Sur les images hypnagogiques et les rêves. Par Yves Delage. 1905.

DELAGEIMAGESHYPNA0003Yves Delage. Sur les images hypnagogiques et les rêves. Article paru dans la revue « Bulletin de l’Institut Général Psychologique », (Paris), 6e année, n°1, janvier-mars 1905, pp. 114-122.

Cet article fait suite à : La nature des images hypnagogiques et le rôle des lueurs entoptiques dans le rêve. Article paru dans la revue « Bulletin de l’Institut Général Psychologique », (Paris), 6e année, n°1, janvier-mars 1905, pp. 235-257.

Yves Delage (1854-1920). Zoologiste reconnu, polémiste, créateur de la revue « L’Année biologique » en 1895, il est nommé membre de l’Académie des sciences en 1901. Il s’intéresse de très près à la psychanalyse et surtout au rêve sur lequel il publie de nombreux articles, dont celui que nous mettons ici en ligne, qui sea  repris dans son l’ouvrage parut l’année de sa disparition : Le rêve. Etude psychologique, philosophique et littéraire. Paris, Presses Universitaires de France, s. d. [1919]. 1 vol. in-8°, XV + 696 p. En outre il publia cette critique de la psychanalyse ainsi que deux autres articles sur le rêve :
— La nature des images hypnagogiques et le rôle des lueurs entoptiques dans le rêve. Article paru dans la revue « Bulletin de l’Institut Général Psychologique », (Paris), 6e année, n°1, janvier-mars 1905, pp. 235-257.  [en ligne sur notre site]
— Sur les images hypnagogiques et les rêves. « Bulletin de l’Institut Général Psychologique », (Paris), 6e année, n°1, janvier-mars 1905, pp. 114-122. [en ligne sur notre site]
— Portée philosophique et valeur utilitaire du rêve  Revue Philosophique de la France et de l’Etranger, (Paris), 1916.
— Le rêve dans la littérature moderne. evue Philosophique de la France et de l’Etranger, (Paris), 1916.
— Une psychose nouvelle : la psychanalyse. Article parut dans la revue du « Mercure de France », (Paris), vingt-septième année,
n°437 ; tome CXVII, 1er septembre 1916, pp. 27-41. [en ligne sur notre site]

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original, mais avons rectifié quelques fautes de composition.
 – Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

[p. 114]

SUR LES IMAGES HYPNAGOGIQUES ET LES RÊVES

M. DELAGE. — J’ai l’intention de vous faire part d’un cas de conscience psychologique qui est survenue pas plus tard qu’avant-hier.

II s’agit des images hypnagogiques. Vous vous rappelez que dans la communication que j’ai faite à ce sujet j’avais exposé une théorie sur la nature des images hypnagogiques que je résumerai en deux mots : il y aurait, d’une part des images mentales errant dans la conscience, qui seraient des sortes de souvenirs évoqués par des associations d’idées quelconques ; et, d’autre part., des images rétiniennes qui circulent dans la rétine et se rendent aussi dans la conscience. Ces images se croisent et, lorsqu’elles présentent une certaine conformité, s’accrochent et se fusionnent en une image mixte, à la fois solide, beaucoup plus intense et plus fortement extériorisée.

Bien que je n’eusse à ce point de vue aucune expérience spéciale, j’avais cru pouvoir appliquer cette théorie au rêve, à cause de la grande ressemblance qu’il y a entre le rêve et l’image hypnagogique.

Or j’ai fait avant-hier un rêve singulier qui m’a fait se poser une question qui a quelque relation à ce sujet.

Je dois dire que je suis un grand rêveur ; je rêve presque [p. 115] toutes les nuits, et j’ai souvent des rêves très intenses. C’est d’un de ces rêves intenses que je veux vous parler.

Je rêvais que je me promenais dans une ville et que j’avais devant moi un grand édifice. J’étais frappé de l’intensité de l’image j je voyais avec une très grande netteté le relief des portes, les saillies des balcons, l’encadrement des fenêtres. Tout à coup, dans mon rêve, je me dis : « La netteté de cette image est étonnante ; je sais cependant bien que je rêve. Si je profitais de la circonstance pour faire une expérience qui consisterait à regarder cette image avec une grande attention et à ne pas la quitter des yeux pour observer ce qu’elle deviendra au moment où je m’éveillerai. »

Mon état de conscience était le suivant : je savais que je rêvais, mais je ne me voyais pas dans mon lit ; je me croyais réellement sur cette place, voyant en rêve la maison que j’avais devant las yeux et qui me cachait le paysage réel situé derrière.

Puis j’ai rêvé que je m’éveillais, sans cependant m’éveiller en réalité. Au moment de ce prétendu réveil, j’ai vu l’édifice s’estomper, devenir de plus en plus pâle et disparaître me laissant voir le paysage qui était derrière : une grande prairie avec un ruisseau qui serpentait et, dans le fond quelques toits de fabriques et des cheminées d’usines.

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Ivan Volkov – Tatiana Larina’s dream.

Je me suis éveillé réellement, je ne sais combien de temps après. Je me souviens seulement qu’alors je me suis dit : « Faut-il que j’aie été mal inspiré de ne pas avoir fait à ce moment une expérience qui eût été très intéressante et qui eût consisté à faire des mouvements du globe oculaire et avoir si l’image de la maison suivait le mouvement des yeux. »

Je ne l’ai pas fait ; je n’ai donc pas d’expérience à vous apporter à l’appui de ma théorie, mais cela pose le problème.

Cependant, à la réflexion, je me suis dit : Supposons que j’aie songé à faire cette expérience et qu’en réalité l’image ait suivi le mouvement des yeux, qu’aurai-je eu Ie droit d’en conclure ?

La première idée qui vient à l’esprit est qu’on aurait eu le droit de conclure de là qu’effectivement l’image déplace et que ma vision de rêve avait un substratum rétinien. Mais quand on réfléchit plus à fond, on reconnait que les mouvements que l’on croit faire en rêve  n’ont aucune réalité, en [p.116] en sorte que si l’on rêve que l’image suit le mouvement des yeux, cela ne prouve rien, parce que le mouvement lui-même peut n’avoir pas été réel.

Mais en creusant tout à fait, je me suis dit qu’il y avait une troisième étape à ce raisonnement et que l’expérience supposée aurait pu néanmoins prouver tout de même quelque chose. Établissons bien nettement les conditions du problème.

Un dormeur rêve qu’il dirige ses regards dans tous les sens et que l’image de l’objet qu’il croit voir, suit les mouvements de ses yeux. Il se peut : 1° que les mouvements qu’il croit imprimer à ses yeux soient réellement effectués ou non ; 2° que les mouvements de l’image rétinienne qu’il croit observer (image qui peut être réelle en tant que lueur entoptique ou imaginaire) se déplace réellement comme il le croit, ou reste immobile bien qu’il croie dans son rêve la voir suivre les mouvements de ses yeux. Examinons d’abord la question n°2. Au premier abord, il semble n’y avoir rien d’impossible à ce qu’une lueur entoptique immobile devant les yeux du dormeur, ou animée d’un lent mouvement quelconque soit crue, par celui-ci, animée de mouvements réguliers correspondant à ceux qu’il imprime ou croit imprimer à ses globes oculaires. Il y a cependant de fortes raisons de croire qu’il n’en est pas ainsi et que les mouvements réguliers qu’il croit voir en rêve existent réellement. Un exemple ne sera pas inutile pour faire comprendre ma pensée. Le troisième élément n’est pas de même nature que les deux précédents. On pourrait admettre qu’il se soit introduit comme étant purement mental provenant d’un souvenir. Par exemple : celui d’un chat se promenant sur un toit, souvenir auquel j’aurais emprunté le mouvement du chat sans le chat, c’est-à-dire une pure abstraction. N’est-il pas plus simple d’admettre que le mouvement de la baleine sur le toit provient du déplacement
réel de la lueur entoptique qui la représente par rapport à celle qui représente le toit. Dès lors, les trois éléments du rêve supposé sont également légitimes, également concrets, également objectifs.

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Robert BERÉNY.

Abandonnant la comparaison, revenons à notre argumentation armé des conclusions que nous avons tirées de la première. On voit que les mouvements que le dormeur croit percevoir, exécutés par l’image qu’il croit voir, pourraient [p. 117] bien être réels dans une certaine mesure en ce sens que la lueur entoptique, substratum de l’objet. qu’il croit voir, exécute véritablement les mouvements qu’il croit percevoir. Sans cela il faudrait qu’une pure abstraction intervînt dans la formation des idées de son rêve, hypothèse plus compliquée et moins plausible que celle que nous admettons. Passons maintenant à la question n° 1. Nous n’avons aucune raison d’affirmer d’une manière positive que le dormeur ait fait réellement les mouvements des globes oculaires qui auraient produit les déplacements successifs et réguliers qu’il croyait exécutés par l’image qu’il a devant les yeux. Mais ici encore on devra reconnaître que pour qu’il croie que cette image exécute ces mouvements réguliers, il faudrait, si elle (ou du moins la lueur entoptique qui la représente) ne les exécute pas, qu’il ait introduit dans les conceptions de son rêve, l’idée de ce mouvement à l’état de concept purement mental sans substratum objectif. Ici encore il semble bien que cette dernière hypothèse soit moins plausible que la précédente. Dès lors si la lueur entoptique, substratum de l’image de l’objet, exécute réellement ces oscillations régulières qui ne sont nullement dans sa nature et qui diffèrent absolument de ses mouvements propres par rapport à l’œil, il faut bien qu’ils lui aient été imprimés par l’œil lui-même et que dès lors celui-ci ait exécuté réellement les mouvements que le dormeur croit lui avoir imprimés.

La conclusion de tout cela est donc que dans le cas où le dormeur aurait fait en rêvant l’expérience supposée, s’il reste possible que cette expérience ne prouve rien, ses éléments comme ses résultats pouvant être imaginaires il est possible cependant qu’elle ait une signification positive. Les phénomènes que croit observer le dormeur se produisant effectivement sous la forme d’une lueur entoptique (substratum de l’objet qu’il croit voir) suivent les mouvements qu’il imprime réellement à ses globes oculaires. Mais disons bien que nous ne voyons là qu’une possibilité et nullement une vérité démontrée. Peut-être cependant n’était-il pas sans intérêt de montrer comment et pour quelles raisons les fantasmagories du rêve pouvaient peut-être fournir une base positive à une explication psychologique.

DISCUSSION

M. LE PRÉSIDENT. — Croyez-vous qu’il faille nécessairement [p. 118] considérer comme abstraite l’idée du déplacement de la baleine sur le toit ?

M. DELAGE. — J’ai sur ce point autant de doutes que vous.

M. LE PRÉSIDENT. — Nous voyons tous les jours nos rêves des mouvements qui ne sont pus naturel. Tout le monde connaît les rêves pathologiques des alcooliques qui voient, par exemple, des rats grimper contre une tapisserie. Dans cette hallucination qui est un grossissement d’un phénomène physiologique, croyez-vous qu’une image abstraite de mouvement vienne se surajouter à la représentation mentale sous forme hallucinatoire ?

M. DELAGE. — J’incline plutôt vers la dernière opinion qu’il y a un substratum rétinien qui se déplace effectivement.

M. MANOUVRIER. — Il me semble qu’il y a encore une interprétation possible : on raisonne dans le rêve et M. Delage le sait mieux que personne puisqu’il trouve le moyen de construire en rêve des hypothèses scientifiques. De même on peut faire dans le rêve des plaisanteries. Il est déjà bizarre de placer une baleine sur un toit ; c’est là une plaisanterie à laquelle on peut bien ajouter celle de la marche de la baleine. Si M. Delage avait vu dans son rêve un chat marcher sur un toit, ce serait un simple souvenir.

M. DELAGE. — Je me pose très sérieusement la question de savoir si les mouvements des objets que nous voyons en rêve sont mentaux ou s’ils sont dus à l’observation de mouvements d’un substratum rétinien.

M. MANOUVRIER. — Dans le cas que vous avez supposé, ils peuvent être mentaux. La conclusion que nous pourrions tirer de cette observation, est que vous avez des rêves extrêmement remarquables.

M. DELAGE. — Je dois dire qu’à une certaine époque de ma vie, ces rêves devenaient si intenses que j’ai craint un dédoublement pathologique de la personnalité et que j’ai essayé de résister. Mais j’ai fini par reconnaître qu’ils n’avaient rein de [p. 119] dangereux, qu’ils me laissaient parfaitement calme au réveil, j’avais seulement le plaisir de faire, sans qu’il m’en coûtât rien, des promenades et des excursions fort intéressantes. J’ai remarqué que mes rêves étaient favorisés par deux éléments : une fatigue rétinienne et une excitation cérébrale. Je rêve beaucoup, soit quand j’ai lu longtemps à la lumière, soit quand j’ai pris des excitants, comme du café.

M. LARY. — N’avez-vous pas remarqué un rapport de vos rêves avec des émotions que vous avez eu
pendant la journée.

M. DELAGE. — J’ai traité cette question dans ma théorie du rêve et je suis arrivé à cette conclusion que les images reviennent en rêve sont celles qui n’ont pas dépensé pendant la journée tout leur potentiel d’énergie. Plus une émotion a été intense, plus elle a de chances de revenir en rêve, si pendant la veille, on a fait des efforts pour la chasser. Cependant si, au contraire, elle a pu dépenser tout son potentiel d’énergie, elle ne revient pas.

M. YOURIÉVlTCH. — J’ai fait une observation qui concorde bien avec ce que dit M. Delage. Je rêve rarement, mais lorsque je peux me souvenir d’un rêve que j’ai eu, je remarque qu’il porte très rarement soit sur des personnes, soit sur des objets qui m’ont beaucoup occupé. Je rêve toujours de choses assez insignifiantes et qui ne m’intéressent nullement à l’état de veille.

M. LE PRÉSIDENT. — On a fait une observation analogue sur les mélancoliques qui font des rêves très agréables. Certains mélancoliques qui sont hantés de l’idée qu’ils ont commis les pires méfaits et que les derniers supplices les attendent, n’ont aucune de ces préoccupations pendant leurs rêves.

M. DUMAS. — Il serait intéressant de comparer les rêves des obsédés à ceux des mélancoliques. Les obsédés déclarent que leurs rêves reproduisent leur obsession non pas peut-être telle qu’ils l’ont dans la journée, mais qu’ils la leur rappellent. [p. 120]

M. DELAGE. — C’est sans doute que les obsédés font des efforts pour chasser leurs préoccupations tandis que les mélancoliques n’en font pas. L’obsession ne pouvant pas dépenser tout son potentiel d’énergie, leur revient pendant le sommeil.
Je me souviens qu’à la mort de mon père, j’ai éprouvé un chagrin inimaginable et que pendant longtemps cette mort a été pour moi un sujet de tourment continuel : Eh bien ! pendant ce temps, je n’ai jamais revu mon père en rêve ; je ne l’ai revu que beaucoup plus tard. C’est même à la suite de cette observation que j’ai été amené à émettre la théorie que j’ai publiée sur le rêve.

M. YOURIÉVITCH. — Avez-vous une idée du temps que peut durer un rêve ?

M. LE PRÉSIDENT. — On a fait des expériences à ce sujet et on prétend avoir constaté que les rêves qui paraissent compliqués durent en réalité très peu de temps.

M. DELAGE. — Cela est assez difficile à savoir parce que souvent plusieurs rêves que l’on fait dans le courant d’une nuit, se soudent les uns aux autres et ne laissent plus au réveil que le souvenir d’un seul rêve ; les intervalles disparaissent absolument.
Nous avons, à ce sujet, l’observation de Maury. Il prétend que pendant le temps qu’une barre de son ciel de lit s’était détachée en faisant un certain bruit et lui était tombée sur le cou, il a eu le temps de rêver qu’il se trouvait sous le régime de la Terreur, que, devenu suspect, il avait été fait prisonnier, qu’il avait été traduit devant le tribunal révolutionnaire, jugé, condamné et finalement guillotiné. Il s’est éveillé lorsque la barre du ciel de lit lui est tombée sur le cou.
Mais il est très possible que tout cela ne soit qu’une simple coïncidence, qu’il ait fait son rêve bien avant que la barre ne se soit détachée et que le coup reçu à la suite de la chute de cette barre n’ait seulement déterminé chez lui que l’idée de l’exécution capitale.

M. MANOUVRIER. — Il peut se faire aussi que des craquements aient précédé la chute de la barre et que ces craquements [p. 121] lui aient fait faire un raisonnement qui a déterminé le rêve.

M. DELAGE. — Il est bien difficile à un à un dormeur d’apprécier la durée de son rêve. Clavière (J.) a publié (La rapidité de la pensée dans le rêve, in Rev. philos., XVIII, 507-512, 1897 [en ligne sur notre site]; analysé in Ann. biol., vol. 3, 1897, 770-771), l’observation très intéressante d’un rêve dont la durée a été automatiquement mesurée par deux sonneries consécutives marquant son début et sa terminaison. Or, il résulte de cette observation que la durée du rêve a été sensiblement la même que celle qu’auraient exigés pour s’accomplir réellement les actes que le dormeur avait fait en rêve.

M. MANOUVRlER. — Criez-vous dans vos rêves ?

M. DELAGE. — Rarement, car mes rêves sont presque toujours agréables. Très souvent même, les personnes qui sont auprès de moi me disent que j’ai ri aux éclats.

M. YOUR!ÉVITCH. — Entendez-vos dans vos rêves des cris, des sons ?

M. DELAGE. — Mes rêves sont plutôt visuels qu’auditifs, cependant il m’est arrivé quelquefois de faire des rêves auditifs, une fois entre autres d’une manière si remarquable qu’il sera peut-être intéressant de la rapporter.
J’étais au laboratoire de Roscoff. Une nuit, je suis réveillé par des coups pressants frappés à la porte de ma chambre. Je me soulève et demande : « Qui est là ? » — « Monsieur », répond la voix de Marly (le gardien du laboratoire) « c’est Mme, H…, (une personne qui habitait véritablement la ville en ce moment et qui faisait partie de mes relations) « qui vous prie de venir tout de suite chez elle pour Mlle P… » (une personne faisant véritablement partie de la maison de Mme H… et que je connaissais également) « qui est tombée subitement malade. » — « C’est bien, dis-je, le temps de m’habiller et j’y cours ». Je m’habille à la hâte mais avant de sortir j’entre dans mon cabinet de toilette pour me passer une éponge mouillée sur la figure. La sensation de l’eau fraiche me réveille et me fait constater que j’avais rêvé tout ce qui précédait et que personne n’était venu me demander. Je me recouche donc et me rendors. Mais peu de temps après les [p. 122] mêmes coups résonnent de nouveau à ma porte. — « Monsieur, vous ne venez donc pas ? — Eh quoi ! c’est donc vrai, je croyais avoir rêvé ». — « Mais pas du tout, hâtez-vous, on vous attend avec impatience ». — « C’est bien, j’y court ». De nouveau je m’habille, de nouveau à mon cabinet de toilette je me passe de l’eau fraiche sur la figure, de nouveau la sensation de l’eau me réveille et me fait comprendre que j’avais été le jouet d’une répétition de mon rêve. Je me recouche donc et me rendors.
La même scène se renouvelle presque identiquement encore deux fois. Au matin, quand je me réveille en réalité, je reconnais au pot-à-eau plein, à la cuvette vide, à l’éponge sèche que tout cela n’avait été qu’un rêve ; non seulement les coups frappés à ma porte et les conversations avec le gardien, mais de m’être habillé, d’avoir été dans le cabinet de toilette, de m’être lavé la figure, d’avoir cru que j’avais dormi et de m’être recouché. Toute la série des actes, des raisonnements des pensées n’avaient été qu’un même rêve répété quatre fois de suite sans interruption du sommeil et sans queue j’aiebougé de mon lit. C’est là vraiment un rêve. Comme il y en a d’inutile d’ajouter que le gardien n’avait pas bougé de son lit et que personne n’avait été malade chez Mme H…

M. LE PRÉSIDENT. — Avez-vous généralement une idée sur l’heure où se produit le rêve dont vous gardez le souvenir ?

M. DELAGE. — Non, je ne saurais dire s’il se produit au milieu de la nuit ou au commencement. Cependant, pour un rêve du matin, on a conscience ordinairement qu’il s’agit de choses qui viennent de se passer.
Il m’est arrivé fréquemment d’ailleurs d’avoir conscience de deux ou trois rêves dans une même nuit.

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