P. M. Les Mangeurs de chair humaine. Extrait du « Journal du Dimanche », (Paris), 29 janvier 1893,

P. M. Les Mangeurs de chair humaine. Extrait du « Journal du Dimanche », (Paris), 29 janvier 1893,

LES MANGEURS DE CHAIR HUMAINE

Quoi qu’on puisse en penser, il existe toujours, à notre époque éclairée, des cannibales et des anthropophages, non pas que nous fassions ici allusion à quelques cannibales de notre Europe civilisée, mais bien à certaines populations des îles de l’Océanie, de l’intérieur de l’Afrique, et de l’Amérique du Sud qui ne cachent en aucune façon leur goût avéré pour la chair humaine.

La détermination des causes qui ont provoqué ou qui maintiennent encore ces barbares coutumes est du ressort des études anthropologiques.

La première de ces causes, la plus fréquente, semble être la disette. Il est certain que, par suite des angoisses de la faim, nombre de populations deviennent anthropophages par occasion. Cependant, suivant le degré moral de ces peuples, la résistance avant d’arriver au meurtre pour assouvir la faim est plus ou moins longue.

Chez quelques-uns, par exemple, cette résistance est presque nulle, et les vieillards, les infirmes, les femmes sont sacrifiés par la seule crainte de la famine : on veut ainsi diminuer le nombre des bouches à nourrir.

On conçoit que, dans ces conditions, la mort d’un ennemi ou d’un voyageur soit pour la tribu une véritable aubaine.

Les Canaques de la Nouvelle-Calédonie ont été de féroces cannibales. Leur [] cruauté était autrefois légendaire. On accusait les enfants de tuer leurs vieux parents pour les dévorer.

Autrefois, les naufragés qui avaient le malheur d’être jetés sur ces rivages étaient mis à mort sans pitié et servaient à d’horribles festins.

Dans les premiers temps de l’occupation française, on a dû faire de terribles représailles pour venger de malheureux côlons enlevés et dévorés par les Canaques.

Actuellement, les cas d’anthropophagie en Nouvelle-Calédonie sont extrêmement rares.

Parfois, l’anthropophagie a un caractère religieux : c’est une sorte de sacrifice accompagnant une cérémonie du culte.

Dans toutes les îles Viti, l’inauguration d’un temple est toujours accompagnée d’un grand banquet de chair humaine.

Aux îles Salomon, on immolait des victimes, lors des grands événements, pour apaiser la colère divine — en temps de fléaux ou d’épidémies, par exemple — ou pour célébrer une déclaration de guerre et sceller un traité de paix.

Un autre motif assez fréquent d’anthropophagie est la vengeance. Nombre de peuples sauvages trouvent que leur haine n’est satisfaite que s’ils ont mangé de la chair de leur ennemi. Les exemples sont nombreux de festins de cannibalisme dans lesquels les prisonniers de guerre ou les ennemis tués pendant le combat sont mangés par les guerriers dans un repas solennel qui sanctionne, pour ainsi dire, la victoire.

En Afrique, on rencontre encore ces barbares coutumes chez les Achantis, les Niam-Niam et un grand nombre de populations guerrières du Centre.

Et même dans ces régions, on a soin de conserver les prisonniers quelque temps et de les soumettre à un véritable « gavage » pour les avoir beaux et gras.

En Océanie, aux Marquises, aux îles Salomon, à Taïti, aux Nouvelles Hébrides, les prisonniers et les morts ennemis sont également mangés.

Les hommes de guerre seuls sont admis à ces orgies.

Ce genre de cannibalisme s’explique aussi par cette croyance généralement répandue chez les sauvages que, en mangeant d’un ennemi, on acquiert ses forces, ses qualités, son courage. Le cœur, à ce point de vue, est particulièrement estimé. Chez d’autres peuples, c’est l’œil droit. Pour d’autres, c’est le cerveau : tel le cas des Negritos de Bornéo et de Luçon.

Les affreuses coutumes du cannibalisme et de l’anthropophagie sont déjà moins fréquentes actuellement qu’elles ne l’étaient il y a environ un démi-siècle.

L’évolution morale s’effectue même chez les sauvages les plus arriérés.

Il y a donc lieu de croire que sous l’influence du contact de la civilisation, elles continueront à diminuer et finiront, dans un avenir relativement prochain, par disparaître complètement. P. M.

 

 

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