Philippe Encausse. Le délire spirite. Chapitre V tiré de : Philippe Encausse. Sciences occultes et déséquilibre mental. O [1958], pages 172-192.

Philippe_EncaussePhilippe Encausse. Le délire spirite. Chapitre V tiré de : Philippe Encausse. Sciences occultes et déséquilibre mental. Ouvrage couronné par l’Académie de médecine. Troisième édition. Préface du Dr P.-M. Laignel-Lavastine, membre de l’Académie de médecine. Paris, Editions Dangles, s. d., [1958], 1 vol. in-8°, 314 p.,1 fnch,3 p., 1 pl. ht., pages 172-192.

Philippe Encausse est né en 1906 et mort le 22 juillet 1984. Fils de Papus (Gérard Encausse) il avait 10 ans à la mort de son père. Ce fut Marc Haven (le docteur Lalande) qui assura son éducation et le suivi de ses études jusu’au doctorat en médecine, dont ous publions un chapitre  de la thèse soutenue  en 1935 et reprise en édition de librairie plusieurs fois en suivant à l’identique dont la seconde, Deuxième édition : Paris, Editions Payot, 1944. Grand in-8°, 314 p.. Il fut à l’origine de la reprise de la revue « l’Iniiation » laissée jusque là en sommeil. Toute sa vie il fut un fidèle zélateur de l’occultisme.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original.
 – Par commodité nous avons reporté les notes originales de bas de page en fin d’article. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr.

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CHAPITRE· V


LE DÉLIRE SPIRITE

C’est à la cohorte des hommes honnêtes et convaincus qui constituent la clientèle des salons spirites, que le médecin a le devoir de s’adresser et de dire : « Gardez-vous de faire germer la folie en croyant semer l’espérance » (1).

De nombreux auteurs se sont attachés à l’étude des troubles dont la pratique du spiritisme s’accompagne quelquefois chez certains de ses adeptes. Parmi ces auteurs, le Professeur agrégé Lévy-Valensi occupe une place importante. Nous ne manquerons pas de nous inspirer ici de quelques-uns de ses enseignements.

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L’un des principaux reproches que l’on a pu faire, avec raison, au spiritisme, c’est d’amener nombre de ses pratiquants soit à vouloir devenir des médiums soit à développer intensivement une médiumnité déjà existante. Or, il peut être dangereux de s’adonner à la médiumnité… Il arrive parfois que la désagrégation se produise en dehors des « transes », donc malgré le sujet. Celui–ci est alors un malade confirmé. Certes, il ne faudrait pas croire que les médiums deviennent tous des déséquilibrés. Mais il en est quelques-uns qui sont véritablement victimes de leur zèle et de leur… imprudence.

« Le médium, écrit le Dr Lévy-Valensi, abstraction faite de son terrain névropathique n’est un malade qu’au moment de la « transe », au moment où il veut se désagréger.

« Imaginons que cette désagrégation soit devenue habituelle, quelle se fasse malgré le malade, et l’hallucination, origine du délire, est constituée. [p. 173]

« Il est certain que tel qui devient médium ne devient pas nécessairement aliéné; il existe des prédispositions qui favorisent le passage de l’un à l’autre état. » (Spiritisme et folie.) ,

Il y a différentes sortes de médiums. C’est ainsi que, dans son Livre des Médiums, Allan Kardec en énumère les variétés ‘suivantes : les médiums typteurs (ceux par l’influence desquels se produisent les bruits et les coups frappés) ; les médiums moteurs (ceux qui produisent le mouvement des corps inertes) ; les médiums à translations et à suspensions ; les médiums à effets musicaux ; les médiums à apparitions ; les médiums à apports ; les médiums nocturnes (ceux qui n’obtiennent certains effets physiques que dans l’obscurité) ; les médiums pneumatographes (ceux qui obtiennent l’écriture directe) ; les médiums guérisseurs ; les médiums excitateurs (ceux qui, par leur influence, développent chez d’autres personnes la faculté d’écrire) ; les médiums auditifs ; les médiums parlants ; les médiums voyants ; les médiums inspirés ; les médiums à pressentiments ; les médiums prophétiques ; les médiums somnambules ; les médiums extatiques ; les médiums peintres et dessinateurs ; les médiums musiciens ; les médiums écrivains. En ce qui concerne cette dernière catégorie, Allan Kardec distingue les médiums écrivains mécaniques (ceux dont la main reçoit une impulsion involontaire et qui n’ont aucune conscience de ce qu’ils écrivent) ; les médiums semi-mécaniques (ceux dont la main marche involontairement, mais qui ont, la conscience instantanée des mots ou des phrases à mesure qu’ils écrivent) ; les médiums intuitifs ; les médiums polygraphes ; les médiums polyglottes ; les médiums illettrés ; les médiums à dictées spontanées ; les médiums versificateurs ; les médiums poétiques ; les médiums littéraires ; les médiums historiens ; les médiums scientifiques ; les médiums médicaux ; les médiums religieux ; les médiums philosophes et moralistes ; les médiums véloces ; les médiums convulsifs. Au sujet de cette dernière variété de médiums, Allan Kardec précise qu’ « il faut que ces médiums ne se servent que rarement de leur faculté [p. 174] médianimique, dont l’usage trop fréquent pourrait affecter le système nerveux.

Dans leur ensemble, les pratiques médiumniques comportent un certain entraînement à l’automatisme. C’est en cela surtout qu’elles sont dangereuses, on ne le dira jamais assez. Quand elle devient une habitude, cette dissociation de la personnalité peut avoir des conséquences très graves. Le délire est là, prêt à fondre sur sa proie, à faire une nouvelle victime… Il y aurait donc lieu, pour tous les inaptes, de ne pas donner prise aux « Esprits obsesseurs » (théorie spirite), de ne pas s’entraîner à développer leur automatisme psychique, à dissocier leur personnalité (théorie classique).

D’après cette théorie — fort séduisante — chacun de nous possède deux personnalités : l’une, consciente (« psychisme supérieur» du Professeur J. Grasset), est la traduction du « moi » conscient et responsable ; l’autre, inconsciente (« psychisme inférieur », subconscient, inconscient), est formée de nos souvenirs. Celle-là fait de continuels emprunts à celle-ci. « Nous n’existons que par la fusion de notre passé et de notre présent. » (Lévy-Valensi.)

C’est en se basant sur la notion du conscient, de l’inconscient et de leurs rapports réciproques que les partisans de la théorie de l’automatisme expliquent un certain nombre de phénomènes attribués par les spirifes à l’action des Esprits. Reste à savoir, cependant, si ladite théorie s’adapte parfaitement à tous les faits spirites auxquels l’on veut ou l’on s’efforce de l’appliquer ? Personnellement, nous ne le croyons pas. Il est, en effet, des cas précis que l’on ne peut expliquer ni par la simple coïncidence, ni par la théorie de l’automatisme. Cela nous tenons à le bien préciser ici. Comme le fait remarquer le Professeur Charles Richet, dans son Traité de Métapsychique, « tout de même, dans certains cas —d’ailleurs rares — il y a au moins en apparence, des forces, des volontés, des intentions intelligentes et raisonnées, dans les phénomènes qui se produisent; et l’impulsion a tout à fait les caractères d’une impulsion étrangère »… Il est vrai que le Professeur Charles Richet ajoute un peu plus loin : « Mais je ne puis tout de même [p. 175] adopter la conclusion qu’il y a des esprits, des intelligences en dehors de l’intelligence humaine. Ma conclusion sera toute différente. C’est que la personne humaine a des ressources que nous ne connaissons pas, tant matérielles que psychologiques. »

Bien que n’étant pas spirite, nous croyons que l’impulsion dont il est question ci-dessus, existe bel et bien en tant qu’impulsion .. étrangère. Mais de là à supposer que l’hypothèse dite spirite est confirmée aussi souvent que les adeptes du spiritisme le prétendent, il y a un monde ! En général, du fait que les médiums ont une propension fâcheuse à la désagrégation, les « révélations » et autres communications attribuées généralement à des Esprits « incarnés » ou soi-disant tels, sont uniquement dues à l’action du subconscient, ce qui constitue déjà, ne l’oublions pas, un phénomène fort intéressant à étudier. Voici, entre autres, quelques citations relatives à cette désagrégation si fréquente chez les médiums :

Pierre Janet : Les médiums, quand ils sont parfaits, sont des types de la division la plus complète dans laquelle les deux personnalités s’ignorent complètement et se développent indépendamment l’une de l’autre. (L’automatisme psychologique.)

Grasset : Le médium est donc un sujet doué d’une vive imagination polygonale, en même temps que d’une grande puissance de désagrégation suspolygonale. (Le spiritisme devant la science) (2).

Lévy-Valensi : Pendant que la conscience est occupée, [p. 176] des sources incommensurables de la subconsciencere montent tous les souvenirs, tout le passé accumulé et, quelquefois ignoré du sujet, c’est le « polygone qui déborde le centre O » ou, pour employer une des expressions chères à Laignel-Lavastine, c’est « le moi profond qui envahit la conscience claire. » (Le délire spirite.)

Flournoy : Le moi inconscient des médiums est pleinement capable de forger de toutes pièces des produits ayant les meilleures apparences de communications de l’au-delà et il ne s’en fait pas faute… Chez des personnes parfaitement normales et bien portantes (au moins selon toutes les apparences, le simple fait de s’adonner aux pratiques médiumniques peut rompre à leur insu l’équilibre psychique et engendrer une activité automatique dont les produits simulent de la façon la plus complète des communications venant de l’au-delà bien qu’ils ne soient en en réalité que les résultats du fonctionnement sublimial des facultés ordinaires du sujet. (Genèse de quelques prétendus messages spirites.)

Charles Richet : Tout s’explique très simplement si l’on admet qu’on n’a jamais affaire qu’à la pensée du médium, être humain, très humain, exclusivement humain, dont les opérations, quand elles sont inconscientes, sont élémentaires amorphes pour ainsi dire. Naïvement nous croyons entendre les paroles d’un désincarné, quand de fait nous assistons aux agitations de la subconscience qui se groupent autour d’une personnalité fictive. (Traité de Métapsychique.)

Dans le livre que le Dr Boudou [Boudon] a consacré au spiritisme et à ses dangers, nous avons relevé le passage suivant relatif à cette importante question de la désagrégation :

« Le médium est un névropathe chez qui les crises de spiritisme alternent parfois avec des crises mentales. Au début, il peut paraître normal mais il possède une aptitude fâcheuse à la désagrégation, qui peu à peu va s’aggraver jusqu’à provoquer un dédoublement de la personnalité. Il commence par n’être capable que de petits mouvements automatiques, il donne d’abord des réponses brèves, puis [p. 177] plus longues ; par degrés également, il s’entraîne à l’écriture automatique, qui au commencement n’est qu’un informe griffonnage. A mesure qu’il se perfectionne, la désagrégation mentale devient complète, ses mouvements automatiques deviennent plus compliqués, puis son imagination, sa mémoire se libèrent à leur tour du contrôle volontaire ; il parle et compose des messages. De son fond mental, tout un groupe de sensations, de souvenirs, d’idées, de volitions se détachent et évoluent indépendamment de sa volonté. Il ne tarde pas à conclure qu’une autre volonté que la sienne agit dans sa propre conscience. C’est une sorte de parasite intérieur auquel il donne un nom. Il se croit possédé par un esprit familier, qui parle et agit à sa place avec son propre corps. C’est ce qu’on appelle une conception délirante, parce qu’elle est la conséquence d’une altération du jugement, c’est un signe déjà grave qui indique que l’intégrité de l’intelligence n’est plus tout à fait entière. Aussi les aliénistes définissent le médium : un sujet qui présente des dédoublements de la personnalité avec conception délirante influant sur son état second.

« Voilà pourquoi les messages spirites sont d’un contenu si pauvre. La personnalité seconde, l’esprit familier, n’est construit qu’avec une partie du fond mental du médium. Elle est constituée aux dépens de sa réserve dépens
de sa réserve d’états de conscience. Les communications des esprits familiers peuvent présenter une certaine variété, ce n’est que la monnaie de papier d’un trésor appauvri : variété n’est pas richesse ; la qualité manque, parce que l’imagination inconciente n’est capable que du genre d’effort qu’elle fournit normalement dans le rêve. « Corneille, dit M. Janet, quand il parle parla main des médiums ne fait plus que des vers de mirliton, et Bossuet signe des sermons dont un curé de village ne voudrait pas pour son prône. »

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« Wundt, après avoir assisté à une séance de spiritisme, se plaint vivement de la dégénérescence qui atteint après leur mort l’esprit des plus grands personnages.

« C’est une bonne petite imagination de dix à douze ans, dit Flounoy, à propos d’Hélène Smith, qui trouve suffisamment [p. 178] drôle et original de faire manger les gens dans des assiettes carrées avec une rigole pour le jus, d’écrire avec une pointe fixée à l’ongle de l’index au lieu d’un porte-plume, de faire allaiter les bébés à l’aide de tuyaux allant directement aux mamelles d’animaux semblables à des biches. »

Il ne faudrait pas croire, cependant, que les « messages spirites » soient toujours dépourvus d’intérêt. C’est ce que le Professeur Charles Richet a tenu à faire remarquer en citant quelques-unes des communications obtenues en présence de Victor Hugo qui fut converti au spiritisme, par Mme Emile de Girardin, à Jersey, le 6 septembre 1853.

« C’était Charles Hugo le médium. Il ne savait pas l’anglais. Un Anglais arriva, invoquant lord Byron, qui répondit en anglais :

Vex not the bard, his lyre is broken,
His last song sung, his last word spoken.

« …Quelquefois Victor Hugo interrogeait les esprits, et naturellement, c’était en vers admirables. Un jour il s’adresse à Molière :

Les rois, et vous, là-haut, changez-vous d’enveloppe ?
Louis quatorze au ciel n’est-il pas ton valet ?
François premier est-il le fou de Triboulet ?
Et Crésus, le laquais d’Esope?

« Ce n’est pas Molière qui a répondu : c’est l’Ombre du Sépulcre :

Le Ciel ne punit pas par de telles grimaces,
Et ne travestit pas en fou François premier,
L’enfer n’est pas un bal de grotesques paillasses,
Dont le noir châtiment serait le costumier.

« Mal satisfait de cette réponse, Hugo s’adresse encore à Molière :

Toi qui du vieux Shakespeare as ramassé le ceste,
Toi qui près d’Othello sculptas le sombre Alceste,
Astre qui resplendis sur un double horizon,
Poète au Louvre, archange au ciel, ô grand Molière !
Ta visite splendide honore ma maison.
Me tendras-tu là-haut ta main hospitalière ?
Que la fosse pour moi s’ouvre dans le gazon.
Je vois sans peur la tombe aux ombres éternelles ;
Car je sais que le corps y trouve une prison,
Mais que l’âme y trouve des ailes. [p. 179]

Alors l’Ombre du Sépulcre, probablement irritée, a répondu :

Esprit qui veux savoir le secret des ténèbres,
Et qui, tenant en main. le terrestre flambeau,
Viens, furtif, à tâtons, dans nos ombres funèbres,
Crocheter l’immense tombeau! .
Rentre dans ton silence, et souffle tes chandelles,
Rentre dans cette nuit dont quelquefois tu sors,
L’oeil vivant ne lit pas les choses éternelles
Par-dessus l’épaule des morts.

« … D’ailleurs l’Ombre du Sépulcre parlait aussi en prose, et en une prose également magnifique. Comme Victor Hugo lui avait reproché d’user d’expressions symboliques, l’Ombre a répondu :

« Imprudent ! Tu dis : l’Ombre du Sépulcre parle le langage humain, elle se sert des images bibliques, des mots, des métaphores, des mensonges, pour dire la vérité… L’Ombre du Sépulcre n’est pas une mascarade, je suis une réalité. Si je descends à vous parler votre jargon où le sublime consiste en si peu de tempête, c’est que vous êtes limités. Le mot, c’est la chaîne de l’esprit ; l’image c’est le carcan de la pensée ; votre idéal, c’est le collier de l’âme ; votre sublime

est un cul de basse-fosse ; votre ciel est le plafond d’une cave ; votre langue est un bruit relié dans un dictionnaire. Ma langue à moi, c’est l’Immensité, c’est l’Océan, c’est l’Ouragan. Ma bibliothèque contient des milliers d’étoiles, des millions de planètes, des millions de constellations… Si tu veux que je te parle dans mon langage, monte sur le Sinaï, et tu m’entendras dans les éclair ; monte sur le Calvaire, et tu me verras dans les rayons ; descends dans le tombeau, et tu me sentiras dans la clémence. »

« Si, comme l’hypothèse est vraisemblable, c’est l’inconscient de Charles Hugo qui a dicté ces vers et cette prose, l’inconscient de Charles Hugo atteignait au génie du maître », conclut le Professeur Charles Richet.

Qu’ils soient dus ou non à l’inconscient du « sujet », qu’ils relèvent de la métapsychique ou, au contraire, du spiritisme, l’on voudra bien convenir que des faits médiumniques de cet ordre sont assez curieux. Or, les annales du spiritisme sont riches en exemples de cette sorte… On comprend, [p. 180] dès lors, pourquoi la plupart des nouveaux venus au spiritisme n’ont tout d’abord qu’une ambition, un but, un idéal : devenir eux aussi des médiums. Ils admirent les médiums, cherchent à les imiter ; ils y parviennent quelquefois et n’en ont alors que plus d’ardeur à poursuivre leurs « expériences »… Ils sont en danger ! En effet, ainsi que nous le faisions remarquer antérieurement, les médiums sont parfois victimes de leur trop grande facilité à se « désagréger ». Être médium, c’est avant tout être passif, c’est se mettre à la merci d’influences de toutes sortes (3), c’est faire abstraction du « moi », c’est laisser le subconscient se manifester sans contrôle aucun, c’est risquer, à plus ou moins brève échéance, de ne plus savoir faire de démarcation entre le réel et l’irréel, et de sombrer dans le déséquilibre mental… Habituellement, le médium n’est « malade » qu’au moment de la « transe », au moment où il veut se désagréger. Si cette désagrégation devient un état habituel — comme cela se produit quelquefois — si elle s’opère malgré le « sujet » et à son insu, donc sans être voulue ni provoquée, le délire spirite est constitué…

« Les faits de transformation dc la transe médiumnique
en délire, écrit le Dr Lévy-Valensi, ont été très bien étudiés, en particulier par le Professeur Gilbert Ballet en 1903 avec son élève Monier-Vinard. J’ai présenté en 1908, avec mon collègue Boudon, deux malades à l’appui de cette opinion, en 1910 j’étais arrivé à relever dix-huit cas analogues.

« On comprend fort bien qu’un sujet qui s’entraîne plusieurs fois par semaine à la désagrégation arrive à un état permanent ; quand une porte est trop bien graissée le moindre souffle la pousse. Quand ces médiums, sans doute prédisposés, deviennent des délirants, leur délire a des caractères particuliers, il s’agit d’un délire d’influence. » (Le délire spirite.)

Dans son livre, Le spiritisme dans ses rapports avec la [p. 181] folie, le Dr Marcel Viollet a consacré un passage fort intéressant à la description de ce que sont, en général, les prédisposés, ces prédisposés chez lesquels la pratique du spiritisme s’avère particulièrement néfaste :

« Pourtant, au milieu de ce public, il peut se glisser — et il s’est glissé — des personnes dont l’équilibre mental s’accommode mal de l’ambiance de tout ce mystère, de tous ces miracles, de toute cette philosophie mythique inquiétante. Des prédispositions héréditaires nerveuses pèsent sur ces cerveaux, les poussant dans la voie des psychoses dégénératives ; il leur faudrait une hygiène mentale plus parfaite qu’à d’autres, dénuée, balayée de tous chagrins, de tous soucis, de toutes obsessions, de toutes angoisses, ainsi qu’il faut aux poumons faibles cet air dénué de tous germes pathogènes, de tout acide carbonique, de tout oxyde de carbone, qu’ils vont chercher dans la montagne. Ils auraient besoin de la plus simple des vies, plate et monotonisée même par une organisation, une discipline parfaite. Mais, justement, une curiosité comme malsaine les pousse vers toutes les causes de chagrins et d’angoisse, vers les affections les moins naturelles, comme vers les spectacles les plus inquiétants. A ce titre, ils sont fervents aux réunions spirites.

« La prédisposition héréditaire se décèle chez eux par certains symptômes : les uns ont congénitalement un esprit faible, une intelligence débile. La vie est déjà, pour ceux-là, une chose compliquée, difficile, dont ils se tirent mal. Ils sont de volonté faible, instables dans leurs projets comme dans leur application, insoumis aux nécessités vitales et sociales, attristés, découragés, dégoûtés par la lutte pour la vie, avec un fond d’orgueil qui à chaque instant se ranime, cause une orientation nouvelle dans les projets et se suit d’un nouveau découragement. Ils vont au spiritisme comme à une religion consolante, et y trouvent de nouveaux motifs d’anxiété et d’inquiétude, parce que la foi est, chez eux, plus rapidement intense et dévorante, parce que leur jugement faible ne permet pas qu’ils en discutent les éléments, et parce qu’autour de leur imagination s’échevèle la ronde des désincarnés menaçants et grimaçants. [p. 182]

« Chez d’autres prédisposés, l’intelligence est plus élevée, l’équilibre des facultés est plus intact et plus stable. Mais le caractère est congénitalement vicié. Il se marque par un mélange d’orgueil et de susceptibilité, qui fait de ces personnes des méfiants difficiles à vivre, s’entourant d’ennemis plus que d’amis, rapidement capables de griefs et de haines. Caractères fréquents ! pour le malheur des leurs, et qu’on a, en psychiatrie, nommés tempéraments paranoïaques. Leur vie est difficile, à ceux-là, parce qu’ils ont au suprême degré l’art de saper les appuis qu’autour d’eux aurait pu établir l’amitié. Leur orgueil les fait bien se flatter du « splendide isolement » qui résulte de cet état de choses, mais il ne les dispense pas de l’ennui. C’est l’ennui qui les guide vers le spiritisme, dans ces salons sombres où l’on garde, avec l’incognito, intacts son orgueil intime et sa suceptibilité à laquelle les esprits n’insultent pas.

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« D’autres sont des scrupuleux et des tristes. II en entre beaucoup dans l’espèce des timides. Peu confiants en eux-mêmes, persuadés d’ailleurs de leur « nuisance » et de leur « indignité », ils ont le regret immédiat de tous leurs actes et de toutes leurs paroles. Ils préfèrent n’agir point par crainte de faire du tort, ne parler point plutôt que de paraître incivils ou indélicats. Ils craignent les réunions nombreuses, fuient le monde, recherchent la solitude, adorent l’incognito. Ils passent pour des niais, mais ne le sont point, comme on peut s’en apercevoir dès qu’on est assez leur intime. Ils sont, en général, des chastes, par timidité, mais peuplent le monde des amoureux platoniques qui n’avouent pas leur flamme… Sentimentaux, point inintelligents, capables d’amitiés sincères, surtout si leur ami les domine, mais terrassés toujours par la crainte de mal dire ou mal faire, d’importuner ou dégoûter, glissant inaperçus et, comme dit La Bruyère, « crachant sur leurs chausses », ils viennent aux angles obscurs des salons assombris où les esprits s’évoquent, immobiles, silencieux, tranquilles seulement quand on ne les voit pas.

« D’autres ont, comme signe de prédisposition héréditaire morbide, des stigmates névropathiques. Ces stigmates se [p. 183] rencontrent surtout chez les femmes : on les connaît dans le monde sous le nom de vapeurs, de crises de nerfs ; dans la science, sous le nom d’absences, de crises larvées, de crises d’hystérie (terme qui semble bientôt avoir vécu) ; on y joint ces sensations de boule dite hystérique, qui remonte de l’estomac à la gorge et produit des sensations d’étouffement parfois poussées jusqu’à l’évanouissement, ces crampes musculaires et ces contractures passagères. On trouve également chez ces névropathes, des crises de somnambulisme spontané, et surtout aisément provoquables. A ce titre-là ces personnes remplissent un rôle important dans les salons spirites où l’on pratique l’hypnotisme. Elles deviennent des sujets, réalisant, entre les mains des médiums, des expériences analogues à celles des somnambules extralucides ; ou, spontanément, se révèlent médiums typteurs, écrivains ou parlants. La prédisposition aux accidents névropathiques, communément appelés hystériques, se révèle au cours de ces séances, et les organisateurs de séances spirites connaissent bien ces crises autant qu’ils les redoutent. (Voir La Survie.) De plus, ces névropathes ont un caractère particulier, fait d’instabilité dans les pensées, les opinions, les projets, du prurit de mentir, et du désir parfois conscient, plus souvent subconscient, d’attirer l’attention sur elles. A ce titre, elles animent singulièrement une séance spirite, à laquelle elles donnent parfois, consciemment ou subconsciemment, une apparence frauduleuse. « Celles-ci, en avant, agissantes, militantes; de l’avis de beaucoup énervantes et troublant l’assemblée sérieuse. Puis les « paranoïaques », consentant rarement à sortir de l’incognito que leur orgueil considère comme un piédestal et leur susceptibilité, comme un bouclier. Puis, au milieu de la foule, les débiles, armés de la foi du charbonnier, suivant le mouvement comme moutons de Panurge, encombrant une vie qui leur est déjà pénible, d’un amas de connaissances incomprises ou aveuglément acceptées, jusqu’à leurs extrêmes conséquences. Puis, au fond, dans l’ombre, les tristes, les timides, les « scrupuleux », immobiles et muets, que la mélancolie morbide guette. Ces prédisposés parmi ces gens [p. 184] sains, ces savants chercheurs, ces enthousiastes raisonnés et intelligents, ces prédisposés qu’on rencontre partout ailleurs où il y a foule, mais qui viennent là se griser de mystère, comme d’un poison dangereux pour eux seuls. »

L’éclosion du délire spirite se fait plus ou moins rapidement. Parfois elle succède à une longue pratique de la médiumnité, parfois elle va presque de pair avec les premiers essais…

Chez le délirant spirite la désagrégation va s’effectuer à l’insu du malade. « Un jour, il se trouvera en face d’une personne étrangère, qui est lui-même et qu’il ne reconnaîtra point. Sa subconscience, subitement, aura constitué cette personnalité ; elle s’opposera à sa personnalité consciente dans des luttes souvent douloureuses. » (Dr Lévy-Valensi.)

De même que le délire mystique dont il n’est qu’une modalité, le délire spirite est constitué par les éléments les plus disparates. Cependant, il est possible d’en dégager quelques caractères particuliers. C’est ainsi, par exemple, que le Pr Lévy-Valensi met plus particulièrement en relief les Hallucinations, l’Erotisme, les Réactions défensives et la Contagion.

Le délire spirite est, en général, un délire hallucinatoire. Les hallucinations sont de différents ordres : hallucinations auditives, visuelles, olfactives, gustatives; hallucinations de la sensibilité générale ; hallucinations psycho-motrices ; hallucinations cénesthésiques.

Au début, les hallucinations auditives ont fréquemment un caractère typtologique : l’halluciné « perçoit » des coups frappés dans les meubles, dans les murs, etc. (4). Puis, par la suite, l’hallucination devient plus précise : le malade « entend » des voix qu’il attribue sans hésiter aux mauvais ou aux bons esprits suivant le caractère desdites voix. En général, il s’agit de propos désagréables, de menaces, d’insultes, de paroles obscènes, de conseils plus ou moins ridicules, d’ordres plus ou moins baroques. D’autres fois, au contraire, l’hallucination peut avoir un caractère favorable. [p. 185]

« Il se passe chez les spirites, écrit le Dr Lévy-Valensi, ce qui se passe chez nombre de persécutés. Un système de défense s’élabore. Aux insultes répondent des encouragements, des conseils. Le bon esprit entre en lutte avec le mauvais. et les hallucinations agréables et désagréables concordent et alternent. » Ces voix, le malade les situe très souvent en dedans. de lui-même : tête, cœur, poitrine, estomac, etc. Les hallucinations son nombreuses la nuit, d’où insomnies fréquentes.

Les hallucinations visuelles sont variées : visions mystiques ; visions de monstres, de diables, de bêtes, d’esprits, d’ombres vagues, de traînées lumineuses ; visions de scènes, d’images diverses, etc. Voici, par exemple, comment une malade décrit — dans une plaquette éditée par ses soins — certains esprits « nationaux » aperçus par elle : « L’esprit est un petit diptère ; il est haut sur pattes, mince, le corps très plat, il a une petite trompe ; mais nous avons différentes races d’esprits. L’esprit français a huit pattes, un dard à gauche, une trompe et de grosses griffes au bout de chaque patte. L’esprit allemand a huit pattes, il est très gras, il a de grosses pattes et, à droite, une patte moignon armée de deux fortes griffes, ainsi que de grosses griffes au bout de chaque patte. L’esprit autrichien a huit pattes avec griffes et à droite une patte couteau qui coupe terriblement, une patte coupante plus petite à gauche et une trompe. »

Les hallucinés de l’odorat attribuent naturellement aux esprits les odeurs désagréables ou non qu’ils perçoivent ou croient percevoir.

Les hallucinés du goût s’imaginent, par exemple, que leurs aliments sont empoisonnés, souillés, contaminés par les esprits, etc.

Les hallucinés de la sensibilité générale se figurent être l’objet de mauvais traitements (piqûres, brûlures, pincements, frottements, décharges électriques, jets de fluides divers, etc.), de la part des esprits ou — ce qui peut avoir des conséquences graves pour les tiers — de certaines personnes qu’ils supposent être complices desdits esprits…

Il y a quelques années, nous avons connu, à Paris, une [p. 186] dame spirite, la comtesse de B…, qui passait la majeure partie de ses nuits à lutter contre des esprits piqueurs. Pour ce faire, chaque soir, avant de se coucher, elle avait soin de placer près de son lit une épée à la pointe effilée. Quand les esprits piqueurs commençaient à la tourmenter, elle se levait d’un bond, saisissait son épée puis envoyait de furieux coups de pointe dans la direction de ses bourreaux qu’elle distinguait parfaitement et qui s’enfuyaient en désordre. Quelques instants après leur déroute, ils réapparaissaient et le combat reprenait de plus belle.
Les hallucinations motrices constituent l’un des éléments importants du délire spirite. Parmi elles, il y a lieu de citer particulièrement les hallucinations verbales motrices : le malade a l’impression très nette que l’ « on » parle au moyen de ses propres organes vocaux. « Les malades qui disent avoir des voix de ce genre ne les entendent plus par l’oreille, à l’aide des images auditives des mots, mais ils les perçoivent à l’aide des images motrices d’articulation. » (Seglas.) Le Dr Seglas distingue trois degrés : 1° l’hallucination verbale kinesthésique simple, et sans mouvement des organes de la parole, le malade a la sensation de parler ; 2° l’hallucination verbale motrice proprement dite qui s’accompagne de mouvements d’articulation plus ou moins perceptibles ; 3° l’impulsion verbale dans laquelle le malade parle sous l’impulsion du persécuteur. Il est d’autres hallucinations motrices assez fréquentes chez les délirants spirites : les hallucinations graphiques motrices : la main du sujet écrit ou, plus rarement, dessine automatiquement. « Les caractères de cet automatisme sont de se produire en dehors de la volonté, et de produire des mots écrits inconnus par le malade avant qu’il les puisse lire sur le papier. » (Dr Marcel Viollet.) Injures, menaces, reproches, éloges, conseils variés, notions diverses, on trouve de tout dans ces productions automatiques.

Parmi les hallucinations motrices que l’on rencontre chez les spirites, le Dr Lévy-Valensi mentionne la « lévitation ». A ce sujet, il cite une observation de Gilbert Ballet [p. 187] et Monnier-Vinard, observation concernant un homme de 47 ans, gardien de cimetière :

« Depuis près d’un an, il lui arrive souvent d’être transporté loin du lieu où il se trouve. Les esprits persécuteurs l’emportent parfois ainsi à de grandes distances, l’entrainant avec eux. Il parcourt de la sorte les planètes ; il en a exploré un grand nombre, mais il ignore le nom de la plupart d’entre elles, et c’est la planète Saturne qu’il visite le plus souvent. C’est vers le milieu de la nuit que cela lui arrive ; il se sent alors « partir sur sa pensée », il traverse d’immenses espaces, et les esprits mauvais veulent alors le tuer à coups de fluide. Arrivé dans Saturne, « il se matérialise », reprenant son aspect et sa forme ordinaires.  »

Les délirants spirites atteints d’hallucinations cénesnthésiques se plaignent de troubles de la sensibilité interne dus à l’action des esprits. « Les esprits me grignotent le cerveau, déclare une malade observée par MM. Lévy-Valensi et Henri Ey. Ça fait très mal. J’ai des trous dans la cervelle. Ils tracent des sillons, ils ont fait des trous dans les vertèbres de la colonne vertébrale. La trachée est percée en bas. J’ai une poche avec de l’eau pourrie près de l’anus. »

D’autres malades ainsi hallucinés affirment, par exemple, que les mauvais esprits font disparaître leurs organes :
ils n’ont plus de poumons, plus de foie, plus de cerveau, etc. Tout est « pourri » en eux du fait même de ces esprit malfaisants attachés à leur perte.

Il existe d’assez nombreuses observations de délirants spirites chez lesquels les préoccupations d’ordre génital sont les plus marquées. Citons, entre autres, les quelques cas suivants : celui de cette Mme B… , âgée de 38 ans, à qui « les mauvais esprits donnaient des sensations voluptueuses, des jouissances qui commençaient par les organes génitaux, mais qui ne ressemblaient nullement aux contacts masculins. » (Joffroy. Celui de cette Mlle L…, âgée de 36 ans, qui sous l’empire d’un être invisible, était parfois torturée génitalement la nuit au point qu’elle ne savait plus où se mettre ; celui de cette Mme M…, agée de 53 ans, qui était « réveillée la nuit par la sensation nette d’un acte qui se passait [p. 188] absolument comme s’il avait été réel, en intimité. » (Lévy- Valensi et Henri Ey); celui de cette Mme C…, âgée de 36 ans, qui non contente de se livrer à l’onanisme, avait quelquefois des rapports avec une entité « dont les caresses lui procuraient des sensations voluptueuses complètes. » (Sollier et Boissier.) Le gardien de cimetière observé par Gilbert Ballet et Monier-Vinard, malade. dont nous avons déjà eu l’occasion de parler, était atteint de spermatorrhée nocturne qu’il attribuait naturellement aux excitations des esprits.

Les exemples de cette sorte ne sont point rares.

Quant aux réactions défensives, elles sont de différents ordres. Quelques-uns de ces malheureux hallucinés commencent par réagir contre les persécutions « qui leur viennent de l’au-delà », en quémandant des conseils à leurs « guides », à leurs « protecteurs » et ce par la voie graphique ou verbale. D’autres préfèrent avoir tout de suite recours aux vivants. Ils s’adressent alors soit aux autorités civiles, soit aux ministres des cultes, soit encore aux sorciers, aux magnétiseurs, etc. Il en est qui aiment mieux se défendre eux-mêmes comme, par exemple, cette comtesse dont nous avons relaté les combats nocturnes contre les esprits piqueurs : c’est dans cette catégorie que rentrent les persécutés qui se rouent de coups de bâton sous prétexte d’atteindre « l’esprit du mal », ceux qui prennent des bains sulfureux ou se mettent de la « mort-au-rats » sur le corps « pour occire » ledit esprit ; ceux qui lavent leur viande avant de la manger, pour « enlever les poisons apportés par les esprits » ; ceux qui bouchent toutes les issues de leur habitation pour empêcher les esprits d’entrer, ou qui mettent le feu à leur maison pour les mieux détruire ; ceux qui se mettent de la cire dans les oreilles pour ne pas entendre les esprits ; ceux qui s’entourent le corps de cuirasses pour que les piqueurs et autres esprits malfaisants ne les puissent maltraiter, etc…

Mais il arrive un moment où le pauvre malade est exaspéré par son impuissance. Alors, il peut être amené à se suicider ou… à faire un mauvais parti à des tiers, comme [p. 189] le cas s’est produit à différentes reprises. En effet, « lassé de voir son impuissance contre les persécutions des esprits, le malheureux halluciné est tout porté à voir des complices de ces esprits dans les personnes qui l’entourent. Sa famille, 1es voisins, son concierge, sont des complices. Complice aussi, ce gouvernement qui autorise cela, cette police qui ne protège pas les « honnêtes gens », complice, le médecin qui le soigne, et ce médium de sa salle spirite qui a dirigé contre lui les mauvaises intentions des esprits, et qui, maintenant, les encourage. Et souvent cette supposition de complicité humaine ne se fait pas seulement par le simple mécanisme du raisonnement : on pourrait comprendre, à la rigueur, que l’halluciné tue son voisin de dessus, parce qu’il prête son appartement aux esprits insulteurs ; mais il peut arriver qu’il tue brusquement un passant quelconque, ou avec préméditation une personne éloignée, étrangère à la vie du malade, simplement parce que les voix qui ont révélé la complicité de celui-ci ou de celui-là (5). » Il y a donc là un danger très grave, un danger que nous tenons à signaler particulièrement aux assidus des séances de spiritisme car, un jour, ils peuvent très bien se trouver en présence d’un persécuté de ce genre…

Au sujet de la contagion, le Professeur agrégé Lévy-Vatensi fait remarquer que les épidémies de folie spirite n’ont pas l’extension des folies mystiques de jadis ! Heureusement ! « Ce sont, dit-il, des épidémies discrètes, limitées, parfois de simples folies à deux. En ce qui concerne ce dernier cas, il est une constatation que l’on a pu faire à différentes reprises : ce n’est pas le sexe fort qui a l’avantage ! En effet, il appert que, le plus souvent, c’est la fille d’Eve qui entraîne le descendant d’Adam et lui fait partager son délire plus ou moins rapidement.

Toujours au sujet de la contagion nous croyons équitable de signaler dans ce livre où nous avons à cœur de n’être point partial, que certains auteurs exagèrent ! Ils affirment ou paraissent croire que, dans les asiles, les fous spirites sont en majorité. Or, si l’on consulte des statistiques [p. 190] sérieuses, si l’on s’en rapporte aux observations ayant trait aux sujets atteints d’aliénations mentales postérieurement à la pratique du spiritisme même, il ressort que les fous spirites sont en proportion beaucoup moindre que ne le prétendent les auteurs en question. Ce n’est pas faire œuvre vraiment scientifique que de se laisser aller ainsi au parti pris… Nous approuvons donc le regretté C. de Vesme, qui a étudié particulièrement cette question, d’avoir dit : « Ce qu’ont écrit à ce sujet certains auteurs est marqué des plus fantastiques exagérations. Et cela date de loin ! En 1876, l’Américain Dr Forbes Winslow a cru pouvoir affirmer qu’il n’y avait pas moins de 10.000 victimes du spiritisme dans les asiles d’aliénés des Etats-Unis. Le Dr Crowell se proposa de s’assurer de la véracité de cette affirmation et adressa à cet effet un questionnaire aux directeurs des 87 asiles existant alors dans l’Union. Soixante-six directeurs lui répondirent ; mais seulement 58 réponses contenaient les données demandées. Il en ressortait que sur 23.328 déments hospitalisés en ces 58 asiles, 412 cas étaient attribués à l’exaltation religieuse et 59 au spiritisme. Le Dr C. H. Nicols, directeur du Governement Hospital de Washington, écrivait : « Selon mes statistiques, dans le calcul du Dr Winslow il n’y à même pas un pour cent de vérité. » Et le docteur Burrel, directeur du Brigham Hall Asilum de l’Etat de New-York, a dit : « Les statistiques n’offrent, pour le moment, que peu de cas de folies attribués à l’exaltation religieuse et au spiritisme. Les parents et les amis du malade vous présentent souvent le résultat de la démence comme étant la cause de celle-ci. Dans la plupart des cas on constate que les aliénés ne sont tombés dans les idées religieuses ou spirites qu’à la suite de la folie qui les avait frappés. » Et C. de Vesme d’ajouter : « Remarquons qu’à cette époque-là le spiritisme était en pleine floraison aux Etats-Unis où le nombre de ses adhérents a été alors calculé — avec une exagération manifeste — à près de deux millions. » (La Revue Métapsychique, septembre-octobre 1935.)

Il n’y a donc pas autant de fous spirites véritables que [p. 191] d’aucuns le prétendent mais… il y en a tout de même, ne l’oublions pas !

Après cette mise au point nécessaire revenons-en au délire spirite proprement dit et citons quelques autres de ses caractères : d’une façon générale, le fou spirite est un débile. Il présente souvent des idées de grandeur : il est « le premier médium du monde » ; il a « une grande mission à remplir » ; il doit « sauver l’humanité » ; il est chargé d’enseigner « une religion nouvelle » qui est attendue avec une impatience fébrile par le monde entier. En dehors des idées de grandeur, en dehors des idées de persécution dont nous avons déjà parlé et dont le rôle est capital dans la constitution du délire des spirites, le fou spirite peut présenter enfin des idées mélancoliques. Pour être moins fréquentes que les précédentes, elles ne s’en rencontrent pas moins. Ce sont, par exemple, des idées d’autoaccusation, d’humilité, de ruine, de négation, etc. Le Dr Marcel Viollet a tracé un bon tableau de ces mélancolique :

« Les esprits s’acharnent après eux : ils ont raison, c’est pour les punir. Les reproches qu’ils leur font sont mérités, méritées aussi les menaces et les sinistres prédictions. Les visions — rares — sont terrifiantes et angoissantes : cadavres de gens morts par leur faute, esprits menaçants et tenaces comme le remords. La viande qu’on leur sert a goût de chair humaine, et ils répandent d’infectes odeurs, de pourri. L’esprit qui les habite vide leur corps ; ils n’ont plus de poumons, de cœur, d’estomac, de cerveau. Tout cela est pourri, et leur gorge est bouchée. Vont-ils à la garde-robe, c’est leur intestin qu’ils y laissent. L’esprit qui s’est emparé d’eux est un esprit du mal, qui les conduira plus sûrement à la damnation éternelle.

« Aussi que de tristesse dans leur physionomie ; que d’indignité dans leur attitude ! Leurs yeux sont sans éclat sous les paupières baissées, sous leur front creusé de rides. Leurs traits sont tirés, la commissure des lèvres pend, leurs cheveux sont dénoués, défaits ; ils ne sont souillés de boue ou de matières en guise de repentir. Ils sont assis, immobiles, les mains jointes, ou agenouillés, ou prosternés contre [p. 192] terre, dans l’attitude de la plus ardente supplication. Leur mise est négligée; souvent ils se refusent à porter tout vêtement, s’exposant, dans leur indignité, au froid qui les mord pour se punir eux-mêmes.

ENCAUSSESPIRITISME0003

« Tels sont ces infortunés mélancoliques, les plus malheureux des fous. Pour échapper à leurs remords, ils tentent fréquemment de se suicider, et un moyen qu’ils emploient souvent à l’asile (où aucun autre n’est à leur disposition) c’est de refuser toute nourriture pour se laisser mourir de faim. » (Le spiritisme dans ses rapports avec la folie.) »

Dans une de leurs observations, Sollier et Boissier relatent l’histoire d’un nommé Henri B… qui présentait des idées mélancoliques et qui, après avoir refusé de manger (pour obéir aux ordres des esprits), essaya de se jeter dans la cage de l’escalier pour « sortir de sa guenille » ; comme on l’avait empêché d’effectuer cette « sortie », c’est-à-dire de se suicider, il voulut, « par mortification et par ordre des esprits, boire de son urine et manger de ses excréments ». Les exemples de cette sorte ne sont pas rares. Hélas !…

Que deviennent les délirants spirites ? D’une façon générale, le pronostic est assez favorable si l’on peut les traiter assez tôt. Ce qu’il faut avant tout, c’est isoler le malade, l’enlever à son entourage, le soustraire à l’influence de son milieu, lui interdire toute pratique-de spiritisme. L’on a pu obtenir ainsi non seulement de très sensibles améliora- tions, mais aussi des guérisons complètes, des guérisons définitives. C’est là un point sur lequel il convient de bien insister. Nous avons eu, personnellement, l’occasion de constater des guérisons complètes à la suite de l’isolement des intéressés, cet isolement allant de pair, bien entendu, avec la cessation absolue de toute pratique spirite.

NOTES

(1) LÉVY-VALENSI.

(2) Pour des raisons didactiques, M. le Professeur J.. Grasset a imaginé un schéma général des centres psychiques (supérieurs et inférieurs) où « O » représente le « centre psychique supérieur de la personnalité consciente, de la volonté libre et ou moi responsable ». Au-dessous, est situé le polygône des centres automatiques supérieurs ou psychiques inférieurs (c. auditif, c. visuel, c. tactile, c. kinétique, c. de la parole et c. de l’écriture). Les actes polygonaux ne sont pas conscients par eux-mêmes, ils sont « automatiques, c’est-à-dire ni libres ni responsables et ne deviennent conscients que quand O les connait régulièrement. Cf. GRASSET : Le spiritisme devant la science. — L’Occultisme hier et aujourd’hui. Dans l’Initiation, PAPUS a consacré un important article au polygone. Cf. L’Initiation, mars 1903, p. 225 à 259 : Le Polyg6ne de Grasset, les faits psychiques et l’Occultisme.

(3) « Nous considérons les médiums comme de très faibles instruments soumis autant à l’action des assistants qu’à celle des êtres invisibles de toute catégorie. La fraude, chez les médiums, est fréquente, mais les médiums sont irresponsables, la plupart du temps, car ils agissent sous l’influence de forces étrangères. » (PAPUS.)

(4) A ne pas confondre avec les « raps » qui, eux, existent réellement, ainsi que nous l’avons déjà souligné au début de cet ouvrage.

(5) Dr Marcel VIOLLET : Le spiritisme dans ses rapports avec la folie.

 

 

 

 

 

 

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