Nicole Jacques-Lefèvre. Théories et fictions : imaginaire textuel et représentations du corps, des sorcières aux hystériques (XIVe-XIXe siècles).

Nicole Jacques-Lefèvre. Théories et fictions : imaginaire textuel et représentations du corps, des sorcières aux hystériques (XIVe-XIXe siècles). Conférence prononcée à l’ENS de Lyon, 10 juin 2010

A l’occasion de la sortie de son dernier ouvrage Histoire de la sorcellerie démoniaque. Les grands textes de référence, Honoré Champion, 2020, notre amie Nicole Jacques-Lefèvre nous a autorisé à mettre en ligne cette communication inédite. Nous l’en remercions vivement.

Nicole Jacques-Lefèvre, professeure des Universités émérite, est spécialiste de la littérature du XVIIIe siècle, de l’illuministe Louis-Claude de Saint-Martin (1743-1803), et des discours démonologiques. Elle a publié dans ces domaines de nombreux articles, études et éditions critiques. Elle a dirigé à l’E.N.S. Fontenay-Saint-Cloud le Centre de recherche Littérature et Discours du Savoir, et l’équipe pluridisciplinaire Histoire critique de la sorcellerie.
Quelques parutions retenues parmi plusieurs dizaines :
— Nocturnes sorciers. Symbolique de la nuit chez quelques démonologues », François Angelier et Nicole Jacques-Chaquin (Éds.), La Nuit, Grenoble, Jérôme Millon, 1995, p. 177-193.
— « Jean Bodin : une lecture politique et philosophique de la sorcellerie », Y.C. Zarka (Éd.), Jean Bodin : nature, histoire, droit et politique, Paris, PUF, 1996, p. 43-70.
— « La curiosité sorcière. Représentations du désir féminin du savoir chez les démonologues (XVIe-XVIIIe siècles) », Colette Nativel (Éd.), Les Femmes et le savoir, Actes du colloque de Chantilly, Paris, Droz,1999, p. 107-118.
— « Entre rationalité juridique et fiction. Le sorcier, sujet de droit ? », Christian Biet (Éd.), Droit et littérature, Littératures classiques, n° 40, 2000, p. 327-345.
— « Le Loup-garou : un animal philosophique ? », Le Bestiaire des animaux et des mots, Figures, n° 21/23,EUD (C.R.I.S.M.), 2001, p.69-84.
— « Figures de sorcières : mythe et individualités », Christine Planté (Éd.), Sorcières et sorcellerie, Lyon,Cahiers masculin/Féminin, PUL, 2002, p. 65-80.
— « L’Incrédulité et mescréance du sortilège de Pierre de Lancre, ou le “second tome des sorciers” », Patricia Harry, Alain Mothu et Philippe Sellier (Éds), Autour de Cyrano de Bergerac. Dissidents, excentriques, marginaux de l’Âge classique. Bouquet offert à Madeleine Alcover, Champion, « L’Âge classique », 2006, p. 175-193.
— « Feu impur, feu purificateur : du feu sorcier à la raison éclairante (XVe-XVIIIe siècles) », L’Imaginaire du Feu, approches bachelardiennes, Éd. Jacques André, 2007, p. 172-183.
— « Pierre de Lancre : Du traité démonologique comme récit de voyage en terre sorcière », GrégoireHoltz et Thibaut Maus de Rolley (Éds.), Voyager avec le diable : voyages réels, voyages imaginaires et discours démonologiques (XVe-XVIIe s.), PUPS, « Imago Mundi », 2008, p. 193-205.
— « Dramaturgies du sabbat : Réflexions sur l’évolution des représentations de “l’assemblée des sorciers” (IXe-XVIIIe siècles) » Jean de Palacio (Éd.), Le Sabbat, Cahiers de Littérature Française, Université de Bergame et Éditions L’Hramattan, 2013.

Les images ont été choisies et rajoutées et par l’auteure. © histoiredelafolie.fr

Théories et fictions : imaginaire textuel et représentations du corps, des
sorcières aux hystériques (XIVe-XIXe siècles)

Dans le cadre des recherches du Centre que j’ai dirigé à l’ENS Fontenay-Saint-Cloud, j’ai choisi d’analyser les rapports entre les discours du savoir et la littérature, et les singuliers échos, échanges ou relais entre différents types d’écrits. Mon fil conducteur sera ici les imaginaires et représentations du corps féminin, pour élaborer une petite réflexion sur ces figures singulières et les fonctions qu’elles ont assumées dans les divers discours de savoir et de pouvoir où elles ont été inscrites. Réflexions nécessairement trop rapides, puisque chacun des champs que j’aborderai aurait pu donner lieu à un exposé spécifique.

Un texte de l’Académicien Castillon, auteur en 1765 d’un Essai sur les Erreurs et les Superstitions (1). Il y cite l’Histoire de la Laponie, sa description, l’origine, les mœurs, la manière de vivre de ses habitans, leur religion, leur magie, et les choses rares du pays, de Johannes Gerhard Scheffer, écrit d’abord en latin en 1673, puis traduit en français en 1678 (2).

« Ceux qui ont voyagé en Laponie, sçavent bien qu’il n’y a point de Sorciers dans ce pays, non plus qu’ailleurs : cependant il n’y a pas de Voyageur qui n’ait été frappé des sinistres effets qu’opère sur les Lapons la crainte des Sorciers, & de la grande autorité de ceux-ci sur leurs compatriotes. Mr. Scheffer donne une description très-curieuse de leurs opérations magiques. “Ils se servent, dit-il, pour faire leurs sortilèges, d’un tambour fait d’un tronc de pin, & d’une seule pièce, couvert d’une peau de rhenne, ornée de quantité de figures peintes grossièrement, d’où pendent plusieurs anneaux de cuivre & quelques morceaux d’os de rhenne. Si le Sorcier veut interroger son tambour, c’est-à-dire, se servir de son tambour pour consulter le diable, il se met à genoux, ainsi que tous ceux qui l’entourent ; il commence par frapper doucement sur le tambour avec un os de rhenne, en traçant avec cette baguette une ligne circulaire, & en faisant, à voix basse, ses invocations : ensuite s’animant par dégrés, rédoublant & ses cris & ses coups, il frappe avec violence, pousse des hurlemens affreux, s’agite & se tourmente, écume ; son visage devient bleu, ses cheveux se hérissent : excédé de fatigue il tombe enfin en pamoison, il reste quelque tems immobile & la face contre terre. Lorsque le paroxisme est passé, il se relève, croit avoir vû le diable, & rend compte à l’assemblée de l’entretien qu’il a eu avec lui ».

Il s’agit ici d’un corps masculin, d’une figure de chaman immédiatement assimilée à celle d’un sorcier. Si j’ai néanmoins choisi ce texte, c’est pour plusieurs raisons. Il est d’abord emblématique d’un imaginaire du corps sorcier, associé à la violence, aux états paroxystiques, à des moments où le corps s’exprime dans des signes indéchiffrables pour ceux qui en sont les spectateurs. Il est ensuite révélateur du caractère paradigmatique du corps sorcier. Comme Voltaire l’avait déjà noté dans ses Questions sur l’Encyclopédie :

« Nos premiers missionnaires […] se trompèrent […] lourdement sur les usages des Indiens, sur leurs sciences, leurs opinions, leurs mœurs, et leur culte. C’est une chose très curieuse de lire les relations qu’ils écrivirent. Toute statue est pour eux le diable, toute assemblée est un sabbat, toute figure symbolique est un talisman, tout brachmane est un sorcier. » QE, « Almanac ». (3)

Voltaire signale ici un problème qui posera question à notre moderne ethnologie, mais aussi on le verra à l’histoire de la médecine : le schéma démonologique comme exemple de l’utilisation de notions connues pour faire entrer l’inconnu dans des schémas réducteurs, mais interprétables et qui se veulent rassurants. Il est aussi question dans le texte de Castillon d’un pouvoir (« la grande autorité ») exercé en même temps que dénié : ce n’est que l’imaginaire qui est touché puisqu’ « il n’y a pas de sorcier… cependant ». Bel exemple du « je sais bien, mais quand même » rendu célèbre en d’autres temps par le psychanalyste Octave Mannoni.

J’évoquerai essentiellement ce qu’il en fut de la représentation du corps dans la longue histoire des sorciers et sorcières, possédées et autres tarentulées, qui commence à l’extrême fin du Moyen-Âge, et dont les manifestations sont perceptibles jusqu’aux XIXe voire au XXe siècle. Mais je croiserai les textes démonologiques qui me servent de référence à d’autres textes : ainsi, au XVIIIe siècle, se met en place une sémiologie des différentes manifestations de cet état de « crise » dont le médecin Bordeu donne, dans l’article de l’Encyclopédie, « une belle description […] dans sa théâtralité hystérique » (4),

Encyclopédie, Bordeu, art « Crise » : « La crise, dit Galien, & d’après lui toute son école, est précedée d’un dérangement singulier des fonctions ; la respiration devient difficile, les yeux deviennent étincelans ; le malade tombe dans le délire, il croit voir des objets lumineux ; il pleure, il se plaint de douleurs au-derriere du cou, & d’une impression fâcheuse à l’orifice de l’estomac ; sa levre inférieure tremble, tout son corps est vivement secoüé : les hypocondres rentrent quelquefois, & les malades se plaignent d’un feu qui les brûle dans l’intérieur du corps, ils sont altérés : il y en a qui dorment ou qui s’assoupissent ; & à la suite de tous ces changemens, se montrent une sueur ou un saignement du nez, un vomissement, un devoiement, ou des tumeurs. Les efforts & les excrétions sont proprement la crise ; elle n’est, à proprement parler, qu’un redoublement ou un accès extraordinaire, qui termine la maladie d’une façon ou d’autre. »

Réflexion médicale donc, mais aussi philosophique, par exemple d’un Diderot qui s’interrogera sur les manifestations diverses de cet état où le corps joue sa propre partition. Réflexion qui rencontre des échos historiques : à la rhétorique corporelle des sorcières et de mystiques succède celle des convulsionnaires du jansénisme figuriste, qui « rejouent dans leur chair (plagient ?) les supplices du Christ et des martyrs, manifestant soi-disant une volonté divine » (5), tout autant qu’elles incarnent les souffrances de la vérité persécutée de l’Église janséniste. Celles aussi, à la fin du siècle, des « crisiaques » opérant dans le cadre du magnétisme de Mesmer. La littérature, romanesque ou théâtrale, du XVIIIe siècle, en donnera d’autres exemples. Enfin, je montrerai rapidement comment l’école de Charcot a en quelque sorte tenté d’homogénéiser ces diverses manifestations de corps trop expressifs en leur appliquant une explication unique : l’hystéro-épilepsie.

J’ai un peu, en bonne sorcière, commencé « à rebours », comme disait un autre grand spécialiste du problème, en évoquant quelques textes du XVIIIe et du XIXe siècle, mais je vais donc revenir au point de départ, à savoir la représentation historique de la sorcellerie démoniaque.

Sorcellerie et possession

Un petit rappel historique n’est peut-être pas inutile : C’est vers la fin du XVe siècle que commence ce qu’on appelle la « chasse aux sorcières », qui se traduit par la multiplication des procès de sorcellerie et en même temps des théories démonologiques. Les démonologues sont des érudits, théologiens, juristes, médecins : certains d’entre eux ont conduit eux-mêmes des procès. Dans leurs textes, qui serviront de mode d’emploi aux magistrats chargés de la répression, s’est mise en place une redéfinition théologique et juridique, mais aussi politique, de la sorcellerie, qui, bien qu’ils en reprennent certaines caractéristiques, la différencie des pratiques de la magie savante aussi bien que de la sorcellerie populaire, celle des « jeteurs de sorts », qui n’ont rien à voir avec le diable.

Se met donc en place une véritable fiction, celle d’une secte sorcière diabolique dont les membres, dénués de tout véritable savoir ou pouvoir personnel, sont liés au diable qui agit par leur intermédiaire. Le pacte qui les engage, matérialisé par une marque corporelle, symbolise leur reniement volontaire de la collectivité politique et religieuse, et leur responsabilité au plan juridique. Cette secte est dangereuse non seulement pour les individus agressés par des maléfices qui les atteignent dans leurs biens ou dans leurs corps (impuissance, stérilité, maladie, mort : c’est l’héritage de la sorcellerie « populaire »), mais pour la société dans son ensemble, menacée de destructuration. Les sorciers sont supposés se réunir régulièrement dans une assemblée, le sabbat, défini à la fois comme une fête de la transgression, avec ses simulacres de cérémonie religieuse, ses festins cannibales et ses orgies incestueuses, et comme une assemblée de conspirateurs où s’élabore une stratégie précise de subversion généralisée, dont l’une des formes privilégiées est la séduction progressive de l’ensemble du corps social.           Une très violente répression (juridictions exceptionnelles, tortures, bûchers) va, tout au long du XVIe siècle, se développer dans une grande partie de l’Europe, et les théories vont s’amplifier en raffinant peu à peu cette « vulgate ».

Le XVIIe siècle connaîtra à la fois l’apogée de cette représentation, la suite de la répression, et sa disparition. La fin du règne d’Henri IV est marquée de nombreuses poursuites, dont l’action de Pierre de Lancre dans la province du Labourd, en Pays basque, le meilleur exemple. Ces poursuites annoncent aussi certains des débats qui, autour de la sorcellerie, continueront à marquer le siècle, opposant en particulier le pouvoir médical au pouvoir ecclésiastique et judiciaire, alors qu’en France la fin de la répression officielle est signifiée par l’édit de Colbert (Juillet 1682), transformant la sorcellerie en délit d’escroquerie, et ne retenant comme crimes véritables que le sacrilège et l’empoisonnement.

La Bourgogne, le Nord de la France, la Lorraine, la Franche-Comté, le Languedoc, et la Normandie sont donc le lieu, tout au long du siècle, de procès « classiques », mais les débats les plus célèbres, au XVIIe siècle, et qui mettront aux prises des médecins, des parlementaires de Paris et de province, des hommes d’Église, etc… seront provoqués par des « affaires » significatives d’une nette évolution de la nature idéologique et symbolique des problèmes de sorcellerie. Les accusés sont alors des prêtres, le théâtre de l’action, des couvents, et les principales héroïnes des religieuses possédées, d’une situation sociale parfois assez élevée. Ce furent les cas de Madeleine Demandols et de Louis Gaufridy, curé des Accoules, à Aix-en-Provence (1609-1611), de la mère Jeanne des Anges et du curé Urbain Grandier à Loudun (1632-1634), enfin de Madeleine Bavent, du curé Picard et de son vicaire Thomas Boullé à Louviers (1643-1647). Le caractère particulier des différents protagonistes, comme l’aspect spectaculaire d’exorcismes publics, qui donnèrent lieu à de véritables mises en scène abondamment commentées, expliquent le retentissement scandaleux de ces procès, à propos desquels les doutes sur la véracité des témoignages et des aveux s’exprimèrent avec véhémence, sans pouvoir éviter aux accusés la mort sur le bûcher.

Je distinguerai donc deux représentations du corps sorcier : dans le cas de la sorcellerie comme de la possession, il s’agit bien sûr presque toujours de corps féminins. Non, qu’il n’y ait pas d’accusés masculins dans les procès, mais parce que les théoriciens, suivant en cela le texte source des dominicains Sprenger et Institoris (1486) : Le Malleus maleficaruem ou Marteau des sorcières (6), posent que toute femme, descendante d’Ève, est potentiellement sorcière, et que la sorcellerie est donc essentiellement une hérésie féminine :

« puisqu’elle a été faite d’une côte courbe (…), tordue et comme opposée à l’homme. Il découle aussi de ce défaut que, comme un vivant imparfait, elle déçoit toujours » (p. 163)

Mais le corps de la possédée se donne lui-même, préalablement à toute intervention de la parole, et avant d’être livré aux discours interprétatifs de toutes sortes, comme signe, comme langage, dans la mesure où il se fait spectacle. Et l’on possède aussi un certain nombre de récits à forme autobiographique, non sans rapport d’ailleurs aux autobiographies des mystiques, où ce sont les possédées elles-mêmes qui racontent leur expérience. Il en va différemment du corps sorcier, pour lequel il s’agit d’imaginaire. Le corps ne se donne pas à voir, il s’évoque, se dit, se raconte dans un discours, il est un pur effet de texte dont la prégnance est telle qu’il finira par conditionner le réel : celui du corps de la sorcière livré à ses juges, mais aussi, trois siècles plus tard, celui des femmes que Charcot et son école, curieusement fascinés par les textes des démonologues, définiront sous le terme générique d’hystéro-épileptiques. Ce qui ne signifie pas que, dans certains cas du moins, les accusées ne participent pas, d’une certaine façon, dans un échange pervers dont on sait bien que la situation des procès peut le produire, à l’élaboration de la représentation, et qu’on ne puisse percevoir donc, dans l’évocation fascinée de ceux des démonologues qui ont conduit des procès, quelque chose aussi d’une fantasmatique féminine.

Le corps sorcier, et a fortiori lorsque le sorcier est une sorcière, est toujours évoqué, chez les démonologues, comme s’inscrivant dans les différents registres du paroxysme. La théologie chrétienne fait de l’homme un miroir de Dieu, or l’hérésie des sorcières fut très vite définie comme une anti-religion. Les suppôts du démon sont donc supposés entretenir eux aussi une relation spéculaire à leur maître, et, comme lui, de manifester, en de continuelles métamorphoses, une inconstance, une indétermination des formes « aggravée de mutabilité ». C’est ce que traduit le titre même du traité du démonologue qui me servira de référence. Pierre de Lancre (7), dont la majorité des accusées étaient des femmes, en raison de l’économie particulière d’une région dont les hommes sont pêcheurs à Terre-Neuve, absents donc lors de la majeure partie de la campagne répressive, fait de ce caractère insaisissable le signe  essentiel du caractère démoniaque. Dans son Traité de l’inconstancedes mauvais anges et démons, il écrit :

[le diable] « ôte le poids et la fermeté aux choses qu’il a en son pouvoir, et surtout aux âmes qu’il possède, et les entretient toujours en inconstance, mouvement et légèreté pernicieuse ».

Comme les démons,

[les sorciers sont] « d’humeur inconstante et vagabonde, et désirent d’être toujours errants ».

Cette caractéristique va conditionner en quelque sorte la représentation du sabbat :

« On y voit cent mille ressorts, cent mille mouvemens divers, les uns en l’air, comme feux artificiels, eslancés à perte de vue […j. Le sabbat est comme une foire de marchands mêlés, furieux et transportés, qui arrivent de toutes parts. Une rencontre et mélange de cent mille sujets soudains et transitoires […]. Parmi ces mêmes sujets, il s’en voit de réels, et d’autres prestigieux et illusoires, aucuns plaisants (mais fort peu), comme sont les clochettes et instruments mélodieux qu’on y entend de toutes sortes, qui ne chatouillent que l’oreille, et ne touchent en rien au cœur : consistant plus en bruît qui étourdit et étonne, qu’en harmonie qui plaise et réjouisse. Les autres déplaisants pleins de difformité et d’horreur, ne tendant qu’à dissolution, privation, ruine et destruction. »

Espace pernicieux donc que celui du sabbat, espace imaginaire de la transgression absolue, s’opposant à la rigidité de l’ordre officiel, à la topologie d’un univers hiérarchisé et harmonieux, à l’image d’un pouvoir qui pour se maintenir doit déterminer précisément places et fonctions. Mais espace évoquant irrésistiblement, surtout chez de Lancre en qui Michelet, dans sa Sorcière, reconnaîtra le plus littéraire de tous les démonologues, un théâtre baroque dont le diable est le metteur en scène, et où les corps des sorcières vont former d’étranges signes. Au sabbat, c’est en effet le corps qui parle, d’autant que les voix qui s’y font entendre n’ont d’autres fonctions que de remettre en cause la toute-puissance de la parole divine, du logos : et quelle plus sûre atteinte au logos divin que celle qui touche justement l’organe de la parole, la voix ? Celle du démon est toujours déformée : pour de Lancre

« Le démon a la voix effroyable et sans ton, quand il parle on dirait que c’est un mulet qui se met à braire, il a la voix cassée, la parole mal articulée et peu intelligible, parce qu’il a la voix toujours triste et enrouée. »

Voix d’un mélancolique mais qui surtout, sort de la tonalité du langage humain, dépositaire de la parole divine. De même, les incantations qu’on entend au sabbat, mélange au Labourd de latin, d’espagnol et de basque, ne délivrent aucun sens repérable. Rythme pur, elles sont aussi dans un rapport direct au corps, et non signes d’une expression discursive. Au sabbat d’ailleurs les sorciers « s’abrutissent […] et perdent la parole […] et les bêtes au contraire y parlent, et semblent avoir plus de raison que les personnes, chacun étant tiré hors de son naturel ». L’un des plus grands triomphes du juge en son tribunal sera de vaincre le fameux maléfice de taciturnité, qu’il soit provoqué par un talisman caché sur le corps de la sorcière ou par l’action directe du démon, qui, selon le démonologue Del Rio, est « saisie corporelle du sorcier, lui bouchant au-dedans la gorge et la bouche, avec telle modération pourtant, qu’il ne soit pas suffoqué du tout, mais qu’il ne puisse parler ».

Hans Baldung Grien. L’instant du départ.

Si la musique du sabbat n’est qu’un « bruit », sa danse, à l’opposé du modèle platonicien, réglé et harmonieux, est une perpétuelle offense à « l’image du Sauveur » que, et tous les auteurs le rappellent, l’homme porte sur son visage et l’ensemble de sa personne. Déformé par une agitation tant intérieure qu’extérieure, ce corps y devient la métaphore de l’inconstance démoniaque.

« [Les danses du sabbat sont] les plus violentes, les plus animées, les plus passionnées […], les plus découpées, et celles qui agitent et tourmentent le plus le corps, celles qui plus le défigurent ».

De Lancre fait significativement, de l’historique de la sorcellerie à travers les religions antiques, une sorte de catalogue des déformations du corps. Il évoque les :

« terribles et furieux mouvements […] en la face et tout le corps de la pythonisse […] une femme montée sur un trépied, dodinant la tête toute échevelée, ayant les lèvres renversées, les yeux contournés, le sein pantelant et les flancs lui battant jusques à ce qu’elle se put délivrer de ce furieux avorton et furieux esprit dont elle était agitée »

et d’autre part :

« les Corybantes des Gaulois qui aux sacrifices de la mère des Dieux sautaient et dansaient observant certaines cadences étranges, s’entrecossant du front, et se jetant en bas la tête la première à guise des pêcheurs de perle ».

Il verra l’aboutissement du processus dans les danses espagnoles, bohémiennes et basques, préludes à celle du sabbat, comme la sarabande,

« danse la plus lubrique et la plus effrontée qui se puisse voir […] la plus violente, la plus animée, la plus passionnée, et dont les gestes, quoique muets, semblent plus demander avec silence, ce que l’homme lubrique désire de la femme, que tout autre ».

Ou encore :

« les danses [espagnoles] les plus découpées, et celles qui agitent et tourmentent plus le corps, celles qui plus le défigurent, et toutes les plus indécentes sont venues de là […] ces danses bohémiennes et basques qui] rendent presque les hommes furieux, et font avorter le plus souvent les femmes ».

et qu’il oppose significativement aux « danses reposées et graves » de la cour de France.

Hans Baldung Grien. Drei Hexen.

François Hédelin, abbé d’Aubignac, dans Des Satyres brutes, monstres et démons, publié en 1627 (8), évoquera encore ces « danses, furieuses et forcenées que démenaient ceux de cette confrérie, agités du malin esprit », précisant même que « par les sabbats l’on entend spécialement les danses maudites et à contredos des démons et des sorciers mêlés ensemble ». Danses à l’envers qui, pour De Lancre, déforment à jamais les corps, y inscrivant à la fois l’inversion sacrilège (« Le diable, qui n’aime que désordre, veut que toutes choses se fassent à rebours ») et la violence même des réjouissances du sabbat :

« On y danse toujours le dos tourné au centre de la danse qui fait que les filles sont si accoutumées à porter les mains en arrière en cette danse ronde, qu’elles y traînent tout le corps, et lui donnent un pli courbé en arrière, ayant les bras à demi-tournés : si bien que la plupart ont le ventre communément grand, enflé et avancé, et un peu penchant sur le devant. »

En fait, le texte du magistrat prend ici sans doute le relais d’un autre type de discours savant : la grande période de la chasse aux sorcières est en effet à peu près contemporaine de la condamnation et de l’interdiction d’un certain nombre de fêtes populaires jugées subversives, aboutissement logique des textes des clercs, qui, depuis le onzième siècle, condamnaient l’art des jongleurs. Ces derniers sont eux aussi caractérisés comme des instables et des vagants, donnant en spectacle un corps quasiment fictif, déformé par un usage déréglé de la gestualité. La gesticulatio des jongleurs est pensée dans l’ordre de l’indécence et de l’excès, de la perversion : elle est dérèglement du rapport naturel entre les différentes parties du corps (9). Les images du bateleur viennent d’ailleurs spontanément sous la plume de De Lancre, mais elles sont aussi à l’arrière-plan de cette description par Henri Boguet, autre juge, qui opéra en Franche-Comté, et écrivit en 1602 un Discours exécrable des sorciers (10), description donc de l’adoration du diable :

« Vrai est que adorant Satan ils ne se tiennent toujours en même posture tantôt le suppliant à deux genoux, tantôt se renversant sur le dos ; tantôt jetant les jambes en haut, ne baissant la tête sur la poitrine, ains la relevant de façon que le menton soit tourné vers le ciel. »

Le corps diabolique s’exhibe comme fiction, subvertissant les hiérarchies et séparations naturelles, et glisse sans cesse d’un ordre à l’autre.

Et cette expression paroxystique du désordre touche aussi le corps interne : Déjà, pour les auteurs du Marteau :

« Lorsque [la sorcière] hait quelqu’un qu’elle a d’abord aimé, alors elle brûle de colère et d’impatience ; comme les vagues de la mer sont sans cesse en ébullition et en mouvement, ainsi elle est totalement en fureur ».

Un autre démonologue, le jésuite érudit Martin Del Rio, auteur en 1599 d’un Disquisitionum magicarum libri sex traduit par les Disputes et recherches magiques, 1608 (11) évoque un diable qui, médecin à l’envers, produit chez ses victimes de véritables maladies :

Il excite les maladies mélancoliques. Car du commencement il esmeut la bile noire, qui est dans le corps, et en pousse les fumées aux cellules des sens intérieurs. Puis après il augmente cette humeur par l’accès de choses brûlantes, ou bien la retient, et l’empêche de s’évacuer. Il cause l’épilepsie, la paralysie et semblables maladies par l’apport des sucs plus grossiers, bouchant quelquefois le ventricule du cerveau, quelquefois les racines des nerfs. Il rend aveugle ou sourd, en amoncelant des excréments nuisibles aux yeux ou aux oreilles.

Ce n’est pas un hasard si, le pouvoir médical prenant au XVIIe siècle le relais des puissances légales et théologiques en matière de sorcellerie, le nouveau discours sur la possession, s’il exclut toute intervention diabolique, reproduit en fait les mêmes structures fantasmatiques. Pierre Yvelin, auteur en 1643 d’un Examen de la possession des religieuses de Loudun, mêlera encore, pour expliquer « médicalement » les possessions, les effets « putréfiants » d’une union explosive du feu et de l’humide :

« Ceux qui publient si hardiment les possessions ne savent pas ce que peut sur les corps un humeur mélancolique brûlé, ou la malignité d’une semence pourrie et renfermée en sorte qu’elle n’ait point d’issue […] Si cet humeur mélancolique croupit dans les hypocondres, il s’en élève des vents de qualité assez maligne pour produire tous ces effets qui semblent si étranges et si extraordinaires, pour ce que la chaleur qui travaille pour les dompter esmeut non seulement les humeurs, mais encore mesle les humeurs les vapeurs et les vents en diverses sortes, et ces mélanges encore produisent des effets tous différents selon la partie qu’ils attaquent. Et que ne feront-ils pas si la vapeur d’une semence pourrie dans la matrice vient se joindre à cet autre humeur… »

Le processus trouve sa suite logique au procès, où la sorcière est supposée littéralement habitée par le démon. Il la visite en son cachot, la plonge dans des transes pour proposer à son imagination les scènes qu’elle a déjà vécues au sabbat, ou pour lui éviter les souffrances de la torture. Il s’insinue dans sa gorge pour l’empêcher de parler — c’est le « maléfice de taciturnité » —, chuchote à son oreille pendant les interrogatoires, fait encore gesticuler son corps. Lorsque ce corps est exhibé devant ses juges, il s’agit pour le regard inquisiteur d’en percer le secret, de parvenir à une certitude, bref vaincre de Satan dans le corps de ses suppôts. C’est alors du côté du juge que passe le paroxysme, celui d’une curiosité que Lacan avait exprimée en général, mais qui me paraît trouver particulièrement son illustration lors des procès en sorcellerie :

« Ce qui est cherché, et plus qu’en tout autre dans le témoignage juridique, c’est de quoi pouvoir juger ce qu’il en est de la jouissance » (12).

Tous les traités soulignent l’importance du regard du juge sur l’accusée, dont la « contenance » peut être révélatrice, dont chaque mouvement peut trahir la vérité. Le juge, dit le Marteau des sorcières, doit « noter les signes ». C’est dire qu’il est d’avance convaincu de la duplicité de celle qu’il a devant lui (Satan n’est-il pas prince du mensonge ?) et qu’un véritable délire d’interprétation, étayé par le mode d’emploi que constituent les manuels de démonologie, va lui permettre de « mettre à jour » (l’expression est de De Lancre) et, en fait, de produire ce qui était caché. Ainsi, l’expression d’un désespoir absolu est-il interprété comme une manifestation des ruses inspirées par le diable à l’accusée, qui tente de contredire dans ses manifestations corporelles l’image convenue de la sorcière. Alors en effet que la sorcière est supposée incapable de verser des larmes :

« Une femme de Biarrix aagée de quarante ans nous parla du Sabbat pleurant aussi amerement que je vis jamais créature […] avec de grandes larmes et exclamations reitérées par plusieurs fois […], se jettant la teste contre la table sur laquelle nous recevions son audition ».

Cet acharnement à vouloir révéler, sous des apparences trompeuses, la réalité de la sorcière, celle qui s’exprime dans cette vie seconde et nocturne du sabbat traduit, tout autant que la passion affirmée de la vérité, à la fois la fascination pour le secret même, et la frustration permanente devant ce qui est révélé. À mesure en effet que l’interrogatoire semble produire un effet d’élucidation, quelque chose reste toujours au-delà de la limite du compréhensible. De Lancre s’étonne sans cesse de « l’infinité de choses inconnues, étranges, et hors de toute créance » qu’il découvre, alors que son texte dit clairement qu’il a tout fait pour susciter cette étrangeté. Avant de l’annihiler sur le bûcher, on fait donc de ce corps un examen complet, véritable inventaire de sa matérialité. La sorcière est censée porter une marque, sceau de son pacte avec le diable, inscription dont la forme est variable (crapaud, patte de lièvre) et dont la caractéristique est d’être insensible. Cette marque se dissimule sur le corps de l’accusé, s’évanouit parfois dès qu’on pense l’avoir repérée, se cache soit dans les

« parties sales : fondement de l’homme ou nature de la femme, soit à l’autre extrême, dans les lieux les plus nobles et les plus précieux qui soient en la personne, la bouche et les yeux ».

Cette recherche, effectuée à l’aide de longues aiguilles, apparaît comme une métaphore de la quête de la vérité, un double du questionnaire du juge. Voici comment deux « maîtres chirurgiens » relatent la recherche de la marque sur le corps de Michée Chauderon, dont le procès se déroula à Genève en 1652 (10). Ils évoquent :

« quelques stygmates sur [l’accusée] où elle a eu un sentiment exquis avec perte de sang, hormis en celle qui nous est apparue trois doigts sous la mamelle droite de la grandeur d’une lentille, et y ayant introduit ladite aiguille longue d’un grand doigt l’avons poussée directement dedans de la longueur du doigt sans qu’il y ait eu aucun sentiment […] Toutes lesquelles choses ci-dessus déduites nous fait juger que c’est une marque tout-à-fait extraordinaire et suspecte ».

Avant même l’intervention de la torture proprement dite, il s’agit bien d’une véritable agression sadique, dont on trouve l’expression qu’on pourrait qualifier de « naïve » dans les comptes-rendus des juges. Ainsi Boguet disant « j’ai vu, ouï et sondé le plus exactement qu’il m’a été possible pour tirer la vérité d’eux ». Ainsi De Lancre affirmant que la marque est parfois « si bien cachée sur le corps de la sorcière qu’il faudrait mettre ce même corps en pièces pour le trouver ». Ou, déjà les auteurs du Marteau notant que :

« sauf si la force divine par un saint ange concourt pour lever le maléfice du diable, elle se retrouve si insensible aux souffrances qu’on lui arracherait plutôt les membres que de pouvoir lui tirer quelque vérité ».

Il s’agit toujours d’écraser un corps, de le réduire, de l’inscrire dans un ordre qui le rende inoffensif. En faisant naître à l’existence une marque démoniaque qui n’a d’autre réalité que celle de leurs écrits, les démonologues font à nouveau, symboliquement, entrer le corps de l’autre dans l’ordre de la grammatica, du signe aisément déchiffrable.

Devant un mystère qui résiste d’autant mieux que les discours tendant à le révéler ne font que le rendre plus profond, les réactions peuvent aller, comme chez Boguet, jusqu’à la claire expression d’un désir de destruction absolue :

« Si les résultats, dit-il, correspondaient à mes désirs, la terre se libérerait rapidement [des sorciers], car je voudrais que tous fussent réunis en un seul corps, afin de pouvoir ainsi les brûler tous sur un seul bûcher ».

Mystère du corps en effet, mystère surtout d’une jouissance, pour en revenir à l’expression de Lacan, qui reste l’objet essentiel des interrogations.

Le sabbat est le lieu de toutes les transgressions sexuelles, bestialité, sodomie, inceste :

« Le diable leur commandait de s’accoupler et se joindre, leur baillant à chacun tout ce que la nature abhorre le plus : savoir la fille au père et le fils à la mère, la sœur au frère, la filleule au parrain, la pénitente à son confesseur, sans distinction d’âge, de qualité ni de parentèle ».

Le diable lui-même se fait indifféremment incube ou succube pour satisfaire ses adorateurs des deux sexes. Or, comme le remarquait déjà Boguet, « la copulation avec les démons ne leur est point plaisante ». Et pourtant, s’étonne De Lancre, si le rapport sexuel peut au sabbat engendrer, selon une accusée de 16 ans, d’étranges souffrances :

« Dit que lorsque le diable les connaît charnellement elles souffrent une extrême douleur, les ayant ouies crier, et au sortir de l’acte, les ayant vues revenir au sabbat toutes sanglantes, se plaignant de douleur, laquelle vient de ce que le membre du démon étant fait à écailles comme un poisson, elles se resserrent en entrant, et se lèvent et piquent en sortant ».

Si elles y sont « transportées en l’air avec violence et péril »,  les sorcières ont pourtant « une volupté admirable et un désir enragé d’y aller et d’y être ». Elles trouvent leur satisfaction dans ces situations « horribles, exécrables ». Même si l’on fait la part des réécritures de De Lancre, compliquées par le fait qu’il se fait traduire les aveux des accusées basques, il faut bien constater que la plupart des accusées insistent sur le désir et le plaisir du sabbat : Marie de la Ralde, 26 ans, sorcière « repentie », lui conte le « merveilleux plaisir » qu’elle y prenait, et comment « elle y allait comme à noces ». Le diable, ajoute-t-elle :

« tient tellement liée la volonté de ceux qui y ont été une ou deux fois que malaisément laisse-t-il loger dans leur entendement un plus fort et violent désir que celui-là ».

Une autre parlera d’« extrême plaisir et réjouissance » et Catherine de Landalde précisera :

« qu’étant auprès du feu le soir, il lui venait une telle envie d’aller au sabbat, qu’elle ne pouvait en chose quelconque avoir un plus fort et violent désir que celui-là ».

Jeanne Dibasson déclare :

« que le sabbat était le vrai paradis, où il y a beaucoup plus de plaisir qu’on n’en peut exprimer: Que ceux qui y vont trouvent le temps si court à force de plaisir et contentement, qu’ils n’en peuvent sortir sans un merveilleux regret, de manière qu’il leur tarde infiniment qu’ils y reviennent ».

ou encore,

« es plaisirs et la joie y sont si grands et de tant de sorte, qu’il n’y a homme ni femme qui n’y coure très volontiers ».
« Toutes ces abominations, toutes ces horreurs n’étaient que choses si soudaines, et qui s’évanouissaient si vite, que nulle douleur, ni déplaisir ne se pouvait accrocher en leur corps ni en leur esprit : si bien qu’il ne leur restait que toute nouveauté, tout assouvissement de leur curiosité, et accomplissement entier et libre de leurs désirs, et amoureux et vindicatifs, qui sont délices des Dieux et non des hommes mortels. »

Fantasme ici d’une liberté sans limite, d’un corps allégé de toutes contraintes.

« Qu’étant une nuit au sabbat, elles virent que Domingua Maletena sorcière, sur la montagne de la Rhune, si haute, et le pied ou base si large, qu’elle voit et borne trois royaumes, France, Espagne et Navarre, fit par émulation avec une autre […] à qui ferait un plus beau saut, si bien qu’elle sauta du haut de ladite montagne, jusques sur un sable qui est entre Hendaye et Fontarrabies, qui est bien près de deux lieues »
« Ayant vu cent personnes qui confessaient avoir été portées au sabbat ores par le démon, ores par les femmes qui les enlevaient, si vitement et en si haut lieu, […] qu’ils n’y avaient que plaisir, ne sentant nulle violence, bien que ce fut comme d’un seul saut, ains ils y avaient le même plaisir que les enfants prennent communément quand assis à chevauchon sur une perche en égal contrepoids chacun assis à un bout ils se lèvent et abaissent chacun à son tour, ou comme ceux qui vont se branlant et rondoyant sur l’escarpolette ».

Représentation à peine hyperbolique d’un Éros féminin insatiable et destructeur, la sorcière joue avec le feu du sabbat, feu fictif aussi, dérision absolue des foudres ecclésiastiques :

« [le diable] leur persuade que la crainte de l’enfer qu’on appréhende si fort, est niaiserie, et leur donne à entendre que les peines éternelles ne les tourmenteront pas davantage que certain feu artificiel qu’il leur fait cauteleusement allumer, par lesquel il les fait passer et repasser sans souffrir aucun mal. »)

On comprend ici qu’il s’agit d’une lecture toute particulière des feux de la Saint Jean ou d’autres réjouissances traditionnelles, mais auxquels les démonologues assignent une force symbolique conforme à leurs angoisses : car les sorcières « pensent pour le moins être déjà apprivoisées avec le Diable, et que les peines éternelles, le feu d’enfer et celui du sabbat c’est même chose ».

Le juge commente cette expression répétitive d’un plaisir sans borne, proprement paroxystique, expression qu’il a sans nul doute provoquée par l’insistance de ses questions sur ce qu’il faut bien appeler une érotique du sabbat, en évoquant « l’effronterie » des aveux, dont il dit essayer de « faire grande horreur » aux femmes, et en exprimant sa surprise devant le contraste entre les scènes évoquées :

« que les ouïr seulement raconter fait dresser les cheveux, hérisser et frissonner toutes les parties du corps »

et la « volupté admirable » qu’en disent éprouver les sorcières,

« trouvant les jours trop reculés de la nuit pour faire le voyage si désiré, et le point où les heures pour y aller trop lentes, et y étant, trop courtes pour un si agréable séjour et délicieux amusement »

L’expression obsédante de ce plaisir peut apparaître comme une réponse, dans une sorte de stratégie du désespoir, à celui que le juge témoigne éprouver à « voir et entendre » ces récits. Les mots de l’aveu —proférés dans un état d’étrange jouissance — entrent ainsi dans une intimité perverse avec le discours du juge, dans une parole intarissable, en rajoutant sur les détails espérés. L’une des accusées évoque :

« un merveilleux plaisir en ces accouplements, voire elle nous témoignait un merveilleux plaisir à le dire et conter, nommant toute chose par leur nom plus librement et effrontément que nous ne lui osions faire demander ».

Et de Lancre commente :

« Au lieu de taire ce damnable accouplement, d’en rougir et d’en pleurer, elles en content les circonstances et les traits les plus sales et les plus impudiques, avec une telle liberté et gaieté, qu’elles font gloire de le dire, et prennent un singulier plaisir de le raconter […] Elles ne rougissent du tout point, quelque impudente et sordide question ou sale interrogatoire qu’on leur fasse […] Les fillettes de treize à quatorze ans l’expriment plus volontiers qu’on ne leur demande ».

L’explication, les explications sont sans doute très complexes, de ces particularités des discours rapportés des sorcières basques, non sans rapport d’ailleurs avec le discours mystique. Sans même parler du cas de celles que de Lancre nomme des « sorcières repenties », comme une certaine Morguy à propos de laquelle Michelet a beaucoup brodé (14), et qui lui servent d’informatrices et de délatrices, on peut supposer qu’il s’agit de la part de ses accusées d’une provocation désespérée, d’une perverse évolution provoquée, on le sait, par la situation d’humiliation qui soumet la victime à la contamination des fantasmes du bourreau (15), et qui s’exprime ici tant dans le contenu des aveux que dans la concentration de la jouissance dans les actes de parole, sur la théâtralisation du dire, qui prend alors en charge l’expression paroxystique des corps du sabbat.

Le médecin Hecquet, dans sa Médecine théologique (1733), dira lui aussi, à propos des convulsionnaires de Saint-Médard, qui revendiquent en leur corps l’expression d’une vérité divine, l’horreur blasphématrice de ces corps féminins :

« La convulsionnaire en extase se montre dans ses convulsions avec des contorsions, des attitudes et des culbutes qui désignent ouvertement l’érotisme de jeunes vaporeuses lascivement hystériques. […]
« Et par où prétendent-elles, ces hardies créatures, justifier leurs postures et leurs nudités ? Car elles ne s’en défendent pas, et l’on rougit pour elles de leurs réponses ; car elles ne sont ni secrètes ni incertaines : elles demandent aux ecclésiastiques, qui ont voulu les reprendre, ce qu’ils pensent de la nudité où le Sauveur du monde a été mis en croix ? Un tel parallèle fait frémir… » (16)

Le texte démonologique, et les textes médicaux qui suivront, ont donc entre autres pour fonction de réinstaller le discours de l’ordre, de la lumière, des hiérarchies, en s’opposant au règne chaotique du désordre, de l’obscurité, des conjonctions bizarres, de l’excès. À l’horreur d’une parole du corps, obscène et d’ailleurs indéchiffrable par le code savant, se substitue un discours où le logos triomphe, et le corps anarchique, dangereux de l’autre est écrasé au profit de la grammatica, des règles du discours. Chaque auteur prend soin d’ailleurs de rappeler qu’il agit au nom du souverain terrestre, et, au-delà, de sa caution  céleste. On a vu par ailleurs comment la curiosité, la fascination pour le corps de l’autre, est aussi répulsion, désir de détruire, physiquement ou symboliquement, ce corps.

Du côté des aliénistes : l’hystérique.

Corps si dangereux par la séduction même qu’exerce son secret, et qui s’exercera encore, quelques siècles plus tard, sous des modalités étrangement semblables (17), chez les aliénistes de l’école de La Salpêtrière, autour de Charcot. Entre 1860 et 1880, ils entreprendront de rééditer, dans une collection significativement nommée la « Bibliothèque diabolique », un certain nombre de textes concernant la sorcellerie, dont le procès de Michée Chauderon (18), et le docteur Bourneville, directeur de la collection,  justifiera ainsi cette initiative :

« Si on examine de près les procédures, il n’est pas difficile de se convaincre que le plus grand nombre des individus condamnés comme sorciers étaient hystériques ou aliénés. Les détails des procès de sorcellerie ne laissent aucun doute sur ce point, et c’est pour cette raison qu’ils offrent un si grand intérêt aux médecins qui s’occupent de l’étude des maladies nerveuses ou mentales ».

Pour lui, la chasse aux sorcières doit entrer dans « l’histoire des épidémies mentales ». Pour un autre aliéniste de la même école, le docteur Axenfeld, les sorcières auraient dû apparaître :

« ce qu’elles étaient réellement, des malades, leurs crises auraient pris le nom de symptôme, et dans les registres des tribunaux on n’aurait eu autre chose que de vastes recueils de faits cliniques ».

En 1935 encore, le docteur Zilboorg considère que :

« Le Marteau des sorcières, avec quelques annotations, pourrait être utilisé comme un excellent recueil moderne de psychiatrie clinique descriptive du XVe siècle, si le mot sorcière était remplacé par le mot patiente, et si le diable était éliminé. »

La modification de la causalité (on passe de la réalité d’une relation diabolique à « quelques trouble fonctionnel ou organique du système nerveux », du registre démonologique au registre pathologique) n’empêche pas la reprise des mêmes schémas :

« Presque toujours le sujet qui est atteint de manie sabbatique est une femme, le plus souvent même une veuve […] ce sont des esprits faibles et à passions violentes […]. Le plus grand nombre sont des hystériques, à mentalité anormale, faite de débilité et de suggestibilité. […Elles ont] un désir passionné de vengeance » (19).

Ainsi le docteur Huchard, dans un article de 1883 dans les Archives de la neurologie, à propos des hystériques :

« Leur caractère change comme les vues d’un kaléidoscope […] Hier, elles étaient enjouées, aimables et gracieuses, aujourd’hui, elles sont de mauvaise humeur, irascibles et susceptibles, se fâchant de tout et de rien, indociles par système, taquines par parti pris, maussades par caprice, mécontentes de leur sort […] elles éprouvent une antipathie très grande contre une personne qu’hier elles aimaient et estimaient, ou au contraire une sympathie incompréhensible pour telle autre. Ainsi poursuivent-elles de leur haine certaines personnes avec autant d’acharnement qu’elles avaient autrefois mis de persistance à les entourer d’affection. »

On ne saurait mieux faire apparaître qu’un nouveau type de discours de pouvoir — qui s’exprimera plus généralement dans le discours psychiatrique sous sa forme professionnelle ou banalisée — a pris la place du précédent, qu’on n’a fait que passer du registre démonologique au registre pathologique, mais que le langage spécifique du corps est nié de la même façon, enregistré dans les classifications étrangères d’une écriture savante qui l’efface en même temps qu’elle le désigne. Il n’est pas jusqu’aux pratiques curatives qui ne prennent le relais des usages inquisitoriaux, de l’aveu même, naïvement satisfait, des aliénistes. Quelques exemples :

Charcot : « On se surprend quelquefois à admirer la ruse, la sagacité et la ténacité inouïe que les femmes qui sont sous le coup de la grande névrose mettent en œuvre pour tromper, surtout lorsque la victime doit être un médecin ».
Richet : « Le médecin qui examine les hystériques doit songer sans cesse qu’elles veulent le tromper, lui cacher la vérité, et lui montrer des choses qui n’existent pas.
Regnard : « Aujourd’hui la médecine et la physiologie vous montrent les vieilles démoniaques dépouillées de leur attirail infernal, le bûcher est transformé en douche hydrothérapique et le tortionnaire en un placide interne. »
« L’hystéro-épilepsie sert à expliquer tout ce qu’il y a de vrai dans la sorcellerie […]… C‘était des malades dont la place était non sur le marché, à l’échafaud, mais en un cabanon, et auxquels il fallait non pas les cageots ou l’écartèlement, mais la camisole de force »

À propos de l’esprit de contradiction des hystériques :

« Ni les supplications, ni les tortures et les supplices ne peuvent parvenir à les faire céder » (20)

Je rappellerai que pour Pinel, qui fait figure au XIXe siècle de héros de la psychiatrie pour avoir délivré les aliénés, définissait dans son Traité médico-philosophique la douche en question de « moyen de répression « susceptible de « dompter les aliénées entraînées par une sorte d’humeur turbulente ».

Ajoutons que, dans cette nouvelle nosographie, l’insensibilité des marques est traduite en terme d’« hémianesthésie », qu’on utilise aussi des aiguilles pour les repérer, « procédé », remarque Bourneville, « d’usage courant dans les services de maladies nerveuses », et qui « a été parfois considéré par des auditeurs inexpérimentés comme quelque peu inhumain »… (21) Les récits de sabbat sont attribués à la « démonolâtrie », caractérisée par des hallucinations.

Ernest Martin, Histoire des monstres, depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours, 1880 (22) : « Démonologie. – Incubes et succubes. Leurs rapports avec les monstres. » : « Il suffit d’avoir assisté une seule fois à une attaque hystérique pour comprendre le rôle qu’on faisait jouer au diable dans l’éclosion de cette affection, et les terreurs que répandaient autour d’elles les malheureuses qui en étaient atteintes ; les chutes soudaines, les mouvements désordonnés, les grimaces affreuses, les attitudes passionnelles, les hallucinations, les visions d’animaux, les cris, toute cette scène, était bien faite pour terrifier ceux qui en étaient les témoins incapables de s’en rendre compte ; mais aujourd’hui le médecin y assiste impassible, se livrant à une analyse raisonnée de l’affection et cherchant à en déterminer la nature afin d’y appliquer une médication efficace. Toutes les descriptions qu’on rencontre chez les démonographes sont la preuve irrésistible de l’identité des symptômes de l’hystéro-épilepsie avec la possession diabolique ; aussi le professeur Charcot, qui [] s’est livré à une étude si approfondie de cette névrose, a-t-il pu donner à l’une de ses phases l’appellation de période démonopathique ».

Transcription de discours à discours par laquelle le corps sorcier, et son avatar le corps hystérique, restent inscrits dans un réseau préétabli, voués au silence comme l’avait été, avant eux, le corps festif du carnaval, inquiétants comme lui par leur théâtralité et leur prétention à « dire » sans recourir à la parole discursive. Écrasés par les discours officiels autant que par la répression physique, ils deviennent simple pièce d’une stratégie idéologique qui les figure en corps monstrueux, qui en font les repoussoirs, les images renversées et marginalisées des sujets de la société « idéale », sujets aux corps sains, harmonieux, sédentaires, productifs, et clairement déchiffrables.

Je rappellerai enfin que dans le livre Les démoniaques dans l’art, Charcot a mêlé les représentations picturales d’exorcismes, les gravures des convulsionnaires de Saint-Médard, aux dessins des « crises » des hystériques de la Salpêtrière. Ce livre a été réédité par Georges Didi-Huberman (23), qui étudie dans une magnifique post-face la fonction d’un discours où Charcot « déhistoricise » la sorcellerie en y lisant la même attaque hystérique que celle que vivent ses patientes. Sorcières, possédées, convulsionnaires, crisiaques, somnambules, hystériques sont toutes représentantes du même symptôme hystérique : l’histoire est éclairée par la clinique, et la représentation picturale vient justifier l’invention revendiquée d’une nouvelle nosographie médicale.

Les possédées.

Les aliénistes et psychiatres classaient donc dans la même catégorie sorcières, possédées, mystiques extatiques et convulsionnaires. Quelques mots rapides du cas des possédées, que je n’ai pas aussi assidûment étudié, mais qui l’a beaucoup été par d’autres. Mais pour montrer qu’avec les possédées, comme avec les convulsionnaires du XVIIIe siècle, nous entrons dans un tout autre registre. Cette fois, il ne s’agit plus d’un corps fantasmé, d’un corps d’écriture, mais d’un corps réel, qui se donne à voir, s’exhibe en un théâtre dont Michel de Certeau (24) a bien analysé, à propos du cas des Ursulines de Loudun et de leur supérieure, Mère Jeanne des Anges, entre autres, les significations sociales. Les femmes, là encore, sont nombreuses, et tout particulièrement dans les grandes possessions du XVIIe siècle, dont les plus connues, comme je l’ai dit, se déroulèrent à Aix en Provence (1611), Loudun (1634) et Louviers (1643).

Michel de Certeau rappelle à juste titre la multiplicité des discours, politiques, théologiques, médicaux, tous masculins encore, qui accompagnèrent et commentèrent ces phénomènes. Il a rappelé aussi que les autres acteurs des possessions étaient encore des juges, exorcistes, médecins, examinant, interrogeant, tentant de maîtriser les effrayantes manifestations de ces corps féminins. Les possédées furent naturellement l’objet d’indéniables manipulations, de l’intervention de ces divers responsables de l’autorité dans la mise en scène globale de la possession et de son exorcisme. Jean Wier, médecin protestant élève de Cornelius Agrippa, le soulignait déjà et décrivait les exorcismes comme des « barbotements » de charlatans dont les prétendus auxiliaires sacrés (eau bénite, cierges de la Chandeleur, rameaux béni…) lui apparaissent comme autant d’accessoires utilisés par ces « magiciens ecclésiastiques ». Ainsi, à Loudun, le père Lactance répondant à des médecins qui l’avaient :

« requis de leur faire voir des contorsions dont ils avaient entendu parler avec admiration, il désirait leur donner cette satisfaction. »

Toujours est-il que la possession est d’abord une initiative féminine, une manière pour ces religieuses (le phénomène touche surtout les couvents) de sortir du silence et de la clôture. Comme l’avait encore une fois bien vu Michelet (La Sorcière, VII) :

« Les sens ne sont pas tout dans l’état de ces filles. Il faut compter surtout l’ennui, le besoin absolu de varier l’existence, de sortir d’une vie monotone par quelque écart ou quelque rêve. »

La possédée cherche un public, elle se montre, prêche, voire devient célèbre, comme Mère Jeanne des Anges qui fait en 1638 un incroyable tour de France et rencontre Anne d’Autriche. Mais, surtout, la possédée finit, comme l’a bien montré Laura Verciani, (25) par faire de sa propre subjectivité « l’objet d’une conquête ». Car ce n’est pas seulement par le truchement des témoignages masculins que nous avons accès aux récits de possession, mais par la version qu’en donnent certaines possédées elles-mêmes, en écrivant leurs expériences, qui furent parfois publiées. Récits, ou, malgré la présence parfois d’un confesseur, elles se montrent bien maîtresses de leur discours. Et ces récits, bien avant les dispositifs sadiens, sont d’une violence extrême, tant dans la cruauté que dans l’obscénité : corps déchirés par les diables, vomissements d’ordures, « pièces de chair pourries sortant avec l’urine », blasphèmes, violence à l’encontre des prêtres et exorcistes… (Jeanne Féry, 1585) (26). Le corps de la possédée, corps de douleur, « agité, tourmenté, exhibé dans une agonie obscène », y devient le champ de bataille sanglant d’une lutte dont elle incarne les divers personnages : Jeanne Féry toujours : la chambres est « remplie d’une infinité de diables pleins de rages et de furie […] s’entrebattant et hurlant l’un l’autre avec cris et hurlements terribles, commencèrent l’un après l’autre à déchirer le corps de la patiente », avant que n’intervienne Marie-Madeleine, qui l’aide à triompher et referme ses plaies… Madeleine Bavent utilisera les termes les plus crus pour décrire ses plaies, son cancer, sa tentative de suicide, ses festins d’araignées, ou ses relations sexuelles, dans l’église, avec un prêtre.

La violence de la parole prend ici le relais de celle du corps, exprimant une déchirure interne qui prend symboliquement les formes du blasphème et d’une tentation au mal :

« Il me semblait être toute acharnée contre Jésus-Christ […] Je le blâmais et le tançais […] de me vouloir damner ; de me bannir du fruit de sa croix : de m’exclure de sa rédemption ; de n’être point mort pour moi ; d’avoir répandu son sang pour qui il avait voulu, sans m’y donner de part, etc. Après en dépit de lui, j’invoquais les démons, je me promettais à eux de bon cœur, et m’y donnais intérieurement. Je les conviai à prendre mon âme et mon corps, et à emporter tout. Je les sollicitais par mes postures sales à jouir de moi, si cela servait de quelque chose pour les attirer. Je les priais de me venger, s’ils pouvaient. » (27)

Au contraire, les convulsionnaires au XVIIIe siècle, feront de leur corps l’expression équivoque d’une « vérité saccagée », où la violence subie apparaît en même temps comme figure d’une vérité en travail. Ils énonceront, pour reprendre l’expression de Daniel Vidal (28) « que le système social est le lieu du malheur ». Sourd à cette parole, Voltaire n’y verra qu’une expression particulièrement méprisable, parce que populaire, du fanatisme : il parle de « la lie des convulsionnaires de Saint-Médard » :

Voltaire, Questions sur l’Encyclopédie, « Fanatiques » : « Cet empire que l’enthousiasme d’un seul exerce sur la multitude qui le voit ou l’entend, la chaleur que les esprits rassemblés se communiquent, tous ces mouvements tumultueux, augmentés par le trouble de chaque particulier, rendent en peu de temps le vertige général. […]
Lorsqu’une fois le fanatisme a gangréné un cerveau, la maladie est presque incurable. J’ai vu des convulsionnaires qui, en parlant des miracles de saint Pâris, s’échauffaient par degrés parmi eux ; leurs yeux s’enflammaient, tout leur corps tremblait, la fureur défigurait leur visage, et ils auraient tué quiconque les eût contredits.
Oui, je les ai vus ces convulsionnaires, je les ai vus tordre leurs membres et écumer. Ils criaient : Il faut du sang. […] ils ont fini par ne crier que contre les philosophes. »

Ou encore il y voit, comme l’ont fait certains médecins envoyés à Loudun, une simple fraude :

Voltaire, Questions sur l’Encyclopédie, « Convulsions » : « Les jansénistes […] remplirent Paris de convulsions, et attirèrent le monde à leur préau. Le conseiller au parlement Carré de Montgeron alla présenter au roi un recueil in-4 de tous ces miracles, attestés par mille témoins. Il fut mis, comme de raison, dans un château, où l’on tâcha de rétablir son cerveau par le régime ; mais la vérité l’emporte toujours sur les persécutions ; les miracles se perpétuèrent trente ans de suite, sans discontinuer. On faisait venir chez soi sœur Rose, sœur Illuminée, sœur Promise, sœur Confite ; elles se faisaient fouetter, sans qu’il y parût le lendemain : on leur donnait des coups de bûche sur leur estomac bien cuirassé, bien rembourré, sans leur faire de mal ; on les couchait devant un grand feu, le visage frotté de pommade, sans qu’elles brûlassent ; enfin, comme tous les arts se perfectionnent, on a fini par leur enfoncer des épées dans les chairs, et par les crucifier. Un fameux maître d’école même a eu aussi l’avantage d’être mis en [] croix ; tout cela pour convaincre le monde qu’une certaine bulle était ridicule, ce qu’on aurait pu prouver sans tant de frais. Cependant, et jésuites et jansénistes se réunirent tous contre l’Esprit des lois, et contre… et contre… et contre… et contre… Et nous osons après cela nous moquer des Lapons, des Samoïèdes et des Nègres, ainsi que nous l’avons dit tant de fois ! »

Pour Diderot en revanche, plus attentif, il s’agit phénomènes qui peuvent être intéressants pour le philosophe, qui relèvent à la fois d’une physiologie féminine, d’une persistance, pourrait-on dire, de l’origine (j’ai toujours trouvé que ce texte évoquait irrésistiblement Michelet), et d’une interrogation plus générale sur des états d’aliénation de conscience et d’identité, de l’extase à l’enthousiasme du fanatique ou à l’insensibilité du martyr et du supplicié. Ici, une figure qu’on a déjà rencontrée chez De Lancre, celle de la Pythie, significativement rapprochée ici du génie :

Sur les femmes : « Jamais un homme ne s’est assis à Delphes sur le trépied ; le rôle de pythie ne convient qu’à une femme. Il n’y a qu’une femme dont la tête puisse s’exalter au point de pressentir sérieusement l’approche d’un dieu, d’écumer, d’éprouver sa présence et d’en trouver le discours. La femme porte au-dedans d’elle-même un organe susceptible de spasmes terribles, disposant d’elle et suscitant dans son imagination des fantômes de toute espèce. C’est alors qu’elle revient sur le passé, qu’elle s’élance dans l’avenir, que tous les temps lui sont présents. Rien, de plus contigu que l’hystérisme, l’extase, la révélation, la poésie odaïque et la prophétie. […]
Plus civilisées que nous en apparence et au-dehors, elles sont restées de vraies sauvages en dedans. […]
Quand elles ont du génie, je crois qu’elles en ont l’empreinte plus originale que nous. » (29)

Cette expression d’un « génie original », bien peu l’ont entendue dans l’expressivité exacerbée de ces corps. Et, si le sens de ces expressions corporelles est, pour ceux et celles qui les incarnent, à chaque fois différent, ce qui les rapproche en revanche, c’est le refus de l’écoute de ce que ces corps ont à dire, de la part des détenteurs du pouvoir, pouvoir discursif et pouvoir social. Ce qui les rapproche, c’est la volonté sociale de donner une interprétation rassurante, ou du moins conforme aux codes d’intelligibilité en vigueur, à ces étranges langages, puis de les faire taire. Lorsqu’entre 1857 et 1873, à Morzine, des paysannes offriront le même spectacle paroxystique de la possession, l’ultime diagnostic sera significativement celui, d’une « hystéro démonopathie épidémique », aggravée par les superstitions populaires, et « l’érotomanie » féminine. Le sous-préfet de Thon, s’étonnera de ces violences « si en dehors d’une population civilisée ». On y répondra en envoyant la force militaire chercher ces femmes pour les enfermer dans des hôpitaux et des asiles, tandis que des conférences publiques viendront « expliquer » aux populations supposées arriérées le sens officiel donné à ces manifestations. Pour reprendre l’expression de Catherine Maire (30), « une fois l’effet de surprise dissipé, le système social se referme autour d’elles, leur assignant par la force leur place, où elles n’ont qu’à se tenir tranquilles et se taire ».

Du côté de la littérature.

Je ne voudrais pas terminer sans évoquer Jean-Jacques Rousseau, qui, dans un passage peu commenté de la Nouvelle Héloïse, s’est montré lui aussi attentif à ce qu’un corps pouvait dire de l’indicible, dans une violence paroxystique à la limite, pour nous peut-être, du ridicule : c’est ici le paroxysme de la douleur s’exprime encore dans un corps féminin, sous diverses formes, dont les plus extrêmes. L’annonce de la mort de Julie produit, dans la VIe partie de la Nouvelle Héloïse, d’étranges effets sur sa cousine Claire, évoquée d’abord par Rousseau dans une scène avec Julie et ses enfants :

« Claire se pencha sur eux ; mais en les serrant dans ses bras elle s’efforça vainement de parler, elle ne trouva que des gémissements, elle ne put jamais prononcer un seul mot, elle étouffait. Jugez si Julie était émue ! Cette scène commençait à devenir trop vive ; je la fis cesser » (31)

Dans ce que Rousseau nomme significativement une « scène », qu’interrompt le mari de Julie, le « froid » Wolmar, qui joue un peu ici le rôle du médecin, les manifestations corporelles empêchent la parole. Un peu plus loin, Rousseau évoque, via le même personnage, les effets physiques de l’attente puis de l’annonce d’une rémission possible :

« La voix lui manquait, ; mais ses mains écartées restaient toujours en avant ; ses yeux pétillaient d’impatience ; il n’y avait pas un muscle de son visage qui ne fut en action […] Claire part comme un éclair, renverse deux chaises et presque la table, saute au cou du médecin, l’embrasse, le baise mille fois en sanglotant et pleurant à chaudes larmes » (32).

La mort de Julie portera au paroxysme ces manifestations corporelles, Rousseau, plus connu pour d’autres formes d’écriture, se montrant ici l’égal des romanciers du « frénétique » : « J’appris qu’il avait fallu la porter dans sa chambre, et même de l’y renfermer : car elle rentrait à chaque instant dans celle de Julie, se jetait sur son corps, le réchauffait du sien, s’efforçait de le ranimer, le pressait, s’y collait avec une espèce de rage, l’apellait à grands cris de mille noms passionnés […]
En entrant, je la trouvai tout-à-fait hors de sens, ne voyant rien, n’entendant rien, ne connaissant personne, se roulant par la chambre en se tordant les mains et mordant les pieds de chaise, murmurant d’une voix sourde quelques paroles extravagantes, puis poussant par longs intervalles des cris aigus qui la faisaient tressaillir. […] Les convulsions dont elle était agitée avait quelque chose d’effrayant. » (33)

Rappelons aussi que, dans les dernières pages du texte, Claire, qui apparaissait dans le texte précédent comme une sorte de « possédée »,  dit croire « sentir palpiter et frémir sous [ses] pieds » la terre du cimetière où Julie repose… (34)

Rousseau a donné lui-même, par avance, la version caricaturale de cette scène. Je rappellerai, avant d’en donner le texte, que, dans l’article « Enchantements » de l’Encyclopédie, qui renvoie d’abord aux articles « Magie », « Fascination », « Maléfice », « Sorcellerie », bref à ce que ces textes définissent comme des superstitions du passé, la section rédigée ensuite par Louis de Cahusac (35) offre la traduction esthétique du terme, qui devient alors pur effet théâtral :

« Il n’est qu’un ressort de plus dans la main du poëte pour faire agir la passion, & pour lui faire créer des moyens plus forts d’étonner, d’ébranler, de séduire, de troubler le spectateur. »

Voici donc ce que fait écrire Rousseau à son héros Saint-Preux, dans la seconde partie de la Nouvelle Héloïse, à propos de l’opéra français.  Il évoque :

« les cris affreux, les longs mugissements dont retentit le théâtre durant la représentation. On voit les actrices presque en convulsion, arracher avec violence ces glapissements de leurs poumons, les poingts fermés contre la poitrine, la tête en arrière, le visage enflammé, les vaisseaux gonflés, l’estomac pantelant. […] Pour les diables, passe encore, cette musique a quelque chose d’infernal qui ne leur messieds pas. Aussi les magies, les évocations, et toutes les fêtes du sabbat sont-elles toujours ce qu’on admire le plus à l’Opéra français. » (36)

De l’expression frénétique d’une douleur indicible aux mises en scène « sabbatiques » de l’opéra parisien, nous voici donc ramenés aux sorcières et aux possédées.

Comment conclure ? Pas en interprétant : il s’agissait seulement pour moi d’évoquer ces corps. Mais je pourrais emprunter à Michel de Certeau, qui fut l’un de mes maîtres, son avant-dernière page à La possession de Loudun : ce qu’il dit de la possession peut être étendu à toutes ces formes d’expression paroxystiques que j’ai évoquées. Sa citation des Tristes tropiques de Levy-Strauss vient y faire écho aux réécritures psychanalytiques de ces phénomènes, et Michel de Certeau y exprime, mieux que ce que je pourrais en dire, en quoi toutes ces prétendues « diableries » nous concernent encore :

« La possession ne comporte pas d’explication historique «véritable » puisque jamais il n’est possible de savoir qui est possédé et par qui. Le problème vient précisément du fait qu’il y a de la possession, nous dirions de « l’aliénation », et que l’effort pour s’en libérer consiste à la reporter, à la refouler ou à la déplacer ailleurs : d’une collectivité à un individu, du diable à la raison d’état, du démoniaque à la dévotion. De ce travail nécessaire, le processus n’est jamais clos. L’historien lui-même se ferait illusion s’il croyait s’être débarrassé de cette étrangeté interne à l’histoire en la casant quelque part, hors de lui, loin de nous, dans un passé clos avec la fin des « aberrations » d’antan, comme si la « possession » était terminée avec celle de Loudun.

Certes, il a reçu de la société, lui aussi, une tâche d’exorciste. On lui demande d’éliminer le danger de l’autre. Il fait partie de ces sociétés (dont la nôtre) que Lévi-Strauss caractérise par l’anthropémie (de emein, vomir) en les opposant aux sociétés anthropophages : les secondes, dit-il, voient dans l’absorption de certains individus, détenteurs de forces redoutables, le seul moyen de neutraliser celles-ci et même de les mettre à profit. Au contraire, nos sociétés ont choisi la solution inverse, consistant à expulser ces êtres redoutables hors du corps social, en les tenant temporairement ou définitivement isolés… dans les établissements destinés à cet usage. L’historiographie [ à quoi j’ajouterai l’analyse des discours] peut être rangée dans ces «établissements » dans la mesure où il serait exigé d’elle de prouver que cette altérité menaçante, pointant à Loudun, est seulement une légende ou un passé, une réalité éliminée. […] Dès que le poison de l’autre ne se présente plus directement dans un langage religieux, la thérapeutique et la répression sociales prennent seulement d’autres formes […] La possession de Loudun ouvre aussi sur l’étrangeté de l’histoire, sur les réflexes déclenchés par ses altérations, et sur la question qui se pose à partir du moment où surgissent, différentes de diableries d’antan mais inquiétantes comme elles, les nouvelles figures sociales de l’autre. »

Notes

(1) Amsterdam , chez Arckée et Merkus, M. DCC. LXV

(2) Johannes Gerhard Scheffer (1621-1679), Lapponia, id est, Religionis Lapponum et gentis nova et verissima descriptio…, Francofurti, ex officina C. Wolffii, 1673, 4°, 378 p., trad. en fr. par Auguste Lubin, Histoire de la Laponie, sa description, l’origine, les moeurs, la manière de vivre de ses habitans, leur religion, leur magie, et les choses rares du pays…, traduites du latin de M. Scheffer par L. P. A. L., Paris, chez la veuve O. de Varennes, 1678, 4°.

(3) Voir mon article : « “Le monstre subsiste encore…” : d’un usage philosophique de la sorcellerie chez Voltaire », Cahiers Voltaire 3, Ferney-Voltaire, 2004, p. 71-97.

(4) Georges Benrekassa, Le langage des Lumières. Concepts et savoir de la langue, Paris, PUF écriture, 1995, p. 28.

(5) Caroline Jacot-Grapa, « Aliénation du sujet et décentrement de la parole chez Diderot», Nicole Jacques-Lefèvre et Marie Leca-Tsiomis (Éds.),  Écriture, Identité, Anonymat, de la renaissance aux Lumières, Littérales 39, 2007, PUBLIDIX, Université Paris X- Nanterre.

(6) Réédition Grenoble, Jérôme Millon, « Atopia », 2005

(7) Voir mon édition critique : Pierre de Lancre, De l’Inconstance des mauvais anges et démons […], Paris, Aubier-Montaigne, 1982.

(8) Réédition Grenoble, Jérôme Millon, «Atopia », 2003

(9) Voir C. Casagrande & S. Vecchio, « Clercs et jongleurs dans la société médiévale », Annales ESC, 5, sept.-oct. 1979.

(10) Voir mon édition critique, Paris, Le Sycomore, 1980.

(11) Lyon, traduction Duchène, 1608.

(12) Jacques Lacan, Le Séminaire, livre IL Encore, Le Seuil, 1975, p. 85. Sur la taciturnité des sorcières, voir mon article  « Le maléfice de taciturnité. Esquisse d’une étude du mythe de la sorcière », Des Mythes, Cahiers de Fontenay, n ° 9-10, 1978, p. 137-170.

(13) Voir Michel Porret, L’Ombre du Diable – Michée Chauderon, dernière sorcière exécutée à Genève, Georg, 2010

(14) Voir mon article : « Michelet et les démonologues : lecture et réécriture », Paule Richard-Petitier (Éd.), La Sorcière de Jules Michelet. L’envers de l’histoire, Paris, Champion, 2004, p. 89-107.

(15) Pour une analyse très fine des rapports de la mystique et de la procédure de l’aveu, voir Michel de Certeau, « L’institution de la pourriture », Action poétique n° 72, p.183.

(16) Philippe Hecquet, La Medecine Théologique, Ou La Medecine Créée, Paris, chez Guillaume Cavelier, 1733

(17) Voir Michèle Ouerd, « Dans la forge à cauchemars mythologiques », Nicole Jacques-Chaquin [Lefèvre] (Éd.), La Sorcellerie, Cahier de Fontenay, 1978.

(18) Publié avec une préface de l’aliéniste Paul Louis Ladame, Bibliothèque diabolique, 1888

(19) J. Regné, La sorcellerie en Vivarais et la répression inquisitoriale et séculière du XVème au XVIIème siècle, Paris, 1913.

(20) J. Falret, Étude clinique sur les maladies mentales et nerveuses, 1890.

(21) Préface à l’étude sur Berthe Buvée.

(22) Réédition Grenoble, Jérôme Millon, 2002, chap. III

(23) J.-M Charcot et Paul Richer, Les Démoniaques dans l’art, suivi de J.-M Charcot, « La foi qui guérit », présentation par Pierre Fédida et Georges Didi-Huberman, Paris, Macula, 1984. (Première édition 1887, Paris, chez A. Delahaye et É. Lecrosnier).

(24) La Possession de Loudun, Paris, Julliard, 1970.

(25) Le Moi et ses diables. Autobiographie spirituelle et récit de possession au XVIIe siècle, Paris, Champion, 2001.

(26) La possession de Jeanne Fery […] (1584), Paris, Bibliothèque diabolique, 1886

(27) Histoire de Madeleine Bavent, Religieuse du monastère de Saint-Louis de Louviers […], 1652, Chapitre XV

(28) Miracles et convulsions jansénistes au XVIIIe siècle. Le mal et sa connaissance, PUF, 1987, p. 399.

(29) Diderot, Œuvres complètes, éd. Roger Lewinter, Le Club français du livre, 1971, vol. 10, p. 39 et ss.

(30) Les possédées de Morzine, 1857-1873, Presses Universitaires de Lyon, 1981, p. 118.

(31) Édition Pléiade, VI, Lettre XI, p. 711-712.

(32) Id., p. 732.

(33) Id. p. 734.

(34) Dans le même ordre d’idées, on pourrait lire dans les scènes de la maladie de Julie une Cène féminisée, et dans l’évocation de la société de Clarens par Wolmar, celle des disciples d’une Julie divinisée.

(35) Voir Catherine Kinstler, Jean-Philippe Rameau. Splendeur et naufrage de l’esthétique du plaisir à l’âge classique, Paris, Le Sycomore, 1983, p.80 et ss. Et mon article « Fable sorcière, ou le labyrinthe des enchantements (XVIe-XVIIIe siècles) », Pierre Ronzeaud, (Éd.), L’irrationnel au XVIIe siècle, Littératures classiques, n °25, automne 1995.

(36) La Nouvelle Héloïse, II, Lettre XXIII, p. 285 :

Références des textes médicaux cités :

– Philippe Hecquet, La Medecine Théologique, Ou La Medecine Créée, Paris, chez Guillaume Cavelier, 1733.

– Docteur Axenfeld, Jean Wier et la sorcellerie, G. Baillière, 1866, p. 79. [en ligne sur notre site]

– Docteur Zilboorg, The medieval man and the witch during the Renaissance, 1935, p. 58. Traduction Michèle Ouerd. Les mots en italiques sont dans le texte.

– J. Regné, La sorcellerie en Vivarais et la répression inquisitoriale et séculière du XVème au XVIIème siècle, Paris, 1913.

– Docteur Huchard,  « Caractère, mœurs, état mental des hystériques », Archives de la neurologie, 1883, vol. 3, p. 188.

– Charcot, Cité par J. Corraze, De l’hystérie aux pathomimies, Dunod, 1977, p. 67.

– Richet, L’homme et l’intelligence, F. Alcan, 1884.

– Regnard,  « Les Sorcières », Revue scientifique de la France et de l’étranger, n° 13, 1882. [en ligne sur notre site]

– J. Falret, Etude clinique sur les maladies mentales et nerveuses, Baillière, 1890, p. 501.

– Pinel, Traité médico-philosophique sur l’aliénation mentale ou la manie, 1800, p. 205.

– Bourneville, Garnier, Barbe Buvée et la possession d’Auxonne, Parsi, Bureaux du progrès médical, 1895. Préface de Bourneville, p. XI, note 1.

 

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