Pages de psychiatrie de l’histoire : La psychopathie mélancolique du père Surin, exorciste de l’Affaire des Diables de Loudun. Un cas de « paraphrénie dépressive ». Par E. Gelma. 1952.

GELMABELCIEL0003Gelma Eugène (1909-1953). Pages de psychiatrie de l’histoire : La psychopathie mélancolique du père Surin, exorciste de l’Affaire des Diables de Loudun. Un cas de « paraphrénie dépressive ». Extrait des Cahiers de Psychiatrie de Strasbourg, 1952.

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Pages de psychiatrie de l’histoire :
La psychopathie mélancolique du père Surin, exorciste dans l’Affaire des Diables de Loudun (1)

UN CAS
DE « PARAPHRÉNIE DEPRESSIVE »
par
E. GELMA

Ce père jésuite, dont les fonctions d’exorciste se continuèrent trois ans encore après le supplice de Grandier, est assurément celui de ses collègues, aux prises avec les diables, qui paya la plus lourde contribution à la vésanie.

L’un d’eux, le récollet Lactance, celui qui avait crié « Cogne,

Cogne ! » au bourreau qui enfonçait à coups de maillet les coins de bois des brodequins dans les jambes du malheureux curé de St-Pierre-du-Marché soumis à la question, mourut dans un accès de délire aigu, semble-t-il, un mois jour pour jour après le bûcher, tandis que le Père Tranquille capucin, qui l’avait aidé à lui briser ainsi les os, fut à son tour atteint, si l’on en croit certains documents, de troubles mentaux,

Le père Surin n’a pas dû se rencontrer quelque jour avec Urbain Grandier, dont les cendres encore fumantes n’étouffaient pas l’agitation tumultueuse à laquelle il venait prendre une part active. La vue incessante de ce qu’il croyait être des interventions diaboliques chez de jeunes religieuses contorsionnées, obscènes d’attitudes et de propos, son appréhension de devenir lui-même la victime des forces infernales qu’on lui avait donné mission de combattre, devaient provoquer en son âme, ingénument mystique, de violents remous,

Il nous en a fait part d’une façon explicite lorsqu’une fois guéri de vingt années de maladie, il se raconte lui-même. Aussi nous est-il possible de discerner, dans les récits qu’il donne des affres par lesquels il a passé, la substance d’une riche observation [p. 2] posthume. L’affection qui l’a atteint au cours de ses activités d’exorciste s’y trouve expliquée sans qu’il soit besoin, pour la mieux saisir, d’avoir recours à des investigations en profondeur, si inopérantes en pathographie. Il nous suffit, suivant en cela le conseil avisé de Jaspers, de l’écouter parler. Mais auparavant il est indispensable d’exposer le point de départ de sa morbidité qui est l’Affaire de Loudun, dont le retentissement en France et même à l’étranger fut comparable, sur bien des points, à celui de la grande « Affaire » de la fin du 19e siècle.

1. – LES DIABLES DE LOUDUN

AVANT LE SUPPLICE D’URBAIN GRANDIER

Loudun, naguère castrum romain, plus tard bourgade du pagus Pictavensis, puis fief des Plantagenets, enfin cité de la Couronne sous Philippe-Auguste avec château et donjon, murs redoutables flanqués de douze tours et protégés par des fossés larges et profonds, avait pris de l’ampleur surtout après l’Edit de Nantes, et comptait 15.000 âmes, dont beaucoup de huguenots. C’était, en même temps qu’un Siège de Justice Royal groupant 18 procureurs, 18 huissiers, 20 avocats, 8 notables, le lieu de Baillage, de la Prévôté, des Elections, du Grenier à sel. Sous Louis XIII la puissance de ses fortifications troublait le sommeil du terrible Cardinal qui n’eut de cesse d’en entreprendre la démolition et d’édifier à ses portes une ville rivale sans protestants, à laquelle il a donné son nom.

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Les Loudunais accueillirent· avec humeur ces projets de démantèlement, et une opposition anticardinaliste ne tarda pas à se lever qui comprenait, cela va sans dire, les réformés, auxquels vinrent se joindre des protestataires de toutes sortes, dont le plus agissant n’était autre que le curé Urbain Grandier. Elle agitait sourdement cette population de gentilshommes pauvres, de propriétaires fonciers, de fonctionnaires que gouvernait, après une paix durement achetée entre « religionnaires et tenants de l’idolastrie papistique », Jean d’Armagnac, fils de Jean d’Armagnac et d’Anne de la Fontaine, catholique de tempérament affable et conciliant, ami d’Henri IV et de Louis XIII.

Le clergé séculier assez nombreux le cédait en influence aux Carmes du Martray (2), aux Cordeliers près de St-Mathurin, aux Jésuites venus de Poitiers lesquels gitaient dans les murs de l’actuel presbytère de St-Pierre-du-Marché.

Ceux-ci, interprétant une bulle de Paul V, prétendaient à un droit de présentation à cette cure de St-Pierre. Et c’est ainsi [p. 3] qu’ils y firent nommer un de leurs meilleurs sujets, un peu jeune sans doute pour cette charge, il n’avait que 27 ans, Urbain Grandier, lequel cumulera bientôt, grâce à ses puissants protecteurs, une stalle prébendée en la Collégiale de Sainte-Croix (3).

C’était un prêtre élégant avec sa fine moustache et sa barbiche en pointe, comme elle se portait à l’époque. Les yeux noirs, un nez long bien fait, des lèvres sensuelles au pli gracieusement ironique, une voix harmonieuse, et avec cela une amabilité railleuse, parfois caustique, des mots bien placés eurent vite fait la conquête de tous, des femmes surtout qui, aux dires de Rabelais, natif de la Devinière, par conséquent un voisin de Loudun, ne se montraient jamais trop cruelles.

Né en 1590 à Bouère près Sablé où son père, notaire, et sa mère, Jeanne-Renée d’Estièvre, parente du théologien Nicolas Gauthier et de l’historien Gille Ménage, élevaient ses cinq frères et sœurs, il attira dès son jeune âge l’intérêt de son oncle Claude Grandier, chanoine à Saintes. Celui-ci lui fit commencer les humanités et en confia le couronnement aux Jésuites de Bordeaux. A 25 ans, il recevait la prêtrise des mains du métropolitain d’Escoubleau de Sourdis. Encore deux ans de juvenat auprès de ses maîtres comme complément d’études et, en juillet 1617, il était pourvu à Loudun. Son père venait de mourir. Il amena sa mère avec lui, et fit nommer deux de ses frères, François, vicaire en sa paroisse, et Jean, prêtre libre, tandis que le troisième, René, obtenait un siège de Conseiller au Baillage.

Une sœur s’étant mariée, l’autre, Françoise, vint habiter la cure.

Tout alla à souhait jusqu’au moment où l’attention commençait à se tourner vers le nouveau curé. Sa parole mordante s’en prenait en chaire spécialement aux Réguliers. C’étaient les Carmes qui faisaient surtout les frais de sa malice, lorsqu’il laissait par exemple entendre, à l’hilarité de ses ouailles, que ces religieux habiles en miracles les multipliaient pour le plus grand bien de leurs tirelires. Nombre de pénitentes s’en vinrent ainsi à déserter leurs confessionnaux pour le sien et ceux de sa paroisse, ce qui, soulignait-il impérieusement, était d’obligation.

Ses malheurs ont eu leur origine dans son mépris des inimitiés, dans son manque de psychologie, dirait-on aujourd’hui. Sa verve désopilante, mais malencontreuse, soulevait sans doute les rires, les applaudissements, de la part de frondeurs, d’adversaires du pouvoir établi, des protestants parti considérable et agissant, dressé plus ou moins ouvertement contre [p. 4 le Conseil Royal, contre l’absolutisme par trop dévôt du Père Joseph, de Richelieu, du Roi. Mais s’il n’était pas démuni d’amis puissants, comme Jean d’Armagnac le gouverneur de Loudun, ses maîtres les Jésuites de Bordeaux et l’Archevêque de la métropole, le suffragant de ce dernier, son propre évêque à Poitiers, messire Henri-Louis Chasteignier de la Rocheposai, « l’avait à l’œil » depuis que parvenaient à son administration de fâcheuses rumeurs. On jasait sur ce prêtre avantageux, trop admiré de ses paroissiennes et pas assez insensible à leurs approches ; d’autant mieux que les cœurs féminins brûlaient à Loudun, où seules les vieilles et les laides ne couraient de sa part aucun risque, ironisait-on. C’était beaucoup dire. Assurément, il n’avait aucune propension à l’ascèse et ne faisait pas ses lectures favorites de livres sur la continence, ces « Collationes » d’Odon de Cluny, lequel, pour dégoûter les clercs des blandices charnelles, écrivait : « corporea pulchritudo in pelle solummodo constat. Nam si viderent homines hoc quod subtus pellem est, sicut lynces in Beeotia cernere interiore dicuntur, mulieres videre nausearent ! Iste decor in flegmatia et sanguine et humore ac felle constitit. Si quis enim considerat quae intra nares et quae intra fauces, et quae intra ventrum lateant, sordes utique reperiet… quomodo ipsum stercoris saccum amplecti desideramus ! ». Horreurs que saint Bernard souligne dans son « lnteriori domo » : « Considera quomodo morieris inter longa suspiria et difficiles singultus … Tunc veniet corpus in pallorem et horrorem, in

saniem et fetorem ». Il se détournait, le cher homme, de ces monitions en écrivant son fameux « Traité contre le célibat des prêtres » et prêtait secourablement l’oreille à bien des insatisfactions. Ce fut alors un débordement de lettres anonymes, souvent mal fondées, mais dont le but était de prévenir de leur infortune nombre de maris, de pères de familles soupçonneux. L’un de ceux-ci, Moussaut du Fresne, furieux contre le beau curé qu’il rencontre un jour dans la rue, le blesse assez grièvement. Mais Grandier s’intéressait beaucoup plus à la cousine du lieutenant Criminel Hervé qu’à la demoiselle Moussaut, d’où une terrible algarade au cours d’un pèlerinage à Notre-Dame-du-Château entre l’homme de justice et le prêtre, lequel ne cessa depuis de le poursuivre de ses railleries du haut de la chaire de St-Pierre-du-Marché. Ce ne furent alors que disputes entre ces deux hommes et, de part et d’autre, plaintes aux autorités. .

Sur ces entrefaites survient un incident, assez mince peut-être, mais, aux dires d’historiens, fertile en conséquence. A l’occasion d’une fête votive à Ste-Croix, Grandier, qui, nous le savons, y tenait une charge canonicale, a la mauvaise inspiration d’obliger publiquement le futur cardinal Armand du Plessis de Richelieu, à ce moment évêque de Luçon et en même temps prieur de Coussay, à lui céder le pas dans la procession, sous prétexte [p. 5] qu’un chanoine de Ste-Croix gardait préséance sur un prieur, même évêque. Richelieu, qui n’avait pas plus que Grandier l’esprit de renoncement, dévore l’outrage. Il trouvera bientôt l’occasion de s’en souvenir, car l’oubli des injures n’était pas, aux dires de Ménage, sa vertu dominante.

Mais le curé savait aussi mettre impartialement le poids de son autorité dans les querelles qui s’élevaient entre clercs. Il se trouve ainsi du côté du Doyen de son Chapitre, Murat, d’un naturel doux et paisible, quand celui-ci est grossièrement pris à partie dans l’église de St-Pierre-du-Marché même, par le chanoine Mousnier, un querelleur brutal et emporté. Grandier ne se gêne pas d’y faire allusion au prône dominical, ce qui lui vaut une gifle de la part de l’irascible chanoine. Il s’ensuit un pugilat, et l’affaire portée devant le Présidial de Poitiers, se solde par une condamnation de l’agresseur. C’est alors que le neveu de celui-ci, Bernier, curé des Trois-Moutiers, s’en vient à la sacristie de St- Pierre au devant de Grandier pour le fustiger, mais le curé, qui ne lui cède pas en vigueur, le bouscule dehors. Cependant ce Bernier, attaqué une nuit dans les ruelles peu sûres de Loudun, accuse Grandier d’avoir soudoyé des escarpes et dépose des conclusions devant Hervé, lequel, dans son ressentiment, n’aurait pas demandé mieux que de prononcer une condamnation qui est impossible puisqu’il n’y a même pas un commencement de preuve.

Aussi, tous les échos, se renvoient-ils le nom de Grandier. Beaucoup disent qu’il est généreux, qu’il ouvre quand il le faut sa bourse à la misère. Il se montre d’ailleurs tel dans une épidémie de peste qui s’abattra sur la contrée, en donnant la mesure d’un dévouement absolu, ne se ménageant pas au milieu des morts et des mourants, contrairement à certains médecins fugitifs, paraît-il, devant la contagion.

Si ses partisans font nombre et, parmi eux, les protestants qui lui savent gré de sa tolérance à l’égard de « la religion prétendue réformée », la haine par contre brûle le cœur de ses ennemis qui ne lui pardonnent pas son audace, son mépris, sa truculence impitoyable. Du chirurgien René Maunoury, homme d’esprit médiocre, il fait sa tête de turc et s’assure ainsi d’éventuelles réciproques. Il l’avait rencontré chez Ste-Marthe où fréquentaient Théophraste Renaudot, le père du journalisme, l’apothicaire Adam, un sot qui jouera son rôle dans le procès final. Malheureusement pour lui, il y fait connaissance de Louis Trincant, Procureur du Roi, dont il s’éprend de la fille. Un enfant naît de leurs amours. Le médecin Fanton procède à l’accouchement et, pour éviter un scandale, une amie, Marthe Le Pelletier, se déclare la mère. Pourtant les potins qui vont leur train finissent par convaincre Trincant trop longtemps aveuglé pour Grandier. Ils le remplissent de ressentiment, juste au moment où le Don Juan en soutane s’éprend follement d’une [p. 6] de ses pénitentes, Madeleine de Broue, une notable, la fille d’un Conseiller du Roi, qui l’aime en retour passionnément et de la façon la plus désintéressée. C’est pour elle, dit-on, qu’il composa son « Traité contre le célibat des prêtres ». Hélas, un avocat, Pierre Menuau, qui aimait lui aussi cette jeune fille, tente, avec l’apothicaire Adam, d’ébruiter la chose. Mais celui-ci, poursuivi comme diffamateur par Grandier devant le Parlement de Paris, est condamné. Ces succès insolents ne font qu’animer contre le chanceux roublard un concert d’ennemis impatients de consommer sa ruine et prêts, pour y parvenir, à se saisir de la première occasion.

Non loin des remparts, rue Paquin, s’est installé depuis quelques années, – exactement en 1626, – un groupe de Religieuses que l’évêque de Poitiers, de la Rochepozai, a fait venir de sa ville épiscopale, pour y établir un pensionnat, avec une Supérieure, Mademoiselle de Belciel, Sœur Jeanne des Anges, native de Coze en Saintonge, là où précisément le jeune Grandier avait fait ses premières études. La maison de la rue Paquin, qui passait pour avoir été hantée naguère, est la propriété de ce Moussaut du Fresne, ennemi juré de Grandier. Les Religieuses au nombre de 17 qu’elle abritait sont, pour la plupart, de familles considérables. Il y a là, par exemple, Claire de Sazilly parente de Richelieu, une d’Escoubleau de Sourdis de la maison de l’Archevêque de Bordeaux, deux dames de Nogerot parentes de Mlle de Belciel, une dame de St-Agnès, fille du Marquis de la Motte-Barassé, deux dames de Dampierre belles-sœurs de Jean Martin de Laubardemont, ce magistrat impitoyable qui aura finalement raison de Grandier.

Or, il advient un jour que le confesseur de ces dames, Moussaut, homme âgé et stupide, le frère du prieur de Chasseigne, meurt subitement. C’est alors qu’au monastère on aurait songé au fameux curé Grandier, que Mademoiselle de Belciel désire vivement obtenir comme directeur, sans doute parce qu’elle se sait jolie malgré certaines défectuosités, et peut-être aussi à cause de son attirance perverse pour le spectaculaire et le troublant. Mais Grandier, chapitré dit-on par Mademoiselle de Broue, aurait refusé net. Il en a assez déjà de ses histoires d’alcove et son instinct l’avertit du danger d’en provoquer de nouvelles, surtout dans un couvent. La Supérieure fait alors appel au chanoine Mignon qui est justement le neveu de Trincant, le Procureur du Roi. Contrefait, envieux de son collègue à Sainte-Croix Grandier, il le poursuit de sa vindicte. Aussi son oncle le Procureur, qui avait à sa dévotion un chevau-léger du roi du nom Thibault, le lance-t-il dans une agression contre le curé. Et c’est dans ces conditions qu’un beau matin, à l’aube, Grandier, revêtu de son aumusse, arrive devant le porche de Sainte-Croix pour les matines capitulaires et se trouve nez-à-nez avec le chevau-léger qui lui inflige une splendide correction. D’où plainte en règle [p. 7] contre Thibault, mais qui nécessite de la part de la victime un voyage à Paris. Trincant se hâte de son côté auprès de l’évêque, en ce moment en villégiature à Dissay et, appuyé par le marquis de la Mothe Chaudenier, dénonce le curé de St-Pierre d’avoir abusé d’une femme à l’intérieur de son église, et de ne jamais dire son bréviaire. Et bien qu’il ait été reçu par le roi grâce à l’entremise du Duc d’Armagnac, Grandier doit regagner en toute hâte sa paroisse et comparaître devant l’évêque, lequel, terriblement prévenu contre lui, je l’ai déjà dit, le fait appréhender par un exempt et l’inculpe d’avoir été surpris derrière un pillier [sic] de son église, « en acte vénérique », debout contre une femme, depuis décédée, une notable d’ailleurs, Madeleine de Dreux. Colloqué à la maison d’arrêt de l’évêque de Poitiers (4) et placé au secret, il tombe malade d’émotions et de mauvais traitements, tandis que ses confrères, assurés d’en être à jamais débarrassés, se partagent ses bénéfices. Condamné par l’Officialité le 3 janvier 1630 à jeûner tous les vendredis pendant trois mois, interdit « a divinis » pour trois ans dans le diocèse, et à perpétuité à Loudun, il accourt vers son protecteur de Bordeaux, l’Archevêque d’Escoubleau de Sourdis (5), qui, paraît-il, puisait dans ses souvenirs de jeunesse de fortes raisons de ne pas se montrer intraitable. L’influence du métropolitain, l’intervention de Jean d’Armagnac, celle du baron de Cerisay, les démarches de sa mère, de son frère, n’empêchent pas la Cour de Paris d’ordonner, après enquête, que Grandier soit placé immédiatement sous mandat de dépôt à la Conciergerie, d’où il est transféré à Loudun. L’affaire devient grave, car, dans son acharnement, le Procureur du Roi, Trincant, qui avait, de son côté, mené l’affaire du point de vue civil, s’emploie à réserver à son ennemi le malheureux sort du curé de Bougé, condamné récemment à mort pour impudicité et [p. 8] sacrilège. Cependant Grandier a encore la chance de bénéficier d’une mise en liberté provisoire sous caution, qui lui permet de préparer sa défense. C’est alors que les témoins accusateurs, dont un de ses obligés, le vicaire Gervais Méchin, se rétractent (6) et reconnaissent avoir tous été subornés par Trincant. Il s’ensuit l’abandon de l’accusation par le Présidial en un jugement du 25 mai 1631, et l’absolution canonique de la part de l’Archevêque (7) qui donne à l’heureux bénéficiaire le judicieux conseil de quitter Loudun où s’épaissit une inimitié bien dangereuse pour lui. Malheureusement ce prêtre qui se sait véritable maître de sa cité sous le couvert du duc d’Armagnac, et que son amour éperdu pour Madeleine de Brou retient sur place, sous-estime un avis si sage. Aussi le 22 novembre 1631, réintègre-t-il sa ville, triomphalement juché sur un cheval, une branche de laurier à [p. 9] la main, sous les ovations de ses partisans, dont plusieurs intentent à Paris une instance reconventionnelle contre Thibault.

Les adversaires ne désarment pas pour cela. L’évêque de Poitiers, malgré les décisions absolutoires de l’Archevêque de Bordeaux auquel pourtant il est subordonné suivant la loi canonique, dispense les paroissiens de St-Pierre de l’obligation d’assister aux offices de l’ancien interdit, tandis que Moussaut, qui a épousé l’ancienne maîtresse de ce dernier, prend des mains de son beau-père la charge de Procureur du Roi en même temps que son inexpiable ressentiment. Et il commence par infliger à Grandier l’humiliation de faire procéder au baptême de son enfant, non à St-Pierre, mais à St-Pierre-du-Martray, l’autre paroisse, en même temps qu’il lui occasionne la déconvenue judiciaire d’une quasi relaxe de son agresseur, Thibault qui n’encourt que l’infime condamnation à 24 livres d’amende.

La peste, dont il a été parlé plus haut, sévit à ce moment dans toute son horreur. Nous sommes en 1632. Malgré le dévouement magnifique de Grandier, ses ennemis se répandent en sourdes imputations à son égard, et murmurent que ses connivences secrètes avec le diable, ses procédés magiques (8) ne sont vraisemblablement pas tellement étrangers à l’origine de l’épidémie. [p. 10]

Cette accusation ne tarde pas à prendre corps au moment où le médecin Daniel Roger et le chirurgien René Maunoury signalent la singulière maladie d’esprit qui sévit rue Paquin parmi les Ursulines, surtout chez Mlle de Belciel la Supérieure, cette Sœur Jeanne des Anges qui voit, de nuit, lui apparaître non seulement Moussaut l’aumônier défunt, mais aussi l’image de Grandier laquelle lui fait naître, répète-t-on en ville, des voluptés coupables au moment où elle évoque le nom de Jésus, et l’incite à se mettre nue dans sa cellule comme pour s’offrir à l’apparition. Trincant et le juge à la Prévôté, rapidement informés, n’hésitent pas à reconnaître dans ces phénomènes, des opérations diaboliques du genre de celles qui venaient de conduire au bûcher, le curé des Accoules à Marseille, Louis Gauffridy (9) convaincu d’avoir ensorcelé une demoiselle Madeleine de Demandolx ou la Palud. Pour eux c’est un trait de lumière.

Mais le Doyen de Ste-Croix, Charles Maurat, prévient du complot auquel allaient se joindre les Carmes, le trop confiant Grandier, fort de l’ineptie de ces allégations et si naïvement sûr de son bon droit. Les protestants s’amusent follement de ces histoires de Possession ; il n’en est pas de même des catholiques.

Bientôt les autorités donnent l’ordre aux Carmes de commencer des exorcismes, lesquels s’annoncent de suite laborieux, et nécessitent l’adjonction de Pierre Rangier, curé de Veniez, familier de l’évêque de Poitiers et surtout de Barré, curé de St-Jacques à Chinon, fanatique et visionnaire, dit-on.

Au cours d’une de ces « fonctions » liturgiques si compliquées, le diable répond par la bouche de Madame de Belciel : « Sacerdos » à la question : « Qui vous a appelé ? » Le lendemain, la Sooeur Ste-Claire de Sazilly déclare que son diable à elle s’appelle Zabulon. Barré en identifie un beau jour, sept chez Madame de Belciel, dont le fameux Asmodée qui ne se décide à sortir qu’après lavement d’eau bénite expédié, par l’apothicaire Adam. Et tandis que ces religieuses clament au cours de leurs divagations, des propos d’amour pour Grandier, trois épines d’aubépine se trouvent tout à coup dans la main de l’une d’elles. Mais au moment où le chanoine Mignon les fait jeter au feu sur le conseil des pères gardiens Cordeliers et Capucins, les femmes se prennent à pousser des cris horribles, à hurler des obscénités, des blasphèmes. Alors accourent rue Paquin pour y procéder à une enquête, Guillaume de Cerisay de la Guérinière Bailly, le Lieutenant Chauvet, dont voici le procès-verbal en ce qui concerne les questions posées aux diables et leurs réponses par l’organe des Ursulines : D ; « Per quod factum ingressus es ? » – R : « Flores » – D : « Quales ? » – R : « Rosas – [p. 11] D : « Quid misit ? » – R : « Urbanus » – D : « Dic qualitatem ? » – R : « Sacerdos » – D : « Cujus ecclesiae ? » – R : « Sancti Petri ».

Il y a lieu d’ajouter que la Supérieure, après avoir ramassé dans l’escalier trois branches de roses musquées, se sent aussitôt éperdue d’amour pour Grandier. Celui qui les a jetées ne serait autre qu’un magicien du nom de Pivart, un protestant récemment décédé et, jusqu’alors comme par hasard, au service de

Grandier.

Le curé aussitôt prévenu dépose une protestation écrite entre les mains du Bailly, d’autant plus que celui-ci, qui s’était promis d’assister à l’exorcisme de Barré, avait reconnu que ce que le curé de Chinon avait pris pour un diable en déroute n’était autre que le chat du couvent. Des médecins et chirurgiens, Gaspard Joubert (de Loudun), Maunoury, Claude Auger, appelés à établir un rapport, arrivent à la conclusion que les troubles ne sont pas le fruit « du travail des démons et des esprits, mais le résultat de remèdes comme l’antimoine, et que la prétendue Possession semble plus illusoire que réelle ». De son côté, le conseiller du Bailliage Drouy souligne l’indigence des diables en latin et l’absurdité de leurs indications ; tandis que le Bailly constate leur incapacité d’éviter les pièges grossiers qu’il leur a tendus. C’est aussi l’avis de Marescot, aumônier de la Reine, envoyé par son ordre et qui, indigné des procédés malhonnêtes des exorcistes. proteste contre l’utilisation qu’ils font de malades suggestibles auxquels ils inspirent des déclarations venues de soi-disant diables. Il semble bien qu’à, ce moment, il y ait eu conflit entre les agents royaux qui ne croient pas à la Possession, et l’évêque de Poitiers qui cherche, avec l’aide de Moussant, à liquider par tous moyens un prêtre de son diocèse aussi intrigant que néfaste. Grandier réussit un instant, à tarir à sa source les accusations de diablerie en faisant encore une fois appel à l’Archevêque de Bordeaux qui envoie incontinent un médecin visiter les Religieuses, enjoint à Mignon de mettre fin à ses exorcismes, fait assister Barré d’un Jésuite de Poitiers, Escaye, et d’un Oratorien de Tours, Gau. Il invite aussi les magistrats à ordonner la séquestration du monastère. Aussi la diablerie ne tarde-t-elle pas à cesser, et les Ursulines. qui avaient bénéficié d’une heure de célébrité fructueuse, tombent dans l’oubli et même le dénuement auquel Mignon s’efforcera de pallier dans l’attente de meilleurs jours.

Ils arrivent bientôt avec la venue à Loudun de Jean Martin, Baron de Laubardemont, Conseiller du Roi en ses Conseils d’Etat et Privés, qui avait mission, de la part de Richelieu, d’entreprendre la démolition de la forteresse Loudunoise.

Ce Laubardemont, auquel on attribue le propos souvent cité : « donnez-moi. deux mots ne l’écriture de quelqu’un, et je le ferai pendre », était un personnage chauve, myope, mielleux, retors, [p. 12] froid, cruel. Sa maigreur, son nez aquilin entre deux petits yeux enfoncés, lui donnaient l’air cauteleux du faux dévot, du fourbe, capable de n’importe quelle basse besogne. Spécialiste dans les affaires de sorcellerie, il avait réussi à arracher 120 condamnations au feu. Richelieu, qui l’estimait à sa valeur, en fit un Premier Président de la Cour de Guyenne, à Agen.

Grandier lui réserve bon accueil et en reçoit des amabilités. En apparence du moins. Mais il lui apparaît bientôt que l’envoyé du Cardinal et ses affidés mènent double jeu et ourdissent contre lui. Peu de temps, en effet, après l’octave de la Fête-Dieu, le haut magistrat s’en va faire visite aux Ursulines, qui lui disent tout le mal possible du curé. Et comme elles s’aperçoivent de l’audience favorable qu’elles trouvent chez lui, ainsi que chez le Prince de Condé (Henri de Bourbon, ancien ennemi reconcilié du Cardinal), elles recommencent de plus belle leurs divagations qui avaient un moment cédé à la censure. Et pendant une grandmesse, chantée par Mignon, Mlle de Belciel (Sœur Jeanne des Anges) et ses religieuses, en particulier Mlle Claire de Sazilly (Sœur Agnès) entrent en transes. Laubardemont, qui ne prête pas tout d’abord attention à l’avis de Condé, de porter la chose devant le roi, tant l’occupent ses projets de démolition et les protestations qu’elles soulèvent, ne s’y serait peut-être pas arrêté, s’il n’avait pas été sur-le-champ saisi d’une nouvelle affaire, très grave celle-là, d’un libelle contre le Cardinal. extrêmement diffamatoire, portant en titre : « Lettre de la Cordonnière de la Reine-Mère à M. de Baradas » et que Trincant, met en même temps qu’un autre : « La Cordonnière de Loudun », au compte de Grandier. Il reçoit à ce propos information de l’ancien Procureur que le personnage du libelle n’est autre qu’une fille de misérable condition, Catherine Hamon, une ancienne maîtresse de Grandier, que la Reine-Mère avait prise à son service comme « cordonnière », lors de son passage à Loudun.

A cette époque, l’aristocratie, anticardinaliste à outrance, répand à profusion des tracts anonymes méchants, grossiers, malpropres même du genre de celui où, par allusion à l’infirmité hémorroïdaire du Grand Ministre, l’auteur fait rimer puantissime avec éminentissime, et que l’imprimeur découvert inopinément, paye de sa vie par décision de justice. Le Cardinal, toujours à l’aguet de ses détracteurs, se remet en mémoire, fort à propos, l’attitude de Grandier à la procession de Sainte-Croix juste au moment où Laubardemont lui fait part de ses soupçons, tandis que le Père Joseph (François du Tremblay), surveille d’un œil de chat Loudun et ses protestants. Laubardemont, qui sait maintenant la conduite à tenir vis-à-vis de Grandier, s’attache à le tranquilliser par toutes sortes d’amabilités de réceptions, pendant qu’il achève la destruction de la forteresse. Sa mission accomplie. il s’en va au Château de Ruel, où se trouve alors son Maître, lui faire son compte rendu, mais non sans passer par Chinon pour [p. 13] réclamer de Barré les procès-verbaux des exorcismes. Il a maintenant en mains les documents qui instruiront pleinement le Cardinal et le Père Joseph de la division des esprits à Loudun, de l’opposition qui s’y développe sous la direction de Grandier l’auteur présumé des libelles, le prêtre dévergondé et magicien qui utilise des sortilèges pour fournir à sa luxure. Richelieu qui croyait à la pierre philosophale, aux sorciers, aux possédés, était, comme on le sait, un chaste. Mais il est peu probable qu’il ait ajouté foi à la Possession de Loudun. Toutefois l’occasion lui apparaît favorable pour écraser moralement dans cette ville la Réforme, et se débarrasser du même coup d’un adversaire politique, d’un pamphlétaire dissimulé, d’un prêtre qui, dans une cité peuplée d’hérétiques, étale sans vergogne ses mauvaises mœurs. Aussi n’a-t-il pas de peine à obtenir au Conseil du Roi, tenu à Ruel le 30 novembre 1632, où assistent, avec le Monarque et le Ministre, le Chancelier Séguin, le Surintendant Bouthiller de Chavigny, le Secrétaire d’Etat Philippeaux de la Vrillère, le Père Joseph, le blanc-seing suivant contre Grandier, scellé du fameux grand sceau de cire jaune qui est remis à Laubardemont, présent au Conseil, et dont la teneur suit : « Mandement de Sa Majesté à tous les gouverneurs et lieutenants généraux, à tous les baillis, sénéchaux, vice-sénéchaux, prévôts, leurs lieutenants, maires et échevins, et aux autres officiers et sujets qu’il appartiendra, donner pour exécution que dessus toute assistance et main forte ayde et prisons, si nécessité est. »

Laubardemont rentre à Loudun. Il arrive de nuit le 6 décembre 1633 et couche chez Mesmin. Grandier l’ignore, mais les conjurés sont au courant. Cependant Guillaume Aubin, Lieutenant de la maréchaussée, chargé d’appréhender le curé, le prévient secrètement. Lui, toujours superbe et persifleur, se fait fort d’établir son innocence. Il n’en est pas moins arrêté le lendemain matin à l’heure des matines, expédié au Château d’Angers et écroué. Pendant ce temps, Hervé et les deux gendres de Mesmin perquisitionnent à sa cure (10), malgré les protestations de sa vieille mère, âgée de 70 ans qui, jusqu’à la fin, ne cessera de lui porter aide, par tous les moyens de procédures. Les enquêteurs découvrent en même temps qu’un exemplaire du libelle de la Cordonnière une copie sans doute, le « Traité contre le célibat des Prêtres », deux feuilles de vers « impudiques et sales », et aussi les actes absolutoires du Présidial de Poitiers et de l’Archevêque de Bordeaux.

Au 12 décembre commence l’information. Elle se poursuit très partiale. Seuls ne sont produits que les témoignages à charge et sur des faits antérieurs à 1630. Sont ensuite entendues des dix-sept religieuses avec leur Supérieure, Madame de Belciel, qui, d’un commun accord, apportent contre Grandier des accusations de [p. 14] magie, que confirment deux séculières, dont la sœur de la fameuse « cordonnière ». Malgré les protestations d’honnêtes magistrats, Laubardemont se refuse à transmettre les oppositions, les appellations, les récusations de droit. Ces recours vont pourtant l’obliger à se rendre à Paris.

En attendant, les Possessions se continuent avec fracas et, dans les différentes églises où sont conduits les exorcismes, tout le monde peut voir les religieuses se livrer à des grimaces, des gesticulations, des sauts, avec salivation, cris, propos orduriers qu’émettent en elles les démons dont elles indiquent le nom, la spécialité, le grade dans la hiérarchie superposable à celle des anges non déchus de l’Ecriture. Le Maître et chef suprême en est naturellement Lucifer, et ses subordonnés s’appellent :

Astarot (des Anges), Daria,
Achaos, Le Démon, l’ennemi de la Vierge
Acaph,                                        ,
Aman (des Puissances), Elimi,
Alumette Eazas,
Belzébuth (des Archanges ) , Guilmon
Grésil (des Trônes),
Béhérit,  Isaacaron (des Chérubins),
Béhémot , Le Lion d’Enfer,
Balaam, Léviatan (des Séraphins), (11)
Baruc, Marou,
Barrabas, Meca,
Carmin, Pérou (des Chérubins);
Cerbère, Sans Fin,
Cédon, Souillon,
Le Charbon d’Impureté, Zabulon,

et enfin, Asmodée (des Trônes), qui est comme Isaacaron l’activiste insigne de l’impureté. A l’une de ses possédées qui le transcrit avec son orthographe, il dictera le texte suivant : « Je promais en sortant du corps de cette créature de luy faire une fante au dessous du cœur de la longueur d’une épingle ensemble à la chemise corps de robe, laquelle fante sera sanglante et ce demain vintiesme de may à six heures après-midi, jour de samedi et promez aisi que Grésii et Amand feront aussi leur ouverture en la mesme manière quoyque plus petite et aprouve ce que Leviathan ont promis de faire avec leur compagnons sur ce registre de l’Eglise Sainte-Croix. Asmodée. » (12)

Le Chanoine Mignon, sur l’ordre de Laubardemont, reprend ses exorcismes, aidé du curé Barré rappelé de Chinon. Celui-ci à bout d’efforts, parvient enfin à débarrasser la Supérieure de Belciel de 4 démons sur 7, et la sœur de Sazilly des 6 autres. [p. 15] Laubardemont se transporte alors au Château d’Angers, auprès de Grandier, en compagnie de Demarans, doyen des chanoines de Thouars et gendre du Procureur Richard faussaire convaincu, avec l’assistance du greffier Jacques Nozay. Sur le conseil que lui avait donné sa mère, l’accusé se refuse de répondre aux questions du magistrat, mais se reconnaît sans difficulté l’auteur du « Traité sur les célibat des Prêtres ». A son retour de Paris où il est parvenu à rendre inopérants tous les moyens juridiques contre sa procédure, Laubardemont ramène le prisonnier d’Angers et l’encellule de la manière la plus misérable, et au secret absolu dans une maison appartenant à Mignon, dont l’unique locataire et gardien est le sergent Bontemps, un des principaux témoins à charge de l’affaire. Il ordonne la séquestration des Ursulines en divers locaux de la ville, et commet des médecins, tous de second ordre, dépourvus de clientèle comme Brion, Crolleau, Cosnier, Duclos, Jacquet, G. Gibon, assistés du chirurgien Maunoury. La confrontation de Grandier avec les religieuses, fixée au 14 avril n’apporte aucun élément, nouveau, tandis que les pères Lactance et Tranquille proclament en chaire que c’est un péché que de ne pas croire à la Possession.

Au cours d’une séance d’exorcisme, les diables précisent par la bouche de Mlle de, Belciel, sans doute dûment stylée, que Grandier était marqué comme tout magicien « in duobus natibus circa amim, et in duobus testiculis ». Ce qui fait que malgré les cris épouvantables poussés par le malheureux sur lequel Maunoury, expert-commis, instrumente avec une brutalité sans pareille, des médecins osent affirmer l’insensibilité du patient aux points précités, qui doit être la marque spécifique du diabolisme selon le codex inquisitorial de Spengler [Sprenger] (13). Le 28 avril, le diable Asmodée promet, sur requête, de rapporter le pacte de Grandier signé de son sang et déposé « dans le Cabinet de son Maître Lucifer » (14). Deux médecins prennent cependant en défaut le diable Béhérit qui ne peut enlever, comme il s’y était engagé, la calotte de Laubardemont dans l’espace d’un « Te Deum ». Et à l’exorcisme public du 19 mai, où assistent 2.000 personnes environ, y compris le Vicaire général de Poitiers, en même temps que les ministres protestants Daniel Loupé, Jacques de Brissac, François Malherbe expressément conviés qui se défilent sous le bénéfice de l’article 6 de l’Edit de Nantes, un témoin avise qu’il a vu de ses yeux le fer responsable des plaies digitales chez Mlle de Belciel, par où s’étaient soi-disant esquivés Asmodée et Grésil ainsi qu’Aman. D’autres médecins, peu enclins à d’infâmes complicités se dérobent et se dissimulent par crainte d’une arrestation [p. 16] (15) qu’un frère de Grandier, vicaire à Loudun, qu’un autre à Paris, ne peuvent éviter.

Dans les semaines qui suivent se dérouleront des scènes tantôt abominables, tantôt cocasses. Il y a par exemple grande procession de la rue Paquin à Ste-Croix, où défilent l’évêque de Poitiers, les moines en aube, Laubardemont dans sa toge rouge de Premier Président, escorté de greffiers, d’archers, et suivis de Grandier portant l’étole. Après le chant de « Veni Creator », sont brûlés des détritus évacués par les Ursulines, du Sang humain rendu sous l’effet du diable Asmodée, et que des médecins identifient comme véritables produits de l’Enfer. Grandier demande alors qu’on interroge en grec Mademoiselle de Belciel et ses compagnes qui, dès qu’elles le voient, se répandent en d’épouvantables vociférations, et d’inviter les diables à leur imprimer une marque sur le front, de façon à bien prouver leur réalité. A cette requête s’oppose savamment l’évêque de Poitiers qui avait ses raisons d’estimer que la langue d’Aristophane ne se pratique guère chez Satan, où d’ailleurs ne paraît pas régner un grand discernement. Un diable dans un exorcisme n’eut-il pas l’étourderie d’affirmer que Laubardemont était cocu ! Le magistrat, sans doute aussi distrait, contresigna sans le lire le procès-verbal avec sa formule usuelle : « ce que j’atteste estre vray ». On imagine sa colère quand on lui en souligna le contexte. Aussi le fait-il retirer, non sans donner l’ordre d’apposer des plantons aux alentours de Ste-Croix où de mauvais plaisants prennent l’habitude de tracer à son endroit d’injurieux graffiti, et d’afficher la proclamation suivante :

« Il est expressément inhibé et deffandu à toutes sortes de personnes de quelque qualité et conditions qu’elles soient, de mesdire, meffaire ni autrement entreprandre contre les religieuses et aultres personnes dudict Loudun affligées des malings esprits, leurs exorcisstes ni ceux qui les assistent soit aux lieux où elles sont exorcisées ou ailleurs, en quelque fasson et manière que ce soit à peyne de dix mille livres d’amende et autre plus grande somme et de punition corporelle si le cas y échoit. Et afin que personne n’en prétende cause d’ignorance que la présente ordonnance lüe et publyée aujourd’huy au prosne des églises paroissiales de cette ville et affichées tant aux portes d’icelles que partout ailleurs ou besoin sera. »

Fait à Loudun, ce dimanche second de juillet 1634.
Jean Martin de Laubardemont.

Il faut en finir. Le 8 juillet 1634, en cette petite antichambre que l’on voit encore comme elle l’était alors, dans ce qui reste des [p. 17] bâtiments des Carmes près St-Hilaire-du-Martray, se réunit le Tribunal qui doit connaître de l’affaire Grandier, et que composent 14 magistrats à savoir : Dreux, Lieutenant-Général de Chinon, de la Barre, le Sieur de Brisé, Lieutenant particulier à ce siège, Houmain, Lieutenant-Criminel d’Orléans qui fait fonction de rapporteur, Jorigny, Richard, chevalier Sieur de Tessée, Conseil au Présidial de Poitiers, le Président Cottereau, le Lieutenant particulier Pequineau, Conseiller au Présidial de Tours, Texier, Lieutenant général au Siège royal de St-Maixent, de la Picherie, Lieutenant général au Siège royal de Châtelleraut, Rivrain, Lieutenant-général au Siège royal de Beaufort, Jacques de Nyve, Conseiller au Présidia1 de la Flèche. Un des magistrats, Pierre Tournier, ne voulant pas s’associer à cette procédure, démissionne.

II y a séance tous les jours après une messe de communion. Moreau, avocat, chargé de la défense, transmet au roi, dont le siège est fait, une lettre que lui avait remise Grandier, tandis que de vaines protestations s’élèvent, notamment de la part de deux Conseillers au Bailliage, Chauvet et Martin. Une délégation en faveur du curé, présidée par le bailly de Cerisay, n’est pas accueillie, et Laubardemont menace (16) d’une amende de 20.000 livres [p. 18] ceux qui oseraient s’assembler à nouveau pour formuler des oppositions.

Grandier garde sur la sellette une attitude des plus fermes. Très digne, il repousse avec mépris les accusations de diablerie et se refuse, bien entendu, à tout aveu, même quand l’évêque de Poitiers fait affirmer à l’audience la réalité des Possessions appuyée de l’avis conforme des docteurs en Sorbonne, auxquels on avait mensongèrement déclaré que les diables avaient soulevé les Religieuses à deux pieds au-dessus du sol. Le tribunal s’efforce d’arracher à Grandier des noms de complices, une excuse de ses connivences avec l’Enfer et de ses activités magiques. On essaie de faire intervenir Mademoiselle de Brou, tandis que la mère de Grandier s’épuise en démarches pour son fils et vient inutilement se jeter aux pieds de Laubardemont. Le seul qui se montre bon, compatissant, chrétien est un religieux, le Père Ambroise, Augustin, dont les paroles de réconfort, l’audition en confession, l’apport de la communion, touchent beaucoup le malheureux au moment où l’exempt des gardes Guisard vient lui annoncer l’inévitable.

Quelques jours après, en effet, le vendredi 18 août 1634, à 5 heures du matin, est rédigée la sentence fatale (17) dans cette petite pièce, aujourd’hui « simple et tranquille », et dont le silence, lourd d’un passé terrible, étreint toujours le visiteur.

A Maunoury, chargé de le raser de la tête aux pieds, le [p. 19] condamné crie : « Ah » cruel bourreau, es-tu venu pour m’achever ? Tu sais, inhumain, les cruautés que tu as exercées sur mon corps ; tiens, continue, achève de me tuer ! » Maunoury se sauve, ainsi que Fourneau, chargé de lui enlever les ongles et qui, récusant cette besogne, ne retient pas ses larmes et lui confirme que la foule partage sa douleur.

Sur la voiture de Laubardemont on hisse le condamné ligoté, vêtu de vieilles savates, pour être conduit au Palais de Justice (18) y subir la question. Malgré le supplice du brodequin, il pardonne à ses bourreaux, mais se refuse obstinément à tout aveu en dépit des objurgations des pères Lactance et Tranquille, en étole, la main armée du goupillon de l’exorciste. Et tandis que Lactance exhorte le bourreau à frapper dur sur les coins de bois, Grandier lui dit doucement : « Ah ! mon père, où est la charité de Saint-François ? N’appréhendez-vous pas d’être irrégulier ? » et il lui demande de lui donner le baiser de paix. Après des tentatives, réitérées durant de longues heures, pour lui arracher des révélations sur ses relations diaboliques, un tombereau attelé de six mules vient enfin le prendre pour le mener, les jambes brisées par les brodequins, au lieu du supplice, une petite place à gauche du chevet de Sainte-Croix, tout juste devant la maison de Trincant. Celui-ci pourra du haut de sa fenêtre voir son ennemi tomber de sa sellette de fer dans le brasier, le lien qui devait préalablement l’étrangler suivant la coutume du bourreau, ayant pris feu. [p. 20]

Les historiens ne se sont pas mis d’accord sur les causes de la funeste cabale dont Grandier fut la victime. Les uns (20) naturellement partagent l’opinion de quelques juges, aussi sincères qu’abusés, qui ne voyaient en Grandier qu’un suppôt de Satan, un magicien dont les artifices eurent pour effet de faire posséder d’innocentes vierges par de luxurieux démons. D’autres admettent l’opinion pertinemment exprimée dans l’ouvrage clandestin, à l’époque, du ministre Aubin, publié à Amsterdam sans nom d’auteur (21), selon laquelle Grandier ne serait que la victime de son opposition à la politique anti-protestante de Richelieu. Pour eux la Possession n’a été qu’une comédie à laquelle personne ne croyait en haut lieu, et que pour les besoins de la cause Laubardemont à l’aide de la parenté et des intelligences qu’il avait chez les Religieuses, aurait montée de toutes pièces à l’instigation du Cardinal.

Mais cet argument est par trop simpliste. La Possession ne fut nullement simulée. Les Ursulines, sous la contamination de leur Supérieure, une déséquilibrée, mythomane, amorale, ont bel et bien manifesté de longs mois, des années même, des paroxysmes de psychopathie hystérique caractérisée, comme je le redirai plus loin après Gilles de la Tourette, Lévy-Valensi, d’autres encore.

Cette folie collective arrivait à point pour le jeu des ennemisde Grandier qui n’ont pas manqué cette unique chance de le [p. 21] perdre à coup sûr, et de lui réserver le sort récent de son émule des Accoules à Marseille. La haine avec laquelle ils l’ont poursuivi jusqu’au bout n’était certes pas univoque. Les uns pouvaient s’en prendre à sa conduite scandaleuse qui débordait sur le clergé d’une ville où le prêtre n’avait pas que des défenseurs. D’autres abominaient cet étranger au pays que la faveur avait poussé très jeune aux plus hautes charges ecclésiales de la cité, et dont l’influence qu’il s’y était acquise par des moyens trop souvent contestables, en faisait un véritable potentat local. Les catholiques surtout étaient enfin soulagés de voir l’autorité s’en prendre à l’intouchable ami du parti adverse, habilement camouflé sous la soutane dans une contrée où l’Edit de Nantes n’avait pas mis fin à de brutales antinomies, réveillées à tout propos par l’intolérance des uns et des autres. Et rien ne fut plus facile à tout ce monde d’utiliser la psychoplastie des hystériques de la rue Paquin en leur faisant dire et faire, en y aidant même par la fraude, ce que le rituel (22) indique pour le diagnostic de la Possession.

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II. — LA DIABLERIE

APRES L’EXECUTION D’URBAIN GRANDIER

ET L’INTERVENTION DU PERE SURIN

Le supplice du curé laissa les diablesses aussi indifférentes que leurs diables, dont la persévérance ne se lassera, après quatre bonnes années, qu’au moment précis où les exorcistes cesseront d’être stipendiés sur la cassette du roi.

On aurait tort pourtant, de penser que c’est uniquement parce que sa culture cessait d’être rentable pour les liturges et leurs nonnes, que la névrose collective prit fin. L’arrivée du père Surin, envoyé à Loudun comme exorciste en quelque sorte supplétif, y est pour quelque chose. Il vient en effet avec des méthodes nouvelles qui le mettent immédiatement en désaccord avec ses collègues. Lui s’emploie plutôt à « inculper, comme il le dit, la vie intérieure des religieuses, à modifier leurs passions », à redresser leurs sentiments pour les tourner vers des buts plus conformes à leur profession, tandis que les autres s’obstinent dans leurs obsécrations liturgiques qui restent, pour eux, l’exclusif moyen d’extirper tant de diables attachés à leur proie ..

Et c’est lui, le prêtre essentiel, le détenteur de la toute puissance des sacramentaux qui valorise la spiritualité, surclasse le « moralisme mystique » au dépens de la formule déprécatoire [p. 22] et du rite. Il exprime en théologien convaincu de la Possession, l’efficacité de ce que l’on pourrait appeler sa psychothérapie (23). « Les diables, écrit-il, ces esprits superbes, enragent de voir les personnes où ils se sont installés s’appliquer à éteindre leurs passions par l’humiliation, l’oraison, la mortification, et s’affligent grandement de voir qu’on détruit chez leurs victimes les points d’appui sur lesquels ils se meuvent. Aussi, n’ayant plus désormais de fin pour molester leurs victimes, ni de force, leurs opérations diminuent en violence et en durée ». Ce qui, en langage psychanalytique, s’appelle provoquer le transfert. Mais le père Surin, en opérant à son insu des phénomènes de déplacement et de substitution chez ses possédées, suscita sur lui, comme il est de règle, des transfèrements affectifs, surtout de la part de sa principale malade et qui, malheureusement, ne restèrent pas à sens unique.

En tout cas, c’est sous son heureuse influence que le diable Isaacaron « évacua », en janvier 1636 Mademoiselle de Belciel, lequel fut suivi de son confrère Béhémot, qui n’abandonna la partie qu’en octobre 1637, tandis que Zabulon, Léviathan, Balaam, ne partirent qu’en dernier, et lâchèrent par la même occasion les autres religieuses, entre autres la sœur Claire de Sazilly. Comme l’histoire pathologique du père Surin est liée à la possession de Madomeiselle de Belciel, ou sœur Jeanne des Anges prieure des Ursulines, il est nécessaire de s’arrêter un moment sur cette instigatrice de la diablerie.

Ce que l’on a écrit sur elle varie du tout au tout, suivant que ses biographes sont, comme le père Surin, des panégyristes, ou des esprits objectifs qui n’ont vu dans la Possession que mises en scènes fallacieuses au service de haines ou d’intérêts politiques et religieux. Elle était pour les premiers « Une jeune femme élue prieure par ses compagnes alors qu’elle n’avait que 34 ans. Supérieure accomplie, pleine de tendresse et de charité pour les religieuses, les portant toutes à la perfection par son exemple et ses conseils, tenant leur esprit en joie et dans une parfaite union, chacun avait recours à elle ; elle procurait à toutes des petites satisfactions spirituelles et temporelles. Son visage était riant et ouvert. Dieu était le maître absolu de son cœur ». Qui parle ainsi ? On s’en doute. Le père. Surin, qui vécut de longs mois auprès d’elle et dont les entretiens se poursuivaient pendant des heures. Ils s’enfermaient parfois, afin de n’être pas dérangés, dans un grenier clos par une grille, promiscuité exclusive qui soulevait en ville l’étonnement ou l’hilarité : « que pouvait bien faire si longtemps ce jésuite avec une possédée. » jasait-on. Ses propos pourtant ne devaient avoir pour objets que des développements mystiques. [p. 23]

Mais les diables se vengèrent de son inimitié combattive en l’enivrant de lubricité. Gilles de la Tourette le représente en effet, comme atteint pour cette femme de délire érotique, allant même jusqu’à la faire mettre nue devant lui pour la mieux exorciser.

Jeanne de Belciel naît le 2 février 1602 de Louis de Belciel, baron de Cozes et seigneur d’Eschillais de St-Germain de Durfort de la Terrière, Conseiller du roi en ses conseils et de Charlotte Goumard en secondes noces. De cette union sont issus trois frères aînés : Jacques, baron de Cozes, François, baron de Cozes à la mort de son frère, Louis, après le décès de ce dernier, qui prit ce titre, et deux sœurs cadettes, Marie, entrée en religion, et Catherine, épouse de François de Beaumont, seigneur de St-Germain et de Gibault.

Dans son enfance elle se signale par la labilité de son caractère, ses bizarreries de comportement, son inaffectivité, ses alternances d’humeur, sa nature plutôt perverse, qui vont de pair avec une intelligence éveillée. Sa famille, heureuse de lui voir des dispositions à la religiosité et de pouvoir ainsi la destiner au couvent, la confie dès qu’elle a l’âge de 10 ans, à sa tante, prieure de l’Abbaye des Saintes, où elle ne peut ou ne veut demeurer que jusqu’à quinze ans. Elle fait alors choix du couvent des Ursulines à Poitiers. Pendant son noviciat elle attire sur elle des remarques à cause de ses outrances ; considérées par certaines de ses compagnes comme des attitudes spectaculaires, pour d’autres comme des élans de piété. Après sa profession, elle est détachée, en 1626, à Loudun, pour y fonder un pensionnat, puisqu’une des raisons d’être de cette congrégation, instituée en Italie par Angèle Brescia, était l’éducation des filles, l’entretien des vieillards, la moralisation des prisonniers. On raconte à Loudun que sous des dehors recueillis, des apparences exagérément dévotes, elle n’aime guère au fond prier, qu’elle préfère la lecture d’œuvres profanes et même quelque peu libertines, que c’est à ses manières d’être comédienne, enjoleuse, dissimulée, alors qu’elle n’avait que 34 ans, qu’elle parvient à se faire élire prieure. Et la vie s’écoule sans histoire dans la petite maison de la rue Paquin, aujourd’hui quiète villa bourgeoise avec son placide enclos fleuri à la belle saison, mais qui, avant l’installation de ces dames, était, disait-on, hantée. Elle appartenait, je l’ai dit plus haut, à ce Moussaut du Fresne, un futur ennemi de Grandier. C’est à son frère, prieur de l’abbaye de Chassaignes qu’échoit, comme il a été dit plus haut, la charge bénéficiaire d’y dire la messe, et qui finit par trépasser en 1631. La prieure aurait alors, d’après certains ragots, pressenti Grandier, dont elle ne cesse d’entendre parler dans les termes les plus flatteurs mais qui on le sait, se récuse sur le conseil pressant de Madeleine de Brou. Le père Surin prétend, au contraire, que c’était le curé qui s’était proposé lui-même en [p. 24] offrant, argument de poids, la gratuité de ses services, mais que Mlle de Belciel, dûment prévenue, fit écarter. Quoi qu’il en soit, c’est de cette époque que datent les premières manifestations psychotiques chez cette Jeanne des Anges, sous la forme de ces apparitions nocturnes du vieil aumônier Moussaut, dont elle fait aussitôt confidence au successeur, à ce chanoine Mignon, neveu, je le répète, du procureur Trincant, et qui devait lui aussi, entrer dans la conjuration contre le curé.

La fin de Grandier suspend, paraît-il, la Possession. Mais pour un moment. Les diables n’avaient-ils pas confié à l’un des exorcistes qu’ils furent contraints de s’absenter de la rue Paquin après le bûcher, pour faire convoi au damné jusque dans la maison de Lucifer qui, dirent-ils, « l’a reçu avec bien de la cérémonie et l’a dignement festoyé avant de le livrer aux grincements de dents dans l’éternelle géhenne ». Ils reviennent hélas du voyage, plus déchaînés que jamais, ainsi qu’en témoignent des médecins requis pour observer les possédées (24). [p. 25]

Aussi, un envoi de renfort s’avère-t-il indispensable, le père Recollet Lactance étant mort à la peine, bien qu’il reste l’autre père Lactance capucin, le père Tranquille, le père Elisée, le chanoine Mignon, l’archiprêtre Barré qui n’a pas encore regagné Chinon, le père Archange jésuite, le père Mathieu de Luché capucin. Mais ils s’épuisent, sous le pluvial violet, contre cette furie de diables obstinés. C’est pourquoi Richelieu qui en a assez, s’en remet aux soins du Provincial des jésuites d’Aquitaine pour lui choisir un exorciste plus capable. Et Laubardemont désigne le père Surin, alors en prédication à Marennes, qui figure en tête de liste parmi les pères jésuites. Le Provincial hésite un moment, à cause de l’opposition de son conseil. Cependant, il n’a pas d’autre parti à prendre que d’obéir de bonne grâce. Et c’est ainsi que le père Surin se rendra à Loudun pour ne s’occuper finalement que de Mademoiselle de Belciel.

Mais on n’entre pas impunément en collision avec des diables de la taille d’Isaacaron, l’un des plus grands spécialistes de l’Enfer en impureté. Aussi, le malheureux fut-il rapidement contaminé de luxure et « assailli, nous fait-il savoir, par des tentations d’impureté si épouvantables, que sans une grâce miraculeuse je n’aurais jamais pu me défendre ». Tandis que sa partenaire, qui en rêve, le voit de nuit auprès d’elle la caresser et se trouve aux prises avec de furibondes invites à la fornication, que n’abolissent ni ceintures métalliques à pointes de pénitence, ni discipline, et qu’Isaacaron, qui parle par elle, traduit

par des bordées d’injures et de blasphèmes, des torrents de lubricité. Heureusement que ce diable finit par prendre le large, comme on le sait, non sans avoir préalablement imprimé dans la main gauche de sa possédée, par où il s’échappe, le nom de Marie. Mais Béhémot, plus tenace, ne promet, toujours par le truchement de la religieuse, de ne s’en aller qu’à la condition expresse qu’elle entreprenne, en compagnie du père Surin, un pèlerinage en Savoie, sur le tombeau de saint François de Sales. Projet de voyage en commun qui n’est pas du goût de Laubardemont, ni surtout de celui de l’évêque de Poitiers, qu’insupporte, depuis l’affaire Grandier, tout jupon qui, sur son territoire, frôle un prêtre. [p. 26]

Le Provincial de Bordeaux, le père Jacquinot, sans doute inquiet de certains symptômes chez le père Surin, qui trahissent déjà leur nature, le remplace auprès de Mademoiselle de Belciel par le père Vessel, et lui donne l’ordre de regagner la Résidence. Mais Béhémot s’en fâche éloquemment, et manifeste sa fureur par un redoublement inouï d’alarmes chez la prieure : fièvre intense, hoquets affreux, pâmoisons d’agonie, états léthargiques, aspect de cadavre. Quand tout cède inopinément. Et la malade se dresse soudain de son lit et se dit capable de lire, sous l’inspiration de Béhémot toujours en elle, dans la pensée des exorcistes présents, du père Vessel en particulier, et comprendre leur latin, même s’il est choisi. « Appone loevam poplitibus meis » commande alors l’un d’eux et, docilement, elle place la main gauche sur les genoux de l’homme d’Eglise ; et quand celui-ci enjoint en esprit au diable d’exécuter un commandement, « obédiat ad mentem ! », de suite elle obéit avec déférence, ou bien se renverse, se courbe en emprosthotonos ou en opisthotonos forcés, de façon à faire toucher sa tête de ses talons, ce qui ne l’empêche nullement de progresser à terre, dans un état de contraction musculaire tel qu’aucun n’aurait été capable de lui bouger la tête ou les membres. Naturellement ses compagnes et quelques employées de la maison, dont Elisabeth Blanchard qui ont aussi leurs diables, se contorsionnent, vocifèrent comme le décrit le docteur Lagoust de la Faculté de Montpellier dans son rapport du 29 juin 1634 à Laubardemont : « interea vero instabilis convulsio illa opisthotonos, per quam, ducto in arcum ad posteriora corpora capiteque profonde suspenso, virgines progrediebantur, titubantes quidem non cadentes, et quae emprosthotones appellatur ».

C’est alors que Mlle de BeIciel reçoit, dans la .nuit du 27 février 1637, la visite de saint Joseph qui lui applique sur le côté un baume. Élie en est aussitôt guérie. Et le lendemain, elle peut montrer au père Vessel et aux moniales, sa chemise encore imprégnée de cinq gouttes de cette essence d’une délicieuse odeur. Le bruit de ce miracle, qui d’ailleurs laisse tout à fait froid le médecin particulier de la prieure; un huguenot (25) se répand d’une façon éclatante. Mais il n’empêche nullement Béhémot de perpétuer ses violences et de menacer qu’il ne sortirait de la religieuse que sur le tombeau du saint-évêque de Genève. Et en la présence, bien sûr, du père Surin. La Résidence de Bordeaux doit ainsi se résigner au retour à Loudun où le père Surin parvient le jour de la Fête-Dieu de 1637. Laubardemont et l’évêque de Poitiers consentent eux aussi, de guerre lasse, au voyage de Genève. Et le père Surin y arrive le 15 octobre, en compagnie de sa nonne. Là Béhémot, diable bien têtu, certes, [p. 27] mais au moins fidèle à sa parole, la laisse. Toutefois, il ne l’abandonnera qu’après lui avoir imprimé dans la main gauche, en guise de post-scriptum, les noms de Marie, de Joseph et de Jésus en caractères sanglants. De cette merveille 2.000, personnes au moins, si l’on en croit le père Surin, furent témoins. La Reine, qui vient de mett.re au monde Louis XIV, veut aussi contempler de ses yeux la chemise embaumée et connaître les deux pèlerins qui la transportent. Elle les invite. Et sur le chemin de Paris, à Grenoble, à Chambéry, à Moulins, à Briare, à Fontevrault, partout à leur passage, les foules admirent pieusement la relique qui ne cesse de faire des miracles, affirme toujours le père Surin et que le Roi et la Reine baisent avec ferveur.

Mais à leur retour, un incident vient ajouter aux soucis de Laubardemont. Isaacaron doit encore rôder dans les alentours de la rue Paquin, puisqu’un jour la prieure se persuade qu’elle est enceinte : « Je suis grosse d’enfant », dit-elle, j’en ai tous les signes qu’on en peut avoir ». Naturellement la nouvelle fait faire des gorges chaudes aux huguenots qui, trouvant la chose des plus drôles, sèment partout le bruit d’un prochain enfantement « où ce n’est certainement pas un diable qui y est pour quelque chose ». En quoi ils se trompent. Comme tout Loudun du reste. Il s’agit bel et bien d’une grossesse nerveuse comme l’avait deviné Laubardemont lequel, dans son compte rendu à Richelieu explique d’abord en français : « C’est chose estrange qu’il paroist en elle des marques de grossesse par des vomissements continus, des douleurs d’estomach et des sérosites blanchâtres qui sortent de son sein après le cours de ses purgations arresté depuis trois mois. » Puis, dans un second rapport, en latin : « Ilia nimirum a tribus mensi uterus patiebatur menstrui sanguinis inoram importunam cujus congerie uterus et ejusdem refluxu serositas admodum lactis albicans e mammis stillabat contimie quasi foetum ista portenderet. »

Malgré les exorcismes conjugués des P. P. Rousseau, Anginot, Bachellerie et Surin, la prieure est hantée de plus en plus par des idées de suicide : « il se forma en moy un tel désespoir à cause de l’estat auquel j’estois et principalement pour l’appréhension que j’avais de cette prétendue grossesse, que je pris la résolution de me faire mourir »… « je vins à un si grand aveuglement d’esprit que je mis en devoir de me faire mourir en la manière que je vais dire ».

Elle décide de s’empoisonner : « Je trouvay le moyen d’avoir des drogues ». Mais elle pense qu’en agissant ainsi elle tuerait son enfant. Il lui vient alors l’intention de se détruire sans engager la vie du petit être qui est en elle en se faisant « une ouverture au coste pour me tirer cet enfant du corps que je baptiserois, et qu’ainsy son salut serait en sûreté ». Sa décision prise, elle organise, toute une mise en scène ; elle se confesse, mais sans faire part de ses desseins à son confesseur. Au [p. 28] lendemain (2 janvier 1635) elle se retire dans une petite salle pour procéder à l’opération « je portay avec moy un grand couteau et de l’eau pour baptiser cette petite créature que je pensais être en moy ». Elle prie et demande à Dieu le pardon de sa faute car elle persiste dans l’intention de tuer l’enfant dès qu’il sera baptisé. Les prières finies, elle commence son travail. « Je fis une grande ouverture à ma chemise avec des ciseaux, après quoy je pris le couteau que j’avais apporté avec moy, et je commençay de me le fourrer entre les costes proches de l’estomac, avec une forte résolution de poursuivre jusqu’au bout, mais voici le coup de la miséricorde qui m’en empescha. Je fus un instant terrassée par terre avec une violence que je ne puis exprimer ; l’on m’arracha le couteau de la main et il fut mis devant moy au pied du crucifix qui estoit dans ce cabinet. »

Laubardemont veut avoir le cœur net de cette ennuyeuse histoire : « J’envoyai quérir jusqu’à Mans le sieur du Chesne, l’un des plus grands hommes de sa profession », écrit-il à Richelieu (26). Et le praticien, après examen, conclut à une grossesse avancée. Laubardemont doit se rendre à l’évidence, tandis que la nonne redoute une fausse couche… Cependant les exorcistes vont s’efforcer de faire détruire par le diable ce que lui-même a fait et, l’un d’eux, Boudon, dira « les démons par une permission secrète de Dieu faisans leurs efforts pour la perdre de réputation luy donnèrent une grossesse apparente : ce qui lui était un sujet de dernière humiliation. Mais la très pure Vierge jeta la confusion sur ceux qui la voulaient damner, car elle contraignit les démons à la délivrer de cette grossesse apparente, comme ils l’avouèrent eux-mêmes. Mais comme ils luy avaient causé cette marque apparente par quantité de sang qu’ils avaient amassé dans son corps, ils le luy firent vomir durant 24 heures ».

Cette délivrance intervint au cours d’un exorcisme devant un public nombreux et choisi, dit Jeanne des Anges : « un evesque, des médecins et quantité d’autres personnes qui en louèrent Dieu et la sainte Vierge avec nous ; ainsi, je demeuray entièrement libre de touttes peines, et les signes extérieurs de grossesse disparurent en même temps ».

Ces événements rendent bien perplexe le père Provincial de Bordeaux qui, poussé, comme le croit le père Surin, par le diable Léviathan (de l’ordre des Séraphins et par conséquent supérieur du diable Isaacaron, lequel n’occupe que le rang de Chérubin) décide de lui adjoindre auprès de la prieure le savant père. Doamplup, puis de le rappeler définitivement. Les diables filent alors à l’anglaise, abandonnant Ursulines et exorcistes, lesquels regagnent chacun leur couvent respectif, ou leur cure [p. 29] paroissiale. Et rue Paquin, un définitif silence va bientôt envelopper Mlle de Belciel, sa chemise dont on n’entendra plus parler, les nonnes, le pensionnat.

Après la mort de Richelieu, dans un bourg de la région, une émule de la prieure cupide aussi d’un diable, commençait à émouvoir à son tour la contrée. Mais Mazarin, l’astucieux Italien que l’on sait, eut vite fait de trouver sans exorciste un moyen efficace de la délivrer, tandis que Mlle de Belciel finissait ses jours à Loudun le 29 janvier 1665, quelques mois avant le père Surin.

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III. — LA MELANCOLIE DU PERE SURIN

Jean-Joseph Surin naît à Bordeaux le 9 février 1600. Son père, qui était Conseiller au Parlement, devait être fort religieux, car il combla de largesses les jésuites de la ville, ainsi que les carmélites, chez lesquelles après sa mort sa femme chargée d’infirmités devait trouver refuge. Des deux sœurs du père Surin, l’une mourut en bas âge et l’autre, très dévote, sujette, d’après Boudon-Bouix, à des visions, fit profession au Carmel où était entrée sa mère. Les premières années de Jean-Joseph Surin se passent auprès de Sœur Isabelle des Anges, carmélite, et c’est au collège des jésuites de la ville qu’il poursuit son juvenat. Il doit y être un bon élève si l’on en juge par la perfection de son style, le vrai style jésuite, comme le souligne H. Brémond. Le 11 avril 1626 il est ordonné, par l’Archevêque d’Escoubleau de Sourdis, le protecteur que nous savons de Grandier. C’est déjà un ardent mystique qui voue son existence à l’apostolat par la parole et la plume. Il a en effet beaucoup écrit. On a de lui des poèmes qui, paraît-il, rappellent St-Cyran, et plusieurs ouvrages de spiritualité : Catéchisme spirituel, Dialogues spirituels, Guide spirituel, Traité de l’amour divin, Triomphe de l’amour divin sur les puissances de l’enfer, source considérable de renseignements sur ses états d’âme et surtout sa psychopathie, Traité des protections, Traité sur les possessions, Traité de la grâce, Discours justificatifs de la grâce mystique, Cantique spirituel de l’amour divin. Il est difficile aujourd’hui de se faire une idée pertinente de sa doctrine (27), car ses livres remaniés par bien des éditeurs, ne peuvent être confrontés avec des manuscrits, puisqu’on n’en possède aucun. Il est assuré que son Catéchisme Spirituel a dû déplaire aux censeurs, puisque le livre a été condamné en 1695, trente ans après sa mort, survenue le 21 avril 1665. Mais son influence s’est étendue sur le piétisme du siècle. Elle aurait été à l’origine du quiétisme de Fénèlon, peut-être même de la doctrine de Molinos, et l’on en retrouve, [p. 30] dit-on, la trace dans la pensée de Bossuet. Ses traits, dans le tableau classique qui représente le père Surin à la soixantaine, respirent douceur et bonté, mais son regard anxieux, son front plissé, marquent profondément la trace des angoisses imprimées par vingt années de maladie. Une fois guéri, il vivra neuf ans encore d’une existence relativement paisible qu’aucune récidive ne troublera, fidèle jusqu’au bout à l’idéal qu’il s’était promis. Grâce à la précision de ses souvenirs, il met en relief les symptômes essentiels qui dominent chez lui et qu’il tient tout d’abord pour des actions de représailles de la part de diables mis à mal par ses exorcismes. Les premiers troubles semblent dater de Pâques 1635 alors qu’il avait 35 ans, et qui marquent leur début par une douleur inopinée dans la région cardiaque. Puis s’annoncent, en même temps que des idées d’influence et d’impressions de dédoublement de sa personne qu’il analysera avec acuité, toute une série d’accidents du type névrotique: amblyopie transitoire, parésie subite d’un bras, impossibilité de parler, mutisme, passager d’ailleurs, qui ne l’empêche pas de monter en chaire, où sa gorge, au moment de prendre la parole, se resserre, ses muscles thoraciques s’immobilisent, des spasmes l’envahissent comme s’il allait être privé tout à coup de mouvements, paroxysmes, qui s’évanouissent dès qu’il a pris contact avec son auditoire, pour faire place à l’euphorie, à l’excitation intellectuelle épicritiques de l’état d’angoisse. Il qualifie lui-même tout cela d’« obsession ». Cependant l’affection progresse pour entrer dans sa phase d’état. Nous sommes en 1639. Le malade est devenu apathique, sa faiblesse extrême lui interdit de marcher, de parler, d’écrire, d’effectuer un seul mouvement. Il rappellera fort opportunément qu’à l’époque de Loudun, lorsque Mlle de Belciel l’incendiait d’obscénités, il était tourmenté de jour et de nuit, par des tentations qu’il qualifiera d’horribles, où il voyait, en esprit, le diable Léviathan « sous la figure de la plus belle, mais de la plus lascive créature… Je me trouvais non seulement troublé dans le sens naturel, avec des emportements qui me rendaient méprisable, mais je paraissais comme un homme possédé, contre la forme que doit avoir un prêtre, un religieux ». Très prostré, il passe par une phase subaiguë, au cours de laquelle il demeure huit mois entiers sans pouvoir proférer un mot. Il en sortira si faible qu’il ne pourra plus écrire une ligne jusqu’à la fin de sa maladie. Toutefois, il recouvre rapidement la parole un jour qu’à Lyon, à l’occasion d’un pèlerinage, il se rencontre avec Mlle de Belciel. Mais le mutisme le reprend dès son retour à Bordeaux. Il reste alors abattu, sans courage, larmoyant, anxieux et « dans un état pitoyable et effroyable en même temps ».

Bientôt s’impose à lui l’assurance qu’il est damné à cause de ses « furieuses tentations passées et présentes », et qu’il n’a plus rien à attendre pour son salut. Il tomble alors « dans le précipice du désespoir », malgré les assurances, les encouragements de ses [p. 31] confrères, dont il surprend le mépris dans les propos bienveillants qu’ils lui tiennent : « Toutes les portes étaient fermées par moi à la paix et à la joie. » Il est nécessaire de l’isoler. Et on le conduit sous la surveillance d’un confrère à St-Marcaire à sept lieues de Bordeaux. Mais l’ignorance, l’incompétence, l’imprévoyance de ceux qui s’emploient, au mieux, à aider son retour à la santé l’enferment dans l’infirmerie d’une maison bâtie très haut sur un rocher, et dont la fenêtre s’ouvre sur la Garonne. – « J’y passais quelques jours dans une désolation aussi grande que j’eusse jamais éprouvée de ma vie, parce que j’étais toujours dans la conviction de ma réprobation. Cet état sert tellement de rempart aux objets affreux ! Mais on m’a fait publiquement le reproche d’être un vrai fou. Persuadé de ma damnation, je fus attaqué d’une forte suggestion de me jeter par la fenêtre de ma chambre. Cette pensée me venait d’une façon affreuse. Un jour que je rentrais chez moi, je vis la fenêtre ouverte, mais je me retirais ayant vu le précipice devant moi. Je perdis connaissance et, soudain, comme si j’eusse dormi, sans aucune vue de ce que je faisais, je fus élancé vers cette fenêtre et jeté à trente pas de la muraille jusqu’au bord de la rivière, mon bonnet quarré en tête, mes pantoufles aux pieds, et ma robe sur le dos. Le dire est commun que je tombais sur les roches, et que de là je fis un saut jusqu’au bord de la rivière, contre un petit saule qui empêcha que je tombasse à l’eau. Mais je me cassais l’os de la cuisse tout en haut. Il y avait un de nos pères dans la galerie. Il a rapporté que je tombai tout à coup sur le bord de l’eau et ne heurtai point contre la roche. » Ramassé par un paysan et emporté dans la maison, il demeura 24 heures sans connaissance. Il finit par revenir à lui alors que tous s’attendent à lui voir rendre le dernier soupir. – On le mène à Bordeaux où il garde le lit jusqu’à guérison de sa fracture du col fémoral, qui lui laissera une boiterie définitive et l’obligation de se servir désormais d’une canne. Mais cette poussée au suicide se renouvelle pendant des années sous forme d’obsessions répétées de se donner la mort : « La tentative de me tuer était si continuelle, qu’il n’y avait ni lieu ni occasion où mon âme ne fut réduite comme à l’extrémité. Je croyais que c’en était fait de mon salut pour l’éternité, et ma raison était tellement obscurcie qu’il me semblait que c’était Dieu même qui me commandait de me tuer. Tout ce que je faisais m’apparaissait mal, surtout les bonnes actions. Aussi je ne voyais jamais une fenêtre sans avoir l’envie quatre ou cinq fois pour me jeter dedans, et lorsque j’allais vers la rivière, je prenais toujours la pente pour m’y précipiter. Dans ma chambre, je songeais à m’aller me jeter par la fenêtre afin que la justice de Dieu fut satisfaite. J’aurais voulu que mon corps fut trouvé sur le pavé. Pendant la nuit j’allais chercher des couteaux pour me les enfoncer dans la gorge. Plus de cent fois j’étais à la sacristie pour me pendre derrière le tabernacle, et ma joie était qu’on me vit ainsi pendu. Et, pourtant, ce [p. 32] penchant se combinait avec le besoin de servir Dieu, ce qui ne diminuait pas ma croyance de me savoir damné. » Il considère tout dans le sens de ses sentiments d’auto-réprobation, et il entend dans les sermons ou trouve dans ses livres pieux la confirmation de ses idées de damnation. Il souffre en même temps d’ « une étrange peine, d’une manière si naturelle », dit-il, « qu’il semblait qu’elle vient de moi ». C’étaient des pulsions obsédantes d’outrager la divinité, la sensation angoissante pour ce religieux d’être porté à la haïr, à la jalouser : « j’éprouvais une rage incroyable de ce que l’heureux sort de l’union divine de Jésus-Christ n’était pas tombé sur moi ». Il interprète les attitudes de ceux qui l’entourent, il y voit « des choses étranges qui paraissaient des signes manifestes d’obsession » à cause des sentiments haineux qui se lèvent en lui, contre son gré, à l’égard de Dieu, et qui font de lui, dit-il, « une peste parmi les autres religieux ». Une fois guéri, il reconnaîtra que tout lui venait, en réalité, de son imagination, « dont je n’en étais pas le maître », qu’il était tenaillé par une incessante impulsion « à blesser le ciel, à susciter des démons à des malades à l’agonie, lorsqu’ils reçoivent les derniers sacrements, à se donner à l’ « hérésie de Calvin », touchant la présence réelle, à se faire le porte-parole du manichéisme, dont les arguments, sous leur aspect favorable, se pressaient en foule dans son esprit. Et puis « pendant plus de vingt ans », il sera en butte à des offensives d’impureté inconcevable, autrement plus terribles qu’à Loudun, car, cette fois, il lui vient « des représentations naturelles » et la tentation « prend une telle force » qu’elle va « jusqu’à la fureur » et lui fait évoquer « des idées et des impressions que lui avaient données sa jeunesse ».

Les troubles s’accentuent au point de lui « engourdir l’activité végétative ; j’en vins aux termes de ne pouvoir marcher, ni me soutenir, ni m’habiller, ni remuer, non pas même pour porter le morceau à la bouche ».

Il s’efforce de lutter, de ne pas se laisser abattre, malgré l’abandon du Ciel. Mais son agitation insupporte tellement son entourage, que le père affecté par la Communauté à son service, lui assène sur ‘la tête, dans son impatience, des volées d’un gros bâton, ou lui martèle le visage de coups de poing, ses confrères le moquent et le traitent de fou et l’un d’eux lui administre, en guise de sismothérapie, un violent soufflet. Ces mauvais traitements, il les accepte avec délices, comme le juste prix de son indignité.

A nouveau sa pensée se dédouble, il est avec Dieu en même temps qu’avec le Démon. Des hallucinations visuelles lui surviennent : il aperçoit nettement Jésus-Christ en l’air. « Je vis sa taille, son visage, son habit. Son visage était en colère. Je le vis une autre fois dans une église ; je le vis auprès de moi à la hauteur d’une pique qui me menaçait, le visage en colère, comme si j’eusse été un démon. Cet état m’a duré près de vingt jours et [p. 33] nuits avec des angoisses effroyables, excepté quelques heures que la nature accablée dérobait pour son sommeil. » L’asthénie s’affirme chez lui tenace, ainsi que son impuissance de mouvement qui l’empêche, par exemple, de se lever, se tenir debout, de décrocher du mur sa soutane. Tout ceci reste incompris des autres pères qui, souvent, ne voient en lui qu’un comédien. Le père ministre (celui qui s’occupe chez les jésuites de l’économat), l’abandonne, le ficelle sur un lit à cause de ses menaces de mettre le feu, l’enferme dans une cellule barricadée au verrou poussé.

Ainsi s’écoulent des années avec des alternatives diverses jusqu’au jour où un confrère, le Recteur de Saintes, qui s’était toujours montré affectueux et compréhensif à son égard, s’en charge personnellement et l’emmène dans son collège : « La charité de ce bon père dilatèrent mon esprit et un peu ma poitrine », dit-il, « j’y pris ensuite plus de forces corporelles par la bonne nourriture ; mon respir devint plus ample, car j’ai été plus de dix ans sans avoir de respir par le diaphragme. » Le médecin qui le confirme dans son diagnostic en l’instruisant « des soixante muscles du corps humain affectés à la fonction respiratoire », lui fait connaître que son asthme est dû vraisemblablement à leur spasme. Malheureusement, sa dépression morale et surtout ses idées de damnation, ses auto-accusations ne cessent de s’intensifier lors de son départ de Saintes, surtout quand il se retrouve à Bordeaux dans l’ambiance d’antan. Il a encore la chance d’y rencontrer un confrère intuitif qui, en empirique de la psychothérapie, lui tient le langage qu’il faut. Il devient alors « semblable à un prisonnier qu’on a tiré d’un cachot pour lui faire voir le jour, ou à un homme qui, ayant été enfermé plusieurs années dans une chambre noire et affreuse, apercevait enfin la lumière ». C’est à ce moment qu’il peut dicter son « Catéchisme Spirituel », ouvrage de deux cents chapitres, puis ses « Dialogues Spirituels ». Et il n’avait pas écrit une ligne depuis 18 ans. Il est pourtant loin d’être complètement remis. Si l’idéation se fait mieux chez lui, il demeure encore assailli de préoccupations auto-accusatrices et auto-punitives « qui se manifestent avec alternatives, avec une succession de bien et. de mal, de joie et de tristesse, d’angoisse et de soulagement ».

Enfin le calme, la sérénité se dessinent en même temps qu’une reprise graduelle de ses forces, de sorte qu’il n’est plus besoin dorénavant de le porter de sa cellule dans la salle à manger. Il peut se lever, aller au jardin, descendre un perron de six marches, le remonter. Il entreprend un matin de célébrer sa messe non sans s’être inquiété si après tant d’années d’interruption il serait capable de s’en rappeler le cérémonial. Ce jour-là, il a pu se déshabiller, chose qu’il n’avait faite depuis le début de sa maladie.

De ses causes, il ne paraît pas en avoir le discernement exact. Sans toutefois y voir une relation avec l’origine de ses troubles, il insiste beaucoup sur le choc qu’il ressentit, lorsqu’il reçut de son [p. 3] provincial l’obédience de suspendre immédiatement son activité auprès de la Prieure et de quitter Loudun. Quant à ses véritables sentiments à l’égard de cette femme, il ne semble pas non plus en avoir mesuré la valeur. Mais on constatera que son nom revient à chaque instant sous sa plume quand il donne le détail de ses souffrances. Et l’on peut imaginer qu’elle a dû, suivant un mode connu, faire le nécessaire pour éveiller chez ce prêtre des intérêts érotiques. Elle y est certes parvenue, mais assurément à l’insu de sa victime dont les écrits restent muets sur ce point. Ce mystique, qui interprétait tout dans un sens surnaturel, et dont l’illuminisme avait amenuisé la clairvoyance, n’a jamais vu dans les assauts que lui livrait sans répit, et avec quelle puissance offensive, l’instinct exacerbé, que des déchaînements de luxure spécialement intentés à son endroit par l’Enfer. Les contre-attaques qu’il n’a cessé de leur opposer, n’ont pas eu comme résultats des dépassements en sublimation, mais se sont soldées par des détériorations dans l’ensemble de sa psychicité, dont la cause efficiente a son origine dans sa participation au tumulte névrotique de la rue Paquin. Cependant le vent de folie qui soufflait chez les Ursulines n’avait-il pas allumé déjà des brandons psychogènes chez deux autres exorcistes, dont l’un succombait, comme on l’a dit plus haut, dans le délire aigu en 1634 et l’autre en 1638 à la suite d’un processus plus torpide.

Avant d’engager une recherche génétique, il convient de réunir en un tableau synthétique toutes les informations que vient de nous tenir le malade lui-même. De son anamnèse nous ne savons guère plus que ce que nous fournissent d’habitude dans notre pratique quotidienne nos malades et leur famille. Une sœur serait morte en bas âge, l’autre devenue religieuse aurait eu, nous l’avons vu, des visions. La mère devait être bien dévote, puisqu’elle a fini ses jours après son veuvage chez les carmélites. Il est vrai que cet indice, qui garde ici sa valeur, n’a pas toujours une signification décisive, puisque tant de personnes âgées de religiosité quelconque, cherchent souvent pour leurs vieux jours un refuge commode dans un couvent.

C’est le lieu maintenant de souligner qu’un tempérament dévotionneux, même s’il n’est pas une manière de déséquilibre, . une expression, sous couvert de piétisme extravagant, de propensions violemment libidinales, reste susceptible d’expliquer le pourquoi d’une thématisation délirante à contenu mystique. Or, nous connaissons de par sa biographie l’ampleur des dispositions religieuses que devait mûrir Jean-Joseph Surin dans son enfance et son adolescence. Nous avons aussi le droit de lui soupçonner cette simultanéité qui n’est pas exceptionnelle de tendances piétistes et libidinales, et dont la constance dans les vésanies à thème religieux où s’intriquent si fortement philothéisme extravagant et lubricité, indiquerait une communauté originaire de ces deux sentiments qui en bonne logique s’excluent. Surin ne se fait [p. 35] d’ailleurs pas faute de mettre l’accent sur ses juvéniles impétuosités, lorsqu’il en compare la substance, à celle que lui a imposée l’érotisme de sa vésanie. Et la façon dont il en parle, nous fait croire qu’elles n’étaient pas médiocres.

Le jeune Grandier reçut certes, et des mêmes maîtres, une semblable éducation. Mais chez lui les censures devaient être commandées par des impératifs moins répressifs. Aussi s’épargna-t-il des conflits vulnérants avec ces potentialités instinctuelles communes à tout individu. Chez le père Surin, par contre, un rigoureux surmoi a dressé un barrage victorieux, mais au prix de quels dommages, à des ruées charnelles, invigorées sans cesse par de fâcheuses promiscuités. Les forces répressives, qui ne se confondent pas, on le sait, avec celles du refoulement freudien, lequel est inconscient et d’époque archaïque, suffisent à l’homme délibérément voué à l’ascèse, pour contenir dans un équilibre permanent et sans suites dommageables tout au moins conscientes, les poussées libidinales. En maintiennent la preuve nombre de personnes chez lesquelles la continence n’a pas besoin, pour y persévérer, d’une impossibilité matérielle, d’une claustration, d’impératifs d’ordre religieux, mais pour laquelle suffit une détermination obstinée. Celle que l’on a observée, par exemple, chez certains clercs devenus agnostiques qui, tout en ayant rompu avec l’Eglise,

restent soucieux (28) de se perpétuer orgueilleusement dans la continence de leur sous-diaconat, où leur foi, définitivement abolie, les avait naguère engagés.

Il arrive cependant que sous diverses influences ces forces finissent par céder, au moins par instants, obligeant ainsi à des concessions sur des modes parfois irréguliers d’assouvissement. Les suites de ces occurrences ne dépassent pas, d’ordinaire, le stade d’un simple remords pénitentiel. Mais si l’afflux d’auto-réprobation déborde, à cause de sa virulente impétuosité, les barrages, il risquera d’instituer des perturbations infra-consciencielles, dont le résultat sera, après un long travail souterrain, ou bien un complexus purement névrotique, dont la phobie du propre corps et la compulsion de le désouiller (29) sont les expressions les plus communes, ou bien, et c’est ce qui est advenu au père Surin, qui n’a pas été sans payer en même temps une contribution à la symptomatologie névrotique, un processus proprement psychotique, celui de sa mélancolie chronique.

Chez celui-ci, l’acharnement des luttes a dû être moins violent, au cours des jeunes années, comme il est de règle d’ailleurs [p. 36] à cette époque de la vie où les incendies de la chair n’ont pas, en effet, pour les attiser, la « folle du logis » de l’âge mûr. Car si, au cours du juvenat ou du noviciat, son exaltation avait marqué, il aurait été rapidement écarté de la Compagnie où il postulait. On devait au contraire, l’y apprécier et le considérer comme capable d’en imposer par sa rigidité, son autorité, sa valeur. N’oublions pas qu’il fut placé par ses supérieurs en tête de liste de ses confrères les plus remarquables dans la prédication. Mais n’y eut-il pas aussi des raisons qui firent hésiter à sa désignation pour aider à l’expulsion des diables ?

Arrivé rue Paquin, il est accaparé par Mlle de Belciel, qui fait mine tout d’abord de vouloir l’écarter. Pourtant, il ne tarde pas à faire d’elle l’objet exclusif de sa mission, au point que la continuité de leur tête-à-tête entraîne de malencontreux commérages. Aussi n’est-il pas impossible que cette intimité ait été la cause de son rappel, le Provincial de Guyenne, Arnaud de Boyre, ayant eu vent que cette Jeanne des Anges était pour son subordonné tout le contraire d’un ange gardien. Ce n’est qu’une supposition. Aussi aimerions-nous connaître, dans leur contexte, les raisons qui ont été à l’origine de cette mesure. Mais l’ange eut vite raison du Provincial, en dissimulant sous de tapageuses extravagances un ardent besoin de retrouver son exorciste. Peut-être aussi qu’à l’instar de Paphnuce, vis-à-vis de Thaïs possédée à Alexandrie par le péché, le père Surin se consumait-il, loin de Loudun, en ardeur combative contre les fidéicommis du luxurieux Isaacaron ? Toujours est-il qu’il réussit à obtenir son retour et même, plus tard, malgré de sagaces résistances, l’autorisation d’un voyage avec cette Jeanne des Anges en Savoie, qui sera suivi encore, et en pleine maladie, d’une nouvelle rencontre à Lyon. Mais déjà, lors du premier séjour à Loudun, les troubles initiaux commençaient à se faire jour, il est vrai, seulement sous des formes névrotiques, avec des coenestopathies, des crises d’amblyopie et d’asthme, des parésies dans un membre, et qui ont été suivies, d’une façon insensible et progressive, de symptômes mélancoliques, sous les espèces tout d’abord de la stupeur.

Cette « hemüng » n’aurait pas altéré, si nous l’en croyons, son contact avec le monde, puisqu’il lui arrive de proférer des auto-accusations relatives au péché de chair et des sollicitations auto-punitives de damnation à laquelle il se proclame immanquablement voué. Il investit de mépris sa personne, il se poursuit de sa haine à cause de l’exclusivité de son attention au « vénérique », en même temps que se lèvent en lui, forcenées et d’une façon subintrante. des pulsions de. se détruire, ces instincts de mort comme la psychanalyse les dénomme, et contre lesquels se dressent. d’une façon dérisoire. les dictats religieux à l’égard du suicide. Tant il est vrai que le rationnel, [p. 37] la logique de la mentalité normale, n’est pas ce qui règle les conflits sur le plan du psychopathologique.

Pourtant, si le père Surin s’est un jour défénestré, c’est qu’il a été poussé, comme il l’explique rétrospectivement, par une injonction intérieure, irrésistible, à laquelle il n’avait aucune part, qu’il a ressentie comme étrangère à sa personne et qui n’a cessé de se renouveler en lui. Aussi, ses confrères, pour lui éviter la récidive, ont-ils eu à prendre contre lui des mesures de protection en le claustrant, en le chargeant de liens. Mais la précarité progressive de son état général, la survenue de troubles carentiels liés sans doute à sa sitiophobie n’ont pu qu’aggraver chez lui l’amyosthénie, les troubles trophiques, secrétoires, caloriques, circulatoires, l’anoxémie si habituels dans les processus mélancoliques de longue durée. C’est à eux sans doute que sont attribuables les phases oniriques qu’a traversées le malade, avec leur accompagnement habituel d’hallucinations visuelles, d’illusions optiques à contenu, comme il se devait, mystique. Ces passes d’onirisme, interprétées comme des effets de l’autotoxémie, peuvent dépendre aussi bien de processus confuso-mélancoliques par concentration paroxystique sur le moi angoissé, lors de ces phases transitoires d’hébétude stuporeuse si fréquentes au cours de la mélancolie. Mais lorsque le père Surin nous répète, après coup, qu’il n’a jamais cessé, aux pires moments, de garder sa pleine lucidité, nous pouvons être certains qu’il s’illusionne, comme tant d’autres mélancoliques qui n’ont pas été en mesure de mémorer leurs discontinuités de conscience, parce qu’ils ne les ont pas appréhendées pendant les états confusionnels, si courts qu’ils aient été. Et le souvenir qu’il a retenu de ses impressions de dédoublement de sa personne et de puissance sur la volonté d’autrui, se ressent tellement de l’obnubilation, au moment de leur enregistrement mnésique, qu’il n’a pas cru, lorsqu’il a rédigé ses souvenirs, avoir été le jouet de phénomènes pathologiques, et c’est pourquoi il les donne comme une réalité vécue, à la façon des idées fixes post-oniriques.

Une vue d’ensemble sur l’histoire pathologique du père Surin permet de vérifier qu’elle a pris fin sur une symptômatologie spécifiquement névrotique de pulsions ambivalentes, d’attirances et d’horreurs, d’outrages à la Divinité et d’adorations, de complaisances pour des hérésies en même temps que leur détestation, et que les troubles liminaires qui l’ont marquée à leur début étaient spécifiquement du type neurasthénique que Freud qualifie de névrose actuelle… L’asthénie, d’après les notes autobiographiques précitées, s’était déjà manifestée avant le départ pour Loudun, lorsque le prêtre se trouvait encore à Marennes. La pénitente qu’il y dirigeait, Madeleine Boinet, huguenote convertie, passée par ses soins au mysticisme, à l’admiration dévote de sa personne, ne lui avait-elle pas fait remarquer [p. 38] à ce moment déjà, combien il était faible, et le danger auquel allaient l’exposer des luttes difficiles dans un Cloître de nonnes. Elle n’ignorait peut-être pas les embûches semées sur les chemins de la spiritualité lorsqu’ils sont encombrés de dévotes (30). Car leur fréquentation continue, si haut se soient-elles haussées dans la vie illuminative (31), n’est pas toujours sans risque pour le sacerdoce. Le quiétisme (32) dont Fénelon a été infusé n’a pas été pour lui une source de sérénité. Et plus près de nous, le psychiatre-bénédictin Dom Sauton (33) n’a-t-il pas gémi des effets funestes pour lui et plusieurs de ses confrères, de l’activité de moniales, surabondamment zélatrices de 1’ « Oraison », mais dont le couvent était trop proche du sien. Je n’aurai garde d’enfler démesurément ce propos en faisant allusion à ces légions d’amoureuses de prêtres (34) contre lesquelles ceux-ci ont trop-souvent à se débattre et qui, perfidement camouflées sous la marque de pécheresses repenties, assaillent leur célibat de confidences évocatrices.

Tant que le père Surin partage entre Bordeaux, Marennes, Saujon son activité de prédicateur, il n’a à souffrir· que de sa fatigabilité, de son impressionnabilité. Il conserve malgré tout [p. 39] sa grande activité, sa puissance intellectuelle, sa facilité extrême de parole. Il reste l’orateur capable d’improviser sur l’heure, et de donner sans préparation aucune, dès qu’il en est requis, des sermons qui n’ont jamais cessé de grouper autour de sa chaire, nous répète-t-il, des flots d’auditeurs.

Ce n’est qu’après sa rencontre avec Mlle de Belciel que ses difficultés avec la santé prennent l’ampleur que nous savons, et s’intensifient en maladie durant tant d’années après le retour de Bordeaux, que finalement, l’isolement, le repos, la présence d’un généreux confrère réduisent de plus en plus, en même, temps que se désagrègent de sa croyance, qui reste ferme, et se décantent pour ainsi dire, les éléments de son délire mystique. Ceux-ci n’apparaîtront plus désormais dans le souvenir de l’homme guéri que comme des représentations périmées d’irréel, ainsi qu’il en est pour le rêve mémoré à l’état de veille et qui ne saurait se confondre avec un passé vécu. Cette résorption de la pensée vésanique chez le père Surin, qui a laissé dans son intégrité le dispositif de sa foi, confirme l’antinomie qui existe entre la croyance religieuse et le délire religieux, sur laquelle j’ai insisté ailleurs (35), et apporte encore une, fois la démonstration catégorique d’une impossibilité d’apparentement entre le délire et la croyance.

Dans le cas du père Surin, le matériel de la vésanie a été assurément fourni par sa dogmatique. Les enseignements de sa foi se sont amalgamés avec ses auto-accusations délirantes qui puisaient dans sa science religieuse, au même titre d’ailleurs que tant de paraphréniques qui empruntent pour leurs délires à leurs connaissances techniques. Il en était ainsi par exemple chez ce fabricant de postes de radio que j’observais récemment, et qui dosait ses auditions hallucinatoires en ondes de tant et tant de mètres, ou en amplifications de tel ou tel volume comme si ses interlocuteurs invisibles tournaient le bouton correspondant de leurs appareils. Et il y a les mêmes relations entre la propension au piétisme et la psychopathie qu’entre la puissance artistique et les réalisations d’un artiste devenu vésanique. L’épileptoïdie de Van Gogh a pu, sans doute, influer des modalités de sa peinture, mais son génie pictural ne lui doit rien. Sa constitution morbide n’a été chez lui qu’un pur accident et ce n’est pas à elle qu’est redevable l’originalité de son dessin, de ses formes, de son coloris.

Pendant les neuf années que vécut encore le père Surin, son entourage n’a cessé de le considérer comme revenu à l’état normal. Seule subsistait chez lui la boiterie que lui a laissée sa tentative de suicide.

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[p. 40]

IV. — LE POINT DE VUE GENETIQUE
DE LA PSYCHOPATHIE DU PERE SURIN

La lecture de cette observation ne laisse donc aucun doute sur l’origine du délire typiquement mélancolique qui a atteint cet homme à 35 ans. Ne dit-il pas lui-même, en effet, qu’il jouissait, tant que se poursuivait la Possession : « d’une vigueur d’esprit et d’une joie extraordinaire qui m’aidait à porter cette charge, mais encore avec plaisir et dans une paix très profonde, je sentis depuis (la cessation de la diablerie) mes puissances tellement liées qu’il m’était impossible de m’appliquer à aucune lecture ni écriture… Après la délivrance de la Mère prieure (Mlle de Belciel), je fus rappelé de Loudun, et envoyé à Bordeaux pour prêcher ; et voulant m’y disposer, je n’en pouvais venir à bout ». A noter pourtant, comme je l’ai déjà souligné, que les troubles semblent s’annoncer chez le père Surin en 1634, au moment de son arrivée à Loudun pour prendre de plus en plus d’ampleur au long de sa fréquentation assidue de Mlle de Belciel, jusqu’à leur complet épanouissement en 1638, qui coïncide avec son éloignement définitif de la prieure.

Ce serait donc forcer l’histoire que de ne voir que du fortuit dans ce parallélisme de survenues. Mais une question qui pourrait alors se poser est celle d’une relation de causalité directe entre la diablerie loudunoise et la démonopathie du père Surin, autrement dit, un fait de contamination délirante, de psychose collective, partie de chez Mlle de Belciel et communiquée ensuite par elle à ses compagnes, à deux des exorcistes et finalement au père Surin lui-même.

De la maladie de ses deux collègues exorcistes, les pères Lactance et Tranquille, nous ne savons à peu près rien, faute de documents. Mais nous possédons, grâce à lui, les éléments suffisants pour établir le diagnostic différentiel de sa mélancolie délirante d’avec un délire quelconque de possession. Quand ce religieux accuse les démons d’être les instaurateurs des tourments qu’il a soufferts et dont il ne méconnaît nullement la nature morbide, il ne fait pas autre chose, en somme, que parler la même langue que le clerc majeur qui, chaque soir aux complies, relit la mise en garde de la « Prima Petri » (36), à propos de son adversaire, le diable, qui circule à ses côtés « tanquam

leo rugiens quaerens quem devoret ». Il ne délire pas là. Il exprime simplement une croyance en communion avec l’univers chrétien, partagée d’ailleurs par le paganisme du monde antique (37). [p. 41]

Ainsi l’idée par trop facile que le père Surin n’a fait que contracter la psychopathie de religieuses qui déliraient de concert, dans un foyer de folie collective, ne mérite pas qu’on s’y attarde.

Cet homme a été atteint en réalité de mélancolie réactive, comme le démontre, d’une façon péremptoire, l’histoire de sa maladie. Dénommée souvent « psychogène » dans la terminologie germanique, elle n’a assurément rien de commun, du point de vue nosologique, avec la mélancolie paroxystique des psychoses périodiques, malgré l’univocité de leur symptomatologie. Il en est là comme pour toutes les syndromies qualifiées d’essentielles, ou de symptomatiques.

Et parmi les mélancolies réactives ou affectives, il en est d’aiguës et de chroniques. C’est à cette dernière catégorie qu’appartient celle du père Surin. Comme tous les processus chroniques, elle s’est installée à bas bruit, a suivi un cours très long pour s’atténuer, et heureusement guérir, ce qui n’est d’ailleurs pas la règle. C’est uniquement la persistance de sa durée qui la caractérise, et non son phénoménisme qui est celui de tous les états mélancoliques, dont la disparité de nature a résisté à toutes les vélléités doctrinaires d’unification. Les processus mélancoliques chroniques s’opposent aux psychopathies dépressives périodiques ou symptomatiques, comme les états maniaques à évolution indéfinie, groupés par Kraepelin sous le nom de paraphrénie expansive, s’opposent aux paroxysmes récidivants ou symptomatiques de la manie. Car, en dépit, je le répète, de leur analogie clinique, ils diffèrent par leur modalité évolutive, leur aboutissant lequel en modifie singulièrement le pronostic et les indications thérapeutiques. La chronicité des paraphrénies expansives, ainsi que de celles que l’on pourrait aussi bien qualifier de dépressives, fait qu’on les englobe, pour la pratique, avec tant de formes psychotiques définitivement stabilisées au long des années et que l’on considère, parfacilité d’esprit, comme de vieux laissés pour compte de la schizophrénie.

Aussi n’est-ce pas sans raison que le psychiatre de Munich a cru devoir distraire du groupe démesurément grossi de sa démence précoce, ces paraphrénies dont le caractère commun réside essentiellement, en dépit de leur stabilisation définitive après un long parcours, dans la conservation jusqu’à la fin, de l’unité de la personne, de l’intégrité du moi, à l’inverse en somme de la discordance, de l’autisme, de la dissociation. Le père Surin a été, dans ce sens, un paraphrénique, à cause du maintien, chez lui, de la conscience. N’a-t-il pas souvent rappelé [p. 42] que sous le dehors d’une totale torpidité, d’une immobilité stuporeuse et muette, il gardait un contact, à sens unique assurément, avec l’ambiance ? Il s’illusionne peut-être à distance, je l’ai déjà dit, dans sa relation d’un passé qui était pour lui lointain lorsqu’il écrivait. Sans doute a-t-il traversé des phases confuso-mélancoliques, et il est fort possible que le récit de sa défénestration, accomplie peut-être dans l’inconscience d’un raptus, ne soit qu’un écho de ce qui lui en a été dit, bien qu’il se donne, sans hésiter, comme ayant obéi dans la pleine conscience, à une impérieuse injonction de se détruire, dont il sentait qu’il n’était pas maître, et qui s’est fréquemment renouvelée.

Les motivations d’une telle aversion de soi, de rigueurs auto-agressives aussi pressantes, apparaissent de prime abord aisément explicables par la logique, et à l’aide de comparaisons avec les causalités habituelles de nos sentiments. Et c’est ainsi que la tristesse, le chagrin, le remords, l’anxiété de l’état mélancolique semblent n’offrir aucune différence appréciable avec la traduction d’une très grande peine. Pourtant, le processus proprement mélancolique, celui qui suit par exemple un deuil, n’a rien de commun avec l’expression des sentiments malheureux qu’il soulève communément, non pas seulement parce qu’il les dépasse en ampleur et en durée, mais parce que la dépression morale, si normale après le décès d’un être cher, peut se muer, à la suite d’un travail endopsychologique, dont D. Lagache nous a détaillé récemment le mécanisme, en explosion maniaque. C’est dire que la mélancolie réactive, affective, psychogène suivant les terminologies, peut être introduite par un traumatisme affectif. Dans ces cas, il aura provoqué une désintégration, d’un ordre très spécial, de la psychicité, dont les manifestations extérieures ne sont pas sensiblement différentes d’une profonde douleur morale. Chez le père Surin, l’atteinte gravative de ses assises mentales doit s’interpréter comme une rançon de conflits entre son ascétisme et les dictats instinctuels mis en train par sa cohabitation morale avec une succession de philothées, dont malheureusement la grande psychopathe de la rue Paquin. Celle-ci, en. étalant devant lui, de concert avec ses compagnes qu’elle avait contaminées, ses dévergondages de lascivités sous couvert de diables dont elle s’imposait comme truchement, a abouti à diriger sur elle-même, « les transferts » qu’elle avait suscités chez l’infortuné religieux auquel une censure, dissimulée mais vigilante, a évité des levées affectives par trop reconnaissables, au prix d’une ruée de sollicitations obscènes, si aisément attribuables à l’œuvre démoniaque.

Mais la permanence de ses efforts pour contenir l’amplification incessante d’instances libidinales, les successions d’échecs et d’acquiescements avec leurs repercussivités somatiques lorsque l’imprécation vespérale du « ne polluantur eorpora » a fait faillite [p. 43] à cause de présences néfastes, ont fini par rompre, puisqu’il n’y avait victoire nulle part, les barrages biologiques de sauvegarde dans les appareillages endopsychiques de contrôle et d’inhibition. Il s’en est suivi un retrait du monde où le malade « ne cessait de se cogner à tous les coins », une rentrée en lui-même sous la modalité mélancolique, si différente de celle qui règle l’état schizophrène. Alors est intervenu chez lui un débordement de haine contre soi, contre tout ce qui était sa raison d’être, contre son idéal, contre sa foi, contre la divinité, alliée à la conscience de sa dégradation, mais qui laissera subsister,  malgré, tout, des forces de dépassement. Celles-ci feront que le malade aime en même temps qu’il hait le même objet. Conduites ambivalentielles, sur lesquelles le père Surin a souvent mis l’accent, et qu’explicite si exactement cette simultanéité de ses hantises de damnation avec ses propensions au suicide, lesquelles, d’après sa croyance, la lui procure immanquablement. Cette incessante poussée vers la mort qui a pris chez lui-la forme compulsionnelle et que la psychanalyse entend comme une surrection d’« instincts de mort », devient parfois tellement aiguë qu’elle a donné lieu, peut-être dans un paroxysme confuso-mélancolique, à un raptus qui aurait été suivi de bien d’autres si la vigilance de ses confrères n’y avait pris garde.

Une fois mise en train, la maladie n’a fait que se continuer, malgré la disparition de l’agent causal. Et la tristesse d’avoir tout perdu, c’est-à-dire son salut, le chagrin relatif aux abandons passés et peut-être aussi présents étant donné la constance chez lui des évocations charnelles alliées à l’anxiété d’un inévitable châtiment, ne sont que les explosions à l’air libre de mines, dont l’agencement à bas bruit, la mise en position, ne s’étaient naguère manifestés que par une psychasthénie et des cénestopathies annonciatrices. C’est sans doute à l’action de phénomènes carentiels connexes, liés à la sitiophobie, que sont dues les hallucinations visuelles dont le malade a reconnu finalement la nature pathologique, au lieu de continuer à les tenir, en mystique, pour des apparitions surnaturelles.

Ce fut un processus sévère. Comme il en est dans les paraphrénies, il n’avait opéré ses dévastations, chez le père Surin que, dans les bas-fonds de son édifice psychologique. Elles n’ont pas été irrémédiables. Ce qui indique que l’action pathologique n’avait provoqué que des symptômes de superstructure, celles que Jackson a dénommées positives, plus labiles, certes, que les symptômes privatifs des abolitions définitives. La preuve que cette restitution était devenue formelle réside dans la pertinence avec laquelle le père Surin a fait sa recollection des mauvais jours.

Des guérisons de cette sorte ne sont pas, on le sait, exceptionnelles. Elles se constatent chez de vieux malades d’asile conservés à l’établissement jusqu’à l’extinction de leurs jours pour des raisons d’assistance, et dont la lucidité, l’accessibilité, le mutisme du moment à l’égard de leurs préoccupations de naguère, [p. 44] font un saisissant contraste avec l’incohérence, l’hostilité, les récriminations consignées dans les plus vieilles notes de leur observation médicale.

Mais dans cette histoire clinique l’intérêt se tourne surtout vers ses causalités psychiques. Les théoriciens de la psychiatrie ont depuis longtemps délaissé la nosologie pour la psycho-pathogénèse, et l’on sait les courants qu’elle a suscités. Il est vrai qu’on a refusé l’existence à la causalité strictement psychogène (38). Elle paraît pourtant indéniable. Elle reste inscrite dans les faits, malgré tous les essais de transposition pour des intérêts de pure métaphysique, à laquelle ceux qui s’activent à rompre le plus de lances contre les mythes, ne cessent de faire un incessant appel.

Un point semble acquis aux cliniciens, c’est qu’un certain nombre de processus névrotiques et psychotiques sont intentés et entretenus par des causalités psycho-traumatisantes, dont la découverte s’avère parfois difficultueuse et l’indiscutabilité pas toujours aisée à établir. C’est tantôt un milieu familial, en apparence excellent, mais qui ne cessera de soulever des sentiments d’hostilité qu’il importe d’inventorier par une recherche parfois en profondeur, ou bien c’est la conjugalité dont la permanence est devenue, d’une façon inavouée, intolérable à l’un des membres de la communauté, surtout à l’épouse qui n’a pas les mêmes possibilités d’évasion, tout au moins morales, c’est l’astreinte, de plus en plus mal supportée, à un certain entourage dans un clan social, c’est la pesée incessante et térébrante d’impératifs contraires et de haut dynamisme.

J’ai naguère recherché avec mon élève Linck (39) les sources d’un état mélancolique délirant qui, après de courtes restitutions, s’est transformé en une psychopathie chronique du même type que celle du père Surin. Il s’agissait, je le rappelle, d’un ancien séminariste ayant naguère des apparences d’un parfait équilibre, qui, en même temps qu’il s’était de toute sa juvénile ardeur voué à la cléricature, se trouvait aux prises avec une violente libidinosité, ce qui le conduisit, sur le conseil de ses directeurs religieux, à se marier. Il délaissa donc sa soutane et, utilisant un diplôme de licence de lettres, il entra dans l’enseignement conjointement avec sa femme, pourvue du même grade universitaire. Mais déjà, dès les fiançailles, qu’il trouvait toujours le moyen de prolonger, et même au cours de la cérémonie à l’église, il éprouva de singuliers troubles. Le mariage qui, tout d’abord, n’avait été marqué d’aucune particularité, fut brusquement interrompu par un accès de mélancolie qui devint rapidement stuporeux. Séparé de sa femme par suite de son hospitalisation à la clinique, il a recouvert [p. 45] rapidement sa lucidité, son calme, la conscience de son état, l’intense désir de retrouver son épouse à laquelle il a été rendu apparemment guéri. Mais pas pour longtemps. Le contact conjugal fut suivi après quelques semaines d’une rechute. La troisième fut la dernière. Pendant des mois, le malade resta en dépit de la sismothérapie, inaccessible, muet, sitiophobe et finit par succomber dans le marasme mélancolique à l’hôpital psychiatrique de son département d’origine. On trouvera, dans le travail précité, l’auto-observation de ce malade, où il expose ses efforts dans la poursuite d’un idéal dont il n’a jamais pu se détacher, et les débordements d’une sexualité longtemps contenue et qui a fini par s’égarer sur toutes sortes d’ « ersatz », conflit incessant, insolvable, qui a fini par lui faire tourner le dos à l’existence, l’anéantir sous des coups après de longs mois de gémissements auto-dénonciateurs.

Voici encore le cas d’une femme à la quarantaine, mère de cinq enfants, adressée pour qu’il lui soit pratiquée dans mon service une lobotomie, en dernier recours contre un état mélancolique, qui dure depuis huit ans. Elle a comme mari un modeste fonctionnaire, un homme profondément dévot, propagandiste actif de son idéal, refusant un avancement légitime pour continuer à servir son groupement religieux, un apôtre laïque qui, dans ses lettres à la malade anxieuse et entièrement à ses auto-accusations mélancoliques, étale des citations pieuses ou lui expose que son trouble est une punition du ciel pour ses fautes, ajoutant ainsi, de lui-même, au délire. Ils ne sont ni l’un ni l’autre de la même contrée, lui du Nord, elle de la Riviera française, où il l’a connue alors qu’il occupait un poste de début dans son administration. La vie conjugale se continua sans incident jusqu’à la venue de son dernier enfant qui suivit de près une fausse-couche. Bientôt cette femme apparaît pensive, peu communicative, renfermée, cherchant l’isolement ; elle ne sort plus de chez elle, délaisse ménage et enfants. Un soir, elle quitte brusquement son foyer et, sans motif saisissable, se rend chez ses parents dans le Midi. Elle émet à son mari venu la rechercher des idées de culpabilité, lui confie qu’elle s’est fait criminellement avorter, lui déclare ne plus vouloir désormais d’autre enfant, ce qui témoigne d’une résistance intérieure, qu’elle couve longtemps peut-être avant le début de ses troubles, à des injonctions rigoureusement conformistes. C’est dans ces conditions qu’elle est admise une première fois à l’hôpital psychiatrique. Bientôt une accalmie intercurrente permet le retour au foyer et une reprise de l’existence. Mais les conditions y sont démunies de joie : exiguïté d’un habitat administratif où vivent porte à porte des ménages d’employés avec tous les heurts de palier que cette promiscuité comporte, toujours cette même raideur piétiste du conjoint alliée à l’étroitesse des ressources, à l’isolement moral. Il s’ensuit un renouveau de heurts contre les cloisons de cet enclos sans horizon. Un jour, elle s’empare tout à [p. 46] coup du traitement mensuel que le mari vient de rapporter et le jette dans le feu en même temps que ses allocations familiales. Un deuxième placement s’ensuit. A l’hôpital psychiatrique, la malade, d’abord torpide, inaccessible, rompt bientôt le silence pour émettre, au milieu de gémissements et avec des acmées d’agitation anxieuses, ses auto-accusations habituelles : « J’ai ruiné mon mari, je lui ai caché une amourette avant mon mariage, j’ai péché, qu’on me mette en prison ou dans le trou tout de suite, j’ai bien voulu ma fausse-couche. » Elle confesse qu’elle a fait, ce qui est réel, une tentative de suicide ; mais redoute qu’on dise d’elle qu’elle a trompé son époux et que ses enfants ne sont pas de lui. A la sismothérapie appliquée sans résultat valable au cours de ses deux séjours à l’hôpital psychiatrique, s’ajoute un essai d’invigoration psychologique qui semble amorcer d’heureux résultats. Un entourage affectueux, des occupations à la couture et d’aide à la cuisine lui font disparaître les propos auto-dénonciateurs, la tristesse, l’anxiété. Le sourire revient chez elle qui ne cesse de réclamer ses enfants en exhibant leurs photographies dans un groupe où figure aussi son mari, dont elle ne parle d’ailleurs jamais. L’amélioration est telle qu’elle a fait préférer à l’intervention cérébro-chirurgicale la continuation de la psychothérapie, jusqu’à l’envoi de la malade dans une maison de repos, où elle pourra se trouver en contact de temps à autre avec ses enfants.

Il s’agit bien ici d’un cas de psychopathie délirante mélancolique, liée, semble-t-il, à un mode d’existence devenu intolérable, malgré les apparences et aussi la raison. Cette femme, qui avait tendu ses efforts pour l’accepter, n’a pu finalement s’y tenir. Sa fugue, sa tentative de suicide, réactions de « court-circuit », ont été comme des instantanés d’abandon, de cassures dans sa résolution de tout supporter quand-même, et qui garde la même valeur explicative que la destruction des billets de banque, sang nourricier d’un ménage, qu’elle a des velléités obscures d’abolir. Et son amélioration n’aura de chance d’être définitive que le jour où son être ne subira plus d’aussi permanentes attritions.

De telles observations, monnaie courante de la pratique psychiatrique, ont toutes trait à des affections non évolutives ou du moins qui se sont rapidement stabilisées en un état proprement mélancolique, et dont les caractéristiques essentielles se trouvent dans la permanence intégrale de la conscience, la continuité au long des années de maladie du moi vécu, et qui puisent leur cause spécifique de meurtrissures provoquées par un écartèlement incessant de la personne, violemment tiraillée en sens contraire par d’impérieuses tendances qui s’opposent formellement.

Et c’est ce qui est advenu au père Surin. Il le confesse. Mais en théologien fidéiste, qui ne voit dans le déchaînement d’érotisme, auquel il n’a cessé de se heurter, que des contre-attaques diaboliques en réponse à ses offensives conjuratoires. De son point de [p. 47] vue, il n’avait pas tout à fait tort si nous le traduisons, en langage biologique. Car les foucades qui le galopaient si furieusement ont le sens d’éruptions libidinales perçues proprioceptivement par lui comme étrangères à son appartenance, et dont le dynamisme n’a fait que prendre, à son insu, une ampleur démesurée au long de ses fréquentations de dévotes, de Mlle de Belciel surtout. Sa résistance à l’invasion de la lubricité eut pour résultat des afflux d’images obscènes conjointes à des poussées compulsionnelles sous forme d’évocations blasphématoires, de dénigrements vis-à-vis de la puissance suprême, de complaisances à l’égard de doctrines odieuses à la divinité, comme s’il voulait châtier le Ciel, en tant qu’ennemi de sa concupiscence tout en s’aborrhant lui-même de la sentir s’immiscer en lui.

Cette position entre deux alternatives, cette impossibilité de choix entre des sollicitations de signes contraires qui s’affrontent, explique l’angoisse (40), l’attention au Moi dévalorisé et haï, les rigueurs auto-punitives que le malade s’inflige, les refus de combat, l’évasion hors du champ de luttes que signifient chez lui l’inhibition, la torpidité, le paroxysme confuso-dépressif, le raptus.

On objectera que bien des hommes se trouvent en difficulté avec les mêmes oppositions sans pour cela tomber, comme le père Surin, dans la vésanie. A quoi il peut être répondu qu’on est mal placé pour en juger, étant donné l’imprécision de causalités aussi fluides que celles qui sont à l’origine des psycho-névropathies lesquelles échappent, en outre, pour un bon nombre, au contrôle du psychiatre, soit parce que l’affection est restée inaperçue de l’entourage, soit du fait qu’elle n’a pas été interprétée dans son véritable sens de fuite dans la maladie ou de projections de la psychopathie sur la viscéralité.

Et puis, la valeur morbifique d’une causalité si grande qu’elle soit n’est pas univoque chez tous les humains, et pour chacun d’eux un même facteur pathogène n’a pas une égale puissance d’attaque et de détérioration : la prédisposition joue aussi bien en psychopathologie qu’en somatopathologie.

Il convient toutefois de souligner le rôle de la spécificité et de la malignité de l’agression pathologique pour chaque cas particulier. Et chez le père Surin, il apparaît singulièrement. Son ascèse, sa mystique l’ont engagé avec une prodigalité peu commune dans des dépenses de forces psychologiques si nécessaires à la conduite ordinaire de l’existence. Il dut en épuiser les réserves en des oppositions forcenées contre de vieux inassouvissements, réveillés et exacerbés par des contacts avec une nonne déséquilibrée, alors qu’il s’astreignait à la libérer de ses diables, amenuisant ainsi progressivement chez lui les dynamismes dont la nature a pourvu chaque individu pour sa lutte incessante et silencieuse contre la désintégration.

 NOTES

(1) M. le Chanoine Moreau, l’actuel curé-archiprêtre de Saint-Pierre-du-Marché, ainsi que M. le Dr Delaroche, l’érudit historien du pays loudunois, ont bien voulu me montrer les lieux où s’est déroulée la tragique histoire du curé Urbain Grandier ; qu’ils en soient ici grandement remerciés,

(2) Dont la chapelle est l’actuelle église paroissiale de St-Hilaire-du-Martray, en remplacement de celle au vocable St-Pierre-du-Martray, détruite à la Révolution.

(3) L’église Saint-Pierre-du-Marché n’a pas subi de sensibles modifications depuis 1634. Son maître-autel du temps de Grandier a été remplacé, mais on en voit le dessin au musée de la ville. La Collégiale de Sainte-Croix n’a malheureusement pas eu le même sort ; toutefois, elle garde encore, malgré le marché qu’on y a installé, de majestueux vestiges.

(4) Henri-Louis Chasteigner de la Rochepozai, par misération divine Evêque de Poitiers, vû les Charges et Informations à nous rendues par l’Archiprêtre de Loudun, faites à l’encontre de Urbain Grandier, Prêtre, Curé de Saint-Pierre du Marché de Loudun, en vertu de Commission émanée de Nous audit Archiprêtre, et en son absence au Prieur de Chasseignes ; vû aussi les Conclusions de notre Promoteur sur icelles.
Avons Ordonné et Ordonnons que ledit Grandier Accusé soit amené sans scandale ès prison de nôtre Hôtel Episcopal de Poitiers, si pris et apréhendé peut être, sinon sera ajourné à son domicile à trois briefs jours par le premier Arpenteur Prêtre ou Clerc tonsuré ; et d’abondans par le premier Sergent Royal sur ce requis, avec imploration du bras séculier ; et ausquels et à l’un d’iceux donnons pouvoir de ce faire, et mandement, nonobstant opositions ou appellations quelconques, pour ce fait et ledit Grandier oüi, prendre par notre Promoteur telles conclusions à l’encontre de lui qu’il verra l’avoir à faire.

Donné à Dissai le 23, jour d’Octobre 1629 ainsi signé en l’original,
HENRI-LOUIS, EVESQUE DE POITIERS.

(5) Ancien évêque de Maillezais, puis transféré comme métropolitain sur le siège de Bordeaux, en remplacement de son frère, l’un et l’autre de valeureux militaires, dit-on, en même temps que prélats.

(6) Je Gervais Meschin, Prêtre, Vicaire de l’Eglise de Saint-Pierre du Marché de Loudun, certifie par la présente écrite et signée de ma main pour la décharge de ma Conscience, sur certain bruit qu’on fait courir qu’en l’information faite par Gilles Robert Archiprêtre contre Urbain Grandier, Prêtre, Curé de Saint-Pierre en laquelle Information ledit Robert me sollicita de déposer, que j’avois dit que j’avois trouvé ledit Grandier couché avec des Femmes et Filles tout de leur long dans l’Eglise de Saint-Pierre les portes étant fermées : Item, que plusieurs et à diverses fois à heures indües, de jour et de nuit, j’avois vû des Filles et des Femmes venir trouver ledit Grandier en sa chambre, et que quelque’unes desdites Femmes y demeuroient depuis une heure après-midi jusqu’à deux ou trois heures après minuit, et y faisoient aporter leur souper par leurs Servantes, qui se retiroient incontinent: Item, que j’ai vû ledit Grandier dans l’Eglise les portes ouvertes, et quelques Femmes y étant entrées, il les fermoit. Ne désirant que tels bruits continuent davantage, je déclare par ces Présentes que je n’ai jamais vû ni trouvé ledit Grandier avec des Femmes et des Filles dans l’Eglise les portes fermées ni seul avec seules, ainsi lors qu’il a parlé à elles, elles étoient en compagnie les portes toutes ouvertes : et pour ce qui est de la posture, je pense l’avoir assés éclairci par ma confrontation, que ledit Grandier étoit assis, et les Femmes assés éloignées les unes des autres, comme aussi je n’ai jamais vû entrer Femmes ni Filles dans la chambre dudit Grandier de jour ni de nuit.

Bien est vrai que j’ai entendu aller et venir du monde au soir bien tard. mais je ne puis dire qui c’est, aussi qu’il couchoit toujours un frère dudit Grandier proche de sa chambre, et n’ai connoissance que ni Femmes ni Filles y aient fait porter leur souper : Je n’ai non plus déposé ne lui avoir jamais vû dire son Bréviaire, parce que ce seroit contre la vérité, d’autant que diverses fois il m’a demandé le mien, lequel il prenoit et disoit ses Heures. Et semblablement déclare ne lui avoir jamais vû fermer les portes de l’Eglise, et qu’en tous les devis, que je lui ai vû avoir avec des Femmes, je n’ai jamais vû aucune chose deshonnête, non pas même qu’il leur touchât en aucune façon, mais seulement parlaient ensemble, et que s’il se trouve en ma Déposition quelque chose contraire à ce que dessus ; c’est contre ma conscience, et ne m’en a été fait lecture, pour ce que je ne l’eusse signé. Ce que j’ai dit pour rendre témoignage à la vérité.

Fait le dernier jour d’Octobre 1630 ; ainsi signé, G. Meschin.

(7) Henri d’Escoubleau de Sourdis, par la grace de Dieu, Archevêque de Bourdeaux, Primat d’Aquitaine, à tous ceux qui ces présentes Lettres verront, Salut faisons, que Procès s’étant mû entre Urbain Grandier, Prêtre, Curé, et c. Apellant de la Sentence renduë par M. le Révérendissime Evêque de Poitiers le 3. de Janvier 1630, et de tout ce qui s’en est suivi d’une part : Et Jâques Cherbonneau, Partie Civile, le Promoteur de l’Officialité joint, Intimé d’autre part, sans que les qualités puissent préjudicier ; Vû par Nous nôtre Sentene du 30. d’Août dernier, avec les Pièces y mentionnées ; les Auditions renduës par Gilles Robert Archiprêtre, Gervais Meschin, et Boulieau Prêtre;; Nôtre Sentence rendüe sur la Requête à Nous présentée par ledit Grandier le 10. d’Octobre dernier, au pié de laquelle est nôtre Ordonnance ; Autre Requête que ledit Grandier nous auroit presentée le 3. du presant mois ; Requête à Nous presentée par Jâques Caillé, Portier du Sieur de la Motte de Champdenier le 4. dudit mois ; Nôtre Ordonnance étant au pié d’icelle, Nôtre Procès-verbal du 7. dudit mois, contenant les interrogatoires par Nous faites audit Caillé, et réponses par lui rendües ; Notre Jugement dudit jour 4. de ce mois ; Le Monitoire par nous délivré à nôtre Promoteur, avec le certificat de la publication qui en a été faite en la Ville de Loudun ; Autre Requête à Nous presentée par ledit Grandier le 17. Du dit mois, et nôtre Ordonnance sur icelle, avec les Conclusions de nôtre Promoteur, auquel le tout a été communiqué. Le tout vû et considéré, sur ce pris l’avis du Conseil, après l’invocation du Saint Esprit. Nous, par nôtre Sentence et Jugement définitif avons mis et mettons ladite Sentence dont est Apel au néant, et à faire d’avoir fait d’autre preuve par nôtre Promoteur, envoïé et envoïons ledit Apelant absous des cas et crimes à lui imposés, et levé définitivement l’interdiction à divinis mentionnée en ladite Sentence ; lui enjoignant de bien et modestement se comporter en sa Charge suivant les Saints Décrets et Constitutions Canoniques, sauf à se pourvoir pour ses réparations, dommages et intérêts, et restitution des fruits de ses bénéfices, ainsi comme il verra bon

être.

Fait par nous, en nôtre Maison Abbatiale de Saint Joüin-Ies-Marnes le 22. de Novembre 1631. Signé, Henri de Sourdis Archevêque de Bordeaux, et prononcé par nous Greffier soussigné audit Grandier étant dans ladite Abbaïe, les jour et un an que dessus.

(8) On va même jusqu’à prétendre qu’il aurait appris la magie de son oncle.

(9) Dont l’affaire se poursuivit et se conclut devant le Parlement de Provence présidé par Guillaume du Voir, après conclusions de l’Inquisiteur Michaelis, promoteur du procès.

(10) Dont on ne connaît plus l’emplacement à Loudun.

(11) Troisième personne de la Trinité d’Enfer qui s’oppose au Paraclet comme Lucifer et Belzébuth aux deux autres hypostases !

(12) La pièce autographe se trouve aux Archives Nationales.

(13) Malleus Maleficarum.

(14) La pièce se trouve à la Bibliothèque Nationale.

(15) Parmi eux Quillet, médecin à Chinon, archiatre du maréchal d’Estrée à Rome, qui parvint à se cacher et dont la sagacité clinique s’exprime ainsi au sujet des Ursulines : « incident in delirium melancholium, sentientes aculeum carnis et, revera, carnes remedio indigent ad perfectum curationem. » Et il cite ce vers : « carnis ad officium carnea membra valent » de Cornelius Gallus.

(16) DE PAR LE ROI – Extrait des Registres de la Commission ordonnée par le Roi, pour le Jugement du Procès Criminel fait contre Urbain Grandier et ses complices.

Sur ce qui a été remontré par le Procureur Général du Roi, que Mardi dernier 8 de ce mois, le Bailli de cette Ville auroit convoqué une Assemblée. composée pour la plupart d’Habitans faisant profession de la religion Prétendüe Réformée et de gens mécaniques, en laquelle il fut tenu plusieurs propos injurieux et tend ans à sédition et émotion populaire, sur des faits faussement et calomnieusement mis en avant, touchant les exorcismes qui se font publiquement en cette ville sous l’autorité du Roi, et autres choses dépendantes de notre Commission, et que sur l’avis qui nous en fut dès lors par lui donné. Nous aurions oui, tant le Lieutenant-Criminel, que les Avocats et Procureur du Roi au Bailliage de cette Ville, ensemble les Elus et Echevins d’icelle, et Champion Greffier de ladite assemblée, et fait apporter un mémoire contenant les noms de ceux qui ont assisté en icelle, par lequel acte appert de l’entreprise et attentat fait par ledit Bailli en ladite Assemblée, et des propos injurieux qui y ont été tenus, lesquels sont désavoués par les plus sages et les plus qualifiés desdits Habitans, qui en jugent la conséquence, laquelle ne peut être que très pernicieuse au service du Roi, et à l’autorité de la Justice, s’il n’y est promptement pourvu. Et pourtant requéroit que ledit Acte d’Assemblée fut cassé et annulé, et les propos injurieux portés par icelui, raïés et biffés, avec défenses comme autrefois audit Bailli, et à tous autres, de faire aucune assemblée, et en icelles faire aucune proposition concernant les exorcismes, et autres faits dépendans de nôtre commission, et qu’il fût informé plus amplement des propos injurieux, tenant à sédition, tenus tant dans ladite Assemblée qu’ailleurs, pour l’Information faite, et à lui communiquée, être fait droit ainsi que de raison : et vû ledit Acte d’Assemblée dudit… du présent mois, mémoires des noms et surnoms d’aucune desdits Habitants, qui ont assisté en ladite Assemblée, nos Procès-Verbaux des 8 & 9 tendans à sédition populaire, contre les formes ordinaires, et par pratiques

reur du Roi au Bailliage, & dudit Champion. Arrêt dudit jour 9. du présent mois : Et tout considéré. Les Commissaires Députés par le Roi, Juges Souverains en cette partie, sans avoir égard audit acte du présent mois, que nous avons cassé et cassons comme nul, fait par attentat contre le respect et l’autorité à nous donnée par le Roi, et sur des faits calomnieux, injurieux et tend ans à sédition populaire, contre les formes ordinaires, et par pratiques et monopoles ; Avons ordonné et ordonnons que la Minute dudit Acte sera représentée, et mise à notre Greffe par Champion Greffier de ladite Assemblée dans cejourd’hui, pour icelle vüe et communiquée audit Procureur Général du Roi, être ordonné ce qu’il appartiendra à cet égard. Faisons comme autrefois inhibitions et défenses, tant audit Bailli, Elus de Ville, qu’autres, de convoquer ni faire à l’Avenir telles assemblées ni autres, sur choses concernant ledit pouvoir à nous donne par la Commission de Sa Majesté, ni aucunement entreprendre sur le fait d’icelle, à peine de vingt mille livres d’amende, et autre plus grande, si le cas y échoit ; sauf ausdits habitans, et autres personnes, de se pourvoir par devant Nous sur les plaintes qu’ils voudroient faire, concernant ce qui se passe aux exorcismes, et autres circonstances et dépendances de notre Commission : En faisant droit du surplus des Conclusions du Procureur du Roi, avons ordonné et ordonnons, qu’il sera plus amplement informé par devant Nous, des propos injurieux et séditieux qui ont été tenus, tans dans ladite Assemblée qu’ailleurs, pour ladite Information raportée et communiquée audit Procureur du Roi, être pourvû de tel Décret qu’il appartiendra. Et afin que notre présent Arrêt soit notoire à un chacun, ordonnons qu’il soit signifié : tant en la personne dudit Bailli, qu’aux Elüs de Ville, et en outre lü et publié à son de trompe, et affiché aux lieux de carrefours de cette ville à ce faire accoutumée.

Fait à Loudun, le … , jour d’Août 1634.

Signé : NOZAI, Greffier.

(17) Vüe par Nous Commissaire député par sa Majesté juge souverain en cette partie suivant les lettres patentes du Roy du huitiesme juillet 1634 le procès-criminel faict à la requetre du procureur de sa Majesté demandeur et accusateur pour crimes de magie, sortilège et irréligion, impiété, sacrilèges et autres cas et crimes abominables d’une part et Maître Urbain Grandier prestre curé de l’église Saint-Pierre-du-Marché de Loudun et l’un des chanoines de l’église Sainte-Croix dudit lieu, prisonnier deffendeur et accusé d’autre part.

« Nous sans avoir esgard à la Requeste du unze du présent mois d’aoust avons déclaré et déclarons ledit Urbain Grandier düement atteint et convaincu du crime de magie, maléfice et possession arrivé par son faict ès personnes d’aulcunes religieuses Ursulines de cette ville de Loudun et autres séculières mentionnées au procés. Ensemble des autres cas et crimes résultants d’iceluy pour réparations desquels l’avons condamné et condamnons à faire Amende honorable teste nüe et en chemise la corde au col tenant en ses mains une torche du poids de deux livres devant les principalees portes des églises de Saint-Pierre-du-Marché et Sainte-Ursule de cette ville de Loudun et là dévotement à genoux demander pardon à Dieu, au Roy et à la Justice et ce faict estre conduict à la Place publicque de Saint Croix de cette ditte ville pour y estre attaché à un pouteau sur un buscher qui pour cet effet sera dressé audict lieu et y estre son corps bruslé vif avec les pactes et caractères magiques, ensemble le livre manuscrit par lui composé contre le célibat des prestres et ses cendres jettées au vent (19) avons déclaré et déclarons tous et chacuns de ses biens acquis et confisqués au Roy sur iceux préalablement pris la somme de cent cinquante livres tournois pour estre emploïée à l’achapt d’une lame de cuivre en laquelle sera engravé le présent arrest par extrait et iclluy posé dans un lieu éminent en laditte église des Ursulines pour y demeurer à perpétuité. Auparavant que d’être procédé à l’exécution dudit arrest ordonnons que ledit Grandier sera appliqué à la question ordinaire et extraordinaire sur la vérité de ses complices. »

Prononcé audit Loudun le 18 aoust 1634 et exécuté le mesme jour. »

(18) Aujourd’hui une salle de cinéma.

(19) Pas toutes, puisqu’on en a conservées dans un récipient de verre qui se trouve au Musée Charbonneau-Lassay de Loudun.

(20) « Les circonstances de la Possession des Religieuses de Loudun, les conversions éclatantes dont elles furent suivies, durent nécessairement irriter les esprits infernaux et leurs aveugles instruments. Aussi les athées, les hérétiques, les libertins n’ont pas manqué de critiquer la condamnation d’Urbain Grandier. Cela est naturel : les méchants font toujours cause commune. Mais que peut le mensonge contre la vérité?» Histoire abrégée de la Possession des Ursulines de Loudun. – Paris 1828.

L’abbé H. Brémond, de son côté, fait, avec sa prudence académicienne, la remarque suivante :

« Aujourd’hui, nul historien sérieux ne met en doute l’innocence de Grandier. La plupart des auteurs catholiques, je le crois du moins, semblent admettre qu’il y a eu à Loudun plusieurs cas de possession, mais nul, je veux l’espérer, ne songe plus à rendre responsable le curé de Saint-Pierre. Et pour juger ainsi, nous n’avons pas attendu les précieux documents publiés en 1880 par le Docteur Legué (Urbain Grandier, etc.).

Parmi les contemporains, Grandier eut beaucoup de partisans. En 1720, le jésuite d’Avrigny croit à son innocence. Enfin en 1861, l’Abbé Lecanu s’exprime ainsi : « On ne saurait dire que Grandier fut un prêtre estimable, mais il faut convenir aussi qu’à part les affirmations des démoniaques qui n’articulèrent pas un seul fait susceptible de preuves, il ne se trouve dans les volumineux dossiers de cette affaire ni une preuve, ni un commencement de preuve, ni un indice qu’il eût jamais entretenu quelque commerce avec Satan ou qu’il fût pour quelque chose dans la possession ». « Histoire de Satan, Paris, 1861, p. 380-381 ». – H. Brémond : « Histoire Littéraire du sentiment religieux en France T. V. ».

(21) Histoire des diables de Loudun, ou la Possession des Ursulines et la condamnation et le supplice d’Urbain Grandier, curé de la même ville. Cruels effets de la vengeance du Cardinal de Richelieu. – Imprimé à Amsterdam aux dépens de la Compagnie M.D.C.C.L.I.L.

(22) Signa autem energumeni sunt : ignota lingua loqui longa ferme verborum, quae praevideri non potuerint ; vel ita loquentem intelligere ; distantia & occulta patefacere ; vires supra aetatis seu conditionis naturamostendere, & id genus alia, quae complurima concurrunt ; majora sunt indicia.

(23) H. Brémont in Histoire Littéraire du Sentiment Religieux en France. Le Père Surin et le moralisme mystique, p. 252-310.

(24) Nous docteurs en médecine soubzsignés certiffions à tous qu’il appartiendra, que le lundy dix septiesme jour de ce mois d’apvril estant allez pour entendre la messe en la chapelle des Dames Ursulines de cette ville : Nous avons ouy des cris, frémissements ,et hurlemens effryables l’espace de plus de trois quartz d’heure avant que la Sainte-Messe fust commencée. Lesquelz bruits venoyent par la grille de la dite chapelle et sembloyent estre cauzez de plusieurs et diverses personnes renfermées dans le choeur desdites dames, dont il nous est apparu quelques-unes par la dite grille en diverses et horribles situations de tout le corps, et figures de visage espouvantables par le moyen des estranges et extraordinaires convulsions, concussions, retirement de parties et autres grandes agitations qu’elles souffroyent. Sur quoy estant arrivée Françoise Benjamin, âgée d’environ vingt sept ans, et Léonie Benjamin, âgée de vingt et quatre toutes deux soeurs. Ensemble Elizabeth Blanchard âgée de dix-huit ans ou environ. Nous avons aussy tost aperçeu la dite Françoise Benjamin surprise d’une convulsion en forme d’opisthotonos tantost avecq contractions ne nerfz, tantost avecq concussions de tous les membres, au moyen de quoy ladite fille changeoit de diverse et étrenges postures, ores à droite, ores à gauche, et le plus souvent en arrière, tantost à demy couchée la teste en bas, tantost dans la place estendue, ayant les bras, jambes, pieds et mains roides et lors en plusieurs et diverses sortes ; la face hideuse, les yeux à derny ouvertz et tournez en hault ; la bouche convuls et toute torse se jettant sur les uns et les autres pour les offenser. Puis un peu après nous avons pareillement admiré en Elizabeth Blanchard les mesmes mouvements dont elle a esté surprise avecq encore plus d’horreur et d’effroy d’un chacun, qu’auparavant ; lesquelz mouvements et agitations ont continué tant à ladite Françoise qu’à ladite Elizabeth jusques après la communion de la messe. Après avoir paru en ladite Elizabeth si prodigieux et énormes devant le St-Canon, que ladite fille à l’aide de ses pieds et du sommet de la teste, sur lesquelz seule elle estoit soutenue le ventre en hault, s’est portée en arrière, la teste la première, en serpentant, de sa place jusques en hault de l’hostel, ayant par un moyen tout nouveau et extraordinaire de disproportion monté promptement avec le de derrière de sa teste les deux marches pour parvenir jusques aux pieds du prestre ; auquel, lors de l’élévation, elle a brusquement et rudement tiré le bout de l’aube pour l’interrompre et l’empescher. Et le RP. Lactance compagnon du P. Exorciste voulant la tirer de là et l’empescher de commettre plus de pareilles insolences ladite Blanchard le porte par terre si rudement qu’il a eu peyne à se débarrasser de ses mains; Puis vers la fin de la Sainte-Messe Léonie Benjamin sœur de la précédente, s’est mise à faire comme les deux autres juremens, grand blasphemeet menaces qui sortoyent de leur bouche, tantost de s’entretuer et tantost de tuer la propre fille par la bouche de la laquelle ces paroles estoyent furieusement proférées, disant : par Dieu ie tueroy ceste fille.

Toutes lesquelles choses nous jugeons surpasser absolument les forces et le moyens de la nature. Et estre de pareille condition que celles lesquelles nous remarquons journellement, avecq estonnement et effroy ès personnes des dites Dames religieuses Ursulines de cette ville. En foy de quoy nous avons signé ceste présente attestation, à Loudun le jour que dessus 1634.

Grolleau, E. Bryon, Duclos.

(25) Et dont le refus de se convertir plonge le père Surin dans la stupéfaction.

(26) Rapport sur l’état des Ursulines à Richelieu : Min. Aff. Etrang. Archives du Poitou. (Fo 111).

(27) Aussi H. Brémond fait-il la remarque habile « que les théologiens d’aujourd’hui paraissent peu pressés de conclure »… Loco Citato T. V., p. 181.

(28) A. Houtin, Un prêtre symboliste, Marcel Hebert, Paris 1925. – A. Houtin, Mon expérience ; 1° Une vie de prêtre, 2° Ma vie laïque. Paris 1928. – A. Loisy, Mémoires pour servir à l’histoire religieuse de notre temps. Paris 1930-1931.

(29) J’ai observé, par contre, ce fait marquant de névrose obsessionnelle surgie dès la suspension brutale de dévergondages sexuels, tout au moins chez des femmes, et qui disparaissait lors du retour aux conduites salaces.

(30) En même temps que Madeleine Boinet, dont Mlle de Belciel ne pouvait entendre le nom sans pousser de hauts cris, il y avait Marthe de Saujon, Marie Baron.

(31) Il est vrai que le père Surin s’est souvent répandu en critiques contre les scolastiques, les théologiens, dont la foi trop sèche leur fait méconnaître et même révoquer en doute la vie illuminative et surtout unitive.

(32) Madame Guyon (Jeanne de Rouvier de la Motte, veuve Guyon) dévotionneuse très répandue, d’allure parfois inquiétante, au style bizarre, une mégalomane religieuse a-t-on dit, qui prétendait influer sur les démons, s’empara très vite du cœur sensible de Fénelon, comme l’atteste la brulante correspondance publiée par le ministre Vaudois Philippe Dutoit, entre le futur Archevêque de Cambrai et sa philothée. Fénelon avait fait la rencontre de Madame Guyon alors qu’elle était âgée de 40 ans et qu’il en avait 37. On n’a jamais pu dire à coup sûr jusqu’où avait été leur intimité. En tout cas l’impression de l’aventure resta profonde chez lui, même après sa rétraction du quiétisme, et il ne cessa jamais de défendre cette femme, malgré les divers avatars qu’elle traversa : arrestations, détentions à la Visitation de St-Antoine, à Vincennes.

Bossuet qui n’avait pas, de loin, l’âme aussi tendre, ne se laissa pas envahir. Il n’en fut malheureusement pas de même du père La Combe, barnabite, qui, de directeur de conscience de la quiétiste, finit par devenir son dirigé après des mois de tête-à-tête et de voyages au bord du lac Léman. Soupçonné de pratiques immorables, après des aveux extorqués, dit-on par l’Archevêque de Paris Harlay, il fut incarcéré pour molinosisme, et paya, lui aussi, son tribut à la psychopathie. C’est en effet à la Maison de Charenton qu’il mourut aliéné, en 1715.

(33) Albert Houtin, Une grande mystique, Madame Bruyère, abbesse de Solesmes. Paris-Alcan 1930.

(34) Paul Garnier. Les amoureuses de prêtres.

(35) E. Gelma, – Le délire et l’erreur (Cahiers de psychiatrie n° 5). – E. Gelma, Les Limites de la croyance religieuse morbide, Strasbourg 1930.

(36) V. 8.

(37) Plutarque ne dit-il pas au sujet des démons : « ils amènent la peste, la famine, la stérilité de la terre aux villes, suscitent des guerres et des séditions civiles. Quant aux risées et moqueries des épicuriens, il ne faut les craindre… même s’ils se courroucent et trouvent étrange si on dit qu’il y a des démons non seulement qui apparaissent, mais aussi qui parlent, qui ont leur vie et leur être. » Plutarque, traduction d’Amyot.

(38) H. Ey. Les limites de la psychiatrie. Le problème de la psychogénèse. Desclée de Brower, Paris 1950.

(39) E. Gelma et P. Linck. – Etude phénoménologique d’un cas de mélancolie (Cahiers de psychiatrie n° 1). Strasbourg, Librairie de la Mésange, 1947.

(40) Mécanisme de l’angoisse adopté, on le sait, par S. Kierkegaard.

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BIBLIOGRAPHIE

CONCERNANT UNIQUEMENT LA PARTIE HISTORIQUE

[Soucieux de fournir aux lecteurs et lectrices des indications fiables nous avons pris sur nous de rectifier les nombreuses erreurs trouvées dans cette bibliographies, mais aussi d’en compléter les données, dans la mesure de nos connaissances, sans pour autant la compléter par des titres supplémentaires. Les titres en italiques sont ceux auxquels nous n’avons pu accéder. Nous publierons d’ici quelques mois une bibliographie plus exhaustive. M. Collée]

Aubin Nicolas (1655-1702). Cruels effets de la Vengeance du Cardinal de Richelieu, ou Histoire des Diables de Loudun, De la Possesssurinion des Religieuses Ursulines, et de la condemnation & du supplice d’Urbain Grandier, curé de la même ville. Amsterdam, Aux Dépens d’Etienne Roger, 1716. 1 vol. in-12, 3 ffnch., 376 p., 2 ffnch., frontispice gravé. – Autres édition : Histoire des Diables de Loudun, ou de la Possession des Religieuses Ursulines, et de la condamnation & du supplice d’urbain Grandier, Curé de la même ville. Cruels effets de la vengeance du Cardinal de Richelieu. Amsterdam, Aux Dépens de la Compagnie, 1752. 1 vol. in-12, 2 ffnch., 378 p., 1 fnch., frontispice gravé.

Ballu C. Du rôle des médecins dans le procès d’Urbain Grandier. Sans nom de libraire, ni date. [Tiré-à-part. Et : in « Revue du Haut-Poitou et des confins de la Lorraine et de l’Aveyron », (Loudun), 1895, première année, n°1, 1 juillet 1895, pp. 9-11.]

Barbier Charles. Rapport des médecins et chirurgiens appelés au cours du procès d’Urbain Grandier. in « Gazette Médicale de Nantes », (Nantes), 9 août – 9 novembre 1887 ».

Barbier Alfred. Jean II d’Armagnac, Gouverneur de Loudun et Urbain-

Grandier. 1617-1635. – in « Mémoire des Antiquaires de l’Ouest », tome VIII, 2ème série. 1885, p. 183 et suivantes.

Bayle Pierre (1647-1706). Dictionnaire historique et critique, 1696.

Bertrand I. Les possédées de loudun. Urbain Grandier. Etude historique. Deuxième édition. Paris, B. Bloud, 1902. 1 vol. in-12,  61 p., 1 fnch.

Bléau Alphonse. Précis d’Histoire sur la Ville et les Possédées de Loudun. Poitiers, Typographie de H. Oudin frères, 1877. 1 vol. in-12, 2 ffnch., III p., 246 p.

Bonnelier Hippolyte. Urbain Grandier. Paris, Vernarel et Tenon, 1825. 1 vol. in-8°, XIX p., 240 p.

Boudon Henri-Marie. L’homme de Dieu en la personne du R. P. Jean-Joseph Seurin, religieux de la Compagnie de Jésus. Lyon et Paris, Perisse Frères, 1826. 2 vol. in-8°, (2 ffcnch., XVI, 263 p., 2 ffnch) + (2 ffnch., 286 p., 1 fnch).

Boutreux Jacques [Sieur d’Estiau ou d’Etiau] [15??-1639]. Discours contre la possession des Religieuses de Loudun.

Brémond Henri abbé (1865-1933). Histoire littéraire du sentiment religieux en France depuis la fin des guerres de religions jusqu’à nos jours. Tome 1. L’humanisme dévot (1580-1160). – Tome 2. L’invasion mystique (1590-1620). – Tome 3. La conquête mystique. Part. I. L’école française. – Tome 7. Tome 8. La métaphysique des saints. – Tome 9. Vie chrétien-Paris, Bloud et Gay, 1916-1932. 9 vol. in-8°.

Danjou F. Relation véritable de ce qui s’est passé à la mort du Curé de Loudun, brûlé tout vif le vendredi 18 août 1643. in « Archives curieuses de l’histoire de France ». Tome V, 2° série. »

Delaroche Pierre (Dr). Une épidémie de peste à Loudun en 1632. Thèse de médecine de la Faculté de médecine de Bordeaux. Bordeaux, 1936. (Urbain Grandier, les possessions et le fléau, p. 48).

Discours véritables de la possession des Ursulines de Loudun S.L.N.D. Bibliothèque Nationale. Département des manuscrits XVIIe siècle. In-4. Z anc. n° 1016.

Duncan Marc. [    -1640]. Discours de la possession des Religieuses Ursulines de Lodun. S. l., 1634, 1 vol. in-8°, 64 p. –  Attribué à Duncan, médecin de Saumur. Réponse à l’ouvrage qui parut anonymement : La démonomanie de Lodun, qui montre la véritable possession des religieuses urselines et autres séculières: avec la liste des religieuses et séculières possédées, obsédées et maléficiées, le nom de leurs démons, le lieu de leur résidence & le signe de leur sortie. Seconde édition augmentée de plusieurs preuves. La mort de Grandier, autheur de leur possession. La Flèche, Goerge Griveau, 1634, 1 vol. in-8°, 64 p.

Godefroy Léon. De ce qui est remarquable et touchant quelques Ursulines et autres Religieuses possédées du Diable. – In Bulletin des Antiquaires de l’Ouest, 2″ trimestre, 1903, p. 648.

Gouello Pierre. Le grand pécheur converti (conversion de Quériollet). Paris, Florentin Lambert, 1663.

Gougenot des Mousseaux Henri Roger [1805-1878] (Le chevalier). La magie au dix-neuvième siècle, ses agents, ses vérités, ses mensonges. Précédés d’une lettre adressée à l’auteur par le P. Ventura de Raulica. Paris, Henri Plon, 1860, 1 vol. in-8, 2 ffnch., VIII, 440 p. – Autre édition augmentée : …Précédée de quelques lettres adressées à l’auteur. Nouvelle édition revue, corrigée, augmentée. Paris, Henri Plon, 1864, 1 vol. in-8°, 2 ffnch., XXXIV p., 1 fnch., 464 p. – Ouvrage d’une bonne érudition, mais que nous ne nous risquerons pas à comparer à l’œuvre de Goerres, comme le fait Caillet.

Gougenot des Mousseaux Henri Roger [1805-1878] (Le chevalier). Mœurs et pratiques des Démons ou des Esprits visiteurs, d’après les autorités de l’Eglise, les auteurs païens, les faits contemporains, etc. Paris, H. Vrayet de Surcy, 1854, 1 vol. in-12, XV p., 404 p. –  Autre édition : « Mœurs et pratiques des Démons ou des Esprits ancien et moderne. Nouvelle édition entièrement refondue et fort augmentée ». Paris, Henri Plon, 1865, 1 vol. in-8°, XL p., 436 p. – Bien documenté, l’ouvrage puise ses sources dans des textes bien souvent méconnus.

Les miraculeux effets de la Vierge, de saint Joseph et de saint François dans le soulagement et la délivrance des Filles Ursulines possédées de Loudun contre tous les effets des Diables et Démons. Paris, 1637.

Grosgurin Louis. Sur les traces d’Urbain Grandier. In « Etrennes Genevoises » (Genève), Editions Payot, 1930.

La Forge. Traité de l’esprit de l’Homme, de ses facultés et fonctions et de son union avec le corps. Paris, Girard, 1666.

Lafoucardière M. de. Les effets miraculeux de l’église romaine sur les estranges et efroyables actions des démons. Paris, Morlot, 1635, 1 vol. in-8°. – Nous avons relevé ce qui semble le même titre, un peu différent : Les miraculeux Effets de l’Église romaine sur les étranges, horribles et effroyables actions des démons et princes des diables en la possession des religieuses ursulines et filles séculières de… Loudun : Recueillis par M. de La Foucaudière. Paris, Morlot, 1635, 1 vol. in-8°.

La Ménardaye Jean-Baptiste de [1688-1758] (Le Père). Examen et Discussion critique de l’Histoire des Diables de Loudun et de la possession des religieuses Ursulines et de la condamnation d’Urbain Grandier. Paris, Debure, 1747, 1 vol. in-12, 528 p. – Autre édition: A Liège, Chez Everard Kintz, 1749, 1 vol. in-12, XXVII p., 521 p., 6 p. de catalogue. [Références: Y.-P.: 1327. – Lea. M.T.H.W.: III, pp. 1304-1307.]

Laubardemont. Interrogatoire de Maistre Urbain Grandier. Paris, Estienne Hebert et Jacques Pavilard, 1634.

Légué Gabriel [1847-1913] (Dr). Urbain Grandier et les possédées de Loudun. Documents inédits de M. Charles Barbier. Paris, Librairie d’art de Ludovic Baschet, 1880, 1 vol. in-8°, 4 ffnch., III p., 1 fnch., 327 p., 15 planches hors-texte. –  Tirage à 500 exemplaires. Superbe publication, avec gravures et fac-similé de documents. – Autre édition : Urbain Grandier. Les possédées de Loudun. Nouvelle édition revue et augmentée. Paris, G. Charpentier et Cie, 1884, 1 vol. in-12, XII p., 348 p. – L’édition de 1880 a été réimprimée en photocomposition : Marseille, Jeanne Laffitte, 1979, 1 vol. 15.5/22.8, 5 ffnch., III p., 1 fnch., 319 p., 9 planches hors-texte et 4 tableaux dépliants. – L’ouvrage de référence sur la question. – Cet ouvrage est le développement de la thèse soutenue par l’auteur quelques années auparavant : Documents pour servir à l’Histoire médicale des Possédées de Loudun. Thèse de la faculté de médecine de Paris n°63. Paris, A. Parent, 1874, 1 vol. in-8°, 74 p.

Légué Gabriel [1847-1913] et Gilles de la Tourette Georges [1857-1904]  (Drs). Sœur Jeanne des Anges, supérieure des Ursulines de Loudun (XIIe siècle). Autobiographie d’une hystérique possédée, d’après le manuscrit inédit de la bibliothèque de Tours, annoté et publié par les docteurs Gabriel Légué et Gilles de la Tourette Georges. Préface de M. le Professeur Charcot, membre de l’Institut. Paris, Aux bureaux du Progrès médical et A. Delahaye et Lecrosnier, 1886, 1 vol. in-8°, 2 ffnch., XIV p., 321 p. 2 planches hors texte. Les deux planches sont des fac-similé de documents dont le premier est celui d’une lettre manuscrite de Jeanne des Anges à Laubardemont et le second une lettre du démon Asmodée écrite de la main de Jeanne des Anges.  – De la « Bibliothèque diabolique » dirigée par Bourneville. – Réédition sous le titre: « Sœur Jeanne des Anges, supérieure des Ursulines de Loudun (XIIe siècle). Autobiographie d’une hystérique possédée. Préface de Charcot. Suivi de « Jeanne des Anges », par Michel de Certeau. Montbonnot-St-Martin (Isère), Jérôme Millon, 1985, 1 vol de 4 ffnch, XIV, 379 pp, 3 ffnch. L’étude de Michel de Certeau était déjà parue en annexe de l’édition de la « Correspondance » de J. J. Surin, texte établi, présenté et annoté par M. de Certeau. Desclée de Brouwer, 1966, pp. 1721-1748.

Leriche Armand [1819-1886] (L’abbé), prêtre du diocèse de Poitiers. Etudes sur les possessions en général et sur celle de Loudun en particulier, précédées d’une Lettre adressée à l’auteur par le T. R. P. Ventura de Raulica, ancien général de l’ordre des Théatins, examinateur des évêques et du clergé romain. Paris, Henri Plon, 1859, 1 vol. in-18, X p., 258 p., 1 fnch., frontispice

Lévy-Valensi Joseph [1879-1945] (Dr). Urbain Grandier et les possédées de Loudun. in « La Semaine des Hôpitaux de Paris », Paris, 1933, tome 9, n°15, 15 octobre, pp. 505-527.

Liergues (M. de). Journal des voyages de M. de Monconys,… où les sçavants trouveront un nombre infini de nouveautez, en machines de mathématique, expériences physiques, raisonnemens de la belle philosophie, curiositez de chymie, et conversations des illustres de ce siècle… publié par le Sr de Liergues, son fils. Première [-troisième] partie… Lyon : H. Boissat et G. Remeus, 1665-1666.

L’ombre d’Urbain Grandier, de Loudun, sa rencontre et conférence avec Gaufredi, en l’autre monde. 1634.

Mesmin Edmond. René Mesmin de Silly, adversaire d’Urbain Grandier. Saumur, Impr. de P. Godet, 1916. 1 vol. in-8°, 41 p.

Quelques épisodes d’histoire loudunaise, discours prononcé à la séance publique de la Société des antiquaires de l’Ouest, le 22 janvier 1905, par C. de La Ménardière [Reliure Inconnue]

Menardière Joseph-Camille Arnault de la. Quelques épisodes de l’Histoire Loudunaise. discours prononcé à la séance publique de la Société des antiquaires de l’Ouest, le 22 janvier 1905. In « Bulletin de la Société des Antiquaires de l’Ouest ». deuxième série, tome 28, 1905, pp. XIX-L.

Mercure Français. Lettre du Sieur Seguin. Tome XX.

Michel et Cavallera. Edition critique des « Lettres spirituelles du Père Surin. – Toulouse, 1928, 2 vol.

Michelet Jules [1798-1874]. La sorcière. Paris, Hachette et Cie, 1862, 1 vol. in-12. Autre édition : Paris, 1867, p. 246-265.

MONSIEUR… Urbain Grandier. Amsterdam, 1735. (Ouvrage attribué à M. de la Bouralière.)

Pavie Eusèbe. Cerisantes : Marc Duncan II. Angers, Lachèse et Cie, 1894. 1 vol. in-8°, 112 p.

Pilet de La Ménardière Hippolyte-Jules [1610-1663] (Dr). Traitté de la melancholie, Sçavoir si elle est la cause des Effets que l’on remarque dans les Possedees de Loudun. Tiré des reflexions de M. sur le discours de M. D. [Duncan]. A La Flèche, Chez Martin Guyot & Gervais Laboe, 1635, 1 vol. in-4° de 4 ffnch, 131 pp, 1 fnch. – Nous avons rectifié le titre indiqué par Yve-Plessis, qui n’est pas conforme à l’ouvrage, tant par l’orthographe, que par l’ensemble du titre. Il n’a pas du avoir l’ouvrage entre les mains.

Quillet Claude (1602-1661). Relation de tout ce que j’ai vu à Loudun en 9 jours. Bibliothèque Nationale, 12.801. Nous n’avons pas trouvé trace de cet ouvrage.

Revue d’Ascétique et de Mystique. Année 1925, p. 143-159; 389-411.

Richer. Causes célèbres et intéressantes. Tome II, Art. 2.

Rilly François de. Une ténébreuse affaire de sorcellerie : le procès d’Urbain Grandier. in « Aesculape », (Paris) février 1936.

Salgues Jacques-Barthélemy [1760-1830]. Des erreurs et des préjugés répandus dans la société. Paris, Buisson, 1810, 3 vol. in-8°. Autres éditions : …Deuxième édition, revue et corrigée. A Paris, Chez F. Buisson, 1811, 3 vol. in-8°. Paris, 1813, 3 vol. in-8°; – Paris, Veuve Lepetit 1815, 3 vol. in-8°; – Paris, Chez Mme Veuve Lepetit, 1829, 4 vol. in-8°; le dernier volume porte pour titre : Des erreurs populaires.

Sauzé Jean-Charles [1815-1889]. Essai médico-historique sur les possédés de Loudun. Thèse de médecine de la faculté de médecine de Paris, n°222. Paris, Imprimerie et fonderie de Rignoux, 1839, 1 vol. in-4°, 59 p. – Président de thèse: Pr Dumas. – Yve-Plessis dans sa Bibliographie donne par erreur comme date 1840 et comme numéro de thèse 353.

Surin Jean-Joseph [1600-1665] (Le Révérend Père). Histoire abrégée de la possession des Ursulines de Loudun et des peines du père Surin. (Ouvrage inédit faisant suite à ses œuvres.) Paris, Chez l’Editeur, rue des Postes, n°24, 1828, 1 vol. in-8°, 365 p., 3 ffnch. de table. –  Une édition tronquée est parue la même année sous le titre : « Science expérimentale ».

Surin Jean-Joseph (1600-1665). Triomphe de l’amour divin sur les puissances de l’enfer, en la Possession de la Mére Prieure des Ursulines de Loudun. Première partie. Science expérimentale des choses de l’autre vie. Avec le moyen facile d’acquérir la paix du coeur. Ouvrages posthumes. Avignon, Seguin Aîné, 1829. 1 vol. in-8°, XI p., 312 p.

Surin Jean-Joseph [1600-1665] (Le Révérend Père). Cantiques spirituels de l’amour divin pour l’instruction et la consolation des âmes dévotes , composez par un Père de la compagnie de Jésus. Dernière édition, revue, corrigée et augmentée de plusieurs beaux cantiques. Paris, F. Lambert, 1664. 1 vol. in-8°, III, 190 p.

Surin Jean-Joseph (1600-1665). Correspondance. Textes établis, présentés et annotés par Michel de Certeau. Préface de Julien Green. Paris, Desclée de Brouwer, 1966. 1 vol. in-8°, 1827 p., 2 ffnch. Cette édition comprend les lettres citées

Tallement Des Reaux Gédéon (1619-1692). Les Historiettes. Paris, Alphonse Levavasseur, 1834. Tome II, 10-14.

Tamizey De Larroque Jacques Philippe [1828-1898]. Document relatif à Urbain Grandier. Paris, Alphonse Picard, 1879, 1 vol. in-8° (14.5/23), 16 p.  – Tirage limité à 100 exemplaire.

Thibaudeay Antoine René Hyacinthe [1739-1813]. Histoire du Poitou, par Thibaudeau, nouvelle édition précédée d’une introduction, par H. de Ste-Hermine, avec notes. Niort : Robin, 1839-1840. 3 vol. in-8°. voir Rapport sur l’Etat des Ursulines à Richelieu.

Tranquille (Père). Véritable relation des justes procédures observées au fait de la possession des Ursulines de Loudun et au procès d’Urbain Grandier. A Paris, chez Jean Martin, 1634. 1 vol in-8°, 32 p. Ici Gelma se trompe car il prétend avoir trouvé en fin de ce volume : Factum par Maître Urbain Grandier ». – « Jugement rendu par les commissaires députés contre Urbain Grandier. En fait ces pièces sont reproduites à la suite de la réédition du texte de Tranquille dans l’ouvrage de Danjou : Archives curieuses de l’histoire de France (voir ci-dessus).

Grandier Urbain (1590-1634). Lettre du Sieur Urbain-Grandier accusé de magie au Roy. in « Cimber et Danjou : Archives curieuses de l’Histoire de France », (Paris), 2e série, tome V, 1838, pp. 261-271.

Urbain Grandier, libre penseur.

Grandier Urbain (1590-1634). Traicté du Célibat des Prêtres. Opuscule inédit, introduction et notes par Robert Luzarche. Frontispice à l’eau-forte de Ulm. Paris, René Pincebourde, 1866. 1 vol. in-12, 38 p., 1 ffnch. Dans la « Petite Bibliothèque des Curieux ».

Wappelaert G. J. Possession démoniaque. in Dictionnaire apologétique de la foi catholique. Contenant les preuves principales de la vérité de la religion et les réponses aux objections tirées des sciences humaines, avec la collaboration d’un grand nombre de savants catholiques, s. l. d. de Jean-Baptiste Jaugey. Paris et Lyon, Delhomme et  J. Briguet, s. d., [1889], pp. 2495-2346.

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