Note sur trois dessins de Jordaens. Par Jean Heitz. 1903.

Jean Heitz. Note sur trois dessins de Jordaens. Extrait de la Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, (Paris), tome seizième, 1903, pp. 171-172, 1 pl. ht.

Pour faire suite à l’article de Paul Richer et Henry Meige, Documents inédits sur les démoniaques dans l’art, publié ici même. [voir article sur notre site].

Les [p.] correspondent à la numérotation des pages originales des pages de l’article. – Par commodité nous avons déplacé les notes qui se trouvaient en bas de page, en fin d’article.

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NOTE SUR TROIS DESSINS DE JORDAENS

Par Jean HEITZ

Ces trois dessins se trouvent exposés au musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg (F. XIII). Les deux figues d’homme sont d’une authenticité certaine, par contre, la scène de possession n’est qu’attribuée au maître flamand. Tous trois présentant certaines particularités intéressantes, comme documents d’iconographie médicale, et n’ont jamais été signalées à notre connaissance, même dans l’ouvrage si complet de Paul Richer.

Dans la guérison du possédé, les caractères du dessin ne rappellent guère la manière exubérante et violente de Jordaens. Par contre, l’exécution de la figure du possédé est excellente, et on y retrouve toutes les qualités des représentations semblables chez les meilleurs peintres de la bonne période flamande. L’influence de Rubens n’y est pas douteuse. Par l’attitude de bras le possédé de l’Ermitage r appelle de très près la démoniaque du tableau de l’église Saint-Ambroise de Gênes. Les membres inférieurs, meilleurs que ceux de la figure de Gênes, semblent directement inspirés de ceux de l’homme qui se roule au premier plan d’un autre Rubens, le Saint-Ignace du musée de Vienne. Nous connaissons déjà une bonne figure de possédé Jordaens, dans le Saint-Martin du musée de Bruxelles. Paul Richer fait cependant remarquer que c’est surtout la fougue et la violence des convulsions que cette figure rappelle celle de l’hystérique en crise. Le dessin de Saint-Pétersbourg est peut-être plus véridique par l’attitude des membres, le renversement en arrière de la tête, le gonflement du cou. De toutes façons, c’est une œuvre très exacte, témoignant d’études approfondies et que nous pouvons placer au premier rang des figurations qui nous a laisser l’école flamande (1).

Les deux figures d’homme, réjouies et grimaçantes, sont tout à fait, par contre, dans la manière de Jordaens. Le peintre a-t-il voulu reprendre des hémispasmes de la face ? Telle est la question que se pose de suite le neurologiste au premier examen du dessin. Cette hypothèse n’a d’ailleurs rien d’invraisemblable. Jordaens n’a-t-il pas fait des possédées en crise. Et à la même époque, Breughel n’a-t-il pas reproduit les danses hystériques de la Saint-Guy ?

Nous connaissons, d’ailleurs, d’autres œuvres d’art, où Charcot et Richer ont pu diagnostiquer la représentation d’hémispasmes faciaux : la figure de Myrina (2), et le masque de en terre cuite de la collection Compans (3) au musée du Louvre, par exemple. La célèbre mascaron de S. M. Formosa de Venise, reproduit sans doute un spasme glossolabié, et du moins, ici, la recherche de la déformation pathologique paraît évident.

Il n’en est peut-être pas absolument de même dans les dessins de Jordaens. Le seul argument que l’on puisse faire valoir en faveur du spasme hystérique est la convulsion en haut et à gauche des globes oculaires, dans la figure de droite. Mais d’autre part, cette même figure ressemble étonnamment au fumeur de Bronwer, et l’on pourrait, avec d ‘égales chances de vraisemblance, conclure que Jordaens a copié des déformations faciales d’ordre spasmodiques, ou qu’il s’est plu tout simplement à croquer des grimaces amusantes et pittoresques.

(1)   Les représentations de démoniaques par les successeurs de Rubens sont en somme, peu nombreuses. En dehors d’une transfiguration de Déodat Delmont qui reproduit le Rubens de Nancy, nous ne connaissons qu’un possédé de Philippe de Champaigne et deux peintures flamandes de Munich, signalés par M. Souques et signées Paul Bril (fin du XVIe siècle, et Gérard Doufflest (XVIIe siècle).
(2)   P. Richer, figure 43.
(3)   P. Richer, figure 102.

 

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