Victor Lafitte. Destin de la psychanalyse. Extrait de la revue « La Pensée – Revue du rationalisme moderne », (Paris), nouvelle série, n°21, 11 novembre-décembre 1948, pp. 59-67.

Picture 048

Victor Lafitte. Destin de la psychanalyse. Extrait de la revue « La Pensée – Revue du rationalisme moderne », (Paris), nouvelle série, n°21, 11 novembre-décembre 1948, pp. 59-67.

 

Ce texte résume l’opinion moyenne des communistes : la psychanalyse est une doctrine irrationnelle dont le renouveau intervient à la faveur de la vague actuelle d’irrationalisme et d’obscurantisme placée sous le double patronage de Wall Street et du Vatican ; elle apporte certes des lumières intéressantes sur la formation de la sexualité infantile mais, de par sa nature irrationnelle et idéaliste, elle ne peut prétendre qu’à un statut de vague mystique.

Victor Lafitte. Médecin psychiatre, membre du parti communiste français.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Par commodité nous avons renvoyé les notes originales de bas de page en fin d’article. – Les  images ont été rajoutées par nos soins.

[p. 59]

DESTIN DE LA PSYCHANALYSE

par le docteur Victor LAFITTE

Nous assistons depuis quelque temps à un renouveau de la psychanalyse. La première vague psychanalytique, développée immédiatement après la guerre de 1914, était tellement en décroissance que Georges Politzer pouvait, avec juste raison, intituler en 1939 son article, écrit lors de la mort de Freud : « La fin de la psychanalyse ». Et voilà que nous arrive cette fois-ci, non plus d’Autriche, mais des États-Unis, une seconde vague psychanalytique, mais, qui, beaucoup plus encore que sa devancière, déborde largement le cadre médical et psychiatrique pour trouver son champ d’application en sociologie, en politique, dans le domaine artistique et littéraire. Elle est véhiculée à bon marché pour le grand public, par le cinéma, par les romans, par tous les Digestaméricains, sans oublier certains hebdomadaires comme Confidenceset Samedi-Soir.

Si en 1948, il y a un problème de la psychanalyse qui se pose, c’est dans ce cadre qu’on doit l’envisager. Quant à la psychanalyse, doctrine de psychologie individuelle et technique psychothérapique, qui sert de toile de fond, prétendue scientifique, à tout le reste, elle ne nous a rien apporté de fondamentalement nouveau depuis la mort de son créateur et elle n’a pas répondu aux critiques justifiées qui lui ont été adressées, il y a déjà vingt ans.

Ce qui arrive au freudisme vient confirmer une fois de plus que des idées et des doctrines, nées dans certaines conditions du développement technique et social, s’insèrent dans le patrimoine culturel de l’humanité et peuvent ensuite évoluer pour leur propre compte. Après des périodes d’oubli, elles peuvent réapparaître, lorsqu’elles rencontrent un courant social qui peut les utiliser.

Dès le début le freudisme a fait une large part à l’irrationnel et la psychanalyse, s’est définie comme une psychologie « abyssale ». A la faveur de la vague actuelle d’irrationalisme et l’obscurantisme, placée sous le double patronage de Wall-Street et du Vatican, expression idéologique des contradictions développées à l’échelle planétaire, après la deuxième guerre mondiale, la psychanalyse trouve son renouveau. La filiation y est directe et les protestations de quelques psychanalystes de bonne foi, qui continuent à voir dans le freudisme uniquement une thérapeutique psychiatrique, ne changent rien à ce fait.

La psychanalyse, sous son aspect sociologique et comme conception du monde, est venue ainsi pleinement rejoindre les doctrines obscurantistes et s’insérer dans l’arsenal idéologique de l’impérialisme américain, utilisée par celui-ci d’une manière consciente — car il ne s’agit nullement d’une mystification — aussi bien à l’usage intérieur, contre le mouvement démocratique, qu’à l’extérieur, contre le mouvement progressiste dans le monde. De tout cela, nous donnerons par la suite des exemples multiples et concluants.

C’est pourquoi ils font piètre figure ceux qui, une fois de plus, car l’essai a déjà été tenté à plusieurs reprises, veulent réaliser on ne sait quelle synthèse entre le freudisme et le matérialisme dialectique, en voulant faire passer la psychanalyse pour une psychologie scientifique, s’insérant dans une conception matérialiste et dialectique du monde. [p. 60]

Quant aux défenseurs du freudisme, qui se désolidarisent des mauvais usages qu’on aurait fait de la doctrine, il faut bien qu’ils se rendent compte que, dès sa formulation, la psychanalyse contenait à la fois et son noyau irrationnel et ses tendances à déborder le cadre de la psychologie individuelle, qui lui ont si facilement permis de rejoindre les courants obscurantistes et les mythes réactionnaires, qui ont encore cours en ce milieu du vingtième siècle.

Nous envisagerons successivement la psychanalyse en tant que doctrine de psychologie individuelle et de technique psychothérapique, en tentant de faire le bilan de ses possibilités, de ses limites, de ses erreurs. Nous insisterons surtout, dans une deuxième partie, sur les aspects actuels des théories psychanalytiques, d’inspiration surtout américaine et caractéristiques des tendances expansionnistes et envahissantes de la doctrine.

*
*    *

Freud et la psychanalyse.

C’est à l’aube du siècle que Sigmund Freud formule les premiers éléments de sa doctrine, après s’être séparé de son maître Joseph Breuer, avec lequel il avait publié, dès 1895, les Études sur l’hystérie.

Le point de départ de la conception psychanalytique fut la recherche de l’étiologie et du traitement des psychonévroses. Neurologiste, Freud avait suivi l’enseignement de Charcot à la Salpêtrière et ceux de Liébault et de Bernheim à Nancy. C’est alors qu’il établit sa théorie de l’inconscient, montrant que certains de nos actes peuvent avoir des causes qui ne nous sont pas toujours connues. Le contenu de l’inconscient, refoulé par la « censure », peut dans certaines conditions réapparaître à la surface de la conscience. Dans ce but Freud utilise la méthode associative : associations d’idées, évocation de souvenirs et de rêves. Il trouve ainsi à la fois une nouvelle explication des névroses, produits de conflits psychiques, et une méthode de traitement : amener à la conscience le conflit traumatisant, en faire prendre connaissance au malade et obtenir sa liquidation. Quant au contenu même de l’inconscient, tendances et désirs refoulés, Freud lui donne un caractère sexuel, remontant même aux premières étapes de la vie extra-utérine. C’est autour de l’énergie sexuelle, la libido, que Freud établit ensuite l’ensemble de sa doctrine, de l’explication des rêves à la psycho-pathologie de la vie quotidienne, sans parler des prolongements sociologiques, religieux et esthétiques, sur lesquels nous reviendrons.

Remarquons que Freud lui-même a évolué quant à la conception de ce primum movents, placé à l’origine des incitations de notre, comportement. Il a élargi le principe de la libido au principe du plaisir, pour aboutir dans ses derniers ouvrages à l’instinct de la mort.

On comprend facilement le succès de ces théories, dans le domaine de la psychologie normale et pathologique, où régnaient jusqu’alors soit des explications uniquement mécanistes, du type du- behaviourisme, soit la vieille conception introspective de la psychologie des facultés.

Dès le début, des dissidences se créent autour de Freud et dans « l’Association psychanalytique internationale », fondée en 1910.

Alfred Adler se sépare de son maître, dès 1907, avec une étude sur les Infériorités organiques et leur retentissement psychique. Adler admet comme principe de base de la vie psychique, un instinct d’expansion de la personnalité, une volonté [p. 61] de puissance. C’est lui qui met en valeur le « complexe d’infériorité » et les efforts pour obtenir sa compensation. Adler explique ainsi par le processus de compensation les mécanismes inconscients que Freud explique par la libido.

Quant à Jung, il construit dans l’inconscient une zone non-individuelle, l’inconscient collectif, collectionnant des images ancestrales, des archétypes. Pour lui, l’homme vient au monde avec cet inconscient collectif, support des mythes, croyances et religions.

Toute une série d’écoles dissidentes se sont par la suite créées, en Suisse, en Angleterre et surtout aux États-Unis, de sorte qu’aujourd’hui presque chaque psychanalyste a son système propre.

Cependant c’est à Freud lui-même qu’il faut revenir, pour étudier dans l’essentiel les bases de la psychanalyse.

*
*    *

LA VALEUR PSYCHOLOGIQUE ET THÉRAPEUTIQUE DU FREUDISME

Le freudisme apparaît donc premièrement sous l’aspect d’une doctrine de psychologie individuelle et de thérapeutique des psychonévroses. C’est en tant que tel qu’il a pu conserver pendant quelque temps des sympathies dans certains milieux progressistes et que des tentatives de freudo-marxisme ont été ébauchées. Rappelons à cet égard la remarque si justifiée de Politzer sur l’utilisation qu’entre les deux guerres, les milieux réformistes ont pu faire de la psychanalyse en Autriche, en Allemagne, en Scandinavie. Il apparaissait dans ces milieux beaucoup plus facile de bavarder sur la libération sexuelle de l’humanité que de prendre place dans la lutte des classes, au côté du prolétariat.

Mais si la psychanalyse ne peut pas constituer, comme nous le montrerons, une psychologie individuelle scientifique, pouvant s’insérer dans une conception matérialiste dialectique du monde, il ne faut pas conclure que rien ne reste valable de l’œuvre de Freud. Ce qu’on doit reprocher à la psychanalyse, c’est son esprit de système fermé, sans contiguïté avec le développement des sciences de l’homme, ses constructions de « mécanismes » et « d’appareils » métaphysiques, sa vision unilatérale des conditions de la vie psychique. Mais l’œuvre de Freud dans le domaine psychologique individuel et thérapeutique a eu certainement de grands mérites, que nous allons passer en revue.

*
*    *.

I. — La sexualité.

Pendant des siècles, l’Église catholique, la philosophie et la morale à sa dévotion avaient jeté un voile pudique sur tout ce qui avait trait au problème sexuel. Alors que chez les Grecs et autres peuples de l’antiquité, les choses sexuelles étaient considérées comme « sacrées », elles furent considérées, depuis le dogme du péché originel, comme « honteuses ». L’anatomie conserve encore de nos jours les traces de cette influence : dans la description des organes du petit bassin elle continue à parler de nerf honteux, artère honteuse, etc.

Freud a montré toute l’importance de la fonction sexuelle, mais il a créé une véritable mystique de l’instinct, en réduisant à la libido toutes les composantes du comportement de la vie psychique. Il n’en reste pas moins vrai que l’école [p. 62] psychanalytique a analysé comme jamais auparavant l’évolution de la fonction sexuelle, en élargissant son cadre, loin au-delà de la sphère génitale. Freud a notamment insisté sur la sexualité infantile, situant même à son étape la totalité des, traumas affectifs, qui se révéleraient plus tard dans l’origine des névroses.

En appuyant si lourdement sur le facteur sexuel, Freud a pensé donner une assise biologique, matérialiste, à sa doctrine. En réalité, ce biologisme n’est qu’apparent et toute la psychanalyse nous présente la libido comme un facteur instinctivo-affectif, irrationnel, sans liaison réelle avec .le développement physiologique de l’individu. La satisfaction de l’instinct sexuel apparaît sans doute comme un des besoins élémentaires de l’individu, et ses déviations, ses troubles peuvent certainement entraîner des effets pathologiques. Cela, Freud l’a mis en valeur, mais d’autres avant lui avaient attiré l’attention sur ce point. Rappelons l’aphorisme d’Hippocrate qui affirmait déjà, cinq siècles avant J.-C, que « la femme qui pratique le coït, se porte mieux que celle qui ne le pratique point. »

Ce que la psychanalyse ignore, c’est que les formes de satisfaction sexuelle s’inscrivent chez l’homme dans un certain cadre social et biologique, qui peut être à l’origine, quoiqu’indirectement, d’un certain nombre de troubles psychiques. Que le cadre social modèle les formes d’expression de l’instinct sexuel, toute l’histoire de la famille, en tant qu’unité sociale, est là pour nous le prouver. Fr. Engels, s’appuyant sur les travaux de Morgan et de Bachthofen, a pu montrer dans ses Origines de la famille, de la propriété privée et de l’État, comment dans les phases primitives de l’humanité, lors du mariage « en group », le commerce sexuel était entièrement libre entre tous les hommes et toutes les femmes du groupe.

Après avoir passé par toute une série d’étapes, la famille aboutit à la forme, monogamique formelle de nos jours. Il est certain que le régime capitaliste à sa fin, avec ses crises, son chômage, l’abaissement du niveau de vie des larges masses, crée les éléments d’une véritable crise sexuelle surtout chez les jeunes, qui ne sont pas en état économiquement de fonder une famille, à un moment où ils sont aptes à fonctionner sexuellement. Ce phénomène est encore plus marqué dans les grandes agglomérations urbaines. Ce sont ces conditions qui amènent le plus souvent des clients au psychanalyste, mais Freud et ses élèves passent sous silence le caractère social de ces conditions.

En ce qui concerne l’évolution de la libido elle-même, s’il est raisonnable de faire une place à la sexualité infantile, sans vouloir tomber dans le mythe des frustrations sphinctériennes du nourrisson, il n’est pas possible de limiter à la seule sphère de la sexualité infantile l’origine, de tous les traumas affectifs. Si sur le psychisme très maniable de l’enfant des impressions peuvent laisser une trace profonde, il ne reste pas moins vrai que la personnalité est en continuel développement et que des expériences nouvelles viennent tous les jours l’enrichir et la modeler.

Avec ces restrictions, il faut cependant affirmer qu’un des grands mérites du freudisme, c’est d’avoir attiré l’attention sur la fonction sexuelle, son évolution et ses troubles et que dans leur sphère respective, médecins, psychologues, pédagogues ont pu en tirer des, conséquences utiles. [p. 63]

II.— La théorie de l’inconscient.

Un deuxième élément essentiel de la doctrine psychanalytique, c’est sa théorie de l’inconscient. Avant Freud déjà, on avait parlé d’une activité du psychisme, qui serait inconsciente. Sans même remonter à Leibniz, Schopenhauer avait pu affirmer que « l’homme peut ignorer les motifs véritables de ses actions. » Carl-Gustav Carus et E. von Hartmann avaient aussi bâti des métaphysiques de l’inconscient. Pierre Janet, Ribot, Charcot avaient étudié l’hystérie et les phénomènes de dissociation de la personnalité. Mais c’est à Freud qu’est due l’édification de la doctrine de l’inconscient, partie de notre psychisme, refoulée par la « censure » morale. Enfouies dans la sphère de l’inconscient, des représentations continuent néanmoins d’exister et arrivent à s’extérioriser par certains troubles et symptômes névrotiques. De sorte que lorsqu’on est en présence d’un symptôme, d’une action, d’un comportement, d’une intention, il s’agit dans certains cas de ne pas se contenter de l’explication causale que leur donne le sujet, mais d’essayer de trouver les mobiles inconscients qui sont réellement à leur-origine. Cette vue féconde, la psychanalyse l’a généralisée, en en faisant un mode d’existence normale de notre vie psychique. De plus, elle n’a pas essayé de trouver un support biologique à ces mécanismes et s’est bornée à inventer toute une série d’ « appareils » psychiques. Il est cependant exact que par sa théorie de l’inconscient, la psychanalyse présente un aspect dynamique de. la vie psychique, sous forme de structures différentes : conscient, subconscient, inconscient, en perpétuelle liaison et interaction.

Il faut toutefois signaler que si la distinction entre mobiles superficiels et mobiles profonds du comportement reste féconde, il n’est pas exact que les mobiles profonds soient toujours inconscients et toujours d’ordre biologique et sexuel. A mesure que l’homme luttant contre la nature et modifiant sa propre nature, acquiert une connaissance des lois qui la gouvernent, ce sont progressivement des motifs à la fois conscients et rationnels qui président à son comportement.

Des réserves beaucoup plus sérieuses encore doivent être faites quant au contenu de la sphère de l’inconscient, tel que l’envisage l’école freudienne. Ce contenu est pour elle essentiellement biologique. instinctuel et affectif ; il est par définition asocial. Nous montrerons à propos de l’étiologie des psychonévroses, combien cette conception asociale de l’inconscient est fausse et nous avons déjà montré à propos de la libido, que ses formes, ses expressions sont socialement conditionnées.

A propos de la sphère biologique de l’inconscient nous voulons souligner dès maintenant combien dans la conception freudienne, l’instinct apparaît comme une tension, une pulsion irrationnelle. L’instinct apparaît comme opposé à la raison, comme une force élémentaire qu’on ne peut endiguer et qui, non satisfaite, nous réserve de graves déconvenues. Cela a permis la création de toute une mythologie, baignant dans l’obscurantisme et l’irrationalisme, à partir des tendances agressives, des sentiments de culpabilité, etc.

Les représentations de la sphère inconsciente sont soumises à des mécanismes qui ne sont en rien comparables aux procédés logiques dominant dans la sphère consciente. La psychanalyse a longuement étudié ces mécanismes, notamment dans l’interprétation des rêves, des actes manques, des lapsus, des oublis : Il s’agit des processus de condensation et surdétermination, un seul élément manifeste pouvant traduire plusieurs éléments latents, de déplacement, expliquant notamment [p. 64] certaines phobies ; de dramatisation, le contenu manifeste se présentant toujours sous forme d’action ; de symbolisme enfin, une représentation prenant par analogie une signification bien différente de la sienne.

Ces processus de la sphère inconsciente sont multiples et leur interprétation n’est pas toujours aisée. Un même rêve, un même lapsus peuvent être interprétés différemment, suivant les analystes. La même idée peut être représentée par des symboles différents et au contraire le même symbole peut avoir des significations multiples. En tout cas ce qui nous paraît important ; en soulignant le mérite de Freud d’avoir orienté les recherches sur l’inconscient, c’est la nécessité d’utiliser pour l’étudier des méthodes rationnelles et non le procédé inverse de certains psychanalystes, qui tentent de prolonger dans la sphère consciente les mécanismes de l’activité inconsciente.

*
*    *

III. — La théorie des névroses.

Inconscient et sexualité ont permis à Freud de bâtir une doctrine étiologique des névroseset unepsychothérapie.

Les troubles mentaux, considérés pendant longtemps comme une punition de la divinité, n’ont été intégrés que tardivement dans le cadre des maladies, et des inconnues nombreuses persistent encore quant à l’étiologie d’un grand nombre. Le mérite de Freud n’en a été que plus grand de tenter de jeter une lumière sur la nature et l’origine de certains de ces troubles.

Pour la psychanalyse le mécanisme du conflit névrotique se réduit avant tout au processus du refoulement. Certaines tendances, qui pour Freud sont de nature -surtout sexuelle, ne pouvant pour des raisons d’ordre moral trouver satisfaction, sont refoulées dans l’inconscient, par l’existence de la « censure ». Mais ces pulsions, ces désirs se manifestent sous forme de compromis, constituant les symptômes névrotiques. Nous avons rappelé toute l’importance que présente pour Freud la sexualité infantile et l’on connaît assez son fameux complexe d’Œdipe qui porte l’affection du petit garçon sur sa mère, alors que celle de la petite fille se dirige vers son père (complexe d’Électre).

D’après la tragédie de Sophocle, Œdipe est voué par le destin à tuer son père Laïos et à devenir l’époux de Jocaste, sa propre mère. C’est ce mythe antique qui a fourni à Freud le thème de son complexe. Il se peut que dans certains cas, d’ailleurs exceptionnels, on puisse retrouver chez le jeune garçon, vers l’âge de 5 à 6 ans, de vagues tendances, présentant quelque analogie avec le mythe d’Œdipe-Roi. Mais de là à en faire l’a norme du développement psychique de l’enfant, il y a un abîme, que Freud a pourtant allègrement franchi.

D’ailleurs toute la fragilité de ce symbolisme, qui abonde dans l’œuvre de Freud, se trouve encore démontrée par les interprétations multiples et différentes que ses propres élèves ont fourni du mythe d’Œdipe.

Pour l’école adlérienne, le mythe d’Œdipe n’a nullement une signification sexuelle. Œdipe, qui signifie « pied enflé », avait eu ses pieds écrasés par son père, prévenu par l’oracle, dès la naissance de son fils, du destin que les dieux lui réservaient. Le complexe d’Œdipe, diminué physiquement, tuant son père, qui est en « même temps le roi, c’est-à-dire le symbole de la puissance, et épousant sa mère, [p. 65] ne serait donc qu’un exemple d’infériorité avec ses velléités de valorisation, dépassant la sphère sexuelle.

Quant à Jung et à son école, pour eux le mythe d’Œdipe signifie : « l’apparition inconsciente de la personnalité propre, accompagnée de quelques réminiscences ancestrales, dues au fait que la mémoire biologique se rappelle l’époque transitoire du passage du matriarcat au patriarcat, et en même temps son détachement delà période où l’embryon a vécu une vie utérine » ( !!)

Le complexe d’Œdipe, son refoulement, sa liquidation plus ou moins satisfaisante, d’où naissance de tendances ambivalentes d’agressivité et de culpabilité, constitue la pièce essentielle dans la conception freudienne de l’étiologie des névroses. Or, non seulement dans le cadre de notre société actuelle ce complexe n’apparaît nullement avoir l’importance que la psychanalyse lui attribue, mais il est évident par ailleurs que dans le cadre de sociétés ayant une autre structure familiale que la nôtre, où par exemple la notion de père n’existe pas, l’existence du complexe d’Œdipe n’est même pas concevable. Ce que reconnaissent les anthropologistes, comme Malinovski, qui ont étudié les relations sexuelles chez les peuplades primitives.

On a l’habitude de distinguer un peu arbitrairement les affections mentales en deux grandes catégories, suivant que les fonctions psychiques apparaissent plus ou moins profondément troublées. Remarquons que la psychanalyse s’intéresse surtout aux névroses, laissant de côté les psychoses, qui comportent une altération profonde de la personnalité. Cependant Freud a essayé, au début, d’interpréter même les psychoses. Aussi affirma-t-il qu’à la base des délires de persécution, il fallait trouver une réaction contre des tendances homosexuelles inconscientes. Il voyait dans la schizophrénie une faiblesse du moi, accompagnée d’une régression affective sur le plan auto-érotique. Quant à la mélancolie, elle était envisagée comme une régression au stade sadique oral, avec introjection de l’objet aimé qui est ainsi repris et gardé et à qui sont adressés des reproches et infligées des souffrances.

Devant l’inanité de telles explications, Freud et son école ont progressivement abandonné le problème des psychoses, pour se consacrer à celui des névroses.

Par sa théorie des névroses, conditionnées par des traumas affectifs, survenus dans l’enfance, Freud pose en réalité tout le problème du comportement individuel et de la formation du caractère, c’est-à-dire le problème central de ce que devraient être une psychologie et une psycho-pathologie scientifiques. Et dans la manière de poser ce problème fondamental réside l’erreur essentielle de la doctrine psychanalytique. Elle fait, en effet, une place prépondérante, pour ne pas dire exclusive, aux incitations biologiques, quant aux motifs qui conditionnent le comportement humain. Personne ne pourra nier que l’homme arrive au monde avec un faisceau de besoins biologiques, notamment les besoins sexuels, et que leur satisfaction guide son comportement. Mais l’homme dès son apparition dans l’échelle zoologique, l’homo faber, est un être social et la vie en société, plus exactement les efforts qu’il déploie pour assurer ses moyens d’existence, déterminent, en premier lieu, son être. Les instincts biologiques prennent l’aspect de tendances qui n’arrivent à se cristalliser qu’en se remplissant d’un contenu, socialement et historiquement conditionné. L’erreur fondamentale de la psychanalyse, en tant que psychologie individuelle, c’est donc la surestimation du facteur biologique, en tant que moteur du comportement.

L’étude clinique des névroses permet, en effet, de saisir sur le vif cette fausse orientation, en montrant l’importance du facteur social à l’origine de nombreux [p. 66] troubles mentaux. La personnalité normale et pathologique apparaît ainsi comme la résultante d’un processus de formation dynamique, à l’intersection de conditions biologiques et sociales. Cela non pas, comme l’envisageait Auguste Comte, pour supprimer toute psychologie individuelle ente biologie et sociologie, mais au contraire pour tenir compte des influences réciproques de l’une et de l’autre, pour édifier les éléments d’une véritable psychologie individuelle scientifique, dans le sens par exemple dans lequel s’oriente la psychotechnique.

En fait, à l’origine de beaucoup de névroses, on trouve, en dehors d’un terrain physiologique que les médecins continuent à étudier, des troubles d’insertion familiale et sociale. Et si le nombre des névroses nous apparaît en continuelle augmentation, c’est probablement parce que l’état d’insécurité sociale, dans laquelle se trouve plongée une grande partie de l’humanité, favorise sans aucun doute leur éclosion. Il apparaît évident que dans une période de crise, de chômage, de misère, de menaces, de guerre, la possibilité d’adaptation à la vie sociale est beaucoup plus réduite que dans les périodes de calme relatif. L’on connaît, à cet égard, l’importance caractéristique des névroses de guerre. Et l’ensemble de ces conditions sociales et culturelles est d’un poids beaucoup plus important dans l’éclosion des troubles névrotiques que d’hypothétiques complexes d’Œdipe et d’Électre, enfouis dans la conscience infantile.

Il est de constatation courante aussi que les troubles névrotiques sont plus développés dans certaines couches sociales, qui occupent dans le cadre historique actuel une place instable, comme les classée moyennes, ballottées entre le prolétariat et la grande bourgeoisie, avec tout ce que cela comporte du point de vue des conditions de vie, des habitudes, des mœurs, de la moral. Cela évidemment sans tomber dans un sociologisme par trop simpliste, qui voudrait déduire les conditions d’apparition des troubles névrotiques uniquement de la situation sociale du malade, sans tenir compte de son évolution individuelle, physiologique, familiale, professionnelle.

Cette surestimation du biologique dans le comportement individuel se retrouve partout dans la doctrine psychanalytique de la formation de la personnalité.

Pour le choix d’une carrière, des possibilités ou tendances biologiques peuvent certainement jouer, mais il nous semble, superflu d’insister sur l’importance des facteurs historiques et sociaux. Aussi, lorsque Freud et son école nous, affirment que la profession de chirurgien correspond à une sublimation du sadisme, celle de gynécologue à une sublimation du voyeurisme, etc., nous saisissons toute l’exagération d’une telle conception.

*
*    *

IV. — La psychothérapie.

La psychothérapie analytique est inspirée des mêmes principes que sa psychologie. Le traitement analytique se donne comme but, par une longue série de séances médecin-malade, par la méthode associative et l’analyse des rêves, d’amener, après transfert, au niveau de la conscience les motifs inconscients du conflit névrotique. Après une première phase de refus et de révolte, le malade qui ne voulait pas primitivement admettre les motifs inconscients de ses troubles, arrive, avec l’aide du médecin, à regarder la réalité en face, à s’y adapter et à liquider ainsi sa névrose. [p. 67]

Cette psychothérapie, sur la technique de laquelle nous reviendrons, peut en effet dans certains cas privilégiés amener à la surface de la conscience les causes inconscientes, quelquefois d’ordre sexuel, du conflit névrotique. Mais, nous l’avons vu, à l’origine de la plupart des névroses, on décèle des troubles d’insertion sociale et familiale, c’est-à-dire, dans ce dernier cas, des troubles qui peuvent être d’origine biologique, mais qui restent néanmoins historiquement, culturellement conditionnés.

Que veut dire dans ces conditions regarder la situation en face, s’adapter à celle-ci ? N’est-ce-pas là l’annonce d’une vue profondément conservatrice, tenant à faire prendre pour normal, pour bon ce qui existe ? Cette vue a été d’ailleurs très largement utilisée dans les extrapolations sociologiques de la psychanalyse, comme nous le montrerons plus loin.

Quant à la technique de la psychothérapie psychanalytique, elle est entourée de véritables rites. Sa durée d’abord qui peut s’étendre sur des mois et même des années. On comprend que pendant un tel laps-de temps la personnalité du malade peut subir des transformations importantes, sans que l’analyse y soit pour quelque chose. On a signalé d’ailleurs le cas de malades ayant guéri en l’absence du psychanalyste, à la suite d’une interruption fortuite de la cure. Le divan psychanalytique, l’attitude neutre de l’analyste, la nécessité pour le malade d’honorer son médecin pour que la cure réussisse, font aussi partie des rites, accompagnant la technique psychanalytique.

*
*    *

L’on voit donc que la doctrine de Freud, en tant que méthode de psychologie individuelle et de psychothérapie, a apporté, du point de vue scientifique et dans le cadre des réserves déjà exprimées, des lumières intéressantes, concernant le rôle de la sexualité, le rôle et le fonctionnement de l’inconscient, enfin l’origine et le traitement de certaines névroses.

Mais la prétention de la psychanalyse de constituer un système de psychologie individuelle et de psychothérapie est absolument injustifiée. Premièrement, parce que le freudisme biologise à l’excès la personnalité et passe sous silence ses composantes sociales. Deuxièmement parce qu’elle constitue une doctrine fermée, sans liaison, avec les sciences de l’homme. Son biologisme n’est que formel, malgré les velléités de Freud de lui trouver une base chimique, et ne se réduit qu’à une métaphysique de l’instinct. Les acquisitions -de la technique médicale ne viennent nullement s’y insérer ; quant aux techniques sociologiques, nous avons vu la place qu’elle leur octroie.

Dans ces conditions, il était inévitable que dans le domaine social le freudisme rencontre tout le mouvement réactionnaire et obscurantiste, dont le but essentiel consiste à dénigrer la valeur de la science et de la raison humaines, parce que science et raison condamnent un régime social que les idéologies réactionnaires et obscurantistes se proposent justement de défendre.

 

LAISSER UN COMMENTAIRE