Un Succube à La Salpêtrière. Par Paul Regnard et Désiré Bourneville.

BPIRNEBILLESUCCUBE0001Nous publions ici un étonnant article paru sans signature. Les auteurs en sont Paul Marie Léon Regnard (1850-1927) et Désiré Magloire Bourneville (1840-1909), qui sont en même temps les créateurs et directeurs de l’Iconographie  photographique de la Salpêtrière, qui parut de 1876 à 1880, formant 3 volumes avec 120 planches hors-texte, que vous pourrez consulter ici dans les mois qui viennent. Via ces images et les textes qui les accompagnent les auteurs s’efforcent de rapprocher des cas qu’ils ont examinés à la Salpêtrière, de ceux des possédées et des extatiques d’autrefois.

Le sous-titre de succube n’est pas du tout adapté au sujet traité, il est même antinomique puisqu’il s’agit ici d’une patiente tourmentée par un incube. Nous donnons juste les définitions :

Incube (bas latin incubus, du latin classique cubare, coucher). Démon qui revêt une apparence mâle, généralement humaine, afin d’entretenir des rapports sexuels avec une femme.
Succcube (bas latin succuba, du  latin classique cubare, être couche) : Démon qui revêt une apparence femelle, généralement humaine, afin d’entretenir des rapports sexuels avec un homme.

Pour ce qui de l’histoire détaillée des incubes et des succubes nous renvoyons à notre article paru en 1987 (a). C’est jusqu’aux années 1810-1820, que le langage médical abandonne lentement le terme d’incube pour lui préférer celui de cauchemar. C’est en fait la thèse de Dubosquet, élève d’Esquirol, qui marque l’abandon du terme d’incube. Alors que Calmeil, Maury et Macario admettent que le cauchemar est le plus souvent coenesthésique, soit une projection de l’organe souffrant, nos auteurs reprennent ce terme de succube pourtant abandonné par Dechambre dans son Dictionnaire des sciences médicales (1821).

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’ouvrage. – Par commodité nous avons renvoyé les notes originales de bas de page en fin d’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original, mais nous avons corrigé les fautes de composition.
 – L’image est celle illustrant l’article original. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

[p. 202]

 

OBSERVATION IV

 Succube

Sommaire. – Début des visites nocturnes. – Transformation de M. X…Camille. – Détails sur les visites. – Tentations faites pour démontrer à la malade d’insanité de ses récits. – Amour et haine. – Idées mélancoliques : refus de manger, mutisme. – Influence de la compression ovarienne. – Avortement prétendu. – Disparition de l’anesthésie, de la rachialgie, et de l’ovarie à la suite d’attaques et d’émotions vives.

En rapportant l’histoire (t) d’une des hystéro-épileptiques les plus intéressantes du service de M, Charcot, Geneviève, nous avons mentionné les singulières hallucinations qu’elle éprouve pendant la nuit et qui l’auraient fait considérer, il y a moins de deux siècle, comme une possédée, Nous croyons devoir compléter les renseignements que nous avons donnés précédemment et, de plus, signaler quelques particularités curieuses au point de vue de la disparition et du retour de l’anesthésie.

Les visites nocturnes de son amant imaginaire ont commencé il y a bientôt deux ans. Selon elle, M. X… venait la nuit [p. 203] voir sous prétexte de faire des expériences et surtout afin de s’assurer si elle sentait génitalement. Tout d’abord, elle résista, jugeant criminel d’avoir des rapports avec un homme marié. Fatiguée de l’insistance de M. X …. elle a fini par lui céder deux ou trois fois;  puis, elle a refusé toute nouvelle relation. Alors, M. X…, pour obtenir son acquiescement, lui dit : « Je suis ce Camille que lu regrettes tant, que tu pleures depuis si 1ongtemps ! » Celle déclaration l’a rendue si heureuse qu’elle a consent à avoir des rapports sexuels.

1877, 18 octobre. – Cette nuit, G… a reçu la visite de M. X…. On rit de ses prétentions ; telle se fâche et prend à témoin Dieu et les hommes que « c’est vrai. » On a remarqué qu’elle dormait très-peu.

30 octobre. – G… est en cellule, assise sur le bord de son lit, habillée de vêtements sombres ; elle est profondément triste, le visage est décomposé. Elle refuse de manger, ne veut parler à personne. Nous la faisons coucher et nous pratiquons la compression : G… se réveille. – « Vous me faites mal, dit-elle. » – Qu’avez-vous ? – « Je ne puis le dire, cela m’est défendu ! » Elle pleure, puis elle reprend : « S’il m’avait au moins laissée dans l’incertitude ! » – Tout ce que nous en tirons, c’est qu’elle a vu M. X… cette nuit, qui lui a répété encore « qu’il était son Camille et qu’il avait disparu du pays (Loudun),
 parce qu’elle était malade. » – La compression s’étant exercée, G… retombe dans son immobilité et sa tristesse. Dans la journée, elle a pleure abondamment.

Novembre-décembre. – Mêmes phénomènes. La tristesse lient à ce que M. X… lui a déclaré qu’il était mécontent de l’avoir retrouvé et qu’il voulait se défaire d’elle. « Est- ce drôle, dit-elle, qu’il s’acharne comme ça après moi ? » – La nuit, elle a toujours la visite de M. X… Ils ont des rapporta sexuels répétés dans lesquels elle assure sentir comme autrefois ; elle est toute en sueur et les parties génitales sont humides.

1878. Janvier-août. Les relations nocturnes continuent, jusqu’à six reprises chaque nuit : c’est pour ce [p. 204] motif qu’elle est si fatiguée, si pâle, si abattue le matin,

14 septembre. – Elle jure que M. X … la visite toujours ; cependant, il n’est pas venu la nuit dernière,. afin de la laisser reposer ; aussi est-elle moins fatiguée. M. X… lui fait remarquer qu’elle est insensible par tout le corps. – « Ah 1 c’est vrai, mais pas pour tout le monde…, tu le sais bien. »

Elle ajoute que M. X … lui a promis de l’épouser dès que sa femme serait morte. Sur les dénégations ironiques de M. X…, elle s’écrie : « Est-il possible de se dédire ainsi.., d’oublier le jour ce qu’il dit la nuit ! » – Sa physionomie change selon les sentiments qu’elle éprouve.

A la remarque que M. X… n’est pas le père de son enfant, elle répond : « Il vaudrait mieux qu’il m’en fasse un ; mais il n’y a pas de danger; il prend ses précautions. »

Avant M. X… , ne lui eût déclaré, la nuit, qu’il était Camille, elle s’en doutait déjà ; elle était frappée de sa ressemblance avec Camille, mais cela lui paraissait impossible.

10 octobre. – M. X… n’est pas venu depuis trois nuits. . C’est ce qui l’afflige et c’est pour cela qu’elle a été malade hier : De 4 à 9 heures, attaques épileptiformes, attaques de contractures, attaques de crucifiement.  Ce matin, elle est allée se rouler dans la cour, par la pluie, On l’a fait rentrer et nettoyer. Elle prétend que Camille va venir la chercher et l’emmener au bain. « Je crois, dit-elle, que je suis enceinte. » Puis, elle est absorbée, mélancolique. Elle sort brusquement de ctte absorption, en poussant un cri aigu, sauvage et en se cognant violemment au fauteuil sur lequel elle est assise (secousse). Interrogée sur la cause de ce cri, elle répond qu’elle ne peut pas le dire. Puis, elle ajoute : « Une misérable créature comme moi ne mérite aucune pitié … Lui n’en mérite pas davantage. Mats, il est plus utile que moi à la société … Moi, je ne sers qu’à donner de mauvais exemples.»

23 octobre – Contractures, agitation, cris dans l’après-midi du 22. Ce matin, elle s’est couchée par terre dans la cour, Ensuite, elle s’est levée, promenée, la tête encapuchonnée, refusant de parler, ayant l’air triste. Par la [p. 205] compression nous parvenons à la faire causer et à lui faire poser, par M. le Dr Casse (de Bruxelles) un certain nombre de questions sur la maison de Louise Lateau et les maisons environnantes. Les détails qu’elle donne sont, parait-i1, exacts (1).

26 octobre. – Elle assure que M. X… vient la trouver à minuit, qu’il reste avec elle pendant une heure environ, qu’elle est amoureuse comme une chatte et lui comme un chat ; qu’ils ont de nombreux rapports. Aux objections qu’on lui fait sur l’impossibilité de semblables visites, elle répond que le directeur est de connivence avec M. X … , que le concierge a le mol de passe, que la surveillante de nuit laisse la porte entr’ouverte. « Comme il y av d’autres hommes dans la maison, ajoute-t-elle, on ne s’aperçoit de rien. » Elle met une chaise à côté de son lit, pour que M. X … dépose ses habits; elle a de l’eau dans un bassin ….

On se moque d’elle, on fait ressortir le ridicule de ses idées, elle s’excite peu à peu et soutient énergiquement que M. X… est Camille, qu’ils sont du même pays. M. X… lui dit qu’il est né il Paris et non pas dans son sale pays, rien n’y fait. Elle nous confie que, le matin, après ses nuits amoureuses, elle est fatiguée et souffre au niveau des ovaires. Dès le matin, sa toilette faite, elle coud sa chemise, craignant, dans ses crises, de se découvrir.

31 octobre. –  Elle est jalouse d’une autre malade A…, dont on s’occupe au point de vue des recherches sur le magnétisme, l’hypnotisme, etc. (2).

M. Charcot lui a adressé une vive réprimande. Elle en a été profondément mortifiée. Sous l’influence de cette vive émotion, la rachialgie a complètement disparu et on ne peut plus provoquer d’attaques (3). – En temps ordinaire, quand la malade [p. 206] allonge les bras et les roidit en tendant le tronc, elle rend plus difficile la production d’une attaque; quelquefois même, lorsqu’elle prend cette position, les tentatives échouent.

18 novembre.G … a pleuré cette nuit. Elle reçoit toujours les visites de M. X…, mais il y a souvent des disputes entre eux, de telle sorte qu’elle est partagée entre l’amour et la haine. Elle est encore très-vivement contrariée d’avoir eu le dessous dans sa lutte contre A … La vue de M. X… le matin, à la vérité, ne lui produit plus une impression aussi forte ; elle ne devient plus pâle comme autrefois, n’a plus de battements de cœur aussi violents – Les règles ont paru du 9 au 10 novembre et du 26 au 27.
Les visites nocturnes sont quelquefois agitées par des discussions violentes. M. X…, lui adresse des reproches. De là, ses tristesses, le costume bizarre qu’elle revêt, le long voile noir dont elle se couvre. (Pl. XXXIX) [voir-ci-contre].

30 novembre. –  En revenant de ses attaques d’hier, G… s’est aperçue qu’elle sentait. Nous constatons, en effet, le retour de la sensibilité par tout le corps, et le la disparition de la rachialgie. Le ventre n’est plus douloureux. Enfin, G… déclare que M. X …, ne lui rend plus de visites nocturnes.

1et et 3 décembre. – On a noté des oscillations entre l’anesthésie et la sensibilité à diverses reprises.

9 décembre. – La sensibilité est normale des deux côtés (peau, muqueuses, sens), G… est un peu excitée, dit que, elle, elle n’exagère pas son hystérie qu’elle a depuis son enfance, qu’elle veut guérir, qu’il faut qu’on la laisse tranquille, parce que la vue des hommes excite les hystériques, Elle reconnait que M. X… n’est pas Camille.

12 décembre. – Persistance de la sensibilité. Le sommeil est très-court (2 ou 3 heures).

13 décembreG… a eu 23 attaques épileptiformes. – À 2 heures du malin, elle a retiré sa chemise, voulant se sauver, On l’a recouchée et rechemisée ; elle a été tranquille jusqu’à ce matin, 10 heures, A ce moment, elle s’est levée, habillée et est aillée se coucher dans la cour, Elle était triste, ne voulait pas parler et avait une contracture du poignet gauche.

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[p. 207] L’aimant est appliqué auprès du poignet droit ; au bout d’une douzaine de minutes, la contracture disparait. gauche et s’empare du poignet droit. L’expérience ne peut être poursuivie, parce que G… est prise d’attaques. On les arrête par la compression ; G… revient à elle, conservant sa contracture artificielle ; elle divague, raconte que Camille est encore venu la visiter cette nuit, et comme elle ne voulait pas céder à ses désirs, il l’a mordue à l’avant-bras gauche. (Elle présente là, en effet. une morsure profonde, qu’elle s’est faite elle-même dans ses attaques d’hier.) Ils ont eu trois fois des rapports. Elle en est mécontente, son confesseur lui ayant défendu d’écouler les propositions de Camille, puisqu’il est marié. « Mais, ajoute-t-elle, je veux être sa femme, je ne veux pas rester ici. Je l’aime et je le hais à la fois… J’en avais bien besoin … Ça été plus fort que moi… J’ai fini par lui céder. » Elle dit qu’elle a voulu s’en aller avec Camille, qui s’y est refusé, l’a mise toute nue et l’a traînée par terre. » « C’est lui qui m’a ridée, vieillie, amaigrie par tous les chagrins qu’il m’occasionne… J’ai rait une fausse couche, il y a quelques jours. » (Les dernières règles ont été très-abondantes, et G… a rendu des caillots.)

L’anesthésie totale, la rachialgie et l’ovarie ont reparu.

18 décembre. – G… est toujours insensible (10 heures}. Elle vient au laboratoire et, comme elle est insupportable, M. Charcot la renvoie. C’est, pour elle, une grave insulte; elle est vivement contrariée, elle pâlit étrangement, les traits sont altérés : elle a tout à fait l’aspect d’une personne sous le coup d’une colère concentrée. –A 11 heures, nus remarquons que, sous l’action de l’émotion qu’elle vient de ressentir, la sensibilité est entièrement revenue, que la rachialgie n’existe plus, et qu’il est impossible de provoquer des attaques.

19 décembre. – G… a pleuré pendant toute la nuit. La sensibilité est conservée.

G… est contente d’être en cellule, parce que M. X… est plus sûr de n’être pas dérangé dans ses visites. – Elle a eu soin de choisir, dans la salle, un coin, et de n’avoir pour voisines que des malades très-dormeuses : « Elles dorment [p. 208] comme des souches. » Un jour, M. Le Bas, directeur de la Salpêtrière, lui ayant dit qu’elle avait l’air fatiguée, G…, faisant allusion à la connivence qui, d’après elle, existe entre le directeur et M. X…, répartit : « Si vous ne le laissiez pas entrer si souvent, je ne serais pas si fatiguée.

28 décembre. – Les visites continuent : tantôt il y a de violentes querelles ; tantôt tout se passe bien ; les rapports sont multipliés ; elle éprouve plus de volupté qu’elle n’en a jamais eu avec les autres hommes et Camille déclare, de son côté, qu’il n’a jamais ressenti autant de jouissance qu’avec elle……

I. –  L’histoire de Madeleine Bavent, l’une des principales victimes de la possession de Louviers, nous fournit de nombreux points de comparaison avec celle des malades de la Salpêtrière et en particulier avec celle de Geneviève.

Madeleine était sujette à de fréquentes hallucinations de la vue. « Le Démon, dit-elle, m’apparut pour la première fois sous la figure d’un chat de la Maison, qui mit deux de ses pates sur mes génoux et les deux autres sur mes épaules, et approchant sa gueule assez près de ma bouche, avec un regard affreux sembloit me vouloir tirer la communion (4).

« …J’y ai veu assez souvent comme un petit cerf-volant arresté sur la petite grille fort noir, qui se jettoit sur mon bras quand je voulois commencer à parler, me [p. 209] pesoit autant qu’une maison; me frappoit la teste contre les parois; me renversoit par terre au parloir. Si je changeois de place, en espérance d’estre plus libre, je ne le voyois pas néant moins toujours, et cela n’empeschoit pas que je ne fusse mal-traittée, jusques à faire compassion, et donner de la pitié aux personnes. Les coups qu’on me donnoit estoient oüis, et on me voyoit toute meurtrie et livide ; toute noire et plombée ; toute gâtée et mal accommodée, sans sçavoir d’où pouvoient venir mes « battures ; (Loc. cit., p. 30.)

Les hystériques, fait souvent relevé par M. Briquet, M. Charcot et par nous, ont des hallucinations à peu près analogues à celles qui caractérisent le délire alcoolique, en ce sens qu’elles voient des animaux (chats, rats, serpents, insectes) ou des bêtes monstrueuses. Les citations qui précèdent et la suivante témoignent que Madeleine Bavent est tout à fait dans la règle :

« Elle raconte un de ses « enlèvements » : Je reconnus le lieu, et vis bien que j’étois au Ménil-Jourdain : Boullé (le vicaire) et sa grande amie y parurent, et nons estions auprès du cadavre de Picard, où je vis une beste effroyable grande comme un cheval ; et je croy que c’est la mesme qui parut après en l’air vers la Court de la Maison de Louviers, et qui fit de si horribles cris… » (Loc. cit., p.30.)

D’autres fois, aux hallucinations de la vue s’ajoutent, [p. 210] chez Madeleine, des hallucinations de l’ouïe : « J’entendis de mon lict une voix, comme de quelqu’une des Religieuses qui m’appeloit. Il pouvoit estre près d’onze heures, et j’avois dormi, je me levay, m’en vay vers la porte de ma Cellule, et incontinent je me sens enlevée sans sçavoir par qui, ny comment, perdant toute connoissance pour lors, jusques à ce que je me vis en certain lieu, qui m’est inconnu, où il y avoit plusieurs Prestres et quelques Religieuses ; et je me trouvay auprès de Picard (5). Il me parle aussitost et me dit : Hé bien, mon cœur, t’avois-je pas dit avec vérité, que nous nous verrions aujourd’huy ? etc, (P. 25.)

Madeleine assure qu’on la venait toujours appeler’ pour aller au Sabat, de même que Geneviève prétend que M, X… l’appelle pour aller le trouver soit dans une autre partie de l’hôpital, soit même à l’extérieur,

Autre caractère; le délire de Madeleine, ainsi que celui de nos hystériques, repose sur des scènes de la vie réelle : elle voit au Sabat des religieuses de sa communauté, pratiquant avec le Démon « les mesmes nuditez et ordures spécifiées de la Maison (6).

Les hallucinations génésiques, que nous avons signalées et décrites avec discrétion chez Geneviève, se [p. 211] sont reproduites bien des fois, et sous diverses formes, chez un grand nombre de « Possédées. »

« Le démon qui fut expulsé par St-Bernard avait imposé pendant six ans ses impures caresses à la même personne ; une fille âgée de 18 ans, qui fut brûlée à Cerdène, se prostituait à un esprit ; la sorcière qui fut brûée en 1556, dans le voisinage de Laon, partageait son lit avec Satan…(7). »

D’après Delancre, les démonolâtres « ont trouvé le moyen de ravir les femmes d’entre les bras de leurs époux, et faisant force et violence à ce saint et sacré lien du mariage, ils ont adultéré et joui d’elles en présence de leurs maris, lesquels comme statues et spectateurs immobiles et déshonorés voyaient ravir leur honneur sans y pouvoir mettre ordre : la femme, muette, ensevelie dans un silence forcé, invoquant en vain le secours du mari, et l’appelant inutilement son aide ; et le mari charmé et sans aide lui-même, contraint de souffrir sa honte à yeux ouverts et à bras croisés. »

Jeanne Herviliers, dont la mère, poursuivie comme démonolâtre, avait été brûlée vive à Senlis vers 1548, « déclara qu’elle avait été vouée à Beelzébuth au moment même de sa naissance ; qu’à l’âge de 12 ans, elle avait commencé à se prostituer à un diable qui se présentait à [p. 212] botté, éperonné, l’épée au côté, et qui était toujours prêt à lui prodiguer ses faveurs aussitôt qu’elle ressentait quelque désir. Personne n’apercevait jamais ce singulier amant qui s’introduisait depuis plus de 30 ans dans le lit conjugal sans que le mari de Jeanne se doutât de ses assiduités. Un jour, cet incube proposa à l’accusée de la rendre mère d’un petit démon ; mais elle ne crut pas devoir se prêter à un pareil désir » (8), •

Les hallucinations génésiques, l’accouplement avec le diable, ont torturé également l’infortunée Madeleine Bavent. Nous les décrirons avec détails par ce qu’elles .se rapprochent beaucoup des hallucinations de Geneviève :

« Mais, dit-elle, entre les choses principales qui me sont arrivées, il y en a une qui me donna beaucoup de peine, de douleur, et de confusion, et qui m’en donne encore et m’en donnera tant que je vivray. Je pense avoir dit que les Démons m’affligeoient avec cruauté, me battoient en ma cellule, et en d’autres endroits ; me jettoient en terre, et me laissoient assez peu en repos : Mais j’étois bien plus importunée du Démon, qui me suivoit presque partout sous la forme d’un chat. Car ce chat infernal à peine me permettoit-il de manger ; et il m’ostoit tout de devant [p. 213] moi ; me le tiroit mesme hors de la bouche, et vouloit tout avoir … Mais voici bien quelque chose de pire. Il m’est arrivé par deux fois d’avoir rencontré entrant dans ma cellule, ce maudit chat sur mon lict en une posture la plus lascive qui se puisse dire, et portant tout le semblable des hommes. Il m’effraya, et je pensay à m’échapper ; mais en un moment il saute vers moy, m’abat violemment sur le lict, et joüit de moy par force, me faisant sentir des toumens étranges… » (Loc. cit., p. 61.)

C’est au Sabat que Madeleine avait le plus fréquemment des rapports sexuels : ils s’opéraient d’ordinaire avec le curé Picard qui, en réalité, l’avait pour maîtresse.

« Je dis donc que la malice des Prestres principalement qui se trouvent à ces assemblées nocturnes, va jusques à ce poinct, d’y apporter souvent de grandes Hosties consacrées à l’Eglise, lesquelles ils posent sur une forme d’Autel, qui y est, puis disent leur Messe, les reprennent après, lèvent le rond du milieu de la grandeur d’un quart d’écu ; les appliquent sur un velin ou parchemin percé et accommodé de la mesme sorte, les y font tenir avec une sorte de graisse qui ressemble à de la poix ; les passent ensuite à leur partie honteuse jusques près le ventre, et s’adonnent en cet état à la compagnie des femmes. Certainement telles actions méritent d’estre oubliées plustost que remémorées. Mais comme je fais icy ma [p. 214] confession générale, je n’y dois pas taire un de mes plus énormes crimes, puis que ce malheureux Picard m’a connuë de la sorte en ces lieux d’iniquité…. » » (Loc. cit., p. 44.)

Et ce n’était pas seulement avec le démon sous forme de chat et avec le curé Picard que Madeleine avait des rapports sexuels, ceux-là imaginaires, mais encore avec un autre prêtre :

« Boullé, Vicaire de Picard, a eu une fois ma compagnie en ce lieu là (le sabat), par l’ordre et le commandement de Picard, qui dit qu’il falloit que cela fust, et qui me tenoit les mains pendant que se commettoit cette ordure, .. » (Loc. cit., p. 48.)

Le délire de Geneviève, au fond, ressemble tout à fait à celui de Madeleine Bavent. La seule différence est celle-ci : Madeleine, le plus souvent, était enlevée au Sabat, c’est-à-dire que les rapports avaient lieu, dans son imagination, en dehors de sa cellule ; tandis que le démon de Geneviève, M. X…  vient, d’habitude, la trouver dans son lit même, Toutefois, G… elle aussi, a été enlevée. Voici comment elle s’exprime elle-même, dans une lettre adressée à Mme X., …

Salpêtrière, 23 décembre 1878.

Madame,
Ah ! Madame, puissiez-vous me pardonner, car je suis bien coupable envers vous ; car je vois que vous savez tout ; je vais être franche à votre égard, je vais tout vous avouer. Rappelez-vous du soir le 15 août, cette femme voilée que vous avez vue sortir de votre chambre, à qui vous avez livré passage. Eh ! Bien, c’était moi. Et je vous que vous m’avez reconnue et vous m’avez laissé passer, tandis que vous auriez pu me faire arrêter comme une vile créature que je suis et [p. 215] vous avez gardé le silence, tout étant ma rivale. Je ne puis m’empêcher de vous trouver le cœur noble et généreux d’avoir le courage de me parler quand vous venez à la division. Mais ne lui faites jamais sentir ; que son union soit bénie et que moi je reste malheureuse toute ma vie puisque c’est là ma destinée. Et si encore après avoir empoisonné mon existence, il me laissait vivre en paix, je ne me trouverais pas si malheureuse ; car ce que vous avez vu se passer dans votre chambre à coucher, ce n’est pas tout, presque toutes les nuits il vient me trouve, me solliciter jusqu’à tant que je cède. Quand je ne veux pas, il me mord comme un enragé qu’il est et il me traîne dans la cour. Vous avez pu vous en rendre compte, car vous avez vu ses cruelles morsures toutes fraichement faites et ce ne sont pas les premières, car je n’en manque pas sur le corps. Il a été jusqu’à me brûler avec des allumettes dont je pourrais vous montrer toutes les cicatrices si vous ne me croyez pas…

Geneviève – et cela n’est pas rare chez les hystériques, se déshabille entièrement, soutenant ensuite que c’est M. X … qui lui a enlevé sa chemise. Même phénomène chez Madeleine Bavent :

« Je sortois de ma Cellule, dit-elle, et rencontray la Mère Sainte-Geneviève, qui me dit : Entrez un peu en cette chambre, pour rester avec ma sœur Barré jusqu’à ce que je revienne. Elle étoit pour lors sur un lict, et commence à me dire en riant assez fort, Tu n’es pas toute seule. Et qui est avec moy ? lui dis-je, elle me répondit, le Diable est auprès de toy. Je luy demanday, en faisant le signe de la Croix, En quelle forme ? Elle me répondit, De jeune homme tout nud. Je luy dis, C’est un vilain, je le renonce. Tais toy, tais toy, me dit-elle, il sera bientôt vétu. La Mère de Sainte-Geneviève étant de retour, je sors, et dès que je fus sortie la porte de la [p. 216] chambre, en me dépouilla toute nue, sans que je visse personne, et m’enfuis promptement en ma Cellule, où j’appelay du monde… » (Loc. cit., p. 79.)

Nous avons dit (p, 162, c) que Geneviève avait des gestes, des attitudes lubriques, qu’elle s’offrait. C’est ce que faisait Madeleine Bavent dans la prison de l’évêché d’Evreux : « Après en dépit de luy (Jésus-Christ), j’invoquois les Démons, je me promettois à eux de bon cœur, et m’y donnois intérieurement : je les conviay à prendre mon âme et mon corps, et à emporter tout : Je les sollicitois par mes postures sales à jouir de moy, si cela servoit de quelque chose pour les attirer… » (Loc. cit., p. 86.)

La maladie se traduisait donc chez Madeleine Bavent par des symptômes identiques à ceux que nous avons enregistrés chez les hystériques de la Salpêtrière. Entre Geneviève surtout et Madeleine Bavent, il n’y a pas de différence sérieuse. Ni l’une ni l’autre, d’ailleurs, n’avaient leur virginité. Madeleine, a dit que, à 14 ans « un surnommé Bontemps, Religieux Cordelier… l’avait tellement attirée qu’il avait eu sa compagnie charnelle diverses fois. »

Peu après, au couvent de Louviers elle devint tribade : le directeur, le curé David, accoutumait les religieuses à « se toucher les unes les autres impudiquement… (9), » et à communier dépouillées toutes nues jusqu’à la ceinture (10). David mort, son successeur le curé Picard, lui [p. 217] témoigna, dès sa première confession, un amour passionné « et il commença de me vouloir caresser et mesme toucher impudiquement… » Et d’ordinaire, dans les autres confessions « il me tenait sans cesse les mains sur les parties honteuses… » Enfin, Madeleine eut des rapports réels avec le curé Picard (11).

Un dernier point doit être mentionné. Geneviève a prétendu un jour avoir fait une fausse couche. Dans son interrogatoire, Madeleine Bavent confesse « qu’elle a eu habitation au Sabat avec diverses sortes de personnes, dont elle est dvenue enceinte et en suitte s’est provoquée à des décharges qui ont esté réelles et effectives, parce qu’il y ayoit des enfans formés, ainsi qu’elle a auoüé (12).

II. – Le délire hystérique n’a pas toujours pour fondement l’amour charnel. Chez certaines malades, le délire est, à la variété précédente, ce que l’amour platonique est l’amour physiologique. Chez A… (Obs. III), il avait, à l’origine, un cachet naïf, en quelque sorte virginal, [p. 218] sans aucune apparence de lubricité. Dans toutes nos observations, dans celles que nous avons empruntées à l’histoire des hystériques des siècles passés, on constate que le milieu social, l’éducation, la vie antérieure, exercent sur le délire, sur les hallucinations une action profonde.

Marguerite-Marie Alacoque nous en fournit un nouvel exemple. Raconter sa vie par le menu exigerait des développements que ne comporte pas l‘Iconographie : c’est là une tâche que nous entreprendrons peut-être un jour. Pour le moment, nous nous bornerons à quelques citations destinées à mettre en relief les traits principaux de sa maladie (13).

La Bienheureuse Marguerite-Marie Alacoque est née en 1647, l’année même du procès de la Malheureuse Madeleine Bavent. Dès son enfance, elle s’adonna avec ardeur aux pratiques de la religion, des austérités et des macérations par jeûnes, chaines de fer, ceintures, etc. Elle passait les nuits en prières. Vers l’âge de 15 ans, elle fut sujette à des hallucinations de la vue : Jésus-Christ lui apparut « sous la figure ou de crucifié, ou d’Ecce Homo, ou portant sa croix (14). Elle se sentait tellement absorbée devant le saint Sacrement qu’elle y aurait passé les jours et les nuits sans boire ni manger. [p. 219] « Je ne savais bonnement ce que j’y faisais, sinon que je me consumais en sa présence comme un cierge ardent pour lui rendre amour pour amour.

Quand elle eut t7 ans, sa mère, voulant la marier, la conduisit dans le monde. Par obéissance, elle cédait. « Mais au milieu des compagnies et des divertissements, ce divin amour me lançoit des flèches si ardentes, qu’elles perçoient mon cœur de toutes parts et le consumoient. La douleur que j’en sentois me rendoit toute interdite ; et cela ne me suffisant pas encore pour détacher un cœur aussi ingrat que le mien, je me sentois comme liée avec des cordes et tirée si fortement, qu’enfin j’étois contrainte de suivre Celui qui m’appeloit. Il m econduisait en quelque lieu retiré, où il me faisoit de sévères réprimandes. Hélas! il paroissoit jaloux de ce misérable cœur ! » (Loc. cit., p. 80.)

De là, des luttes entre le mariage terrestre et le mariage céleste. Notre Seigneur lui vint en aide : « Un jour, dit-elle, après la sainte communion, il me fit voir qu’il étoit le plus beau, le plus riche, le plus puissant, le plus parlait et accompli des amants ; et que lui étant promise, d’où venait donc que je voulois tout rompre avec lui ? » (Loc. cit., p. 92.)

A 24 ans, elle entre en qualité de novice au couvent de la Visitation de Paray-le-Monial. Au jour de son noviciat, Jésus lui dit : « C’est aujourd’hui le jour de nos fiançailles. » Bientôt, on remarqua qu’elle était [p. 220] la plupart du temps absorbée comme s’il n’y eut plus eu que son corps sur la terre. Les visions devinrent peu à peu plus fréquentes. Jésus « l’honorait de ses entretiens quelquefois comme un ami ou comme un époux passionné d’amour, ou comme un père blessé d’amour pour son enfant unique et en d’autres qualités. » Elle avait sans cesse devant les yeux l’objet invisible de son amour. Elle le contemplait, elle l’écoutait ; elle vivait sous le charme d’une vision perpétuelle qui la faisait jouir de son céleste époux. Elle chantait en travaillant :

Plus on contredit mon amour,
Plus cet unique bien m’enflamme !
Que l’on m’afflige nuit et jour,
On ne peut l’ôter de mon âme.
Plus je souffrirai de douleur,
Plus il s’unira à mon cœur !

Ce qui étonnait les sœurs, c’était cette sorte d’absorption dont il fallait constamment tirer Marie Alacoque. Elle passait de longues heures à genoux dans la chapelle ou dans sa cellule, le visage lumineux, les yeux pleins de larmes … Tout lui tombait des mains… Son visage était tour à tour étincelant comme un astre, ou accablé et comme anéanti.

Pas plus, d’ailleurs, que les amours de Geneviève et de M. X… , les amours de Marguerite-Marie et de Jésus n’étaient exempts d’orages. Jésus lui adressait des reproches « et cela d’un ton tel, qu’il n’y a pas de douleurs [p. 221] et de supplices qu’elle n’eût préférés. » Jésus était jaloux. « Comme elle s’était tendrement attachée à une de ses compagnes du noviciat, avertie intérieurement que cette douce liaison contristait l’amour jaloux de son divin maître, elle résolut d’en tirer son cœur. »

A 23 ans, « elle entra dans sa grande retraite pour se préparer à ses saints vœux. Dès le second jour, l’absorption devint telle, qu’on dut modérer un peu le grand brasier d’amour qui la dévorait. » Le 6 novembre 1572, Marguerite-Marie prononça ses vœux. N.-S. lui apparut et lui dit : « Jusqu’ici, je n’étois que ton fiancé, à partir de ce jour, je veux être ton époux. » Il lui promit de ne plus jamais la quitter, de la traiter comme son épouse et il commença à le faire « d’une manière, dit-elle, que je me sens impuissante à exprimer, et dont je dirai seulement qu’il me parloit et me traitait comme une épouse du Thabor. »

Durant quelque temps, les amours de Jésus et de Marguerite-Marie continuèrent sans nuages. N-S. la « combloit des caresses et des consolations de son amour. » Mais cela ne suffit pas à Marie Alacoque ; elle veut souffrir. Son époux calme ses ardeurs ; puis, il se décide à la satisfaire : les hallucinations gaies sont remplacées par des hallucinations tristes. « Alors, J.-C. lui montre une croix toute couverte de fleurs : Voilà, lui dit-il, le lit de mes chastes épouses, où je te ferai consommer les délices de mon amour. »

A 25 ans, Marguerite-Marie était dans l’état suivant : [p. 222] « Plus on avançait, plus cet amour de Dieu la consolait. Sa frêle et délicate constitution ne résistait pas à de telles émotions. Maigre, pâle, avec une chair transparente à travers laquelle on apercevait comme la flamme de l’esprit, elle réalisait de plus en plus le chant de son noviciat :

Je suis une biche harassée,
Qui cherche l’onde avec ardeur ;
La main du chasseur m’a blessée,
Son dard a percé jusqu’au cœur.

Aux absorptions se substituent de véritables extases : elle restait à genoux douze heures de suite, les mains jointes sur la poitrine, les yeux fermés, immobile, sans tousser ni faire le moindre mouvement, « comme marbre » et «  la figure extasiée. » Elle aimait et s’oubliait en aimant. Elle n’entendait rien de ce qui se passait autour d’elle (15). (Loc. cit.,  p.177, 179, 232.)

M. X…, l’amant invisible de Geneviève, Dagon, le diable de Madeleine Bavent, exercent sur leurs maîtresses « des battures, » les mordent, etc. L’amant de Marguerite-Marie produit chez elle des plaies invisibles : Toute sa vie, elle eût une plaie invisible au [p. 223] côté, écrit M. Bougaud. « Cette plaie, dit-elle, dont la douleur m’est très-précieuse, me cause de si vives ardeurs, qu’elle me consume et me fait brûler toute vive. »

Un jour « la sainte Hostie lui était apparue resplendissante comme un soleil, et au milieu de cette gloire elle avait vu Notre-Seigneur qui, tenant une couronne d’épines à la main, la lui posa sur la tête en disant : « Ma tille, reçois cette couronne en signe de celle qui te sera donnée bientôt en conformité avec moi. » Et, en effet, à partir de ce jour, elle eût autour du front comme un cercle de feu. Elle ne pouvait pas appuyer sa tête, même sur un oreiller (p. 261). »

Les amours de Marguerite-Marie ont des caractères particuliers. N.-S. lui apparut attaché à la croix et rayonnant d’amour. Comme elle le contemplait ravie, il détacha un de ses bras, attira la sainte contre sa poitrine adorable, et, toute défaillante de bonheur céleste, il lui fit mettre ses lèvres sur la plaie de son cœur (p. 199). »

Un autre jour : « Il me demanda mon cœur, lequel je le suppliai de prendre;  ce qu’il fit, et le mit dans le sien adorable, dans lequel il me le fit voir comme un petit atôme qui se consumait dans cette ardente fournaise. Puis, l’en retirant comme une flamme ardente en forme de cœur, il le remit dans le lieu où il l’avait pris, en me disant : Voilà, ma bien-aimée, un précieux gage de mon amour. Je renferme dans [p. 224] ton côté une petite étincelle des plus vives flammes de mon amour, pour te servir de cœur et te consumer jusqu’au dernier moment. »

L’état de Marie Alacoque inquiétait ses compagnes qui s’entretinrent avec des prètres. « Le résultat de toutes ces conférences fut qu’il y avait en tout cela beaucoup d’imagination, un peu de tempérament, et, qui sait même ? quelque illusion du mauvais esprit. …. (Loc. cit.,  p. 247.) Fort heureusement arriva le R. P. jésuite de la Colombière. Marguerite-Marie fut prévenue de son arrivée par une voix qui lui disait : « Prends patience et attends mon serviteur. » Le P. de la Colombière arriva. A peine eût-il ouvert les lèvres qu’elle entendit distinctement ces paroles : « Voilà celui que je t’envoie. »

Marie Alacoque se confesse au P. jésuite : « Et comme je lui eus fait entendre que ce Souverain de mon âme me poursuivoit de si près, sans exception de temps et de lieu que je ne pouvois prier vocalement… Et lui ayant dit quelque chose des spéciales caresses et unions d’amour que je recevois de ce Bien-Aimé de mon âme et que je ne décris pas ici, il me dit que j’avais grand sujet de m’humilier, et lui d’admirer les grandes miséricordes de Dieu à mon égard. »

Si l’on en croit les théologiens, la mémoire de Madeleine Bavent, l’épouse du Diable, doit être honnie et conspuée, tandis que celle de Marie Alacoque, l’épouse [p. 225] de Jésus, doit être honorée et vénérée. Cette opinion n’est pas la nôtre. Pour nous, ce sont deux malades qui ont subi la triste influence des superstitions de leur temps.

Tous les phénomènes mentionnés chez Marie Alacoque : hallucinations de la vue et de l’ouïe, tantôt gaies, tantôt tristes. absorptions, extases, plaies imaginaires, délire érotique, – se retrouvent à des degrés divers chez les hystériques de la Salpetrière.

Sans l’intervention du P. de la Colombière, qui sait si Marie Alacoque n’eût pas subi le même sort que Madeleine de Cordoue’

Celle-ci, en effet, après avoir été considérée comme une sainte, honorée par les peuples, les rois, les inquisiteurs, etc., après avoir fait des miracles, fut emprisonnée, jugée et « condamnée à sortir de la prison en habit de religieuse et sans voile, la corde au cou, un haillon dans la bouche, un cierge allumé dans les mains; à se rendre dans cet état à la cathédrale de Cordoue, à paraître sur un échafaud dressé pour la cérémonie de son auto-da-fé … (16). » Elle aussi recevait la visite du Christ qui l’avait prise pour fiancée. Mais ce n’était pas le vrai Christ; c’était un chérubin déchu, nommé Balban…, auquel elle avait servi d’épouse pendant on grand nombre d’années.

[p. 226] Nous terminerons là ces considérations sur les faits anciens et nous espérons que nos lecteurs nous sauront gré d’avoir profité des observations des malades du service de M. Charcot, pour leur montrer une fois de plus l’intérêt puissant qui s’attache à l’Étude de l’hystérie dans l’histoire.

(1) On se rappelle que G… est allée en Belgique afin de rendre visite à l’hystérique belge.

(2) Il s’agit là de la maladie de L’Obs. III.

(3) Nous avons observé une disparition momentanée de la rachialgie en 1876, après une grande colère ;

(4) Histoire de Madeleine Bavent, religieuse du monastère de St-Louis de Louveirs ; Rouen, J. Lemonyer, 1878, p. 24.

(5) Voir page 216.

(6) Voir page 216.

(7) Calmeil, loc. cit., t. 1,  p. 182.

(8) Calmeil, loc. cit., t. 1,  p. 288-289.

(9) Loc. cit., p. 6 et 7

(10) Loc. cit., p. 6 et 7.

(11) Cette pauvre hystérique était accusée par ses compagnes de toutes les sortes d’actes criminels. Son imagination sans cesse au travail, lui en faisait découvrir de plus coupables. C’est ainsi que, sous l’influence de ses visions elle déclara « qu’étant professe, et employée aux malades de l’hôpital, Picard la renversant contre les balustres de la chapelle qui y es, en lui tenant les bras étendus, se mit en état tout debout, d’avoir sa compagnie après avoir passé une hostie à ses parties honteuses… et puis pendant une telle action certain chat était accouplé par derrière avec lui » (Loc. cit., p. 95).

(12) La piété affligée, etc. p. 370.

(13) Nous nous servirons exclusivement de l’Histoire de la bienheureuse Marguerite-Marie Alacoque, etc., par M. L’abbé Em. Bourgaud, ‘e édition, 1878.

(14) Bougaud, loc. cit., p 72.

(15) Quelquefois, dans son extase, « elle restait au chœur jusqu’à onze heures prosternée sur le pavé, les bras, le visage contre terre. (Loc. cit., page 280)

(16) Calmeil, loc. cit., t. 1,  p. 248-251.

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