Roger-Etienne Lacombe. Sur l’intérêt de la tentative de Freud. Article paru dans le « Journal de psychologie normale et pathologique », (Paris), XXVIIIe année, 1931, pp. 430-454.

LACOMBEPSYCHANALYSE0001Roger-Etienne Lacombe. Sur l’intérêt de la tentative de Freud. Article paru dans le « Journal de psychologie normale et pathologique », (Paris),  XXVIIIe année, 1931, pp. 430-454.

Roger-Etienne Lacombe (1896-1998). professeur agrégé de philosophie au Lycée de Brest.
Quelques publications :
— La méthode sociologique de Durkheim
 : étude critique. Paris, F. Alcan, 1926. 1 vol.
— La psychologie bergsonienne : étude critique. Paris, Librairie Félix Alcan, 1933. 1 vol.
— Déclin de l’individualisme ? Paris, Editions Denoël, 1937. 1 vol.
— La Crise de la démocratie. Paris, Presses universitaires de France , 1947. 1 vol.
— L’Apologétique de Pascal. Paris, Presses universitaires de France, 1958. 1 vol. °

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Les notes en bas de page ont été renvoyées en fin de texte. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

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SUR L’INTÉRÊT DE LA TENTATIVE DE FREUD

par R.-E. LACOMBE.

I

En soumettant à la Société de Psychologie quelques considérations sur la doctrine de Freud, je n’ai pas tant pour objet d’ouvrir une controverse sur la valeur de cette doctrine que d’essayer d’en marquer la place dans l’évolution de la psychologie, d’en dégager un enseignement. Il me semble en effet qu’à l’heure actuelle la plupart des psychologues français se mettraient assez facilement d’accord pour porter sur le freudisme un jugement commun, pourvu que les termes en soient assez vagues pour laisser place à des différences de degré dans l’appréciation. Dès lors il devient possible de partir de ce jugement pour rechercher l’intérêt de la tentative de Freud pour l’avenir de la psychologie.

Si l’on excepte en effet un très petit nombre de disciples orthodoxes de Freud, qui ne se recrutent que parmi les psychiatres et n’y forment qu’un bien faible groupe, si l’on excepte quelques adversaires résolus, dont la passion s’explique sans doute comme une réaction contre l’enthousiasme excessif des adeptes, je crois que la plupart des psychologues français reconnaîtraient la portée des idées de Freud, mais lui reprocheraient de leur donner une place excessive, une forme systématique.

On accordera sans doute qu’il était utile de mettre en relief le fait du refoulement dont l’importance n’est pas douteuse dans notre vie mentale, surtout si l’on prend ce mot en un sens vague, banal, pour désigner non seulement le rejet d’un désir dans l’inconscient proprement dit, mais aussi le refus de s’avouer une tendance que pourtant on n’ignore pas vraiment, mais encore la décision volontaire de ne [p. 430] pas céder à un désir qui n’en reste pas moins conscient. Mais on admettra difficilement que tous nos rêves, tous nos actes manqués, tous les symptômes névropathiques soient l’expression de désirs refoulés, surtout si l’on veut indiquer ainsi, au sens spécifiquement freudien, des désirs qui ne peuvent plus parvenir sans déguisement jusqu’à la conscience.

On reconnaîtra de même la grande importance des préoccupations sexuelles aussi bien dans la vie mentale normale que dans les névroses. Si l’on songe en effet à la place si particulière de la tendance sexuelle dans la vie humaine, au fait que cette tendance naturellement très forte se trouve non pas seulement transformée par la vie sociale, mais fortement inhibée parce que son exercice spontané n’est pas compatible avec les institutions de notre société, et en même temps constamment surexcitée, on ne s’étonnera point qu’elle occupe une place d’honneur parmi les tendances refoulées et qu’elle donne naissance à bien des troubles de notre vie. Mais on accordera malaisément qu’à la base de presque tous les rêves ou actes manqués, à la base de tous les symptômes névropathiques, il y ait des désirs sexuels refoulés. On ne trouvera pas qu’il soit d’une bonne méthode de diriger uniquement l’investigation psychanalytique des névroses du côté des préoccupations sexuelles. On n’admettra pas qu’il suffise de déceler chez un malade l’existence de semblables préoccupations pour être en droit d’affirmer qu’elles ont joué un rôle important dans l’étiologie de la névrose. Enfin on ne sera pas prêt de reconnaître qu’à chaque type de névrose correspond telle catégorie définie de troubles de la sexualité : ce qui nous étonne en effet chez Freud, ce n’est pas seulement ce qu’on a pu appeler son pansexualisme, c’est aussi la conception très spéciale qu’il se fait de l’évolution sexuelle normale et de celle qui correspond à chaque névrose ; le psychanalyste orthodoxe est ainsi obligé, lorsqu’il a réussi à découvrir quelques préoccupations érotiques chez son sujet, à ne point s’en satisfaire le plus souvent, mais à chercher à tout prix à déceler, derrière celles-ci, d’autres désirs très déterminés dont l’existence est exigée par la conception dogmatique qu’il admet.

Enfin l’on reconnaîtra volontiers que l’usage fait par Freud de la méthode des associations libres, ce qui constitue à proprement parler la psychanalyse, n’est pas sans intérêt. On peut ainsi rattacher [p. 431] parfois avec quelque vraisemblance les rêves ou les symptômes névropathiques à des événements ou à des préoccupations auxquels ils paraissent liés. Plus généralement on peut utiliser cette méthode pour découvrir certaines tendances du sujet qu’il nous serait peut-être plus malaisé de connaître autrement : c’est en effet un moyen de ménager sa pudeur, de 1ui permettre d’avouer indirectement des préoccupations qu’il voudrait bien faire connaître au psychanalyste, mais qu’il n’ose pas formuler trop clairement ; ce peut être aussi un procédé utile pour triompher des résistances — d’ailleurs parfaitement conscientes — du sujet, hésitant à avouer des désirs qu’il n’ignore pourtant pas, voire même pour déceler ainsi des tendances qu’il ne s’avoue pas à lui-même. Mais on trouvera qu’il est arbitraire d’affirmer dans tous les cas l’existence d’un lien nécessaire d’effet à cause, d’un rapport de signe à chose signifiée entre le point de départ de l’analyse, rêve ou symptôme névropathique, et les souvenirs ou les préoccupations qu’elle permet d’atteindre. En particulier on accordera difficilement qu’en partant des éléments manifestes d’un rêve les associations d’idées ne font que reconstituer ce qui était la pensée véritable de ce rêve.

Sans doute il faut bien convenir que ni cette méthode ni ces conceptions ne sont vraiment neuves. Mais il serait trop simple de dire, comme on l’a fait, que ce qui est vrai dans la thèse de Freud n’est pas nouveau et que ce qui est nouveau n’est pas vrai. Il reste ce mérite au fondateur de la psychanalyse d’avoir attiré notre attention sur des méthodes ou des notions fécondes, auxquelles on n’avait pas attaché avant lui suffisamment d’importance. Seulement, si nous voulons déterminer quelle est exactement la valeur et la portée de ces indications, nous ne pourrons trouver une réponse satisfaisante dans l’œuvre de Freud. Ce qui frappe en effet l’esprit le moins exigeant, lorsqu’il étudie cette œuvre, c’est le manque de rigueur dans l’administration de la preuve : interprétations fantaisistes, affirmations arbitraires, cercles vicieux, ambiguïté du langage qui permet toutes les équivoques, ce sont là défaillances fréquentes de la pensée de Freud. Et il est curieux de constater que ce manque de rigueur scientifique semble se propager chez les disciples en proportion directe, serait-on sur le point de dire, de leur orthodoxie. En sorte que si l’on veut éprouver objectivement, au contact des faits, la [p. 432] valeur des idées de Freud, il faudra commencer par se libérer de cette atmosphère que la psychanalyse apporte avec elle.

Je crois donc que la majorité des psychologues français s’accorderaient à reconnaître qu’il y a dans l’œuvre du fondateur de la psychanalyse des directions générales fécondes, comme peut-être des hypothèses de détail intéressantes : une psychologie positive peut les recueillir et en tirer parti, mais à la condition de reprendre entièrement l’étude en s’inspirant d’exigences plus scientifiques, en recourant à d’autres méthodes de preuve.

II

Nous pouvons maintenant, en nous appuyant sur ce jugement, essayer d’apprécier l’importance de la tentative de Freud dans l’évolution de la psychologie et d’en tirer une leçon. Sans doute une telle appréciation implique un certain jugement sur l’état actuel de la psychologie et sur son avenir. Je suis donc obligé pour un instant — et je m’en excuse — de me livrer à quelques considérations générales et d’indiquer, aussi sommairement que possible et en recourant à des simplifications brutales, le point de vue que j’adopterai et qu’on peut assurément ne pas accepter (1).

Si je considère ce qu’on pourrait appeler la psychologie philosophique — mais je donnerais à cette psychologie des limites assez larges, puisque j’y ferais entrer toute l’œuvre de Ribot —, il me semble qu’elle se caractérise par un parti-pris d’abstraire de la vie psychique certains aspects très généraux, certaines formes qu’elle s’efforce de décrire après les avoir vidées de leur contenu. Elle est par là très loin de la science ; car, si celle-ci dégage des éléments abstraits, c’est pour pouvoir, en les combinant, revenir à la réalité concrète. La psychologie philosophique au contraire néglige cette région des abstractions moyennes par où débute la science, car elle veut atteindre d’emblée des cadres très vastes qu’elle étudie par eux-mêmes sans aucun souci — et du reste sans possibilité — de [p. 433] ressaisir le concret : c’est le mécanisme du raisonnement ou celui de la passion qui l’intéresse, et non tel type de raisonnement juridique, telle forme de passion altruiste. Aussi ne peut-elle ni expliquer ni prévoir les faits psychologiques dans leur diversité concrète. Mais par là-même elle laisse échapper l’individualité des êtres humains : elle néglige ces traits particuliers qui rendent personnels tel sentiment, tel motif ; elle ne pourrait expliquer une conduite présente en la rattachant avec quelque précision au passé du sujet, en la replaçant vraiment dans l’histoire de l’individu.

En face de cette tendance philosophique — car il s’agit ici beaucoup plus d’une tendance que d’une forme arrêtée de la psychologie— se développe actuellement la tendance opposée, celle de la psychologie qui veut être scientifique. Je ne la considère ici pour simplifier que sous la forme de la psychologie de laboratoire. Tant qu’elle s’occupe de réactions élémentaires, répondant à une consigne simple, faisant intervenir des fonctions mentales proches des fonctions organiques, comme la réaction perceptive ou les formes inférieures de la mémoire, il ne me semble pas douteux qu’elle réussit à toucher au concret et que ses résultats sont de même ordre que ceux de toute autre science. Mais, dès qu’on veut se tourner vers ces conduites complexes dont la diversité est énorme et qui font intervenir des fonctions élevées de la vie mentale, on se heurte à des difficultés graves : notamment il faut bien reconnaître que ces conduites ne sont pas séparables de la vie sociale, qu’elles ne peuvent être détachées de l’histoire du sujet et surtout de cette partie de son histoire qui dépend de facteurs sociaux : or, on ne peut transporter la société, avec l’ensemble des circonstances qui la constituent, dans un laboratoire. Dès lors, comme on ne peut atteindre les actions de la vie courante, on aura parfois tendance à substituer à l’étude des faits concrets celle des fondions générales, car on admet qu’une fonction générale peut être aussi bien révélée par une épreuve artificielle de laboratoire que par un acte de la vie sociale : ainsi l’on incline, sans en avoir toujours conscience, vers le point de vue de la psychologie philosophique. De cette déviation, je me bornerai à citer deux exemples. D’une part l’usage de l’introspection expérimentale : lorsque Binet et l’école de Wurzbourg ont voulu se servir de l’introspection pour étudier la pensée sans images, ils n’ont pas porté leur attention [p. 434] sur les différents contenus de la pensée conceptuelle, sur ses variations selon les circonstances, mais ils ont cherché à résoudre ce problème purement formel : existe-t-il une pensée sans images et quelle en est la nature ? Or il me semble qu’assez souvent, lorsqu’on fait intervenir l’introspection en psychologie expérimentale, on s’engage à quelque degré sur la pente où ont glissé Binet et les psychologues de Wurzbourg. De même, si l’on a quelquefois placé une confiance, que je crois un peu exagérée, dans la valeur scientifique des tests destinés à mesurer les fonctions intellectuelles supérieures ou l’intelligence globale, c’est, me semble-t-il, comme j’ai tenté de le montrer (2), parce qu’on admet implicitement que la vie mentale se laisse ramener à un certain nombre de fonctions générales et qu’on peut les atteindre d’emblée au moyen d’épreuves de laboratoire : là encore on néglige l’extrême diversité des conduites humaines pour se rapprocher du point de vue de la psychologie classique.

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Sandra Recalde Ayala.

Aussi bien ne nous étonnerons-nous pas du jugement que porteraient sans doute sur notre psychologie actuelle les hommes qui ont une expérience psychologique concrète, qui possèdent ce qu’on pourrait appeler la connaissance vulgaire de l’âme humaine. Ce jugement n’est pas sans intérêt, car, il ne faut pas l’oublier, la science prolonge à certains égards la connaissance vulgaire et doit pouvoir remplir son objet. Ils trouveraient, je pense, que notre psychologie classique est abstraite et philosophique, sans valeur pratique, sans intérêt vivant ; ils ne contesteraient pas la valeur de la psychologie positive dans la mesure où elle est un prolongement de la physiologie ; mais ils penseraient que, lorsqu’elle veut se tourner vers ce qui est vraiment humain, elle ne réussit pas encore à atteindre cette réalité émouvante et riche dont les littérateurs nous offrent au contraire, d’un point de vue esthétique, une description plus satisfaisante.

Il faudrait sans doute corriger ce jugement, mais non pas, je crois, le rejeter, lorsqu’on considère certaines branches de la psychologie ou certaines études connexes, comme la psychologie de l’enfant, la psychologie religieuse ou la psychiatrie. Je ne ferai que m’arrêter un instant sur la psychiatrie avant de revenir à Freud. Le psychiatre [p. 435] semble bien se trouver en présence d’idées, d’actions, de sentiments concrets, de contenu varié et d’un certain degré de complexité. S’il étudie son sujet dans son cabinet, comme le psychologue le fait dans son laboratoire, du moins est-il préoccupé de ce qu’a été et de ce que sera son comportement dans la vie sociale ; il s’efforce, grâce aux renseignements qu’on lui fournit et aux paroles du malade, de rattacher sa conduite actuelle à toute son histoire. Aussi n’est-il pas niable que l’on a l’impression, lorsqu’on aborde la psychiatrie, de toucher enfin au vivant. Il me semble pourtant que la psychologie classique et la psychiatrie ne font pas à tout prendre si mauvais ménage : le psychiatre utilise les notions que lui fournit la psychologie philosophique et le psychologue, pour bâtir ses théories, emploie, sans trop les déformer, les documents du psychiatre. Je crois en effet que le psychiatre tend, lui aussi, à se placer à un point de vue formel : c’est qu’il se pose avant tout un problème de classification et qu’à cet égard le contenu des symptômes, des idées délirantes par exemple, n’a que peu d’intérêt. Qu’un psychiatre se trouve en présence d’idées de grandeur, il notera sans doute ce caractère de grandeur, qui peut avoir une importance pour le diagnostic, — et c’est là, il est vrai, une indication de contenu — ; mais il ne s’attachera pas aux particularités de ce contenu : il lui importe assez peu que son sujet se considère comme un grand savant, un prince ou un homme très riche, puisque de telles idées peuvent se rencontrer également dans la paralysie générale, dans un accès de manie, dans un délire hallucinatoire. Par contre il retiendra le caractère vraisemblable ou invraisemblable, cohérent ou incohérent, éphémère ou constant de l’idée délirante, sa place dans la vie psychologique, car cela a une valeur diagnostique. Or ce sont là caractères purement formels.

Mais l’attitude du psychiatre se modifie lorsqu’il se fait psychothérapeute : pour obtenir une réadaptation de son malade à la vie sociale, il lui faut s’attaquer aux symptômes morbides et il ne peut en négliger le contenu. Ce n’est sans doute pas un hasard si les deux tentatives les plus importantes — encore que d’un intérêt scientifique fort inégal — pour atteindre dans leur contenu les conduites humaines complexes émanent de deux psychothérapeutes : Pierre Janet et Freud. [p. 436]

Ce qui caractérise en effet la tentative de Freud, c’est que, pour expliquer les rêves, les actes manqués, les symptômes névropathiques, il ne se contente pas de recourir à des notions générales comme celles de fatigue mentale, d’état de détente, de dépression psychologique, etc., mais il fait intervenir des désirs concrets, déterminés, qui rattachent les faits étudiés à l’histoire individuelle du sujet. Freud a d’ailleurs assez clairement indiqué lui-même combien son point de vue s’oppose à celui de la psychologie et de la psychiatrie classique; il a insisté sur ce fait que c’est le contenu même des rêves, des actes manqués et des symptômes névropathiques qu’il cherche a expliquer. Il est d’ailleurs devenu banal d’opposer à ce point de vue psychanalyse et psychiatrie. Or il me semble justement que, si Freud a pu mettre en relief des notions fécondes, la raison principale en est peut-être l’adoption de ce point de vue concret. C’est seulement lorsqu’on étudie les combats de désirs déterminés dans l’histoire d’une âme individuelle que la notion de refoulement peut prendre une importance qu’on ne lui avait jamais accordée jusqu’alors. C’est lorsqu’on se préoccupe du contenu des névroses qu’on est amené à porter son attention sur l’histoire sexuelle du sujet dont ne s’étaient qu’assez peu préoccupées la psychologie comme la psychiatrie classiques. Il fallait enfin chercher à expliquer les symptômes névropathiques par le passé du malade pour se livrer, comme le fait Freud, à une investigation attentive et patiente dont on ne retrouve guère l’équivalent que chez les psychothérapeutes.

Aussi n’est-il pas étonnant qu’un auteur qui me semble envisager l’évolution de la psychologie à un point de vue très voisin de celui que je viens d’indiquer1 ait pu saluer dans l’œuvre de Freud l’aurore d’une psychologie nouvelle. Il n’est pas besoin de dire que je ne partage pas cet enthousiasme ; je ne crois nullement que le seul tort de Freud ait été de traduire une vérité nouvelle dans un langage ancien. En réalité son manque de rigueur scientifique a empêché le fondateur de la psychanalyse d’aboutir à des résultats solides. Dans un domaine où la complexité de l’objet semble ne permettre qu’une assez lente progression, il faut savoir bornerons ambition à amorcer [p. 437] quelques études précises. Freud au contraire a prétendu nous donner de suite la clef de tout un côté de notre vie mentale. Dès lors il a construit un système et a rejoint, avec la profondeur en moins, cette psychologie philosophique qu’il voulait pourtant dépasser. Aussi a-t-il laissé échapper la vie psychologique concrète. Lorsqu’on veut en effet ramener un aussi vaste domaine à l’unité de la Libido, on ne peut qu’aboutir à l’une de ces deux conceptions : ou bien on donne à cette notion de Libido une acception si vague, si générale qu’on retourne en réalité au point de vue formel de la psychologie classique ; ou bien on lui garde un sens précis, on voit en elle la tendance sexuelle au sens propre du mot; mais alors, si on laisse bien subsister un certain contenu de la vie psychologique, c’est au prix d’une simplification arbitraire : on fait violence aux données de l’observation pour s’attacher obstinément à une seule tendance concrète, à laquelle on prétend ramener tout le côté obscur de l’âme humaine, et l’on ignore ainsi la diversité de la vie psychologique. On en vient également, me semble-t-il, à laisser échapper l’individualité véritable, car on a bien l’impression que l’investigation psychanalytique aboutit, avec parfois l’aide complaisante du malade, à une reconstruction de l’histoire passée où sans doute se retrouvent quelques cas des événements réels et des soucis véritables du sujet, mais agencés selon les exigences de la doctrine pour se conformer à un type à l’avance fixé.

La tentative de Freud me semble donc du point de vue que j’ai indiqué avoir échoué. Mais cet échec n’est pas sans fécondité et l’on peut essayer d’en dégager un enseignement. C’est ce que je voudrais tenter en recherchant, par une analyse de la pensée de Freud, comment il a pu être conduit à ces constructions systématiques.

III

Je n’insisterai pas sur l’importance attachée par le fondateur de la psychanalyse à la tendance sexuelle. Il me semble vraisemblable que Freud a été ici guidé par son désir d’obtenir de suite une explication complète. Le plus simple moyen d’y parvenir était assurément de ramener tout le domaine étudié à l’unité d’une tendance. Or il n’est dans la vie humaine qu’un nombre assez restreint de tendances [p. 438] qui jouent un rôle assez grand pour pouvoir se prêter à cet usage. Il était naturel qu’une psychologie qui accorde tant de place au refoulement portât de préférence son choix sur la tendance sexuelle dont l’intérêt à cet égard n’est pas douteux. Il n’y a ici, je crois, d’autre leçon à tirer de la témérité de Freud que la nécessité de se défier du désir d’aller trop vite. La leçon du reste n’est pas sans importance : je crois que dans un domaine où les faits sont extrêmement complexes et où l’on ne se rend pas toujours assez compte de cette complexité, une hâte trop grande est un des dangers les plus nets qui guettent la psychologie positive (4).

Mais je voudrais insister sur cette thèse plus générale et qui permet à Freud d’assigner à la tendance sexuelle le rôle précis qu’il lui donne : l’affirmation que rêves, actes manqués et symptômes névropathiques manifestent des désirs refoulés. Je m’appuierai essentiellement sur la théorie du rêve, d’abord parce que nous sommes ici au cœur de la doctrine — « e rêve, nous dit Freud, est la voie royale qui nous conduit à la., connaissance de l’inconscient » (5) —, ensuite parce que c’est au rêve que Freud a consacré l’étude la plus soigneusement élaborée. Je voudrais d’abord dégager quelle est la base de la thèse freudienne, rechercher si elle ne fait pas intervenir quelque présupposition implicite.

On peut distinguer dans les rêves, au point de vue de leur interprétation psychanalytique, trois catégories. Il y a d’abord ceux dont l’interprétation est, selon Freud, évidente, immédiate, au point qu’il semble difficile de ne pas lui donner raison : un désir y paraît clairement exprimé et son existence n’est d’ailleurs pas contestée par le rêveur. Tels sont les rêves enfantins et les rêves simples d’adultes de type infantile. Il existe, on le sait, des actes manqués qui se laissent aussi aisément interpréter : dans un lapsus peut apparaître clairement un désir, reconnu spontanément par son auteur.

Mais les rêves de cette catégorie sont assez rares. On admettra donc que, dans les cas où l’interprétation n’est pas immédiate, le rêve tel qu’il se présente à la pensée du dormeur n’est qu’une faible [p. 439] partie de la pensée véritable du rêve. On distinguera, à côté du contenu manifeste, un contenu latent sur lequel s’exercera l’effort d’interprétation. On admettra que tout ce que nous apportent les associations libres du sujet à partir des images rêvées appartient à ce contenu latent. Il ne restera plus qu’à supposer que du contenu latent au contenu manifeste, il y a eu une déformation sous la triple forme — si nous négligeons l’élaboration secondaire — de la condensation, du déplacement et de la figuration des idées en images.

Mais on ne réussit pas encore à interpréter ainsi tous les rêves. On pourrait sans doute s’en étonner, puisqu’il semble toujours possible de pousser assez loin les associations d’idées pour découvrir une interprétation. Mais il est des sujets qui s’arrêtent très vite dans l’évocation des idées, qui, au bout d’un temps assez court, ne trouvent plus rien à dire ; et il en est d’autres chez lesquels les associations ne fournissent justement pas les éléments nécessaires pour permettre à Freud d’édifier ses interprétations. On admet alors qu’il est légitime de donner aux éléments du rêve une signification symbolique. On fabrique une Clé des songes et cette fois on réussit à interpréter tous les rêves.

Or il faut bien reconnaître qu’à chacune de ces trois catégories correspond une technique d’interprétation différente. Il peut sembler que dans la première catégorie on n’utilise aucune technique, puisque l’interprétation est immédiate. Mais en réalité il est nécessaire d’interroger le sujet — ou ses parents, s’il s’agit d’un enfant — sur les événements diurnes auxquels se rapportent les images du rêve. Ainsi nous comprenons ce rêve de l’enfant qui s’imagine manger des cerises, lorsqu’on nous apprend qu’il avait dû la veille en offrir à son père et qu’il eût préféré les garder (6) ; de même nous nous expliquons qu’une dame ait rêvé de divertissements mondains, lorsque nous savons qu’elle en a été pendant longtemps privée, à son grand déplaisir (7). Freud reconnaît lui-même, lorsqu’il s’agit des lapsus correspondant aux rêves de cette première catégorie, qu’intervient déjà une certaine interrogation du sujet : « Il a fallu demander aux personnes, nous déclare-t-il, pourquoi elles ont commis tel ou tel lapsus, ce qu’elles ont à dire à ce sujet. [p. 440] Interrogées, elles ont expliqué le lapsus par la première idée qui leur est venue à l’esprit. Vous voyez : cette petite intervention et son résultat, c’est déjà de la psychanalyse, c’est le modèle en petit de la recherche psychanalytique que nous instituerons dans la suite (8). »

A vrai dire, la recherche psychanalytique est assez différente : dès que nous passons aux rêves de la deuxième catégorie, une nouvelle technique intervient ; mais cette technique est fréquemment mêlée à la première, sans que jamais Freud fasse la distinction. Lorsqu’on demande en effet à un sujet de dire quelles pensées évoque en lui tel élément du rêve, il peut adopter deux attitudes : indiquer les événements ou les objets de sa vie diurne auxquels les images du rêve lui semblent apparemment se rapporter ; ou bien se laisser aller à des associations d’idées qui l’éloigneront très vite de ce point de départ. Spontanément, le sujet adopte assez souvent la première attitude et n’arrive à la seconde que sur l’insistance du psychologue. Parfois même, dans certaines analyses de rêve données par Freud, la séparation entre les deux moments apparaît assez nette (9). Or, tant que le sujet se borne à donner des éclaircissements sur les images du rêve, à les rattacher à telle scène, à tel objet dont elles reproduisent un aspect, on ne peut nier qu’il nous fournit des indications utiles, auxquelles il est permis d’accorder quelque valeur. Il n’y a là en effet qu’usage de la première technique et l’on ne contestera pas la légitimité de son emploi. Mais il n’en est plus de même de la seconde. Noter toutes les associations d’idées du sujet, lorsqu’il laisse aller sa pensée sans direction, cela peut permettre de découvrir certaines de ses tendances, mais il n’y a point a priori de raison de croire qu’on retrouve ainsi des pensées qui étaient à la base du rêve. Or Freud ne fait pas la distinction entre les deux techniques : il passe dans la même analyse de l’une à l’autre et crée ainsi une confusion favorable à sa thèse. On pourrait montrer que dans l’interprétation du rêve fameux de l’injection faite à Irma, qui est à la base de La Science des rêves (10), la seconde technique n’intervient qu’assez discrètement, tandis que la première y joue un assez grand rôle (11). C’est [p. 441] pourquoi l’on se sent prêt à reconnaître une certaine vraisemblance à une partie de l’interprétation de ce rêve : l’habileté de Freud est de partir, pour édifier sa thèse, d’une interprétation dont la technique est mixte.

Mais de cette seconde technique il faut encore distinguer celle qui est utilisée pour interpréter les rêves de la troisième catégorie. Le procédé ne consiste plus ici à faire appel aux associations du sujet, mais à découvrir un sens symbolique grâce à un dictionnaire établi d’avance (12). Sans doute ce procédé n’intervient d’ordinaire que pour compléter les résultats obtenus par les associations libres ; mais parfois il est possible de l’employer directement pour interpréter un rêve sans interroger le sujet, sans même le connaître : il y a donc là à n’en pas douter une technique tout à fait différente. Ici encore on pourrait montrer que, dans La Science des rêves, Freud tend à dissimuler la différence des deux dernières techniques, en faisant de la symbolisation un cas particulier de la figuration d’une idée en images ; mais il serait pour notre objet d’un médiocre intérêt d’insister sur ce point.

Je crois qu’il était nécessaire de bien distinguer les trois techniques et de reconnaître que de prime abord la première seule apparaît légitime : la question est alors de savoir ce qui peut justifier l’emploi des deux autres et l’interprétation qui en résulte. C’est tout le problème de la valeur de la psychanalyse qui se pose ici. Il ne faut pas nous attendre à trouver chez Freud un effort très net de justification précise. Autant qu’on peut saisir sa pensée, son raisonnement semble être le suivant : puisque dans certains cas le rêve est incontestablement la réalisation d’un désir, il est légitime d’essayer d’étendre la portée de cette constatation à tous les autres cas, si du moins l’on trouve le moyen d’attribuer un sens à n’importe quel rêve. On s’appuie donc sur l’adhésion que nous sommes prêts à accorder à la thèse de Freud en ce qui concerne la première catégorie de rêves. Mais la question est de savoir si l’interprétation des [p. 442] rêves de ce type s’impose, comme le soutient Freud, et si notre accord avec lui n’est pas simplement apparent. Or je crois qu’il suffit de préciser pour se rendre compte que l’interprétation qu’on nous donne n’est nullement évidente et que dès le point de départ on introduit une hypothèse arbitraire.

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LA CURA PSICOANALITICA- VOLVER A PENSAR » por Luis Hornstein .

Lorsque nous accordons qu’un désir intervient dans un rêve, nous voulons dire seulement qu’une image désirée y est apparue et que ce caractère désirable, en lui donnant un coefficient affectif élevé, a pu contribuer à son évocation, de même que l’eût pu faire tout autre élément d’ordre affectif, le fait d’être redouté par exemple et non plus désiré. Mais cela n’exclut pas la possibilité de se représenter d’une manière purement automatique le déroulement des images du rêve. On peut admettre que l’image désirée a été mécaniquement amenée par un état du corps, une perception ou une autre image : on comprend par exemple que la soif fasse surgir automatiquement l’image d’un verre d’eau, que la pensée d’une tâche pénible fasse naître l’idée d’une distraction, le caractère agréable de ces représentations intervenant peut-être simplement pour contribuer à leur évocation de préférence à d’autres images qui eussent été également évocables. C’est ainsi, je crois, que nous concevons le rôle des désirs dans ces rêves : c’est pourquoi nous ne nous étonnons pas que ce caractère désirable n’intervienne pas constamment, qu’il ne soit qu’un facteur susceptible d’agir comme beaucoup d’autres dans un processus plus général. Toute autre est l’interprétation de Freud : il ne veut pas dire simplement que dans les rêves de la première catégorie une image désirée intervient, mais bien que le rêve est pour le désir un moyen de réalisation ; le rêve, déclare-t-il, est un acte intentionnel, un acte motivé ; il conçoit qu’il y a derrière le rêve une intention explicite, un but conçu et que le rêve est suscité à titre de moyen pour atteindre ce but ; bien plus, le rêve apparaît comme la réalisation simultanée de deux désirs, le désir de dormir d’une part, le désir qui tendrait à réveiller le dormeur d’autre part ; il est un compromis, un moyen découvert pour satisfaire à la fois l’un et l’autre, accepté par l’un et par l’autre. La divergence est peut-être encore plus apparente lorsqu’on considère, au lieu des rêves, les lapsus : si nous reconnaissons en effet que parfois le lapsus s’explique par l’intervention d’une pensée perturbatrice et que cette [p. 443] pensée est apparue à la conscience parce qu’elle est désirée, nous n’en admettons pas moins que le lapsus en lui-même est produit mécaniquement, qu’il est le résultat d’une confusion entre l’idée que nous voulions exprimer et celle à laquelle nous pensions, donc le produit d’une interférence accidentelle entre deux courants de pensée qui auraient dû rester indépendants. Mais pour Freud, ce n’est pas seulement la présence de la pensée perturbatrice, c’est la perturbation elle-même qui est le produit du désir ; le lapsus répond à une intention et n’est pas un accident; il n’y a plus interférence mécanique, mais ici encore, comme le dit Freud, compromis.

Nous sommes donc en présence, nous semble-t-il, de deux interprétations très différentes qui impliquent deux représentations bien distinctes du déroulement des faits psychologiques. Je crois qu’on peut m’accorder que, si l’on se place au point de vue introspectif — et je suis forcé de m’y placer puisque c’est celui de Freud —, le fait que nous arrêtons notre pensée sur telle image, telle combinaison ou que nous accomplissons telle action peut se produire de deux manières : ou bien il y a eu intention explicite, l’acte ou la combinaison mentale a été conçu comme moyen pour réaliser un but posé par l’esprit ; il y a eu motif représenté comme tel, au besoin formulé ; ou bien le fait s’est produit sans intention explicite, automatiquement et doit pouvoir s’expliquer par l’action mécanique du passé, selon l’ordre de la causalité efficiente, si j’ose employer cette expression : habitude, liens associatifs, influence du passé sur le contenu d’une image ou d’une idée, sur son aspect affectif, etc. Il faut bien voir que, lorsque nous faisons intervenir un désir dans le déroulement de la vie psychologique, cela peut s’entendre de deux manières : ou bien cela signifie que telle fin a été posée comme telle et a fait adopter telles représentations comme moyens pour se réaliser, il y a eu motivation et nous sommes dans le premier cas ; ou bien nous voulons simplement dire que tel fait a automatiquement entrainé telle image, ayant un caractère affectif spécial que nous traduisons par le mot désirabilité, laquelle image à son tour a pu entraîner automatiquement une action ; nous sommes dans le second cas. Il faut donc se défier de l’ambiguïté du langage et ne pas croire que nous sommes d’accord avec Freud parce que nous [p. 444] parlons comme lui de l’intervention d’un désir. Assurément il faut bien reconnaître qu’entre ces deux modes de déroulement de la vie psychologique, il existe des intermédiaires, d’abord parce que notre conduite n’est jamais entièrement motivée sous tous ses aspects, en tous ses détails, ensuite parce qu’il peut exister une motivation confuse, un début de motivation, et encore parce que dans un déroulement automatique il est possible qu’intervienne une motivation antérieurement constituée ou ébauchée ; en sorte qu’il y a là plutôt deux limites extrêmes ; mais la distinction n’en reste pas moins légitime.

Or je crois qu’en ce qui concerne les rêves, les actes manqués et jusqu’à un certain point les symptômes névropathiques, presque tous les psychologues seraient assez disposés à admettre que nous sommes ici aussi loin que possible de la motivation, aussi proche, qu’il se peut de cette limite que constituerait un déroulement automatique. L’intervention d’images désirées dans le contenu du rêve ou à la base du, lapsus n’empêche nullement, nous venons de le voir, cette interprétation. Freud admet au contraire l’interprétation opposée. Il voit dans les rêves et dans les lapsus du premier type des actes motivés : c’est ce qui lui permet d’étendre sa conception aux deux autres catégories de rêves, car nous sommes alors en présence non plus de rêves simples et courts, mais de rêves complexes, et le rattachement à un désir consistera à supposer l’existence d’un vaste travail de construction, de combinaison de moyens répondant à une intention. L’interprétation freudienne de la première catégorie de rêves n’est donc nullement évidente, et Freud ne saurait invoquer, pour étendre son interprétation, un accord qui n’existe pas. Il admet en réalité dès le point de départ une hypothèse à laquelle il n’apporte même pas un début de vérification, mais qui lui permet d’interpréter arbitrairement les rêves de désirs. C’est donc sur un véritable postulat implicite qu’est basée toute sa conception.

Mais il faut encore qu’interviennent de nouveaux postulats pour justifier l’emploi des deux autres techniques. Il ne suffit point en effet d’admettre que les rêves ont toujours une signification pour qu’on soit en droit d’accueillir tout procédé qui permettrait de leur trouver un sens. Il faut encore accorder que les techniques qu’on propose permettent de découvrir leur signification véritable. L’emploi [p. 445] de la seconde technique suppose qu’on peut légitimement utiliser, pour découvrir la signification du rêve, tous les éléments fournis par les associations libres du sujet à partir des images rêvées. On admet donc que des associations non dirigées, au lieu de conduire dans les voies les plus diverses vers des objets qui peuvent n’avoir avec le point de départ que des rapports accidentels et médiats, retrouvent nécessairement les pensées qui ont auparavant motivé ce qui est maintenant le point de départ. Qu’un tel postulat ne soit nullement justifié par Freud, c’est ce qu’on a souvent marqué. Mais peut-être n’a-t-on pas assez souligné que toute la conception freudienne des rêves de la seconde catégorie résulte de ce postulat. Cette condensation, ce déplacement, cette figuration des idées en images, dont nous parle Freud, ne peuvent être tenus pour des données de l’observation ; on n’en reconnaît pas l’existence à la suite d’une vérification objective, mais bien parce que l’emploi de la deuxième technique les rend nécessaires. Puisqu’en effet les associations d’idées nous conduisent à un ensemble de pensées forcément beaucoup plus vaste que le point de départ, il faut bien admettre qu’il y a dans ce qu’on nomme le contenu manifeste une condensation de contenu latent. Puisque les pensées essentielles qui donnent sa signification au rêve ne sont pas présentes dans celui-ci, il faut bien admettre qu’il y a eu déplacement de leur valeur sur des images différentes. Puisque le rêve n’est qu’un défilé d’images, tandis qu’on veut trouver à sa base une pensée qui aurait une signification, il faut bien admettre que les idées ont été figurées par des images. Les caractéristiques du rêve selon Freud ne font donc en réalité que traduire les hypothèses nécessaires pour combler l’écart entre le rêve tel qu’on l’observe et le rêve tel qu’il le conçoit.

Si nous passons maintenant à la troisième catégorie de rêves, il faudra, pour justifier la technique de l’interprétation symbolique, admettre implicitement un nouveau postulat. Il ne suffit point en effet qu’une représentation puisse être employée avec une acception symbolique pour qu’on soit en droit, chaque fois qu’on la rencontre, de lui donner sa signification de symbole. Freud admet donc, sans apporter ici encore aucune vérification, qu’on peut accorder aux éléments d’un rêve le sens symbolique qu’ils ont parfois dans la pensée commune. [p. 446]

Mais il me semble que ces deux nouveaux postulats n’ont pas la même importance que le premier, car ils en résultent dans une certaine mesure. Si l’on admet en effet que le rêve est le produit d’une motivation, les images rêvées forment système avec les pensées qu’elles expriment, et dès lors il est assez naturel que, partant des images du rêve, le rêveur retrouve spontanément les pensées qui l’ont formé. C’est ainsi que, si l’on demandait à l’auteur d’un rébus ou d’une énigme — nous savons que pour Freud le rêve serait quelque chose d’analogue — d’indiquer tout ce qui lui vient spontanément à l’esprit lorsqu’il songe aux termes de son rébus ou de son énigme, il est assez vraisemblable qu’il évoquerait les pensées même qui s’y sont exprimées. De même, si l’on admet que le rêve répond à une intention mais qui doit se dissimuler, il est assez normal de supposer que l’intention du rêve a utilisé le procédé naturellement employé par toute pensée qui veut se traduire de manière voilée : le symbolisme. Il me semble donc que la base essentielle de la pensée de Freud, l’hypothèse qui sous-tend toute son interprétation est le premier des trois postulats dégagés : le postulat de la motivation, si je puis le désigner ainsi. Toute la conception du rêve en résulte sinon d’une manière nécessaire, du moins assez naturellement.

IV

La question est alors de savoir pourquoi Freud admet implicitement dès le début ce postulat, auquel il n’apporte dans la suite aucune vérification même partielle, car je ne pense pas qu’on puisse considérer comme une vérification indirecte le fait que le psychanalyste réussit à découvrir un sens à n’importe quel rêve : il est clair qu’avec les libertés que l’on se donne on arrivera toujours à trouver, pour quelque rêve que ce soit, au moins une interprétation.

Je crois que nous serons conduits à la solution si nous nous rappelons une idée sur laquelle insiste Freud : l’idée qu’on ne peut établir le déterminisme dans le domaine du rêve, des actes manqués, des symptômes névropathiques qu’à la condition de supposer que tous ces faits ont une signification : se refuser à admettre cette conception et la méthode qui lui est liée, ce serait, selon Freud, nier le [p. 457] déterminisme. Qu’il y ait là une thèse inadmissible, c’est ce que l’on a souvent noté : il est clair que dans le domaine des sciences de la nature ce n’est pas en faisant appel à des intentions qu’on est parvenu à établir le déterminisme. C’est qu’en effet, à côté du déterminisme de la motivation, il existe celui de la causalité efficiente : l’un et l’autre semblent intervenir dans la vie mentale. Mais Freud ne conçoit pas de déterminisme psychologique en dehors de la motivation.

Cette confusion me semble très significative. Je crois qu’il en faut chercher l’origine dans le fait que le déterminisme de la motivation présente sur celui de la causalité efficiente la supériorité de fournir une explication immédiate. Ce n’est en effet qu’après de multiples observations, de nombreuses expériences que l’on réussit à établir l’existence de lois de causalité, pour pouvoir ensuite, grâce à leur combinaison, expliquer l’enchaînement des faits concrets. Ainsi procède-t-on dans les sciences du monde matériel ; ainsi faut-il procéder en psychologie, mais avec plus de patience encore par suite de la complexité de l’objet, si l’on veut expliquer les phénomènes en recourant au déterminisme de la causalité efficiente. Mais par contre, si je fais appel au déterminisme de la motivation, il semble que je puisse immédiatement rendre compte des faits. Si l’on me, dit que, dans une région où les points d’eau sont rares, les habitations sont agglomérées, ou qu’une jeune fille, à laquelle on doit présenter le soir même un fiancé possible, est allée l’après-midi chez son coiffeur, je n’ai pas besoin, me semble-t-il, pour comprendre ces faits par une motivation, d’avoir établi, grâce à de patientes observations, de multiples lois psychologiques ; il me suffit d’une certaine connaissance des besoins humains et des conditions physiques ou sociales dans lesquelles ils s’exercent. Que l’explication ainsi obtenue soit vraiment satisfaisante et complète, cela est assurément douteux, ne serait-ce que pour cette raison qu’un acte, considéré dans tous ses détails, sous tous ses aspects, n’est peut-être jamais entièrement motivé. Mais il n’en est pas moins vrai que nous avons ainsi tout au moins l’illusion de comprendre. C’est pourquoi, lorsque nous cherchons dans le domaine psychologique une explication immédiate, nous avons naturellement tendance à recourir à la motivation. [p. 448]

Cet usage de la motivation, nous le rencontrons déjà dans la vie pratique. Mais nous l’apercevons aussi assez clairement, je crois, chez les savants qui ont étudié les conduites humaines complexes du côté social. Par exemple chez les historiens. On a sans doute encore présente à l’esprit une discussion déjà ancienne à la Société de Philosophie entre M. Simiand et les historiens : M. Simiand soutenait, à juste titre, me semble-t-il, qu’on ne peut affirmer une relation de causalité entre deux faits historiques qu’en s’appuyant sur une loi générale préalablement établie par une méthode scientifique ; les historiens au contraire ont tendance à admettre qu’on peut expliquer directement un fait particulier par d’autres faits particuliers sans sortir du concret — et c’est d’ailleurs ce que nous offre la pratique constante des historiens. Or s’ils adoptent si facilement ce point de vue, n’est-ce pas parce qu’ils admettent implicitement ce postulat — à côté de beaucoup d’autres — qu’un fait historique, qu’il s’agisse d’un acte individuel ou d’une réaction collective, est un acte pleinement motivé et qu’on peut dès lors expliquer, si l’on connaît les conditions dans lesquelles il s’est produit et les besoins généraux de l’humanité qui l’ont déterminé. De même, si les économistes pensent souvent pouvoir rendre compte des faits économiques sans recourir à cette méthode rigoureuse que préconise également M. Simiand, si notamment les économistes de l’école classique ont pensé qu’il était possible de déduire a priori les lois de l’économie politique, c’est parce qu’ils ont sous-entendu, entre autres choses, ce postulat que les actions économiques sont des actions complètement motivées, résultant, toutes d’un même besoin fondamental : dès lors, connaissant ce besoin et les conditions objectives de sa satisfaction, on peut prévoir a priori les actions humaines qu’il déterminera.

Nous comprenons maintenant pourquoi Freud recourt à la motivation. Si l’on voulait, en faisant appel à la causalité efficiente, trouver les raisons précises du fait que tel rêve, tel acte manqué, tel symptôme névropathique a tel contenu plutôt que tel autre, il nous faudrait une connaissance extrêmement poussée, dont l’acquisition ne peut être que bien lointaine, du déterminisme psychologique. Au contraire le postulat de la motivation nous permet une explication immédiate, pourvu seulement que nous possédions des matériaux [p. 449] suffisants pour orienter notre recherche. Il nous semble donc qu’ici encore c’est le désir d’aller vite, d’obtenir de suite une explication qui a conduit Freud à une construction arbitraire.

Mais peut-être pouvons-nous tirer de cette constatation un peu plus qu’un simple conseil de patience. En recourant au postulat de la motivation, Freud ne fait, me semble-t-il, qu’exagérer une tendance naturelle de l’esprit humain. Je crois que la pensée commune incline souvent à supposer une motivation, là où elle n’existe point ou bien ne joue qu’un rôle restreint. Lorsque nous constatons dans les actes de telle personne une tendance à l’économie par exemple, nous inclinons spontanément à nous représenter ce motif d’économie comme dirigeant consciemment ses actions, alors que ce caractère de sa conduite résulte peut-être d’habitudes acquises, d’une action mécanique du passé sur le déroulement des représentations présentes, sans qu’à aucun moment l’intention que nous supposons soit présente à son esprit. De même, nous avons tendance à motiver après coup nos propres actions pour notre satisfaction personnelle et pour celle d’autrui. Tel étudiant par exemple, s’il veut s’expliquer à lui-même ou expliquer aux autres son attachement à tel maître, invoquera des motifs rationnels, motivera son attachement, alors qu’en réalité celui-ci s’explique peut-être par la contagion de sentiments semblables, par l’effet mécanique de la voix du maître, de ses gestes, de sa personnalité physique, par l’existence de représentations agréables associés à son image, autrement dit par un ensemble complexe où peuvent intervenir des motivations partielles, mais où il est possible que domine l’action de la causalité efficiente.

Il me semble donc que nous pouvons voir dans la tentative de Freud un effort pour pousser jusqu’à l’extrême, jusqu’à l’absurde, pourrait-on presque dire, un besoin du sens commun, en faisant intervenir une motivation complète dans le domaine des actes qui semblent les plus éloignés de la motivation : rêves, actes manqués, troubles névropathiques. Si une telle tentative semble tout à fait arbitraire, je crois bien qu’elle comporte un enseignement salutaire. Puisque la pensée humaine a un tel besoin de motiver ce qui ne l’est pas, nous pouvons redouter que la psychologie positive, en étudiant les conduites humaines complexes, soit souvent tentée de céder à ce penchant. Dès lors il n’est sans doute pas mauvais qu’au seuil de [p. 450] cette nouvelle orientation de la-psychologie, l’échec de la tentative de Freud nous rappelle ce danger.

V

Je crois même qu’à ce point de vue une méditation sur l’œuvre de Freud nous donnerait bien des indications fécondes, qu’elle pourrait notamment nous encourager à critiquer ou à réviser quelques notions dont certains aspects sont liés au postulat de la motivation et qui dérivent jusqu’à un certain point de la pensée commune. Je me bornerai ici, pour illustrer cette remarque, à présenter quelques réflexions très sommaires sur deux de ces notions : celle de tendance et celle d’inconscient.

La notion de tendance, qui est une notion de sens commun, me paraît liée en effet à ce postulat de la motivation. La motivation permet seulement de rattacher tel acte comme moyen à une fin. Encore faut-il pour expliquer l’action qu’une fin soit posée. On est, dès lors conduit à admettre qu’il existe chez l’homme un certain nombre de fins permanentes, correspondant aux grandes catégories de ces actions. Précisément lorsqu’on observe le comportement d’un animal, on peut le ramener, et d’autant plus nettement qu’il s’agit d’un animal plus inférieur, à un certain nombre de conduites distinctes en nombre limité, tropismes ou instincts, qui se répètent identiquement ou à peu près au cours de la vie de l’animal et dont chacune se caractérise par son objet : le comportement se laisse donc ici décomposer en un nombre restreint d’activités, chacune orientée vers une fin particulière ; la notion de tendance peut avoir une signification assez précise. Chez l’homme, il faut bien reconnaître que la diversité des actions est infinie ; on supposera pourtant qu’il existe en lui comme chez l’animal un ensemble de fins innées ; mais on admettra que ces fins, au lieu de se réaliser par le déclenchement automatique d’un mouvement, aboutissent à l’acte par l’intermédiaire des motivations; et la capacité de l’être humain de réaliser une même fin par des moyens divers dans des conditions différentes expliquera la variété de ses actes. Sans doute on reconnaîtra que ces fins innées peuvent jusqu’à un certain point se [p. 451] transformer au cours de la vie, que notamment les circonstances de l’existence peuvent faire dériver de ces fins fondamentales des fins secondaires. Mais cela ne modifie pas le principe de l’explication. Or je crois que cette représentation qui est à la base de la conception commune de la tendance est beaucoup trop simplifiée. Il faut bien se rendre compte que, par suite de la complexité de la vie psychologique et de la solidité des faits mentaux, une action humaine, même lorsqu’elle est motivée, peut fort bien s’expliquer, non par l’intervention d’un fin permanente, mais par un désir passager, qui est lui-même le produit d’une grande multiplicité de facteurs où interviennent, en même temps que des motivations antérieures, beaucoup d’éléments qui ont agi mécaniquement, selon l’ordre de la causalité efficiente.

Mais la conséquence de cette représentation trop simpliste me semble être de nous faire supposer chez l’être humain une multiplicité de fins permanentes, chacune associée à un ensemble de représentations que L’expérience y a jointes et avec lesquelles elle forme système. Dès lors, on a tendance à morceler la personnalité en une série de systèmes relativement clos, à la ramener à une pluralité de petits personnages qui agissent jusqu’à un certain point de manière indépendante ; on expliquera une action en la rattachant à l’un d’entre eux. C’est ce que fait le psychanalyste lorsqu’il parle de complexes ; il est remarquable que la pensée commune ait adopté très vite cette notion de complexe qui fait déjà partie du vocabulaire courant des gens cultivés ; cela me semble bien montrer que la psychanalyse n’a fait ici que suivre une tendance de la pensée commune. — Par cela même qu’on morcelle, on aboutit à des problèmes factices, créés par un excès de simplification : on se demandera si telle action est la manifestation ou non de tel complexe, oubliant seulement que la plupart de nos actions sont des synthèses compliquées où interviennent de multiples éléments dont beaucoup n’agissent pas à titre de motifs. Ainsi le psychanalyste verra dans une conduite la manifestation du complexe d’Œdipe, quand elle est en réalité le produit d’une pluralité de facteurs, parmi lesquels ce sentiment ne joue peut-être qu’un rôle restreint. — Enfin on arrivera souvent à abstraire une tendance fondamentale du reste de la vie psychologique et à rendre compte ainsi, sans avoir besoin [p. 452] d’autres connaissances, de toute une catégorie d’actions. C’est ce que fait l’économiste quand il essaie de prévoir les phénomènes économiques a priori grâce à son abstraction de l’homo œconomicus. Lorsque le psychanalyste prétend expliquer tel rêve sans connaître le rêveur, il pratique, me semble-t-il, une abstraction analogue et fabrique un homo libidinosus dont on peut interpréter les manifestations sans avoir besoin de recourir à l’observation. Je crois donc que la psychanalyse peut ici nous montrer le danger de cette notion de tendance et nous engager à la réviser.

Nous pourrons faire des remarques analogues à propos de la notion d’inconscient. Si je laisse de côté ce qui conduit Freud à l’hypothèse du préconscient où n’intervient, me semble-t-il, rien qui lui soit particulier, pour considérer uniquement comment il arrive à la notion d’inconscient proprement dit, il me semble que sa conception repose sur le postulat de la motivation : si rêves, actes manqués, symptômes névropathiques supposent une motivation, comme l’affirme Freud, puisque d’autre part le sujet n’a aucunement conscience de cette motivation, il faudra que nous admettions qu’elle intervient invisible et présente, autrement dit qu’elle est inconsciente. Il est clair que si nous expliquions les faits selon l’ordre delà causalité efficiente, ce recours à l’inconscient n’aurait plus de raison d’être. Or il me semble qu’ici encore Freud ne fait que suivre une tendance de la pensée commune. Quand, pour reprendre mon exemple de tout à l’heure, nous apprenons de ce sujet que nous jugeons économe qu’aucun motif d’économie ne préside effectivement à ses actions, nous dirons peut-être déjà qu’il est inconsciemment économe. Sans doute faut-il ne pas prendre ici à la lettre, en un sens positif, le mot d’inconscient, mais nous sommes déjà dans la voie qui conduit à la reconnaissance de cette idée. — Nous nous avancerons un peu plus dans cette direction en reprenant un exemple donné par M. Claparède (13) pour montrer que la notion de refoulement répond à des faits familiers : il cite un passage de Rousseau où celui-ci s’étonne de faire spontanément un détour dans ses promenades, lorsqu’il approche d’un certain boulevard : il s’aperçoit à la réflexion que cette action a bien un motif dont il n’avait [p. 453] pas conscience : le désir d’éviter un petit mendiant qui lui déplaît. Je crois que la pensée commune admettra assez volontiers avec M. Claparède que le motif agissait inconsciemment. Mais on expliquerait les choses beaucoup plus simplement, selon l’ordre de la causalité efficiente, en disant que la vue du petit mendiant dans les promenades passées a communiqué à la représentation d’une certaine portion de chemin un caractère désagréable, ce qui entraîne automatiquement Rousseau à s’en détourner. L’inconscient disparaît dès qu’on abandonne cette supposition inutile d’une motivation. — Si maintenant nous nous tournons vers certaines des preuves, du reste assez populaires, de l’existence de l’inconscient, nous y retrouverons, me semble-t-il, poussée jusqu’au bout, cette tendance de la pensée commune. Quand on nous parle de la formation inconsciente d’une passion, d’un amour par exemple, je crois que l’on suppose, avant que l’amour ait été reconnu par le sujet, cette motivation qui explique les actes de l’amoureux conscient. On admet qu’une motivation inconsciente a transformé les pensées, les actions du sujet alors que cette transformation est peut-être le produit d’une causalité mécanique. Dans ce que l’on considère comme un passage de l’inconscient au conscient, il se peut qu’il faille voir en réalité un passage de l’ordre de la causalité efficiente à celui de la motivation. Ici encore l’examen de la doctrine de Freud a peut-être cet intérêt de nous rendre moins complaisants à admettre certaines des preuves de l’inconscient et par là même de nous convier à nous interroger sur la valeur de cette notion, du moins sous l’un de ses aspects.

Mais j’ai voulu seulement donner quelques indications rapides et je me hâte maintenant de conclure cette trop longue communication. Il me semble qu’au point de vue où nous nous sommes placés nous pouvons trouver dans la tentative de Freud à la fois un encouragement et une occasion de réflexion critique. Un encouragement, car il n’est pas interdit de penser que cet immense succès du freudisme, tout au moins auprès du grand public, s’explique en partie parce qu’il répond à un besoin, parce qu’il satisfait ce désir d’une étude concrète, vivante de l’âme humaine que la psychologie actuelle ne réalise guère. C’est, nous a-t-il semblé, parce qu’il s’engage dans cette voie que Freud est arrivé à des notions fécondes. Mais l’échec de sa tentative nous est un avertissement salutaire. Il ne nous [p. 454] montre pas seulement ce danger d’aller trop vite, dont on ne saurait en psychologie trop se garder. Il nous apprend à nous défier d’une direction naturelle de la pensée commune, qu’il nous a permis de dégager et dont il nous a fait entrevoir quelques conséquences. L’étude à laquelle nous venons de nous livrer nous est donc une invitation à prendre clairement conscience de notre besoin de motiver à l’excès les actions humaines, à essayer de découvrir comment cette tendance influe sur notre conception de la vie psychologique et à tenter un examen critique des interprétations et des notions qu’elle entraîne.

 

NOTES

(1) J’ai déjà eu l’occasion d’esquisser incidemment ce point de vue dans un article paru dans la Revue de Métaphysique en 1927. La thèse sociologique en psychologie, notamment p. 374-375, et dans un article de la Revue Philosophique, 1928, Mesure-t-on les fonctions intellectuelles, notamment p. 409, 427, 430 et suiv.

(2) Mesure-i-on les fonctions intellectuelles ? Revue Philosophique, 1927, p. 407 sq.

(3) Politzer dans sa Critique du fondement de la psychologie. J’ajoute que je ne souscrirais pas aux attaques que porte cet auteur contre la psychologie actuelle, attaques qui ne me semblent ni suffisamment mesurées quant à la forme, ni suffisamment justes quant au fond.

(4) J’ai essayé de montrer que les tentatives faites pour mesurer, les fonctions intellectuelles et l’intelligence globale n’ont pas su échapper à ce danger. Mesure-t-on les fonctions intellectuelles ? Revue Philosophique, 1927, p. 429.

(5) La Science des rêves, trad. Française ; Paris, Alcan, 1926, p. 596.

(6) La Science des rêves, trad. française, p. 121.

(7) Ibid., p. 447.

(8) Introduction à la psychanalyse, trad. fr., p. 46.

(9) Cf. le rêve analysé dans La Science des rêves, p. 260-261.

(10) La Science des rêves, chap. n, p. 97 et suiv.

(11) Quand par exemple Freud rattache la réception dont il rêve au fait que pour l’anniversaire de sa femme il doit donner effectivement une réception, les eschares des cornets du nez d’Irma à des inquiétudes sur sa propre santé, l’injection faite par Otto à ce que celui-ci a récemment fait une injection à une autre malade, c’est évidemment la première technique qui est employée.

(12) Je néglige ici pour simplifier les cas où les symboles sont particuliers au malade.

(13) Introduction à la traduction française de Cinq leçons sur la psychanalyse, p. 23.

 

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