont ou bien étaient, courantes chez des peuples européens extérieurement civilisés, et sous un ciel plus clément. C’est ce que nous voudrions démontrer à présent par des exemples empruntés à la magie tant publique que privée.
En Russie, dans un village, près de Dorpal, quand on désire la pluie, trois hommes se rendent dans un bois sacré et y grimpent sur des sapins. L’un se met à frapper avec un marteau sur un chaudron ou un tonnelet ; ce bruit est censé imiter le tonnerre. Le second fait jaillir des étincelles de deux tisons qu’il frotte à cet effet ; le troisième, surnommé le « faiseur de pluie », tient un fagot de branchettes qu’il trempe dans un vase plein d’eau et avec lequel il asperge les alentours. Au village de Ploska, pour extorquer la pluie, des femmes et des vierges se promènent entièrement dévêtues, de nuit, jusqu’aux confins du hameau et arrosent le sol. A Halmahera, grande île de la Nouvelle-Guinée, un magicien amène la pluie en trempant dans l’eau la branche d’un certain arbre, puis en la faisant égoutter sur la terre. Le faiseur de pluie de la Nouvelle-Bretagne prend des feuilles d’une plante grimpante et bigarrée, les enveloppe dans une feuille de bananier, noie dans l’eau ce paquet, qu’il enterre ; puis, de ses lèvres, il imite le bruit d’une pluie qui tombe… Chez les Omahas de l’Amérique septentrionale, quand on voit le blé se dessécher, ce sont les membres de la Société sacrée du Buffle qui remplissent d’eau une grande outre autour de laquelle ils dansent par quatre fois. L’un d’entre eux s’abreuve à ce vase et recrache ensuite, en guise de jet d’eau, ce qu’il a bu, pour imiter une buée ou une petite pluie fine. Ensuite, il renverse le récipient, dont l’eau trempe le terrain ; sur quoi les danseurs se jettent à quatre pattes pour laper le liquide, ce qui fait qu’ils se barbouillent le visage de boue ; ils finissent par rejeter l’eau en forme de vaporisation et par l’éparpiller, Voilà le blé sauvé ! »

Telle était, et telle est encore chez beaucoup de tribus sauvages, la maîtrise magique de l’atmosphère, de l’eau, dont l’importance est si grande dans la vie de l’homme. De la maîtrise du soleil, nous trouvons un écho dans le mythe de Josué. [p. 8]
Dans cette sorte de magie, qu’on pouvait appeler la magie économique, rentrent également les rites de chasse, de pèche, destinés à assurer la multiplication du gibier et la fortune du chasseur, les cérémonies Intichiuma de l’Australie centrale et ce que Frazer a appelé l’influence magique des sexes sur la végétation.
Une coutume, extrêmement répandue parmi les peuplades primitives et même parmi beaucoup de populations paysannes européennes, veut que les cultivateurs se livrent, en exemple à la nature, à l’acte sexuel sur la terre ensemencée :

« Quatre jours avant de confier la semence à la terre, Pipiles de l’Amérique Centrale s’abstenaient de tout commerce avec leurs femmes « pour que, la nuit avant de planter, ils puissent s’abandonner plus complètement à leurs passions ; on dit même que certaines personnes étaient désignées pour accomplir l’acte sexuel au moment même où l’on déposait dans le sol les premières graines ». Les prêtres ordonnaient aux hommes, comme devoir religieux, de s’unir alors à leurs femmes : sinon il n’était pas permis de semer. La seule explication possible de cette coutume parait être la suivante : les Indiens confondaient le procédé par lequel les êtres humains se reproduisent avec le procédé par lequel les plantes s’acquittent de la même fonction, et ils s’imaginaient qu’en ayant recours au premier, ils servaient aussi l’autre. Dans certaines parties de Java, à la saison où le riz va fleurir, le paysan et sa femme sr rendent à leur champ, la nuit, et s’unissent pour faire pousser les récoltes. Dans les Leti, Sarmata, et certains autres groupes d’îles qui s’étendent entre la partie occidentale dc la Nouvelle Guinée et le nord de l’Australie, la population païenne regarde le soleil comme le principe mâle qui fertilise la terre, principe femelle. On l’appelle Monsieur Soleil et ont le représente sous la forme d’une lampe faite de feuilles de noix de coco, que l’on peut voir suspendue partout dans les cases, ainsi que dans le figuier sacré. Sous cet arbre est une grosse pierre plate qui sert d’autel. On plaçait, et on place encore, sur cette pierre sacrificatoire, dans certaines iles, les têtes d’ennemis tués. Chaque année, au début de la saison des pluies, Monsieur Soleil descend dans le figuier sacré pour fertiliser la terre, ct pour faciliter sa descente on met à sa disposition une échelle à sept échelons. On la place sous l’arbre et on l’orne avec des figures taillées d’oiseaux dont le chant aigu annonce rn Orient l’approche du soleil. A cette occasion on sacrifie à profusion des cochons et des chiens ; hommes et femmes s’adonnent également à des Saturnales ; et au milieu des chants et de la danse on représente en public l’union mystique du soleil ct de la terre par l’union réelle des sexes sous l’arbre.
L’objet de la fête est, nous dit on, d’extorquer au grand père Soleil, pluie, nourriture et boisson en abondance, ainsi que du bétail, des enfants et des richesses. On le prie de donner deux ou trois chevreaux à chaque chèvre, dc permettre aux hommes de se multiplier, de remplacer les [p. 9] cochons morts par des cochons vivants, de remplir les paniers de riz vides et ainsi de suite. Et pour l’engager à accorder leurs demandes, ils lui offrent du porc, du riz et de la liqueur et ils l’invitent à manger et à boire. Dans les îles Babar, on hisse un drapeau spécial à cette fête comme symbole de l’énergie créatrice du soleil ; il est en coton blanc, d’environ trois mètres de haut et représente un homme dans une attitude appropriée. Il ne serait pas juste de traiter ces orgies comme un simple éclat de passion déchaînée ; il est certain qu’on les organise délibérément et solennellement comme étant essentielles à la fertilité de la terre et au bonheur de l’homme. »

Une dernière sorte de magie a trait à l’amour. Frazer, qui a d’ailleurs peu de sympathie pour la psychanalyse, garde dans son beau livre une certaine retenue en ce qui touche la question sexuelle ; il n’en est pas moins vrai, cependant, que le besoin de se concilier l’être aimé existe chez les sauvages comme chez les civilisés.
Ma vieille bonne corse me racontait comment, dans son pays et ailleurs, on pouvait s’assurer l’amour définitif d’un homme en mêlant du sang menstruel à sa boisson.
La mugie de l’« aiguillette » est aussi bien connue de beaucoup de populations sauvages et paysannes ; elle consiste fréquemment, pour celui qui a des griefs contre un homme qui se marie, à aller, la nuit de ses noces, planter un couteau dans sa porte, brisant du même coup sa puissance virile.

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On peut ainsi distinguer, d’après leur objectif, quatre sortes de magie : magie agressive (envoûtement et toutes les pratiques dirigées contre un ennemi) ; magie défensive, qui s’oppose à la magie agressive elle même ; magie économique, ayant pour but de procurer à l’homme ce qui lui est nécessaire (maîtrise de l’atmosphère, rites de pêche et de chasse) ; magie amoureuse.
Nous allons maintenant aborder la théorie explicative de la magie d’après Frazer.
Frazer a sur la magie des idées fort intéressantes. A certains moments, cependant, il s’arrête court, retenu par des résistances psychologiques personnelles.
C’est de Frazer qu’émane la grande division de la magie, qu’il appelle en général magie sympathique (qui est basée sur la loi de sympathie), en deux grandes classes : magie homéopathique et magie contagieuse. [p. 10]
La magie homéopathique comprend, par exemple, l’envoûtement. La magie médicale, telle celle relative au traitement de la jaunisse, la magie de la pluie, l’influence des sexes sur la végétation.
La magie contagieuse comprend toutes sortes de pratiques basées sur cette idée : deux objets ayant été en contact garderaient entre eux, même quand ils sont ensuite séparés, un lien mystérieux tel qu’on ne pourrait plus faire subir un destin à l’un sans que le même destin frappât l’autre : ainsi des pratiques d’envoûtement sur des rognures d’ongles, des cheveux, du sang, entraîneraient la mort de celui dont ils émanent.
La magie homéopathique et la magie contagieuse sont basées sur les deux formes de la pensée humaine : association des idées par ressemblance (magie homéopathique) et association des idées par contiguïté (magie contagieuse) ; loi de similitude, d’une part ; loi de contact, d’autre part.
Cependant, Frazer, après avoir décrit ses modes, a voulu traiter de l’essence même de la magie.
Pour lui, la magie serait essentiellement divisée en : magie théorique, qui pourrait être considérée comme une science, et en magie pratique, qui est un art.
La magie pratique implique la magie positive ou sorcellerie et la magie négative, dans laquelle rentrent tous les tabous.
Mais pour Frazer, la magie, considérée du point de vue théorique, serait l’expression de la primitive pensée des hommes, la première explication qu’ils se seraient donné des phénomènes de la nature.
Il est difficile d’admettre cette conception-là. La magie n’est pas une science ; elle exprime bien une tentative de soumission des faits à une légalité, mais à une légalité qui n’est pas la légalité réelle, puisqu’elle substitue la réalité psychique à la réalité physique. Dans la conception magique, du monde, l’homme prend, en effet, les lois de sa pensée pour les lois de la nature.

Peintures rupestres de Perito Moreno en Patagonie.

Peintures rupestres de Perito Moreno en Patagonie.

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Je ne ferai pas ici l’exposé historique ni ne tenterai la discussion des autres théories de la magie. J’exposerai seulement la théorie psychanalytique de la magie d’après Freud.
Freud a commencé par étudier le terrain sur lequel la magie a pris naissance, le monde de la magie, les sociétés qui sont encore au stade animiste où la magie règne en maîtresse. [p. 11]
L’animisme, chez le primitif est une véritable conception du monde. C’est, connue le disent les Allemands : « eine Weltanschauung ».
D’après cette conception, il n’y aurait pas d’objets inanimés ; le monde tout entier serait animé, hanté de forces vivantes. En toutes choses résiderait une force immanente susceptible d’hostilité ou de bienveillance. C’est évidemment par projection de lui-même et des forces qu’il sent en lui que le primitif conçoit le monde sous cet aspect.
Cette manière de voir s’oppose à celle de Frazer d’après laquelle la magie serait la première tentative « scientifique » de l’homme. Ainsi que Freud le fait remarquer, l’homme a commencé par rechercher la satisfaction de ses instincts avant de spéculer. La magie n’est pas une science spéculative mais une technique pratique, un moyen de maîtrise sur les forces de l’univers, sur les hommes et sur les « esprits ».
On doit distinguer cependant la magie de la sorcellerie, réservant ce terme à une sous-branche de la magie qui recherche la maîtrise des « esprits », et on pourrait, avec Reinach, appeler la magie la stratégie de l’animisme ou, suivant l’expression de Hubert et Mauss, la technique de l’animisme (3).
Marrett (4), l’ethnographe anglais, distingue dans l’animisme deux stades: le stade de l’animisme proprement dit et le stade pré-animiste ou animatisme, dans lequel l’homme attribue à tous les objets qui l’entourent une force immanente sans encore peupler le monde d’« esprits » proprement dits.
Cette idée, qui est une hypothèse, semble nécessaire pour expliquer la conception magique humaine. Il n’existe cependant pas de peuples chez lesquels se trouve l’animatisme dépourvu d’animisme. Tous les peuples primitifs croient aux « esprits », qui semblent avoir été à l’origine les esprits des morts. L’homme, ayant vu les êtres qu’il aimait disparaitre, en garde en lui le souvenir, chargé d’amour et chargé de haine, suivant les sentiments qui subsistent dans les couches profondes de sou inconscient. A la disparition, même d’un être aimé, l’hostilité profonde qu’on a pu avoir contre lui [p. 12] se réactive, est pour ainsi dire projetée au dehors, donnant naissance aux démons. Roheim, dans un ouvrage fort intéressant qu’il prépare et qu’il m’a communiqué, fait remonter l’origine des démons à un stade qui précède le stade totémique et rapporte cette origine à la figure des parents dans des circonstances émouvantes pour l’enfant, lorsqu’il les voyait, par exemple, se livrer devant lui à l’acte sexuel.
Envisageons maintenant le mode de la magie.
Je vous ai parlé du monde où évolue la magie, monde essentiellement différent de celui dans lequel nous vivons ou cherchons à vivre, car il y a des survivances magiques jusque parmi nous ! Dans ce monde où le primitif se trouve plongé, il doit, pour satisfaire à ses désirs et pour assouvir ses instincts, se livrer à la magie, qui représente pour lui un moyen de domination sur la nature.
Comme le dit si bien Tylor (5), le mode de la magie consiste à prendre un lien idéal pour un lien réel ; l’homme, tels sont aussi les termes de Frazer, prend les lois de sa pensée pour les lois de la nature.
Freud (6) se rallie entièrement à cette manière de voir, mais il cherche plus loin, et se demande quel est le promoteur de l’acte magique. Suivant la vision dynamique qui est celle de la psychanalyse, il croit le mettre au jour dans le désir : désir d’agression, désir de puissance, désir de subsistance, désir de conquérir l’objet aimé. Au service de ses désirs, le primitif croit à la toute-puissance de ses pensées ; il croit que ses paroles, que ses actes, donneront l’exemple à la nature et que ce qu’il fera lui-même sera accompli par le destin.
Freud a pu dégager cette grande loi dynamique grâce surtout au parallèle entre le primitif et le névrosé obsessionnel.
Les névrosés sont plus que de pauvres malades, ce sont des êtres qui, en vertu même de leur souffrance, se laissent observer pour se laisser guérir. Ils ont ainsi permis de déchiffrer, sur leur psychisme, des lois de l’esprit humain. Le névrosé obsessionnel, en particulier, [p. 13] présente d’une façon frappante la pensée archaïque du primitif et la croyance à la toute puissance de ses idées et de ses désirs. Les névrosés obsessionnels, sujets extrêmement honnêtes et scrupuleux, sont pourtant dévorés de remords, tout comme s’ils étaient de réels meurtriers. Quand on les examine, on découvre alors qu’ils ont attribué, telle primitif, la toute-puissance à leurs désirs profonds, à leurs désirs de mort inconscients ; ils sont demeurés attardés au mode archaïque de la pensée magique.
Tous les névrosés, d’ailleurs, et non pas seulement les obsédés, ont une tendance à croire à l’efficience de leur pensée inconsciente et de leurs désirs agressifs. C’est la raison la plus profonde de leur souffrance, vu leur hypermoralité avec laquelle cette pensée inconsciente et ces désirs agressifs entrent en conflit.

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Mais quelle est l’origine de cette façon de sentir ? La théorie psychanalytique nous apporte ici ses lumières en nous montrant quel est l’âge de la magie, j’entends : le moment de l’évolution humaine ontogénique et phylogénique où la magie est dominante.
On sait que Freud, sur le matériel clinique considérable qu’il a pu analyser, fi observé que, dans l’anamnèse de ses patients, on retrouvait d’abord le stade primitif, par lequel nous avons tous passé, de l’autoérotisme du nourrisson. Le nourrisson ne cherche que son plaisir, il ne connait que soi, et comme une annexe à son propre corps, que le sein de sa mère ou de sa nourrice. Plus tard, quand l’enfant a discerné les autres êtres de lui-même, il se met à les aimer et les haïr en tant qu’objets. Mais, entre ces deux périodes où la libido est d’abord sans objet précis, et ne se déverse qu’ensuite vers les premiers objets extérieurs, les parents de l’enfant ou les personnes qui le soignent, Freud a considéré qu’il était nécessaire d’intercaler l’ère du narcissisme où la libido, qui n’est pas encore franchement portée vers les objets extérieurs, se concentre principalement sur le moi perçu comme objet d’amour.
Trois stades se succèdent ainsi chez l’enfant: le stade de l’autoérotisme, où il se satisfait d’une façon éparse et recherche d’une façon sporadique les plaisirs que son organisme le destine à recueillir ; le stade du narcissisme, où l’être apprend à se connaître et à s’aimer lui-même ; le stade où l’enfant discerne les autres êtres et les hait et les aime. Ces stades peuvent d’ailleurs plus ou moins [p. 14] chevaucher l’un sur l’autre. L’être humain n’arrive que graduellement et après toutes sortes de modifications de sa libido, à l’âge pubère puis à l’âge adulte.
A cette évolution ontogénique correspond une évolution phylogénique.
L’humanité semble avoir passé par les trois autres stades et la magie correspondre pour elle, principalement, au stade du narcissisme. A ce stade, l’individu se croit un pouvoir immodéré sur l’univers. De même que le nourrisson quand il a soif, quand il a faim, quand il se démène dans son berceau, voit accourir sa mère, on dirait que le primitif croit, à ce stade, que ses actions feront accourir à lui la nature, telle une mère exaltée, qui lui donnera tout ce qu’il désire.
Mais ce stade, un jour, est dépassé ; c’est alors que les esprits de l’animisme commencent à représenter pour l’individu les premiers embryons des dieux. A ce moment, ce sont déjà des êtres qui limitent son propre pouvoir. Bien que la magie soit encore sur eux toute-puissante, les esprits ont déjà besoin d’être conciliés. Ils n’ont pas encore l’importance des grands dieux qui leur succèderont et ils peuvent être rendus propices aux désirs de l’homme par les pratiques magiques qui les soumettent à son pouvoir.
Dès ce moment, comme on peut, par exemple, l’observer en Australie centrale, on voit très bien la couche animiste se mêler à la couche totémique qui la recouvrira ; le totem, en effet, l’animal que doivent respecter ces tribus et qui est l’ancêtre du clan, semble avoir été pour les hommes le premier des dieux.
Vous connaissez la théorie de la horde primitive qui a été développée par Freud, à la suite de Darwin et de Robertson Smith. Il y aurait eu, au début de l’humanité, de vieux patriarches féroces, puissants et tyranniques, qui vivaient chacun avec quelques femelles, leurs femmes et leurs filles ; les jeunes mâles étaient tolérés dans la horde tant qu’ils n’étaient pas parvenus à l’âge adulte qui eût fait d’eux autant de rivaux dangereux pour les patriarches. Le vieux père les eût alors chassés pour garder la primauté sur ses femmes. Mais un jour, les jeunes mâles pourchassés par lui se seraient unis et l’auraient mis à mort ; cependant, comme ils admiraient ce vieux père en même temps qu’ils le haïssaient, à la suite de son meurtre, ils auraient été saisis de remords et décidé de ne pas profiter de leur victoire. [p. 15]
C’est ainsi qu’auraient été établies les premières prescriptions de la morale et les premières formes de la religion humaines : l’animal totem est une représentation du père ; c’est en lui que se seraient réincarnées ses vertus puissantes. Les prescriptions de l’exogamie, qui interdisent de s’approprier aucune des femmes du clan, auraient même origine.
Au cours des âges, dans les grands dieux égyptiens par exemple, on peut voir subsister le caractère animal du dieu, la force de l’animal restant représentative de la puissance du père.
Plus tard, la figure animale du dieu disparaît pour refaire place à la figure humaine du père et l’humanité entre peu à peu au stade religieux.
Dans le stade religieux lui-même subsistent quantité de pratiques magiques. Frazer, en particulier, rapproche les sacrements de communion de ce qu’il a appelé la magie homéopathique du régime carnivore : en recevant la nourriture divine, on s’approprie les facultés et les forces du dieu, comme on s’appropriait les facultés et les forces du père dans le repas cannibale de la horde primitive, après le parricide.

Animisme.

Animisme.

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C’est ainsi que toutes les conceptions du monde que se sont créées les hommes se mélangent au cours des âges et qu’il est difficile de trouver de façon isolée l’une ou l’autre. Chez les Arandas du Centre australien, nous voyons, par exemple, à la fois des prêtres qui procèdent aux cérémonies d’initiation totémique et des magiciens représentant les uns des conceptions religieuses et les autres des conceptions magiques. Là coexistent animisme et totémisme. Il n’y a, par ailleurs, pas de peuples qui n’aient eu, dès l’origine, quelques embryons de connaissances réelles, on peut dire scientifiques ; les trois stades par lesquels a passé l’humanité ne se rencontrent ainsi jamais à l’état pur mais seulement avec prédominance de l’un ou de l’autre mode.
Le magicien-roi des tribus primitives devient peu à peu le prêtre, qui a pour mission d’intercéder auprès des divinités. Alors que la magie était la technique de l’animisme, la prière est la technique de la religion. L’homme étant passé au second stade et sachant qu’il n’est plus tout-puissant, considère les dieux comme l’enfant considère [p. 16] ses parents et cherche à obtenir d’eux ce dont il a besoin. Il n’a d’ailleurs pas, à ce moment, renoncé encore à sa toute-puissance puisqu’il peut, quand il est le favori des dieux, obtenir d’eux ce qu’il désire soit en ce monde, soit dans l’autre.
Le principe du plaisir, qui règne au fond de l’inconscient, n’est pas surmonté dans le stade religieux. Il y a, certes, déjà dans ce stade un élément de réalité interposé : l’homme renonce en ce monde à ce qu’il ne peut conquérir. Mais, pour des renoncements temporaires, une éternité de jouissances lui est promise.
Le principe du plaisir n’est pour ainsi dire surmonté que dans le dernier des stades où est entrée l’humanité : le stade scientifique. L’homme, reconnaissant les lois de la nature et leur implacabilité, le phénomène de la mort en particulier, lequel lui inspire en somme la plus irréductible de ses angoisses, finit par s’y résigner. C’est dans ce stade scientifique que l’homme devrait, au maximum, mettre de côté son égoïsme et vivre avec les autres, en transposant une grande partie de son narcissisme, par le travail scientifique et par le travail en commun, sur le plan de l’humanité et de l’altruisme, autant qu’il est possible à l’homme de le faire!

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Il nous reste à dire quelques mots sur la valeur pragmatique et la valeur culturelle de la magie.
On a beaucoup médit de la magie. Les premiers ethnographes, les premiers explorateurs ont été parfois pleins de mépris pour les sauvages qu’ils voyaient se livrer aux pratiques de la magie. Les missionnaires, par contre, y voyaient, plus d’accord en ceci avec les sauvages, l’œuvre mauvaise, mais respectable ! du démon.
Or la magie, comme Frazer et Freud le font remarquer, ne mérite pas le mépris. Elle a beaucoup appris aux hommes : elle leur a la première enseigné, par le tabou négatif en particulier, l’altruisme et la maîtrise de leurs instincts. Quand un guerrier par exemple, chez certaines tribus, doit partir au combat, il lui faut, pour conserver ses forces, observer le tabou d’abstinence et se préparer à la victoire par la chasteté. Par ailleurs, quand le guerrier est à la chasse, à la guerre, sa femme, pour que la chance ne le déserte pas, doit, à la maison, lui rester fidèle : le guerrier qui sait, en effet, que sa femme, telle Pénélope, l’attend, aura l’esprit plus tranquille et combattra avec plus de cœur. [p. 17]
Ainsi, par ces restrictions que la magie a imposées aux hommes, elle leur a appris la maîtrise primitive de leurs instincts.

Je vous parlais tout à l’heure de l’emmêlement des trois stades que l’on observe dès les premiers âges de l’humanité et nous avons vu que les trois formes de conception du monde coexistent dans les sociétés primitives.
Malinovski, qui a fait dans les îles Trobriand un séjour de plusieurs années, a fait remarquer dans un de ses ouvrages que la magie des jardins, par exemple, n’y faisait pas considérer comme superflue la culture des jardins. La connaissance du sol, de la façon de le préparer et des graines à semer, coexistent avec les pratiques et les charmes magiques.
De même, la conception religieuse peut se trouver mêlée de reliquats animistes: l’homme, par exemple, continue à essayer d’agir sur les dieux magiquement pour se les rendre favorables. Les religions portent de nombreux stigmates de cette pensée animiste (superstitions populaires, croyance aux amulettes, croyance à la vertu en soi du grand nombre de chapelets que l’on peut dire, etc.).
L’ère scientifique elle-même est pleine de reliquats des deux stades précédents. Outre que le prêtre n’est pas découronné, le chef politique, qui dérive du magicien primitif, garde encore pour le peuple des quantités d’attributs magiques et quand des malheurs surviennent dans le pays, famine, troubles économiques, il est immédiatement rendu responsable, et ceci bien au delà de sa vraie responsabilité.
La médecine, enfin, est encore intriquée à son insu avec de la magie. Si nous reprenons l’exemple du traitement de la jaunisse, dont nous connaissons déjà la cure magique, nous verrons que, dans l’ère religieuse, on priera pour le malade, on fera des neuvaines, on dira des chapelets pour le guérir. Dans l’ère scientifique, la jaunisse sera traitée par les moyens curatifs divers qui s’appliquent aux ictères. Mais ces moyens sont plus ou moins réellement efficaces, car la pharmacopée entière est tout imprégnée encore de « magie ».
Des survivances magiques plus pures subsistent jusque parmi nous. Il suffit de rappeler ici Coué et ses formules conjuratoires.
Une autre doctrine encore, fort prospère en Amérique, est la doctrine mi-religieuse et mi-magique de la Christian Science où [p. 18] l’homme doit aussi se persuader, pour guérir, qu’il est bien portant, Dieu ne pouvant permettre vraiment le mal.
Cela n’empêche pas que, de notre temps, la Faculté de Médecine ne soit le tabernacle de l’esprit scientifique.
La psychanalyse est-elle une conception du monde ? Non. Elle s’intègre au troisième stade, à la conception scientifique de l’univers. Elle a, par ailleurs, le mérite éminent d’avoir marqué l’entrée de la science dans un domaine qui, jusqu’alors, lui était resté fermé : celui du psychisme humain, de l’âme humaine.

Animism. Statuette magique.

Animism. Statuette magique.

 NOTES

(1) Conférence faite au Groupe d’Etudes pour l’examen des tendances nouvelles le 9 mars 1933.

(2) The Golden Bough, Londres, Macmillan, 1911. Traduit en français, d’après. l’édition anglaise abrégée, par lady Frazer. Librairie orientaliste Paul Geuthner, 1923.

(3) HUBERT et MAUSS : « Esquisse d’une théorie générale de Magie », Année Sociologique, 7e année, 1903-1904 et « Essai sur la nature et la Fonction du Sacrifice », Année Sociologique, 2e .année, 1897 1898.

(4) Preanimistic Religions in Folklore, Journal of the Royal Anthropological Institute of Great Britain and Ireland, vol. XI, 1900.

(5) Edward Burnett TYLOR : Primitive culture : researches into the development of Mythology, Religion, Art and Custom, 2 vol. Londres 1872.

(6) Totem et Tabou, paru d’abord sous le titre de « Einige Ubereinstimmungen im Seelenlebcn der Wilden und der Xeurotiker ».
Imago, 1912 1913, 2e éd. Int. Psychoan. Verlag 1920. Traduction française par le Dr Jankélévitch, Paris, Payot, 1923. Voir aussi « Trois essais sur la théorie de la sexualité », « Drei Abhandlungen zur Sexual theorie », Leipzig et Vienne, Franz Deuticke, 1905. Traduction française par le Dr Rever. N. R. F., Paris 1925.

 

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1 commentaire pour “La Pensée magique chez le primitif . Par Marie Bonaparte. 1934.”

  1. Descharmes philippeLe vendredi 15 juillet 2016 à 23 h 19 min

    Il y a aussi, le mode de représentation chez les Guaranis, je crois, cités dans Pierre Clastres: La société contre l’Etat, où le chef est celui qui rend service et donne, il n’est pas permanent, ce peuple est chasseur cueillir, il n’a de territorialité que ce qui peut le faire vivre, les hommes chassent, les femmes portent des paniers, et même l’homosexuel est admis, simplement il porte un panier avec les femmes, et les hommes profitent de lui de temps en temps, pour affermir leur virilité, mais préfèrent les femmes. Pour ce qui est d’autres pratiques, le vaudou sacrifiait en guise de rituel, enterrait des vivants qu’ils sortaient deux jours après, leur laissant par envoutement cette possibilité de vivre, et en faisaient dès lors de leur retour, des esclaves.(à vérifier). Les rituels des peintures primitives peuvent être des conjurations du mauvais ort, de souhaits de chasses fructueuses, comme de ses animaux dieux, parce qu’ils faisaient vivre ce peuple de chasseurs (animisme) et la « Vénus de Willendorf », femme en rondeurs primitive (statuette) était peut-être un hymne à la mère, la femme, le fait d’avoir un possible « engendrer »! Ou de l’Art tout simplement!