Philippe Chaslin. Le Freudisme. Revue critique extraite du « Journal de Psychologie normale et pathologique », (Paris) ; XXe année, 1923, pp. 655-668.

CHASLINFREUDISME0001Philippe Chaslin. Le Freudisme. Revue critique extraite du « Journal de Psychologie normale et pathologique », (Paris) ; XXe année, 1923, pp. 655-668.

Philippe Chaslin (1857-1923). Aliéniste, grand spécialiste de la nosographie française et allemande, il fait une description fort pertinente de la confusion mentale et de la folie discordante, synonyme de schizophrénie [La confusion mentale primitive. Stupidité, démence aiguë, stupeur primitive. Paris, Asselin et Houzeau, 1895. 1 vol. in-8°, IX p., 264 p.]. Il fut chef à la Salpêtrière, après avoir exercé à Bicêtre. Il est le premier à s’opposer avec vigueur à la théorie de la dégénérescence alors dominante. On lui doit un ouvrage resté sans égal : Eléments de sémiologie et clinique mentales. Paris, Asselin et Houzeau, 1912. 1 vol. in-8°, XXIV p., 956 p. Mais aussi :
— Du rôle du rêve dans l’évolution du délire. Thèse de médecine de la faculté de médecine de Paris. Paris, A. Davy, 1887. 1 vol. in-8°, 1 fnch., 61 p. — Autres éditions identiques : Paris, A. Parent, 1887. Et édition de librairie : Paris, Asselin et Houzeau, éditeur, 1887. 1 vol. in-8°, 1 fnch., 61 p. Avec un complément bibliographique par Michel Collée. [en ligne sur notre site]
— (Avec T. Alajouanine). Un cas de délire d’influence obsédante. Article parut dans le « Journal de Psychologie normale et pathologique », (Paris), XVIIIe année, n°10, 15 mars – 15 décembre 1920, pp. 945-955; [en ligne sur notre site]
— (avec Ignace Meyerson). Une rêverie de défense. Extrait du « Journal de psychologie normale et pathologique », (Paris), XVIIe année, 1920, pp. 59-68. [en ligne sur notre site]
— La psychanalyse. Freud et le freudisme. Article parut dans « La Revue de France », (Paris), 2e année, n°24, 15 décembre 1922, pp. 737-760. [en ligne sur notre site]

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original.– Les images ont été rajoutées par nos soins. . – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

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LE FREUDISME

E. RÉGIS et A. HESNARD. La Psychoanalyse des névroses et des psychoses, 2e édition. Paris, Alcan, 1922, 1 vol. in-16 de XXII-404 p. — T. W. MITCHELL, The Psychology of Medicine, London, Methuen et Co, 1921, 1 vol. in-8° cour. de 187 p. — DR SIGM. FREUD. Introduction à la Psychanalyse, traduit, par S. Jankélévitch, Paris, Payot, 1922, 1 vol. in-8° de 484 p. — Dr SIGM. FREUD. La Psychopathologie de la vie quotidienne, traduit par S. Jankélévitch. Paris, Payot, 1922, 1 vol. in-8° de 321 p. —Professeur SIGM. FREUD. Trois essais sur la théorie de la sexualité, trad. par B. Reverchon, Paris, 1923, 10° éd., Editions de la Nouvelle Revue française, 1 vol. in-16 de 189 p.

Nous étudierons ici cinq livres, récemment parus, de Freud ou consacrés à Freud.

Les deux premiers ouvrages sont des études qui ne se résument pas, étant déjà des exposés d’ensemble de la question du freudisme, aussi bien celui de Freud que celui de ses disciples plus ou moins dissidents. Le très bon livre de E. Régis et A. Hesnard se termine par une critique judicieuse et impartiale, et en somme peu favorable au système. Comme il donne des détails sur les plus récents travaux éclos depuis 1914 dans tous les pays, on peut se rendre compte, en lisant cette dernière édition, de l’étonnant succès que, dans les pays étrangers, a rencontré la doctrine, tandis qu’en France elle rencontre plus de critiques que de louanges, sauf peut-être parmi des gens peu compétents. On pourrait peut-être se demander si cette grande diffusion, dans les pays anglo-saxons, ne tiendrait pas en partie à l’attrait défendu des choses sexuelles (et le fond du freudisme est proclamé sexuel avec cynisme), et en partie aussi à l’attrait du mystère, car cette libido se cacherait obstinément dans l’inconscient chez chacun de nous et ne se révélerait que sous le masque du rêve, de la névrose [p. 656] ou de l’art. Enfin, c’est un système rigoureux, et tout le monde court après un système, d’autant plus volontiers que ce système a plus de prétentions à tout expliquer.

Le petit volume de Mitchell a été écrit spécialement pour le grand public et aussi pour les débutants, comme introduction à l’étude plus approfondie de la psychologie, telle que l’ont faite les recherches médicales de ces dernières années. Deux noms, dit l’auteur avec justesse, dominent cette période, d’abord celui de Pierre Janet, et ensuite celui de Freud. Il ne rend pas suffisamment hommage, à mon avis, à l’importance des théories de Janet. Par contre, il est très favorable à Freud et à ses élèves ; il expose, en effet, aussi les idées de disciples dissidents de Freud, tels que Maeder, Silberer et Jung. Ils s’écartent assez de leur maître pour que T. W. Mitchell les considère comme formant une école distincte, « the post Freudian School of analysis ». Un exemple suffira à montrer que l’interprétation du rêve d’après Jung s’éloigne fort de l’originale, elle semble même tout à fait en contradiction avec celle-ci. « Le rêve, suivant Jung, est la résurrection durant le sommeil d’une forme d’activité psychique qui a été à un moment donné la seule forme de pensée dont l’homme fût capable. Mais ce n’est que dans sa forme — dans son langage — que le rêve est archaïque ; son contenu n’a rien à faire avec les tendances primitives ou infantiles, mais il est en rapport avec les problèmes présents qui se posent au dormeur. » (p. 109).

C’est une fonction de l’inconscient, devenue telle, parce qu’elle se compose de pensées et de sentiments négligés qui n’ont pas été utilisés dans la vie. L’adaptation de l’individu à la vie a donc été incomplète par cette mise à l’écart d’une partie des tendances. Le rêve est une « fonction de compensation », une représentation « symbolique » de quelque chose qui manquait. Ce symbole concret a une « signification plus haute, spirituelle. Ainsi l’inceste imaginé par la fantaisie dans le rêve peut être interprété comme indiquant le besoin ou le désir pour une renaissance spirituelle. » (p. 112). L’auteur cherche à concilier les idées de Freud avec celles-ci en disant qu’il s’agit seulement de deux façons de regarder les choses d’une part on peut considérer le rêve comme indiquant un but à poursuivre, une meilleure adaptation, d’autre part le mécanisme de la formation du rêve doit être cherché dans « le conflit entre les forces répressives et les tendances dérivées de l’inconscient véritable ».

L’exposition très élémentaire que donne T. W. Mitchell constitue une bonne introduction à l’étude plus approfondie du sujet. Les citations mêmes que je viens de faire nous montrent assez bien l’attitude de l’auteur devant la « psychologie médicale » récente : il paraît satisfait par les résultats qu’il considère comme réels et acquis ; il admet les nouvelles [p. 657] interprétations post-freudiques, aussi bien que les freudiques mêmes, puisqu’il cherche à les concilier. Son livre n’indique pas les réserves et les doutes qui doivent, à mon avis, être éveillés constamment par les explications psychoanalytiques, somme toute si artificielles. La conciliation des différentes explications freudique et post-freudiques me paraît plus difficile que ne pense l’auteur. En tout cas, le but que se proposait T. W. Mitchell de mettre à la portée du public cultivé les principes des mouvements psychoanalytiques devenus divers, me paraît parfaitement atteint.

Les trois derniers ouvrages sont une partie de l’œuvre de Freud lui-même, traduite en français pour la première fois. En dehors de cinq leçons faites en Amérique, traduites dans la Revue de Genève en 1920, et ensuite réunies en brochure avec une préface très intéressante de Claparède, il n’y avait jusqu’en 1922 aucun ouvrage du fondateur du système directement accessible au public français. Aussi semble-t-il que ce soit une occasion favorable pour se livrer à une critique objective du freudisme, puisque nous avons les pièces à conviction commodément amenées sous nos yeux même.

Je commencerai par examiner l’Introduction, parce qu’elle est un exposé d’ensemble presque complet. Je parlerai ensuite de la Psychopathologie de la vie quotidienne, où nous retrouverons plus en détail une partie traitée beaucoup plus brièvement dans l’autre livre. Enfin j’examinerai sommairement les Trois essais sur la théorie de la sexualité, qui s’occupent exclusivement de la libido en elle-même.

L’Introduction à la Psychanalyse contient les leçons toutes récentes faites à Vienne pendant la guerre, en 1915-16 et en 1916-17. On y trouve donc les dernières idées de Freud, car naturellement celui-ci a évolué depuis ses lointains débuts. Nous en sommes prévenus dans la Préface : il y a des nouveautés inédites à propos de l’étiologie, des névroses, de l’angoisse, et des fantaisies hystériques. Les lecteurs de ce journal connaissent la théorie ; plusieurs articles, dont un tout récent de Lalo, ont attiré leur attention sur des points spéciaux. Mais je suis sûr qu’ils prendront comme moi un grand intérêt et du plaisir à lire ces leçons. Elles sont, en effet, chose précieuse, à la fois un plaidoyer pro domo et un tableau d’ensemble où l’auteur a la franchise de présenter sa doctrine dans toute sa nudité, toute sa crudité, toute son outrance. On retire une impression très vive et très nette de ces leçons pleines de verve auxquelles il semble qu’on assiste. Si le talent qui y est déployé est capable de séduire, en revanche le fond de la doctrine apparaît avec une clarté si parfaite, qu’il éveille chez moi une impitoyable critique et une opposition catégorique. Ce n’est certainement pas un livre dont la fille permettrait la lecture à sa mère, comme on l’a dit plaisamment à propos de romans scabreux. On sait tout de suite à quoi [p. 658] l’on a affaire. C’est un érotisme forcené et sans nuance, un « pansexua- lisme » qui a la prétention de tout expliquer, ou presque, en psychologie, en médecine mentale et même dans les arts ou les sciences sociales. Cet érotisme ne paraît faire guère de différence entre l’homme et la femme, puisque l’enfant, garçon ou fille, est à la fois amoureux de son père, de sa mère et de lui-même, de lui-même par et dans tous ses organes. L’enfant est le résumé le plus complet de toutes les perversités sexuelles réunies. On a eu beau critiquer Freud. Même des disciples comme Jung ont trouvé abusive cette extension de l’idée sexuelle à tout ce qui procure du plaisir. Avec une obstination invincible, Freud maintient, répète (p. 430) que la libido est toujours sexuelle, si elle n’est pas toujours génitale. Eh bien ! ce désir frénétique, cette libido qui fait du nourrisson qui tette sa mère, en même temps un affamé et un jouisseur érotique, de l’enfant qui urine ou se livre à la défécation, par cela même encore un jouisseur érotique, cette libido qui toute la vie, comme un monstre mal dompté, tendra à se satisfaire, tout au moins par le rêve, par l’art ou l’hystérie, cette libido toute-puissante se laisse refouler docilement en général par l’éducation, par les convenances, par la pression sociale. C’est un conflit, une défaite psychologiques ; le côté physiologique n’existe pour ainsi dire pas. Freud ignore systématiquement la physiologie (1). Ainsi quels prodiges d’artifices et de subtilités ne nous offre-t-il pas à contempler dans ses explications de l’angoisse du cauchemar et même du rêve le plus banal ; tout cela pour justifier son dédain de l’interprétation « médicale » et son appel constant au petit monstre infantile « libidineux » qui se déguise plus ou moins bien devant son juge, la conscience du dormeur.

Ce n’est guère que dans son étude des Fehlleistungen et du Witz (il est à peine fait allusion à celui-ci dans ces leçons) que Freud nous offre une explication parfois plausible, toujours purement psychologique, mais non sexuelle. Il rejette systématiquement l’intervention de la fatigue dans les actes manqués, Ainsi il nous donne des exemples de ces gaffes par lapsus linguae qui sont si fréquentes. En voici une. Un assistant, dans un banquet en l’honneur de son chef, porte un toast à celui-ci et termine en disant : « Ich fordere sie auf, auf das Wohl unseres Chefs aufzustossen (démolir, au lieu de anzustossen, choquer les verres) ». C’est que l’assistant déteste au fond son chef, et lui souhaite in petto tous les désagréments. C’est ce désir caché, cette « intention » ou « tendance » (p. 38) dont l’expression a interféré avec le langage officiel et a troublé la phrase. Ce n’est peut-être pas sûr, car il y a déjà deux fois « auf » avant le verbe « aufzustossen » et on sait que dans la fatigue il y a tendance à la persistance. Mais enfin l’explication de Freud est admissible, d’autant plus que chacun de nous peut se rappeler des erreurs que l’on pourrait expliquer par ce mécanisme.

Voici un autre cas. Un jeune homme suit une jeune fille dans la rue et, [p. 659] lui offrant de l’accompagner, lui dit : « Wenn Sie gestatlen, Fräulein, mochte ich Sie gerne begleit-digen ». Ce mot est une combinaison de begleiten, accompagner, et de beleidigen, offenser. Evidemment les deux idées se sont présentées en même temps ou presque ; le jeune homme craignait que la jeune fille ne prît la proposition comme une offense. Ici encore on peut admettre l’explication comme vraisemblable et même davantage que dans l’histoire de l’assistant.

Mais le rôle de la tendance cachée peut être réduit au minimum, comme dans le lapsus suivant d’un homme, d’ailleurs psychasténique, que j’ai observé moi-même. Voulant parler d’un bateau, il dit le bavire, mot composé évidemment avec les presque synonymes bateau et navire. De même encore, dans les lapsus où on prend le mot « été » pour « hiver », « chaud » pour « froid », « jambe » pour « bras », ou inversement, ce qui rentre dans l’association par contraste verbal. Est-ce que vraiment il faut rejeter l’explication purement physiologique ? Est-ce qu’on peut dire qu’il y a un désir caché ? Comme, par exemple, encore dans le lapsus suivant, auquel j’ai assisté. Un monsieur, coutumier d’ailleurs de ces lapsus, recevant la visite d’une dame avec la fille de celle-ci, les présente à l’assistance en disant : « M. et Mme L… », d’où rire général. L’auteur de la gaffe n’y voit que le résultat de son mauvais automatisme habituel, exagéré par une fatigue momentanée.

Mais Freud va plus loin. L’oubli d’un nom tient, dit-il, à ce que ce nom est inhibé par le ressentiment ou tout autre motif. M. Y… aimait une femme. Celle-ci a épousé M. X… Bien que M. Y… connaisse celui-ci et se trouve en relations d’affaires avec lui, il ne peut pas se souvenir de son nom (p. 51). J’avoue que j’aurais cru le contraire ; j’aurais cru qu’il en aurait été obsédé. Ou bien alors il ne devait pas éprouver du ressentiment, mais de la résignation et essayer d’oublier. Mais alors je n’arrive pas à comprendre cet état d’âme ! Si on me permet de citer un cas personnel, je dirai que depuis des années, je rencontre souvent dans la rue un homme avec qui j’ai beaucoup de plaisir à causer, car il est fort instruit et d’une grande originalité d’esprit. Je ne manque pas de lui demander de ses nouvelles et de celles de sa famille et aussi de ses travaux. Je ne me rappelle à peu près jamais son nom. Je ne vois pas pourquoi. Mais que dire de l’extension de la théorie à l’explication de ce fait qu’un écolier casse sa montre juste la veille du jour anniversaire de sa naissance : l’écolier en souhaitait tacitement une autre (p. 53) ? Vraiment c’est excessif. Si on peut admettre ces explications pour certains cas, la généralisation paraît tout à fait forcée. Félicitons Freud d’avoir donné, pour ces quelques cas, un mécanisme acceptable, ignoré ou insuffisamment connu, avant lui, mais blâmons-le pour sa manie d’extension. Blâmons-le aussi pour avoir dit (p. 80) que la production de ces lapsus « n’a pas pour condition nécessaire un état morbide quelconque ». Il me semble qu’un manquement même léger dans le fonctionnement d’un mécanisme habituel ne peut, au [p. 660] contraire, tenir qu’à une altération physique ou physiologique, aussi faible ou transitoire qu’on voudra, mais qui n’en est pas moins pathologique.

Passons maintenant au rêve. On sait que c’est par son intermédiaire que la psychoanalyse a trouvé moyen de s’étendre à la sociologie, à la linguistique et à bien d’autres domaines. Ici encore nous voyons que des cas particuliers ont donné lieu à une interprétation généralisée immédiatement par extension forcée et par suite abusive. Il ne faut pas oublier que les clients de Freud, qui lui ont servi à établir sa théorie, sont des détraqués, des hystériques, chez qui le fonctionnement spirituel est singulièrement troublé. Il peut se faire que quelques-uns de ces demi-toqués soient hantés plus ou moins consciemment par des souvenirs remontant à l’enfance. Cela paraît même assez-bien démontré pour ces cas dits de traumatisme psychique où un grave incident moral tend sans cesse à réapparaître à l’esprit. P. Janet a insisté là-dessus, mais en leur donnant une interprétation particulière dans sa théorie de la dissociation psychique. Parfois ces souvenirs peuvent être « libidineux », soit que ces anormaux aient été spontanément précoces, soit qu’ils aient été victimes de l’entourage, parents, domestiques, amis, camarades vicieux, etc… Donc on peut admettre que le fond infantile (2) tende à reparaître dans des rêves. Mais si on se rappelle que le rêve érotique normal ou anormal est loin de chercher un symbolisme raffiné, car la tendance ne se déguise guère, on admettra difficilement l’existence des trucs extraordinaires que l’inconscient utiliserait. Et pourquoi est-ce cet inconscient, caché à tout jamais, qu’il faut invoquer ? Voilà bien une extension forcée, il me semble, du fait qu’un événement plus ou moins oublié pourrait parfois et dans certaines circonstances avoir encore une action longtemps après. Pour Freud, le rêve nous ramène chaque nuit à la vie infantile. Il faudrait le démontrer autrement que par l’audacieuse assertion que plus le rêve conscient paraît innocent, plus pervers et plus libidineux est le rêve latent. Cela ne repose sur rien. De même cette autre assertion que cet inconscient (infantile) ne réapparaît plus jamais en personne. Il est difficile d’admettre que le refoulement ait si bien réussi dans l’ordinaire.

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Ce que l’on pourrait admettre, c’est que le rêve (je parle du rêve conscient, j’ignore ce que peut être le rêve inconscient) doit ressembler jusqu’à un certain point à l’état mental incohérent du début de l’enfance et à la pensée des hommes primitifs, si nous en croyons les descriptions de Lévy-Bruhl. Autrement dit, le rêve se rapprocherait de la mentalité appelée prélogique. De même encore, les transformations que subissent, dans le rêve conscient, les souvenirs des événements récents sont intéressants à étudier. Mais peut-on dire qu’il s’agisse de symbolisme vrai ? Peut-on dire que les procédés de transformation sont les mêmes que dans le développement du langage, dans le symbolisme des religions, des légendes, du [p. 661] folklore, etc… ? Dans la théorie de Freud, c’est l’inconscient qui prend pour symboles les restes diurnes en les remaniant : le rêve patent est, nous dit-on, le symbole du rêve latent. C’est un travail de l’inconscient seul. Or c’est cela qui est extraordinaire, car il ne semble pas que l’invention et la mise en œuvre du symbolisme dans l’esprit de l’homme éveillé puisse se dispenser du secours d’un travail conscient. Pour Freud, la symbolisation, même en dehors du rêve, paraît devoir être considérée comme un fruit de l’inconscient « libidineux «  Je prends un exemple en dehors du livre de Freud, parce qu’il me paraît très typique. Le fameux tableau de Greuze, « la Cruche cassée », serait le symbole parfaitement inconscient des désirs inassouvis du peintre. « M. Greuze, le sensuel, caressait encore son rêve de jeunesse. A l’âge de cinquante-deux ans, il se voit fort et ferme, et sa fantaisie lui dépeint en vives couleurs ce que peut-être il ne fit jamais : une défloration. On sait que c’est la Babuti, sa femme, qui le fit plutôt que lui. » (3) Que Greuze ait voulu représenter la perte de la virginité dans cette composition célèbre, je veux bien le croire, mais en tant que symbolisme conscient. Car enfin s’il regrettait de n’avoir pas défloré ou de ne plus pouvoir déflorer une ou plusieurs vierges (on ne nous fixe pas), je crois qu’il devait être parfaitement conscient de ce désir lubrique. Mais je ne saurais admettre que tous les détails aient la portée attribuée par le psychoanalyste ; il faudrait le démontrer. Tout serait symbolique : le bec de la cruche cassée tourné en l’air représentant le pénis en érection, le triangle formé par les doigts de la jeune femme juste à la hauteur voulue représentant la forme extérieure des organes féminins, les œillets fanés retenus dans le tablier indiquant la suppression des règles, et par suite un début de grossesse (je passe sur les calembours en langue anglaise que le nom des œillets suggère à l’auteur), etc…, etc… C’est inouï ce que l’inconscient de Greuze peut faire à lui tout seul !

En somme, pour le symbolisme du rêve, Freud a eu encore le mérite de le chercher et d’étudier ses relations possibles avec des symbolismes mieux déterminés et déjà connus avant lui ; mais il a eu le tort de ne pas s’inquiéter de savoir si tous ces symbolismes sont vraiment bien comparables, et surtout d’étendre sa psychoanalyse à l’étude des religions, des légendes, etc…, avec aussi peu de chances de donner des explications justes que nous l’avons vu pour le tableau de Greuze. Ce n’est certes pas une erreur d’avoir appelé le système un « pansexualisme », puisque partout et toujours il cherche et trouve la libido caohée, primum moyens de presque toute l’évolution humaine !

On ferait un livre aussi long que celui-ci, si on voulait critiquer ces leçons dans tous les détails, et en même temps essayer de montrer, à côté des choses invraisemblables, le parti qu’on doit pouvoir tirer de certaines [p. 662] notions trop peu étudiées jusqu’à Freud. Elles le sont par lui avec un parti pris que l’on ne saurait trop déplorer ; car il a sûrement fait dévier des recherches qu’il serait bon de poursuivre en dehors de son système. Telles les notions de refoulement, de transformations des tendances, etc…

La façon dont se fait l’éveil de l’instinct sexuel chez le petit garçon ou la petite fille mériterait d’être regardée de plus près. Il semble bien que cet éveil se fasse plus prématurément qu’on ne le dit. Mais ce qu’on prend pour une curiosité sexuelle n’est-elle pas d’abord l’extension de la curiosité générale au mystère de la naissance ou même aux relations entre homme et femme, sans que pour cela on puisse dire que c’est la tendance sexuelle de l’enfant qui se traduit ainsi ? N’y a-t-il pas une part d’imitation, de jeu, et aussi de suggestion des parents ou des amis qui parlent du petit mari et de la petite femme ? N’y a-t-il pas aussi des imprudences plus grandes des parents ou des bonnes, ou des contagions par contact avec des enfants plus âgés et vicieux ? Il se pose là une foule de questions qui exigent un sentiment des nuances totalement inconnu à l’esprit de Freud. Il est subtil, certes, mais précisément sans aucune aptitude à s’intéresser à la finesse et à la complexité véritable des combinaisons intellectuelles et sentimentales. Si donc Freud a apporté une théorie inacceptable du développement sexuel infantile, il reste qu’il a compris qu’il y avait quelque chose à approfondir.

Je ne peux m’étendre davantage. Aussi bien les lecteurs de ce journal sont-ils fixés sur la portée du système qu’ils connaissent pour avoir lu les articles de Pierre Janet, de Lalo, de Barat, de Hesnard, parus ici même. Ils n’ont pas oublié non plus la critique qu’en a faite Janet dans son livre si documenté :Les médications psychologiques (4) et dans laquelle il s’est efforcé de séparer l’ivraie du bon grain, surtout en ce qui touche à l’hystérie.

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Je voudrais seulement, en terminant cette critique déjà trop longue, indiquer que, au point de vue pathologique, l’utilisation des théories de Freud paraît bien moins possible qu’au point de vue normal On se rappelle que cet auteur est parti de l’étude de l’hystérie pour édifier peu à peu son système. Actuellement l’hystérie devrait être considérée comme le fruit d’un symbolisme corporel représentant comme toujours inconsciemment la libido. C’est un rêve se traduisant par des signes morbides somatiques, parce que, comme on sait, les organes ont un double rôle, le leur propre et celui d’une manifestation spéciale érotique, libidineuse. Cette interprétation toute gratuite ne s’accepte pas aisément. Mais je ne peux entrer dans une discussion sur l’hystérie, car je me déclare incapable de me faire une opinion sur cette hystérie, et je renvoie au livre que j’ai cité plus-haut de Pierre Janet.

A côté de l’hystérie, Freud range ce qu’il appelle la névrose obsessionnelle, [p. 663] et là encore il va chercher, si j’ose dire, midi à quatorze heures. Ainsi voici un cas qu’il cite. Une dame d’un certain âge lui est amenée par son gendre ; elle souffre d’idées obsédantes de jalousie vis-à-vis de son mari, idées certainement erronées, pathologiques. Je passe sur les détails pour en arriver à l’explication psychoanalytique : ce délire obsédant de jalousie est le symbole apparent, c’est la justification inconsciente d’un amour pour son gendre. Ceci serait encore admissible, bien que lion démontré. Mais Freud ajoute que cet amour pour son gendre est peut-être le substitut de l’amour caché pour sa propre fille (5). On ne comprend plus, si ce n’est la rage « inconsciente » chez Freud d’appliquer son système partout et toujours, contre toute vraisemblance. Un médecin ordinaire ne pénétrerait certes pas loin dans le mécanisme de ce délire, mais il dirait tout au moins simplement : délire érotique de la ménopause avec jalousie, manifestation pathologique chez une femme des derniers moments des fonctions génitales, de la dernière flambée du feu qui va s’éteindre, et accompagné très plausiblement d’un amour plus ou moins conscient pour le gendre. Or Freud sent bien que cette explication serait la bonne, puisqu’il dit lui-même : « Notre malade se trouve à l’âge critique qui comporte une exaltation subite et indésirée du besoin sexuel : ce fait pourrait, à là rigueur, suffire à lui seul à expliquer tout le reste » (p. 264). Alors pourquoi cela ne lui suffit-il pas ? Il me semble que les conséquences thérapeutiques à tirer de cette interprétation vaudraient bien le traitement psychoanalytique, que le refus de la patiente, aux grands regrets de Freud, a empêché de continuer : la révélation brutale à la dame de sa turpitude amoureuse, si le « peut-être » souligné plus haut s’était transformé en certitude, et l’essai de transfert sur la personne même du médecin !

Autre exemple, entre plusieurs, de l’application de la théorie aux folies proprement dites : « Nous avons constaté, dit Freud, que les reproches impitoyables dont les mélancoliques s’accablent eux-mêmes, s’appliquent en réalité à une autre personne, à l’objet sexuel qu’ils ont perdu, ou qui, par sa propre faute, est tombé dans leur estime. Nous avons pu en conclure que si le mélancolique a retiré de l’objet sa libido, cet objet se trouve reporté dans le moi, comme projeté sur lui, à la suite d’un processus auquel on peut donner le nom d’identification narcissique. Je ne puis vous donner ici qu’une image figurée et non une description topico-dynamique en règle. Le moi est alors traité comme l’objet abandonné et il supporte toutes les agressions et manifestations de vengeance qu’il attribue à l’objet. » (5) Ainsi la mélancolie rentre dans les affections « narcissiques ». J’avoue très humblement que cela me dépasse, et que je préfère naïvement l’interprétation classique. Je ne vois pas non plus, dans toute cette application de la psychoanalyse à la folie, ce qu’il peut y avoir d’utilisable [p. 664] scientifiquement pour l’aliéniste. Et nous savons d’ailleurs que la folie est rebelle au transfert, et par suite le traitement par l’amour est impuissant, nous a dit Freud. Alors tout cet échafaudage bâti d’invraisemblables subtilités est parfaitement inutile. Que de travail perdu, d’ingéniosité gâchée ! Que Freud n’est-il resté l’auteur du livre sur le trait d’esprit et sur la psycho-pathologie de tous les jours, où au moins il y a des vérités à glaner !

Quoi qu’il en soit, il faut lire ce livre rempli d’horreurs, comme le confesse Freud lui-même à maintes reprises. On a, ainsi que je le disais en commençant, la révélation prodigieusement frappante et brutale d’une théorie célèbre faite par l’auteur en personne, sans détours ni atténuations, et avec une intrépidité sans égale. Si après cette lecture édifiante on se déclare converti au freudisme de Freud (il ne s’agit ici que de l’authentique doctrine orthodoxe), cela sera au moins tout à fait en connaissance de cause.

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La Psychopathologie de la vie quotidienne contient beaucoup plus de détails que le livre précédent sur les « Fahlleistuagen », car elles sont étudiées dans toutes leurs modalités. Pour donner une idée juste de celles-ci, je transcris simplement la table des matières :

Oubli de noms propres.

Oubli de mots étrangers.

Oubli de mots et de suite de mots.

Souvenirs d’enfance et « souvenirs de couverture ».

Les lapsus.

Erreurs de lecture et d’écriture.

Oubli d’impressions et de projets.

Méprises et maladresses.

Actions symptomatiques et accidentelles.

Les erreurs.

Association de plusieurs actes manqués.

Déterminisme. Croyance au hasard et superstition. Points de vue.

Comme j’ai déjà, à propos de l’Introduction, critiqué la tendance malheureuse de l’auteur à aller chercher très loin des explications, à généraliser celles qui paraissent plausibles pour des cas particuliers, je ne reviendrai pas sur ces mêmes défauts que l’on retrouve dans les autres erreurs de la vie journalière. Cependant je ne résiste pas au plaisir de citer deux passages fort curieux où l’auteur se confesse en public. Le premier renferme un exemple qui soulève un problème d’une grande portée. Il s’agit d’une erreur commise dans l’orthographe d’un nom propre. Freud avait, dans un article, fait l’éloge du travail d’un accoucheur qu’il ne connaissait pas [p. 665] personnellement et qui s’appelait Burckhard. Il se trompe sur le manuscrit et écrit Buckrhard, orthographe corrigée par le compositeur lui-même. Or le nom correct Burckhard est aussi celui d’un écrivain viennois « dont la critique inintelligente de mon livre sur l’Interprétation des rêves, expose Freud, m’avait fortement mécontenté. Ce tut comme si, en écrivant le nom de Burckhard, l’accoucheur, j’avais voulu exhaler mon mécontentement contre Burckhard l’écrivain, car la déformation de noms signifie très souvent, ainsi que je l’ai fait remarquer à propos des lapsus, le mépris. » (7)

Je ferai ici quelques remarques. Cette déformation des noms propres, par moquerie, mépris ou autres sentiments voisins, n’indique pas un niveau social et moral très élevé en général. C’est là un procédé de gens de bas étage ou même de haut, mais d’âme basse, ou d’enfants qui s’amusent à tourmenter un camarade en déformant son nom. Il y faut la présence de la victime, car c’est pour lui être désagréable qu’on estropie son nom, et qu’on feint de ne pas daigner se souvenir de l’orthographe exacte. Je ne pense pas qu’on se livre à cet exercice pour son propre plaisir, à part soi et en l’absence de l’adversaire, ou bien alors cela ne pourrait se concevoir que dans un esprit d’une vulgarité extrême. En somme, cette incorrection voulue n’est pas générale, et je pense que beaucoup de personnes, même étant enfants, n’auraient pas l’idée de s’y livrer, à moins que l’on ne soutienne que chez tout le monde, l’inconscient recèle les mêmes sentiments, les mêmes complexes de sentiments, très peu avouables et qu’on a du refouler.

Tel est le problème soulevé l’inconscient renferme-t-il toujours ou non tous les mauvais sentiments que l’on peut rencontrer dans l’humanité ? Sommes-nous tous des monstres, tout comme le petit monstre infantile ?

Quoi qu’il en soit, pour prouver la vérité de l’explication, il serait nécessaire qu’on nous dise que préalablement Freud avait consciemment tette tendance et qu’il l’avait refoulée, et c’est ce qu’il ne fait pas.

Voici maintenant le second passage. A la page 255 puis 256, Freud nous narre une erreur de sa part qui l’a forcé à avouer à un client la crainte que lui inspirait, au point de vue de la perte d’honoraires, un traitement fructueux pour la santé de l’un et pour la bourse de l’autre. A la suite, nous lisons ceci : « On est étonné de constater que le penchant à la vérité est beaucoup plus fort qu’on n’est porté à le croire. Il faut peut-être voir une conséquence de mes occupations psychoanalytiques dans le fait que je suis devenu presque (8) incapable de mentir. Toutes les fois que j’essaye de déformer un fait, je commets une erreur ou une autre action manquée qui, comme dans ce dernier exemple, et dans les exemples précédents, révèle mon manque de sincérité. » Le professeur [p. 666] Freud nous étale ainsi… ingénument tous les côtés de son caractère, le mauvais et le bon. Mais le « presque » rendra peut-être rêveur quelque lecteur moins ingénu.

Voici enfin le dernier volume paru, Trois essais sur la théorie de la sexualité. Le fait qu’il est édité par la Nouvelle Revue Française nous montre le succès que les théories de Freud remportent parmi les littérateurs, toujours à la recherche de sujets « excitants ». Mais ce succès doit être plus particulièrement grand dans un milieu qui s’intéresse très spécialement aux perversions je n’en veux pour preuve entre autres, que Sodome et Gomorrhe, de Proust. Quoi qu’il en soit, ces essais paraissent ternes à côté de l’Introduction ; Freud n’y fait par montre de l’entrain qui avait quelque chose de séduisant dans cette Introduction où il faisait claquer au vent le drapeau d’une philosophie… sexuelle (9). Il a choisi le terme modeste d’« essai » pour caractériser ces trois études, et il confesse à la fin de la troisième qu’on n’est pas très avancé après tout cela : « En terminant notre livre, nous devons avouer, à notre regret, que nos recherches sur les troubles de la vie sexuelle indiquent bien l’insuffisance de nos connaissances quant aux processus biologiques qui en constituent l’essence ; nous ne pouvons donc former, avec nos aperçus isolés, une théorie capable d’expliquer suffisamment les caractères normaux ou pathologiques de la sexualité » (p. 158). Je suis bien de l’avis de Freud et même si j’ose dire encore plus que lui. Cependant il faut remarquer le mot « biologiques », employé dans la phrase ci-dessus ; il semble indiquer un peu moins de dédain pour la physiologie. Effectivement, dans les notes 13 et 40, qui se trouvent à la fin du volume, il mentionne les recherches sur les greffes des glandes génitales et sur le développement des organes génitaux chez l’enfant mâle et femelle.

L’ordre des trois essais est important à remarquer. Le premier a pour titre les aberrations sexuelles, — et celles-ci sont révélées par la méthode spéciale de la psychoanalyse appliquée à l’étude des névroses. Cette psychoanalyse montre « que la disposition à la perversité n’est pas quelque chose de rare et d’exceptionnel, mais est partie intégrante de la constitution normale » (p. 62). « Nous ajouterons que la constitution contenant en germe toutes les perversions ne peut être retrouvée que chez l’enfant, bien que l’enfant présente ces tendances avec une faible intensité. Si nous sommes ainsi amenés à penser que les névropathes sont restés à l’état infantile de la sexualité, ou sont retombés en cet état, il semble que notre intérêt doive se porter sur la vie sexuelle de l’enfant » (p. 63). On voit ici très [p. 667] clairement que c’est de l’étude des névroses, disons de l’hystérie, affection sur laquelle il est bien difficile de se faire une opinion, que Freud est parti pour édifier toute sa théorie, ainsi que je l’ai déjà signalé à propos de l’Introduction, et ce au moyen de la psychoanalyse, procédé qui, lui aussi, doit inspirer la plus grande méfiance, autant que l’hypnotisme. Brouardet disait que l’hypnotisme ne devait pas être employé en médecine légale, comme trop sujet à caution. Qu’aurait-il pensé de la psychoanalyse ?

Dans le second essai, Freud aborde la sexualité infantile. L’idée en elle- même était excellente : « Il est à remarquer que les auteurs qui s’appliquèrent à l’étude des particularités et des réactions de l’adulte ont attaché une importance considérable à cette préhistoire les antécédents héréditaires, tandis qu’ils négligeaient cette autre préhistoire qu’on retrouve dans l’existence de chacun, l’enfance » (p. 67). Freud a raison, car il n’y a guère que Binet qui ait fait, il y a longtemps, exception à cette règle. Il est donc certain qu’on aurait profit à étudier la sexualité infantile — qui, très probablement, se développe bien avant la puberté. Mais l’idée préconçue, qu’applique notre auteur à cette étude, l’amène à écrire ceci, à propos « des manifestations sexuelles masturbatoires » et de la soi-disant « excitabilité érogène de la zone anale » : « On peut supposer (1) qu’à une sensation douloureuse s’ajoute un sentiment de volupté » (p. 81). L’enfant, sur le vase, se retient pour reporter à plus tard le plaisir. « L’éducateur ne se trompe pas lorsqu’il appelle les enfants qui « se retiennent » des petits polissons » (p. 82).

Dans le développement sexuel de l’enfance après la période du nourrisson, voluptueux personnage qui tette sa mère pour se nourrir certes, mais aussi pour jouir érotiquement de la succion, il y a une période d’accalmie, puis une reprise préparatoire à la puberté. Freud remarque très exactement l’importance du « séducteur », qui « fait de l’enfant un objet sexuel prématuré, et lui apprend à connaître, dans des conditions impressionnantes, la satisfaction de la zone génitale » (p. 86). Cette remarque n’est pas neuve, mais elle est plus importante que toutes les théories de Freud. Pourquoi faut-il qu’il aille chercher toujours de l’extraordinaire et dans les choses les plus simples ? Il est bien connu que les enfants, surtout mâles, sont très curieux de la mécanique, les chemins de fer les intéressent particulièrement. Eh bien — c’est très grave, c’est de l’érotisme ; et si « le refoulement » intervient, cette passion à aller en chemin de fer peut se transformer en nausée et chez l’adulte ultérieurement peut, si j’ai bien compris, aboutir à « la phobie du chemin de fer qui serait un moyen de défense de l’individu contre la répétition d’expériences fâcheuses. C’est dans ces ordres d’idées que nous devons chercher l’explication du fait que l’action combinée de l’épouvante et du choc engendre l’hystérie traumatique grave ». (p.101). [p. 668]

Enfin, le troisième et dernier essai porte sur les transformations de la puberté. Ici Freud se décide enfin à attribuer de l’importance à la physiologie. Il admet comme vraisemblable que « l’excitation sexuelle aurait une base chimique » (p. 124). Pourtant il fait toujours jouer un grand rôle au refoulement, et même ce refoulement peut, dans certains cas de constitution anormale, avoir pour résultat une sublimation, une transformation louable des tendances mauvaises, si bien que : « il est permis de dire que la disposition sexuelle généralement perverse de l’enfant crée, par les réactions qu’elle provoque, un grand nombre de nos vertus » (p. 153).

Je ne pourrais que me répéter à propos de ce dernier ouvrage, et regretter une fois de plus que Freud, qui décidément me paraît avoir des ressemblances avec Lombroso, n’ait pas mieux utilisé ses dons incontestables, et le travail acharné qu’il a donné. Si au lieu de remuer à la pelle, si on me permet cette expression, un énorme tas de petits faits mal observés et mal interprétés à cause de son obstination systématique, il avait recueilli et examiné sans psychoanalyse ni libido des faits du même ordre, mais bien choisis, bien contrôlés, et interprétés sans parti pris, il aurait pu faire réellement avancer la science. Mais Freud est Freud et tous les regrets sont superflus.

Ph. CHASLIN.

NOTES

(1) On le trouvera moins absolu dans le troisième ouvrage analysé.

(2) Mais ne remontant pas au nourrisson.

(3) Essai psychoanalytique sur la « Cruche cassée », par A. Stocker, docent de Psychiatrie à Jassy, L’Encéphale, février 1921, p. 79. La citation est de la page 84.

(4) Pierre Janet. Les médications psychologiques, t. II, p. 214. Alcan. 1919.

(5) P. 264.

(6) P. 445.

(7) La psychopathologie de la vie quotidienne, pp. 134 et 135.

(8) C’est moi qui souligne.

(9) Cette expression amusante et juste est celle que Dubois (de Berne) employait pour caractériser sa propre attitude dans la psychothérapie des névroses, mais son drapeau était plus convenable que celui de Freud.

(10) C’est moi qui souligne.

 

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