Robert Bouvier. Psychologie générale. Sur la psychanalyse. Extrait de la « Revue de synthèse, organe du centre international de synthèse fondation « pour la science », (Paris), tome VI, n°1, avril 1933, pp. 87-105

Robert Bouvier. Psychologie générale. Sur la psychanalyse. Extrait de la « Revue de synthèse, organe du centre international de synthèse fondation « pour la science », (Paris), tome VI, n°1, avril 1933, pp. 87-105.

Un article peu connu défenseur de la psychanalyse, rarement répertorié parmi les historiens autorisés.

Robert Bouvier (1886-1978). Philosophe, privatdocent de l’université de Genève, connu pour son ouvrage : La Pensée de Ernst Mach: Essai de biographie intellectuelle et critique Paris: Vélin d’Or, 1923.

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PSYCHOLOGIE GÉNERALE.

SUR LA PSYCHANALYSE

Les deux groupes de psychologies. — Un psychologue très connu en Allemagne, M. Müller-Freienfels, professeur à Stettin, dans une intéressante chronique sur les Tendances principales de la psychologie allemande d’aujourd’hui (1), se demande si l’on peut encore parler d’une psychologie. Ne vaudrait-il pas mieux dire qu’il y a des psychologies, au pluriel ? Car « on peut bien distinguer aujourd’hui une bonne douzaine d’écoles différentes », qui se combattent et qui semblent n’avoir plus de principe commun. Cependant cette diversité de systèmes psychologiques se laisse distribuer, pense-t-il t en deux grands groupes, suivant les deux catégories opposées — chères à la pensée allemande — de l’objectif et du subjectif. Ici nous serions tentés de céder à un mouvement de défiance. Le Vocabulaire de Lalande nous a rappelé que les mots objectif et subjectif ont chacun quatre ou cinq sens différents et qu’une grande confusion règne dans leur emploi. De plus, il nous semble qu’aujourd’hui toute recherche de psychologie, à moins d’être un passe-temps d’amateur, prétend à la positivité, s’appuie sur des faits et des raisons, de manière à obtenir des résultats valables pour tout le monde, et en ce sens est objective. D’autre part, la psychologie est du groupe des sciences qui prennent pour objet le sujet pensant et ses diverses activités ; il s’ensuit qu’il est impossible d’interpréter, de définir un fait psychologique « sans -employer notre expérience interne comme système de notation » (A. Mochi). En ce sens, toute psychologie est subjective. Mais laissons l’auteur préciser, nous verrons plus clairement ce qu’il veut dire.

Le premier groupe, de la psychologie objective, naturaliste et analysante, comprend tous ceux qui ont suivi Ribot (et Wundt) dans la voie expérimentale, les psychologues de laboratoire, de tests, tous ceux qui prennent les faits psychiques pour des données objectives, qu’il faut isoler pour les décrire et les classer. Ils analysent la conscience en ses éléments constituants. Pour les uns, ces éléments sont des images sensorielles, capables de s’associer (associationisme plus ou moins perfectionné), pour d’autres ce sont des rapports dynamiques, schèmes, « formes » (Gestalten), fonctions, tendances, capables d’organiser le contenu psychique. D’autres enfin, faisant un effort plus accentué vers l’objectivité, analysent seulement les conduites ou comportements observables de l’individu, afin d’atteindre les réactions élémentaires [p. 88] qui composent sa vie psychique (behaviorisme). L’âme n’est que la sommation de ces phénomènes élémentaires, et de leurs parallèles physiologiques. Les explications que l’on recherche sont de préférence du type mécanique.

Le second groupe s’est recruté parmi les mécontents, ceux que la psychologie officielle a déçus et qui ont cherché des chemins nouveaux. Par réaction contre la psychologie analysante, ils ont constitué une psychologie subjective et totaliste. Pour eux le moi joue un rôle central, et les états de conscience, isolés par l’analyse, n’existent que dans l’ensemble d’un moi. L’âme est une totalité, jamais une sommation ; elle manifeste une activité compliquée, que l’on cherche à comprendre — plutôt qu’à expliquer — par ses buts, d’une façon téléologique. On s’intéresse davantage au subconscient et à l’inconscient, à la structure de l’âme et des caractères, qu’aux états élémentaires de la conscience claire. A ce groupe, appartiennent les psychologies « individuelle », personnaliste, vitaliste, la caractérologie, et enfin la psychanalyse.

En gros, l’opposition marquée par M. Müller-Freienfels est celle d’une psychologie positive au sens strict, où prédomine l’observation et l’analyse, soit des états de conscience, soit des comportements ; et d’une autre, où prédominent les considérations synthétiques, ou même spéculatives, sur le moi et sur l’inconscient ; celle-ci est positive aussi, mais au sens large. Naturellement tout système complexe et complet de psychologie fait une part aux deux tendances et déborde ainsi cette classification (tel est par exemple le cas de la doctrine de P. Janet). L’école néo-thomiste elle-même pense que la psychologia ezperimentalis doit être achevée par une psychologia speculativa.

La psychanalyse. — La psychanalyse, ayant eu son point de départ dans l’observation clinique et le traitement des psychonévroses, possède, de ce fait, une base positive. Mais, en dépit de son nom, l’analyse n’est pas restée sa méthode essentielle. Le Dr Freud, créateur de la psychanalyse, a construit, sur la base de ses observations, un original et ingénieux système de psychologie générale, une théorie spéculative et « subjective » de l’âme humaine, qui a pour caractère distinctif d’attribuer la première importance aux instincts, aux tendances affectives inconscientes. Le freudisme semble partager avec le bergsonisme le trait anti-intellectualiste, irrationaliste, qui répond sans doute à l’un des goûts profonds de notre époque. De là, le succès universel de ces deux systèmes, si différents par ailleurs.

La popularité de la psychanalyse est telle qu’aux États-Unis, par exemple, « dans des journaux américains qui tirent à des millions d’exemplaires, des jeunes filles racontent leurs rêves, que le psychologue du journal explique avec un sérieux imperturbable, selon la méthode freudienne (2). En Allemagne, dit M. Müller-Freienfels, « il y eut une époque où les moineaux sur les toits s’entretenaient de leurs refoulements et de leurs complexes sexuels », et les enfants des collèges déjà parlaient de leur « Mico », abréviation [p. 89] familière du mot « Minderwertigkeitskomplex » (complexe d’infériorité). On commence à être un peu plus réservé. Les Freudiens purs forment entre eux une sorte de secte. En France, la psychanalyse n’a commencé à pénétrer que depuis 1913-1914, notamment grâce au livre des Drs Régis et Hesnard, La psycho-analyse des névroses et des psychoses (Alcan, Paris, 1914). Mais, la guerre aidant, la plupart des médecins et la majorité du public cultivé français ont opposé une vive résistance à cette innovation germanique. Il y a quelques années, le Dr Ch. Blondel a frappé un grand coup contre elle par sa cinglante critique (La Psychanalyse, Alcan, Paris, 1924) et M. Marcel Boll a traité avec la plus grande sévérité « Le système du Dr Freud » (Mercure de France, n° du 1er juillet 1924). Cependant la doctrine de Freud a fait des adeptes ; la méthode psychanalytique est pratiquée maintenant à la clinique psychiatrique de la Faculté, à Sainte-Anne, et elle est introduite dans le programme des études médicales françaises. La Société psychanalytique de Paris publie dans sa Revue française de psychanalyse, fondée en 1927, des travaux de valeur. Les psychanalystes du monde entier ont leur association internationale et leurs congrès.

La masse de la littérature psychanalytique est énorme en allemand et en anglais, et considérable aussi en français. Celle-ci s’est enrichie cette année de quelques volumes nouveaux, dont, à vrai dire, la moitié sont des traductions. Aux treize ouvrages de Freud déjà traduits, s’en ajoute un nou­veau : L’Avenir d’une illusion (3) ; aux quatre ou cinq du Dr C.-G. Jung, deux nouveaux : Métamorphoses et symboles de la Libido (4), et Essais de psychologie analytique (5). Il paraît en outre une étude sur Freud (6), par Stefan Zweig ; deux ouvrages d’un psychanalyste français, le Dr Allendy, la Psychanalyse (7), et Capitalisme et Sexualité (8) ; enfin une étude de Mme M. Combes, Le Rêve et la personnalité (9) (qu’on peut, à cause de son sujet, faire rentrer dans la littérature psychanalytique), et quelques autres que je mentionnerai. A l’occasion de ces publications, je voudrais montrer sommairement, laissant de côté le point de vue médical, en quoi la psychanalyse a enrichi et renouvelé la psychologie générale.

Le Dr Freud. — Le célèbre romancier et essayiste viennois Stefan Zweig est l’auteur d’études très remarquées sur Tolstoï et Dostoiewski, Nietzsche et [p. 90] Hôlderlin, Mme Baker-Eddy et Mesmer. Son essai sur Freud, enfin, est un des meilleurs de la série, écrite tout entière avec cette éloquence vibrante et précisé, avec ce pathétisme un peu abstrait qui caractérise la manière de M. Zweig. C’est un tableau saisissant de la personnalité et de l’œuvre du fondateur de la psychanalyse. Le chapitre d’introduction dépeint « la situation morale au tournant du siècle » : la pruderie hypocrite de l’époque 1900, la consigne adoptée par toutes les autorités sociales d’écarter les problèmes vitaux en fermant les yeux, la conjuration du silence que la famille, l’école, l’Église ont décidé de faire sur tout ce qui concerne la sexualité, l’atmosphère étouffante dont tant d’adolescents ont souffert. Et tout à coup, voici qu’un jeune psychiatre viennois, fort de ses découvertes et de sa sincérité inexorable, diagnostique que les névroses découlent du refoulement du désir sexuel. Parler d’un sujet aussi épineux, fût-ce à des médecins, fait scandale. L’embarras, la vive opposition de ses confrères surexcitent sa combativité intrépide, et c’est alors avec un véritable « sadisme de la vérité » que le Dr Freud proclame : que les instincts ne se laissent pas réprimer impunément ; que la Libido, stigmatisée par la morale, est une force indestructible dans l’être humain ; que le seul moyen de guérir les troubles morbides qu’elle peut causer est d’en prendre conscience clairement, « mettre à nu, au lieu de voiler ». « Sans ménagement pour la pudibonderie du siècle, Freud lance ces problèmes du refoulement et de l’inconscient au beau milieu de l’époque » (Zweig, p. 27).

Ce révolutionnaire, ce libérateur, qui, par sa vision créatrice, « a donné à l’humanité une notion plus claire d’elle-même », qui est-il ?

Un médecin, bon père de famille qui, favorisé d’une santé de fer, consacre uniformément toute sa vie à un labeur intense, où il met une concentration d’esprit extraordinaire : huit ou neuf heures par jour, il traite ses patients, malades nerveux, et il rédige ses ouvrages. Pas de fiches, pas de secrétaire, sa mémoire retient tout. Esprit d’une originalité, d’une netteté tranchante, qui ne se laisse imposer par personne. Regard pénétrant, où flamboie l’énergique intransigeance d’un grand combatif. Style froid mais d’une précision lumineuse (Zweig, ch. II).

Si Freud a créé une psychothérapie, puis une psychologie nouvelle, c’est qu’il n’a pu se satisfaire de celles qu’on lui a enseignées. Reçu agrégé de neurologie en 1885, à Vienne, il a senti toute l’insuffisance du matérialisme médical qui régnait à cette époque. La technique consistant à traiter les nerfs des malades mentaux par l’hydrothérapie lui parait totalement inopérante. Il est né psychologue, mais ignore encore sa vocation. La réputation de Charcot l’attire à Paris, et ce maitre lui donne la révélation d’une manière psychologique, intellectuelle, de considérer et de traiter l’hystérie et les névroses, en s’aidant de l’hypnotisme. De retour à Vienne, raillé par ses collègues pour les vues nouvelles qu’il rapporte, Freud cherche sa méthode. Son ami Breuer le met sur la voie en lui exposait un cas de guérison singulier : une jeune hystérique, mise en état d’hypnose et, de ce fait, cessant d’être empêchée par la pudeur de se confesser librement, dévoila à son médecin l’obsession particulière qui, à son insu, l’avait rendue malade. Une fois [p. 91] éclairée sur elle-même, elle guérit. De ce point de départ et de ses observations personnelles, poursuivies avec une application extrême, Freud tira sa ·méthode thérapeutique et ses idées doctrinales. Le principe général en est le suivant : les sentiments intimes, violemment heurtés, arrêtés dans leur cours naturel et refoulés sous la pression du milieu social, semblent disparus, oubliés ; en réalité, ils s’accumulent et travaillent dans l’inconscient ; ils y suscitent certaines attitudes affectives typiques (les « complexes ») et se manifestent au dehors par toutes sortes de symptômes névrotiques ou psycho­ pathologiques, dans-lesquels on ne reconnaît plus la cause qui les a provoqués. La méthode « cathartique » de guérison consistera à déceler l’événement qui est devenu la cause inconsciente de la déviation et du conflit intérieur et à faire prendre au patient une conscience claire et active de soi­ même.

La méthode psychanalytique. — La grande difficulté était de trouver la méthode permettant d’explorer l’inconscient. Freud a renoncé à l’instrument dangereux qu’avaient employé Charcot et Breuer, l’hypnotisme, et il a inventé ce mode spécial de coopération entre le médecin et le malade, où celui­ ci se raconte, en livrant sans recherche ses réminiscences, les associations d’idées qui lui viennent, en citant ses actes de distraction, ses rêves, etc. Au médecin d ‘observer le sujet « avec une subtile attention », de diriger sa confession, et de découvrir, sous l’amas des indices qui s’offrent, les sentiments inhibés, fauteurs ignorés des troubles. M. Zweig décrit avec talent cette opération délicate, qui est aussi une lutte, car il arrive que le malade, inconsciemment, se cramponne à sa maladie, qui fait partie de son moi profond, et se rebelle contre la cure. Des émotions confuses le saisissent ; souvent il « transfère » sur la personne du psychanalyste les sentiments d’aversion ou d’amour qui ont été ramenés au jour de sa conscience. Mais les explications du médecin, s’il est clairvoyant, habile, persévérant et ferme, finissent par remettre tout en ordre (10).

Cette technique si originale, a suscité, comme la doctrine théorique de Freud, beaucoup de critiques. Dans les comptes-rendus de cures, on a relevé l’arbitraire (et l’indécence) de certaines interprétations du psychanalyste, et on lui reproche de les suggérer lui-même, de les imposer au patient. A l’argument pragmatique des guérisons effectivement obtenues, M. Ch. Blondel répond ironiquement que, dans le même temps, les malades auraient guéri d’eux-mêmes, sans la cure. Il n’appartient qu’aux spécialistes d’argumenter là-dessus, preuves en main. La question est de savoir si la psychanalyse pourra jamais s’affirmer avec la validité absolue d’une méthode [p. 92] clinique exacte. Pour le moment c’est plutôt un art personnel, fort délicat, et qui a souffert de l’intrusion des amateurs. A ce propos, Freud lui-même a fait preuve d’une indulgence curieuse, quand il a dit que la pratique de son art n’est « point difficile à apprendre ». M. Zweig pense, au contraire, qu’elle exige un « connaisseur d’âmes né et expérimenté » — l’apprenti-psychanalyste doit se faire psychanalyser lui-même par un confrère, — un esprit doué d’intuition, de tact, de patience et d’autorité, comme un habile confesseur. Car la comparaison avec le prêtre s’offre ici naturellement, ainsi qu’avec le juge d’instruction. Ne s’agit-il pas d’un procès à liquider, d’espèce singulière, où la victime et l’assassin, l’avocat et l’accusateur, se trouvent réunis dans la personne du malade ? (p. 111).

Quoi qu’il en soit, on ne saurait refuser a priori, à la technique psychanalytique bien conduite, le pouvoir de soulager et de guérir, si l’on accorde à la doctrine sur laquelle elle se fonde une part de vérité. C’est le point qu’il nous faut examiner maintenant. Quelles vérités nouvelles la psychanalyse a-t­elle apportées à la psychologie générale, à la connaissance de l’âme humaine ? Aucune, disent les adversaires, et M. Ch. Blondel raille l’illusion de Freud qui « semble toujours persuadé qu’il a découvert l’inconscient ». Eh bien ! sans doute, Freud n’a « découvert « ni l’inconscient, ni l’instinct. Mais s’il avait renouvelé complètement ces deux notions, si, sous les noms de libido, de refoulement, de symbolisme, de sublimation, il avait ouvert ou enrichi d’importants chapitres de la psychologie, il faudrait bien reconnaître qu’il a fait avancer cette science.

L’inconscient avant Freud. — Pour s’en rendre compte, il suffit de comparer, sur quelques points, la psychologie préfreudienne (11) et celle d’aujourd’hui. Essayons de le faire sommairement en ce qui concerne l’inconscient. La notion d’inconscient est obscure et d’un maniement difficile, aussi est-elle absente de la psychologie classique, éprise de clarté, notamment de l’école condillacienne ; elle ne fait son apparition que tardivement et avec peine. Laissons de côté les remarques de Leibniz sur les « petites perceptions », infinitésimales, inaperçues, mais qui grâce à leur grand nombre « ne laissent pas de se faire sentir, au moins confusément, dans l’assemblage ». Voici ensuite les remarques, plus pénétrantes, de Maine de Biran sur l’affectivité pure, c’est-à-dire une activité de l’âme, dans laquelle les impressions s’évanouissent à mesure qu’elles se produisent, une conscience sans mémoire qui équivaut à l’inconscience. Le même auteur parle des « perceptions obscures » (1807), par quoi il entend les sensations cutanées, légères et fugaces, les impressions organiques très faiblement conscientes, « senties » mais non « aperçues », qui accompagnent presque toujours notre activité consciente et influent sur notre humeur (Cf. la cénesthésie de Ribot). Du même ordre sont les considérations de W. James sur les états marginaux, représentations faibles et indistinctes, comprises dans la zone périphérique obscure du « champ de la conscience », mais que l’attention peut à chaque instant ramener [p. 93] en son « foyer » bien éclairé. Il s’agit donc des états subconscients qui entourent comme d’une « frange » ou qui accompagnent continuellement en sourdine notre vie consciente. On pourrait les appeler le subconscient marginal actuel.

Bientôt la notion de ce qui déborde la conscience claire s’élargit. Au delà du subconscient périphérique, n’existe-t-il pas des états psychologiques tout à fait extérieurs à la conscience active ? Sous quelle forme existent, par exemple, les souvenirs oubliés (mémoire pure) ? les habitudes acquises, que l’on n’utilise pas présentement (savoir latent) ? Comment se représenter les intermédiaires inaperçus, mais pourtant nécessaires, dans certaines associations d’idées ? les opérations mentales insaisissables, les actes de comparaison rapide qui doivent intervenir dans la reconnaissance ou simplement la perception d’un objet ? (par exemple dans l’acte de voir un corps en relief, à sa vraie distance, et dans sa grandeur réelle). Peut-il y avoir des « jugements et des raisonnements inconscients » ? Ces questions enveloppent des difficultés et du paradoxe. Aussi, Bergson y répond par une théorie paradoxale : « les souvenirs oubliés ont une existence entièrement indépendante du cerveau, ils ne sont pas enregistrés ; il n’y a pas de registre ». Mais la psychologie positive ne peut pas s’en déclarer satisfaite, non plus que de l’explication diamétralement contraire de Ribot, qui tendrait à déposséder la psychologie de toute la question : « l’inconscient, c’est le physiologique ». Explication verbale, car le conscient c’est aussi le physiologique (puisque la pensée est toujours accompagnée d’un fonctionnement cérébral), et cela ne l’empêche pas d’être en même temps la matière par excellence de la psychologie proprement dite (12).

Peu à peu donc, et non sans vaincre des résistances, s’impose l’hypothèse de l’inconscient psychologique : il y a des faits non conscients, qui ne se manifestent qu’indirectement par leurs aboutissements dans la conscience et pourtant sont bien de nature psychologique ; ils ne peuvent être confondus avec les processus neuro-cérébraux. Contrairement au postulat de l’ancienne psychologie cartésienne, on doit admettre la réalité de processus mentaux, extérieurs à la conscience claire : le psychique déborde le conscient.

Sur la structure et le genre d’activité de cet inconscient, on a fait certaines découvertes intéressantes avant Freud. Par exemple, l’étude que Th. Flournoy a faite d’un médium extraordinaire, Hélène Smith (Des Indes à la planète Mars, 1900) révélait l’existence de couches d’inégale profondeur dans l’inconscient. Outre ses facultés normales, de qualité moyenne, le sujet en question possédait une mémoire et une imagination cachées (cryptomnésie), trop profondes pour pouvoir être ramenées à sa conscience normale, mais qui offraient à l’observation toutes leurs richesses, dans l’état somnambulique. D’autre part, M. Pierre Janet a expérimenté sur des malades à vie consciente très réduite (à basse tension psychologique) ; mais dont les discours, les gesticulations, l’écriture dite « automatique », permettaient d’observer comme à nu le mécanisme de leur vie mentale [p. -4] inconsciente. M. Janet l’a décrit sous le nom d’automatisme psychologique. — Cette forme d’activité est caractérisée par l’incoordination, le manque deconnexion et d’action réciproque interne entre les éléments psychiques, la répétition machinale. L’inconscient apparaît comme une conscience plus ou moins désagrégée. La vie psychique à son début, dans l’enfance, ou à son déclin, dans la maladie ou la sénilité, est tout entière automatique. Que les· centres cérébraux supérieurs se développent, par la croissance de l’enfant, ou que des causes momentanées d’excitation agissent sur l’individu, sa tension psychologique s’élève, l’activité mentale sporadique s’unifie, devient cohérente, pratiquement efficace, lucide ; il passe du subconscient automatique à la conscience claire. Inversement, que la fatigue, la maladie ou la vieillesse dépriment la tension, l’oscillation contraire se produit, la synthèse consciente se désagrège, se dissout, retombe dans l’automatisme.

Telles étaient les conceptions de l’inconscient avant Freud. Leur caractéristique est d’abord de ne considérer que les éléments intellectuels, les images et leur association, puis de donner à l’inconscient, une place subalterne par rapport au conscient. En effet, le subconscient marginal ne peut que colorer ou influencer faiblement l’activité consciente, l’inconscient statique ou latent est un dépôt à peu près inerte, une simple réserve d’états appartenant au passé de l’individu, qui vont s’effaçant et se corrodant de plus en plus, et que la conscience active vient parfois tirer à la lumière, on ne sait comment. Enfin si la doctrine de l‘automatisme psychologique accorde une certaine activité aux éléments de la subconscience, c’est une activité purement conservatrice, inférieure, machinale, incapable de créations, sinon puériles. L’activité efficace, dirigeante, ne peut appartenir qu’à la conscience.

L’inconscient dynamique. — En découvrant le dynamisme de l’inconscient, Freud renverse, à bien des égards, ce qui a été posé avant lui. Loin d’être seulement un « magasin où l’oublié et l’inemployé traînent sans but » (Zweig, 75), l’inconscient est vivant, actif, créateur, dirigeant. Il n’est pas le résidu de l’âme, mais au contraire sa matière première. Nos tendances instinctives fondamentales, qui représentent le passé de l’espèce se composent dans notre inconscient avec notre passé individuel, ce que nous avons senti, pensé, voulu depuis notre enfance. Mais les complexes qui en résultent ne sont pas inertes, ils sont doués d’une force spontanée d’expansion. L’inconscient est normalement sous pression, il est composé de pulsions (Triehe). (On se souvient que pour Janet, au contraire, la « tension psychologique » est fonction de l’activité consciente seulement.) Pour Freud, c’est « la volonté primordiale de l’inconscient de monter à la lumière, de devenir conscient et de se libérer par l’action » (Zweig, p. 78). Il presse contre la porte de la conscience, qui voudrait le laisser dehors (13). La réaction contre la poussée de l’inconscient, non moins énergique que cette poussée même, est pourtant à peine ressentie. Aussi Freud lui donne pour siège non pas la [p. 95] conscience, mais une zone intermédiaire, qu’il appelle le « préconscient » ; zone de passage, mais nullement zone neutre, le préconscient est un intense champ de forces (Allendy, La Psychanalyse, p. 35). Dans cette lutte) aux chances variables) c’est à tout prendre, plutôt l’inconscient qui est le vainqueur. « Celui-là se leurre, qui croit que nos énergies conscientes, nos pensées claires déterminent seules nos actions et nos sentiments. Notre vie ne se déroule pas librement dans la sphère du rationnel, mais cède à l’incessante pression d’un passé apparemment oublié ». (Zweig, p. 77). Dans la direction effective de la conduite, même des normaux, la plus grande part revient probablement à l’inconscient. On voit quel renversement des rôles la psychanalyse a opéré. Depuis Freud, on ne pense plus que le choix intelligent et le pouvoir de synthèse soient le privilège de l’activité consciente ; l’inconscient aussi est capable à sa manière de choisir, d’unifier, d’inventer (14).

Le refoulement. — La détermination des rapports dynamiques entre l’inconscient qui veut se manifester et le conscient qui le refoule, est un problème qui a beaucoup occupé Freud. Il est intéressant de voir un critique, en général sévère pour la psychanalyse, M. Georges Dumas, reconnaître que la théorie du refoulement, de son mécanisme, de ses conséquences, est neuve, personnelle, que Freud en a fait des applications ingénieuses et profondes (Traité de psychologie, 11, p. 1031).

Le refoulement est un fait psychologique général, que reconnaissent d’ailleurs implicitement tous ceux qui admettent, avec Janet, que la conscience est avant tout une activité de synthèse et de sélection. En effet, la conscience ne réalise son unité qu’au prix d’un effort perpétuel de coordination et, corrélativement, de rejet, puisqu’il s’agit d’éliminer tout ce qui pourrait la compromettre. Pour penser, il faut détourner son attention des bruits environnants, des images perturbatrices. La synthèse consciente suppose une force d’élimination très active, dirigée contre toutes les associations étrangères à l’intention intellectuelles (15). Le mérite de Freud fut de généraliser cette loi en l’appliquant à la vie affective. Il nous arrive de lutter consciemment et volontairement contre un sentiment de peur, de haine, qui nous fait honte ou nous déplaît ; dans ce cas, il faut parler plutôt de répression. Le refoulement freudien est une action entièrement inconsciente. Nous refoulons continuellement, sans le vouloir, les pulsions et désirs perturbateurs, les émotions mineures en opposition avec notre situation affective générale. L’unité de notre conduite est à ce prix (Allendy, p. 33).

Le symbolisme et le rêve. — Avant d’indiquer plus précisément la nature des pulsions ou affects « indésirables », objets du refoulement, et celle des forces inhibitrices, il nous faut exposer une autre loi générale de la vie mentale dont la découverte a beaucoup aidé à comprendre tout ce dynamisme. [p. 96] Si les forces inconscientes régissent au fond presque tout le comportement des hommes, n’importe quelle réaction humaine pourrait, en principe, servir à révéler ces forces. Mais, en général, la révélation est trop indirecte, l’inconscient est trop enveloppé par la conscience du moi social ; il ne se manifeste un tant soit peu que par certaines voies, dans certaines conditions privilégiées, dans les cas où le contrôle du conscient et du pré­conscient qui l’enserrent, se relâche plus ou moins. Il y a une méthode intuitive, naturelle, de connaitre les caractères et les instincts profonds, qui utilise les indices fournis par les gestes, les attitudes, la voix, et plus récemment, l’écriture. Mais cette connaissance toute pratique n’a guère pu être systématisée, sauf en ce qui concerne l’écriture. La graphologie, dit M. Pierre Ménard, pourrait être une « méthode scientifique d’étude du subconscient » (16) (L’Écriture et le subconscient, Psychanalyse et graphologie, Alcan, 1931).

Freud, lui, s’est adressé à des comportements négligés par les psychologues comme insignifiants et fortuits : les distractions, les rêves. Il les montre au contraire déterminés par un rapport affectif et particulièrement révélateurs de l’inconscient. Le groupe qu’il appelle les « actes manqués » comprend les lapsus, les oublis et les distractions. Ce sont des défaillances momentanées d’une activité consciente, en même temps que des triomphes fugitifs d’une intention contraire, précédemment refoulée. Dans la cure psychanalytique, la confession par les libres réminiscences et associations d’idées du malade, n’est au fond qu’une rêverie parlée, que le médecin sollicite de sa bonne volonté, en tâchant d’endormir les résistances du conscient. Enfin, dans le rêve, la conscience de veille est évanouie, l’inconscient seul se manifeste. « Le rêve constitue une fenêtre ouverte sur l’inconscient », dit Mme Marguerite Combes dans son livre récent, le Rêve et la Personnalité (p. 172). Or, quand on cherche à entendre, par les actes manqués, ou par le rêve, la voix de l’inconscient, on s’aperçoit qu’elle serait souvent inintelligible sans une méthode d’interprétation symbolique.

Une dame avait oublié d’aller essayer sa robe de mariage et ne s’en souvint que peu avant la cérémonie, au grand désespoir de la couturière. On en infère très simplement que, dans son inconscient, elle n’était pas heureuse de se marier. L’intention refoulée inconsciente a joué un mauvais tour au moi conscient. Il est clair que la robe symbolise le mariage même (Allendy, p. 41). Voici un rêve dont l’interprétation symbolique n’est pas aussi aisée :

Un homme rêve qu’on le présente à la fille d’un souverain ; entre eux deux, se trouve une coupe de communion. Ce rêve l’étonne et l’amuse, car il n’a jamais été question pour cet homme de pouvoir aborder une famille régnante. Le psychanalyste découvre bientôt que cet homme vit en mauvaise intelligence avec sa femme, qui lui fait grief de sa situation sociale inférieure. Son rêve réalise symboliquement un désir toujours refoulé, celui d’abandonner sa femme. En se jugeant digne d’épouser une fille de roi, il [p. 97] donne la meilleure réplique aux reproches d’infériorité sociale par lesquels on l’humilie. Au lieu d’apparaître comme une production bizarre, le rêva trouve sa place toute marquée dans la psychologie particulière de ce sujet. Ses scrupules moraux obligent son inconscient à n’exprimer ses désirs que sous des déguisements, des symboles : la coupe de communion, la princesse (17). Freud et ses disciples ont cité et analysé une foule de rêves beaucoup plus compliqués que celui-là, et il faut avouer que souvent ils ont fait des efforts ingénieux d’interprétation symbolique, qui prêtent au reproche de fantaisie et d’arbitraire. Mais cela n’infirme en rien la vérité de la loi générale du symbolisme, que Freud a mise en pleine lumière.

Le symbolisme a une double origine. Tout état de conscience qu’on ne peut pas aisément imaginer ou décrire en mots, et d’autre part, tout état qu’on ne peut pas exprimer directement, tendra à se traduire par une image concrète, ayant avec ce qu’elle désigne une correspondance analogique. La pensée primitive, étant peu capable d’abstraction, procède par images et nous apparaît toute symbolique. Le langage populaire aussi est plein de symboles et de métaphores. Les idées et idéaux de la religion et de la morale se sont toujours exprimés par des symbolismes. Il y a tels états affectifs subtils qu’une pensée même évoluée ne peut enfermer dans une formule verbale adéquate et qui, pour être décrits, exigent des symboles.

D’autre part, une représentation désagréable ou fâcheuse, qu’on veut laisser entendre sans l’exprimer directement, crûment, demande aussi une tournure figurée, une allusion. Le symbolisme de l’inconscient possède ces deux aspects. La plupart des pulsions et tendances obscures de l’inconscient ne sont, de leur nature, pas représentables autrement que par images concrètes, symboliques ; en outre, subissant toujours le refoulement, l’inconscient réagit en rusant et en poétisant, il s’habitue à employer des déguisements, et même quand il aurait libre carrière — dans le rêve — il s’exprime par allusions symboliques, afin de manifester son vouloir tout en le dissimulant.

La théorie du rêve, incomplète mais profonde, dont Freud a enrichi la psychologie, est assez connue pour n’avoir pas besoin d’un nouvel exposé. Pour Freud, la fonction essentielle du rêve est de réaliser symboliquement un désir inassouvi, afin de décharger d’autant la pression interne. Un dormeur que tourmente un besoin organique, la soif par exemple, rêvera qu’il se désaltère ; si le besoin ne recevait pas de la sorte au moins ce substitut de satisfaction, il troublerait le sommeil. « Le rêve est le gardien du sommeil ». Il en est de même pour les convoitises, les envies qui « fermentent furieusement en nous tous » (Zweig, p. 100 sq.). En rêve, le vieillard rajeunit, le désespéré se console, l’oublié devient célèbre. Le rêve est la soupape de nos sentiments. Sans doute, il y a des formes de rêve qui ne répondent pas à cette définition (18). Freud ne les nie pas, il ne s’est occupé que de celles qui intéressaient son système. [p. 98]

La libido et la série des instincts. — Nous avons vu que la « matière première » de l’inconscient, ce sont des instincts ou pulsions. L’instinct est une notion que Freud a renouvelée à l’égal de celle d’inconscient. Dans les psychologies préfreudiennes, le chapitre de « l’instinct » commençait ordinairement par une définition abstraite, plus ou moins heureuse ; elle était précisée ensuite par une série de démarcations entre concepts voisins. Il s’agissait de distinguer l’instinct : du réflexe, de l’habitude, de l’acte volontaire, de la tendance, du besoin, de l’appétit, etc. Suivaient quelques observations sur les instincts des insectes, des poulets, puis la double et classique opposition entre l’animal et l’homme, entre l’instinct et l’intelligence. L’auteur essayait de dresser alors un « tableau » des instincts de l’homme. Mais, ou bien il le réduisait à trois ou quatre grandes rubriques : nutrition, reproduction, instincts sociaux. Ou bien, s’avisant (avec W. James) que les instincts de l’homme sont très nombreux, il se lançait dans leur énumération et, faute d’un bon principe de coordination, alignait, pêle-mêle l’imitation, le sourire et « l’instinct de monter sur les lieux élevés ». Il terminait en nous apprenant que « l’instinct est un mode d’activité spécifique qui ne fait qu’un avec la vie ».

Freud a remplacé toute cette idéologie par une conception évolutive nouvelle des instincts, fruit de ses observations cliniques, systématisées pat son génie constructif. Cependant il s’est produit à ce sujet un malentendu initial, qui a nui à la juste compréhension de sa théorie. Il porte sur la libido et le pansexualisme. Dès qu’il a commencé à explorer le subconscient de ses malades (névrosés divers, qu’on appelait alors indistinctement hystériques), Freud n’a pu que reconnaître la justesse du mot qu’il avait entendu dire à Charcot, à propos de la cause de l’hystérie : « Dans des cas pareils, c’est toujours la chose sexuelle, toujours ! » (Allendy, p. 83, Zweig, p. 131). De là, la tentation de prêter à cette pulsion sexuelle, « notre instinct le plus vital », la prépondérance sur tous les autres ; de là le choix du mot libido pour désigner « l’impulsion centrale qui anime les manifestations instinctives de l’individu » (Allendy, p. 26).

En outre, la méthode d’appel des réminiscences libres le conduisit à remonter dans le passé du patient, jusqu’à ses premiers souvenirs d’enfance. Frappé de la curiosité précoce qu’éveille le mystère du sexe, des traces [p. 99 émotives qu’il laisse dans l’inconscient de l’enfant, de la fréquence de l’onanisme infantile, Freud a cru pouvoir soutenir que la libido existe, au moins latente, dès la première enfance, et même, que cette sexualité infantile pré-génitale présente une « perversité polymorphe ». Sans comprendre toujours exactement ce qu’il entendait par là, on a remarqué surtout l’insistance un peu lourde de ses affirmations, et l’on s’est indigné violemment de ce qu’après avoir exagéré l’importance de la sexualité chez l’adulte, Freud attentait encore à la pureté de l’enfance, à celle, du moins, qu’on se plaît à imaginer chez l’enfant. On a imputé à Freud comme une tare, son « pansexualisme », — terme qu’il a lui-même récusé. Comme nous voyons les meilleurs disciples de Freud tâcher d’atténuer de désexualiser quelque peu la libido, en la rapprochant de l’Erôs platonicien, du Vouloir de Schopenhauer, de l’Élan vital de Bergson, nous devons bien admettre que le maître avait été trop loin. Ses adversaires le déclarent atteint lui-même de l’obsession érotique qu’il prête au genre humain ; ses amis, plus justement, expliquent son outrance par un trait estimable de son caractère : Freud est particulièrement intransigeant dans l’affirmation, quand il croit avoir découvert une vérité. Mais, que parmi nos tendances fondamentales, l’instinct sexuel revendique une part légère, ou bien une part forte comme le pense Freud, ou encore la totalité (comme on a cru faussement que Freud le pensait), cela ne porte vraiment aucune atteinte à la dignité humaine (19) et surtout cela n’infirme nullement la justesse de la théorie freudienne des instincts en général.

Comme W. James l’avait fait entrevoir, par sa loi de la caducité des instincts, ceux-ci apparaissent et disparaissent chacun à son moment dans le cours du cycle vital de l’individu. Mais la théorie de Freud est bien plus développée et va plus profond que celle du psychologue américain. Chacune des formes successives de la libido (digestive, sexuelle, etc.) se prépare et entre en jeu, avec l’organe corporel correspondant, pendant que les formes précédentes régressent, si elles ont été dûment exercées et « abréagies ». Mais il y a chevauchement de la phase d’un instinct sur ses voisines, chacune fournit à la suivante un cadre de développement. Entre elles toutes, règnent des correspondances complexes. Pourtant la continuité et la filiation normales, la progression dans l’équilibre dynamique ne se réalisent pas toujours, elles peuvent être troublées par des arrêts (fixations), des régressions ou des conflits d’instincts. L’échec d’un instinct retentit sur le développement des autres.

Le premier qui entre en jeu est l’instinct alimentaire, avec quatre périodes : 1° la période buccale ou de succion ; elle fournit le type des instincts de jouissance ultérieurs. (La question de la libido infantile revient à savoir s’il y a ou non continuité évolution entre la jouissance labiale — et pas uniquement digestive — du nourrisson qui tète et l’instinct sexuel. On voit que cette discussion porte sur la définition du mot « continuité évolutive » ; — 2° la période dentale : l’enfant pourvu de dents cesse de sucer et cherche à mordre (type des instincts ultérieurs d’agression) ; — 3° la période anale : [p. 100] l’enfant s’intéresse à ses excrétions (type des instincts ultérieurs d’acquisition, de possession, de don) ; — 4° la période génitale caractérisée par l’intérêt que l’enfant porte à ses organes sexuels. L’instinct alimentaire, dans ses quatre phases, est narcissique ; l’individu, replié sur soi, n’obéit qu’au principe du plaisir égoïste.

Entre cinq et douze ans, l’enfant développe ses instincts sociaux ; il entre en communication et en opposition avec la réalité des choses et des personnes ; il prend conscience de son moi, tandis que se développent les instincts du langage, de la marche, de la préhension d’objets, de l’imitation, de la soumission et de la révolte, avec les sentiments concomitants de puissance et de protection. Le moi social exerce, dès lors, une action de refoulement sur les tendances narcissiques. Enfin, à la puberté, la libido jusqu’alors latente, reparaît sous sa forme génitale définitive. L’instinct sexuel est, pour une part, narcissique, anti-social (comme tel il encourt les plus sévères limitations) et pour une autre part, il est une source de sentiments sociaux. Ou bien, suivant la terminologie des psychanalystes français, Pichon et Allendy, il est à la fois captatif et oblatif. L’ambivalence est la loi générale du monde des instincts et des affects ; elle régit naturellement la forme essentielle de la libido. Dans l’amour entre les sexes, on sait assez qu’une certaine hostilité accompagne régulièrement l’attraction mutuelle.

Une fois satisfait par la procréation, l’instinct sexuel évolue en instinct parentaire, où généralement l’oblation domine sur la captation.

Après quelque indécision, Freud a admis, comme dernier instinct, celui de la mort, qui est en opposition radicale avec l’instinct sexuel. Toute vie tend à la mort comme fin, et l’on sait que l’idée de cette fin envahit parfois la conscience avec une force singulière. Elle exprime un besoin de dépouillement, de fusion de notre moi dans une unité plus vaste (20). Seulement l’instinct de la mort ne se développe bien qu’à la fin d’une vie bien remplie, si tous les instincts précédents ont réalisé une maturation suffisante, chose qui n’arrive que rarement. « On ne comprend la mort que si on a vraiment connu l’amour, c’est pourquoi tant de vieillards en ont peur » (Allendy, p. 99).

Lorsque dans le cycle du développement individuel, un instinct est trop privé de sa satisfaction normale, ou trop violemment heurté (enfants mal nourris, mal sevrés, terrifiés, mal traités ou à qui la sexualité est révélée prématurément d’une façon brutale), il se produit des lésions psychiques. Ou bien l’individu renonce à tout effort, il se laisse aller et fuit devant la vie, ou il conçoit des phobies, des haines maladives qui le rongent. Contre ces traumatismes, l’inconscient suscite des réactions de défense. Il les chasse par l’oubli, il les compense en affirmant violemment l’attitude contraire (tel le déserteur qui s’affiche militariste fougueux), il déplace l’instinct inassouvi [p. 101] en lui donnant un objet différent, il le sublime en substituant un but permis à un but condamnable. Dans le choix de la profession, il y a souvent sublimation d’un instinct. « La chirurgie, les emplois militaires ou policiers, peuvent servir à assouvir un besoin sadique de sang et de violence » (Allendy, p. 117).

Je ne puis m’étendre ici plus longuement sur le sujet des troubles de l’inconscient, bien que la pathologie des instincts ne soit jamais nettement séparée de leur fonctionnement normal. C’est le chapitre le plus curieux et le plus suggestif de la psychanalyse. Avec un déploiement d’invention plutôt sombre, elle nous promène dans l’enfer des passions, des folies et des misères de l’humanité, et pour expliquer les innombrables variétés de névrose, elle prodigue une extraordinaire richesse d’aperçus. Elle nous parle de ces sentiments de culpabilité, source des mécanismes d’auto-punition, qui poussent l’individu à se faire à lui-même, inconsciemment, le mal qu’il souhaitait faire aux autres. Elle nous apprend que, dans le développement de l’individu, il y a des étapes critiques que nul ne franchit sans en garder, au moins quelque temps, une trace névrotique : la naissance, le sevrage, la puberté, la fin de l’âge mûr. L’épreuve de la puberté suscite le fameux complexe œdipien, qui consiste en une révolte contre l’autorité sociale, personnifiée par le père, et un désir jaloux de possession exclusive de la mère. L’angoisse, quelle qu’en soit la cause apparente, aurait pour origine l’impression d’étouffement qu’éprouve le nouveau-né en sortant du ventre de sa mère. C’est parce que tout homme a subi ce « traumatisme de la naissance » que « l’humanité en bloc est affectée d’une sorte de névrose globale » (Allendy, p. 102). A l’énoncé de telles hypothèses qui se donnent pour psycho­pathologiques, mais apparaissent plutôt comme d’admirables intuitions de poète, le profane est étonné et ému, mais l’esprit scientifique se demande s’il n’y a pas « confusion des genres » (V. Jules Romains, « Aperçu de la psychanalyse », Nouvelle Revue Française, janvier 1922).

Applications sociologiques. — La psychanalyse tend à déborder en divers sens l’étude de l’homme individuel et s’aventure en des applications sociologiques. Le second ouvrage du Dr Allendy, Capitalisme et Sexualité, est une interprétation psychanalytique des difficultés dont souffre notre état social. Elles viendraient du conflit entre deux instincts, la tendance possessive et l’instinct sexuel. « L’argent et l’amour sollicitent la plupart des désirs humains et se montrent aussi à l’origine de la plupart de nos souffrances ». L’antagonisme entre ces deux buts de la convoitise pèse sur la vie humaine. Le conflit se manifeste en plusieurs domaines : le mariage, affaire d’argent souvent plus que d’amour, dans la société bourgeoise, d’où il résulte de graves conséquences pour le bonheur des conjoints ; la prostitution, plaie indéracinable de notre société, où l’argent et le sexe, les instincts de don et d’extorsion sont étroitement associés ; enfin la procréation et la limitation des naissances, liée aux conditions économiques.

Quant au remède, l’auteur, libertaire et sentimental, le voit dans l’affranchissement de la libido des deux sexes à l’égard des contraintes sociales. Il préconise une solution analogue à celle que le soviétisme essaie d’appliquer, [p. 102] mais plus radicale : au lieu du mariage, l’union libre ; la famille traditionnelle sera détruite, les enfants pourront être élevés par l’État. L’utopie sociale, comme on voit, n’a rien de neuf, mais l’auteur nous intéresse par la motivation psychanalytique qu’il lui donne. Si un compromis heureux ne s’est pas établi entre les tendances possessive et sexuelle, c’est que notre civilisation a refréné celle-ci, qui est supérieure, parce qu’elle achemine vers l’oblation et la générosité, au profit de celle-là, qui est inférieure, exclusivement captative et égoïste. L’auteur rappelle que la tendance possessive, d’après la psychanalyse, dérive de l’instinct digestif. La convoitise alimentaire est le fondement de l’avidité possessive ; d’ailleurs les premiers capitaux étaient des provisions de vivres. En définitive « toutes les misères humaines, guerres et crimes, proviennent d’une maturation insuffisante de la sexualité et de la persistance des formes digestives de la libido » (La Psychanalyse, p. 125). Alors que « la vie affective est la seule qui donne la joie d’exister », notre époque a substitué l’empire de l’argent à tous les autres.

Qui est le fautif ? Cette fois le psychanalyste s’aventure dans la philosophie de l’histoire. Le monde antique, dit-il, n’était pas contaminé par cette obsession malsaine qu’on appelle pudeur sexuelle ; mais les premiers chrétiens, esclaves révoltés contre César, contre le militarisme et le capitalisme de Rome, ont « traduit leur sentiment inconscient de culpabilité par ce besoin de chasteté (castitas), si proche de la castration » ; et ils ont imposé ensuite à tous leur réaction névrotique, leur impuissance et leur frigidité (car « l’énergie nécessaire à une action révolutionnaire doit être soustraite à la libido d’une sexualité facile »). Le christianisme, une fois le pouvoir conquis, a gardé ses obsessions, réduisant la chair, condamnant la vie. Alors le développement financier de l’Occident, sous l’influence des Juifs, a proposé un objet nouveau à ra fixation libidinale : l’argent. « Les fondateurs du système capitaliste ont servi la civilisation…, mais ils ont aussi exaspéré les instincts de possessivité, et fixé définitivement, sur un objet régressif, la libido que les chrétiens avaient déjà détournée de ses buts amoureux. S’il, y a vraiment une névrose occidentale, elle est le fruit certain du Nouveau et de l’Ancien Testament combinés » (Capitalisme et Sexualité, p. 186, 153-155).

Sur ce raisonnement historico-psychanalytique, non exempt de contradictions, il y a évidemment beaucoup de réserves à faire. Mais il est curieux de voir que les thèses politiques et sociales d’extrême gauche peuvent trouver un appui dans la psychanalyse. Ajoutons que ces idées du Dr Allendy sont loin d’être partagées par tous les psychanalystes ; les ouvrages de Freud lui-même ne nous autorisent pas à penser qu’il les admette.

Comme ses disciples, le maitre, maintenant, aime à s’évader de la psychanalyse pour philosopher un peu. Dans l’Avenir d’une illusion, Freud donne son opinion sur le problème de la religion. C’est une méditation vigoureuse ; riche d’aperçus divers, d’où se dégage une belle impression de probité intellectuelle et de sérénité philosophique. A l’infatigable thérapeute, qui a vu, un demi-siècle, défiler tant de maladies et de misères, il ne faut [p. 103] pas demander une vue très optimiste des choses. « Pour l’individu comme pour l’humanité en général, dit-il, la vie est difficile à supporter » (p. 41.). Il est effrayé du grand nombre d’individus mécontents de la civilisation et qui rêvent de la détruire. Pourtant la civilisation protège les hommes contre la nature, elle crée les biens matériels. Il est vrai qu’à cet effet, et pour régler les rapports des individus entre eux, elle oblige ceux-ci au travail et au sacrifice de leurs instincts profonds : l’agressivité, le meurtre, la convoitise sexuelle, la cupidité, la tromperie. C’est pourquoi « chaque individu est virtuellement un ennemi de la civilisation » (p. 13). Pour réconcilier les hommes avec elle, en les dédommageant de leurs renoncements, la civilisation leur offre de participer à son « patrimoine spirituel », qui comprend notamment l’art et la religion. Si nous nous demandons quelle est la valeur de la religion, nous devrons reconnaître d’abord qu’elle a servi à dompter les instincts asociaux. Cependant la religion n’a pas réussi, durant son long règne, à réconcilier les hommes avec la civilisation, à assurer leur moralité ; de plus, elle impose des dogmes absolument incontrôlables et souvent en contradiction avec l’expérience et la raison.

Toute la force des doctrines religieuses est dans leur base affective. Elles constituent des réalisations illusoires de certains désirs profonds, et des réminiscences émotives. L’enfant, dans sa détresse, fait appel à la protection de son père, dont il craint d’ailleurs la force. De même, l’homme primitif, qui passe toute sa vie dans la détresse, personnifie les forces naturelles et se crée des dieux ayant les caractères du père. La divinité est chargée en outre de satisfaire à nos besoins de justice et de vie éternelle. L’attitude religieuse a donc un prototype infantile, la « relation au père ». D’autre part, l’évolution religieuse de l’humanité est analogue à une phase du développement individuel. L’enfant humain apporte en naissant une foule d’impulsions instinctives, dont la société ne veut pas. Le travail nécessaire de refoulement est si écrasant pour l’individu que la plupart des enfants passent par une phase plus ou moins accentuée de névrose, consistant en angoisse diffuse, en phobies, en actes obsédants. Le plus souvent ces névroses obsessionnelles infantiles disparaissent spontanément quand l’enfant grandit (p. 117). Ne peut-on considérer la religion — il ne s’agit que d’une analogie — comme la névrose obsessionnelle de l’humanité en général ? La question est alors de savoir si elle se guérira. Éclairée sur ses refoulements et sur leurs conséquences, l’humanité saura-t-elle enfin les remplacer par un travail mental rationnel ? Sortira-t-elle de cette phase infantile ? Il faudrait faire l’essai d’élever une génération sans religion. Libérés de l’inhibition mentale que produit toujours l’éducation religieuse, les hommes oseront peut-être enfin « s’aventurer dans l’univers hostile », sans les consolations qu’apportait l’illusion religieuse, et ils renonceront à leurs désirs anti-sociaux.

Comme psychologue, Freud a tant insisté sur la puissance dominatrice des pulsions instinctives chez l’homme, qu’il éprouve de l’hésitation à affirmer maintenant qu’un temps viendra où l’intelligence établira sa primauté. Au risque de s’« illusionner », lui aussi, il croit cependant à cet idéal, parce que « rien ne résiste à la longue à la raison et à l’expérience » ; et [p. 104] « si la voix de l’intellect est basse, elle ne s’arrête point qu’on ne l’ait entendue ». Nous n’avons pas d’autre moyen de connaître l’univers que le travail scientifique. Et le dieu Logos, qui inspire ce travail, poursuivra les mêmes buts que le Dieu des chrétiens : la fraternité humaine et la diminution de la souffrance.

Conclusion. — La psychanalyse freudienne (21), nous l’avons vu, n’est pas une doctrine scientifique entièrement démontrable ; c’est un système présentant des aspects « subjectifs », que la science positive — représentée en l’occurrence surtout par des psychopathologistes, en France, G. Dumas, Hesnard, Ch. Blondel, Wallon — n’a pas manqué de critiquer. C’est aussi une création nouvelle qui s’est affirmée avec une remarquable puissance d’invention. On a donc pu lui reprocher une tendance à la « spéculation mal contrôlée », des étroitesses et des exagérations, par exemple la fameuse « surestimation du sexuel ». En face d’une psychiatrie « positive » qui ne voyait les causes des maladies que dans l’état de l’organisme et la constitution héréditaire, Freud a aiguillé la recherche vers l’histoire de l’individu et les événements affectifs de son en rance. Sans doute, l’étiologie véritable des maladies psychiques devrait associer ces deux ordres d’investigations.

Après toutes les critiques, il reste que l’originalité de la psychanalyse est d’avoir donné à la vie mentale la base puissante de l’activité inconsciente. La libido et son rôle dans tous les actes psychiques, les lois du symbolisme et du déplacement, le refoulement et le dynamisme des instincts sont autant de découvertes de Freud, dont la psychologie normale ou pathologique ne peuvent plus se passer, ou du moins qu’elles ne peuvent plus ignorer. La psychanalyse a eu cet effet extraordinaire de faire vieillir tout ce qui a été dit sur la vie du moi avant elle. On ne peut nier que tous les travaux psychologiques préfreudiens « datent » irrémédiablement, sauf dans la mesure où ils sont précurseurs du freudisme.

On a parlé quelquefois du « paradoxe », qui serait inhérent à la psychanalyse. Qu’entend-on par là ? On sait quelle a été l’intuition première de Freud : la libido a une puissance qu’on ne peut braver impunément ; si son évolution est trop contrariée, la santé de l’individu est atteinte, la névrose apparaît. Une conclusion tout anti-intellectualiste semblait dès lors s’imposer : il faut respecter, cultiver même, les tendances instinctives naturelles. Mais la pensée de Freud n’a pu s’engager décidément dans la voie du retour à la nature de Rousseau (non plus que dans celle de l’instinct-intuition de Bergson), car le vrai visage de la libido, tel qu’il l’a observé chez les névropathes, lui est apparu d’une laideur affreuse. A la lettre il a dû accorder à Taine son terrible aphorisme : le fond de l’homme, aujourd’hui comme aux temps préhistoriques, c’est le gorille féroce et lubrique. Des impulsions qui tendent naturellement au cannibalisme, au meurtre, à l’inceste, à tout ce que la [p. 105] société appelle crime, n’ont pas à être « respectées ». Or, voici qu’à cet animal sauvage et libidineux s’en superpose un autre, l’animal politique, doué de raison, ce que Freud a appelé, non sans quelque flottement, le moi, le moi social, le surmoi, le « côté ascétique », et enfin (dans l’Avenir d’une illusion), la « civilisation », et l’« intelligence ». Il faut donc qu’un « rapport dynamique » s’établisse, c’est-à-dire qu’une lutte se livre entre ces deux pôles de l’âme, la libido et le surmoi ; car « nous n’avons pas d’autre moyen de maîtriser nos instincts que notre intelligence. » Que Freud espère et croie en la victoire future de la raison, qu’ainsi la pensée qui a conçu la psychanalyse, doctrine de l’instinct et de l’inconscient, s’achève en un rationalisme scientifique, c’est ce que l’analyse de son dernier livre nous a montré. Et pourtant, cette grande lutte ne peut avoir d’issue définitive, puisque la libido est « indestructible », qu’elle renaît avec chaque individu dans toute sa force ! Tel est le paradoxe de la psychanalyse. Mais exprime-t-il autre chose que le drame éternel de la vie humaine ?

ROBERT BOUVIER.

Notes

(1) Parue dans un nouveau périodique philosophique annuel : Recherches philosophiques, publiées par A. Koyré, H. Ch. Puech, A. Spaier, 1, 1931-1932, Boivin, Paris, gr. in-8B, 518 pages (p. 312, 319).

(2) F. STROWSKI, L’homme moderne, Grasset, Paris. 1931, p. 160.

(3) Sigmund FREUD, L’Avenir d’une illusion, traduit de l’allemand par Marie Bonaparte, Denoël et Steele, Paris, 1932, in-16, t96 pages.

(4) C.-G. JUNG, Métamorphoses et symboles de la Libido, traduit de l’allemand par L. de Vos, introduction de Yves Le Lay, éditions Montaigne, F. Aubier, Paris, s. d.

(5) C.-G. JUNG, Essais de psychologie analytique, traduit de l’allemand par Yves Le Lay, préface d’Edmond Jaloux. Stock, Paris 1931, in-t6, 198 pages.

(6) Stefan ZWEIG, Sigmund Freud, La guérison par l’esprit, traduit par Alzir Hella et Juliette Pary, Stock, Paris, 1932, in-16, 188 pages, 4 portraits de Freud.

(7) Dr René ALLENDY, La Psychanalyse, Doctrines et applications, Denoël et Steele, Paris, 1931, in-16, 248 pages.

(8) R. et Y. ALLENDY, Capitalisme et Sexualité, Le conflit des instincts et les problèmes actuels, Denoël et Steele, Paris, s. d. (1931), in-16, 288 pages.

(9) Marguerite COMBES, Le Rêve et la Personnalité, préface de M. André Lalande, Bibliothèque de la Revue des Cours et Conférences. Boivin, Paris, s. d. (1932), in-12, 268 pages.

(10) Le Dr Allendy reproduit dans un appendice à son ouvrage (La Psychanalyse, l’« observation » d’un cas qui paraît typique. Il s’agit d’une jeune femme, mariée, sans enfant, qui présente divers troubles nerveux et psychiques. Dans les 28 séances de la cure, espacées sur plusieurs mois, elle raconte ses rêves et les associations et réminiscences qui s’y rapportent. Le médecin les interprète, au moyen du symbolisme, dont nous reparlerons, et dévoile des complexes de jalousie, de désir incestueux, ces aspirations masochistes, des désirs d’auto-punition, etc. Après apparition et liquidation du transfert affectif, les explications du médecin amènent la guérison.

(11) Les principaux ouvrages de Freud se placent entre 1900 et 1928. On peut dater approximativement de 1914 le commencement d’une diffusion générale de ses idées.

(12) A. LALANDE, Préface à : Marguerite COMBES. Le Rêve et la personnalité.

(13) Expression de BERGSON, dans l’Evolution créatrice, p. 5. Cet ouvrage a quelques pages qu’on dirait inspirées de Freud. Sa publication suit de peu les premières expressions de la théorie de Freud (1907).

(14) Freud a repris, peut-être sans s’en douter, la thèse de la Philosophie de l’Inconscient, de Hartmann.

(15) F. Paulhan avait déjà formulé un « loi d’inhibition systématique ». (l’Activité mentale et les Eléments de l’Esprit, 1889).

(16) La thèse de l’auteur est d’ailleurs restrictive : l’écriture ne révèle pas autre chose que les instincts, les tendances, Je psychisme subconscients. Le Dr Ménard montre que les erreurs des graphologues viennent ordinairement de ce qu’ils veulent faire dire à leur science ce qui dépasse son pouvoir : la part des circonstances extérieures et des décisions volontaires dans l’histoire d’un individu.

(17) Dr H. FLOURNOY, La Psychanalyse, les médecins et le public. Editions Forum, Paris, 1924, p. 12.

(18) Ce sont précisément ces autres formes que Mme Combes décrit dans son étude sur le Rêve et la Personnalité. Elle a recueilli, avec les précautions critiques indispensables, environ quatre-vingt récits de rêves, qu’elle analyse et cherche à répartir en catégories. Il y a les rêves simples, où une émotion bien reconnaissable du rêveur est au premier plan et qui n’exigent aucun déchiffrage. Quant aux rêves symboliques, leur sens n’est pas tant de réaliser, sous un déguisement, un désir de la libido, comme l’entend Freud ; mais plutôt d’exprimer, quelquefois au moyen de divers personnages, les aspirations idéales du rêveur, ses regrets d’une autre destinée, etc. Parfois l’inconscient et le conscient du rêveur forment deux êtres distincts, dont le premier se moque malicieusement du second. De là les sensations de déjà vu, d’oubli angoissant, et les problèmes qu’on se pose en rêve. Enfin l’inconscient de rêve est fantaisiste et artiste ; aidé des souvenirs vécus, il invente des situations, évoque des paysages, esquisse des sujets de nouvelles ou de contes. L’exposé de Mme Combes manque un peu de fermeté, mais il est plein d’aperçus nuancés et pénétrants. Il fait pressentir que l’inconscient est plus riche encore que Freud ne l’a vu.

(19) Dr H. FLOURNOY, ibid., p. 18.

(20) Cette finalité de la vie visant au delà de la procréation et qui s’exprime dans les aspirations religieuses a été envisagée surtout par Silberer et l’école de Zurich (voir notamment JUNG, les Problèmes psychiques des différents âges de la vie, in Essais de psychologie analytique, Paris 1932, et Allendy, op. cit., p. 100).

(21) Le manque d’espace m’empêche malheureusement d’examiner ici les deux ouvrages du Dr Jung et de montrer en quoi ce grand disciple s’écarte de Freud, notamment dans ses théories de l’art, des mythes religieux et dans ses vues pédagogiques et morales.

 

 

 

 

 

 

 

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