Théophraste Renaudot. – Si le son des Cloches chasse les esprits malins, & pourquoy ? Extrait du « Recueil général des questions traitées és Conférences du Bureau d’Addresse, sur toutes sortes de Matières, Par les plus beaux Esprits de ce temps ». À Paris, chez la veuve Guil Loyson, tome 5, 1655, pp.259-267.

Théophraste Renaudot. – Si le son des Cloches chasse les esprits malins, & pourquoy ? Extrait du « Recueil général des questions traitées és Conférences du Bureau d’Addresse, sur toutes sortes de Matières, Par les plus beaux Esprits de ce temps ». À Paris, chez la veuve Guil Loyson, tome 5, 1655, pp.259-267.

 

Théophraste Renaudot (1586-1653). Médecin et journaliste. Protestant d’origine, il se convertit au catholicisme vers 1625. Philanthrope, il fonde le bureau d’adresse (1628/1629), destiné à proposer aux pauvres des emplois. Dans le même ordre d’idées il fondé un dispensaire, payant pour les riches, et gratuit pour les pauvres.Philanthrope, il fonde le bureau d’adresse, destiné à proposer aux pauvres des emplois. Dans le même ordre d’idées il fonda un dispensaire, payant pour les riches, et gratuit pour les pauvres. Il fut également un précurseur de la presse écrite.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’ouvrage. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original. – Les images ont été rajoutées par nos soins. Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

Trois cent XXV Conférence du Lundy 31 Mars 1642.
Si le son des Cloches chasse les esprits malins, & pourquoy ?

 

[p. 259 (marque par erreur 359)]

Le 2. dist. C’est une créance vulgaire fondée en expériance & authorité ;  L’usage ancien de l’Église qui s’en est toujours servie utilement en pareilles occasions, justifie assez cette pieuse pratique : authoriser des Pères &  des Conciles, notamment de celuy de Cologne, qui ordonne le son des Cloches pour appaiser la violence de la tempeste excitée en l’air par les démons qui en sont les maîtres, & de plusieurs exemples tirez de l’Histoire Ecclésiastique ; entre lesquels celui qui est raporté par Pierre de Cluny est des plus [p. 260]  mémorable, d’un jeune religieux auquel le Diable apparu en habit d’Abbé, pour le persuader à quitter son Couvent, où il avait reçu quelques mauvais traitements du Supérieur ; mais tandis qu’il le pressoit de sortir, la Cloche du Refectoire estand venue à sonner, cet esprit malin en plus il allarmé, qu’il s’enfuit brusquement, au grand étonnement de ce pauvre Religieux, qui fut par ce moyen garanty de cette tentation.  Les dépositions des Sorciers & Magiciens en font aussi foy. Plusieurs d’entre eux ayant certifié, que le Diable les avoit souvent jettez par terre, en les transportant à leurs assemblées publiques, pour avoir seulement entendu le son de quelques Cloches, notamment lorsqu’il marquoit l’Office divin. C’est pour cet effet l’Église divinement inspirée, a étably des solemnitez &  des prières particulières, pour la consécration des Cloches destinées à ce saint usage, jusqu’à leur imposer des noms de Saints, sous la protection desquelles on les met, pour en augmenter la vertu : qu’elles tirent principalement de cette bénédiction [p.261]  Ecclésiastique, improprement appelée Baptesme : par le moyen de laquelle le sons de ces cloches étant élevés au dessus de la condition ordinaire, il imprime une frayeur aux Démons semblable à celle qu’ils ressentent par l’aspersion de l’Eau bénite, du signe de la Croix & des autres remèdes surnaturels, que les Exorcistes employent contre les esprits mal faisans, pour les chasser comme ils font des corps qu’il possèdent.  Mais comme ils agissent au-delà de leur portée, & par une qualité supérieure à leur nature, on ne peut rendre de raisons naturelles, non plus que celle de l’action du feu contre les mesmes esprits & âmes damnées, qu’il brûle dans les Enfers, bien que dans la reigle ordinaire les agents corporels, telles qu’est ce feu, ne puisse produire leur action que sur les choses sensibles.

Le 2. dist. Que le son des Cloches pouvaient bien recevoir quelques, extraordinaire contre le démon parcelle de leur bénédiction : mais qu’elle ne laissoit pas être apuyée de raison naturelle, qui se peuvent tirer du raport [p. 262]  qu’il y a entre les sons & les esprits, tel que comme ceux-cy ne sont point attachez au lieu, ny au temps, mais parcourent presque en un instant les espaces les plus éloignez, les sons participent en quelque façon à cette manière d’agir, dans la vitesse de leurs mouvements, si imperceptible, que ceux qui en ont fait une exacte observation, remarquent que le son se respand au delà de milles dans l’espace d’une seconde, qui n’est que la soixantiesme partie d’une minute d’heure.  Et ce qui fait encore juger que le son tient beaucoup du spirituel, il se porte toujours également, sans estre retardé en son mouvement par le vent contraire, ny estre porté plus promptement quand ce vent se trouve favorable ; ce qui arrive pareillement tant dans la vehemence que dans la rémission du son, qui ne servent de rien à le faire entendre plustost au plus tard : l’expérience faisant voir que le bruit d’un gros canon &  celui d’un mousquet qui se tire d’un mesme endroit, se porte en même temps au lieu où ils sont entendus. Tellement que les espèces des sons estant [p. 263]  d’une nature indépendante de celle des corps, & mesme aprochant de celle des esprits, on peut trouver quelques fondement dans l’impression qu’ils font sur les Démons : lesquels estant d’ailleurs pour l’ordinaire revestu de quelques corps subtils dont ils se servent pour faire mieux leurs illusions, non seulement le bruit des Cloches, mais tous les autres font vehemans faisant une agitation dans l’air, semblable à celle que  cause une pierre jetée dans l’eau, par ses ondes circulaires, qui vont finir au rivage, les Demons en reçoivent quelque altération : particulièrement s’il se trouve alors enfermez dans ces corps, qu’ils pétrissent de quelques vapeurs &  et quelque exhalaisons grossières, & qui les rendent encore plus susceptibles de cette émotion. Et c’est pour cette raison que l’on sonne les Cloches durant le tonnerre, pour empêcher les esprits malins qui se mettent d’ordinaire avec l’exhalaison chaude &  seiche qui produit la foudre, de la faire tomber sur les Cloches & autres lieux qui en seroient souvent fracassez, sans cette violente agitation de l’air ; qui [p. 264] venant  ce répandre aux environs, en éloigne ce funeste météore, & avec luy ses Princes de l’air, qu’ils luy font compagnie, & ausquels, mesme aux Anges, si nous en croyons quelques que graves Autheurs, Dieu adopter une certaine puissance sensitive qu’il leur fait concevoir de la douleur, de la volupté, de l’amour, de l’aversion & de la tristesse, pour les objets qui se présentent à cette faculté : laquelle bien que plus spirituelle que celle qui est en l’$ame de l’homme, elle y fait néanmoins des mouvements semblables à ceux qui produisent les passions de l’appétit sensitif, bien que d’une façon plus noble.

Le 3. dist. Qu’il avait bien de la peine à  croire, que le Diable, dont la puissance est si grande, qu’au dire de Job, qui avoit éprouvé en sa personne & en celle de ses enfans, il n’y en a aucune sur la terre qui luy soit comparable, prenne la fuite en un seul coup de Cloche, d’autant plus qu’estant un esprit & détaché par conséquent de la condition des substances corporelles ; celles-cy, du nombre des quelles sont les sons, aussi bien [p. 265] que les autres espèces sensibles, quelques épurées qu’elles soient, n’ont aucun droit sur les substances spirituelles : ou si elles en ont, c’est par un préciput qui ne vient point de leur fonds ; mais bien de quelques prérogatives particulières ; telle que fut celle du parfum de ce poisson, avec lequel le jeune Tobie chassa le malade esprit, qui avait déjà fait mourir sept maris de Sarah : comment tient que le cœur d’un lièvre & l’œil droit d’un loup, empesche que ce dernier ne fasse mal à ceux qui les portent sur eux, & qu’il n’entre jamais dans une maison dont le seuil est frotter de quelques gouttes de sang d’un chien noir. Mais comme ces remèdes sont sans fondement, leur usage en doit estre toujours suspect.

Le 4. dist.  Que comme le Démon nous attaque par tous les moyens dont il se peut aviser, il nous faut employer tous ceux qui peuvent servir à notre défense. Ils sont principalement de deux sortes ; Les uns surnaturels qui empruntent toute leur efficace immédiatement de Dieu, par les prières, consécration, bénédiction &  autre moyen qui leur [p. 266]  communiquent  une sainteté extérieure qui chasse cet esprit un plus. Les autres sont naturelles, mais dont la vertu ne dépend pas tant de leurs qualitez élémentaires, que de leur forme spécifique, craint &  qui se trouve avoir une propriété si singulière contre le Démon, qu’encore que selon le témoignage de l’Escriture Sainte, il soit fait de telle façon qu’ils ne craignent rien, il en est néanmoins intimidé. Tel est cette racine, dont fait mention Joseph en ces Antiquitez Judaïques, nommée Baaras,  laquelle estand arrachée d’une certaine façon qu’il explique, il assure estre propre à détourner toutes sortes de maléfice ; la graine de l’herbe à Pâris, l’aristoloche, la pivoine, l’armoise, la bryoine, le ricin ou palma Christi ont le même ascendant sur les esprits malins, que le millepertuys combat si puissamment, qu’il en est surnommé la fuite des Démons, comme pour le même sujet la Vervaine est dite herbe sacrée. Pythagore est employoit la Scille, qu’il attachoit à l’entrée de la porte de la maison pour en chasser les esprits mal faisants. La pierre d’aigle, le [p. 267] corail, le chrysolithe taillé en figure de femme, le gagate & le diamant sont aussi estimez en cette occasion ; et si nous en croyons Stobée, il se trouve une petite pierre dans le fleuve du Nil, laquelle estant apliquée aux narines d’un possédé en fait sortir aussi-tost le Démon. Le second des cloches produit le même effet, non seulement par une vertu naturelle à raison de leurs mélodies harmoniques, mais contraire aux malade esprit, que David pour cette raison chassoit du corps de Saül avec sa harpe ;  mais par une qualité supérieure, qu’elles reçoivent du pieux usage auxquel elles sont destinées, qui est de marquer les heures du service Divin, dont la récitation a esté réglée au son de ces cloches par saint Paulin, Évesque de la ville de Nole où elles ont été autrefois inventées, à l’imitation des trompettes ont sonnoit dans la vieille Loy : en laquelle Dieu ordonna pareillement des clochettes pour servir d’ornement aux habits du grand Prestre, qui était aussi averti par-là  d’être toujours sur ses gardes. Car c’est un des principaux usages des Cloches, d’avertir.

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