René Allendy et René Laforgues. Le conscient et l’inconscient.. Extrait de la revue « L’Esprit nouveau », (Paris),

René Allendy et René Laforgues. Le conscient et l’inconscient.. Extrait de la revue « L’Esprit nouveau », (Paris), n°24, 1924, de 8 pages (non paginée).

 

René-Félix Allendy (1882-1942.). Médecin et homéopathe, il s’intéressa à la psychanalyse dès 1920 et devint psychanalyste après avoir fait son analyse avec René Laforgue, avec qui il collabora pour plusieurs articles. Un des douze fondateurs, à l’initiative René Laforgue et Marie Bonaparte, de la Société psychanalytique de Paris en 1926. Il aura comme patient, entre autres, Antonin Artaud et Anaïs Nin.
Sa thèse de médecine, L’alchimie et la médecine, dénote son intérêt précoce et jamais démenti pour l’occultisme. Nous retiendrons son rapprochement des théories surréaliste et l’ouvrage qu’il écrivit Capitalisme et sexualité, qui semble aujourd’hui de toute actualité. – Quelques autres articles de cet auteur :
— Le rêve. Paru dans la revue « L’Esprit nouveau », (Paris), n°25, 1924, non paginée. [en ligne sur notre site].
— Les Névroses. Extrait de la revue « L’Esprit nouveau », (Paris), n°24, 1924, de 8 pages (non paginée).  [en ligne sur notre site].
— La libido. Article parut dans la publication « Le Disque vert », (Paris-Bruxelles), deuxième année, troisième série, numéro spécial « Freud », 1924, pp. 38-43. [en ligne sur notre site]
— La psychanalyse et les sciences anciennes. Les doctrines philosophiques. Article paru dans « l’évolution psychiatrique », (Paris), 1925, pp. 258-276. [en ligne sur notre site]
— Conceptions antiques et populaires du rêve.] Extrait de l’ouvrage « Le rêve et la psychanalyse (René Laforgue (Ed.) », (Paris), 1926, pp. 1- 17. [en ligne sur notre site]
— Les présages du point de vue psychanalytique. Article paru dans l’Evolution psychiatrique, (Paris), Editions Payot, 1927, pp. 229-244. [en ligne sur notre site]
— La psychiatrie de Paracelse. Extrait de l’ « Évolution psychiatrque », (Paris), fascicule 2,1936, pp. 3-16. [en ligne sur notre site]
— Les présages du point de vue psychanalytique. Article paru dans l’Evolution psychiatrique, (Paris), Editions Payot, 1927, pp. 229-244. [en ligne sur notre site]
— Explication d’un rêve. Extrait de la« Revue française de psychanalyse », (Paris), vol. 4, n°4, 1930, pp. 710-714. [en ligne sur notre site]
— La psychiatrie de Paracelse. Extrait de l’ « Évolution psychiatrque », (Paris), fascicule 2,1936, pp. 3-16.  [en ligne sur notre site]
— Mythes et rêves collectifs. Extrait de la revue « Visages du monde – Le rêve dans l’art et la littérature », (Paris), n°63, 15 mars 1939, pp. 51-52.  [en ligne sur notre site]

René Laforgue (1894-1962). Médecin et psychanalyste, en 1925 il fonde avec Angelo Hesnard et quelques autres collègues, l’Evolution psychiatrique. L’année suivante avec René Allendy et Edouard Pichon il fond la Société psychanalytique de Paris (SPP). Puis en 1927 il fonde avec quelques membres de cette nouvelle société, il fonde la Revue française de psychanalyse. En 1953 il rejoindra la Société française de psychanalyse, crée par Daniel Lagache et Jacques Lacan. Quelques publication de l’auteur :
– Contribution à la psychologie des états dits schizophréniques. Article parut dans la revue « L’Encéphale », (Paris), dix-neuvième année, 1924, pp. 45-50. (En collaboration avec )Angela Hesnard.  [en ligne sur notre site]
– Les causes psychologiques des résistances qui s’opposent à la diffusion des idées psychanalytiques. Article paru dans la publication « Le Disque vert », (Paris-Bruxelles), deuxième année, troisième série, numéro spécial « Freud », 1924, pp. 95-98. [en ligne sur notre site]
– La pensée magique dans la religion. Article parut dans la « Revue française de psychanalyse », (Paris), tome septième, n°1, 1934, pp. 19-31. [en ligne sur notre site]
 Le rêve et la psychanalyse. Introduction de Mr le Dr Hesnard. Paris, Maloine, 1926. 1 vol.
– Libido, Angoisse et Civilisation. Trois Essais psychanalytiques. Paris, Editions Denoël et Steele, 1936. 1 vol. in-8°, 48 p.
– Devant la Barrière de la Névrose. Etude psychanalytique sur la névrose de Charles Baudelaire. S. l. [Paris], Les Editions Psychanalytqiues, 1930. 1 vol. in-8°,
– Freud et son génie. Article parut dans la revue créée et dirigée par Maryse Choisy, revue chrétienne de psychanalyse « Psyché », (Paris), 1e année, numéro 107-108, numéro spécial FREUD, 1955, pp. 457-466.[en ligne sur notre site]
– Psychopathologie de l’échec. Nouvelle édition revue. Paris, Payot, 1950. 1 vol. in-8°.

Les[ ] renvoient aux changements de page originaux de l’article. – Les images ont été rajoute par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

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LE CONSCIENT
ΕΤ
L ΊΝCONSCIENT

Le rôle de l’inconscient dans la vie psychologique a surtout été mis en lumière par Charcot et ses élèves. L’hypnose a montré qu’un sujet place dans certaines conditions, pouvait se rappeler une foule de souvenirs qui, pour la conscience ordinaire, se trouvaient radicalement oubliés et qu’aucun effort n’aurait pu retrouver ; n fut donc obligé d’admettre a côté de la conscience lucide, tout un département obscur de psychisme contenant des états de conscience latents. L’étude de la suggestion, avec l’école de Bernheim, à Nancy, les travaux de Janet sur l’automatisme psychologique, ceux surtout de Freud et des psychanalistes, ont montré que ce psychisme inconscient influençait très fortement notre mécanique conscient en créant des gouts, des tendances, des passions même, d’une origine inexpliquée mais d’une puissance d’autant plus considérable.

Un examen approfondi de la question a amené quelques auteurs à distinguer, entre l’inconscient et le conscient proprement dits, une zone psychique intermédiaire sur laquelle la mémoire consciente peut, au prix d’efforts particuliers, étendre occasionnellement son domaine : cette zone constitue le subconscient ou le préconscient.

La découverte de l’inconscient a ouvert à la psychologie des horizons immenses. On pourrait seulement s’étonner qu’une telle notion paraisse si nouvelle, en considérant que, depuis l’antiquité, presque tous les peuples ont admis plusieurs aspects du psychisme humain.

Dans l’Inde, par exemple, la littérature védique nous signale un antagonisme assez net entre le conscient et l’inconscient, notamment par la comparaison du char, dans le Kathopanishad du Yajur-Veda : « Connais le Soi comme le maitre du char, dit ce texte, et le corps comme le char seulement. Connais aussi la raison comme le cocher, les impulsions comme les rênes. Les sens sont les chevaux, les objets des sens sont les routes. Soi, sens et impulsions réunis ont reçu des sages le nom de goûteur (1). » Et plus loin, le même upanishad ajoute : « Au delà des sens sont les rudiments subtils ; au delà des rudiments le mental impulsif ; au delà du mental la raison ; au delà de la raison le Grand Soi (2). » []

La philosophie védantine a précisé ces indicatives en distinguant dans l’homme les cinq étuis (Koshas) ou véhicules de conscience, emboités les uns dans les autres. La secte chinoise des Taoïstes a admis de même sept principes dans l’homme, se rattachant en cela à la tradition persanne et égyptienne, laquelle se retrouvera jusque dans la Kabbale.

Les Hébreux distinguaient soigneusement nephes, l’âme animale qui réside dans le sang et qui peut mourir (3), de ruah, l’âme spirituelle, qui n’existe que chez l’homme et chez Dieu. Daniel (III, 86) dit même que « les esprits et les âmes des justes sont invités à bénir le seigneur ». On ne saurait exprimer plus nettement que l’homme réunit à la conscience instinctive de l’animal (inconscient ou subconscient) un élément nouveau capable de s’opposer au premier, répondant par conséquent à ce que nous appelons le conscient et au mécanisme de la censure ou du refoulement.

Chez les Grecs, nous retrouvons la même compréhension du psychisme humain, et Platon l’expose très nettement dans le Timée. L’homme serait composé d’un principe pensant, siégeant dans la tête, puis d’une âme animale et mortelle occupant la poitrine et produisant toutes les appétences violentes et les passions fatales, enfin une âme inférieure, abdominale, purement instinctive ; « Il n’est pas dans sa nature de comprendre jamais la raison ; s’il lui arrivait d’éprouver quelque sensation, elle ne s’inquiéterait pas d’en rechercher les causes ; jour et nuit, elle se laisse séduire aux images et aux fantômes ». Or Platon attribue expressément à l’âme inférieure les caractères de l’inconscient.

Tout naturellement, une pareille notion, en concordance avec la tradition hébraïque, passa dans l’enseignement chrétien. Saint Paul, en beaucoup d’endroits (4) affirme la distinction et l’opposition franche qui existe chez l’homme entre l’âme et l’esprit. L’historien Josèphe et Philon se font les champions de cette conception. Saint Justin lui semble favorable. Beaucoup de Gnostiques l’adoptent, en particulier Valentin d’Alexandrie qui décrit l’homme hylique ou matériel, l’homme psychique entièrement soumis à l’âme intermédiaire et périssable, enfin l’homme pneumatique, chez lequel prédomine la conscience supérieure.

Cependant, c’est chez les premiers auteurs chrétiens que la théorie du double et triple psychisme humain rencontre des adversaires tels que Saint Irénée, Tertullien, Saint Grégoire de Naziance et Saint Augustin.

Il semble évident que ceux-ci, préoccupés de la responsabilité morale de l’individu en face du jugement de Dieu, ont voulu éliminer les facteurs obscurs de l’inconscient et de l’instinct et simplifier ainsi les problèmes théologiques. La question resta, au point de vue orthodoxe, controversée jusqu’à ces temps derniers. C’est seulement Pie ΙΧ [] qui crut devoir la trancher en niant l’âme intermédiaire, c’est-à-dire l’inconscient.

Cependant, cette notion classique d’âme instinctive avait été propagée par la Kabbale et l’Hermétisme. Les Kabbalistes reconnaissaient dans l’homme son corps et son double fluidique (Guf et Kuch-ha- Guf) puis l’âme inconsciente (Nephesh), l’âme consciente (Ruah), au-dessus de laquelle ils plaçaient encore un triple principe spirituel, Neshamah, Chayah et Υéchida. Quant à l’Hermétisme, si fortement nuancé des traditions hébraïques, il ne pouvait que se conformer à cette manière de voir, d’ailleurs en conformité avec le sens ésotérique de ses trois principes (Soufre, Mercure et Sel). ΙΙ est curieux d’observer cette distinction dans les traités d’Alchimie, notamment dans le fameux traité de Lambsprinck, sur lequel nous nous réservons de revenir un jour. Il y aurait aussi toute une étude à faire à ce point de vue, sur Jacob Boehme.

Quoi qu’il en soit, on voit que la notion d’un psychisme inconscient différent du mécanisme conscient ordinaire, se rattache à une imposante tradition. La méconnaissance de cette notion par la psychologie des trois derniers siècles consacrée par Descartes, est un fait assez singulier quand on y réfléchit, et on peut admettre avec quelque vraisemblance que des préoccupations religieuses n’y ont pas été étrangères. On en était arrivé à oublier, en comparant l’homme à l’animal et en exaltant sa supériorité, que la voix profonde et mystérieuse de l’instinct pouvait encore résonner en lui, sous le jeu brillant et maquillé de la raison. Cette façon de voir est si profondément enracinée aujourd’hui que beaucoup de personnes, même cultivées, ont peine à admettre cette obscure et mystérieuse puissance qui dort en elles, comme si l’on ne voyait pas à tous moments le souffle des passions entrainer, tel un torrent, tout le fragile édifice des raisonnements logiques et des arguments bien présentés.

Outre la fausse sécurité qu’on se procure en refusant de voir en soi cette redoutable puissance, outre la satisfaction de vanité qu’on éprouve à se croire libéré de tout déterminisme et guidé par la seule raison, la méconnaissance de l’inconscient peut reconnaitre pour cause la façon intime dont s’associent le conscient et l’inconscient dans le psychisme de la plupart des hommes. L’inconscient fournit la tendance plus ou moins impérieuse vers telle ou telle réalisation ; le conscient étudie les modes de réalisation et se livre souvent à un travail des plus compliqués pour justifier, au moyen de raisonnements, la tendance élémentaire. Celle-ci ne tarde pas à cristalliser autour d’elle, tout un système de théories, d’autant plus séduisantes que l’individu a une conscience plus lucide et un mental plus exercé ; l’intelligence arrive à pactiser avec l’instinct, à le rendre attrayant, admissible, réalisable, car il est peu de choses que l’intelligence n’ait pu défendre, même parmi les plus horribles crimes qui ont ensanglantés la terre et déshonoré l’humanité.

C’est ce mécanisme que la psychanalyse a utilisé pour explorer l’inconscient.

Le problème aurait pu paraitre longtemps insoluble, car la tâche [] de faire entrer dans la conscience des éléments qui, par leur nature même, y sont étrangers, se présentait sous un jour difficile. Naturellement, il eut été illusoire de songer pour cela a l’introspection. Celle-ci peut bien, au prix d’efforts considérables, atteindre quelques éléments du proche préconscient, mais comment pourrait-elle toucher à ce qui est radicalement hors de sa sphère ? le premier moyen qui se présenta fut l’hypnose et il est incontestable que cet état permet la filtration dans le conscient, d’éléments inconscients inaccessibles par tout autre moyen, mais l’hypnose n’est pas un procédé universellement applicable : beaucoup de sujets y sont réfractaires ; en outre, il est difficile de faire, avec ce moyen, la part de la suggestion et de reconnaitre ce qu’il y a de plus caractéristique parmi les éléments instinctifs.

Le trait de génie d’où naquit la psychanalyse fut d’utiliser les associations d’idées. Étant donné que l’inconscient crée des tendances et des tropismes, il faut chercher le jeu de ces tropismes dans le fonctionnement même de la pensée consciente, de la même façon que Leverrier chercha dans les perturbations du visible Uranus l’influence de l’invisible Neptune. En étudiant le jeu de l’intelligence consciente dans ses processus particuliers, dans ses productions même, on est arrive à mettre en évidence les courants latents, les obstacles invisibles, les tropismes insoupçonnés, les désirs refoulés, les craintes ou les espoirs oubliés, les rêves abandonnes mais toujours agissants, en un mot toute la vie psychologique inconsciente. Ainsi se réalise la belle prophétie que Η. Bergson avait faite, il y a plus de vingt ans, en écrivant : « Explorer l’inconscient, travailler dans le sous-sol de l’esprit avec des méthodes spécialement appropriées, telle sera la tâche principale de la psychologie dans le siècle qui s’ouvre. Je ne doute pas que de belles découvertes ne l’y attendent, aussi importantes peut-être que l’ont été, dans les siècles précédents, celles des sciences physiques et naturelles. »

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De même que, dans l’évolution des espèces, l’instinct s’est développé et a poursuivi son perfectionnement avant l’intelligence, de même, dans l’ontogénie le développement de l’inconscient parait s’accomplir très tôt dans l’enfance et précéder celui de la pensée consciente. L’analyse montre, en effet, que les traits dominants d’un psychisme inconscient se sont élaborés dès le plus jeune âge, et se sont fixées assez tôt ; elle montre aussi, dans ces données instinctives, un caractère archaïque et puéril des plus déconcertant dans bien des cas.

Les hasards de la vie psychologique infantile déterminent dans l’inconscient des associations automatiques que les psychanalistes appellent complexes et qui consistent essentiellement en l’union d’une représentation et d’un sentiment affectif. Il est évident que l’entourage de l’enfant, et tout particulièrement ses parents, ses frères ou ses sœurs, jouent un rôle capital à ce point de vue. C’est sur eux que le tout petit apprend à fixer son amour ou sa haine, et tous les chocs ressentis à [] l’occasion de cette croissance affective pourront déterminer pour la vie entière des malformations psychologiques. L’enfant a qui l’autorité paternelle pèse lourdement, gardera, durant toute son existence, une tendance inconsciente à la révolte devant tout homme détenant l’autorité : chef hiérarchique, guide, médecin, chef d’État, etc. Pour lui l’idée d’autorité s’associe automatiquement au sentiment d’hostilité ou de haine. La fillette qui a été déçue dans l’affection qu’elle portait a son père et qui a dû se replier sur elle-même, gardera toujours, dans son inconscient, l’envie de se dérober à toute affection masculine, parce que les éléments affection — homme — déception se trouvent définitivement associes chez elle.

Le psychisme inconscient d’un individu se forme et se fixe selon de telles directives ; il se caractérise par un certain nombre de complexes, aux modalités, indéfiniment nuancées. En définitive, cette manière d’être ne se traduira que par des attirances ou des répulsions, dans des circonstances données, tel un tropisme positif ou négatif. Il ne sera qu’amour ou haine et ainsi s’explique, par exemple, la grande théorie de l’Éros de Platon ou la conception indienne qui fait du kama-rupa, du corps de désir, le véhicule de la vie inconsciente. Freud a rénové cette idée sous le nom de Libido. On pourrait tout aussi bien l’appeler tropisme vital.

Ce qui importe au point de vue pratique, c’est le rapport qui s’établit entre le conscient et l’inconscient. Nous avons vu que l’intelligence peut suivre les directives de l’instinct et s’accorder avec lui, mais elle peut aussi s’opposer. Elle est capable également de réalisé un automatisme parfait qui, avec une précision admirable, se dresse l’a contre toutes les impulsions venant de l’inconscient ; un tel mécanisme une fois mis en train, arrive à s’opérer sans effort, et c’est en cela que consiste la censure, ce barrage établi par le moi conscient et volontaire contre les appels de l’instinct. La censure est vraiment l’œuvre du psychisme conscient et intelligent, car elle se développe en même temps que les facultés mentales, après l’enfance surtout. Chez l’enfant, la censure est rudimentaire ; l’instinct se montre à nu. Plus tard, la censure refoule les désirs inconscients quand ils ne cadrent pas avec la voie éthique, morale ou simplement intellectuelle qu’elle a prise pour idéal.

L’inconscient refoulé n’arrive pas à s’extérioriser, à inspirer des réalisations directes, mais il ne perd rien de sa vitalité et un conflit s’établit entre lui et le conscient, donnant lieu à un sentiment de malaise, d’angoisse inexplicable. Le sujet ne se rend pas compte de ce qui se passe en lui ; une partie de sa personnalité est en lutte contre l’autre et ainsi les énergies vitales, au lieu d’être utilisées pour un rendement extérieur, se perdent en court-circuit intérieur, pour une neutralisation réciproque. Il peut en résulter une souffrance pénible et des troubles variables.

Le conflit une fois engage ne saurait se terminer à l’amiable. Ou bien il demande au conscient une tension d’effort très pénible, ressentie comme une angoisse, ou bien il renverse ce barrage conscient, l’instinct devenant plus fort que la volonté et la raison, et il en résulte des névroses [] (obsessions, phobies, impuissances) ou des psychoses (démence précoce en particulier). Dans les cas les plus favorables, l’effort conscient réussit à sublimer les tendances inconscientes, c’est-à-dire à remplacer leur réalisation primaire, dangereuse et immorale, par une réalisation détournée, inoffensive et méritoire. L’homme qui se sent en révolte contre l’autorité pourra, par exemple, s’attaquer à la tyrannie des préjugés philosophiques ou scientifiques et se faire le champion des vérités méconnues ; il se fera encore le défenseur des faibles contre les forts selon les voies légales. ΙΙ n’est guère possible, en effet, de supprimer une tendance instinctive ; il faut seulement la transmuer en quelque chose de noble et c’est l’idéal que les vieux alchimistes proposaient a leurs disciples en leur enseignant le Grand Œuvre spirituel.

Une telle sublimation est le principal moteur du progrès humain. Celui que n’amine pas l’appel impérieux de l’Éros platonique ou de la Libido freudienne, ne fera d’effort dans aucun sens. ΙΙ suivra dans ses réalisations les sentiers battus, ni sans chercher de nouvelles directions. ΙΙ sera entièrement stérile, et ses énergies se disperseront dans une imagination sans contact avec la réalité.

Cette sublimation qui s’opère par des analogies affectives, joue un grand rôle, dans le domaine de l’art par exemple. L’art met à la portée d’un sujet les réalisations les plus inespérées d’un rêve secret ; la littérature lui permet d’être roi, ministre, esclave ou bourreau, Dieu ou Méphisto, homme ou femme, selon son désir ; la sculpture, la peinture matérialisent et subtilisent les affinités les plus complexes. La poésie lyrique, avec ses nostalgies voluptueuses, est un équivalent parfait des pamoisons stériles dans lesquelles se consument si souvent tant de jeunes névrosés efféminés. La science, pour bien des femmes, est un terrain ou elles peuvent employer leurs qualités viriles sans cela inutilisables. Pourvu que la transposition affective des tendances puisse s’opérer à la faveur des circonstances ou des capacités de l’individu. Ici intervient le rôle du milieu ou de l’hérédité d’un sujet.

Seulement la vraie sublimation exige un effort prodigieux qui est loin d’être à la portée de chacun. Quand la sublimation est avortée ou incomplète, les conflits du conscient ou de l’inconscient produisent une dissociation de la personnalité qui peut être plus ou moins grave.

Au premier degré, nous voyons jouer le mécanisme de la compensation. Au lieu d’arriver à canaliser la pensée instinctive dans une voie de réalisation féconde, le conscient emploie toutes ses ressources à l’annihiler en développant volontairement et consciemment les tendances contraires. C’est ainsi qu’on voit des individus instinctivement cruels et sadiques, se faire les apôtres de la douceur et de l’amour universel. Cette compensation diffère de la sublimation en ce sens qu’elle s’opère par l’antagonisme des forces contraires et qu’elle se borne à masquer la tendance primitive sans la transformer. Cette compensation souvent ne se fait qu’en paroles. Dans ces conditions, il arrive que des hommes, perdus dans les théories de leur conscient, deviennent en réalité les jouets de leur inconscient et ne fassent en pratique que le contraire de ce qu’ils prétendent dans leurs phrases. [] Il est vraisemblable que l’idéaliste et austère Robespierre, responsable des cruautés de la Terreur, fut un cas de ce genre. Les inquisiteurs qui brulaient vifs les infidèles au nom de la charité chrétienne et toutes les aberrations de ceux qui prennent les armes par amour de la paix, peuvent rentrer dans la même catégorie de compensation incomplète avec dissociation.

Un tel déséquilibre est encore compatible avec une vie psychologique dite normale. Α un degré plus marqué, nous arrivons à la névrose. La névrose est le résultat d’un conflit aigu et non résolu entre le conscient et l’inconscient. Elle représente une résistance désespérée de la part de la volonté a une tendance élémentaire mais inadmissible par le sujet et, à ce titre, les psychanalistes considèrent les manifestations de défense de l’individu comme le négatif d’une perversion, puisque dans la perversion, le conscient ne cherche pas — ou presque pas — à lutter contre les impulsions instinctives, se contentant de les admettre et d’y collaborer. Dans la névrose la résistance donne lieu à des symptômes pathologiques on peut dire que c’est une compensation ratée. Dans une de nos observations, déjà citée par le Prof. Hesnard (5), une femme ayant subi une grave déception sentimentale au cours de son premier amour, développe dans son inconscient une telle résistance contre l’homme en général que plus tard, elle ne peut plus se trouver seule avec son mari qu’elle aime beaucoup et dont elle n’a qu’à se louer à tous égards. Elle éprouve alors une telle angoisse que la vie n’est plus possible ; elle ne se sent plus la force de rentrer chez elle quand elle en est sortie et se prend à craindre de tuer son mari, et de devenir folle. Une telle névrose résulte du conflit entre sa volonté, qui veut résister et l’inconscient, qui associe l’idée de mari au sentiment de haine.

A un degré plus avancé encore, le sujet perd le contact avec la réalité et la maladie mentale devient proprement une psychose. Le conscient est vaincu dans le conflit et fait banqueroute ; l’inconscient triomphe et se sert des facultés mentales désorganisées et privées de leur direction volontaire pour élaborer tout un monde imaginaire. C’est le cas de toutes les formes d’aliénation, dites schizophréniques, au cours desquelles les sujets vivent perpétuellement dans un rêve.

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Tels sont les résultats du désaccord entre le conscient et l’inconscient à la lumière des investigations psychanalytiques. La distinction de ces deux éléments psychologiques apporte en effet des lumières précieuses pour la compréhension des mécanismes profonds de la conscience. Elle permet aussi d’y porter remède.

Tout d’abord au point de vue prophylactique, il convient de porter ses efforts sur l’éducation des enfants, pour ne pas éveiller trop tôt leur sensibilité affective et l’exposer à des conflits prématurés qui [] marqueraient dans l’inconscient des traces indélébiles et engendreraient des mécanismes vicieux.

Freud a insisté sur l’importance primordiale de la sexualité à ce point de vue. ΙΙ importe de donner à l’enfance une éducation sexuelle rationnelle, pour éviter que ces questions capitales ne lui soient révélées d’une manière imparfaite, choquante, vicieuse, selon le premier hasard venu.

L’expérience psychanalytique a montré surtout qu’aucun conflit de ce genre ne pouvait subsister une fois que la conscience en saisissait le mécanisme réel. Ce qui fait la gravité de pareils conflits, c’est précisément que le conscient doit se défendre contre des ennemis qu’il ne voit pas, qu’il s’applique d’ailleurs à ignorer et contre lesquels, par conséquent, il ne saurait diriger ses efforts. L’angoisse en particulier résulte toujours d’une sorte de peur qu’éprouve le moi en face de l’inconnu ténébreux qu’est pour lui l’inconscient et au fond duquel il sent des menaces terribles.

Dès lors, la solution thérapeutique consiste à explorer méthodiquement l’inconscient au moyen des associations d’idées pour en reconnaitre et en analyser soigneusement tous les complexes. Au fur et à mesure de leur découverte, on doit les soumettre à la critique consciente du sujet et c’est une des choses les plus admirables de la pratique psychanalytique que de voir les symptômes d’angoisse ou de névrose disparaitre radicalement le jour où le complexe primordial a été dégagé et examiné à fond. En somme, l’inconscient ne tire sa puissance nocive que du fait qu’il échappe à la conscience. L’évolution normale tend à étendre toujours davantage le contrôle conscient du moi sur les éléments inconscients, aussi bien dans les progrès individuels que dans les progrès de l’espèce. Pour les cas morbides et sous la réserve des indications techniques favorables, l’exploration méthodique de l’inconscient constitue la solution idéale pour un nombre considérable de maux et de souffrances.

Notes

(1) Kathopanishad, ΙΙΙ, 3-4.

(2) Kathopanishad, ΙΙΙ, 10.

(3) Jud., XVI, 30.

(4) I Thessal. V, 23; I Cor. ΙΙ. 14; XV, 45; Hebr. IV, 2!

(5) HESNARD. La Psychanalyse. Paris (Stock) 1924.

 

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