Une récente exorcisation en Bavière. Par A. Souques. 1893.

Achille Souques [1860-1944].

Achille Souques [1860-1944].

Achille Souques & le père Aurélian. Une récente exorcisation en Bavière. Rapport sur un cas l’exorcisation (13 et 14 juillet 1891) dans le cloître des Capucins de Wending. Article parut dans la « Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière », (Paris), tome sixième, 1893, pp. 56-64.

Achille Achille (Alexandre Achille Cyprien) Souques [1860-1944]. Interne des hôpitaux de Paris, il s’oriente vers la neurologie. Il sera le dernier interne de Charcot et la mort prématurée de celui-ci, fut déterminante dans l’évolution de sa carrière. Il sera un des plus zélés défenseur des théories du maître, et décrira avec lui ce qui deviendra le syndrome de Souques-Charcot, variante de la maladie de Hutchinson. Il fut également un des fondateurs de la Société de Neurologie de Paris. 

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original, mais avons corrigé les fautes de frappe.
 – Par commodité nous avons renvoyé la note originale de bas de page en fin d’article. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

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Une récente exorcisation en Bavière

       Au cours d’un voyage en Allemagne nous avons eu sous les yeux le récit d’une intéressante exorcisation. Un jeune garçon de dix atteint d’hystérie délirante fut considéré comme possédé du démon et conduit de ce fait au cloître de Wemding pour y être exorcisé. Il le fut et avec plein succès par le P. capucin Aurélian.

Cet événement causa grand bruit dans le pays. Le P. Aurélian en fit l’observation dans un rapport très documenté que publia la Gazette de Cologne (1). Voici in extenso la traduction de ce document.

Rapport sur un cas d’exorcisation (13 et 14 juillet 1891) dans le cloître des capucins de Wemding.

Avant-propos.

       Depuis le mardi gras (10 février) les époux Zilk, meuniers à Oberlottermuhle, remarquaient chez leur fils aîné Michel âgé de dix ans des phénomènes tout à fait insolites. Non seulement il ne pouvait faire mis il ne pouvait encore entendre réciter une prière sans tomber dans un accès de fureur très extraordinaire ; il ne souffrait près de lui aucun objet religieux ; il se permettait envers ses parents les mauvis traitements les plus grossiers. Les traits de son image étaient tellement transformés qu’on dut conclure à l’existence d’un état extraordinaire. Dans ces tristes circonstances, les parents cherchèrent secours près d’un médecin, mais ce fut sans résultat. Alors, dans leur profond chagrin, ils s’adressèrent au Révérend vicaire, M. Seitz de Durrwangen, pour voit si les prières de l’Eglise ne parviendraient pas à débarrasser ce malheureux enfant de ses souffrances. Le Révérend appela à diverses reprises la bénédiction de l’église sur cet infortuné. N’ayant remarqué aucune amélioration, il dirigea parents et enfants vers notre cloître, dans la pensée que là peut-être le secours divin lui serait accordé.

Au premier abord, nous constatâmes chez cet enfant les étranges phénomènes signalés plus haut. Nous commencâmes par lui donner la bénédiction habituelle des malades. Il montra alors une telle agitation, ou, pour mieux dire, une telle rage et une telle fureur (solches Wuen und Toben) qu’on ne pouvait penser qu’à une chose : l’influence démoniaque. Il déployait, en outre, une force musculaire telle qu’il est impossible d’en voir une pareille chez un enfant de dix ans [p. 57] et que trois grandes personnes pouvaient à peine maîtriser. La guérison que les parents venaient nous demander et que nous avions nous-même vivement désirée ne fit pas obtenue. Laur douleur s’en accrut d’autant et ils rentrèrent chez eux inconsolables. Cependant ils ne perdirent pas courage ; ils songèrent que quiconque se confit au Seigneur n’en éprouve aucune honte et revinrent plein de confiance demander plusieurs fois (sept à huit fois) notre secours. Désireux de leur accorder, nous eûmes recours à tous les moyens. Nous donnâmes à cet enfant la benedictio a daemone vexatorum et nous fîmes, après en avoir obtenu la permission du P. Provincial Fr. Xavier Kappelmayr, l’exorcisation in satanam et angelos apostatas, telle qu’elle a été dictée par le pape Léon XIII le 19 novembre 1890, et cela souvent, mais le secours espéré ne fut pas obtenu. A plusieurs reprises nous envoyâmes les parents avec l’enfant à la célèbre Eglise des pèlerins pour demander la bénédiction du prêtre des pèlerinages. Malgré toutes ses tentatives, le résultat était nul ; le bon Dieu faisait attendre son aide, voulant sans doute manifester avec un éclat particulièrement brillant la force qu’il a donné sur la terre à ses prêtres.

Le 15 mai 1891, le vénérable évêque Pancrase d’Augsbourg était en visite chez le curé de la ville de Scheide, à Wemding. Le père du malheureux enfant, ayant eu connaissance de cette visite, demanda au vénérable évêque une audience qui lui fut accordée. Dès que le père entra avec son fils dans la salle d’audience, l’évêque en pleine conscience de sa force et de sa dignité épiscopale, se dirigea vers eux, en disant : « ce n’est pas moi que tu tromperas, esprit impur. » Néanmoins les phénomènes étranges ci-dessus mentionnés persistèrent toujours ? Quand le vénérable évêque donna la bénédiction, la tenue de l’enfant le convainquit qu’il n’y avait chez celui-ci aucune supercherie, bien plus que l’enfant était tourmenté par l’esprit immonde. Il faut ajouter – point extrêmement important pour les faits ci-dessus signalés dont nous P. Remigius, vicaire et P. Aurélian fûmes les témoins – il faut ajouter que quelques autres personnes (le père et la mère de l’enfant et d’autres assistants tant de leur pays que de Wemding et des environs, peuvent confirmer ces choses.

Chaque fois que l’enfant devait passer près d’une église ou d’un crucifix, près d’un monument érigé en l’honneur de la mère de dieu ou de quelque autre saint, arrivé à une distance d’environ trente pas, il devenait d’abord agité et tombait ensuite à terre comme inanimé. On le portait à une distance notable, de l’autre côté de ce monument pieux, et il pouvait dès lors continuer son chemin. En outre, nous avons nous-même, ainsi que des centaines de personnes, fait cette observation : à savoir que cet enfant montrait dans l’église une agitation effroyable, tout à fait étrange, au moment de la transsubstantiation et ne pouvait jamais élever vers l’autel ses yeux qu’il tenait constamment fermés. Ce malheureux resta près de six mois dans cette triste situation. Malgré toutes les prières, son état ne s’améliora en aucune façon, bien plus il devint de plus en plus pénible. C’est alors que le père écrivit au vénérable évêque d’Augsbourg pour lui demander l’essai d’un exorcisme solennel. Le 25 juin, il obtint l’autorisation demandée l’évêque se réservant la liberté de choisir le prête qui accomplirait ce lourd devoir. Le père dût s’adresser aux capucins de Wemding en [58] qui l’évêque avait la plus grande confiance. Le vicaire de Durrwangen et celui de Feuchtwangen avaient décliné un si lourde tâche, alléguant tous deux leur jeunesse et leur inexpérience en la matière.

Le 5 juillet, le vénérable vicaire de Durrwangen nous écrivit pour nous demander si nous pouvions entreprendre une exorcisation solennelle. Nous répondîmes par l’affirmative mais nous eûmes encore une difficulté à surmonter. Durrwangen apparient au diocèse d’Augsbourg et Wemding à celui d’Eichstaett. Le vénérable évêque ne pouvait nous donner aucune juridiction. Pour entreprendre « licite » l’exorcisme à Wemding nous avions besoin de l’autorisation de l’évêque Léopold Eichstaett. Elle nous fut accordée le 10 juillet. Ainsi armés des pleins pouvoirs de l’évêque nous mandâmes les parents et l’enfant, le 13 juillet, jour où commences l’exorcisation.

Exorcisme.

Exorcisme.

(B) EXORCISATIONS SOLENNELLE

       Anxieux mais confiants dans le secours divin nous entreprîmes, nous P. Remingués et P. Aurélian, l’exorcisme solennel, le 13 juillet à 7 heures du matin, pour la première fois. Au préalable, nous avions fait fermer l’église, d’un côté pour n’offrir aucune occasion à la curiosité publique dans cette première tentative, de l’autre pour n’avoir pas à rougir devant la foule, au cas où le malin voudrait révéler certains secrets, même mensongers, comme il l’avait fait au vicaire de Durrwangen quand celui-ci avait autrefois béni l’enfant. Toutefois nous laissâmes dans l’église, à titre de témoins, les parents du possédé, un certain marchand d’ici M. Pscherr, notre frère lai et le portier du couvent. Quelque temps avant le commencement de l’exorcisation, l’enfant se mit à souffleter ses parents d’une manière indescriptible. Nous dîmes de l’emporter dans le sanctuaire et alors se joua une scène véritablement horrible. D’abord quand on voulut exécuter notre ordre, le possédé se mit à pousser des cris effroyables « ein furchterliches Geschrei ». On aurait dit non la voix d’un homme, mais bien celle d’un animal sauvage. Ces cris étaient tellement violents que ce rugissement – l’expression n’est pas trop forte – fut entendu à plus de cent mètres en dehors de l’église du couvent, et tellement abominable que tous ceux qui les entendirent durent remplis d’horreur. Une telle scène laisse deviner quelle fut notre émotion. Et cependant la suite devait être encore plus effrayante. Quand le père voulut apporter son fils dans le sanctuaire il fut moins fort que son faible enfant. Ce faible enfant jeta son vigoureux père par terre avec une telle force qu’une profonde inquiétude nous saisit tous. Enfin, après une longue lutte, le père put l’apporter, grâce à l’aide des témoins sus-nommés et de notre frère lai Macarius qui déployaient toutes leurs forces. Par mesure de prudence nous lui fîmes lier les pieds et les mains avec de fortes courroies, mais il remuait ses membres comme s’il n’avait pas eu d’entraves. Après ces préparatifs, nous nous décidâmes à commencer l’opération pleins de confiance dans l’assistance d’en haut. Nous procédâmes à l’exorcisme selon le grand rituel d’Eichstaett, et exposâmes la sainte croix. Nous bénîmes l’enfant avec celle-ci et l’enfant se remit à pousser des cris affreux. En outre, il ne cessait de cracher sur la croix et sur les P. Remigius et Aurélian dans l’exercice de leurs fonctions [p. 59] Ces cris et ces crachements durèrent ininterrompus jusqu’au récit des litanies des saints. Ensuite nous récitâmes en latin les formules de l’exorcisme. Toutes nos questions restèrent sans réponse. Montrant le plus grand mépris pour nous, l’enfant crachait au visage à chaque demande. Le malin esprit voulait sans aucun doute, par ce mépris, nous forcer à cesser l’exorcisme, mais grâce à la force que Dieu nous avait donné nous ne nous laissâmes pas effrayer et poursuivîmes la cérémonie. Lorsque, conformément au rituel, nous passâmes l’étole violette autour du cou de l’enfant, nous pûmes dédaigner l’esprit immonde. Ce signe, en effet, qui exprime la puissance du prêtre, lui causa de monstrueuses douleurs qu’il exhala en hauts gémissements et soupirs. Le P. Aurélian répéta l’exorcisation, et les mêmes phénomènes se montrèrent. Jusque là, nous n’avions eu aucun résultat, mais notre confiance s’était accrue si grandement que nous avions l’espérance de chasser l’esprit impur. L’après-midi, à 2 heures, le P. Aurélian en présence du P. Remigius et des témoins sus-nommés recommença l’exorcisation dans le chœur. Avant le commencement de la cérémonie et pendant les litanies des saints, les mêmes scènes que dans la matinée eurent lieu. A la fin de l’exorcisation, lorsque je l’eus menacé de porter le St-Sacrement dans le chœur et de le forcer à adorer son maître, le diable s’écria plein de rage : l’enfant est possédé. Preuve évidente de la présence réelle de Jésus dans le St-Sacrement et preuve de la terreur que le diable a pour lui. Dans une exorcisation ultérieure, à cette demande si un seul diable possédait l’enfant, il répondit qu’ils étaient dix. Conjuré de quitter l’enfant, il répondit : « je ne puis pas ». Au cours de toutes les autres séances d’exorcisation, l’esprit impur se tint tranquille ; il se bornait de temps en temps à me cracher au visage avec mépris. Les douleurs qu’éprouvait le démon quand le menaçait du St-Sacrement, aucune plume ne peut les décrire : ses gémissements et ses soupires déchiraient le cœur. Toujours les phénomènes déjà décrits survenaient lors de la bénédiction avec la sainte croix et de la prière des saints. A toutes mes questions, il ne répondait rien, mais témoignait son mépris par les crachements incessants du malade sur ma personne et sur la croix. Ainsi, après plusieurs tentatives d’exorcisation, nous avions au moins obtenu ce résultat : le diable reconnaissait qu’il possédait l’enfant.

Le lendemain, 14 juillet, le P. Remigius dut aller à Wolfenstadt. Les PP. Angélicus et Joseph étant en mission à Bonissa, la lourde tâche incomba au seul P. Aurélian. Je l’entrepris avec une grande anxiété. Cependant, confiant dans l’assistance divine, dans le secours de la bienheureuse Vierge Marie, de tous les anges et de tous les Saints, tranquillisé par cette pensée que j’avais entrepris une telle tâche non de moi-même mais de par les pleins pouvoirs de deux évêques, j’avais l’espoir d’obtenir un résultat heureux ; et en réalité le bon Dieu me secourut en ce jour. Après la sainte messe, à 7 heures du matin, je commençais la cérémonie. Je laissai l’église ouverte. Etaient présents une grande foule de gens au milieu desquels beaucoup de pèlerins. Tous sont témoins des événements. Pendant la bénédiction avec la sainte croix, pendant les litanies des Saints, rage, fureur et crachements continuels. L’exorcisation commença. Durant la cérémonie, je plaçai sur la tête de l’enfant la Sainte Croix et [p. 60] sur la poitrine un petit reliquaire. Il est impossible de dépeindre la douleur que le méchant esprit devait souffrir. Le visage de l’enfant était déchirant ; sur ses traits se lisait la douleur. Dans ces conditions, je conjurai le diable presque pendant une heure. A diverses reprises je demandai à la foule de prier avec moi, car moi-même j’étais sur le point de désespérer. Ma prière fut enfin écoutée. Je menaçai encore le diable du St-Sacrement. Avec des grimaces horribles du visage, avec de hauts grimacements et avec des signes d’une vive douleur, adjuré d’abandonner l’enfant, le diable répondit « Non ». Je l’adjurai encore de le quitter, je lui ordonnai de la faire de par la force divine et u nom de la puissance que Dieu m’avait donnée. A cette demande et toujours au milieu des mêmes phénomènes, j’obtint cette réponse : « je ne puis pas ». Pour éviter les répétitions, je ferai remarquer que l’esprit malin répondait après de longues objurgations et au milieu des phénomènes effrayants déjà décrits. Je continuai à lui répéter d’abandonner l’enfant et de cesser une résistance inutile. Furieux, il s’écria : « Je ne puis pas ». Pourquoi ne peux-tu pas quitter le corps de cet enfant, demandai-je ? – Parce qu’elle le tient toujours ensorcelé, donna-t-il come raison. Je demandai qui, elle, une femme ? LA réponse fut : « Oui. Aussitôt, je demandai son nom. « Herz », répliqua-t-il. A ces mots, les parents du possédé se frappant la tête et pleurant s’écrièrent ; « cette femme est notre voisine ». Je l’interrogeai pour savoir si elle leur avait jeté le sort de la possession. Il dit : « Oui. » Pour quelle raison, continuai-je ? « Parce qu’elle était en colère » déclara-t-il. Cet enfant avait-il fait quelque mal à cette femme, achevai-je ? Non, répondit-il.

Dans les exorcisations répétées l’adjurant de quitter l’enfant, lui déniant le droit de tourmenter une créature de Dieu, il donna toujours et sans cesse la même réponse : « Je ne peux pas ». Quand on lui demande pourquoi il ne peut pas quitter cet enfant, il répond : « parce que cette Herz l’ensorcèle toujours ». – L’ensorcèle-t-elle encore maintenant. – Oui. – Ainsi, tant que cette femme continuera son sortilège, tu ne pourras pas abandonner l’enfant, demandai-je au possédé. – Oui. – Mais tu dois abandonner ce enfant, je t’en adjure, malgré que cette femme l’ensorcèle encore. Dieu est plus puissant que toi, et ma qualité de prêtre me donne barre sur toi. – Alors il s’écria très méchamment : « je ne peux pas ».

Je l’adjurai ensuite de me dire si et quand il quitterait l’enfant. Réponse : « je ne peux pas ». – Depuis combien de temps possédés-tu cet enfant, demandai-je. – Depuis une demi-année, répondit-il. – Cette réponse est juste ; en effet depuis six mois ce malheureux se trouve dans ce lamentable état.

Puis je l’adjurai de me dire pour quelle raison il tourmentait ainsi ce pauvre enfant innocent, sur lequel du reste il n’avait aucun pouvoir puisque l’enfant n’avait encore jamais commis aucun péché mortel. « Parce que je le dois, répliqua-t-il ». – Pourquoi, demandai-je aussitôt. – Parce que Herz l’ensorcèle toujours ; tant qu’il en sera ainsi je ne pourrai partir, répartit-il. – Comme je lui déclarais encore une fois qu’il devait néanmoins s’en aller, il répéta très méchamment : « Je ne puis pas ». – Mais il faut portant que tu t’en ailles, dis-je ; je t’adjure par le Dieu tout-puissant, de déclarer de suite et ouvertement [p. 61] quand tu t’en vas. – « Je ne sais pas », s’écria-t-il avec mépris. Enfin je dis au diable de me dire son nom et il répondit : « Je ne le sais pas ».

J’étais entièrement épuisé et très grandement ému : Ces exorcisations duraient depuis deux heures. Je terminai la séance. Mes souffrances durant ces jours, mes sentiments pendant et après l’exorcisation, je laisse à chacun le soin de les juger. Je veux seulement déclarer ceci, c’est que, après cette exorcisation, je fis la promesse de dire une messe d’actions de grâce en l’honneur de la mère de Dieu, de tous les anges et de tous les saints, si par leur intercession le bon Dieu daignait m’exaucer. Effectivement, dans l’après-midi, mes prières furent écoutées.

Plein de confiance comme le matin et encouragé par les nombreuses déclarations que l’esprit malin avait faites dans la matinée, je repris l’exorcisation, dans l’après-midi, à une heure, et cette fois-ci pour la dernière fois. Pendant la bénédiction cruciale et les litanies des saints ; l’enfant était encore agité mais les crachements avaient cessés. Usant des mêmes procédés que le matin, j’adjurai le diable d’avouer la franche vérité et de dire s’il voulait abandonner ce corps. Après de longues supplications, au milieu de gémissements et de soupirs douloureux, sur un ton passablement humble, il dit : « Oui ». Encouragé par cette réponse, je lui demandai au nom de Dieu, de la mère de Dieu, et de l’Archange St-Michel, s’il voulait le faire de suite. – « Oui. » – Alors pour la troisième fois, je l’adjurai de déclarer en pleine vérité s’il voulait s’en aller sur le champ. Il répondit un « oui » décidé.

Quand pour le dernière fois le diable eut avoué qu’il voulait quitter l’enfant, je l’adjurai de ne rentrer ni dans le corps d’une des personnes ici présentes ni dans celui de « la Herz » qui lui avait fait posséder l’enfant et de s’en retourner au contraire aux lieux que Dieu lui avait assignés. Après une pause, je lui posai cette question : « As-tu déjà abandonné l’enfant ». J’obtins comme réponse : « Oui ». – Ainsi que tes compagnons. – Oui. – Pour la troisième fois je l’ordonne de me dire l’entière vérité. As-tu avec tes compagnons quitté le corps de l’enfant ? – Oui, réplique-t-il. – Où es-tu maintenant ? Dis-je. – Dans l’enfer, répartit-il. – Tes compagnons aussi ? – Oui, répéta-t-il. – Au nom de la très sainte Trinité je te conjure pour la troisième fois, de faire connaître par un signe, si tes compagnons et toi êtes réellement en enfer. – Oui, nous sommes en enfer » répondit-il avec un accent horrible. Dans cette dernière réponse il semblait véritablement que la voix venait de l’enfer. Jusque-là le diable avait répondu sur un ton arrogant et insolent. Cette suprême réponse était pleine de tristesse.

Alors les larmes coulèrent en abondance des yeux de l’enfant, signe que le malin esprit l’avait réellement quitté. En effet, au moment où il me déclara pour la troisième fois qu’il était en enfer, il partait. Antérieurement il m’avait toujours menti. C’est du reste le père du mensonge. Je fis alors faire à l’enfant le signe de la croix, regarder le crucifix, prononcer les noms de Jésus, de Marie et de l’Archange St-Michel. Il le dit en pleurant à chaudes larmes. Je lui tendis la croix et les saintes reliques à baiser ; il les baisa en les couvrant de pleurs. Il récita ensuite le Pater noster et l’Ave Maria en poussant de profonds soupirs. [p. 62] Enfin j’achevai l’exorcisation. Cela fait, je plaçai cet enfant sous la protection de la mère de Dieu, en le revêtant du quadruple scapulaire.

Grand était la joie que nous ressentions tous. Our rendre hommage au bon dieu qui, par l’intermédiaire de son indigne serviteur, avait accompli cette merveille, je me dirigeai accompagné de l’enfant et des assistants vers le maître autel et entonnai le Te deum. Et puis je donnai la bénédiction avec le saint ciboire.

Le lendemain, mercredi 15 juillet, le matin à 5 h ½, eut lieu la messe solennelle d’actions de grâce avec rosaire, ainsi que je l’avais promis. Pendant la messe, l’enfant à genou sur un prie-Dieu dans le sanctuaire récité le rosaire, entouré de nombreux fidèles, en signe de reconnaissance. Et tous les yeux se mouillèrent de larmes, à la vue de cet enfant délivré de son mal.

Telle est l’histoire de cette difficile mission qui m’échut, du plus lourd devoir qui puisse incomber à un prêtre. Je dois au reste m’écrier avec le Psalmiste : « Ce n’est pas à nous, Seigneur, ce n’est pas à nous, mais c’est à votre nom que « honneur en revient ». Je ne puis pour ma part que remercier dieu et révérer l’infinie miséricorde qu’il a révélée si éclatante au sujet de cet enfant.

Giotto di Bondone ou Ambrogiotto di Bondon (vers 1267-1337).

Giotto di Bondone ou Ambrogiotto di Bondon (vers 1267-1337).

(C) Causes de la possession

       Le père de l’enfant est catholique, sa mère protestante. Ils vivaient ainsi sous un mariage mixte. Mariés dans la foi protestante, ils faisaient suivre à leurs enfants une école évangélique. Cependant le père fut un jour pris de remords : il voulut racheter ses fautes et envoya ses enfants à l’église catholique de Durwangen. Ce revirement excita la haine des protestants qui firent tous leurs efforts pour amener la ruine complète des meuniers. Ils leur demandèrent intérêt et capital de l’argent qu’il leur avaient prêté, ils ne vinrent plus à leur secours dans le besoin, ils ne firent plus moudre leur blé chez eux, pour les réduite rapidement à la mendicité. Et pour compléter leur malheur, la voisine Herz ensorcela leur enfant. L’enfant en effet a une fois déclaré dans une extase démoniaque qu’il avait été possédé après avoir mangé des « Hitzeln » (2) – une cinquantaine environ – que cette femme lui avait envoyés le mardi-gras. Ce pauvre enfant avait fréquemment de pareilles extases. Un jour, dans l’une d’elles, le diable disait qu’il habitait autrefois une idole dans une île ; il prédisait de grands malheurs à cette Herz dont les malédictions l’avaient fait entrer dans le corps d’un enfant qu’il serait bientôt obligé de quitter. Une autre fois, il disait : « Il vient maintenant une lettre de l’évêque ; il sera chassé ». Notre propre lettre, il l’avait annoncée aussi quelques jours avant.

Le père de l’enfant qui était venu nous voir plusieurs fois, mit ordre à la situation. Il se fit marier une nouvelle fis d’après le rituel catholique et ses enfants furent baptisés à nouveau. Toutefois le possédé, tant qu’il fut dans son triste état, ne put être baptisé ; il était pris d’une telle rage et d’une si horrible fureur que six hommes vigoureux ne pouvaient le maîtriser.

Si grand que fut en apparence le malheur de des apparents, la grâce divine fut [p. 63] encore plus grande. Le père devint de nouveau un fervent catholique ; les enfants étaient gagnés pour notre Eglise et la mère elle-même, vivant dans la religion protestante ne tardera pas à rentrer dans le giron de l’Eglise catholique. Qui n’admirera la sagesse de Dieu qui d’un tel mal a su tirer un si grand bien ?

(D) Phénomènes consécutifs à la possession

       L’enfant se montrait maintenant très gai et très joyeux. Pendant la possession il tenait constamment la bouche et les yeux clos ; on ne pouvait lui tirer aucune parole. Depuis il est devenu très parleur. Ses yeux d’enfant brillent si clairs et si innocents que c’est plaisir de s’y mirer. Durant la possession, il baissait sans cesse les yeux maladivement vers sa poitrine et avait des secousses non naturelles dans le corps. Après il revint à l’état normal. Pendant les cinq séances d’exorcisme, l’enfant tomba chaque fois dans une extase démoniaque « in einer daemonischen Ekstase » ; après chacune d’elles, il semblait à moitié mort, entièrement raide et comme sans vie « ganz starr und wie leblos ». Après la dernière exorcisation, le diable expulsé, l’enfant fut très tranquille et on ne remarqua chez lui aucun phénomène insolite. Au temps de la possession, il ne pouvait souffrir près de lui aucun objet sacré ; après la guérison, il prenait de ses propres mains la sainte croix et les reliques, les embrassait et s’aspergeait avec de l’eau bénite. Je dois faire ici une remarque. Chaque fois que j’aspergeais le possédé avec de l’eau bénite, il s’élançais furieux vers moi ; prenais-je de l’eau ordinaire – ce qu’il ne pouvait savoir – il demeurai tranquille. De même, si je prononçais une prière d’église en langue latine, il entrait dans une rage furieuse. Si je lisais au contraire un passage d’un classique, il me laissait lire tranquillement.

Après l’expulsion du diable, l’enfant s’approchait volontairement du maître-autel, examinant toutes les statues qui s’y trouvaient ; il se glissait de même et spontanément autour de l’autel, ainsi que nous et d’autres témoins peuvent le témoigner. Pendant la possession, la bénédiction avec la croix faisait tomber l’enfant dans une explosion de fureur ; après la guérison, il montra le plus grand respect pour le st-Sacrement. Durant la possession, il courait dans les bois, autour du pays, comme un animal sauvage, une grande partie de la journée et tout le monde le fuyait. Maintenant il se plait dans la solitude et tout le monde l’aime.

Le bruit de cet événement se répandit dans toute la contrée. Catholiques et protestants écoutaient étonnés cet événement qui tient du miracle. L’enfant en effet était connu à dix lieues à la ronde et personne n’a osé s’élever contre ces faits. Seul un parfait incrédule pourrait le faire. Quiconque viendrait nier de nos jours l’existence de la possession avouerait par là qu’il méconnaît l’enseignement de l’Eglise catholique. Celui-là croira à la possession le jour où il sera en enfer entre les mains du diable. Pour moi, j’ai l’autorité de deux évêques. Depuis le 3 août 1891, d’après les rapports du père et du fils, tout est normal chez cet enfant. Il visite maintenant avec amour et en catholique l’église catholique, prie avec ferveur, apprend bien à l’école – au cours de la possession il ne pouvait les fréquenter – et fait la joie de ses parents. Dans les trois [p. 64] premiers jours qui suivront l’expulsion du démon, il se passa des choses effrayantes dans la maison des parents : on croyait à chaque instant que la maison allait s’écrouler. Mais le quatrième jour, la tranquillité revint et elle existe encore. Le jour de l’Ascension de Marie, le père est venu avec son fils pour me remercier encore une fois. Mon cœur était content de voir cet enfant en pleine santé car la possession l’avait beaucoup fait maigrir.

Ce rapport a été écrit par le Père Aurélian qui chassa le démon, en éternel souvenir, pour les archives de la province d’Altoetting aussi bien que pour les archives du cloître de Wemding.

Wemding, le 15 août 1891.
P. Aurélian, capucin.

       Tel est le rapport intégral du P. Aurélian. La Gazette de Cologne envoya un de ses rédacteurs dans la région pour s’enquérir de ces événements. Le rédacteur constata que dans le pays à Wemding, personne ne doutait de ces faits. Il y avait seulement quelques différences dans les versions.

A l’origine de la maladie, les époux Muller s’étaient adressés au prêtre catholique de Feuchtwangen qui les avait envoyé au médecin du canton. Celui-ci avait porté le diagnostic d’hystérie. Lorsqu’il vit l’enfant pour la première fois, la mère lui dit : « dans une demi-heure ça va le prendre ». En effet, dans une demi)heure l’enfant se jeta sur un banc, frappant autour de lui des mains et des pieds. Si le médecin lui signifiait très énergiquement de rester tranquille, il obéissait à cet ordre. Mais ce praticien ayant déclaré aux parents que leur fils serait plus vite guéri dans un établissement spécial, ceux-ci décidèrent de ne pas le soumettre plus longtemps au traitement médical. « Il faudrait encore mentionner, ajoute le rédacteur de la Gazette, que le diable principal qui possédait l’enfant devait être d’origine bavaroise ou tout au moins qu’il était depuis longtemps acclimaté à la Bavière, car il empruntait l’idiome bavarois et disait par exemple i moag net pour ich mag nicht ». (3)

A. Souques.

Achille Souques [1860-1944].

Achille Souques [1860-1944].

 

NOTES

(1) Eine Teufelaustreibung in Baiern. (Koelnnische Zeitung, 8 mai 1892).

(2) On désigne sous ce nom, paraît-il, un mélange de fruits (pommes, poires et prunes) cuits et coupés en quartiers.

(3) Nous joignons à l’intéressant article de notre collaborateur un plan de la chapelle de Vallombrosa (Italie) dite des Bienheureux, dans laquelle on guérissait les possédés (PL. VII). On remarque de chaque côté de l’autel deux excavations où étaient placés se faisant vis à vis, l’exorciste et le possédé. Tous les deux restaient enfoncés là jusqu’au milieu de la poitrine, pendant trois heures après lesquelles le possédé était censé guéri (N. D. L. R.).

 

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