Monfalcon. SOMMEIL. Extrait du « Dictionnaire des sciences Médicales », (Paris,), tome cinquante-deuxième, SOM-STH, 1821, pp. 68-115.

Monfalcon. SOMMEIL. Extrait du « Dictionnaire des sciences Médicales », (Paris,), tome cinquante-deuxième, SOM-STH, 1821, pp. 68-115.

 

Jean-Baptiste Monfalcon (1792-1874). Médecin, bibliothécaire, écrivain et journaliste. Membre de plusieurs Académie, dont celle Nationale de Médecine. Il est principalement connu pour un ouvrage écrit en collaboration avec J.F. Terme : Histoire des enfants trouvés, Paris, J.-B. Baillière, et Lyon, Ch. Savy jeune, 1837.
Quelques autres publications :
— Histoire de la ville de Lyon. Lyon, Imprimerie de L. Perrin, 1851. 5 vol.
— Essai pour servir à l’histoire des fièvres adynamiques et ataxiques, Lyon, 1823, 106 p.
— Histoire des marais et des maladies causées par les émanations des eaux stagnantes, Paris, 1824, Béchet, 510 p.
Histoire du choléra asiatique observé à Marseille pendant les mois de juillet et août 1835, Lyon, 1835, 142 p.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

[p. 68]

SOMMEIL., s. m., somnus, repos des organes des sens et de la plupart des organes des facultés intellectuelles et des mouvemens : il n’est pas moins difficile de donner une bonne définition du sommeil, que de la vie ; la nôtre n’est pas rigoureusement exacte.

La vie, chez tous les animaux, présente deux manières d’être : la veille, pendant laquelle toutes les fonctions s’exécutent librement et avec régularité ; le sommeil, dont le caractère spécial est l’inaction plus ou moins complète et plus ou moins durable, de celles de ces fonctions qui mettent l’animal en relation avec les objets extérieurs. On ne peut pas dire cependant avec quelques physiologistes, qu’il vit moins pendant qu’il dort, qu’il est réduit alors à une existence moins compliquée, car d’une part, les organes des sens et des facultés intellectuelles, les muscles des mouvemens volontaires ne dorment point tous ; de l’autre, l’énergie d’action de plusieurs des organes de la vie appelée organique ou intérieure, est manifestement augmentée, et d’autres fonctions ont éprouvé des modifications sensibles. Le sommeil, loi fondamentale, qui régit tous les animaux, est un état essentiellement actif. Motus in somno intro vergunt.

Comme le sommeil est extrêmement remarquable par ses effets et ses phénomènes, les médecins, les physiologistes et les philosophes ont cherché de tout temps à connaître sa nature, à donner une histoire exacte des changemens qui ont lieu dans l’animal pendant sa durée. Le succès était subordonné aux progrès de l’anatomie et de la physiologie; peu versés dans ces sciences, les anciens et les modernes, jusqu’à [p. 69] Boerhaave et Haller, n’ont eu qu’un petit nombre d’idées justes sur le sommeil. Haller, le premier, donna une idée exacte de ces phénomènes ; il a apprécié à leur juste valeur les opinions des physiologistes, après lesquels il écrivait ; on doit à ce savant illustre une description fort détaillée, et en générai fidèle, des effets du sommeil. Camper a étudié spécialement l’influence utile ou nuisible qu’exerce le sommeil sur les maladies appelées si inexactement chirurgicales. Barthez a considéré cet état, en philosophe et en physiologiste, et des phénomènes il s’est élevé à la connaissance de ses causes ; moins abstrait, Cabanis est un historien du sommeil plus complet et plus sûr.

L’imagination féconde des Grecs, qui a créé tant de fictions heureuses, a fait un dieu du sommeil ; Ovide place son empire près des monts Cimmériens.

Est propè Cimmerios longo spelunca recessu,
Mons cavus, ignavi domus, et penetralia somni ;
Quo numquam radis Oriens, medius re, cadens ve
Phoebus adire potest.
Métamorpho., lib. XI.

Il fait couler le fleuve de l’Oubli autour du palais de ce dieu, dont le front est couronné de pavots, et que les songes légers entourent.

Abandonnons les rêveries ingénieuses des poètes, et considérons le sommeil sous un point de vue moins agréable, mais plus philosophique. Qu’est-ce que le sommeil ? c’est un état caractérisé par la concentration des forces à l’intérieur ; motus in somno intro vergunt, Hippocr. C’est un effet immédiat des lois de l’organisation, une manière d’être, qui, modérant l’excès d’activité que nos organes ont acquis pendant la veille, s’oppose à son accroisseent extrême, et la ramène à un degré convenable. L’action des organes qui nous mettent en rapport avec les organes extérieurs, est ordinairement tout à fait suspendue ; tandis que celle de la plupart des viscères est augmentée, une série de mouvemens particuliers s’établit pendant le sommeil dans le centre de la puissance nerveuse ; Somnus omnino nil aliud est quam receptio spiritus vivi in se, Bacon.

L’homme et les animaux sont soumis à l’alternative du sommeil et de la veille. Veiller, c’est exercer les fonctions qui nous mettent en rapport avec les objets dont nous sommes, environnés, sentir, penser, se mouvoir : dormir, c’est ne plus recevoir les impressions extérieures, c’est ne plus vivre que pour soi-même. Ce retour du sommeil répare les forces et est une cause puissante de la conservation de la santé qui ne tarde point à éprouver de grands désordres lorsqu’il est supprimé. [p. 70]

Les anciens philosophes comparaient le sommeil à la mort. Homère a joint à son nom le moi airain, pour désigner l’insensibilité et l’immobilité qui sont deux de ses plus remarquables phénomènes ; il observe ailleurs que le sommeil est d’autant plus doux, que le réveil est plus difficile et les apparences de la mort plus grandes ; enfin, c’est lui qui a fait le sommeil et la mort jumeaux. Neminem dum dormit illius pretii existimavit nihilo magis, quam qui non vixit, disait Platon. Diogène, sur le point d’expirer, s’abandonna à un profond sommeil ; son médecin le réveilla, et lui demanda s’il n’avait pas éprouvé quelque mal : non, répondit le philosophe, car le frère vient au-devant de la sœur. Cyrus, dans Xénophon, ne voit rien de si semblable à la mort que le sommeil; telle était l’opinion du plus sage des Grecs, de Socrate. Plus tard, Cicéron a dit : nihil videmus morte tam simile quam somnum ; Ovide a consacré la même idée dans ce beau vers :

Stultè quid est somnus gelidae nist morlis imago.

Lucrèce s’exprimait ainsi :

Tum nobis animam perturbatam esse putandum est,
Ejectamque foras, non omnem, namque jaceret
Æterno corpus perfusum frigore Lethi.

Les rapports qui existent entre le sommeil et la mort, sont peu nombreux et très-légers. « C’est par le sommeil que commence notre existence, disait Buffon ; le fœtus dort presque continuellement. Le sommeil qui paraît un état purement passif, une espèce de mort, est, au contraire, le premier état de sommeil vivant, et le fondement de la vie. Ce n’est pas un anéantissement, c’est une manière d’être, une façon d’exister tout aussi réelle , et plus générale qu’aucune autre. Nous existons de cette façon avant d’exister autrement. Tous les êtres organisés qui n’ont point de sens, existent de cette façon. Aucun n’existe dans un état de mouvement continuel, et l’existence de tous participe plus ou moins à cet état de repos. (Histoire natur., tome Iv, p. 8). Une belle femme endormie m’inspire pas des idées de destruction ; et la Vénus du Titien qui est plongée dans un profond sommeil, ne ressemble en rien à un cadavre. La mort est l’anéantissement complet et durable à jamais, de toutes les fonctions des organes du corps humain, dont l’ensemble constitue la vie; il n’y a dans le sommeil qu’une interruption d’action plus ou moins complète de celles de ces fonctions qui mettent l’animal en rapport avec les objets extérieurs. Si les fonctions appelées assimilatrices veillent pendant le sommeil et jouissent même alors d’une plus grande activité ; si l’imagination, la mémoire sont encore en action, ou ne peut établir aucun parallèle entre la mort et le sommeil [p. 71] naturel. Montaigne a pu dire : « Ce n’est pas sans raison qu’on nous faict regarder à nostre sommeil mesme, pour la ressemblance qu’il a de la mort : combien facilement nous passons du veiller au dormir ! avecques combien peu d’intérest nous perdons la cognoissance de la lumière et de nous ! à l’adventure, pourroit sembler inutile et contre nature la faculté du sommeil, qui nous prive de toute action et de tout sentiment, n’estoit que par ce moyen nature nous instruit qu’elle nous a pareillement faicts pour mourir que pour vivre : et dez la vie, nous présente l’esternel état qu’elle nous garde après icelle, pour nous y accoutumer et nous en oster la crainte ». Voilà de belles pensées philosophiques, mais un physiologiste ne raisonne pas ainsi.

Endymion endormi. Sculpture romaine, d’après un original grec du IIe siècle av.JC.

Le sommeil provoqué par de puissans narcotiques, et celui que l’on voit survenir pendant le cours et vers la fin de certaines maladies, ont avec la mort une assez grande analogie; mais les philosophes et les poètes ont parlé du sommeil naturel.

Montaigne admirait beaucoup ces hommes illustres qui, occupés de grandes entreprises, et à la veille d’une révolution dans leur fortune, « se tenaient si entiers en leur assiète, qu’ils n’en accourcissaient seulement pas leur sommeil. Alexandre-le-Grand, le jour même désigné pour cette grande bataille qui devait décider entre Darius et lui du sort de la Grèce, et du plus puissant empire de l’Asie, s’endormit d’un si profond sommeil, que Parménion entrant dans sa chambre, et s’approchant de son lit, l’appela deux ou trois fois par son nom pour le réveiller. Caton d’Utique ayant résolu de ne point survivre à la république, « déguainna son épée, et regarda si la poincte en estait bien aguisée et le fil bien tranchant : ce que ayant trouvé, alors « je suis, dit il, maintenant à moy. » Si la mest auprès de soy, et reprit encore son livre (le dialogue de Platon sur l’immortalité de l’âme), que l’on dit qu’il leut par deux fois d’un bout à autre : puis s’endormit d’un fort profond sommeil, tellement que ceux qui estaient hors de la chambre l’entendaient bien ronfler. » (Plutarque, Vie de Caton d’Utique, trad. d’Amyot). L’empereur Othon imita le courage de ce Romain illustre : déterminé à se donner la mort, il met ordre à ses affaires domestiques, récompense ses serviteurs, s’assure de la bonté du tranchant de son épée, et n’attendant, pour l’enfoncer dans son sein, que la nouvelle du salut de ses amis, il s’abandonne à un profond sommeil. Sextus Pompée, sur le point de livrer un combat, céda au besoin du sommeil, et s’y livra si bien, qu’il fallut que ses amis l’éveillassent pour donner le signal de l’action. Avant de chercher à déterminer en quoi consiste le sommeil, nous devons commencer par décrire ses phénomènes ; [p. 72] sachons d’abord quelles sont les modifications éprouvées par les fonctions des organes de l’animal pendant cette manière d’être de la vie, avant d’indiquer les rêveries des philosophes et des médecins sur ses causes et son essence. Cette méthode de philosopher est la seule qui puisse conduire un jour à la découverte de l’une des lois fondamentales qui gouvernent l’homme et les animaux. On n’explique pas la raison de l’alternative du sommeil et de la veille, en exposant les salutaires effets et la nécessité du besoin de dormir satisfait. Les climats, la température, les habitudes, modifient jusqu’à un certain oint cette loi fondamentale ; mais elle subsiste toujours, et sa difficulté de la connaître reste la même. L’homme, tous les animaux, connaissent le sommeil, sans en avoir un besoin égal. L’homme qui veille exerce quelquefois l’un.de ses organes avec tant d’énergie, que tous les autres sont dans une inaction plus ou moins complète. Archimède, méditant une découverte, est étranger à tout ce qui l’environne, ses yeux ont cessé de voir, ses oreilles de sentir, ses muscles de se contracter, une partie de son cerveau veille seule, agit seule. Syracuse est prise, et ses méditations savantes n’ont été troublées, ni par les chants de victoire des vainqueurs, ni par les cris et les gémissemens des assiégés. Un poète, dans un accès de métromanie, comme Archimède, ne vit en quelque sorte que par un organe ; des manœuvres fatiguent beaucoup leurs muscles, tandis que le cerveau est dans une inaction presque complète. Les états analogues ont quelque ressemblance avec le sommeil, dont ils diffèrent d’ailleurs par des caractères essentiels ; le poète, le mathématicien exerce son attention avec une grande énergie, cette faculté n’existe pas chez l’homme qui dort, et le repos de l’organe qui en est le siège est l’une des premières conditions du sommeil. Phénomènes du sommeil. Les causes du sommeil ont été longtemps ignorées ; sa nature l’est encore, mais ses phénomènes extérieurs sont connus depuis un grand nombre de siècles, par les peintres, les poètes et les philosophes.

Principio somnus fit, ubi est distracta per artus
Vis au mae, partimque foras ejecta recessit,
Et partim contrusa magis, concessit in altum ;
Dissolvuntur enim tum demum membra, fluuntque.
Nam dubium non est, animaï quin opera sit.
Sensus luc in nobis : quem cum torpor impedit esse,
Tum nobis animam perturbatam esse putandum est.

Telle était la théorie du sommeil de Lucrèce. D’autres poètes ont cherché avec aussi peu de succès à expliquer cette [p. 73] loi fondamentale des animaux, mais ils est réussi lorsqu’ils ont voulu peindre quelques-uns de ses phénomènes. Buffon a fait en peu de lignes une brillante description du sommei ; l’homme qu’il anima de son génie raconte lui-même ce qu’il a éprouvé : « Une langueur agréable s’emparant peu à peu de tous mes sens, appesantit mes membres, et suspendit l’activité de mon âme ; je jugeai de son inactivité par la mollesse de mes pensées ; mes sensations émoussées arrondissaient tous les objets, et ne me présentaient que des images faibles et mal terminées : dans cet instant, mes yeux, devenus inutiles, se fermèrent, et ma tête n’étant plus soutenue par la force des muscles, pencha pour trouver un appui sur le gazon. Tout fut effacé, tout disparut, la trace de mes pensées fut interrompue, je perdis le sentiment de mon existence : ce sommeil fut profond, mais je ne sais s’il fut de longue durée, n’ayant point encore l’idée du temps, et ne pouvant le mesurer ; mon réveil ne fut qu’une seconde naissance, et je sentis seulement que j’avais cessé d’être (Œuvres de Buffon, édition de Sonnini, tom. XX, pag. 57).

Le passage de la veille au sommeil est parfaitement décrit dans cette ingénieuse fiction. Les sens perdent par degrés toute leur énergie, ils cessent d’être ; les muscles que n’anime plus la puissance nerveuse deviennent en quelque sorte des masses inertes, et les facultés intellectuelles s’affaiblissant progressivement, cessent enfin d’agir. L’homme n’a plus le sentiment de son existence.

On a distingué trois périodes dans le sommeil; la première, est le passage de la veille au sommeil (somnolence) ; la seconde, le sommeil complet ; la troisième, le passage de cet état à celui de veille (réveil).

Léger, lorsqu’une faible excitation le trouble, le sommeil est profond lorsqu’une stimulation énergique est indispensable pour produire le réveil.

L’homme ne s’endort pas tout d’un coup ;mais le sommeil s’empare de lui promptement, dans les circonstances où, accablé par une longue veille, il cesse de chercher à la prolonger. Certains individus s’endorment avec une facilité étonnante ; d’autres, au contraire, n’y parviennent qu’après un temps très-long, quoiqu’ils aient beaucoup veillé, et fatigué les organes des sens et des mouvemens volontaires. Boileau peint d’une manière admirable le passage de la veille au sommeil, dans ces beaux vers :

.  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .La mollesse oppressée,
Dans sa bouche, à ce mot, sent sa langue glacée,
Et lasse de parler, succombant sous l’effort,
Soupire, étend les bras, ferme l’œil, et s’endort. [p. 74]

Aussitôt que la nécessité du sommeil se fait éprouver, on cherche une attitude convenable ; en effet, si le sommeil est un état de repos, la position qui le favorisera davantage sera celle dans laquelle le relâchement des muscles sera plus grand, Aucune n’est moins pénible que le décubitus sur le dos, aussi elle est choisie de préférence par les personnes très-fatiguées. Les différentes positions que le corps garde en dormant exigent le concours d’action d’un très-grand nombre de muscles, et il serait impossible de faire conserver à un cadavre les attitudes d’un homme endormi. On se couche tantôt sur le dos, tantôt sur l’un des côtés ; le décubitus sur le côté droit favorise, suivant suivant quelques physiologistes, le passage des alimens de l’estomac dans le duodénum, et prévient la compression que le foie pourrait exercer sur le premier de ces viscères. Somnum magis accedere, quando parte corporis dextrâ cubamus (Piine). Théophraste et Camper préfèrent cette attitude aux autres. Le corps est fort rarement dans une rectitude parfaite, et, presque toujours, il est abandonné à la prédominance des muscles fléchisseurs sur les extenseurs, c’est à-dire, se trouve dans un état de demi-flexion. Au reste, on change plusieurs fois d’attitude pendant le sommeil, et celle que l’on choisit pour s’endormir est rarement celle que l’on conserve endormant ; comme la plus commode devient gênante lorsqu’elle a été gardée un certain nombre d’heures, nous la remplaçons par une autre, ordinairement sans en avoir la conscience. Le Titien a peint avec une vérité admirable, l’attitude de Vénus endormie.

On ne peut dormir debout : le maintien de la rectitude de la colonne vertébrale exige le concours d’action d’un grand nombre de muscles sur lesquels le sommeil exerce son empire. Une chute serait inévitable si l’on essayait de dormir debout, car les faisceaux musculaires épais qui remplissent les gouttières vertébrales, et tous les muscles de la partie postérieure du corps dont les contractions ont le même but, cessant d’agir successivement ou ensemble, le poids de la tête et la flexion de la colonne vertébrale détermineraient la chute du corps en avant.

Au moment où l’homme va céder au sommeil, les parties de son corps qui ne sont pas soutenues, fléchissent sous leur propre poids ; ses bras tombent involontairement ; ses doigts abandonnent les corps qu’ils avaient saisis ; la tête chancelle, s’incline en avant ou sur les côtés :

Tardâ.  .  .  . gravitate jacentes.  .  .  . .  .  .  . .  .  .  .
Vix oculos tollens, iterumque, iterumque relabens,
Summâque percutiens mutante pectora mente.

OVIDE. [p. 75]

Enfin, elle se place sur un appui, et reste immobile :

Cervicem inflexum posuit, jacuitque per antrum.

Haller a étudié plusieurs fois le sommeil des hommes qui s’endorment dans les temples : leur paupière supérieure pesante, après quelques mouvemens de clignotement, tombe au devant de l’œil ; leur tête chancelle, fléchit sous son propre poids, et tombe au devant de la poitrine : réveilles par ce mouvement, ils la redressent étonnés ; mais bientôt le même ordre de phénomènes se reproduit. Cependant tous les muscles qui font mouvoir cette partie du corps ne sont pas relâchés, et quelques-uns veillent encore ; les muscles de l’un ou de l’autre côté du corps, en action, inclinent la tête de leur côté, et lorsque ceux du cou sont paralysés par le sommeil, la tête sans appui, abandonnée à sa pesanteur, détermine la chute.

Les facultés intellectuelles s’affaiblissent, l’attention cesse la première d’exister, l’exercice de la mémoire devient de plus en plus difficile ; cet état est un véritable délire. L’homme assoupi ne peut former aucun jugement; ses idées sont vagues, confuses, fantastiques : il a encore la conscience qu’il va s’endormir ; mais il lui est impossible de connaître le moment précis où le sommeil s’empare de lui ; en vain il s’efforce de lui résister : il est bientôt subjugué. Cependant l’expression de la physionomie a changé, le visage s’épanouit en quelque sorte, les lèvres s’écartent, la mâchoire tombe ; ce dernier phénomène suffirait seul pour faire distinguer le sommeil de la mort.

Tous les organes des mouvemens volontaires se reposent ; cependant quelques-uns d’entre eux agissent encore pendant les premiers instans du sommeil, et il est des contractions dont l’énergie augmente à mesure qu’il devient plus profond, telles, par exemple, celles des muscles fléchisseurs des bras et des mains, comme Barthez l’a observé ; mais, en général, les muscles sont dans un état d’inertie complet; ils sont flasques, immobiles, paralysés en quelque sorte ; cependant leur état diffère de celui qu’ils présentent dans le tétanos et dans la paralysie. Ils sont rebelles aux ordres du cerveau : c’est en vain que l’homme, accablé par le besoin du sommeil, commande au releveur de la paupière supérieure de faire mouvoir ce voile demi-transparent comme pendant la veille. Ce n’est pas simultanément que tous les muscles perdent la faculté de se contracter ; ceux du cou, du dos, des lombes, tous ceux qui redressent la tête, et les différentes parties de la colonne vertébrale, sont les premiers que le sommeil paralyse : quelques-uns lui résistent. Ainsi, les sphincters restent contractés. L’équilibre qui existe pendant la veille entre les puissances [p. 76] musculaires, cessant d’avoir lieu, les muscles fléchisseurs, plus forts, plus nombreux que les extenseurs, et qui vraisemblablement s’endorment les derniers, entraînent et maintiennent dans la flexion et le corps et les membres. Les principaux de ces phénomènes sont désignés dans ces beaux vers de Lucrèce :

Ergo sensus abit mutatis motibus altis
Et quoniam non est quasi, quod sufficial artus,
Debilefit corpus, languescunt omnia membra,
Brachia, palpebra que cadunt, poplitesque procumbunt.

Pendant que le sommeil agit de cette manière sur le système musculaire, l’homme assoupi perd successivement l’usage de ses sens : ils ne s’endorment pas tous à la fois, mais les uns après les autres. L’œil cesse le premier ses fonctions ; ce globe n’est plus fixé dans une position horizontale moyenne, comme il l’était pendant la veille par l’action combinée des muscles qui le font mouvoir :

Cum poscentes somnum declinat ocellos.
PROPERCE.

Une providence admirable protège les yeux pendant le sommeil : ils sont placés sous la garantie des paupières rapprochées l’une de l’autre. Qui fait tomber la paupière supérieure sur l’inférieure ? Est-ce, comme l’a prétendu un physiologiste, la diminution, le défaut du fluide nerveux qui cause ce phénomène ? Mais qu’est-ce que le fluide nerveux ? Pourquoi les paupières de l’homme qui dort ne sont-elles pas entr’ouvertes ou entièrement ouvertes comme celles des malades à l’agonie, et de ceux qui viennent d’expirer ? Faut-il attribuer la pesanteur, la chute de la paupière supérieure aux approches du sommeil, à la fatigue que ses mouvemens multipliés pendant la veille ont communiquée au muscle qui la relève ? Mais ons’endort quelquefois le matin sous l’empire des circonstances qui invitent au sommeil, et très-souvent dans le milieu du jour, lorsque la chaleur est excessive, ou après le dîner. On ne peut attribuer dans ces circonstances le rapprochement des deux paupières à la fatigue du muscle releveur. La paupière de l’agonisant est relevée, parce que l’équilibre qui existe entre les muscles qui l’élèvent et l’abaissent, est détruit au désavantage de ces derniers ; sa rétine cesse d’être sensible aux rayons lumineux, tandis que celle de l’homme qui dort est fatiguée par une vive lumière, malgré le rapprochement des deux paupières. La paupière supérieure de l’homme qui s’endort tombe au-devant du globe de l’œil vraisemblablement par son propre poids : il est incontestable qu’elle paraît pesante alors.

Le goût et l’odorat tombent dans une inaction complète, et l’ouïe, comme ces deux sens , est bientôt suspendue après [p. 77] s’être affaiblie par degrés. Enfin, le tout s’endort après avoir transmis au cerveau quelques impressions faibles ct confuses depuis le sommeil des autres sens. Dans certains états comateux, quelquefois l’odorat, mais plus souvent le goût ou le tact, veillent encore pendant que la vue et l’ouïe dorment profondément. Plusieurs physiologistes ont remarqué fort judicieusement que les sens ne dormaient point tous avec la même intensité ; le sommeil du tact est très-léger ; de tous les sens, le goût et l’odorat sont ceux qui se réveillent le plus difficilement. Comme le tact, l’ouïe, chez la plupart des individus qui dorment, est réveillée par une excitation légère. C’est une attention de la nature ; dans ce repos des organes qui nous mettent en rapport avec les objets extérieurs, elle a fait dormir d’un sommeil moins profond que les autres, ceux des sens qui peuvent nous avertir de l’existence d’un danger. L’habitude peut rendre l’ouïe insensible aux impressions les plus fortes ; ainsi elle permet à quelques individus de céder au besoin du sommeil au milieu des plus violentes détonations. Tel canonnier s’endort au bruit de l’explosion des pièces d’artillerie du plus gros calibre, il n’est pas réveillé par cet épouvantable fracas ; les individus qui habitent et dorment dais le voisinage d’une cloche, d’un moulin , de la mer, d’une cascade, d’un fleuve rapide, se livrent plus difficilement au sommeil, lorsqu’ils ne sont plus à portée d’entendre ce bruit considérable, Cette vive excitation dont l’effet naturel serait d’empêcher le sommeil, modifiée chez eux par l’habitude, fait partie des causes qui les invitent à dormir. L’intensité du sommeil des sens varie suivant le tempérament, l’idiosyncrasie; certains individus se réveillent au bruit le plus léger; d’autres, profondément endormis, n’entendent pas les détonations les plus fortes, même celle du tonnerre. Ce sommeil est, au reste, beaucoup plus profond pendant les premières heures du sommeil que pendant les dernières.

L’homme a cessé de correspondre avec les objets qui l’environnent ; les sens et les organes des mouvemens volontaires ne sont plus en action, le sommeil véritable a succédé à l’assoupissement, voyons quels phénomènes ont lieu dans les fonctions de la vie intérieure.

Les sensations internes, la faim , la soif, sont suspendues, ou du moins ont perdu la plus grande partie de leur intensité ; un sommeil prolongé un jour entier soutient les forces un jour entier, quoique les voies digestives ne contiennent aucun aliment. Le mouvement péristaltique des intestins est moins actif, et l’urine et les matières fécales n’irritent pas, ou excitent moins vivement que pendant la veille la membrane muqueuse [p. 78] avec laquelle elles sont en contact. Barthez a noté l’interception des sympathies ; il observe qu’un bruit qui nous éveille tout à coup, retentit à nos oreilles avec beaucoup plus de forces qu’il n’en a quand nous sommes éveillés, même dans un temps très-calme. Les sons, dit-il, qui interceptent violemment le sommeil, frappent singulièrement le sens de l’ouïe, parce qu’il est alors plus concentré dans son organe, et plus isolé des autres sens (Nouveaux élémens de la science de l’homme). Verduc, que cite Barthez, avait dit judicieusement qu’en dormant, la moindre chose qui nous touche, nous fait une impression incomparablement plus forte et plus vive que celle que nous aurions dans la veille. L’auteur des Nouveaux élémens de la science de l’homme, a remarqué à cette occasion que l’incube ou le cauchemar, qui est un sentiment d’anxiété, d’oppression et de travail dans la région précordiale, n’excite point un réveil parfait ; et cependant ce sentiment est d’autant plus fort qu’il est isolé par l’état de sommeil qui subsiste quoique imparfaitement. ·

Tandis que les organes de la vie de relation sont frappés pendant le sommeil d’une sorte de paralysie, ceux de la vie intérieure, non-seulement continuent d’agir, mais encore jouissent en général d’une plus grande énergie. Un homme âgé de quarante ans, et atteint d’une sorte d’imbécillité, séjourna, raconte M. Richerand, pendant environ dix-huit mois à l’hôpital Saint-Louis, pour le traitement de quelques glandes scrofuleuses ; pendant ce long espace de temps, il restait constamment au lit, dormant les cinq sixièmes de la journée, tourmenté par une faim dévorante, et passant à manger ses courts instans de veille ; ses digestions étaient toujours promptes et faciles, il conservait de l’embonpoint, quoique l’action musculaire fût extrêmement languissante, le pouls très-lent et très-faible. Dans cet individu qui, pour parler le langage de Bordeu, vivait sous l’empire de l’estomac, les affections morales étaient bornées au désir des alimens et du repos. Dominé par une paresse insurmontable, ce n’était jamais sans de grandes difficultés qu’on parvenait à lui faite prendre le plus léger exercice. (Nouveaux élémens de physiologie.)

Somnus labor visceribus (Hipp.). Suivant Buffon, dans l’état de veille tous les ressorts de la machine animale sont en action ; dans le second, il n’y a qu’une partie, et cette partie, qui est en action pendant le sommeil, est aussi en action pendant la veille. Buffon ajoute que l’animal qui dort est une machine moins compliquée et plus aisée à considérer que l’animal qui veille. Mais il n’a pas tenu assez de compte du surcroît d’activité des organes digestifs, et en général de tous ceux [p. 79] dont les fonctions constituent ce qu’on appelle la vie intérieure.

Pendant le sommeil, ceux des actes de la digestion qui exigent le concours de la volonté, sont suspendus ;la mastication, la déglutition ne peuvent s’exercer, les évacuations alvines sont retardées, le mouvement péristaltique des intestins languit ; cependant tous les phénomènes intermédiaires de la digestion s’exercent, et on a tout lieu de présumer qu’alors la conversion des alimens en chyle est plus facile. La distension de l’estomac par les alimens sollicite le sommeil chez le plus grand nombre des individus, non pas chez tous, car plusieurs ne sauraient dormir s’ils se couchaient immédiatement après le souper. Suivant quelques physiologistes, la classification est très-active pendant la première période du sommeil (période de concentration), et dans la seconde période (période d’expansion), la nutrition se fait avec plus d’activité. Bâcon paraît avoir fourni cette idée. Lorsque l’homme est endormi, le repos de ses sens, de ses organes locomoteurs, de ses facultés intellectuelles, favorise les fonctions de l’estomac et des intestins ; l’activité de ces viscères s’accroît de l’inertie des organes qui établissent des relations entre l’animal et les objets extérieurs. Il est difficile de préciser le degré d’énergie que le sommeil donne à la nutrition; les phénomènes de cette fonction se succèdent si lentement, qu’on ne peut en remarquer les effets qu’après plusieurs jours et non après un petit nombre d’heures. La maigreur tient moins à la diminution de volume des organes qu’à la soustraction de la graisse qui circule dans le tissu cellulaire, et elle succède très-rapidement aux veilles prolongées. Au contraire, le sommeil habituellement très-prolongé paraît disposer à l’embonpoint.

L’absorption se fait avec plus d’activité pendant le sommeil que pendant la veille, et son surcroît , d’énergie est tel qu’i est dangereux de dormir dans une atmosphère insalubre, dans un amphithéâtre de dissections , sur les bords d’un marais. M. Magendie dit qu’il ignore pourquoi on affirme que l’absorption seule augmente d’activité, puisque les fonctions nutritives continuent pendant le sommeil. Selon ce physiologiste, il est évident que le cerveau n’a cessé d’agir que comme organe de l’intelligence et de la contraction musculaire, et qu’il continue d’influencer les muscles de la respiration, le cœur, le artères, les sécrétions et la nutrition, c’est dire en d’autres termes, que l’influence nerveuse n’est pas complétement suspendue pendant le sommeil , ce qui est incontestable.
Aux approches du sommeil , et pendant sa durée, les capillaires de la face et ceux de la peau de tout le corps reçoivent une plus grande quantité de sang, et éprouvent, comme Barthez [p. 80] l’a remarqué, une pléthore relative qui est causée par la langueur de la circulation, et qui doit être plus considérable dans les veines que dans les artères. Plusieurs physiologistes pensent qu’il y a dans le cerveau pendant le sommeil une pléthore sanguine locale, d’autres professent une opinion opposée. Il faut distinguer les cas. Si l’on compare au sommeil naturel l’assoupissement comateux, la léthargie qui est l’effet de la compression du cerveau par un liquide, par du sang, du pus, de la sérosité ;si l’on croit que les apoplectiques, durant les attaques de leur maladie, dorment, dans l’acception ordinaire de ce mot ; si l’on tire une conséquence générale des autopsies cadavériques de quelques individus, saisis et tués par le froid, dont les vaisseaux sanguins cérébraux ont été trouvés gorgés de sang, alors on sera autorisé à regarder la pléthore sanguine du cerveau comme l’un des phénomènes ordinaires du sommeil. Mais l’assoupissement, dans ces circonstances diverses, est une maladie et non le sommeil; il diffère de celui-ci par des caractères essentiels ; on ne peut pas même avancer que les congestions sanguines cérébrales produisent toujours cet assoupissement , l’insomnie est un de leurs effets ordinaires.

Un jeune homme de dix-huit ans était tombé de fort haut sur le front, avant d’avoir atteint sa cinquième année. L’effet de sa chute fut une fracture au côté gauche de la suture coronale, avec brisement des os et déperdition de substance fort considérable. Quand Blumenbach le vit, la plaie était cicatrisée, mais au-dessous de la cicatrice on sentait une fosse immense, plus profonde encore quand ce jeune homme dormait, ou, lorsqu’après avoir inspiré, il retenait son haleine ; elle s’aplatissait dans l’état de veille, et même se changeait en une tumeur fort volumineuse, quand il faisait une grande opération, ainsi le cerveau s’affaiblissait pendant la durée entière du sommeil. Blumenbach a été fort loin en concluant de ce fait que le sommeil était causé par une diminution dans la quantité de sang qui se porte au cerveau. L’état de veille paraît exiger, en général , un certain degré d’excitation du cerveau ; si le sang est détourné de cet organe par une cause quelconque, par une hémorragie, un bain de pied, n’étant point excité, il ne peut remplir ses fonctions ; au contraire, si les vaisseaux sont gorgés de sang, s’il y a dans le crâne une pléthore considérable, les organes de l’intelligence et des sens sont oppressés, et un assoupissement comateux, qui, nous le répétons, n’est pas le sommeil, est la conséquence de cette pléthore. Dans l’hypothèse de Blumenbach, les divers organes dont l’ensemble compose le cerveau, cessent d’agir pendant le sommeil, parce qu’ils reçoivent une quantité de sang moindre que pendant la veille ; mais alors comment expliquer [p. 81] l’action de quelques-uns de ces organes, dans la première de ces manières d’êtres de la vie ? L’imagination, la mémoire ont une grande énergie chez l’homme qui rêve en dormant, et cependant il n’est pas possible de supposer que les parties du cerveau qui sont le siège de ces deux facultés, reçoivent plus de sang que les autres, dont elles devraient partager l’inaction. Il résulte de ce que nous venons de dire qu’on ne sait pas positivement quelle est la modification éprouvée par la circulation sanguine cérébrale pendant le sommeil ; ici comme dans tant d’autres questions ardues de médecine et de physiologie, la prudence défend d’affirmer, et le parti le plus sage est de n’adopter aucune opinion. La circulation est ralentie, mais ce qu’elle perd en vitesse, elle le gagne en force ; les contractions du cœur se succèdent avec moins de rapidité, mais leur énergie est augmentée. M. Double a observé dans plusieurs circonstances que le pouls est concentré, petit et rare dans les premiers momens du sommeil, qu’il se développe peu à peu ; et qu’il est alors d’autant plus fort que l’homme est plus près du réveil ; ainsi il ne partage pas entièrement l’opinion de Galien, qui prétendait que, pendant le sommeil, des deux mouvemens artériels, la systole et la diastole, celui de systole ou de contraction l’emporte sur celui de diastole ou de dilatation Quelques physiologistes ont noté la différence du nombre des pulsations de l’artère radiale pendant le sommeil et pendant la veille ; voici un calcul d’Hamberger : on compta au pouls d’un enfant de huit ans, cent pulsations pendant la veille, et onze de moins pendant le sommeil ; au pouls d’un enfant de onze ans, quatre-vingts pulsations pendant le sommeil et quatre-vingt-dix durant la veille ; enfin le pouls d’un enfant de quatorze ans, exploré dans ces deux circonstances, présenta une différence semblable. Il résulte de ce calcul, dont il ne faut pas tirer des conséquences rigoureuses, que le sommeil, ôte à la circulation artérielle une partie très-notable de sa vitesse ; telle était l’opinion de Haller, de Barthez, de Dumas, telle est celle de la plupart des physiologistes de l’école actuelle ; mais Morgagni et Langrishius ont professé une opinion opposée, et divers médecins ont cru comme eux que le sommeil augmentait la vitesse et l’énergie de la circulation. L’opinion contraire a prévalu, et repose sur des probabilités plus nombreuses et plus fortes ; au moment du réveil, les pulsations de l’artère radiale sont moins nombreuses , dans un espace de temps donné, que le soir, lorsque l’homme va se livrer au sommeil. Pulsus in somno parvi languidi rari (Galien ). Motus arteriarum venarumque et cordis (in somno), disait Boerhaave, fit fiotior, lentior, œquabilior, plenior, idque per grados diversos augendo, prout augetur somnus. [p. 82] (Prælectiones academicae, ed. Alb. Haller. Taurini, 1745, vol. III, pag. 277). On ne peut conclure de ces remarques que le sommeil ôte ou ajoute à l’activité de la circulation, il la modifie seulement. Nous dirons autre part combien ces modifications peuvent être dangereuses dans certaines maladies.

On n’a pas déterminé avec beaucoup d’exactitude l’influence que le sommeil exerce sur les sécrétions. Celle de la salive est moins considérable alors que pendant la veille ; mais cela paraît tenir à ce que ses organes sécréteurs sont soustraits à l’influence de diverses excitations qui agissent sur eux pendant la veille. On ne sait si la sécrétion de la bile, des larmes, de l’urine, reçoit du sommeil une influence positive.

On a mis en question celle que la transpiration reçoit du sommeil ; ceux-là ont dit que cette exhalation était manifestement augmentée, et qu’elle pouvait l’être au point de prendre les apparences de la sueur ; ceux-ci ont prétendu que cette augmentation m’était qu’apparente, et ont objecté aux premiers que l’air atmosphérique étant séparé du corps par des tissus plus ou moins épais, ne pouvait enlever les matières que la transpiration dépose sur la peau ; mais est-il exact de comparer l’effet des couvertures dont l’homme s’enveloppe en se mettant au lit, à celui des tissus imperméables de la toile cirée dont le médecin entoure certaines parties du corps qu’il veut placer dans une sorte de bain local ? Le visage n’est point soustrait au contact de l’air, et cependant il transpire beaucoup ; d’ailleurs il n’y a pas de proportion entre la quantité de sueur qui est exhalée pendant le sommeil et celle que l’air pourrait enlever dans cet espace de temps. Sanctorius a cherché à déterminer la quantité de sueur qui est exhalée pendant le sommeil ; il assure que l’homme transpire autant dans sept heures de sommeil que dans quatorze heures de veille. Keil croyait que le sommeil diminuait la transpiration insensible ; Hamberger s’est efforcé d’expliquer cette différence d’opinions en avançant qu’en Italie la transpiration nocturne est plus considérable que la diurne en Angleterre. Mais un examen critique des calculs de Keil a conduit au même résultat trouvé par Sanctorius. La plupart des physiologistes modernes, Dumas, M. Richerand, ont écrit que la transpiration insensible était moins considérable pendant le sommeil que durant la veille, telle est l’opinion la plus générale. Il se fait pendant le sommeil une sorte de détente vers la superficie du corps ; il y a un relâchement général. Des ligatures qu’on supportait pendant la veille sans aucune gêne, fatiguent beaucoup lorsqu’on est endormi.

Pendant le sommeil, la respiration est ralentie, moins parfaite, mais elle est plus profonde, plus égale; ce bruit qu’on [p. 83] nomme ronflement paraît dépendre du ballottement que l’air imprime au voile du palais. Des physiologistes ont placé son siège dans le larynx, d’autres dans l’isthme du gosier ; ainsi sa cause comme son siège n’est pas déterminée avec beaucoup d’exactitude. Dans le chat, animal chez lequel il présente un caractère particulier qui le distingue de celui de l’homme endormi, il paraît dépendre de la structure particulière des fosses nasales. Le ronflement présente, au reste, beaucoup de variétés ; très-fort chez certains individus, il est imperceptible chez d’autres. Ceux-là font entendre ce bruit pendant toute la durée de leur sommeil ; ceux-ci seulement pendant quelques heures. Il est modifié par l’état de liberté ou d’oblitération des fosses nasales ; l’engorgement de la membrane pituitaire dans le coryza, ne permet pas à l’air de traverser les narines, cet air est chassé par la bouche, il imprime des mouvemens plus ‘étendus au voile du palais, et le bruit qui en résulte est très-fort. On peut dire, d’une manière générale, que le ronflement est un effet de l’imperfection de la respiration ; il annonce un sommeil complet, mais qui a quelquefois peu d’intensité. Telle est la langueur, la difficulté avec laquelle s’exécute la respiration pendant le sommeil, que les malades affectés d’hydropisies de poitrine ont à peine dormi quelques instans, qu’ils se réveillent en sursaut en se plaignant d’éprouver une anxiété extrême. Cette remarque appartient à Barthez. Les mouvemens de dilatation de la poitrine sont plus étendus durant le sommeil que pendant la veille ; les poumons reçoivent une plus grande quantité d’air atmosphérique. On pourrait croire que le diaphragme est chargé spécialement des mouvemens de la respiration, puisqu’il est en partie indépendant de la volonté; cependant les muscles intercostaux ne se reposent point, et leurs contractions n’ont pas moins d’énergie que durant la veille , les mouvemens d’inspiration sont d’autant plus rares et rétrécis que le sommeil est plus profond. La respiration est modifiée pendant le sommeil, et l’énergie de cette fonction n’est ni augmentée ni diminuée.

Quelle influence exerce le sommeil sur la température de l’animal ? Suivant Hippocrate, il refroidit le sang : Somnus ubi corpus corripuerit, tum sanguis refrigeratur, cum suapsè naturâ somnus refrigerare solet (De flatibus). Il dit ailleurs que, pendant la veille, les parties extérieures du corps sont plus chaudes, les internes plus froides, et que, pendant le sommeil, tout le contraire a lieu : Quapropter somnum monet in loco frigido, stragulis injectis cqpiendum esse. Galien a fait, sur ce passage du père de la médecine, le commentaire suivant : Tum et capito tegumento egere homines, si frigidus, ut hiberno tempore, quo circumfantur, aer sit ; quod [p. 84] interdiu vigilantes non requirunt. Interiora autem calidiora esse ; probat ex concoctionibus, quae efficacius fierent in dormitientibus quamquidem in vigilantibus. Le sentiment d’Hippocrate et de Galien a été adopté par plusieurs médecins recommandables ; Haller, discutant ce point de doctrine, fait remarquer que l’homme le plus sain prend froid en dormant, s’il n’est pas mieux couvert que durant la veille, et qu’il supporte, pendant cette seconde manière d’être de la vie, un froid qui lui donnerait la mort s’il dormait. Il a répondu à ceux qui ont assuré que le sommeil échauffait, donnait plus d’énergie à la respiration, à la circulation, rendait les follicules du tissu cellulaire plus perméables à la lymphe, augmentait l’énergie du système lymphatique, assoupissait, relâchait les vaisseaux, et favorisait toutes les espèces de circulation, qu’il fallait distinguer les effets propres au sommeil naturel, de ceux qui appartiennent au sommeil provoqué par les narcotiques, ou qui sont produits par des circonstances accessoires, comme le poids, la nature des tissus dont l’homme qui dort dans son lit est couvert. Les phénomènes du sommeil ne peuvent être les mêmes lorsque l’estomac est vide et lorsqu’il est rempli d’alimens. Il est certain qu’en dormant, nous sommes plus sensibles à l’impression du froid, et que nous éprouvons plus vivement la nécessité de y soustraire ; et on ne détruit pas un fait en objectant que le dégagement de la chaleur doit être moindre, puisque la circulation est ralentie. Nous avons dit ailleurs que le sommeil modifiait la circulation, et n’augmentait ni ne diminuait son énergie : Cum somnus invaserit, corpus frigescit ( Hipp.).

Loin de partager le sommeil des sens et des muscles, les organes génitaux paraissent devenir plus excitables ; mais pourquoi ? Éprouvent-ils alors, comme l’ont dit quelques auteurs, l’influence des spasmes de quelques parties de l’abdomen ou de certains viscères liés avec eux par le mode de sensibilité et la nature de leurs fonctions ? Voilà une explication bien vague, bien peu intelligible : est-ce qu’ils obéissent à leurs impressions propres ? La chaleur du lit et d’autres circonstances ont quelque influence sur ce phénomène, mais comment ? Il paraît que la cause de ce surcroît d’énergie des organes génitaux a son siège non pas dans ces organes mais dans le cervelet.

On a vu que les sympathies sont suspendues ou affaiblies pendant le sommeil ;mais de nouveaux rapports sympathiques s’établissent entre les organes, tant externes qu’internes, mais surtout parmi ces derniers. Ainsi, comme l’a observé un physiologiste, les images créées dans le cerveau par les spasmes des intestins où le travail de l’estomac et du duodénum, lors d’une digestion difficile , ne sont pas les mêmes durant le sommeil [p. 85] et pendant la veille ; et, dans le premier de ces états, l’appareil digestif reçoit de certaines maladies nerveuses une activité dont il est privé dans le second.

Odilon Redon- Le sommeil de Caliban.

Que l’homme se soit endormi en peu d’instans, ou après un temps plus ou moins long, les phénomènes du sommeil sont les mêmes. Il dort plus profondément pendant les premières beures qu’aux approches de l’époque ordinaire de son réveil. Lors même que son sommeil est très-profond, il exécute encore plusieurs mouvemens que déterminent des sensations tactiles obscures, et ce sont ces impressions qui lui font quitter une attitude devenue pénible par sa durée. Toutes les fonctions du cerveau sont rarement suspendues en même temps, plusieurs veillent encore ; la voix et la locomotion entrent en exercice dans cette singulière anomalie du sommeil que l’on nomme somnambulisme. Dans quelques cas, un nombre plus ou moins grand des organes de la vie de relation continuent leurs fonctions pendant le sommeil ; ainsi quelques individus peuvent dormir debout, à cheval, en marchant. Galien, qui doutait de ce dernier fait, l’a constaté sur lui-même; pendant un voyage de nuit, il parcourut l’espace d’un stade, dormant profondément. Un reste de volonté peut donc agir encore sur les muscles sans troubler le sommeil.

Combien le somnambulisme est un phénomène extraordinaire ! Frédéric Hoffmann, Van-Swiéten, de Haën, Haller, l’expliquent en supposant que l’imagination supplée aux yeux ; ils le regardent comme un sommeil très profond ; Wolf, Meiner, Darwin assurent qu’il n’est qu’un état moyen entre la veille et le sommeil, et, dans leur théorie, l’homme est encore affecté d’une manière quelconque par des sensations qui règlent ses mouvemens sous l’influence de l’imagination. Wienhold observe, 1°. que l’on réveille plus difficilement un somnambule que l’homme qui dort du sommeil ordinaire ; 2°. que le somnambule réveillé ne se souvient plus de ses actions. Wienhold pense comme Haller que le somnambulisme est un sommeil plus profond qu’à l’ordinaire : il fait remarquer que les yeux du somnambule sont fermés et comme insensibles : on passait devant les yeux de celui de Vicence une chandelle allumée si près qu’elle lui brûlait les sourcils, et cependant il ne la sentait pas. Plusieurs somnambules ont les yeux ouverts ; cependant leur rétine n’est sensible aux rayons lumineux que lorsqu’ils sont réveillés. Y aurait-il chez les somnambules un sixième sens en action ? Voyez SOMNAMBULE, SOMNAMBULISME.

Quelques sens qui veillent pendant le sommeil naturel, transmettent au cerveau des impressions que celui-ci perçoit ; mais celles dont il prend spécialement connaissance sont les [p. 86 ] impressions internes qui annoncent les besoins, les désirs ou la douleur.

Les songes, preuve frappante de l’influence qu’exerce le physique sur le moral, paraissent consister dans une intermittence d’action partielle des fonctions du cerveau. Quelques-uns de ses organes veillent, tandis que les autres partagent le profond repos dans lequel sont plongés les sens et les organes des mouvemens volontaires. Chacune des facultés intellectuelles peut continuer d’agir pendant le sommeil ; mais celles d’entre elles qui veillent le plus souvent sont l’imagination et la mémoire. Les deux premières périodes du sommeil sont connues ; étudions les phénomènes de la troisième, qui consiste dans le passage du sommeil à la veille, Haller l’a nommé expergefactio.

Les causes du réveil sont externes ou interne ; on place au premier rang parmi les premières, les sensations externes qui avertissent des besoins. Celui de rendre les évacuations alvines, est une cause ordinaire du réveil, Le sang porté vraisemblablement au cerveau avec plus d’affluence, excite l’action de cet organe, et réveille les sens. Tous les excitans qui agissent fortement sur ceux-ci, spécialement le retour du bruit et de la lumière, sont au nombre des causes extérieures du réveil. L’influence de l’habitude doit être comptée ; elle décide ordinairement du retour de la veille. La cause prochaine du sommeil, suivant Blumenbach, est le retour d’une plus grande quantité de sang dans le cerveau.

Mais le réveil ne paraît pas dépendre constamment d’une excitation soit interne soit externe, et il est quelquefois extrêmement difficile de l’attribuer à une cause connue. Tant de causes variées peuvent déterminer le réveil éventuel ou soudain, qu’il serait fastidieux d’entreprendre leur énumération. On observe peu de phénomènes intermédiaires entre le sommeil et le réveil ; mais celui-ci laisse ordinairement après lui une sensation plus ou moins incommode et fatigante. Boerhaave a remarqué qu’une sorte de convulsion générale, produite par un accroissement soudain de la sensibilité, accompagne constamment le réveil. Ce phénomène ne s’observe que dans le réveil en sursaut. Cette agitation convulsive est fort douloureuse chez certains goutteux. L’homme qui va s’éveiller n’ouvre pas brusquement les yeux, il les frotte avec ses mains. Ce mouvement involontaire peut être nuisible dans certains cas, spécialement après l’opération de la cataracte ;quelques chirurgiens, pour prévenir alors ses effets, ont eu la précaution de lier les mains de leurs opérés. Homère a signalé ce mouvement automatique ; Pénélope abandonnée à un sommeil tranquille et profond, [p. 87] réveillée tout à coup, se frotte involontairement le visage avec sa main. Certains individus éprouvent en se réveillant quelque peine, et même de la douleur en ouvrant les paupières. Le bâillement est un autre phénomène remarquable du réveil, il est involontaire, et est répété ordinairement plusieurs fois. Camper raconte qu’une femme bâillait si fort en se réveillant, que la mâchoire inférieure était luxée quelquefois ; les sens s’ouvrent successivement aux impressions extérieures ; les facultés intellectuelles se réveillent l’une après l’autre, et les muscles, qui, après un long repos, s’apprêtent à entrer en exercice, exécutent des mouvemens spontanés, désignés sous le nom de pandiculations. Ils sont pris quelquefois d’un véritable spasme ; des crampes fatiguent les membres, mais dans la plupart des cas, les pandiculations consistent dans l’extension plus ou moins grande et brusque des articulations. Au moment du réveil, la respiration et la circulation retournent à leur type naturel ; mais ce changement exige un désordre momentané. Les battemens du cœur de l’homme qui vient de s’éveiller, sont forts, vifs, grands, et ne reprennent qu’après quelques instans, leur état ordinaire. Bientôt, le besoin de rendre l’urine et les matières fécales se fait sentir, presque toujours fort impérieusement. Il faut un certain temps avant † le cerveau ait récupéré toute son énergie ; l’attention, sa force; le jugement, sa netteté; et ce temps chez quelques individus, est assez long. Si le sommeil a été prolongé au-delà de sa durée habituelle, s’il a été troublé fréquemment, s’il a été très-court, les facultés intellectuelles reprennent plus lentement qu’à l’ordinaire, l’activité qui leur est propre. Quoique l’estomac soit vide d’alimens depuis un nombre d’heures considérable, la faim ne se fait point sentir ordinairement au moment du réveil, l’appétit même n’existe pas, il se réveille plus tard. L’homme bien éveillé se rappelle quelquefois, et souvent a oublié en grande partie, les songes qu’il a eus pendant son sommeil.

Nous avons cherché à décrire fidèlement les phénomènes du sommeil ; on a vu que cette modification, que cette manière d’être de la vie, consistait dans le repos des organes des sens et des mouvemens volontaires, et dans l’augmentation d’énergie ; ou une modification remarquable des fonctions de la vie, appelée intérieure ou nutritive. Nous avons signalé la veille pendant le sommeil de certains muscles et de quelques-uns des organes dont le cerveau est composé. La mémoire, l’imagination, voilà celles des facultés intellectuelles qui sont en action dans les songes ; mais avant de s’exercer, elles ont cessé d’être; car le passage de la veille au sommeil suppose nécessairement le repos de tous les organes de l’intelligence ;et ce n’est qu’après un intervalle de temps, qui varie selon les circonstances individuelles, que ce [p. 88] repos cesse d’être général. On chercherait en vain dans les phénomènes qui sont propres au sommeil , le caractère de cette manière d’être de la vie, à moins de regarder comme tel l’ensemble même de ces phénomènes. L’inaction des organes du mouvemeht volontaire, l’interrègne de la volonté ne caractérisent pas le sommeil ; l’homme peut s’endormir dans une position, et même en faisant des mouvemens qui exigent les contractions d’un grand nombre de muscles. La définition la moins inexacte du sommeil, est donc celle dont nous avons fait choix.

On a cherché la raison de l’engourdissement des animaux, hibernans dans leur organisation, et la cause du sommeil de l’homme dans sa conformation extérieure et intérieure. Ces travaux n’ont conduit à aucun résultat satisfaisant. Ce qu’il y a de positif, c’est que les phénomènes du sommeil partent du cerveau, c’est qu’il est produit par une action exercée directement ou sympathiquement sur une ou plusieurs parties de cette masse nerveuse; action dont la nature est encore incoonnue.

Durée du sommeil. La durée naturelle du sommeil varie suivant l’âge, le sexe, la constitution, les habitudes. Le fœtus dort en quelque sorte sans interruption dans le sein de sa mère ; le sommeil des enfans est plus long que celui des adultes. En général, plus un individu est jeune et faible et plus il dort long temps et profondément ; mais lorsque les années et une bonne constitution augmentent ses forces, son sommeil devient plus court et plus léger. L’homme, dans l’âge viril, dort moins que l’adulte ; le vieillard, ramené par l’âge à un état analogue, sous quelques rapports, à celui de l’enfance, ne vit qu’imparfaitement ; plusieurs de ses facultés s’endorment successivement pour ne plus se réveiller, et sa vie n’est en quelque sorte qu’un sommeil continuel ; avec ses rémittences, son sommeil, proprement dit, est léger, souvent interrompu. Les femmes ont en général plus de propension au sommeil, et dorment plus longtemps que les hommes. On a remarqué que les individus, dont le tempérament est analogue à celui des femmes, c’est-à-dire est phlegmatique et sanguin ou phlegmatique et nerveux, sont en général très-portés au sommeil et très-disposés à acquérir de l’embonpoint. Au contraire, les individus dont le tempérament est bilieux ou mélancolique, dorment peu ordinairement et d’un sommeil léger. M. Virey a judicieusement observé (nouveau Dictionnaire d’Hist. naturelle) que la constitution de tout homme se modifiait pendant la veille et le sommeil ; dans la veille elle se rapproche des tempéramens secs et mélancoliques ; dans le sommeil, elle tient davantage du [p. 89] tempérament lymphatique. Ainsi, l’enfant qui dort beaucoup, pour l’ordinaire, montre une complexion humide et molle ;  l’homme fait qui dort peu, est d’un tempérament bilieux et nerveux. Considérez, ajoute M. Virey, les membres d’un homme, dans leur état de sommeil ; ils vous paraîtront plus mous, plus gonflés, plus distendus de fluide et de sang que dans l’état de veille, où ils sont fermes et plus gonflés. Certains individus tiennent de leur idiosyncrasie, une propension naturelle au sommeil. Picquer assure que les hommes dont la tête est fort grosse, dorment longtemps et se réveillent avec peine, et la même remarque a été faite sur ceux dont l’embonpoint est considérable, et qui ont un gros ventre, et chez ceux qui ont le poumon fort plein d’humeur, quoique avec une chaleur modérée. Barthez explique ce phénomène en observant que le travail des fonctions de ces parties du corps s’exécutant avec plus d’effort, est d’autant plus difficile à soutenir ; et que sa chute entraîne dans tout le système des forces qui avaient été exercées, un affaiblissement sympathique qui | produit un sommeil profond et durable.

L’influence de l’habitude sur la durée naturelle du sommeil, est fort remarquable; certains hommes ne lui donnent que deux ou trois heures, et cependant leur santé n’est point altérée par la longueur des veilles. On cite plusieurs exemples d’hommes de lettres, qui ont conquis sur le sommeil une partie considérable de leur vie.

Ordinairement, le besoin de dormir revient chaque jour à peu près à la même heure, et le sommeil dure chaque fois e même espace de temps. Sa durée naturelle est celle du tiers, du quart de la journée, c’est-à-dire de six à huit heures.

Septem horas dormisse sat est juvenique senique.

On peut laisser dormir les enfans quelques heures de plus, huit ou neuf heures ; s’ils éprouvent et cèdent souvent, et pour longtemps au besoin du sommeil, c’est qu’à leur âge les organes de la vie nutritive ou assimilatrice jouissent d’une activité extraordinaire. Il faut que la longueur de la veille soit, chez l’adulte, au moins de seize à dix-sept heures.

Le climat a-t-il quelque influence sur la durée naturelle du sommeil ? On lit dans Hérodote, que chez certaines nations, les hommes dorment et veillent alternativement pendant six mois; mais Hérodote ne parle de ce fait prétendu, que sur des ouï-dire, et déclare positivement qu’il n’y croit point. Les habitans des pays froids, ceux du Spitzberg, du Groënland, de la Laponie, veillent beaucoup dans certaines saisons de l’année, et dorment beaucoup dans d’autres, mais ils ne dorment et ne veillent pas continuellement pendant plusieurs jours. Dans les climats [p. 90]  chauds, on dort en général beaucoup ; la chaleur du milieu du jour engage au sommeil, et les heures destinées ordinairement à celui-ci, sont changées ; car la fraîcheur du soir et des nuits invite à les préférer pour la veille.

Certaines circonstances influent beaucoup sur la durée du sommeil; on a vu des hommes extrêmement fatigués dormir sans interruption pendant vingt-quatre, trente-six et même quarante-huit heures. Félix Plater raconte qu’un homme dormit sans interruption pendant trois jours et trois nuits, et Salmuth, qu’une jeune fille qui avait dansé pendant deux jours, dormit quatre jours et quatre nuits. Un homme d’un tempérament mélancolique dormit pendant huit jours d’un sommeil très-profond, et sa santé ne fut point altérée. Klein est garant de ce fait. Un homme que traitait Gruner, à la fin de chaque mois, était pris d’un sommeil qui durait deux et même trois jours. M. Double a donné des soins à une fille de huit ans, atteinte d’une fièvre putride, et dont la maladie avait débuté par un sommeil très profond qui dura pendant soixante heures. M. Fournier a recueilli dans son article sur les cas rares, plusieurs exemples fort extraordinaires de sommeil prolongé. Il ne doit être question ici, que de la durée naturelle du sommeil, et non de celle du sommeil qui est l’effet d’une maladie, ou de l’usage de substances narcotiques.

Ceux qui ont échappé à des maladies longues et graves, dorment davantage § leur convalescence, que lorsqu’ils étaient en parfaite santé.

Effets du sommeil. 1° dans l’état de santé. Le sommeil est pour l’homme, un bien d’un prix inestimable :

Somne quies rerum, placidissime somne deorum
Pax animi quam cura fugit : qui corpora duris
Festa miniscenius, mulces, reparasque labori

Sénèque ne lui donne pas des éloges moins pompeux :

.  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .Tu ô dormitor !

Somne malorum, requies animi
Pars humanae melior vitae

Il est appelé par Cicéron, curarum dormitor, perfugium laborum et sollicitudinum, et Milton l’a fait entrer comme un don de Dieu, dans son Paradis terrestre : Eve fut tirée du côté d’Adam pendant un sommeil que Dieu avait répandu sur lui. Cependant le sommeil que les anciens ont appelé un présent des dieux, que notre La Fontaine, qui lui dut une partie essentielle de son bonheur, a célébré avec une reconnaissance  si vive, fait perdre cependant plus du †o de la vie, et, sous ce rapport, il a mérité qu’un poète lui dît :

Noxia, somne, quies, facturaque maxima vitæ. [p. 91]

Faire jouir d’un repos urgent les sens et les organes des mouvemens volontaires, renouveler leur irritabilité épuisée par la prolongation de la veille, en un mot, réparer la force, telle est la destination, tels sont les bienfaits du sommeil. Plus il est régulier, et plus le repos qui le suit est salutaire ; rien n’égale les bons effets du sommeil modéré. Après un bon sommeil, les muscles sont plus forts, et se contractent avec plus d’agilité, l’esprit est plus aigu, le jugement plus net. Les facultés intellectuelles et les organes des mouvemens volontaires éprouvent, après une longue veille, une lassitude très-réelle et très-grande, leur repos, pendant le sommeil, les restaure en quelque sorte, et rend à leur action toute son énergie. Le voyageur fatigué retrouve toutes ses forces après avoir dormi d’un bon sommeil ; l’homme qu’ont épuisé des pertes séminales réitérées, lui doit le retour de sa vigueur. Le sommeil qu’ont troublé des songes pénibles ne produit aucun effet salutaire, et loin de restaurer, il ajoute à l’épuisement des forces. Virgile décrit fort bien les efforts fatigans que fait l’homme dans certains rêves :

At velut in somnis, oculos ubi languida pressit
Nocte quies, ne quicquam avidos extendere cursus
Velle videmur, àein mediis conatibus œgri
Succidimus ; non lingua valet, non corpore notae.
Sufficiunt vires, nec vox nec verba sequuntur.

AEneid. lib. XII, vers. 908.

Ce n’est pas directement, mais indirectement, que le sommeil fortifie ; pendant cette manière d’être de la vie, les organes que la veille a affaiblis, reprennent toute leur vigueur, parce qu’ils se reposent, et que, pendant la durée de leur repos, la nutrition se fait d’une manière plus active. Le corps dépense peu alors, il vit pour lui-même, l’homme est étranger à tout ce qui l’environne. Sans le sommeil, l’homme n’aurait pu vivre longtemps, car son cerveau, ses sens, ses muscles, n’ont pas, comme ses viscères et tous les organes de la vie intérieure, le privilège inexplicable d’être infatigables. Ainsi, le sommeil est une condition essentielle pour la prolongation de la vie : Verum ut somnus ad prolongationem vitae facit, ita multò magis si sit placidus et non turbidus (Bacon).

Homère avait observé que le sommeil est un remède souverain contre la fatigue, « lorsqu’Ulysse, dit-il, fut parvenu à se tirer de la mer, accablé de lassitude, Minerve répandit un doux sommeil sur ses yeux pour le délasser promptement. »

Il suffit, pour apprécier les effets du sommeil dans l’état de santé, de comparer l’état des fonctions de l’économie animale. au moment du réveil, à leur état au moment où le sommeil s’empare du corps. Dans le premier cas, quelques-unes d’entre elles sont manifestement affaiblies, il est des organes dont [p. 92] l’action prolongée pendant la veille a épuisé les forces ; les muscles du voyageur qui a parcouru une longue distance et supporté de grandes fatigues pendant tout un jour, cessent d’obéir à la volonté, et ne peuvent se contracter ; mais, après un sommeil tranquille d’une nuit, ils ont recouvré et leur agilité et leur force. Comme les muscles, les organes des sens et des facultés intellectuelles, doivent au repos l’énergie qui leur est naturelle. Tous les systèmes de l’économie animale, considérés en particulier, doivent quelque bienfait au sommeil, quoique son influence salutaire ne soit pas également évidente pour tous. Voilà ce qui est démontré par l’expérience de tous les jours dans l’état de santé.

2°. Effets salutaires du sommeil dans l’état de maladie. Il est un grand nombre de maladies dans lesquelles le sommeil produit de bons effets. Une femme était attaquée d’un érysipèle au bras, sur lequel elle appliquait les remèdes convenables : obligée de donner à son mari malade les secours dont il avait besoin, elle passa plusieurs nuits sans dormir : à la fin de la quatrième, elle fut bien étonnée de ne ressentir au bras qu’une légère douleur. Elle crut, en conséquence, que c’étaient les topiques qu’elle avait appliqués qui lui procuraient ce soulagement ;mais l’ayant considéré, elle le trouva d’une couleur livide. Effrayée de son état, elle fit appeler Didelot ; ce chirurgien trouva son bras mortifié dans sa partie supérieure externe, jusqu’à la moyenne. Informé de la cause de cette gangrène, Didelot fit des scarifications, lui ordonna les antiphlogistiques en boisson, et surtout le sommeil, comme le seul moyen, ou au moins comme un moyen efficace de prévenir les accidens fâcheux qui auraient encore pu survenir; et, en effet, les choses tournèrent si favorablement, qu’un mois après cette femme était parfaitement guérie.

Un sommeil tranquille, et dont la durée est renfermée dans des bornes modérées, est avantageux, utile aux malades dans le cours de la plupart des phlegmasies de la poitrine et de l’abdomen ; la douleur pleurétique est extrêmement aiguë dans certains cas; le sommeil est alors fort utile, et il convient quelquefois de le provoquer. C’est spécialement dans toutes les maladies fort douloureuses que le sommeil produit de bons effets ; il hâte beaucoup leur guérison. On donne avec avantage les narcotiques, dans l’odontalgie, dans plusieurs affections convulsives, dans un assez grand nombre de maladies des nerfs. Comme l’insomnie ajouté à l’énergie de ces maladies, il importe beaucoup de la combattre ; et le sommeil, spécialement celui qui est naturel, a sur elles une influence salutaire très-prononcée. On provoque le sommeil après certaines opérations chirurgicales, après celle du bec-de-lièvre, par exemple. Les [p. 93] individus qui viennent de subir une opération longue ou extrêmement douloureuse, s’endorment souvent profondément, et reçoivent du sommeil des forces nouvelles. Nous ne devons point parler ici des maladies nombreuses qui réclament le sommeil artificiel (VoyezNARCOTIQUES), notre tâche est réduite à l’examen des effets salutaires du sommeil naturel dans l’état de maladie. Il est désirable dans le cours de toutes les affections convulsives et spasmodiques ; comme un sommeil doux et paisible modère l’irritabilité morale et physique, qu’il rend à l’âme de la tranquillité, il produit de bons effets chez les malades qui ont des blessures considérables. Hippocrate a remarqué qu’il apaise le délire, et que ce phénomène est d’un favorable augure : Ubi somnus delirium sedat, bonum (Aphor., sect. II). Il paraît qu’il favorise la pyogénie, qu’ainsi il produit de bons effets dans le cours des abcès. Laflize assure que pendant le sommeil, la préparation du pus se fait d’une manière plus égale et plus uniforme que pendant la veille, parce que les fonctions naturelles s’exercent alors, comme le dit Galien, avec d’autant plus d’énergie que les fonctions animales sont dans une inaction complète. Il importe beaucoup de distinguer, dans les maladies, le sommeil qui est utile et d’un favorable augure, de celui qui est nuisible et qui ajoute à la gravité du pronostic. Le premier est, en général, doux, égal, léger ; on le connaît par ses effets salutaires, il modère l’intensité de l’irritation ; il présage presque toujours une terminaison avantageuse ; le second est agité, fatigant, il épuise au lieu d’augmenter les forces, c’est une somnolence continuelle, une léthargie : Quo in morbo somnus laborem facit, lethale; si vero somnus juvet, non lethale (Hippoc., Aphor., sect. II).

Les chirurgiens ont signalé depuis longtemps les avantages du sommeil dans le traitement de la plupart des fractures et des luxations.

3°. Des inconvéniens du sommeil dans certaines maladies, et du sommeil prolongé au-delà de sa durée habituelle, dans l’état de maladie et de santé. Un sommeil très-profond est l’image de l’apoplexie et n’en est pas fort éloigné ; on peut le définir une apoplexie légère. Habituellement trop prolongé, il exerce, sur l’économie animale, une action débilitante ; mais aucun organe ne reçoit plus directement cette influence fâcheuse que le cerveau. Boerhaave raconte qu’un jeune médecin, qui trouvait un merveilleux plaisir à dormir, se retira dans des lieux silencieux et obscurs, et là dormit d’un sommeil presque continuel.. Cette habitude pernicieuse rétrécit bientôt son intelligence, et il tomba dans un état voisin de l’idiotisme. Si le sommeil n’est pas prolongé habituellement [p. 94] fort au-delà de sa durée ordinaire, la santé et les facultés intellectuelles ne souffrent point d’altération sensible. Haller  cite l’exemple d’un jeune homme qui, déposé ivre dans un appartement peu éclairé et éloigné du bruit, dormit trois jours et trois nuits consécutifs. Ce jeune homme se réveilla plusieurs fois ; mais trompé par les ténèbres qui l’environnaient, il croyait

être au milieu de la nuit et se rendormait. Ce long sommeil ne le rendit pas malade et n’affaiblit point son intelligence.  Comme pendant cette manière d’être de la vie, la sensibilité animale ou de relation, les sens et les organes de l’intelligence dorment presque tous, l’habitude d’un long sommeil les énerve, les engourdit, les rend par degrés inhabiles à remplir leurs fonctions; vraisemblablement de la même manière que le repos d’un membre, prolongé pendant plusieurs mois, ôte à ses articulations la faculté du mouvement. L’effet du sommeil n’est peut-être pas semblable en tout point, il faut tenir compte du changement qui se fait dans la constitution de ceux qui dorment trop longtemps, et ne point oublier que le sommeil profond est une apoplexie légère; qu’il y a pendant sa durée une pléthore locale dans le crâne ; mais il n’en est pas moins vrai que l’affaiblissement de l’intelligence, chez ceux qui dorment trop longtemps, est due, en grande partie, à l’inaction prolongée et trop souvent répétée de ses organes.

Somnus, vigilia, utraque modum excedentia, morbus. Le père de la médecine a signalé, dans cet aphorisme, le danger qui accompagne un changement dans la durée ordinaire de la veille et du sommeil; le corps résiste peu aux veilles immodérées :

Quod caret alterna quies durabile non est.
OVID.

Mais l’excès contraire n’a pas moins d’inconvéniens. M. Double observe judicieusement que le sommeil excessif en santé, particulièrement celui que l’on fait dans le jour, et qui est connu sous le nom de méridienne en France, et de siesta en Espagne où il est en très-grand usage, rend le corps lourd, et l’esprit lent et paresseux ; toutes les parties tombent dans une sorte d’inertie. Il a, continue M. Double, outre les inconvéniens qu’on lui connaît, celui d’augmenter les besoins du sommeil, d’en rendre les retours plus fréquens et d’en prolonger la durée, parce que plus on dort et plus on a besoin de dormir. Ce phénomène a été indiqué par la plupart des physiologistes ; celui qui a dormi plusieurs heures au-delà de l’espace de temps qu’il accorde ordinairement au sommeil, le reste du jour éprouve un véritable malaise; son jugement a perdu de sa netteté, ses sens sont émoussés, son état est une véritable somnolence. [p. 95]

Un sommeil profond renouvelle les hémorragies, favorise les congestions sanguines et est spécialement nuisible aux hémoptysiques, parce que, selon Barthez, le sommeil, en rendant la respiration plus rare et moins étendue, fait que le sang circule dans les poumons avec d’autant moins de facilité. L’observation suivante, publiée par Darwin, prouve la justesse de cette remarque :Un homme d’environ cinquante ans, sujet à des hémorroïdes aveugles, ayant été guéri d’une paralysie, était resté seulement plus faible du côté droit que du côté gauche. Cet homme eut une hémorragie dont les attaques revinrent trois nuits de suite (malgré les remèdes les plus appropriés) vers les deux heures du matin, où il s’éveillait d’un profond sommeil, qui durait depuis les dix heures du soir. On conseilla à ce malade de se faire éveiller et de sortir de son lit vers une heure du matin, ce qu’il fit et prit ensuite en habitude. Par ce seul moyen, il fut non-seulement garanti des retours de l’hémoptysie, mais presque délivré des maux de tête violens auxquels il était sujet depuis plusieurs années.

Des médecins prétendent, d’après de faibles raisons, qu’un long sommeil est nuisible à ceux qui sont attaqués de scrofules , d’hydropisie, de squirre, de gangrène, de caries, d’anévrysmes ; des chirurgiens ont présumé, d’après de légères probabilités, que lorsque les sujets affectés de plaies et d’ulcères se livrent à un trop long sommeil, il pullule des chairs fongueuses au fond de ces solutions de continuité et qu’il survient une suppuration abondante. L’homme, qui a une plaie de tête grave doit, suivant Ambroise Paré, éviter de dormir de jour s’il est possible : « Si ce n’est bien peu, pourvu que la dure-mere ou le cerveau ne soit affligé de phlegmon, car en telle nécessité il serait meilleur de faire du jour la nuit, et principalement de la première partie du jour. » S’il y a insomnie, Ambroise Paré veut que l’on provoque le sommeil, « lequel dormir aide grandement à faire la digestion ; il restaure la substance du corps et esprits qui sont dissipés par le trop veiller ; davantage, apaise les douleurs ; il fortifie ceux qui ont lassitude ;pareillement fait oublier les courroux et tristesses, et corrige le jugement dépravé. » On a signalé les inconvéniens, et même le danger du sommeil immédiatement après les grandes chutes, les grandes contusions, lorsqu’un individu pléthorique est menacé d’apoplexie. Barthez a écrit que l’affaiblissement des forces vitales, qui a lieu dans le sommeil, peut être aggravé pernicieusement lorsqu’on se livre au sommeil à la suite d’une longue abstinence : on a vu, dit-il, dans ce cas la langueur, produite par la succession de ces deux causes, aller quelquefois jusqu’à la défaillance. Un sommeil excessif nuit aux crises. [p. 96]

Sur le besoin du sommeil. Tous les animaux connaissent le besoin du sommeil ; ceux des quadrupèdes qui vivent avec l’homme s’y livrent sous ses yeux fréquemment et longtemps ; ceux qu’il n’a pu dompter repose dans le silence des forêts ; les oiseaux sont soumis au besoin du sommeil ; leurs habitudes pendant cette manière d’être de la vie, ont été signalées par les naturatistes. M. Lacépède dit que, lorsque les poissons, dans le moment où ils commencent à s’endormir, ont leur vessie natatoire très-gonflée et remplie d’un gaz très-léger, ils peuvent être soutenus à différentes hauteurs par leur seule légèreté, glisser sans efforts entre deux couches de fluide, et ne pas cesser d’être plongés dans un sommeil paisible, qui n’est oint troublé par un mouvement très-doux et indépendant de la volonté. Néanmoins, ajoute le célèbre continuateur de Buffon, leurs muscles sont si irritables, qu’ils ne dorment profondément que lorsqu’ils reposent sur un fond stable, que la nuit règne, ou qu’éloignés de la surface des eaux et cachés dans une retraite obscure, ils ne reçoivent presque aucun rayon de lumière dans des yeux qu’aucune paupière ne garantit, qu’aucune membrane clignotante ne voile, et qui par conséquent sont toujours ouverts. Les reptiles, les insectes, les zoophites sont asservis à la nécessité du sommeil. Nous parlerons ailleurs de quelques animaux qui dorment une partie considérable de l’année.

Faut-il regarder comme un sommeil l’état du fœtus dans le sein de sa mère, celui du poulet dans l’œuf, la vie de la mousse desséchée, celle du polype rotifère dans le même état, l’existence latente des chrysalides, des graines ? Non, sans doute, ces rapprochemens forcés ne satisfont pas le physiologiste qui ne se paye point d’hypothèses ingénieuses et demande des faits. On entend par le mot sommeil l’inaction des organes, des sens, des facultés intellectuelles et des mouvemens volontaires. Les phénomènes ordinaires de ce repos ont été décrits ; il n’y a point de sommeil lorsque ces phénomènes et ces organes n’existent pas ; le fœtus ne dort pas dans le sein de sa mère, parce qu’il n’a pas veillé ; les graines, les plantes ne dorment pas, parce qu’elles n’ont pas les organes dont le repos constitue le sommeil. On peut faire, en assimilant au sommeil cet état de la graine, de l’œuf, de la mousse et du polype rotifère desséchés, de belles considérations générales, mais non de la bonne physiologie.

Le sommeil subjugue ceux qui veulent le fuir; il est impossible de lui résister. Virgile a consacré cette vérité dans des beaux vers que Haller a cités :

Jamque fere mediam cœli non numida metam
contigerat : placida laxabant membra quiete [p. 97]
Sub remis fusi, per dura sedilia, naut
æ ;

Cum levis ætheriis delapsus somnus ab astris
Æraea domovit tenebrosum, et dispulit timbras,
.  .  .  .  .  .  .  .  .  . .  .Fun sitque has ore loquelas :
Æquatae spirant aurae : datur hora quieti ;
Pone caput, fessoque oculos.furare labori…
Ecce Déus ramum, lethœo rore madentem,
Vique soporatunt stygia super utraque quassat
Tempora : cunctantique natantia lumina solvit.
Vix primos inopina quies laxaverat artus,
Et super incubens, cum puppis parte revulsa,
Cumquegubernaculo, liquidus projecit in undas
Praecipitem, ac socios nequidquam saepe vocantem.
Æneid., lib. V. vers. 835.

Un soldat en sentinelle, saisi par le sommeil, tente quelquefois en vain de le combattre : plusieurs ont fait cette triste expérience, et ont payé de leur vie une faute dont ils avaient prévu les terribles conséquences. Des malheureux, épuisés par de longues insomnies, ont trompé la rage de leurs bourreaux en dormant au milieu des souffrances de la torture. Montaigne a demandé aux médecins si le sommeil était indispensable à la vie : « Les médecins adviseront, dit-il, si le dormir est si nécessaire que notre vie en dépende : car nous trouvons bien qu’on fit mourir le roi Perseus de Macédoine, prisonnier à Rosme, lui empeschant le sommeil ; mais Pline lui allègue qui ont vescu long temps sans dormir. » Plutarque raconte que Brutus dormait rarement : on dit que Pline l’ancien ne goûta pas un seul moment de sommeil pendant les trois dernières années de sa vie. Il y a très-vraisemblablement quelques exagérations dans ces faits ; ils ne prouvent que les effets de l’habitude déjà avoués dans cet article. La question proposée par Montaigne nous paraît résolue : le sommeil est une manière d’être et une condition indispensable de la vie des animaux. Quelques-uns d’entre eux et même certains hommes cèdent moins souvent que les autres à ce besoin ; aucun ne veille continuellement.

On ne peut pas expliquer le besoin du sommeil par la lassitude des organes des mouvemens volontaires, des sens et de l’intelligence ; car il existe quelquefois à un très haut degré lorsque ces organes n’ont été que peu de temps en action ; cependant il faut avouer qu’il est en général d’autant plus impérieux que la veille a été plus longue, et la fatigue du corps plus grande. Des physiologistes assurent que son intensité est en raison de l’irritabilité des individus. La vie, chez l’enfant, a une grande énergie ; il est tout en sensation, aussi il dort beaucoup et souvent ;; tandis que le vieillard, dont les organes des sensations sont affaiblis, dort d’un sommeil court et léger.

Certains animaux ne dorment point d’un sommeil profond ; [p. 98] le moindre bruit les réveille ; le chat est de ce nombre; son sommeil est ordinairement si léger que quelques naturalistes ont écrit qu’il n’était jamais complet. Telle a été pendant quelque temps l’opinion de Buffon qui fut bientôt désabusé par des observations plus exactes. En général, les animaux carnivores ont un sommeil qui est facilement interrompu. Lorsque l’énorme boa a avalé tout entier un grand animal, il donne plusieurs jours à la digestion et au sommeil ; l’estomac et les intestins ont besoin de tout ce temps. Après avoir exposé ces faits, entrons dans le champ stérile et sans limites des hypothèses et des philosophes sur la cause première ou prochaine du sommeil.

Causes du sommeil. Historien fidèle, nous devons examiner les théories différentes qui ont été proposées pour expliquer le sommeil. Chaque physiologiste, après avoir proposé la sienne, a réfuté facilement celles de ses prédécesseurs, et s’est occupé avec plus de succès à détruire des erreurs anciennes, qu’à prouver ce qu’il croyait être la vérité. Alméon disait aux Grecs que la rétrocession partielle du sang dans les veines confluentes, produisait le sommeil, et sa rétrocession complète, la mort ; Empedocle assurait qu’il était causé par le refroidissement médiocre de la chaleur naturelle. Plus tard, des physiologistes prétendirent que l’affaiblissement des lames du cervelet, redressées, suivant eux, pendant la veille, contraignait l’homme à dormir, et ils crurent avoir prouvé leur opinion en citant des expériences dans lesquelles on voit la compression du cerveau suspendre le sentiment, et produire, non le sommeil, mais un véritable état maladif. Il y a des animaux qui dorment et qui n’ont ni cerveau ni cervelet : d’autres auteurs, admettant en fait, ce qui est encore et sera longtemps en question, l’existence du fluide nerveux, ne virent, dans les organes qui dorment, que des parties privées de ce fluide. Willis a établi sa Théorie du sommeil sur une différence imaginaire entre la consistance du cervelet et celle du cerveau ; il fait partir du premier les nerfs du cœur , et du second, ceux qui se distribuent dans toutes les parties du corps. Ces erreurs posées en principes, il prétend qu’une congestion sanguine, dans la substance cérébrale, frappe d’atonie les organes des sens et des mouvemens volontaires, tandis que le cervelet, jouissant d’une consistance plus grande, se refuse à la compression , et maintient son influence sur le cœur ; ceux-là veulent que le sommeil soit l’effet de la dérivation des humeurs qui, pendant la veille, se transportent vers la masse encéphalique qu’elles excitent, et ils croient rendre leur explication plus vraisemblable, en rappelant que tout ce qui détourne le sang du cerveau vers un autre organe, favorise [p. 99] puissamment le sommeil : ceux-ci supposent, avec Morgagni, que le sommeil est déterminé par un resserrement de l’aorte, et ils veulent que le ventricule, placé au-devant de cette artère, reçoive d’elle une compression assez énergique pour chasser le sang vers le cerveau dont l’action est bientôt suspendue par cette congestion sanguine. Des anatomistes ayant remarqué la situation des nerfs oculo-musculaires communs entre les artères postérieure du cerveau et cérébelleuse supérieure, ont cru que leur compression par les vaisseaux sanguins était la cause du sommeil. Plusieurs physiologistes modernes font dépendre le sommeil d’un affaiblissement manifeste et direct de la sensibilité qui entraîne la suspension des mouvemens volontaires ; ils disent qu’il est le résultat de la fatigue des organes de cette vie qu’on a appelée animale ou de relation. Araldi pense que c’est à l’âme que doit être attribuée la cause immédiate la plus ordinaire du sommeil de l’homme, que cet acte n’est point soumis à l’influence de la volonté, et qu’à quelques exceptions près, le sommeil s’empare de nous malgré nos efforts pour lui résister, comme il nous échappe quelquefois malgré notre empressement à le provoquer. Tout cela est à peu près juste, et ne fait rien à la question. Araldi ne fait nullement connaître la cause du sommeil. Plusieurs autres théories, aussi peu vraisemblables, aussi insignifiantes que celles que nous venons d’indiquer, ont été proposées par des physiologistes ; mais peut être en avons-nous cité beaucoup trop. Il n’est pas de sciences où l’esprit de critique soit plus nécessaire que dans la médecine et dans la physiologie, Ceux qui ont écrit sur les fonctions des organes du corps humain ont donné presque la torture aux faits pour les arranger avec les rêves de leur imagination ; tandis que, dans les sciences physiques, une théorie n’est qu’une manière d’expliquer des faits positifs et multipliés ; en physiologie, ce n’est qu’une abstraction établie sur un fait, contredite par vingt autres. Les faits eux-mêmes sont, dans beaucoup de cas , mal connus, mal interprétés, ct cependant, malgré ce vice radical, ils servent de base à des doctrines. Nous ignorons complétement la cause de cette loi fondamentale qui soumet la vie des animaux à deux manières d’être , la veille et le sommeil.

Ce ne sont pas les causes de cette loi, mais les circonstances qui la mettent en jeu, celles dans lesquelles le besoin de sommeil se fait sentir, dont nous allons parler. Barthez pense qu’elles peuvent se réduire aux ordres suivans : 1. à un affaiblissement direct du système des forces sensitives de tout le corps, qui fait tomber l’excitation de ses forces motrices ; 2°. à ce que suivant un ordre naturel et diversement modifié par l’habitude, le sommeil est une fonction du principe vital [p. 100] alternative avec la veille ; 3°. à l’influence sympathique qu’a sur tous les organes une succession immédiate de la chute à l’excitation des forces sensitives d’un organe particulier. M. Virey assure que le sommeil se produit par deux causes qu’une route contraire conduit au même résultat. Ou la faiblesse de la vie, dit-il, détermine le sommeil, ou l’épuisement artificiel de la vie la plus active, produit le même état. Dans le premier cas, la soustraction de toutes les causes qui excitent et réveillent, laisse tomber le corps dans le repos ; dans le second cas, l’excès des causes irritantes, fatiguant le corps, le force à dormir. Ainsi, suivant M. Virey, le sommeil est toujours un état d’atonie soit naturel au corps, soit artificiel. Nous avons adopté une autre manière de classer les circonstances dans lesquelles le sommeil survient, ou ses causes secondaires; nous examinerons l’action sur l’homme qui veille des six choses non naturelles ou plutôt naturelles qui composent la matière de l’hygiène, et les maladies qui produisent le même effet. Une cause générale qui provoque le besoin du sommeil est l’exercice prolongé des fonctions qui nous mettent en relation avec les objets dont nous sommes environnés, d’où suit la lassitude des organes qui appartiennent à ces fonctions ; mais pourquoi sont-ils fatigués ? d’où vient que ceux des fonctions assimilatrices qui sont continuellement en exercice n’éprouvent jamais la même lassitude et la même intermittence d’action ? (Quel physiologiste dévoilera ce mystère ? tous les médecins ne doivent-ils pas s’écrier avec le religieux Haller : Fateor me ignorare quare hi musculi non quiescunt (ceux des viscères), atque causant refundo in creatoris omnipotentiam , qui totum corpus nostrum simul.fecit. La nature semble avoir fait coïncider l’alternative de la veille et du sommeil avec celle du jour et de la nuit :

Libra diei somnique pares ubi fecerit horas.
VIRG., Georg., lib. I.

Le Lapon consomme en dormant une grande partie du temps pendant lequel son climat le condamne à vivre dans d’épaisses ténèbres. Cependant le sommeil n’est pas une conséquence de la nuit ; quelques animaux veillent la nuit et dorment le jour ;l’homme a pris plusieurs fois la même habitude sans inconvénient, et il n’y a point de rapport nécessaire de l’un à l’autre ;mais seulement coïncidence. La nuit invite au sommeil, parce qu’alors les causes d’excitation qui ont agi, pendant la veille sur les organes des sens de l’intelligence et des mouvemens volontaires, et fatigué ces mêmes organes, cessent d’exister plus ou moins complétement. Ces organes s’endorment , non-seulement [p. 101] parce qu’ils sont las, mais encore parce qu’ils ne sont plus excités.

1°. Circumfusa. Tout ce qui a été dit sur l’influence, relativement au sommeil, du climat, de la nuit, de l’obscurité, trouverait sa place ici : l’air frais qui représente une partie des mouvemens à l’intérieur, sollicite l’assoupissement ; mais l’effet d’un froid rigoureux et prolongé est bien plus grand, bien plus manifeste ; le froid détermine un besoin de dormir très-impérieux, qui, s’il était satisfait, conduirait à une mort infaillible. Il importe beaucoup , dans ces circonstances, de le combattre, et l’exercice est le principal moyen de lui résister. Il sauva de la mort plusieurs des soldats de Xénophon, qui éprouvant un froid extrême, étaient pris d’un besoin presque irrésistible de dormir. Boerhaave, qu’un froid rigoureux invitait au sommeil de la manière la plus pressante, quoique instruit de l’imminence du danger, ne parvint à l’éviter qu’avec une peine extrême. Le docteur Solander, surpris, dans l’une de ses savantes excursions, par un froid très-vif, voulait absolument céder au besoin du sommeil, et malgré toutes les représentations de ses amis, qui lui sauvèrent la vie en le contraignant à faire de l’exercice Le froid provoque le besoin du sommeil par son action sur les nerfs qu’il paralyse en quelque sorte, il refoule le sang de l’extérieur à l’intérieur, il détermine une pléthore sanguine locale dans l’intérieur du crâne, et consécutivement le carus, une léthargie mortelle. Le sommeil naturel est plus profond et plus long pendant l’hiver que pendant l’été. Voyez FROID.

2°. Ingesta. L’ingestion abondante d’alimens solides, de chairs rôties, le travail de la digestion excitent le besoin du sommeil ; pendant ce travail les forces sont concentrées à l’extérieur, et l’activité des organes des sens, affaiblies. Aristote a dit : Somnus maxime post cibum fieri solet.

Les boissons aromatiques, spiritueuses, fragrantes, toutes celles qui sont fermentées, invitent impérieusement à dormir, lorsqu’elles ont été prises en certaine quantité. Barthez explique leur action de la manière suivante : l’excitation produite par l’abus des boissons fermentées va jusqu’au délire qui est suivi du sommeil ; la sensibilité de l’estomac étant trop excitée par cet abus, ne peut se soutenir longtemps, et sa chute, comme son excitation, sont transmises sympathiquement au système générale des forces. L’arsenic, ce terrible poison, cause souvent un sommeil dangereux, qui est déterminé, suivant Barthez, par la chute des forces sensitives de l’ on et des intestins, que l’arsenic a violemment tourmentées, chute qui se communique violemment aux forces de tout le système ; ce qu’il y a de positif, c’est que les boissons fermentées, les vins, [p. 102] le cidre, la bière, les spiritueux, et que certaines boissons aromatiques troublent les fonctions du cerveau , après avoir excité l’action de cet organe ;mais le besoin du sommeil est-il excité par la conséquence de la chute des forces sensitives de l’estomac, ou ce qui est plus probable, plus conforme à l’observation, par la pléthore sanguine locale du cerveau et l’affaiblissement des fonctions des nerfs, c’est ce qu’il n’est pas possible d’affirmer et ce qu’il n’importe guère de savoir. Examinons quelles sont les différences qui existent entre le sommeil natures et celui qui a été provoqué par l’ivresse : une excitation modérée du cerveau, caractérisée par la vivacité de s’imagination, l’énergie des facultés intellectuelles, l’épanouissement, l’expression de la physionomie, qu’animent des yeux brillans, est bientôt suivie par un état tout contraire qui précède le sommeil ;le sang est porté en trop grande quantité vers les parties supérieures, et les vaisseaux sanguins du cerveau sont évidemment pléthoriques ; le jugement a perdu toute sa netteté, l’imagination est éteinte, la mémoire est anéantie, toutes les facultés cessent d’être, et cette inaction s’étend rapidement aux organes des sens, de la parole et des mouvemens volontaires. L’expression dc la physionomie n’est pas celle du sommeil naturel ; elle est altérée par le gonflement des veines, la rougeur du visage, un sourire convulsif, et quelquefois la chute de la lèvre inférieure qui est écumeuse ; des vertiges, de vaines tentatives pour exprimer des idées ou exécuter les mouvemens que l’on faisait librement pendant la veille, un véritable délire, souvent quelques vomissemens et l’écoulement involontaire des urines précèdent le sommeil, qui est une véritable léthargie. La respiration est fort difficile, elle est steroreuse, on entend de loin le ronflement de l’ivrogne endormi ; le sang circule avec force dans ses vaisseaux ; la digestion, si l’estomac est gorgé d’alimens, est rarement bonne  et une transpiration abondante est ordinairement la crise de cet état. Ce sommeil pénible ne soulage et ne restaure pas ; des tremblemens involontaires, un malaise général, une pesanteur extrême et de la tête et des membres, une somnolence continuelle, le dégoût pour les alimens, la perte complète de l’appétit, des vomissemens, la faiblesse de tout le corps ; voilà le lendemain de l’orgie, dont les effets se font sentir, mais en décroissant, pendant quelques jours.

Narcotiques. Le sommeil causé par les narcotiques administrés à haute dose est une véritable maladie, il nous suffira pour démontrer cette vérité de rappeler quelques-uns de ces phénomènes. Il y a quelque analogie entre la manière d’agir de ces substances et celle des boissons fermentées , mais leurs effets sont infiniment plus prononcés et plus dangereux.  Dans [p. 103] l’un et l’autre cas, le cerveau est l’organe qui est principalement affecté ; un individu s’est-il empoisonné avec la belladone, la jusquiame, l’opium, sa tête devient lourde, il éprouve une difficulté inconnue, à mouvoir ses membres, et ne peut résister à une somnolence profonde qui l’accable ; ce† il ne tarde pas à éprouver un commencement de délire, ses idées sont confuses, fantastiques, bientôt il ne peut en former, et l’action de ses facultés intellectuelles est suspendue ; l’oreille est morte aux rayons sonores, l’odorat aux odeurs, les paupières sont tuméfiées et sans force, la pupille est presque toujours dilatée ; avec les vertiges , surviennent les nausées, des vomissemens, des mouvemens convulsifs dans différentes parties du corps ; la bouche est déformée par les contorsions des lèvres, et l’expression de la physionomie a entièrement changé. Le sommeil est une léthargie profonde et très voisine de la mort avec laquelle elle a une grande analogie ; le pouls est alors petit, inégal, intermittent. Les suites de cette maladie, lorsqu’elles ne sont pas mortelles, sont trè graves, elles sont, en général, de la même nature que celles de l’ivresse, mais à un bien plus haut degré d’intensité. Un état plus voisin du sommeil naturel est déterminé par les narcotiques donnés à petite dose, c’est une médication dont on fait un fort grand usage ; il ne faut pas abuser de ce sommeil artificiel ; on ne contraint jamais la nature sans inconvéniens plus ou moins graves.

3°. Excreta. Les pertes séminales abondantes produisent un grand degré de faiblesse dont la conséquence est un besoin impérieux du sommeil, qui, tranquille et prolongé, rend au corps une partie des forces qu’il a perdues. Quelques purgatifs causant des évacuations alvines considérables, produisent un semblable effet, mais moins marqué. Ceux qui viennent de perdre une très-grande quantité de sang artériel ou veineux, à la suite d’un accident (hémorragie ) ou de la phlébotomie, sont portés à s’endormir, et le sommeil, dans ces circonstances, est en général dangereux, on connaît plusieurs exemples de morts précédées par le sommeil, provoqué lui-même par une saignée très-copieuse ; les condamnés, chez les Romains, à qui on ouvrait les veines des membres, étaient portes dans un bain tiède, et là ils s’endormaient pour toujours. Un animal à qui on a ouvert les veines jugulaires, et qui doit mourir d’hémorragie, éprouve des convulsions qui sont interrompues par des instans abandonnés au sommeil. Toute évacuation excessive affaiblit, à un très-haut degré, les organes du sentiment, surtout les nerfs qui animent les organes des sens et des mouvemens volontaires, et le besoin du sommeil est une conséquence ordinaire de cet épuisement. L’homme qui vient de [p. 104] transpirer abondamment dans un bain de vapeurs, éprouve le besoin du sommeil qui est pour lui le restaurant le plus puissant.

4°. Applicata. Les bains tièdes excitent en général, mais cependant à un médiocre degré, le besoin du sommeil ; certaines frictions peuvent, chez quelques individus, produire le même effet. Alexandre d’Aphrodisee dit que le chatouillement des pieds peut procurer le sommeil. Des narcotiques appliqués sur les tégumens et introduits dans la circulation sanguine par l’absorption cutanée, excitent le sommeil artificiel.

5°. Acta. La fatigue musculaire, celle d’un sens, celle du cerveau , la faiblesse, ou si l’on veut la fatigue qui suit une abondante évacuation de sang ou de semence, sont placées au nombre des causes secondaires du sommeil. Un degré modéré de fatigue musculaire invite à dormir, mais s’il dépasse certaines limites, le sommeil devient difficile. Un voyageur épuisé par une marche longue et pénible, pendant une journée d’un été brûlant, tombe dans un sommeil long et profond. Aucune irritation ne peut résister au sommeil, a dit Haller ; on a tourmenté des infortunés, on les accablait de coups dès qu’ils sommeillaient, la nécessité du sommeil a surmonté la puissance de la douleur dans ces malheureux, ils apprirent à dormir au milieu des coups, et j’ai vu, ayant été obligé par ma charge, et en qualité de chef de la justice, d’assister à des questions, le sommeil saisir le criminel dont les pieds étaient chargés de poids (Supplément à l’Encyclopédie, pag. 807). On a dit ailleurs que le sommeil saisissait des soldats exténués de fatigues dans des villes assiégées, au milieu des explosions des mines et des pièces d’artillerie d’un calibre énorme.

Un bruit monotone, dit Cabanis, faisant cesser l’attention des autres sens, endort bientôt sympathiquement l’oreille elle-même; ainsi, le frémissement des feuilles des arbres, l’aspect d’un champ de blé en maturité que le vent agite, le murmure d’un ruisseau, le bruit du vent ou celui d’une cascade, une musique sans expression, un discours prononcé constamment sur un ton qui ne change pas, appellent et amènent le sommeil. Darwin explique cet effet singulier d’un bruit monotone, entendu pendant un certain temps, d’une manière tort ingénieuse, et Barthez, en observant que ces sons présentent des idées indistinctes de sons qui sont sans harmonie, qu’ils détournent notre attention de tous les autres objets, tandis que par leur répétition continuelle, ils nous deviennent eux-mêmes familiers, de sorte que nous cessons par degrés de donner notre attention à rien, et que le sommeil s’ensuit ; Barthez approche davantage de la vérité, lorsqu’il dit que de tels sons ainsi répétés sont manquer notre attention, non parce qu’ils nous [p. 105] deviennent familiers, mais parce que n’étant pas assez distincts ! entre eux, ils fatiguent extrêmement d’attention, en lui demandant une continuité d’efforts réitérés, pour saisir un son qui semble être toujours le même (Nouveaux élémens de la science de l’homme). L’histoire du sommeil fournit plusieurs preuves à la doctrine de M. Gall. La fatigue de l’organe de la vue par la lecture, surtout par celle d’un livre ennuyeux, provoque indirectement le besoin de dormir ; un effet semblable est le résultat des exercices doux et prolongés dans lesquels le corps est balancé d’une manière uniforme et régulière ; certains hommes sont endormis par le mouvement uniforme d’une voiture, même par l’équitation. Barthez assure que le bercer endort les enfans, parce qu’il irrite d’abord les organes extérieurs, les fatigue ensuite, et les rend enfin comme calleux. Il rapproche de ce fait l’observation étrange rapportée par Gemilli Careri, d’un Tartare qui, toutes les nuits, était obligé, pour pouvoir s’endormir, de se faire frapper quelque temps avec des baguettes comme sur un tambour. Dumas a très-judicieusement rapporte au pouvoir de l’habitude la nécessité de la percussion abdominale chez cet homme, avant le sommeil, et ce phénomène singulier ne prouve rien en faveur de la théorie obscure que Barthez a donnée du bercer. On a expliqué de différentes manières comment la fatigue des muscles et celle d’un ou plusieurs sens appellent le sommeil, mais toujours par des hypothèses dont aucune ne satisfait l’esprit. Nous ne nous croyons point obligés d’en proposer de nouvelles.

Cabanis a observé que les personnes qui viennent d’éprouver de grandes fatigues, ont besoin, avant de pouvoir s’endormir, de prendre des bains tièdes, des boissons et des alimens sédatifs, ou du moins de se reposer quelque temps dans le silence et l’obscurité.

6°. Percepta. Le sommeil est appelé par les passions tristes, et quelquefois immédiatement après leur accès les plus considérables ; l’effusion d’une grande quantité de larmes apaise les violentes douleurs morales, et le sommeil la suit facilement.

7°. Nous passons à un autre ordre de causes du sommeil, mais d’un sommeil d’une espèce particulière. Toute maladie qui consiste dans une pléthore sanguine du cerveau, toute cause qui retient le sang dans cet organe, ou qui l’empêche d’y arriver, excite le besoin de dormir et détermine ordinairement la somnolence et un sommeil profond. L’injection sanguine modérée des capillaires du cerveau et de ses enveloppes, excite plutôt les convulsions et l’insomnie que la tranquillité et le sommeil, mais, lorsqu’elle est considérable, un effet contraire est produit. On a comprimé directement le cerveau de quelques individus, dont les os du crâne étaient cariés ; cette [p. 106] compression augmentée par degrés produisait successivement la somnolence, l’assoupissement, et une sorte de sommeil que nous n’avons garde de comparer au sommeil naturel. Un sommeil analogue est l’un des effets ordinaires d’un épanchement de pus, de sang, sous les os du crâne, de la ligature des veines jugulaires.

Il y a, entre l’état d’un homme frappé d’apoplexie et le sommeil naturel, des différences essentielles que nous devons signaler. Elles consistent spécialement dans le désordre extrême de la circulation cérébrale, et l’affection profonde du cerveau, et en général des fonctions des nerfs. C’est dans le crâne que les principaux phénomènes de l’apoplexie ont leur siège, comme le sommeil naturel ; toutes les fonctions intellectuelles sont suspendues, le sentiment n’existe plus, la respiration est devenue bruyante, stertoreuse, le pouls, ordinairement dur, très fort, est quelquefois intermittent et faible ; les organes des mouvemens volontaires sont agités par des mouvemens convulsifs ; les membres sont engourdis, la face est colorée fortement, la bouche déformée par une distorsion plus ou moins grande, les veines jugulaires sont gonflées, etc. (VoyezAPOPLEXIE, COMA, et les supplémens, à l’article apoplexie, dans le Journal complémentaire). On ne peut pas donner le nom de sommeil, quelque épithète que l’on joigne à ce mot, à l’ensemble de phénomènes qui constitue une attaque d’apoplexie.

Le sommeil léthargique a été décrit ailleurs (Voyez CAS RARES, LÉTHARGIE ). Malgré sa durée considérable, il ne cause pas toujours des désordres apparens dans l’économie animale. Est-ce le sommeil qui produit la respiration de certains gaz ? L’assoupissement, l’insensibilité, qui sont des symptômes de certaines asphyxies, n’ont aucun rapport avec lui, et ne sont pas eux-mêmes les phénomènes les plus remarquables de ces maladies.

L’étude du sommeil pathologique ne comprend pas celle des différens états maladifs dont il vient d’être question ; il est quelques maladies qui comptent, parmi leurs épiphénomènes, une somnolence continuelle, un sommeil prolongé qui est alors symptomatique ; ce n’est qu’à cette espèce de sommeil que cette épithète pathologique peut être appliquée avec quelque exactitude. La durée extraordinaire de ce sommeil, et son influence, en général nuisible, voilà ce qu’il présente de plus remarquable.

Il faut distinguer du sommeil pathologique les prédispositions à dormir beaucoup, qui sont naturelles à quelques hommes, qui paraissent particulières à certaines idiosyncrasies. L’obésité dispose au sommeil, les individus qui ont beaucoup [p. 107] d’embonpoint dorment en général beaucoup. La somnolence, besoin souvent répété du sommeil, sont des épiphénomènes assez ordinaire des hydropisies, de la leucophlegmatie. Il est des névroses qui sont remarquables par le besoin impérieux et presque continuel que le malade ressent de dormir ; on connaît quelques observations d’hystérie, dont le phénomène le plus digne d’attention est un assoupissement presque sans relâche. Des jeunes filles, dans cet état, ont dormi plusieurs jours de suite, ne se réveillant que pour prendre des alimens.

En résumant ce qui vient d’être dit sur les causes secondaires du sommeil naturel, on voit que presque toutes agissent en affaiblissant l’énergie des organes des sens et des facultés intellectuelles ; c’est le cerveau qui est principalement affecté, c’est incontestablement lui qui est le siège du sommeil. Quelle est la partie de cet organe complexe qui est ce siège ? Voilà ce qu’on peut difficilement déterminer. Il n’y a pas toujours, dans le sommeil, épuisement, fatigue des nerfs et des sens, diminution de la sensibilité, lassitude du cerveau ; le besoin de dormir est excité impérieusement par l’audition d’un bruit monotone ; il survient dans des circonstances où les organes des sensations et de l’intelligence jouissent de toute leur énergie. Les causes du sommeil n’agissent pas de la même manière, il est souvent sympathique. Cette manière d’être de la vie consiste essentiellement dans le repos plus ou moins complet et plus ou moins durable des organes de la locomotion, des sens, et des facultés intellectuelles ; mais ce repos n’est pas toujours nécessité par la fatigue de ces organes pendant la veille.

L’homme peut, par divers moyens, prolonger et tromper le besoin du sommeil ; une ferme résolution suffit quelquefois. En exécutant avec ardeur des travaux physiques, en exerçant beaucoup les muscles, on prolonge plus facilement la veille qu’en se livrant à des travaux intellectuels. Des objets capables d’exciter vivement les sens, un bruit aigu et inattendu , une lumière éclatante, peuvent éloigner le besoin du sommeil. Ce besoin perd de son énergie aussitôt que nous avons dépassé l’heure ordinaire à laquelle nous y cédons ; enfin, on peut encore le tromper, en s’abandonnant à lui pendant quelques instans, dans une position qui ne permet pas un sommeil de longue durée. Une forte affection de l’âme, certaines boissons stimulantes, le café, par exemple, une vive douleur, sont des causes très-ordinaires de l’insomnie.

Le sommeil fuit les soucis rongeurs, il délaisse l’ambitieux ; il aime les hommes paisibles et les consciences tranquilles.

Somnus agrestium
Léenis vivorum non humiles domos.
[p. 108]
Pastidit, umbrosamque ripam
Non zephiris agitada tempe.
Horat.

Du sommeil magnétique. Le sommeil est l’un des effets les plus remarquables du magnétisme animal ; il n’est alors, ordinairement, qu’une somnolence profonde, troublée par des mouvemens convulsifs. Ses phénomènes diffèrent de ceux qui sont propres au sommeil naturel, ses effets ne sont pas les mêmes ; soumis à l’influence magnétique, l’homme sent ses paupières appesanties, tomber malgré lui, il s’endort ; mais bientôt, pendant ce sommeil extraordinaire, le cerveau se réveille, et les facultés intellectuelles entrent en exercice. Interrogé, il répond ; ses sensations sont plus délicates, il devient capable de choses extraordinaires (VoyezMAGNÉTISME). Nous ne devons pas décrire les phénomènes physiologiques du sommeil magnétique, son existence nous paraît démontrée, c’est-à-dire que nous croyons à un assoupissement, à un sommeil appelé par l’influence de l’imagination de celui qui va l’éprouver ; nous et croyons qu’une femme vaporeuse, qu’un individu dont le système nerveux a une grande susceptibilité, ou dont l’esprit est fort prévenu, peut s’endormir plus ou moins complétement pendant les manœuvres d’un magnétiseur en qui il a une grande confiance. Ce sommeil, démontré par les faits, est de la même espèce que celui qu’éprouvaient dans leurs extases certains fanatiques, et les pythonisses des anciens.

  1. Virey a fait, dans ce Dictionnaire, avec autant de force que d’impartialité, l’histoire des progrès et de la décadence du magnétisme animal, l’une des grandes absurdités qui ont déshonoré l’esprit humain; nous renvoyons à ce travail important, tous les détails qui ont pour objet le sommeil et le somnambulisme magnétique (consultez encore l’article somnambule).

De quelques inductions séméiotiques fournies par le sommeil. Toutes les variétés extraordinaires des phénomènes du sommeil naturel doivent fixer l’attention du médecin, on a vu ailleurs qu’il fallait se méfier d’un changement soudain dans la durée respective du sommeil et de la veille : il importe dans les examens de cette nature d’avoir égard à l’habitude : tel individu présente naturellement en dormant une singularité qui, chez un autre, serait d’un augure funeste, ou exciterait des craintes légitimes. Par exemple, certains hommes endormis ont le corps presque droit : cette attitude est gênante, elle n’est point ordinaire, lorsqu’un malade la prend tout à coup, son médecin a de justes raisons de concevoir des alarmes sur son état. Un assoupissement presque continuel est un symptôme [p. 109] d’une altération grave de la santé, et ordinairement d’une affection redoutable de l’intérieur du crâne ; c’est lui qui avertit les chirurgiens d’un épanchement quelconque dans le crâne, chez les individus qui ont reçu des coups à la tête. Ce besoin continuel et irrésistible de dormir, suspect dans tous les cas, l’est spécialement pendant le cours de certaines maladies, telles que l’apoplexie et l’inflammation du cerveau et de ses membranes. La coïncidence avec cet état d’une faiblesse extrême, d’une grande dilatation de la pupille, de certains mouvemens automatiques, ajoute encore au danger qui menace le malade. Quelques malades, plongés dans cette somnolence profonde, ne peuvent être réveillés que fort difficilement, mais ils ne le sont jamais d’une manière complète ; arrachés au sommeil , ils promènent au hasard leurs regards stupides, et ne fixent rien, les organes de leur intelligence dorment encore ; ils entendent à peine les questions les plus simples, balbutient une réponse, et retombent dans leur léthargie. Ce sommeil est fort dangereux ; il annonce ordinairement un événement funeste.

  1. Double et d’autres médecins ont observé plusieurs fois des assoupissemens ou des prolongations de sommeil avec retours fréquens, comme épidémiques, et paraissant dépendre de l’influence catastaltique de la saison, le savant médecin que nous venons de citer l’attribue à l’influence des chaleurs sèches et longtemps prolongées.

On a dit autre part que l’insomnie répétée souvent, exerçait sur l’économie animale une action fâcheuse, qu’elle diminuait rapidement les forces, qu’elle était très nuisible dans un grand nombre de maladies. L’impossibilité de dormir que certains individus éprouvent dans l’état de santé, décèle une irritation cachée qu’il importe de découvrir; dans l’état de maladie, elle est bien plus dangereuse.

Si la durée trop considérable et contre nature du sommeil et l’insomnie fournissent des inductions séméiotiques utiles, celles que l’on peut tirer des phénomènes du sommeil, considéré en lui-même, ne sont pas moins importantes. Plus les phénomènes diffèrent du sommeil naturel, plus ils doivent exciter la défiance et l’attention d’un médecin. Si un malade est plus fatigué après avoir dormi qu’au moment où il s’est livré au sommeil, celui-ci a présenté quelque chose d’extraordinaire, il n’a pas été tranquille. Des songes terribles, effrayans, un sommeil très-agité, troublé souvent par un réveil en sursaut, par des mouvemens convulsifs, annoncent en général une très grande irritation du cerveau ou de ses membranes, et un danger redoutable. D’habiles médecins ont su prévoir la terminaison de quelques maladies, une crise, une hémorragie par la nature des songes : Similiter oculi demissi, dit [p. 110] Hippocrate, ad infernam palpebram magis inclinantes, rigidè ac stupidè intuentes, albae oculorum partes pallidae, mortales. La torsion du globe de l’œil, telle qu’on ne voit à travers les paupières à demi closes que la blancheur de la sclérotique, est un des signes précurseurs de la mort, mais elle est d’autres fois une habitude ; un autre symptôme d’un sinistre augure, est un mouvement convulsif de la mâchoire inférieure, et le grincement des dents pendant le sommeil.

C’est un signe favorable lorsque le sommeil d’un malade, troublé longtemps, devient tranquille, naturel, et rend au corps une partie de ses forces.

Du sommeil des animaux hibernans. Le sommeil léthargique qui s’empare de plusieurs quadrupèdes vivipares pendant l’hiver, est un phénomène fort remarquable ;ils ont perdu toute sensibilité, ils respirent à peine, leur circulation est imperceptible, leur chaleur naturelle est considérablement diminuée, et cependant ils vivent. Cette léthargie ajoute même à la durée de leur existence ; aussitôt que les circonstances qui l’ont produite disparaissent, l’animal se réveille, et toutes ses fonctions entrent en exercice de nouveau. En Islande, les brebis abandonnées, passent six mois de l’hiver endormies sous la neige et des broussailles ; des ours, plusieurs espèces de rats, les loirs, les hérissons, les musaraignes, les taupes, dorment pendant la plus grande partie de l’hiver.

L’histoire de ce phénomène extraordinaire a été l’objet d’un prix proposé par l’institut. Spallanzani, Sennebier, MM. Herhold, Rafn, Mangili, Saissy.et Prunelle, ont étudié avec beaucoup de soin les circonstances qui amènent, qui accompagnent, et qui font cesser le sommeil hibernal ; plusieurs de ces savans ont exposé dans le plus grand détail toutes les modifications qu’éprouvent pendant ce sommeil singulier les fonctions de l’animal. M. Saissy, dont l’institut a couronné le mémoire, prouve par des expériences thermométriques que la température des animaux hivernans est en raison directe avec celle de l’atmosphère, et qu’ils me s’engourdissent pas tous au même degré de froid. Spallanzani avait fait cette remarque. Il faut un degré de froid bien plus considérable pour engourdir la marmotte que pour plonger dans un sommeil profond les lérots, les hérissons, la chauve-souris ; une marmotte observée par Réaumur se mouvait avec son agilité ordinaire, quoiqu’elle supportât un froid de cinq degrés au-dessous de glace, M. Saissy pense et démontre que l’assoupissement n’est pas également profond chez tous ces animaux : il faut à la marmotte, pour qu’elle reprenne sa température ordinaire, huit à neuf heures ; au hérisson cinq à six ; à la chauve-souris trois à quatre ; deux au lérot, et ces divers animaux sont [p. 111] réveillés, non seulement par l’action d’une douce température, mais encore par une légère irritation, par quelques petites secousses, ou leur exposition à une température plus froide que celle dans laquelle ils se sont engourdis. Il est nécessaire que ces animaux renoncent à tout exercice ; ils ne s’engourdissent promptement que lorsqu’ils sont blottis dans un trou presque entièrement privé d’air, ce qui est spécialement vrai pour la marmotte et le hamster. Il résulte des expériences de M. Saissy qu’à mesure que les animaux hibernans s’engourdissent, ils consomment une moins grande quantité de gaz oxygène ; qu’ils ont la faculté de vivre un temps assez long dans un air qui n’est propre ni à la combustion ni à la respiration, sans en être fatigués d’une manière notable ; que dans l’engourdissement où la respiration est encore perceptible, la consommation du gaz oxygène est très peu de chose en comparaison de ce que ces animaux en absorbent dans leur état ordinaire ; enfin que, dans l’engourdissement profond, il n’y a point d’augmentation dans la température, et par conséquent point de respiration (Recherches expérimentales physiques, chimiques, sur la physique des animaux hibernans, Lyon , 1808, in-8°., p. 35). Si leur température descend à zéro, ils ne se réveillent plus ; la circulation ne paraît exister que dans les gros vaisseaux qui partent du cœur, et l’irritabilité et la sensibilité sont d’une faiblesse extrême. M. Saissy devait répondre à ces questions difficiles, l’institut avait demandé : Quelles sont les causes prédisposantes ou primitives de l’engourdissement des marmottes, des loirs, etc. ? Comment cet engourdissement est-il déterminé par le froid ? Pourquoi est-il propre à ces animaux ? Divers naturalistes avaient déjà cherché à déterminer ces causes : Buffon les voyait dans la rigueur de la température, et le refroidissement du sang ; Spallanzani dans une roideur violente de la fibre musculaire, et dans la réplétion des vaisseaux sanguins du cerveau ; John Hunter dans l’impossibilité où sont ces animaux durant l’hiver de trouver les alimens qui leur sont propres ; d’autres dans les qualités de l’air que ces animaux respirent. Toutes ces explications sont inexactes, vicieuses, et reposent sur des explications mal faites. M. Saissy regarde comme causes du sommeil hibernal le peu d’expansion des poumons, la dilatation du cœur et des vaisseaux sanguins de l’intérieur du thorax et de l’abdomen (les pulmonaires exceptés), dans la ténuité des vaisseaux extérieurs, dans la grosseur des nerfs de la surface du corps, dans la qualité peu concrescible du sang, et enfin dans la saveur douceâtre de la bile de ces animaux. Cette théorie peu satisfaisante est la partie faible de l’intéressante dissertation de M. Saissy ; elle laisse à peu près le problème dans son entier. [p. 112] D’autres ont donné pour cause du sommeil hibernal la grandeur du cœur, le nombre des membranes graisseuses, l’absence des cœcums, la longueur des nerfs diaphragmatiques, etc., et ne paraissent pas avoir été plus heureux que M Saissy.

Les résultats généraux des travaux que la question, proposée par l’institut, a fait entreprendre, sont les suivans : 1° le froid est la circonstance nécessaire, mais non unique du sommeil hibernal ; l’absence du bruit, le défaut de nourriture, un air pauvre en oxygène, l’éloignement des causes excitantes doivent s’unir au froid ; un froid inférieur à la congélation réveille ou fait périr les animaux qui y sont exposés. Ainsi les mammifères hibernaux ne s’engourdissent qu’à une certaine température en deçà et au-delà de laquelle la chaleur ou le froid les réveillent ; 2°. leur sang est aussi chaud que celui des autres animaux dans leur état ordinaire ; ce liquide se meut avec une extrême lenteur quand ils commencent à s’engourdir, ou lorsqu’ils sortent de cet état ; et lorsque l’engourdissement est complet, les vaisseaux capillaires de l’extérieur du corps sont presque vides ; les plus gros ne sont pleins qu’à demi, et le sang y est dans un état de stagnation apparente ; ils consommaient presque autant d’oxygène que lorsqu’ils veillaient ; cependant leur chaleur diminue avec celle de l’air ;3°. · lorsqu’ils dorment, tel est le ralentissement de leur circulation et de leur respiration, que ces fonctions sont réduites à une faiblesse extrême ; cependant elles ne sont pas complétement suspendues ; 4°. la chaleur des animaux hibernans se perd jusqu’à un ou deux degrés au-dessus de zéro, mais ne descend pas plus bas ; 5°. ils mangent dans leurs réveils passagers ; leur transpiration est très-facile, l’intensité du sommeil varie suivant les espèces ; 6°. la chaleur est la cause la plus ordinaire de leur , réveil, alors leurs fonctions reviennent à leur état naturel, dans un temps variable, mais assez court.

  1. Mangili a observé que les marmottes perdent de leur poids pendant le sommeil hibernal, mais cette diminution est faible, et il n’est point vrai, comme l’a démontré également Spallanzani, qu’elles maigrissent considérablement. Barthez résume, 1°. que la nature des animaux qui hibernent leur rend difficile la production du degré de leur chaleur vitale, qui doit rendre cette chaleur supérieure au froid extérieur porté au point de la congélation et au-dessous ; 2°. que pour ces animaux exposés au froid de l’hiver, leur principe de vie concentre ses forces motrices pour remplir cette fonction, de sorte qu’il suspend ou diminue à proportion la dépense qu’il devrait faire de ses forces, pour exercer, comme dans l’état de veille, les autres fonctions de l’économie animale. On n’avait point étudié, avec autant de soin et de succès qu’on l’a fait depuis, au moment où Barthez publiait cette théorie obscure [p. 113] et abstraite, les phénomènes que présentent les animaux hibernans pendant leur sommeil. Des recherches étendues sur ce sujet intéressant de physiologie comparée, sont étrangères à l’objet du Dictionnaire des sciences médicales, nous renvoyons aux deux articles hibernation et sommeil que notre collaborateur, M. Virey , a placés dans le nouveau Dictionnaire d’histoire naturelle, et à la Dissertation de M. Saissy, couronnée par l’Institut. Nous ne ferons qu’une seule remarque ; c’est que l’engourdissement des animaux hivernans pendant les grands froids, n’est pas le sommeil ; l’état de ces animaux alors diffère beaucoup de celui qu’ils présentent pendant qu’ils dorment.

Sommeil des plantes. N’est-ce pas faire une extension abusive du mot sommeil que de l’appliquer à un état de végétaux qui n’a aucun rapport réel avec lui ? Linné avait semé des graines de lotus ; la première de ces plantes qui fleurit fixa son attention ; il remarqua deux fleurs : ne les voyant pas le soir, il pensa qu’on les avait cueillies ; le lendemain même observation, les fleurs s’épanouirent le matin et disparurent au déclin du jour. Alors ce grand naturaliste examina la plante avec beaucoup de soin, et il vit que le soir les folioles des feuilles supérieures se rapprochaient et cachaient entièrement les fleurs. Frappé de ce phénomène, il parcourut ses serres une lanterne à la main ; quelle fut sa surprise ! tout avait changé d’aspect autour de lui ; il découvrit le sommeil des plantes.

Ce qu’on nomme le sommeil des végétaux, cette modification de leur manière d’être, se manifeste d’un grand nombre de manières différentes dans les plantes à feuilles simples ou à feuilles composées. Tantôt deux feuilles opposées, étendues horizontalement pendant le jour, s’appliquent face à face l’une contre l’autre pendant la nuit, tantôt elles se contournent en cornet au sommet de la tige et entourent les jeunes pousses ; celles-ci, redressées pendant le jour, s’inclinent vers le sol aux approches de la nuit ; celles-là s’appliquent l’une contre l’autre le long du pétiole commun, l’environnent entièrement et le recouvrent comme les tuiles d’un toit ; les unes se redressent, se touchent par leur sommet, s’écartent à leur partie moyenne, et forment ainsi un pavillon qui abrite les jeunes fleurs ; les autres divergent, leurs folioles se rapprochent par leur base et s’écartent par leur sommet.

Linné et Hill ont pensé que le sommeil des plantes dépendait de l’absence de la lumière, et quelques naturalistes l’ont subordonné à une cause intérieure. Ce point de physiologie végétale est encore trop peu éclairci pour que l’on puisse [p. 114] comparer au sommeil des animaux, les changemens extérieurs que quelques plantes éprouvent aux approches de la nuit.

(MONFALCON)

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[p. 115]

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(VAIDY)

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