Natalis. La Clef des songes. Extrait de la revue « L’Écho du merveilleux », (Paris), n°76, 1er mars 1900, pp. 88-89.

Natalis. La Clef des songes. Extrait de la revue « L’Écho du merveilleux », (Paris), n°76, 1er mars 1900, pp. 88-89.

 

Natalis [Marguerite Van de Wiele] (1857-1941). Femme de lettre d’origine belge. elle fréquenta Zola, Daudet, Jules Verne ou encore Maupassant. Colaboratrice régulièrement§re du Petit Bleu (Bruxelles).
Quelques publications :
— Un ange envolé. 1878.
— Le roman d’un chat. Verviers, Gilon, 1880.
— Contes des Flandres.

[p.88, colonne 2]

LA CLEF DES SONGES

Serait-ce ce chercheur italien, M. Gianelli, dont il est en parlé aujourd’hui dans les publications spéciales, qui nous la donnerait enfin, la clé magique ouvrant le secret de l’activité inconsciente de notre intelligence durant le sommeil ?

Jusqu’ici, les plus positifs des physiologistes, considérant la pensée comme le produit de l’ensemble de nos facultés, reconnaissaient en nos rêves une conséquence de l’imagination aidée de quelques-unes des facultés de ce que nous nommons l’âme, — cause première non seulement des faits intellectuelles, mais encore des faits vitaux. — M. Gianelli, ce serait bien plus et bien moins tout à la fois : nos rêves seraient le résultat de l’hérédité ; ils dépendraient de toute une généalogie, mais il n’y aurait là, strictement, que la redite d’impressions perçues par nos ascendants en un passé plus ou moins lointain. Il se savant étaye son opinion de quelques exemples pleins d’intérêt : celui d’un adolescent qui voyait en songe une grande figure noire, laquelle s’avançait au pied de son lit en le fixant de ses yeux étincelants. Or, le père de cet enfant avait été obsédé du même songe après une grande peur qu’il avait eue. Un autre cas est celui d’un adulte, d’un homme de vingt-sept ans qui, depuis son enfance, avait, aussitôt endormi, la vision d’un chat noir aux yeux phosphorique. C’était un legs d’un parent de ce monsieur, qui avait subi la même vision à maintes reprises, pendant son sommeil. M. Gianelli, en cite d’autres et d’autres encore. Mais, à la vérité, son enquête semble avoir porté plutôt sur des cauchemars que sur des songes proprement dit, et les spiritualiste qui voient en  cette suite d’idées et d’images surgit en notre esprit durant le sommeil une manifestation supérieure psychique, objecteront que le fait d’avoir un cauchemar suppose déjà un état de santé anormal. Dès lors les exemples donnés par M. Gianelli aurait un caractère d’exception tel, qui ne pourrait servir à l’explication décisive du phénomène du rêve, car, si celui-ci ne va pas sans un peu d’irritation mentale, c’est, néanmoins, une tendance de notre esprit tellement naturel, qu’on ne saurait prétendre que l’habitude du rêve soit un cas pathologique.

C’est une sensation subjective de l’homme au cours de laquelle toute sa puissance nerveuse se concentre dans son cerveau ; et, s’il est très certain, que la plupart du temps, le rêve ne lui renvoie que ses propres impressions de l’état de veille, exagérées par une sorte de perception délirante, il est cependant des rêves que nul impression, que nul le souvenir personnel, n’ont conduit, que rien de connu du rêveur ne paraît avoir provoqué.

Et ces derniers ne sont pas toujours de ces hallucinations à symptômes de cauchemars, signalé par M. Gianelli. Il leur est arrivé de survenir pendant de bons et réguliers sommeils, chez des individus dont aucun principe morbide n’avait altéré la santé excellente. Prétendent que ces sortes de phénomènes sans cause directement sensible proviennent exclusivement de l’hérédité, serait bien absolu. Cependant, quand on n’y réfléchit, cette conclusion absolue ne semble pas [p.89, colonne 1] si probable. Pour ma part, l’observation d’un grand nombre de faits m’a persuadé que l’hérédité, si elle ne joua pas le rôle essentiel, pourrait bien y être pour quelque chose. Cela ne serait guère plus absurde que d’expliquer par cette singulière illusion dont furent le jouet une foule de personnes et que les fervents de mystère attribuent à la réincarnation, — je veux parler de cette sorte de mirage qui vous a fait certainement, à vous comme à moi, « reconnaître » soudain, le parcourant pour la première fois un site que vous aviez péremptoirement n’avoir jamais ni visité ni vu auparavant. Rien de plus rationnel que de mettre cette réminiscence sur le compte d’une influence atavique : d’autres, avant nous, connurent ce lieu, quelqu’un de notre ascendance qui en fut peut-être exceptionnellement frappé et dont l’émotion, bonne ou mauvaise, allait avoir dans l’avenir son retentissement sur l’organisme des êtres qui naîtraient de lui.

Et si ceci est très admissible, pourquoi n’admettrait-on pas également la prépondérance de l’hérédité dans la suggestion de certains rêves ressuscitant, pour ainsi dire, à des années, à des siècles de distance, le sentiment et la mémoire vibrante d’impressions ancestrale ? On aurait pas encore pénétré pour cela le mystère incontestable des songes, mais ce serait un acheminement vers une définition meilleure de ceux qui les inspire, les évoques et les fait jaillir tout d’un coup, vivantes et péremptoires, de l’esprit trop éveillé des dormeurs.

Je sais une fillette qui vit une nuit en rêve un certain jardin auquel elle fut vite démesurément intéressée ; le jardin revint souvent dans les images que le sommeil faisait défiler devant ses yeux clos ; et, réveillée, elle décrivait avec une précision singulière, insistant sur cette particularité qu’il était dressé en terrasse, au flanc d’une colline rocailleuse, paré d’espaliers, de prunelliers et, aussi, de grands rosiers jaunes, en buisson. Or, jamais cet enfant de Bruxelles n’avait été en pays de montagnes ; jamais elle n’avait vu de prunelliers et il fallut sa peinture répétée minutieuse pour qu’on parvient à comprendre que c’était un tel pays et de tels arbres qu’elle voulait parler. Un jour, brusquement, un détail plus appuyé, sa met reconnu le jardin : il existait réellement, en province, dans une petite ville des Ardennes, où cette dame avait, bien avant la naissance de sa fille, bien avant son mariage, passé ses vacances de pensionnaire.

Aussitôt, on décida de s’y rendre, et dès qu’on est fut, la petite courut droit à la vision de son rêve, disant simplement : « voici mon jardin ; je le reconnais. »

Il n’avait pas changé : on était au derniers jours d’août, de grandes roses couleur du souffre s’épanouissent là, alanguies par le baiser ardent du soleil, et sur la pierre des gradins, les prunelliers étendaient des bras roides chargés de fruits bleus, comme au temps, comme en la saison ou la mère, jeune fille, avait séjourné en cette endroit.

Voilà un témoignage de plus à ajouter à l’enquête du Docteur Gianelli, et ici, remarquez-le, il ne s’agit plus de cauchemars, ni d’hallucinations, mais très exactement d’un rêve, d’un rêve heureux, serein, parfumé est tel qu’il doit en éclore tout naturellement [p.89, colonne 2] sous le franc d’une petite fille, à la faveur de son pur et léger sommeil.

NATALIS.
(Le Petit Bleu, de Bruxelles).

 

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