Nicolas Vaschide et Paul Meunier. Le sentiment Poétique et la Poésie des Aliénés poètes. Extrait de la revue « La Plume », (Paris), n° 367-368, 1905, p. 194-200 ; n° 375, 1905, p. 679-686 ; n° 376, 1er août 1905, p. 740-744.

Nicolas Vaschide et Paul Meunier. Le sentiment Poétique et la Poésie des Aliénés poètes. Extrait de la revue « La Plume », (Paris), n° 367-368, 1905, p. 194-200 ; n° 375, 1905, p. 679-686 ; n° 376, 1er août 1905, p. 740-744.

 

Les travaux de Nicolass Vaschide (et Henri Piéron) sont si importants et si nombreux, en particulier sur le sommeil, les songes et les rêves, que nous avons crée une rubrique bio-bibliographique spécifique en ligne sur notre site : Nicolas Vaschide & Henri Piéron. Références bio-bibliographiques sur le sommeil, les songes et les rêves. Par Michel Collée. 2018.

Paul Meunier [Réja Marcel] (1873-1957). Docteur en médecine (Paris, 1900). – Psychiatre, l’un des premiers découvreurs de l’art brut. — Auteur dramatique, poète et romancier sous le pseudonyme de Marcel Réja.

Quelques publications :
— Les rêves et leur interprétation.
— L’Art malade : Dessins de fou. [Partie 1]. Extrait de la « Revue Universelle », (Paris), 1901, pp. 913-915 . [en ligne sur notre site]
— L’Art malade : Dessins de fou. [Partie 2] Extrait de la « Revue Universelle », (Paris), 1901, pp. 940-944.[en ligne sur notre site]
— Marcel Réja. La Littérature des fous. Extrait de la « Revue Universelle », (Paris), 1903, pp. 129-133. [en ligne sur notre site]
— Des rêves stéréotypés. Extrait du « Journal de Psychologie normale et pathologique », (Paris), Deuxième année, 1905, pp. 428-438.
— (Avec Vaschide Nicolas). Des Caractères essentiels de l’image onirique. Extrait de la revue « Annales des sciences psychiques », (Paris), 15e année, n° 10, 1905, pp. 618-627. [en ligne sur notre site]
— (Avec Vaschide Nicolas). Projection du rêve dans l’état de veille. Article parut dans la « Revue de Psychiatrie (médecine mentale, neurologie, psychologie », (Paris), nouvelle série, 4e année, tome IV, n°1, janvier 1901, pp. 38-49. [en ligne sur notre site]
— Valeur séméiologique du rêve. Extrait du « Journal de psychologie normale et pathologique », (Paris), septième année, 1910, pp. 41-49. [en ligne sur notre site]
— Marcel Réja, L’Art chez les fous : le dessin, la prose, la poésie, Paris, Mercure de France, 1907.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’ouvrage. – Par commodité nous avons renvoyé les notes originales de bas de page en fin d’article. – Les images sont celles de l’article original. Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

[p. 194]

Le sentiment Poétique et la
Poésie des Aliénés Poètes
(1)

Sommaire

La littérature représente parmi les arts le critère le plus sensible de la folie. Son rôle psychologique : la confidence (exutoire émotif).

I — Les fous qui n’avaient jamais écrit. — Pourquoi font-ils des vers plutôt que de la prose ? — Rôle orthopédique de la prosodie. — Naïveté. — Sincérité de l’expression : poésies populaires. — Recherche littéraire et pastiche.
II — Les fous qui connaissent la prosodie. – L ‘exaspération des sentiments comme obstacle à leur expression artistique.

I

L’homme de bon sens et de sens pratique, probe travailleur, bon citoyen et bon époux ne fut jamais un grand poète. Il faut quelque fantaisie, du caprice, de la passion par où l’aède s’éloigne de celle norme idéale et profondément morne.

Il se peut que la maladie mentale, avant d’abolir les facultés intellectuelle, à les exaspère : l’alcool qui abêtit l’antique buveur, donne de la verve à de plus discrets amants, et je tiens d’un célèbre conférencier que pour mieux se mettre en humeur de parler contre l’alcool, il ne manque pas de s’en offrir des quantités, à la vérité assez minimes.

Les fous, les vrais, ont une littérature excessivement riche; à quelque rang qu’ils appartiennent, pourvu qu’ils ne soient pas réduits à une existence purement négative, tombés en la décrépitude finale, ils sont capables de confier au papier leurs conceptions plus ou moins intéressantes.

Avec les productions littéraires, nous pénétrons dans un domaine beaucoup plus délicat au point de vue qui nous occupe, que le domaine des beaux-arts proprement dits.

Nous avons remarqué que l’impulsion littéraire ne se montre que chez [p.195] les individus relativement moins endommagés au point de vue intellectuel.

La fonction du langage étant l’intermédiaire le plus riche, le plus subtil, le plus précis, je ne dis pas le plus intense de l’intelligence, aiguisée on non — il est évident qu’elle sera aussi la pierre de touche la plus délicate des troubles de cette même intelligence.

C’est elle qui sera le plus susceptible de déceler les troubles à peine perceptibles qui viendront à s’y produire, car le langage articulé est un merveilleux instrument doué au plus haut point de souplesse, à rendre les nuances de la pensée, un instrument subtil et puissant, grâce à quoi l’on peut susciter en autrui, jusqu’aux sanglots les plus intimes de notre chair.

Mais l’extrême délicatesse de cet intermédiaire est, jusqu’à un certain point, soumise à la volonté de l’homme : Tout le monde ne divulgue pas volontiers le fond de sa pensée devant n’importe lequel de ses semblables.

Il y a plus : On a dit spirituellement que la parole a été donnée à l’homme pour déguiser sa pensée, et cette boutade est à peine un paradoxe ; on montre au doigt le paysan du Danube, qui se croit obligé de dire à tous et sur toutes choses sa pensée.

Aussi bien le langage articulé, ce traducteur minutieux, ne remplit véritablement son rôle avec scrupule que dans certaines circonstances favorables : ce sera telle condition d’ordre émotif ou passionnel, une surexcitation due à l’alcool, à la colère, ce sera encore la ruse enveloppante du juge d’instruction «  vidant » consciencieusement son client et voilà tout à coup divulguées au plein jour des idées, des souvenirs, des haines, des rancunes, que le pauvre diable avait jusque-là tenues cachées ou que peut-être même il ne soupçonnait pas en lui.

Or, il arrive très fréquemment, que la maladie mentale réalise celle circonstance favorable.

Il est constant que l’aliéné révèlera parfois par l’écrit le fond même de sa pensée qu’il n’eut jamais avoué de vive voix. C’est un fait : l’interprétation n’en est peut-être pas très lointaine.

En outre bien que, pour l’homme normal, l’opinion contraire semble devoir prévaloir, en vertu de cet adage : « les écrits restent » et il est si facile de renier des paroles : il ne manque pas de gens qui n’étant nullement aliénés peuvent écrire à une certaine personne ce qu’elles n’auraient pas pu lui dire à elle-même.

C’est qu’ici nous touchons à un caractère très important des écrits de malades. Le papier est leur confident et quel confident, patient et docile, à qui l’on peut tout dire, avec ,qui l’on peut s’épancher à son aise dans une intimité que ne vient troubler nulle impatience et nul sarcasme. Et quel ami fidèle ; le besoin d’épanchement familier à tout cœur humain, peut se satisfaire en toute liberté : l’ami ne divulguera rien de vos épanchements si vous ne lui en accordez la permission. [p.196]

C’est pourquoi les confessions plus ou moins déguisées sont si fréquentes clans leur littérature.

C’est pourquoi le roman, genre peu en honneur parmi ‘eux, n’est presque jamais autre chose qu’une autobiographie minutieuse qui arrive à de la grandeur parfois, à force de sincérité.

C’est pourquoi la forme dramatique, trop impersonnelle, trop objective ne tente guère leur activité.

Mais il ne suffit pas que le malade consente à confier au papier les substances mêmes de sa pensée ; les conditions défectueuses du mécanisme de son esprit lui dicteront à coup sûr la forme littéraire selon laquelle il pourra la réaliser, et d’instinct il sera amené à élire le mode le mieux approprié à ses facultés.

Dans toutes les littératures, malgré tous les intermédiaires d’ailleurs légitimes que l’on pourra multiplier, on a coutume de reconnaitre deux pôles indépendants, deux modes distincts d’exprimer les idées : la prose et le vers.

Sans entrer dans la discussion complexe de ce qui sépare ces deux formes, nous pouvons simplement remarquer que la prose, outil usuel et d’un maniement quotidien semblait devoir s’offrir en premier lieu aux bonnes volontés de ces profanes. Avec son métier ardu et sa vétilleuse tyrannie, le vers paraissait devoir rebuter définitivement l’enthousiasme de ces inspirés. Or, c’est lui qui triomphe.

Il y a là un signe trop significatif pour qu’on n’y insiste pas : La plupart. de ces poèmes d’aliénés sont faits par des gens n’ayant qu’une idée fort vague de ce qu’est la prosodie — et cela se voit du reste ! — et cependant ils ont dédaigné la prose qu’ils eussent pu manier plus aisément.

Mais pour maladroits, voire même informes que soient ces vers, ils ont une velléité de rythmes et de rimes qui leur donne un caractère et qui fait de leur ensemble quelque chose comme des poèmes.

Ces versificateurs sont légions. Si l’on veut ne considérer que les œuvres de littérature pure, ce qui est notre dessein, les poèmes se trouvent incomparablement plus fréquents que les œuvres le prose.

Les œuvres de prose sont dues en général aux cerveaux les moins endommagés. Il n’y a là rien de plus qu’une constatation de fait : Le commun des fous versifie avec des fortunes diverses ; mais c’est seulement parmi les plus lucides, les moins désemparés de ces malheureux que se réalisent en prose des pages d’un caractère plus ou moins artistique.

Sans doute la prose, par sa nature plus posée, plus froide, plus analytique réclame plus de sagesse, de pondération, de bon sens, au lieu que le vers avec son corset rythmique et les grelots de ses rimes, s’accommode mieux des élans intuitifs de la passion et des sanglots égarés de la folie.

Dans leurs manuscrits, le graphologue trouverait matière à d’intéressantes

Paul Gaughin

[p. 198]

études, à des constatations précises en suivant les changements d’écriture parallèles aux variations de la personnalité. De gros accidents frappent à première vue dans certains cas : écriture dans tous les sens du papier, mots soulignés à toutes les lignes, majuscules de luxe promenant leur orgueil dans le corps même des mots, comme il arrive chez les aliénés à idées de grandeur.

Cependant parmi ces documents nous trouvons deux catégories d’œuvres comportant des caractères particuliers selon qu’auparavant les auteurs étaient ou non initiés à l’art d’écrire.

II

Les profanes, qui constituent la catégorie la plus importante, nous occuperont ltout d’abord. Ils exerçaient des professions diverses, manuelles pour la plupart, et voilà que tout à coup se manifeste le besoin plus ou moins impétueux d’écrire.

Progressant du simple au complexe nous étudierons dans cette catégorie trois groupes :

1° Les formes de désagrégation mentale caractérisées par un automatisme presque pur.

2° Les formes où se trouve contenue une émotion ou une idée. — C’est le groupe le plus intéressant et le moins connu de la littérature des fous.

3° Les formes où se trouve contenue une émotion ou une idée avec un souci de recherche littéraire.

1° Les formes de désagrégation mentale nous offrent un automatisme intellectuel à peu près pur. Il en est qui se contentent de copier mot pour mot des vers retenus de mémoire ou lus dans un livre, y trouvant une satisfaction d’art, d’un caractère tout à fait rudimentaire.

D’autres s’essaient à des créations personnelles si l’on peut nommer ainsi leurs étranges essais ! Mais après quelques efforts toute leur inspiration se trouve épuisée et ils préfèrent recourir au trésor facile de leur mémoire, plus complaisante que leur imagination. C’est là une forme intermédiaire qu’il n’est pas sans intérêt de connaitre, car elle établit une transition précieuse entre la création proprement dite et la répétition purement mnémonique. Ces œuvres n’ont qu’un intérêt médiocre : ce sont des divagations quelconques émaillées de temps à autre de citations d’un classicisme plus ou moins authentique.

Les difficultés de la versification ne sont un obstacle réel que pour celui qui veut exprimer une pensée précise, nette, en ce mode artificiel. Maints prosateurs de mérite n’ont jamais pu comprendre ce hochet puéril de la rime qui forcément selon eux, doit faire dévier l’expression de sa ligne pure.

Mais tel n’est pas l’avis de nos versificateurs ; la confusion d’images et de mots qui se pressent en leur esprit choisit tout naturellement le [p. 199] rythme comme un auxiliaire automatique très précieux pour débrouiller ce chaos.

Le rythme, considéré comme un cadre qui enferme la pensée, comme un moule où les mots viendront prendre place, est un expédient pour ainsi dire physiologique qui régit la nature humaine dans la plupart de ses manifestations. Quelque mouvement musculaire que nous accomplissions, marche, danse ou travail des bras, l’adoption d’un rythme, c’est-à-dire d’un certain automatisme est une condition très favorable à diminuer l’intensité de l’effort intellectuel ; les cris d’une foule ne peuvent se continuer pendant un temps appréciable, qu’à la condition de s’appuyer sur un rythme quelconque. Cela se fait spontanément.

Comme en outre la grande simplicité et la monotonie de ce rythme réalisent en quelque sorte la perfection dans l’automatisme, il n’y a pas lieu de nous étonner que nos versificateurs adoptent presque tous l’alexandrin à césure médiane (selon la formule Boileau) ou le vers de huit pieds, plus familier à leurs oreilles et plus simple.

Les plus rudimentaires de nos artistes, ceux de qui le cerveau est empli d’images et de mots qui ne demandent qu’à s’échapper, réalisent en effet celte formule.

Le rythme et la césure servent de tuteurs précieux à leurs élucubrations et loin d’être tyrannique, la rime les aide puissamment à jaillir vers de nouvelles images : la rime, l’assonnance, le calembour, autant de repères extérieurs qu’ils emploient pour nouer leurs phrases, beaucoup plus volontiers que le bon sens ou la logique : ils pensent avec des mots, mais avec des mots considérés en tant que sons et non en tant que supports des idées ou des images.

Quant à la difficulté de concilier la construction grammaticale avec la césure et le rythme, ils en prennent volontiers à leur aise : des syllabes muettes par ci, par là s’élident, le vers y trouve son compte tant bien que mal.

Les écrits typiques qui sont dus à ce mécanisme révèlent une incohérence flagrante qui peut être apparente seulement ou réelle. Dans tous les cas l’émotion n’y a aucune part : c’est du verbiage pur, s’il y a des trouvailles d’expressions par moments, c’est pur hasard parmi la cohue confuse des mots et des images. Voici une « apologie de Napoléon » qui est assez caractéristique du genre dans son incohérence réelle.

Apologie de Napoléon.

Onze minutes, criant, horizon
Canons, lueurs, secondes, détonation.
Nous calculâmes qu’Apollon

Fasse cent dix lieues en phaëton ;
Dix-huit cents, observa colonel. [p. 200]
Qu’Icare se perdit au soleil,

Donc Louis ne mourut pas, Napoléon
Craignait d’Espagne l’inquisition.
Le duc d’Enghien ne devait pas suffire,
Pour tuer, souffrir, il guillotine.

Assurément, ce n’est pas la précision de l’idée à exprimer qui est troublé le rythme des ces vers ! Mais l’approximation est suffisante pour une oreille peut scrupuleuse et la fonction d’appel de l’assonances apparaît ici dans toute sa nudité.

Ces vers stupides sont intéressants en ce qu’ils dévoilent le mécanisme du rythme fonctionnant pour lui-même à vide dans un pitoyable automatisme intellectuel.

2° Uk y a une grosse différence d’intérêt selon que le poème cherche à exprimer une émotion ou reste dans les limites du pur verbiage.

Voyons d’abord les formes de pur verbiage, qui à première vue se rapprochent beaucoup des groupes précédents.

Je cite de suite ce fragment d’épitre d’une jeune fille — pour mettre en relief l’analogie du mécanisme psychique :

.   .   .   .   .   .   .   .    .   .   .   .   .   .   .   .    .   .   .   .   .   .   .   .  .
Qu’un jour avec mon Edouard je dansais en rond.
Si tu voulais papa dis-moi je me marierais.
Je griffonne, vilaine plume : dis si tu m’excusais ;
Père bien-aimé Charlot dis-moi ? marie-toi donc ?
Chère maman Amélie ? dis-moi maman Eugénie
Père bien-aimé Foubertot dis-moi ? marie-toi donc ?
Oui ! ma fille bien-aimée l’mariage est accordé
Oui ! soudain me répondent pour toi mes mères aimées.

li saule aux yeux que les mêmes conditions que tout à l’heure, ont pour ainsi dire « mécanisé » la pensée, mais l’incohérence qui en résulte n’est qu’apparente. On démêle assez bien la nature de la préoccupation dont il est question. Le verbiage se précipite avec une volubilité excessive et la prosodie sert à le canaliser. D’ailleurs, la fin de cette longue épitre est curieuse à ce point de vue.

Sais-tu, non savez-vous que c’est ma sœur aimée
Embrasse papa dis, ah ; laisses-moi… Charlot

Laisse tes vers tranquilles et dis ce que tu voudras. Et bien attends maintenant je finis doucement mon écriture.

Et la lettre tourne court ; car ce verbiage bouillonnant et vide, ne trouve aucun tuteur, aucun secours dans la forme plus logique et plus réfléchie de la prose.

(A Suivre.)

N. VASCHIDE ET P. MEUNIER.

[p. 679]

Le sentiment Poétique et la
Poésie des Aliénés Poètes

(Suite) (2)

Voici quelques extraits de ce babillage :

.   .   .   .   .   .   .   .    .   .   .

Tombé à fond de cale,
Dans la machine éteinte,
Où bientôt il se cale
A une femme étreinte
Par un mécanicien
Qui pour fuir avec elle
Était resté, très bien,
Au bas de son ,échelle
.   .   .   .   .   .   .   .    .   .   .

La cheville a élu ici droit de domicile ; mais elle s’étale avec si peu de dissimulation qu’il faudrait être vraiment grincheux pour s’en offusquer.

D’ailleurs comme il ne faut jamais négliger une occasion de s’instruire, ni d’instruire les autres, notre bon didactique ne manquera pas à l’occasion de nous donner un conseil profitable :

.   .   .   .   .   .   .   .    .   .   .
Lui qui a si bien armé
S’enfonce dans le sable
Et s’il vous a piqué
Piqûre abominable

Non comme on dit mortelle
Car le Permanganate
De soude naturelle
Vous guérira sans faste ;

etc.

Même en l’absence de toute vibration émotionnelle, même en l’absence d’une précipitation affolée des mots et des images, la structure mécanique [p. 680] du vers peut encore s’imposer à certains fous, pour l’expression de choses aussi banales et aussi simples que possible. Ceux-ci ressemblent depuis leur maladie au célèbre métromane de Regnard et à ses nombreux émules pour qui la rime est une affliction quotidienne. Aucune esthétique ne vient absoudre leur inepte rabachage : ils sont comme des importants du langage incapables de faire un pas, s’ils ne sont soutenus par l’attirail orthopédique de la prosodie. Des œuvres complètes d’un ancien gendarme, nous extrayons ces vers significatifs :

I

Le service d’été étant rétabli,
Ma fille vient toujours dans l’après-midi ;
Avec ses deux chers enfants,
Pour embrasser leur Père Grand.

S’il vous est tout à fait impossible
De m’accorder quarante-huit heures :
L’écrirai à ma très chère fille
Pour partir le dimanche à huit heures

II

Et cela continue ainsi, posément, lamentablement.

Voilà pour les productions de pur verbiage. La raison pour laquelle elles sont si médiocres, nous la connaissons ; c’est que les écriveurs plus intelligents et d’ailleurs tout aussi dénués d’émotion, s’expriment en prose, et là nous aurons occasion d’observer ce qu’ils peuvent formuler. A vrai dire, nous pourrions citer ici des vers beaucoup moins mauvais, mais dûs à des professionnels de la prosodie que nous examinerons à part.

III

Nous en arrivons aux poèmes destinés, ce qui est leur véritable rôle, à traduire une émotion. C’est à coup sûr la plus grosse part. La déchéance des fonctions de l’esprit n’implique pas forcément un émoussement quelconque du sentiment ou de l’émotivité ; loin de là. L’émotivité morbide de certains aliénés et un fait insuffisamment connu. Nous en avons ici la traduction littéraire, qui peut être entachée de tous les défauts possibles : banale, maladroite, ridicule et grotesque tant qu’on voudra ; mais on ne peut lui reprocher un manque de sincérité.

Chose remarquable, on y trouve beaucoup moins de bizarrerie, d’absurdité, de folie en un mot que l’on n’aurait pu attendre de tels auteurs. Appelé à traduire une émotion, un sentiment beaucoup plus qu’une pensée, le vers peut garder une allure intelligente chez un individu dont la prose révèlerait à première vue l’insanité. [p. 681]

On exprime en vers un enthousiasme, une passion, mais non la suite froide et logique d’un raisonnement.

Ce qui frappe dans la plus grande partie de ces poèmes, c’est la naïveté, la vérité de l’émotion Véritablement il arrive maintes fois que l’on se trouve en face d’une de ces manifestations puériles du génie populaire avec son bon sens banal et charmant, son lyrisme simpliste, son émotion réelle.

Les fous ont parfois de ces trouvailles, de ces lueurs discrètes, parmi les ténèbres des rabachages interminables.

Ils ont une chose très simple à dire, et ils la disent très simplement, la sincérité de leur sentiment ne se délaie d’aucune rhétorique et la maladresse de leur exécution leur confère souvent une grâce ingénue.

La naïveté a pourtant des degrés.

Les plus infirmes se bornent à exprimer avec maladresse une émotion élémentaire. C’est la tristesse d’un être, sa joie, son cri, rien de plus. On ne sent pas, il n’y a pas un être humain qui vous traduise cette émotion; c’est elle-même toute nue. Cette aridité d’ailleurs n’est pas sans laisser parfois un certain charme à ses simplistes productions, il arrive qu’elle s’exerce sur des sujets bien inattendus. Certains, ouvrant tout-à-coup sur le monde des yeux étonnés, s’extasient ingénuement, devant tout ce qui tombe à portée de leur admiration ; sans malice et balbutiant d’incertaines paroles, ils découvrent pour leur propre compte le monde. Ils réalisent le sentiment de l’homme qui tomberait tout-à-coup dans l’existence, venu on ne sait d’où, ignorant tout, sinon ce qu’il commence de sentir à l’instant même. Ils ont l’âme de poètes ingénus, le frisson candide des innocences; le suprême trésor de la sensibilité humaine délivré tout-à-coup des spéculations et des calculs de l’intelligence apparaît tout-à-coup, s’épanouit au petit bonheur. Le poète aussi est un naïf.

IV

Nous avons vu pour les formes de pur verbiage que le didactisme était un précieux tuteur à divagations. Nous le retrouvons ici nuancé de sentiment. Cet « Hymne à la Terre » sous son apparente froideur didactique traduit un sentiment d’une ingénuité formidable, trop formidable même dans sa sobriété.

« Dédié
à ma bru 2

Étude Astronomique
Littéraire Française

Hymne à la Terre

En la révolution © ; marche, marche Terre qui me reçus, me donnas assistance, la vie ! ©2
Toi que mes pieds ont foulée et foulent encore ! ©3•
Toi, qui fus dans ma jeunesse l’objet de mes études et que j’étudie toujours. [p. 682]
Toi dont j’admire la légèreté, la vitesse ©, la régularité ! ©4 B.
Quelle loi te contraint depuis des siècles, des siècles ?
Sœcula sœeulum ! ©5.
Dans ta course … sensée, toujours tu évites un choc, qui pour des humains, serait leur perte.
Mais celui ©6 qui fit le monde, voulut malgré ta rotation ©71 qu’ils n’ignorent point que tu parcours dans l’immensité pendant une année accompagnée de ton atmosphère et de ton satellite, Lune, une étendue au minimum de

Deux cent trente millions de lieues
230.000.000

Matin notes.
©1 En 365 jours, 6 heures.
2 Allusion au domaine de V E
©3 69 ans.
4 550.00 lieues en 24 heures.
5 Indéfiniment
6 Le créateur

7 En 24 heures © Chout

©4 B Se rend toujours à son point de départ »

Ce sont là de ces choses que l’on ne saurait inventer, une telle émotion est trop loin de nous pour que nous puissions nous y laisser aller, surtout en une ‘absence aussi complète de toute habileté artistique.

Quelle fatigue immense, quelle paresse inexprimable dans ces informes balbutiements où l’impuissant a voulu exprimer lui aussi la grande loi de l’amour humain :

Près des lacs du Bois de Boulogne
Un jeune homme s’en va rêvant,
L’air malade, sou pas chancelaat,
Ses yeux au cielcherchant la Madone.
De ses yeux scintillent des éclairs,
Du temps à antre il ramasse par terre
Quelques feuilles que le vent a tombés
Quel dommage qu’il soit seul à les ramasser !

et il n’y a ni développement, ni explication, mais simplement pour clore l’anecdote, ce « dommage » qui est souligné par la différence du rythme, sans malice bien sûr ! et quelle discrétion résignée dans l’expression de cette tristesse.

Et lorsque cette émotion cherche à se justifier c’est avec la debanalité concentrée et l’entassement des clichés surannés. Bref c’est l’anonymat [p. 683] et la platitude à un point presque schématique, à un degré tellement excessif que cela finit par constituer presque une originalité.

« Le Mousse »peut être considéré comme une production assez typique dans ce genre :

Le Mousse

Sur un mât perché à l’horizon
Semblable à une mouche ou à un moucheron
C’est le mousse du navire
Qui part le cœur plein de plaisir.

*
*    *

Adieu, ma vieille maman
Mon frère, ma sœur, mon petit cousin
Je pars pour peut-être longtemps.
Mais je reviendrai un beau matin.

*
*    *

Deux ans se sont écoulés
Et pas de nouvelles du jeune marin .
On parle qu’il est naufragé,
Mangé peut-être par un requin .

*
*    *

Soudain la porte s’ouvre
Et l’on voit apparaître
Non plus un gamin mais un fort homme
Fort, plus fort qu’un hêtre
Quelle joie pour son père, le brave homme.

Après les émotions élémentaires, nous arrivons à l’expression de sentiments plus ou moins complexes. Une intelligence s’affirme et si elle n’attend pas toujours une originalité de bon aloi, elle nous offre souvent, avec leur saveur native, les élaborations du sens commun, les considérations pleines de bonhomie, dues à la petite jugeotte de chacun.

C’est la confession spontanée d’une âme qui divulgue simplement ses croyances, et s’indigne, loue ou blâme au nom des très simplistes, mais très nets principes que la vie quotidienne a implantés en son esprit. Bref, ces productions parfois même rehaussées des remarques ingénieuses et pas dénuées de malice, constituent un genre de poésie populaire qui n’est certes pas sans allure et sans lyrisme, bien que la puérilité et le rabachage obsédant ne laissent pas parfois de trahir la marque de fabrique. [p. 684]

Voici un « Compliment de vive voix pour m’annoncer » dont l’excessive simplesse ressemble presque à l’excessive habileté d’un subtil rhéteur.

Mes sœurs vous pardonnerez mon incongruité
De venir troubler votre déjeuner.
Il faut en accuser ce préjugé séculaire
Que l’on nomme nouvelle année
Qui pour beaucoup est jour de trêve
Dans leurs querelles, quitte le lendemain à recommencer
A se dévorer de plus belle.
Je ne viens pas pour vous flatter
Je suis aujourd’hui ce que j’étais hier.
Et serai demain ; quels que soient mes procédés
Je travaille pour l’humanité.

Bien entendu le sentiment accapare l’importance ! le vers se tire d’affaire comme il peut.

Si l’on ne s’improvise pas écrivain du jour au lendemain, encore moins peut-on du premier coup acquérir le tour de main, purement de métier, nécessaire pour exprimer sa pensée à travers les difficultés conjurées du rythme, de la césure et de la rime. Ce sont là de sérieuses difficultés avec lesquelles il faut compter. Mais ne croyez pas que les fous soient embarrassés pour si peu. Ils ont maints expédients pour se tirer d’affaires. En principe, le rythme tend à être monotone, alexandrins ou octo-syllabes, mais quelques pieds en plus ou moins ne sont pas une affaire, et la rime doit se contenter la plupart du temps d’une assonnance plus ou moins approximative, les expédients sont de diverses sortes pour tourner cette difficulté. Le plus fréquent à coup sûr est celui qui consiste à élider des syllabes muettes et à résorber les autres quand le besoin s’en fait sentir. C’est encore ce procédé qui est employé dans cette « Poésie sur le Panama », moitié complainte et moitié fabliau, œuvre puérile et charmante dans sa candeur, gémissement très doux d’une très lamentable intelligence qui refuse de s’aventurer parmi les arguties d’une controverse et qui ne veut voir que cela : ils ont volé, ça ne leur est pas permis !

Voici le début de ce factum :

POÉSIE SUR LE PANAMA

« Notre belle France est dans la souffrance
Les malheureux ont prêté leur argent
Le Panama les met dans la souffrance
Il ne manque pas, hélas ! d’intrigants [p.685]
Aux malheureux ils ont pris leur épargne,
Ont pris leurs ors et les ont partagés
Les ouvriers el les hommes des campagnes
Dites-moi, hélas ! qui va vous protéger.
Ils représentaient notre république,
C’étaient les représentants du pays,
Voici leurs œuvres démocratiques
Ils ont volé, ça leur est pas permis. »

V

Les confessions ou autobiographies que les fous écrivent si volontiers et avec un souci de détails si scrupuleux, peut-être parce que souvent ils tirent orgueil des vétilles les moins honorables, peuvent aussi affecter une allure de complainte où le cynisme, le bon sens, la niaiserie, la jovialité se coudoient confusément en un rythme vague qui se joue de-ci de-là aux breloques sonores de l’ordonnance, aux futilités du jeu de mots. On prend la rime au passage, mais on ne court pas après elle. Voici des extraits des interminables confessions d’un homme du peuple :

« Le changement est indispensable
Pour la danse,
Il faut toujours avoir soin
De ne pas danser devant le buffet.
.   .   .   .   .   .   .   .    .   .   . .   .   .   .   .   .   .
Tout en gardant mes agneaux
Blancs, je rencontre un agent
De ville. Il me dit combien
Gagnez-vous d’argent
En gardant vos agneaux blancs ?
Six cent mille francs, je lui réponds
Peste ! maçon, vous pouvez travailler
A ce prix-là j’en ferais bien autant.
.   .   .   .   .   .   .   .    .   .   . .   .   .   .   .   .   .
.   .   .   .   .   .   .   .    .   .   . .   .   .   .   .   .   .
.   .   .   .   .   .   .   .    Car je suis persuadé
Que tout le monde doit aimer cette
Vie-là. La vie de ferme, le bon
Air, les animaux, la vie solitaire,
Où toute la splendeur de la nature sourit
Quand arrive le printemps, le mois
De Mai, la feuille pousse la verdure,
Les fleurs que l’on respire
Ce parfum délicieux des jardins
Et des champs, [p. 686]
Les animaux de toute espèce
Des cailles, des perdrix, iles rossignols,
Des allouettes, des hirondelles,
Des perroquets, des faisans dorés,
Tout ceci a été créé pour ma figure !
Aussi je tiens à ce qu’elle dure ;
C’est pour cela que je me soigne
Bien dur et longtemps,
Temps pire pour les amours
Qui ont des maitresses, je n’en veux point.
Je n’ai point de femme; je m’en passe tout simplement.
Ma femme, c’est ma pipe,
Deux paquets de tabac par semaine.
Voilà ma Rente hebdomadaire :
Une petite prise de temps en temps
Que l’on m’offre avec plaisir
Que j’accepte de même :
Voilà ma petite vie
Et je voyage pour connaître ma géographie. »

Aucune espèce de recherche littéraire ne se trahit ici et c’est ce qui fait le charme très sûr et le parfum de sérénité qui s’en dégage.

« Tout ceci a été créé pour ma figure » et encore « et je voyage pour connaitre ma géographie » sont d’une simplicité délicieuse. Cela n’a aucune prétention à la versification ; une aimable négligence règne d’un bout à l’autre, et cependant ce n’est à coup sûr pas de la prose, et il y a là une âme poétique très certaine bien que très modeste et ignorant jusqu’au premier mot de l’art subtil du maquillage.

N. VASCHIDE ET Dr P. MEUNIER.

[p. 740]

Le sentiment Poétique et la
Poésie des Aliénés Poètes

(Suite) (3)

La sincérité du sentiment, jointe à l’absence de tout métier et de toute prétention littéraire, peut aussi ne pas se satisfaire d’à peu près prosodiques et de laisses rythmiques mais se dégager franchement de ces entraves pour évoluer selon son inspiration propre. Sans avoir jamais eu connaissance de l’existence même du vers libre, une femme du peuple en

réalise la formule du premier coup, dans sa première tentative de versification qu’elle intitule « Essai poétique », tentative qui a toutes les maladresses et tous les défauts que nous savons, mais qui ne laisse pas d’être fort curieuse à maints égards. Peut-être même la suprême audace de cette poétesse d’aventure n’est-elle due à autre chose que son excessive ignorance des conditions de toute prosodie et des règles que les esprits traditionnels estiment indispensables à cette forme d’expression. En tout cas, l’excessive simplicité d’esprit apparait évidente ; loin de nuire à la grâce émouvante de la pièce, elle constitue l’un de ses charmes. Voici un fragment de l’une des deux ou trois pièces qu’a écrites cette femme. Celle-ci est une ode sur la tombe de sa sœur :

« J’en ai tant enduré !
Ma vie fut un long martyre !
De souffrance et d’ennuis !
Lorsque je ne souffrais pas je voyais souffrir les miens
Et ne puis dire au juste
Lesquels m’étaient le plus sensibles 1 J’ai tant aimé les miens.
Les ayant tous perdus !
Leur mémoire m’est chère ! [p.741]
Je me repais de leur souvenir !
Toutes les nuits j’exhale ma souffrance !
Par la pensée je parcours les lieux
Où reposent leurs cendres !
Au sud, au nord je me fraie un chemin !
Et vais en souvenir dans chaque nécropole
Prier mon Dieu pour eux.
De Billancourt à Bagneux !
Le pèlerinage est long ;
Que ne m’est-il donné encore une fois
Oh sœur chérie et regrettée !
D’aller sur tes restes chéris
Pleurer et espérer !
J’ai peur de ne pas pouvoir !
Le délai expire le 5 octobre
J’y fus avec ta fille il y n un an
Ne pus pas y retourner !
Vu les événements !
Là, seulement elle était admirable !
Entourant de soins pieux
Ton tombeau !
Plantant et arrachant au gré de ses désirs
Ne trouvant rien d’assez beau
Se rappelant sans doute ton dernier soupir
Car nous te pleurâmes beaucoup ensemble !
Et sommes aujourd’hui bien affligées !
De ne pouvoir renouveler la concession
Sur ce, le règlement est formel !
Dix ans et pas plus !
C’est pourquoi ma criquette aimée !
Nous fîmes enterrer notre mère !
Loin de toi à Bagneux
Pour ne pas éprouver pareil ennui !
Car nous fûmes induites en erreur lors de ton décès. »

.   .   .   .   .   .   .   .    .   .   . .   .   .   .   .   .   . .   .   .   .   .   .   .   .    .   .   . .   .   .   .   .   .   . .   .   .   .   .   .

Ces essais d’émancipation prosodique ne sont d’ailleurs pas toujours aussi heureux, surtout lorsque le sentiment inspire moins directement la pensée, comme il arrive dans celle bucolique dont le principal mérite réside peut-être dans l’absence de toute prétention.

« Les troupeaux sortent des fermes
Bêlant à qui mieux mieux,
Au son des clochettes [p. 742]
Suivant le gai chemin
Ombragé de hauts sapins.
Dans la vallée humide de rosée
Baignéee de lumière douce
Coule la petite source.
Fleurs et foins parfumés
Enivrent le troupeau
Conduit au son du chalumeau. »

Ces vers descriptifs sont dus à la plume d’un aquarelliste d’un certain talent, qui se complait surtout aux couleurs ingénieuses et aux stylisastions décoratives. Mais ce serait une erreur de croire que même ceux qui n’ont point un souci exclusif de littérature s’affranchissent toujours aussi volontiers de la forme classique du vers.

Imposée tant bien que mal à l’esprit par la plus élémentaire des éducations, la prosodie classique, de même que les contes de nourrice et les principes du catéchisme, constitue un de ces fantômes desquels beaucoup de cerveaux adultes n’arrivent jamais à ce dégager complètement. Cela constitue presque un dogme avec lequel il ne faut pas discuter. C’est pourquoi certains de nos rimeurs s’avisent d’une transaction assez curieuse qui leur permet d’exprimer leur pensée sans violer les lois sacro-saintes. Cette transaction consiste à mettre en notre ou entre parenthèse la partie de la phrase qui n’a pu trouver place dans le vers lui-même, par exemple.

« Vous qui faites sombrer la barque de l’Église (Romaine). »

Ce procédé se retrouve dans les productions du « Chant national actuel de France » intéressant d’ailleurs à d’autres point de vue.

Avec lui nous avons une formule plus élevée de réalisation poétique. Il ne se contente pas d’exprimer des sentiments personnels, il raconte et, sur un mode de. mélopée qui a parfois les allures d’une épopée populaire, fait vine des personnages parfois extraordinaires, non sans verve ni sans imagination. De plus, d’après l’avertissement qui précède l’une de ses compositions, l’inspiration ne serait pas chez lui un simple jeu littéraire mais aurait une origine nettement hallucinatoire, comme il ressort de cette préface passablement bizarre.

« Ayant été admis cette année à aider à moissonner la récolte de l’asile, j’ai été à portée d’entendre la sédition des végétaux alimentaires qui se « sont adressés à moi pour interpréter leurs gémissements que j’ai traduits en vers alexandrins, car le préjudice causé aux végétaux depuis dix ans est au moins de dix mille francs : ce dialogue funèbre est de cinq strophes quarante-trois vers, affaire locale que j’ai soumise au Tribunal de l’honorable Directeur, M. le Docteur B… C’est la première partie de ce dialogue, car la narration, qui regarde la nation française est de treize strophes, cent dix-sept vers, ensemble cent soixante-deux vers. [p. 743]

En ma qualité de chantre du progrès ; j’aurais cru M. le Sénateur, négliger mon mandat, en gardant le silence, mais ma philanthropie patriotique, qui est proverbiale, ne m’a point permis une pareille lâcheté, et j’espère, Monsieur, que mon initiative sera accompagnée de la vôtre et de celle de ceux qui se disent de la nouvelle France. »

D’étranges personnages, comme la digitale vierge, folle, le merveilleux jasmin, l’étoile du soir, progéniture de Napoléon 1er, l’étoile du matin, progéniture de Jésus crucifié, introduisent dans un dialogue du même auteur sur le sac du Dahomey, un pittoresque sans doute excessif, mais n’empêchant pas le lyrisme naïf qui s’épanouit à maintes strophes.

L’INFAILLIBLE PIE VII A MAHOMET

L’INVENTEUR DE LA POLYGAMIE

« Tes immondes projets, père du paganisme,
Feront aucun progrès chez nos chers abrutis.
Léon (XIII) mon successeur veut le christianisme,
C’est notre commerce : sans lui pas de rôtis
Plus de Mâcon, Bordeaux, plus de pâtisserie
De poulets, de jambon qu’attirent la Beauté,
Respecte, Mahomet, notre polygamie (secrète)
Vivons en bon voisins durant l’éternité.
Laissons nos partisans (bis) dans leur obscurité !

LE GÉNÉRAL DODDS A BEHANZIN.

Béhanzin, Mahomet blâme mon inconstance,
N’est-ce pas le faible de tous les conquérants ?
Il me faut ton État pour agrandir la Franc
Ainsi que tes femmes pour distraire mes gens (de guerre)
Il faut te soumettre, l’emblème est l’Algérie,
Le contact des Français t’offre sécurité,
Notre gouvernement est une oligarchie,
Qu’autorise le vol et la rapacité, (le faux, la violence> etc.)
Il faut prêter serment de la fidélité

La main sur le coran.

LE ROI DU DAHOMEY AU PARJURE GÉNÉRAL DODDS

Nous préférons mourir sur le champ de bataille
Que d’être les vassaux des roturiers français
Nous avons des alliés qu’abhorrent la canaille,
Qui violent les femmes, qui assassinent les Rois ! [p. 744]

BEHANZIN A L’EMPEREUR D’ALLEMAGNE

Votre protectorat parait digne d’envie
Seigneur délivrez-nous ; que Votre Majesté
Éloigne les tyrans qui menacent ma vie.
Notre religion, notre propriété,
La main sur le coran
Recevez le serment de ma fidélité !

L’EMPEREUR D’ALLEMAGNE AU ROI DU DAHOMEY

Je reçois ton serment, replace ta couronne
Sur ton chef, Dehanzin, face à l’usurpateur,
Je viens lui signifier de quitter en automne
Le sol du Dahomey dont je suis le tuteur.

L’EMPEREUR D’ALLEMAGNE A SON MINISTRE DE LA GUERRE

Cent mille fantassins, forte cavalerie (etc.)
Pour venger les excès <l’un peuple efféminé ;
S’il ose résister tombons sur l’Algérie,
Que le sol africain partout soit délivré,
Du joug des avocats Qui nous ont calomnié ! £Et des chrétiens prélats.

Et encore, bien que si mal exprimée, cette remarque piquante :

LE ROI DU DAHOMEY A L’ÉVÊQUE D’ALGER

Perfide incestueux : garde pour l’Algérie.
Tes pernicieux. conseils ; nous avons Mahomet,
J’adore le Soleil et toi l’Eucharistie,
Il lui faut des cierges, Dieu de l’obscurité.
La main sur le coran de Jamais te hanter. ,,

Oui je fais le serment.

(A suivre).

N. VASCHIDE ET Dr P. MEUNIER.

Notes

(1) Chapitre d’une série d’études sur la création artistique et Intellectuelle morbide.

(2) V. La Plume, N° 367-368, (1er mars).

(3) V. La Plume, N° 375 (1e juillet 1905).

 

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