Nicolas Vaschide. Les recherches expérimentales sur les rêves. Article paru dans la « Revue de Psychiatrie et de psychologie expérimentale », (Paris), 2esérie, 5eannée, tome VIII, 4, avril 1902, pp. 145-165.

Nicolas Vaschide. Les recherches expérimentales sur les rêves. Article paru dans la « Revue de Psychiatrie et de psychologie expérimentale », (Paris), 2esérie, 5eannée, tome VIII, 4, avril 1902, pp. 145-165.

 

Les travaux de Nicolass Vaschide et Henri Piéron sont si importants et si nombreux, en particulier sur le sommeil, les songes et les rêves, que nous avons crée une rubrique bio-bibliographique spécifique en ligne sur notre site : Nicolas Vaschide & Henri Piéron. Références bio-bibliographiques sur le sommeil, les songes et les rêves. Par Michel Collée. 2018.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Par commodité, les notes de bas de page ont été renvoyées en fin d’article. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

[p. 146]

Les recherches expérimentales sur les rêves : les méthodes.

Les méthodes.

Par N. Vaschide
Chef des travaux du laboratoire de Psychologie Expérimentale
à l’Ecole des Hautes Etudes (Asile de Villejuif).

On connaît extrêmement peu le mécanisme psycho-physiologique du sommeil et on est encore moins renseigné sur la psychologie du rêve. Les auteurs répètent généralement les quelques données classiques que les manuels rédigent plus ou moins bien, sans tenir compte du texte des observateurs et, tout en ignorant le problème qui les préoccupe sans qu’ils en aient conscience, paraissent être suffisamment renseignés sur la physiologie du sommeil et particulièrement sur l’étude des rêves.

I

Il faut arriver vers la fin du XIXe siècle pour trouver des recherches vraiment expérimentales sur le sommeil et le rêve ; le sommeil, malgré la divergence assez curieuse qui règne sur les connaissances acquises, a fait pourtant l’objet d’un nombre considérable de recherches, dont beaucoup concernent l’étude histologique du sommeil, — les influences de l’insomnie expérimentale par exemple, — ou encore l’état de la circulation ou celui des échanges chimiques. L’étude du rêve au contraire est à peine commencée ; aussi croyons-nous qu’une exposition aussi détaillée que possible des recherches expérimentales serait intéressante, car en dehors de quelques rappels bibliographiques généralement sommaires, dont tous les auteurs ont fait précéder leurs travaux, il n’y a eu à notre connaissance aucune mise au point.

Employant cette expression de recherches expérimentales, il faut préciser le sens pour expliquer le but et la portée de mon analyse critique et pourquoi d’autre part j’ai laissé de côté certains travaux expérimentaux pour certains auteurs, au fond des simples remarques curieuses et intéressantes à mentionner. J’élimine d’abord les observations médicales et cliniques ; la littérature médicale est assez riche en fait de rêve (1). Dans cet ordre d’idées, il s’agit des observations courantes enregistrées, soit au lit des malades, soit occasionnellement et ont pour but de constater soit des rapports quelconques avec la nature des rêves et certains troubles pathologiques, parmi lesquels les troubles psychopathiques entrent pour une grande partie. On se contente généralement de péciser des rapports donnés avec des faits à l’appui, sans s’inquiéter autrement du mécanisme et de la structure du rêve. Grand nombre de ces rêves ne sont pas recueillis dans des conditions rigoureuses et rarement les auteurs paraissent tentés d’analyser le contenu des rêves ; les phénomènes constatés sont d’autre part vaguement signalés et on a souvent l’expression des reconstitution à posteriori.

Il est vrai aussi que de pareilles observations réclament des examens soutenus, une attention puissante et une foule de détails, que pour mener bien au bout on a besoin de secours fortuits des circonstances. Les observations psychiatriques sont à ce point de vue [p. 146] encore plus difficiles à noter. En ayant nous-mêmes fait quelques-unes nous nous rendons bien compte des désavantages qu’il y a à saisir rigoureusement une observation. Je laisse de côté ces documents; quoique recherchés, ils appartiennent plutôt au domaine clinique.

Je laisse encore de côté les observations qui concernent le sommeil et qui contiennent des aperçus plus ou moins généraux sur les rêves. J’entends par conséquent faire dans cette revue générale et dans les autres qui suivront, l’analyse critique des recherches pratiquées sur l’homme normal, ou plutôt pendant le sommeil normal, sur le rêve, dans le sens d’une analyse psychologique volontairement expérimentale, soit d’une série de recherches constituées préalablement pour l’étude des rêves, soit enfin d’une analyse psychologique objective avec des expériences à l’appui. Cet ordre de recherches commence à peine avec Alfred Maury.

Je donne à la fin de l’article la liste des travaux expérimentaux que j’ai pu remarquer ; disons-le encore une fois j’ai laissé de côté volontairement les travaux concernant les considérations critiques quelconques ou des hypothèses. Je ne m’occupe que de l’étude des faits enregistrés par tous ceux qui expérimentalement ont pu et voulu préciser les conditions. Il ne s’agit donc ici que d’une élimination dictée par la nécessité de l’étude, les observations cliniques malgré l’esprit critique et psychologique des auteurs, ne peuvent pas rentrer dans le cadre, elles appartiennent à une toute autre série de recherches.

Le choix des soixante-six travaux, recherches et mémoires indiqués dans l’étude bibliographique n’a pas été fait au hasard ; au contraire il repose sur la préalable connaissance de la bibliographie du rêve (2). Comme nous l’avons dit plus haut, la littérature du rêve est nombreuse, et bien des auteurs tout en discourant vaguement sur des questions connues de l’étude du rêve, traitent des sujets avec les mêmes données répétées par tous ceux qui s’en sont occupés, notent en passant des observations personnelles et des remarques fort curieuses. Je crois pouvoir signaler bien de ces remarques oubliées, regrettant toutefois de ne pas pouvoir leur accorder une place spéciale dans mes revues générales. Ces soixante-six travaux et volumes, dont je viens de dresser la liste, ne contiennent pas tous des recherches expérimentales au sens rigoureux et scientifique du mot ; le nombre de ceux-là est extrêmement réduit. Les autres travaux contiennent pourtant des observations personnelles et des remarques qui sortent de beaucoup des considérations générales que tous les auteurs qui traitent du rêve, ont cru nécessaire d’ajouter. Il y a là une différence sur laquelle j’insiste pour préciser une fois de plus le sens de mon choix. Le domaine du rêve prête de quoi discourir à n’importe quel observateur, fût-il capable ou non de prendre une observation, et aussi les remarques abondent ; dans un autre ordre d’idées les hommes de sciences, tout en traitant sérieusement les questions qui les occupent, oublient souvent de donner des détails sur les conditions dans lesquelles leurs observations sont prises et tout au plus pourrait-on ranger ces documents dans la catégorie des souvenirs rédigés ou dans celle des efforts de mémoire à propos de l’explication d’un fait ou de la connaissance d’un document quelconque. Ces catégories de travaux je les ai discernés de mon mieux et je ne crois pas m’être trompé de beaucoup dans mon jugement.

Jérome Bosch – Le Jardin des délices (détail).

Dans la première catégorie de travaux réellement expérimentaux [p. 147] on pourrait citer MM. A. Maury, Hervey de Saint-Denis, Spitta, Nelson, Calkins, M. Y. Vold, de Sanctis, Clavière, Woodwortk, Weed, Hallam et Phinney, Vaschide, Pilez, Stanley, etc. Dans la seconde catégorie citons parmi les travaux des auteurs qui ont enregistré des observations précises MM. Radestock, Delbœuf, James Sully, Max Simon, Tonnini, Giessler, Grenwood, Cane, Hitschmann, Harrick, Ellis Havelock, De Sanctis, Vaschide, Saint-Paul et Fenizia. Parmi ceux qui ont dirigé des enquêtes ou dressé des statistiques citons MM. Heerwagen, Jastrow, Calkins, Titchener et Child.

Et enfin parmi ceux qui entament des discussions précises avec des faits et documents à l’appui citons MM. Delbœuf, de Sarlo, Giessler, Paulhan, Weygandt, P. Tannery, Le Lorrain, Egger, Dugas, Goblot, Ladd, Scripture, Francklin, Benini, E. G. Stumpf, Andrews et Naecke. Remarquons en dernier lieu, qu’un tout petit nombre des travaux contenus dans notre liste ne nous intéresse que secondairement ; les résultats de ces auteurs se rattachent pourtant à des expériences et des recherches sur les rêves et la connaissance de leurs données nous a semblé de nature à éclaircir des faits expérimentaux qui nous préoccupent particulièrement. Je rangerai dans cette catégorie entre autres les travaux de Herrick, Gowers et Heller.

Mentionnons encore toute une série de travaux que nous mentionnerons au cours de nos expositions ; la plupart sont des travaux d’ensemble qui traitent soit du rêve soit d’autres questions de la psychologie du sommeil et des rêves. Je veux parler des travaux de Charma, Lemoine, H. Tuck, Dupuy, Dandolo, Tissié, Sergueyeff, Taine, de Manacëine et Yves Delage. Voici la bibliographie détaillée de ces mémoires.

Charma. — Du sommeil. Mémoires de l’Académie de Caen, 1851 avril. p. 46-48, 92-95.

A. Lemoine. — Du sommeil au point de vue physiologique et psychologique. — Paris, 1855, in-18.

Hack-Tuck. — Le corps de l’esprit. Trad. française. Paris, 1886.

P. Dupuy.— Etude Psycho-physiologique sur le sommeil. Journal de médecine de Bordeaux, 1879. N° 31, 32, 33, 34, 35. Broch. 1879, in-8°, 48 p.

G. Dandolo.— La coscienza nel sonno. Padova, 1889.

Sergueyeff.— Physiologie de la veille et du sommeil. Paris, 1890. 2 vol.

H. Taine.— De l’intelligence, 3e éd. Paris, 1876. 2 vol. in-16°, 419 et 496 p.

M. de Manaceïne.— Le sommeil tiers de notre vie. Pathologie, physiologie, hygiène et psychologie. Traduction française du russe, par E. Jaubert. Paris, Masson. 1896,1 vol. 358. Excellente publication, traduite dans plusieurs langues et qui continue à rendre de grands services à tous ceux qui s’occupent du sommeil et des rêves.

Y. Delage.— Une théorie du rêve. Revue Scientifique11 juillet 1891.

On trouvera encore des observations et des remarques dans les excellents traités et travaux de MM. Ph. Tissié, Chabaneix, Brodie, Leidesdorf, Maudsley, Purkinje, Scholz, Siebeck, E. Young, Strumpell, Volkelt, Dr Laupts, etc.

II.
La méthode subjective

Une première question qui doit préoccuper le savant qui veut entreprendre des recherches sur les rêves, doit être nécessairement la question de méthode. [p. 148]

L’exposition des méthodes employées, par les auteurs constituent en grande partie l’objet de cette première revue générale (3).

L’étude des rêves est extrêmement délicate et l’observateur le plus avisé est souvent perplexe devant la décision à prendre sur la manière dont il compte conduire ses recherches. La question de méthode intéresse généralement peu, voire même les savants et on vit de préférence dans les heureuses et peu inquiétantes données de l’empirisme le plus élémentaire. Préciser rigoureusement les conditions des observations et délimiter nettement la manière dont les remarques ont été enregistrées parait souvent besogne inutile et encore plus quand il s’agit du rêve. Il y a eu pourtant des auteurs qui ont réfléchi sérieusement à la portée réelle des méthodes dans l’étude des rêves et cela tient surtout à l’heureuse influence du premier auteur qui s’est occupé de la question Alfred Maury, un vrai expérimentateur celui-là, quoique plutôt auto-expérimentateur.

Dans toute la bibliographie du rêve, en dehors de Maury et des quelques auteurs de recherches expérimentales, je ne connais aucun travail d’ensemble qui s’occuperait d’une manière particulière de la méthode. Le premier à ma connaissance est le savant recueil de M. Sante de Sanctis (4), qui consacre à la méthode un chapitre. Cet auteur remarque à juste raison, que quoique les médecins furent les premiers qui s’occupèrent des rêves d’une manière scientifique, à cause de leur préoccupation si intimement liée à la connaissance de la mentalité du sujet, mais les physiologistes et les expérimentateurs n’ont jamais fait grand cas des observations cliniques. Ce fait explique suffisamment le peu d’attention accordée aux documents acquis. Le domaine des études étant fragile par lui-même, dans quelle mesure pourrait-on se fier à une observation cueillie sans aucune préoccupation expérimentale préalable et sans qu’on définisse au moins les conditions élémentaires de l’expérience ? La réponse est difficile, pour ne pas la donner négativement. Les méthodes quoique précises sont par elles-mêmes sujettes à bien des causes d’erreurs et ce cortège d’illusions, d’hallucinations et d’autres broderies de l’imagination et de l’esprit humain attentif devient encore plus considérable quand on ne tient compte que de quelques jalons, que les méthodes vous impliquent nécessairement. Les antiques logiciens avaient grandement raison, quand ils admettaient l’esprit de la méthode pour savoir au juste dans quelle mesure on peut circonscrire les erreurs. Et appliquant aux rêves les méthodes les plus précises nous sommes encore bien loin d’écarter toutes les erreurs ; seulement l’expérimentateur qui aura essayé de pratiquer des recherches dans ce domaine psychologique pourra se rendre compte de l’instabilité du terrain à expérimenter, de l’objet même de l’expérience. Les lois de la logique courante paraissent détruites, des théories d’images se déchaîneront comme des curieux arabesques dans la mentalité du sujet et vouloir saisir quelques fantômes de ce monde de visions, sons, actions, sentiments, angoisses on finit par détruire tout, ou par évoquer tout un autre monde plus fugace encore, plus insaisissable et qui s’estompe devant votre analyse mentale sans vous apercevoir et si vite et que vous vous trouvez parfois devant votre propre analyse comme sujet d’investigations. Murray a eu grandement [p. 149] raison de créer ce mot bien connu de « Psychologist’s Fallecy», — en d’autres termes « erreur d’observation » — pour les observations des rêves ; il a exprimé d’une manière synthétique toute une source inépuisable d’erreurs.

Néanmoins malgré la grande difficulté de mener rigoureusement à bonne fin une observation on peut remarquer que l’analyse mentale peut nous conduire à des résultats importants surtout lorsqu’elle émane d’un sujet qui sait s’en servir.

Des règles préalables s’imposent pourtant ; la nécessité d’une méthode est donc catégorique surtout pour pouvoir obtenir des faits dans le sens scientifique du mot et dépassant la partie clinique des observations.

On ne saurait plaider pour l’utilité de la méthode, quand on veut étudier les rêves des aliénés, des malades et des enfants. Comment entrer en rapport avec le sujet en observation ? Quoi retenir de ses propos ? D’après quel critérium jugerait-on ses affirmations ? etc. ; Sante de Sanctis, l’auteur auquel on doit des recherches remarquables surtout sur la pathologie du rêve, s’est posé ces questions lors de ses recherches et je me les suis posé ayant comme cet auteur fait des recherches sur le rêve des aliénés. Je décrirai plus loin ma méthode et de quelle manière j’ai cru pouvoir me mettre à l’abri des causes d’erreur.

On peut diviser les méthodes employées par les différents auteurs dans quatre catégories différentes, I. La méthode subjective ou introspective directe.— II. La méthode objective.III. La méthode éclectique.— IV. Le questionnaire et l’interrogatoire.

I. La méthode subjective est l’ancienne méthode des philosophes et qu’Alfred Maury a pour la première fois utilisé scientifiquement pour l’étude des rêves. Bon nombre d’auteurs s’en sont servis depuis et même avant lui et constitue le moyen d’investigation le plus répandu. A. Maury décrit longuement cette méthode, la sienne, dans le chapitre premier de son classique volume sur le sommeil et les rêves (5). Il a voulu faire de la psychologie expérimentale et insiste sur les détails de l’expérience pour qu’on puisse répéter ses expériences et qu’on vérifie la légitimité de ses inductions. Voici ses propres paroles :

« Je m’observe tantôt dans mon lit, tantôt dans mon fauteuil, au moment où le sommeil me gagne ; je note exactement dans quelles dispositions je me trouvais avant de m’endormir, et je prie la personne qui est près de moi de m’éveiller, à des instants plus ou moins éloignés du moment où je me suis assoupi. Réveillé en sursaut, la mémoire du rêve auquel on m’a soudainement arraché est encore présente à mon esprit, dans la fraîcheur même de l’impression. Il m’est alors facile de rapprocher les détails de ce rêve des circonstances où je m’étais placé pour m’endormir. Je consigne sur un cahier ces observations, comme le fait un médecin dans son journal pour le cas qu’il observe. Et en relisant le répertoire que je me suis ainsi dressé, j’ai saisi, entre des rêves qui s’étaient produits à diverses époques de ma vie, des coïncidences, des analogies dont la similitude des circonstances qui les avaient pour ainsi dire provoquées m’ont bien souvent donné la clef. »

Et plus loin : « L’observation à deux est presque toujours indispensable ; car avant que l’esprit ait repris conscience de soi-même, il se passe des faits psychologiques dont la mémoire peut sans doute persister après le réveil, mais qui sont liés à des manifestations [p. 150] qu’autrui seul peut constater. Ainsi, les mots qu’on prononce, assoupi ou dans un rêve agité, doivent être entendus par quelqu’un qui vous les puisse rapporter. Il n’est pas jusqu’aux gestes, aux attitudes qui n’aient aussi leur importance. Enfin ce qui rend nécessaire le concours d’une seconde personne, c’est l’impossibilité où vous seriez de vous éveiller à un moment donné, par un procédé mécanique, comme vous le faites avec l’aide d’une main complaisante. Il va sans dire que, pour être en position de recueillir des observations utiles, il faut être prédisposé à la rêvasserie, aux rêves, sujet à ces hallucinations hypnagogiques que je décrirai plus loin ; tel est précisément mon cas. Peu de personnes rêvent aussi vite, aussi fréquemment que moi ; fort rarement le souvenir de ce que j’ai rêvé m’échappe, et la mémoire de mes rêves subsiste souvent pendant plusieurs mois aussi fraîche je dirai volontiers aussi saisissante, qu’au moment de mon réveil. De plus, je m’endors aisément le soir et durant ces courts instants de sommeil, je commence des rêves dont je puis vérifier, au bout de quelques secondes, la relation avec ce qui m’occupait précédemment. Enfin, le moindre écart dans mon régime, le plus léger changement dans mes habitudes, fait naître en moi des rêves ou des hallucinations hypnagogiques en désaccord complet avec ceux de ma vie de tous les jours. J’ai donc presque constamment en moi la mesure des effets produits par des causes qu’il m’est possible d’apprécier. »

Les observations prises avec cette méthode, en dehors de la puissance d’analyse remarquable à bien des points de vue d’un auteur tel que Maury, montre qu’elle exige une éducation toute spéciale et secondement qu’elle peut porter nettement le cachet d’une systématisation quelconque. Les observations peuvent être facilement systématisées, surtout quand l’introspection est portée pendant l’évolution de ses délicats phénomènes psychologiques sur la genèse et la structure de certains éléments psychiques dépassant donc la simple description. Plus l’analyse est pure, plus la construction est empreinte des données aprioriques conscientes ou plutôt subconscientes ; — pourtant la méthode est seule capable, malgré ses nombreuses causes d’erreur, de pénétrer dans la structure intime de la vie du rêve ou plutôt des hallucinations hypnagogiques.

Citons un exemple qui se réfère aux idées suggérées : « Un soir, je m’étais assoupi dans mon fauteuil ; mon oreille percevait encore vaguement les sons ; mon frère prononce ces mots d’une voix assez forte : Prenez une allumette. La bougie venait de s’éteindre. J’entendis, à ce qu’il paraît, ces mots, mais sans m’apercevoir que c’était mon frère qui les avait dits, et dans le rêve que je faisais alors, je m’imaginai aller chercher une allumette. Réveillé quelques secondes après, on me rapporte la phrase de mon frère. J’avais déjà oublié l’avoir entendue, quoique dans le moment j’y eusse répondu, ma réponse avait été toute machinale. Pourtant, en rêve, je croyais aller de mon propre mouvement chercher une allumette, je ne me doutais pas que j’exécutais un ordre. Une autre fois, comme je m’endormais au coin du feu, ma femme m’adressa quelques paroles ; je sortis de ma somnolence, mais je ne pus discerner si les paroles qu’elle avait fait entendre étaient les siennes ou avaient été prononcées par moi. (6) »

Cette méthode a été largement utilisée par le marquis d’Hervey, dans son classique volume, où l’introspection fait souvent oublier à l’auteur qu’il existe autre chose dans la vie mentale que des images et des associations d’images. [p. 151]

En d’autres mots le sujet s’observe lui-même et avec la collaboration d’un aide on peut provoquer des réveils à des heures fixes en le chargeant en même temps de porter les remarques qu’il aurait pu observer pendant l’assoupissement ou le sommeil.

La grande majorité des expérimentateurs se sont servis de cette méthode ; elle exige une habitude de s’analyser et encore une habitude particulière d’analyser ses rêves et de s’accommoder à l’expérience instituée. Il faut en outre que l’expérimentateur ait une vie onirique assez riche et qu’il peut diriger volontairement. Cette méthode présente pourtant bien des désavantages. Le sujet voulant expérimenter sur soi-même modifie, par le fond même de l’institution des recherches, la nature du phénomène qu’il veut étudier. On lui avait adressé des reproches. On fabrique subconsciemment une autre suggestion systématique, qui persiste et se systématise de plus en plus malgré la limpidité du discernement de l’expérimentateur. Sans doute, les inconvénients peuvent être diminués, mais les inconvénients existent quand même. Sante de Sanctis relevant certaines critiques analogues à la méthode de Maury cite une observation, prise entre tant d’autres, et qui démontre la grande influence qu’a exercé surlesommeil et les rêves ble fait d’une attention particulière portée sur les rêves. La voici in extenso. Une demoiselle fort intelligente et d’une culture supérieure s’entretenait un jour avec cet auteur sur ses études sur la vie des rêves et « il lui demanda si elle avait la tendance de rêver des scènes émotionnelles, qui lui étaient arrivées dans la vie. Elle répondit que non ; elle ajouta encore qu’elle rêvait très rarement et que ses rêves se réfèrent généralement à des sujets de sa vie d’un ordre secondaire et de nature indifférente. Voyant cette demoiselle quelques jours après, elle lui dit qu’après la conversation qu’elle a eu avec lui, elle avait rêvé une scène très douloureuse qui lui était arrivée à elle et à sa mère deux ans auparavant ; le rêve était si vivace et émotionnant qu’elle a été réveillée sur le coup. (7) » Chaque expérimentateur a pu remarquer, des faits semblables et pour ma part, dans ma longue carrière de noctambule, j’ai eu maintes fois l’occasion d’assister à des troubles profonds de sommeil, de même qu’à des déviations de la nature habituelle des rêves, à cause d’une attention trop soutenue portée sur l’assoupissement, sur le réveil, ou sur le moment où les paupières tombent lourdes. Je comprends parfaitement le cas du philosophe genevois Lésage, qui tomba dans   une grande insomnie, voulant observer ce qui se passe dans son sommeil au moment du passage de la vie de veille au sommeil. Il n’y a pas lieu d’exposer ici nos recherches, car j’aurais pu citer le cas d’un jeune médecin, un de mes sujets qui, s’intéressant vivement à ses recherches, perdit petit à petit l’habitude du sommeil et on avait été forcé de lui administrer des hypnotiques pour lui faire revenir le sommeil.

Avec un peu d’habitude et possédant surtout une grande puissance de contrôle sur soi-même, la méthode Maury peut fournir des observations précieuses et le volume classique de cet auteur est un exemple digne de tout éloge, tout en tenant compte que l’auteur entreprend une œuvre personnelle.

Rappelons encore à propos de cette méthode certaines recherches qui se rattachent de cette première catégorie, tout en différant sur bien des points.

L’expérimentateur, au lieu d’observer le rêve systématiquement se préoccupe de certains rêves, d’un groupe défini d’images, laissant [p. 152] de côté les autres ; on cherche en d’autres mots de faire des analyses qualitatives subjectives. Comme recherches je pourrais citer comme exemple, celles de M. Havelock-Ellis, celle de M. Titchener, etc., et les quelques observations que M. A. Binet a écrit lors de l’analyse du travail de M. Havelock-Ellis.

M.Titchener (8) a étudié et analysé le rêve concernant les images gustatives. On constate des rêves contenant des images gustatives sans qu’on puisse accuser des corrélations décelables avec de réelles modifications physiologiques. L’examen de la salive n’a relevé, lors de l’observation d’un rêve, rien d’anormal ; il ne s’agissait que d’une auto-suggestion.

M. Titchener décrit cette observation. Les rêves gustatifs sont d’ailleurs très rares, Mlle Calkins en a relevé 2 sur 335 cas et n’a pu en constater aucun sur 298 observations.

La subjectivité entre moins en jeu dans cette méthode et l’orientation des recherches et dans une bonne mesure assez objective. L’expérimentateur délimite les conditions de l’expérience, la nature des rêves qui l’intéressent et s’il cueille des observations soit sur lui, soit sur d’autres sujets, les documents cessent d’avoir seulement une valeur subjective.

II.
La Méthode objective

Dans cette catégorie de méthodes on doit distinguer en premier lieu la méthode consistant à étudier les rêves d’autrui mais à l’aide de son analyse personnelle et en second lieu celle dans laquelle on provoque des rêves artificiels et on a recours toujours à l’analyse du sujet pour saisir le résultat des modifications ou des excitations sensorielles provoquées. Sante de Sanctis appelle cette méthode et avec raison introspective indirecte, par opposition à la précédente qu’il appelle introspective directe. En effet, l’objectivité réside seulement dans le changement du sujet en expérience, mais en tant qu’analyse psychologique, le sujet fait part toujours à une introspection mentale, avec la seule différence qu’il n’est pas influencé par la nature de l’expérience en jeu, ou au moins très peu et qu il réagit objectivement.

Presque toutes les recherches expérimentales ont été faites avec cette méthode.

M. Maury avait employé aussi cette méthode, quoique un peu autrement conçue. Dans son chapitre sur le rêve et l’aliénation mentale, cet auteur note neuf observations précises de recherches expérimentales ; il a été conduit à entreprendre des recherches à la suite de l’observation suivante fournie par le hasard : « Je me rappelle, (9) auteur, que, dans mon enfance, m’étant assoupi par un effet de la forte chaleur, je rêvais qu’on m’avait placé la tête sur une enclume et que l’on me la martelait à coups redoublés. J’entendais, en rêve, très distinctement, le bruit des lourds marteaux; mais, par un effet singulier, au lieu d’être brisée, ma tête se fondait en eau ; on eût dit qu’elle était faite de cire molle. Je m’éveille, je me sens la figure inondée de sueur, transpiration qui n’était due qu’à la haute température. Mais ce qui était plus remarquable, j’entends, dans une cour voisine, habitée par un maréchal, le bruit très réel de marteaux. Nul doute que ce ne fût ce son que mes oreilles avaient transmis [p. 153] à mon esprit engourdi. Il y avait là une sensation réelle, associée à un fait imaginaire… »

Voici les expériences instituées par A. Maury ; elles sont parmi les premières. Il faut rappeler les expériences bien conduites de Prévost de Genève, 1834, et celles de l’auteur anonyme du livre sur les moyens de diriger les rêves, contemporain avec A. Maury.

I. On le chatouille avec une plume les lèvres et le bout du nez : « il rêve que l’on le soumettait à un horrible supplice, qu’un masque de poix lui était appliqué sur la figure, puis qu’on l’avait ensuite arraché brusquement, ce qui lui avait déchiré la peau des lèvres, du nez et du visage. »

II. « On fait vibrer à quelque distance de mon oreille une pincette sur laquelle on frottait des ciseaux d’acier. Je rêve que j’entends le bruit des cloches, ce bruit de cloches devient bientôt le tocsin ; je me crois aux journées de juin 1848. »

III. On lui fait respirer de l’eau de Cologne et il rêve qu’il se trouve dans la boutique d’un parfumeur. Il est au Caire et suivent des aventures extraordinaires dont la liaison lui échappe.

IV. « On me fait sentir une allumette qui brûle. Je rêve que je suis en mer (notez que le vent soufflait alors dans les fenêtres) et que la Sainte-Barbe saute. »

V. On lui pince légèrement la nuque. Il rêve « qu’on lui pose un vésicatoire, ce qui réveille en lui le souvenir d’un médecin qui le traita dans son enfance. »

VI. « On approche de ma figure un fer chaud, en le tenant assez éloigné pour que la sensation de chaleur soit légère. Je rêve des chauffeurs, qui s’introduisaient dans les maisons et forçaient ceux qui s’y trouvaient, en leur approchant les pieds près d’un brasier, à déclarer où était leur argent. L’idée de ces chauffeurs amène bientôt celle de la duchesse d’Abrantès que je suppose en songe m’avoir pris pour secrétaire. J’avais jadis lu, en effet, dans les Mémoiresde cette femme d’esprit, quelques détails sur les chauffeurs. »

VII. On prononce à son oreille le mot parafagaramus« Je n’entends rien et je suis réveillé n’ayant fait qu’un rêve assez vague. On répète l’expérience quand je suis endormi dans mon lit, et l’on prononce le mot maman, plusieurs fois de suite. Je rêve de différents sujets, mais dans ce rêve j’entendais le bourdonnement des abeilles. La même expérience, reprise quelques jours après, lorsque j’étais à peine endormi, fut plus concluante. On prononça à mon oreille les mots Azor, Castor, Lèonore; réveillé, je me rappellai avoir entendu les deux derniers mots que j’attribuais à un des interlocuteurs de mon rêve. » Une autre fois, le son du mot avait été perçu et nullement l’idée ; on prononça à ses oreilles les mots chandelle, haridelle, plusieurs fois de suite. Il s’était subitement réveillé, criant : c’est elle.

VIII. « On me verse une goutte d’eau sur le front. Je rêve que je suis en Italie, que j’ai très chaud et que je bois du vin d’Orviette.»

IX. « On fait passer plusieurs fois de suite devant mes yeux une lumière entourée d’un papier rouge. Je rêve d’orage, d’éclairs, et tout le souvenir d’une violente tempête que j’avais éprouvée sur la Manche en allant à Morlaix, au Havre, défraye mon songe. »

Ces observations sont bien loin d’être à l’abri de causes d’erreurs ; les conditions expérimentales sont à peine définies et A. Maury se contente seulement de nous dire qu’il pria « une personne placée à mes côtés, lorsque le soir je commençais à m’endormir dans mon fauteuil, de provoquer en moi certaines sensations dont elle ne m’avait pas prévenu, puis de me réveiller lorsque j’avais déjà eu le temps d’avoir un songe. » On ne sait au [p. 154] juste, dans ces expériences, d’après quel critérium la personne qui dirige l’expérience appréciera le temps que le sujet ait vécu un songe. A. Maury note rarement d’ailleurs les conditions expérimentales, l’analyse des sensations subjectives l’intéresse davantage.

On pourrait citer comme expériences typiques dans la première catégorie les recherches de Mil. M.W. Calkins (10) et dans la seconde celles de J. Mourly Vold (11). Le premier auteur, sur qui tous les critiques tombent d’accord pour considérer ces recherches comme les plus scrupuleusement conduites, avait expérimenté pendant de longues semaines sur deux sujets (6 ou 8 semaines) et qui étaient réveillés à des heures différentes par des excitations sensorielles préalablement déterminées ; les sujets devaient écrire immédiatement à leur réveil leurs rêves.

Les observations si intéressantes de Mlle Calkins l’ont conduite à des constatations de toute autre nature que les données analytiques subjectives. Elle a pu recueillir de ses deux sujets 375 songes ; un de ces sujets, un homme de 32 ans a été observé pendant 46 nuits et le second, une femme de 28 ans, pendant 55 nuits. Les recherches de cet auteur le conduisent à faire remarquer entre autres, que la plus grande majorité de rêves ont lieu le matin et c’est à ce moment qu’ont lieu les rêves les plus vifs. Il paraît y avoir un rapport intime entre la vivacité des rêves d’une part, de leur présence d’autre part avec la lumière du matin. Un rêve dont on se souvient est d’après cet auteur toujours un rêve très vif; elle distingue quatre catégories dans la vivacité des rêves : 10,8\% est le nombre des rêves dont on s’en souvient parfaitement avec tous les détails, ce sont les plus vifs ; 34\% des rêves sont retenus exactement dans une foule de détails, ils sont assez vifs ; 29,8\% des rêves ne sont pas si vifs que les autres catégories : vivacité moyenne et enfin 19,4\% rêves à peine retenus, rêves indistincts et donc extrêmement peu vivaces. Citons encore quelques faits pour illustrer la valeur de cette méthode : les rêves d’origine sensoriels sont assez rares ; les plus prédominants sont de nature auditive et les plus rares sont les rêves gustatifs et olfactifs, 11\% de rêves on ne peut saisir aucune relation entre la vie de la veille et la vie du sommeil. Dans les rêves visuels prédomine les rêves d’origine associationniste. Il faut distinguer un rêve intense d’un rêve clairement retenu; il peut y avoir sans doute un critérium, mais il n’est que relatif. Un dernier fait, qui a son importance, qui résulte des recherches de Miss Calkins c’est la continuité de la vie mentale dans les deux formes : veille et sommeil.

Le second auteur a pu créer des vrais rêves artificiels et sa méthode est aussi ingénieuse que louable au point de vue scientifique ; il a institué de vraies recherches méthodiques et j’attends avec intérêt, l’apparition du livre de cet auteur annoncé déjà en 1896, où il traitera comme il l’écrit le sujet en détail. J. Mourly Vold s’est occupé depuis 1876 des rêves et il s’est particulièrement attaché « au rôle que jouent dans les rêves le sens du toucher (contact et température) et le sens musculaire et sur la relation existant entre les images de la soirée et celles de la nuit suivante ».

Voici les propres termes de cet auteur, sur la méthode qu’il a employée pour l’étude de l’appareil musculaire pendant le sommeil ; il préfère à un stimulant passager appliqué pendant quelques secondes, un stimulant agissant toute la nuit et cela à cause de la [p. 155] difficulté d’obtenir des résultats : « Ainsi le soir, immédiatement avant de s’endormir, je faisais mettre à mes sujets des gants, des rubans ou des ficelles autour de quelques muscles, tout en les engageant à les garder toute la nuit. Je m’occupais particulièrement de l’articulation tibio-tarsienne et des articulations des deux mains. Lorsque nous faisions des expériences sur la première articulation, elle était généralement entourée d’un ruban de fil large de deux centimètres environ, ou d’une ficelle ; on emportait l’un ou l’autre autour de l’articulation d’un des pieds, au-dessous des malléoles, avec un tour autour de la plante pour l’empêcher de se déplacer. Par cette pression, une flexion plantaire avait lieu ; la position du pied ressemblait, jusqu’à un certain degré à celle d’une personne se tenant sur la pointe du pied — abstraction faite de la position horizontale du corps. Il va sans dire que j’ordonnais un lien pas trop tendu, pour éviter des troubles nerveux. — D’autres expériences s’appliquaient aux doigts de la main. La nuit on avait un ou plusieurs doigts entourés d’un ruban (ou d’une ficelle), ordinairement appliqué aux premières phalanges. Enfin, une grande quantité d’expériences s’appliquaient à une main entière ou aux deux. La nuit on portait un ou deux gants, généralement pas boutonnés, afin d’éviter une trop grande pression aux artères. Sous la pression de gants étroits, toutes les articulations de la main se courbaient. D’autres expériences ont été faites par moi seul. Ainsi, j’appliquais au dos une pression par des bûches (trois généralement), qui étaient liées ensemble et attachées à une ceinture autour de la chemise; pendant plusieurs semaines, je portais ces bûches toute la nuit. Dans d’autres séries d’expériences les sujets s’endorment avec un traversin sous les pieds ou on provoque des modifications tactiles différentes.»

Dans ses expériences sur les représentations visuelles pendant le rêve (12) cet auteur donnait aux sujets, chaque soir une boîte qu’ils ne devaient ouvrir que le soir au lit. Avant de se coucher pendant un espace assez court de deux à dix minutes les sujets devaient regarder les objets contenus dans ces boîtes; ils devaient ensuite fermer les yeux et se coucher après avoir éteint la lampe et sans la regarder. Le matin on exigeait des sujets, pour la plupart des étudiants et des instituteurs, un protocole de l’expérience et des rêves qu’ils avaient eus. Les objets contenus dans les boîtes étaient de nature différente et variée, comme par exemple une fleur d’hyacinthe, figure de chien, un soldat avec une lance, une petite pièce de cuivre, une figure en carton, etc., dont on connaissait les dimensions ; une seule feuille noire mesurant 50 cm de largeur sur 31 cm de hauteur les autres objets ne dépassant guère 8 cm.

La méthode objective est la plus précieuse pour l’étude du rêve car surtout les expériences de la deuxième catégorie de recherches objectives, sont bien délimitées dans leurs conditions expérimentales et on arrive artificiellement à provoquer des modifications dans la mentalité du sujet. Les excitations artificielles se mêlent ou dominent celles qui figuraient dans la pensée du dormeur et on assiste à une vraie recherche de laboratoire, provoquant de la sorte des rêves dont on connaît parfaitement sinon toute la pensée, au moins bon nombre de ses éléments.

Pour ce qui concerne les recherches appartenant à la première catégorie, on pourrait leur adresser une objection, à savoir que les sujets ont malgré eux une appréhension. En se soumettant à l’expérience ils systématisent peut-être leur vie mentale et c’est pour [p. 156] cela, que dans toutes mes recherches rigoureuses, le sujet n’était pas prévenu que je pratique des expériences sur lui.

Pour les expériences sur les représentations visuelles pendant le rêve, le résultat met en évidence un certain rapport, parfois même assez net, entre l’objet fixé et le rêve. L’objet est dans la plupart des cas modifié, transformé. Un fait assez intéressant, remarqué par l’auteur dans plusieurs de ses travaux, c’est que ce qui paraît persister le plus dans le rêve de l’objet fixé, c’est sa couleur.

Comme recherches expérimentales méthodiques nous pouvons citer sous cette rubrique, celles de Fenizia, de Woodworth, de Weed, Hallam et Phinney, de Clavière, etc. Fenizia (13) a expérimenté sur l’action suggestive des causes externes dans le rêve ; les excitations indirectes sont toujours exagérées et les actions directes sont plus sensibles : de l’éther versé sur le coté gauche du sujet suggérait la sensation d’une forte chaleur. Woodworth (14) a expérimenté dix sujets; le but de ses recherches était de noter le nombre des images parues dans le rêve pendant un temps donné. La durée de chaque image est extrêmement courte ; elle est de six dixièmes de seconde en moyenne, mais cela atteint facilement deux dixièmes et demie de seconde. Les sujets devaient noter avec des détails leurs images, la rêverie finie. Weed, Hallam et Phinney ’15) ont étudié sept personnes pendant plusieurs semaines. Il faut retenir de ces recherches deux pourcentages intéressants, le premier sur la nature des images et le second sur la qualité affective des rêves.

1° Images visuelles 84 %
Images auditives 62 %
Images tactiles 10 %
Images olfactives 7 %
Images gustatives 6 %

2° Emotions désagréables 57 %
Emotions agréables 28 %
Neutres 6 %

Ces auteurs ont constaté également que les rêves les plus intenses sont ceux qui se rapprochent du réveil ; la mémoire, le raisonnement, l’association des idées abondent dans les rêves (16).

III.
La méthode éclectique

Sante de Sanctis est le plus digne représentant autant par le bon emploi qu’il en fait que par la persévérance de ses recherches de plus en plus débarrassées des nuances de clinicien. Sa méthode consiste dans l’emploi simultané de la méthode de Maury plus ou moins modifiée, c’est-à-dire de la méthode subjective, contrôlée et complétée par la méthode expérimentale (M. Vold), par [p. 157] l’interrogatoire et encore par une autre méthode vraiment objective. Cet auteur entend par cette méthode l’observation directe de l’animal ou de l’individu pendant le sommeil. « Cette méthode, écrit de Sanctis, est d’une grande valeur, car on peut la faire valoir aux plus sceptiques. Esquirol dans ses œuvres classiques, avouait, que souvent il veillait à côté du lit des aliénés pour étudier la mimiqueet les mouvements dans le but de deviner le contenu de leurs rêves. Et en fait, de l’état du pouls, de la respiration, de la mimique, des mouvements du corps, de quelques paroles entrecoupées, on peut presque toujours se faire une conviction si l’animal ou l’individu rêve et maintes fois on peut entrevoir dans les grandes lignes le contenu effectif du rêve en lui-même. (18) »

Indépendamment de Sante de Sanctis je suis arrivé à préconiser comme la meilleure méthode l’observation directe du sujet dormant et dans ma communication de l’Académie des sciences de Paris de 1899, séance du 17 juillet, où j’avais pris date de l’ensemble de nos recherches expérimentales sur les rêves, je présentais une méthode analogue au moins dans les grandes lignes. La date de ma note à l’Institut plaide, en dehors du contenu de la note, en faveur de ce que je viens d’annoncer ; le volume de Sanctis a paru d’ailleurs en Italie en 1899 et je ne l’ai connu que deux années et demie plus tard.

Cette méthode de visua servi avec sujet aux auteurs pour étudier les rêves chez les animaux, Théodore Berr (19) a écrit même un travail sur le sommeil des poissons, Francis Day décrivit les émotions des poissons et les observations augmentent de jour en jour sur le sommeil et le rêve des chiens. Sante de Sanctis (20) consacre à ce sujet un chapitre très documenté par des observations personnelles et où il analyse les réponses de quelques interrogations et questionnaires ; ses pages peuvent figurer honorablement à côté de celles de Burdach (21).

Voir un animal dormant, l’examiner au même titre que l’homme on arrive à dresser certains tableaux symptomatologiques. Le problème qui se pose est de savoir à quel état mental la contraction des muscles correspond; l’analogie avec l’homme est logique, mais ce n’est qu’une analogie et extrêmement instable, quand on ignore même chez l’homme, au moins à l’état actuel de nos connaissances, les équivalents psychiques de toute la mimique musculaire.

IV.
Le questionnaire et l’interrogatoire

La méthode n’a rien de particulier. On dresse simplement un questionnaire quelconque plus ou moins méthodique et parfois un nombre de questions, généralement simplistes : on cueille les réponses et on dresse des tableaux et des statistiques, analysant plus ou moins minutieusement le contenu des réponses. Parmi les enquêtes sur les rêves citons celles de Jastrow (sur les aveugles), Child, Heerwagen, Titchener, Sante de Sanctis, Vaschide (attention pendant le sommeil) etc. Heerwagen avait dressé un questionnaire très soigné qu’il avait distribué parmi les étudiants et il est arrivé à dresser une statistique très intéressante sur l’ensemble de la [p. 158] physionomie du sommeil et des rêves. Je reviendrai à ce sujet dans la revue générale consacrée aux enquêtes.

M. M. Vold provoquait des enquêtes d’une manière un peu plus personnelle, sur les rêves musculaires et optiques, voici sa propre description de la méthode : « L’après-midi ou le soir, nous nous réunissions au nombre de dix à quarante. J’expliquais assez minutieusement l’expérience en question et tout ce que je croyais important à faire pour qu’elle réussît, mais je me gardais de dire aux personnes présentes les résultats probables ou ceux qu’avaient eu les autres personnes qui s’étaient prêtées à l’expérience : nous fixions une ou deux nuits pour l’expérience — pas la première après notre séance (pour éliminer autant que possible son influence sur le sommeil de la nuit en question) ». Les personnes ne devaient pas aller dans le monde le soir qui précédait l’expérience et on les avait prié de ne pas se laisser distraire. On notait les considérations qui étaient entrées en jeu, dans les cas négatifs; le lendemain les sujets s’engageant toujours à les faire connaître « chacun des exécuteurs remplissait un questionnaire contenant de vingt-deux à vingt-sept questions, sans compter les questions secondaires. Il va sans dire que le rêve de la dernière nuit — si l’on en avait fait un — jouait un rôle prépondérant dans le questionnaire rempli. La position dans laquelle se trouvaient les membres au réveil devait être dépeinte aussi exactement que possible ; aussi l’expérience elle-même et la manière dont elle avait été faite par l’expérimentateur étaient-elles dépeintes dans le questionnaire : sans cela, il ne m’aurait pas été possible de savoir si les règles données avaient été complètement suivies. Il fallait dire si l’on avait entendu parler des résultats d’autres sujets (réponse constante : non), etc. » Le lendemain matin de l’expérience de l’auteur après avoir reçu le compte-rendu, il renvoyait le questionnaire dans le cas où les réponses étaient incomplètes et il devait recevoir le jour même ou tout au plus le lendemain la réponse complète.

Le questionnaire ainsi compris rend sans doute de réels services et les résultats des recherches de J. Mourly Vold en était une preuve. L’individualité du sujet entre encore en jeu et nécessairement, mais nous tombons alors dans les reproches qu’on peut adresser à toute expérience psychologique, souvent plus précise et documentée que n’importe quel document objectif, dont les conditions psychiques sont souvent pauvres ou incomplètes.

Comme faits publiés par les auteurs qui ont utilisé la méthode du questionnaire, qui a donné à Galton de si intéressants résultats, ou encore l’interrogatoire, citons quelques-uns pour illustrer de quelques exemples la portée de cette méthode.

Heerwagen (22) a constaté que le sexe féminin a le sommeil plus superficiel que les hommes : 63% de ses sujets femmes avaient un sommeil plus léger, tandis que la proportion était seulement de 42% pour les étudiants et 44% pour les hommes en général. Les femmes ont un sommeil plus nourri en fait de rêves : 23%, tandis que les étudiants présentaient un pourcentage de 30% et les hommes en général de 48%. Avec l’âge les rêves diminuent ; entre 20 et 25 ans on a trouvé le maximum de la rêverie chez les étudiants. Il y avait un rapport direct entre la fréquence et la clarté, l’intensité ; les personnes qui rêvent plus se souviennent plus facilement de leurs rêves, celles qui ont le sommeil superficiel se rappellent plus rapidement et avec plus de détails leurs rêves, que celles qui dorment profondément. A la question de la [p. 159] fréquence des rêves Heerwagen donne la statistique suivante :

Personnes qui rêvèrent à peu près toutes les nuits : 99
Personnes qui rêvèrent assez souvent : 133
Personnes qui rêvèrent très rarement : 153
Personnes qui rêvèrent de temps à autre : 15
Réponses ambiguës : 6

Total : 406

Les questions de Heerwagen concernaient principalement la fréquence des rêves, l’intensité et le souvenir des rêves : Sante de Sanctis est le dernier auteur qui ait lancé un questionnaire sur le rêve (23). Il a analysé principalement les réponses concernant ces cinq principales questions :

I. — Vous rêvez toujours, souvent, rarement, jamais?

II. — Vos rêves en général sont intenses ou à peine estompés ?

III. — Est-ce qu’ils sont habituellement très compliqués, sont-ils bizarres ou sont-ils simplement la reproduction des événements les plus ordinaires de la vie ?I.— Habituellement le contenu de vos rêves se rapporte à vos occupations de la vie journalière ?

IV. — Pouvez-vous rappeler vos rêves avec les plus petits détails ? Les souvenirs sont-ils sommaires ou vous n’avez aucun souvenir ?

Il a reçu 165 réponses de la part des hommes et 55 des femmes. Voici en détail les chiffres de cette statistique:

I. — Fréquence des rêves

Hommes Pourcentage Femmes Pourcentage

Rêvent toujours : 22 hommes (13,33%) et 18 femmes (32,73%)

Rêvent souvent : 45 hommes (27,27%) et 15 femmes (45,45%)

Rêvent rarement : 83 hommes (50,30%) et 7 femmes (12,73%)

Ne rêvent jamais ou ne savent donner aucun renseignement sur les rêves : 15 hommes (9,09%) et 5 femmes (9,09%)

II. — Vivacité des rêves

Ont eu les rêves vivaces : 56 hommes (37,33%) et 33 femmes (66%)

Ont eu les rêves estompés : 44 hommes (62,67%) et 17 femmes (34%)

III. Contenu habituel des songes

Font des rêves compliqués : 70 hommes (46,67%) et 27 femmes (54%)

Font des rêves bizarres : 28 hommes (28,67%) et 6 femmes (12%)

Font des rêves simples : 52 hommes (34,67%) et 17 femmes (34%)

IV. — Rapport du contenu de la vie du rêve avec les faits de la veille

Admettent que le rapport a toujours lieu : 128 hommes (85,33%) et 36 femmes (72%)

Admettent que assez souvent le rapport n’a pas lieu : 22 hommes (14,67%) et 14 femmes (28%) [p. 160]

V. Mémoire des rêves

Ont le souvenir chargé de détails : 35 hommes (23,33%) et 21 femmes (42%)

Ont un souvenir sommaire : 83 hommes (55,33%) et 24 femmes (48%)

N’ont habituellement aucun souvenir : 32 hommes (21,33%) et 5 femmes (5%)

Sante de Sanctis a utilisé le questionnaire sur bien des questions de l’étude du rêve. Citons entre autre son questionnaire sur les émotions et les rêves : il a posé les deux questions suivantes: 1° Si les émotions eues pendant la veille se répercutent dans le rêve; 2° Si les émotions eues pendant le rêve se répercutent pendant la veille. — La réponse a été affirmative et l’enquête a porté sur 150 hommes normaux, sur 50 femmes normales, sur 60 aliénés (imbéciles et idiots), sur 125 criminels et 43 prostituées et sur un grand nombre de sujets épileptiques, hystériques, mélancoliques, sur des enfants, etc.

Je donne encore à titre de documents et pour de l’intelligence de l’orientation des enquêtes, le questionnaire suivant concernant les rêves des animaux ; il est dû également à Sante de Sanctis (24).

1° A quelle race appartient votre chien ?

2° Est-il un chien intelligent ?? Devient-il facilement émotif (joie, douleur, colère, etc.) ou est-il apathique et indifférent?

3° Dort-il beaucoup ou peu ? A-t-il un sommeil tranquille ou interrompu ?

4° Quand il était petit, dormait-il plus qu’à l’état adulte ? Quand il est malade, comment dort-il ?

5° Quand il dort, fait-il des mouvements particuliers avec son museau ? Lorsqu’il aboie, selon vous, manifeste-t-il des émotions pendant le sommeil ? Quelles sont les manifestations les plus souvent répétées ?

6° Reproduit-il pendant le sommeil les émotions de sa vie habituelle, ou les émotions éprouvées pendant la journée ?

7° Les chiens rêvent plus tout jeunes, à l’état adulte ou pendant la vieillesse ?

8° Les changements atmosphériques ont-ils une influence sur le sommeil et les rêves des chiens ?

9° Dites tout ce que vous savez sur le sommeil et les rêves des chiens.

Sante de Sanctis a dressé aussi un questionnaire sur les rêves et le sommeil des chevaux: il contient cinq questions et se réfèrent à la durée du sommeil, à son état d’agitation, aux influences atmosphériques, à la race, etc. La plus intéressante est la question : « Ne croyez-vous pas que les chevaux rêvent? Et si vous le croyez, d’après quels signes reconnaissez-vous un cheval qui dort ? » Les chevaux rêvent paraît-il !

Je voudrais exposer, avant de finir cette revue générale, ma méthode personnelle. Je m’occupe depuis bien des années de l’étude du rêve et du sommeil et j’ai pu recueillir un grand nombre de documents qui feront l’objet un jour d’une publication détaillée. J’en ai pris date lors de ma communication à l’Académie des sciences, le 17 juillet 1899 (26). Voici le résumé de ma méthode, tel que j’ai pu [p. 161] l’exposer dans l’espace permis à une note à l’Institut : « Dans l’extrême majorité des cas, les sujets n’ont jamais été au courant de mes recherches. Notre méthode consiste à surveiller les sujets toute la nuit, ou au moins une partie de la nuit, et à les observer de tout près, recueillant avec soin les changements de physionomie, les gestes, les mouvements, de même que les rêves faits à hâte voix et les rêves communiqués par les sujets, n’oubliant jamais de déterminer la profondeur du sommeil par des expériences préalables, notamment celles de Kolschutter, Spitta et Michelson. De temps en temps, dans certains cas, nous réveillons le sujet, en lui cachant toujours que son réveil avait été provoqué par nous, et soit laissant le sujet à lui-même, soit lui posant des questions, nous étions renseigné suffisamment sur son état d’esprit et ses rêves. Des réveils spontanés facilitaient parfois notre tâche. »

Le grand reproche qu’on pourrait adresser à presque tous les auteurs qui ont fait des recherches sur les rêves est que, presque jamais ils ne font attention à la nature et surtout à la profondeur du sommeil. Tout au plus si l’on fait quelques conjectures sur la distinction du sommeil superficiel du sommeil profond et comateux ; mes recherches, et je pense être le premier qui ait attiré l’attention des expérimentateurs sur ce fait, m’ont prouvé qu’aucune recherche ne pourrait être judicieusement conduite sans procéder à la mesure préalable de la profondeur du sommeil. Il y a en effet un rapport étroit entre la nature des rêves, leur enchaînement, leur broderie, en un mot leur structure et la qualité, si cette expression nous est permise, du sommeil (27).

Je crois en outre avoir été parmi les premiers, si on ne tient pas compte de quelques remarques précieuses d’Esquirol, qui ont fait l’apologie d’une méthode vraiment objective : l’examen du sujet endormi. Comme Sante de Sanctis, je crois qu’il est nécessaire de suivre toute l’évolution du sommeil d’un sujet, évolution qui devient extrêmement curieuse quand on examine des aliénés. Malgré la prévention a priorides fruits que pourrait donner cette méthode, elle est néanmoins la plus riche source de renseignements pour l’expérimentateur. Je ne veux anticiper sur l’exposition de mes recherches, mais je dois dire que l’expérience vous suggère des données inattendues et je comprends aisément l’enthousiasme de Sante de Sanctis pour les avantages de cette méthode. Le pouls a un langage musculaire spécial, il en est de même pour la respiration et avec un peu d’habitude on peut associer des rapports intimes avec les nuances les plus délicates des pulsations et des modifications respiratoires. La figure d’un sujet qui dort est particulièrement intéressante. J’ai passé un grand nombre de nuits à examiner et à étudier les personnes qui dorment; noctambule dans ma manière de travail, j’ai pu perfectionner et acquérir des données vraiment objectives sur l’expression de la mimique, surtout depuis que j’ai eu l’occasion d’examiner les aliénés.

Esquirol avait raison de conseiller de veiller à côté d’un aliéné. Mais l’homme normal est pourtant aussi précieux à être étudié que l’aliéné ; les muscles vous imposent un langage particulier, les contractions et les tremblements des paupières vous donnent d’autres indices, de même que les contractions des massétères, des orbiculaires des lèvres, des muscles paucièrs, des temporaux, la dilatation des narines, la coloration de la figure, etc. ?,   toute la physionomie vous estompe presque un alphabet. Je crois être arrivé à [p. 162] établir réellement un certain alphabet de ces nombreux complexus et d’ici à la divination de la pensée il n’y a qu’un pas : aussi mes recherches m’y ont conduit fatalement. Il y a dans l’aspect du dormeur, en d’autres mots, une foule d’indices que l’expérimentateur peut utiliser avec grand profit. La courbe des changements de la physionomie pendant le sommeil est tout à fait intéressante, surtout quand elle est prise parallèlement avec celle des modifications physiologiques somatiques profondes, comme l’état du cœur et de la respiration par exemple, de même qu’avec la nature et l’aspect capricieux, surtout en apparence, du cycle des rêves de toute une nuit.

Un autre avantage que présente ma méthode est que le sujet n’est pas mis au courant avec la nature et le sens des recherches ; les expériences sont pratiquées en dehors de sa connaissance et on est de la sorte dans les meilleures conditions possibles, le sommeil naturel physiologique.

Il faut ajouter que le hasard vous fournit souvent des occasions qu’on ne saurait comment provoquer expérimentalement et rien n’est plus précieux pour des pareilles recherches que la présence de l’expérimentateur à l’évolution d’u cauchemar ou d’un réveil subit.

Pour ce qui concerne la meilleure méthode pour provoquer le réveil, elle varie selon les expériences. S. de Sanctis emploie l’excitation tactile, j’emploie de préférence l’excitation auditive. Elle me semble la plus précise. L’espace ne me permet pas d’insister sur les avantages et les inconvénients de ces différentes méthodes. Il y a là un point capital pour l’étude des rêves.

Avec ces précautions et suivant un plan délimité d’avance, les recherches expérimentales sur le rêve pourront être pratiquées sans grandes causes d’erreur. Que l’expérimentateur ne néglige jamais de surprendre les expériences, les résultats sont plus intéressants que lorsqu’on les provoque. Le seul inconvénient, c’est qu’un pareil système de recherches réclame du temps et des occasions propices.

Ici finit cette première revue générale ; elle ne doit être considérée que comme une introduction à l’exposition des recherches expérimentales sur les rêves. A notre avis, la question de méthode est capitale, surtout dans ce domaine de recherches où l’observation est pratiquée sur un domaine fragile, flou et dont les aspects varient à l’infini. Les prochaines revues générales doivent contenir en principe l’exposition des travaux : une première concernera les travaux de Maury et des premiers expérimentateurs ; une seconde les enquêtes et une troisième les recherches modernes.

Notes

(1) N. Vaschide et H. Piéron. La psychologie du rêve au point de vue médical. 1 vol. 96, p. 1902. J.-B. Baillière fils. (Collect. des actualités médicales.) [en ligne sur notre site]

(2) Je compte publier sous peu une bibliographie de la question du rêve et du sommeil ; il serait intéressant et utile d’avoir sur toutes les questions de pareilles monographies ; elles épargneraient du temps et rendraient de réels services aux expérimentateurs.

(3) Pendant l’exposition des recherches des auteurs on mettra au bas de la page la citation des page respectives et on citera une fois dans le corps de la revue l’indication bibliographique du travail.

(4) Sante de Sanctis. I Sogni. Studi Psicologici e clinici. Picola Bibliot. aiScienze moderne. N° 17, 1899. Bocca édit. Torino. vol. 390 p. Edit. allemande de 1901, 256 p. Ch. II, p. 25-37. Edit. allem. p. 14-20.

(5) A. Maury. Le sommeil et les rêves. Quatrième édition. Paris 1878. 1 vol. 476 p. chap. I, 1-6.

(6) Alfred Maury, ouv. cité, p. 438.

(7) S. de Sanctis. 1. Sogni. ouv. cit. p. 29.

(8) Titchener. Taste dreams. American Journal of Psychology, VI, 1895. 4, p.

(9) A. Maury, ouv, cité, p. 153 ; – Les neuf observations, ibidem, p. 154-157.

(10) Mary Whiton Calkins. Statistics of Dream. American Journal of Psychology, 1893, V, n° 3, p. 311

(11) J. Mourly Vold. Expériences sur les rêves et en particulier sur ceux d’origine musculaire et optique. Christiania 1896, Brochure. 16 p. — p. 6. [en ligne sur notre site]

(12) J. M. Vold. Einige Experimente über Gesichtsbilder im Tranum. Zeit. f. Psychol. und Physiol. d. Sinnsorgan. XIII, p. 66-74.

(13) C. Fenizia.L’azione suggestiva délle cause esterne nei sogni. Archivio per l’Anthrop. XXVI. 287-294.

(14) Woodworth. Note on the Rapidity of dreams. Psychol Review, 1897 sept., IV, n° 5, p. 524-526

(15) Weed, Hallam and Phinney. A Study of Dream Conciousness. American Journal of Psychology, 1896 avril, VII, 405-411.

(16) Clavière. La rapidité de la pensée dans le rêve. Revue Philosophique, XLIII, 507-512.

(17) Santé de Sanctis. op.cit. p. 33.

(18) Th. Berr, Der Schaf der Fische. Neu Wiener Tageblatt 1895, n° 196.

(19) Santé de Sanctis, ouv. cit. chap. nip. 37-44. éd. Italienne.

(20) Burdach, Traité de physiologie. Tome V, 1839, trad. Française.

(21) F. Heerwagen, Stalistiche Untersuchungen liber Traume und Schlaf. Philosophische Studien, V. 1888, p. 88.

(22) Sante de Sanctis: Ouv. cité, chap. VI, p. 135.

(23) Sante de Sanctis. Ouv. cité, chap. III,p. 63.

(24) Sante de Sanctis. Ouv. cité. Chap. IlI,p. 51.

(25) V. Vaschide. Recherches expérimentales sur les rêves. De la continuité des rêves pendant le sommeil. Compte-Rendu de, l’Académie des Sciences de Paris. Séance du 17 juillet 1899.

(26) Je compte faire sous peu une communication sur le rapport des rêves avec la nature du sommeil.

BIBLIOGRAPHIE

1° Alfred Maury. Le sommeil et le rêve. Etudes psychologiques sur ces phénomènes et les divers états qui s’y rattachent. Paris, 1861. 1 vol. 8°. VII + 426 p. ; 2e éd. 1862, in-12°. VII +426 p. ; 3e éd. 1865, VII + 484 p. : 4e éd. 1878. Paris, Libr. Académ. Didier et Cie, VII + 476, p. L’édition est suivie des recherches de l’instinct et de l’intelligence dans leurs rapports avec le phénomène du sommeil et de plusieurs remarques et notes.

2° Prévost. Observations sur le sommeil. Bibl. Unie, de Genève, t. LV, p. 237. Littérature, 1834 . [en ligne sur notre site]

3° Anonyme. (Le marquis Hervey de Saint-Denis). Les rêves et les moyens de les diriger. Paris, 1876, in-8°.

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1 commentaire pour “Nicolas Vaschide. Les recherches expérimentales sur les rêves. Article paru dans la « Revue de Psychiatrie et de psychologie expérimentale », (Paris), 2esérie, 5eannée, tome VIII, 4, avril 1902, pp. 145-165.”

  1. Ahmed senniLe mercredi 15 août 2018 à 10 h 34 min

    article intéressent et riche